OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Qu’est-ce qu’un prénom français? http://owni.fr/2011/03/20/quest-ce-quun-prenom-francais/ http://owni.fr/2011/03/20/quest-ce-quun-prenom-francais/#comments Sun, 20 Mar 2011 09:00:06 +0000 Baptiste Coulmont http://owni.fr/?p=52187 Il est possible de changer de prénom en prenant la nationalité française : c’est ce qui s’appelle la francisation. Cette francisation s’est mise en place après la Seconde Guerre mondiale, mais n’a jamais concerné la majorité des nouveaux Français : aujourd’hui, moins de 6% des candidats et candidates la demandent. Elle concerne rarement le nom de famille, et, presque tout le temps, le prénom. Au cours de la procédure, il est proposé au candidat à la naturalisation de prendre un nom ou un prénom “français”. Pour aider les personnes remplissant le formulaire CERFA 65-0054 [pdf], il est précisé ceci :

Afin de faciliter votre choix, une liste indicative de prénoms français ou couramment usités en France est tenue à votre disposition. Tout prénom choisi dans cette liste sera donc accordé. Cependant, ce document n’est pas limitatif et les demandes particulières seront examiné au cas par cas.

À l’étranger, certains consulats précisent la procédure :

Ne sont admis que les noms et prénoms dont le caractère français est avéré. Afin de faciliter votre choix, une liste indicative de prénoms français ou couramment usités en France est tenue à votre disposition à l’institut français de Taipei.

Récemment un collègue, le politiste Abdellali Hajjat, dont la thèse porte sur les naturalisations, m’envoie une liste qui était en usage dans diverses préfectures il y a quelques années, en me signalant qu’à l’époque, cette liste ne restait pas seulement “indicative”, mais surtout “confidentielle”.

Les choses sont moins confidentielles maintenant. La mise en ligne de nombreux documents administratifs a aussi touché les ministères. Certaines préfectures, dont la préfecture de police, donnent accès à cette liste, qui n’a plus pour titre “liste indicative”, mais “LISTE ALPHABÉTIQUE DES PRÉNOMS” [pdf]. Et d’autres sites diplomatiques précisent que cette liste peut se trouver sur l’intranet du ministère des Affaires étrangères. Il est donc possible de comparer la “liste des prénoms français” à plusieurs années de distance. Ceci devrait s’avérer intéressant : il semble que cette liste est en effet mise à jour régulièrement. On trouve ainsi trace d’une réfection régulière dans une circulaire de 2000 (je souligne)

Le but poursuivi par la francisation est de faciliter la vie quotidienne des nouveaux Français et leur intégration dans la communauté nationale. Ainsi, ne sont admis que des noms et des prénoms dont le caractère français est avéré. A cet effet, la liste indicative des prénoms français acceptés, adressée par la sous-direction des naturalisations aux tribunaux d’instance et consulats et mise à jour périodiquement, devra pouvoir être consultée par le déclarant.

L’on peut commencer par une comparaison un peu anecdotique. Parmi les révisions remarquables, “Baptistine”, pourtant un très joli prénom, disparaît au cours de la deuxième moitié des années 2000. Ce prénom, soit a perdu sa dignité de “français”, soit, et c’est plus probable, n’est plus “couramment usité”. « Adolphe », lui aussi, disparaît. Mais l’on peut aussi être plus systématique. Entre l’ancienne liste et la nouvelle liste, un joli nombre de prénoms qui semblent être “anciens” disparaît.

Un peu plus de 150 prénoms disparaissent. Et une soixantaine apparaissent.

Les nouveaux prénoms : Cathy, Capucine, Alexia, Mathis… sonnent un peu plus “jeunes” à l’oreille d’un Français (la mienne, en l’occurrence). Les deux listes n’étant distantes que de quelques années, il semble bien que le travail de mise à jour soit réel. Si l’on se concentre sur les prénoms abandonnés entre les deux listes, on remarque que ce sont surtout les prénoms les plus anciens qui l’ont été (comme Mariette ou Léandre). Et ceci est confirmé par un traitement statistique rapide. Le graphique ci-dessous montre la proportion des naissances annuelles recevant un des prénoms abandonnés :

Mais le cycle de la mode fait, malheureusement, qu’ils ont tendance à revenir au goût du jour, dans certains secteurs de la société française. On le remarque un peu dans le graphique précédent : la courbe frémit à la hausse depuis 1970. L’évolution est plus étrange concernant les prénoms entrés récemment dans la liste des prénoms français. Ce sont certes des prénoms plus récents que les anciens (au sens où ils représentent mieux les naissances récentes), mais la mise à jour n’arrive pas à enrayer la perte rapide de pertinence de la liste au regard des naissances en France. Les nouveaux prénoms n’entrent pas assez vite.

Mais à la lecture des deux listes, il m’apparaît que les prénoms sont un peu “vieillots” malgré le rafraîchissement régulier. Je passe sur le fait que certains prénoms sont proposés avec des variantes orthographiques étranges (Garence, ou Edgard, qui semblent moins “français” et moins “usités” que Garance ou Edgar). Dans la série des « S » on trouve ainsi Solange, Ségolène, Sylvain ou Sylviane… qui sont un peu datés. Ce sentiment est conforté par un petit traitement statistique. On peut affirmer, à partir du “fichier des prénoms” de l’INSEE, qu’il y a plus de 80% de chances qu’un Français pris au hasard, s’il (ou elle) est né(e) avant 1970, porte l’un des prénoms de la “liste des prénoms français” (celle de 2010). Mais s’il est né en 2008, il n’y a plus que 30% de chances. La mise à jour n’arrive pas à enrayer la perte rapide de pertinence de la liste au regard des naissances en France. Les nouveaux prénoms n’entrent pas assez vite. La nouvelle liste représente certes mieux les naissances récentes, mais pas beaucoup mieux.

La liste des prénoms “français” est donc surtout la liste des prénoms portés par les vieux français : “Kévin”, le prénom masculin à succès des années 1990, est absent de la liste, ainsi que de nombreux autres prénoms à la mode depuis une vingtaine d’années. Comment expliquer ceci ? Une première explication porterait sur l’âge des candidates à la francisation : elles ont souvent plus de 30 ans, donc autant leur proposer des prénoms adaptés à leur âge.

Une deuxième explication a ma préférence. À mon avis, c’est un bel exemple d’inertie des choses écrites. J’imagine qu’une liste a été établie, il y a de cela quelques dizaines d’années, un peu de bric et de broc, par quelques fonctionnaires de la sous-direction des naturalisations, qui avaient peut-être accès au “top 50″ des prénoms les plus donnés dans les années soixante. Cette liste a probablement circulé, de manière plus ou moins confidentielle pendant un moment, s’est stabilisée et a accédé à une certaine forme de publicité à la fin des années 1990, pour être ensuite périodiquement révisée.

Peut-on y insérer Yasmine ou Sabrina ?

Mais les choses écrites ont une certaine “force” diraient les promoteurs de la performativité. Comment ôter, de quel droit ôter à un prénom “français” sa place, qui lui revient de droit, dans cette liste. Peut-on y insérer Yasmine ou Sabrina, prénom au succès non négligeable en France, ou même Inès, Emma, Jade ou Lola ? Et l’évolution des prénoms, le rythme de l’engouement et du dégoût, s’accélère aussi au même moment. Les enthousiasmes pour “Kévin” passent vite, au profit d’un enthousiasme aussi grand pour “Téo”.

Une troisième explication m’est proposée par Abdellali Hajjat, qui insiste non pas sur l’hystérésis des formes administratives, mais sur une croyance spécifique des fonctionnaires chargés des naturalisation, croyance en l’existence d’une société française homogène culturellement. Peu importe, finalement, que cette liste soit en décalage objectif avec les pratiques des Français, elle a pour but de proposer une société idéale, une culture française… et, indirectement, de la faire exister. Car cette liste, il faut le rappeler, n’a de sens que de manière annexe à la procédure de naturalisation.  

Note : de Abdellali Hajjat, vous pouvez lire l’article intéressant, autour d’une thématique proche, sur le défaut d’assimilation dans la procédure de naturalisation / acquisition de la nationalité française.

Ce billet compile deux posts publiés sur le blog de Baptiste Coulmont ; image CC Flickr Ghusse

Le prochain livre de Baptiste Coulmont s’intitule Sociologie des prénoms (La Découverte, juin 2011)

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Géopolitique de l’Eurovision http://owni.fr/2010/06/03/geopolitique-de-leurovision/ http://owni.fr/2010/06/03/geopolitique-de-leurovision/#comments Thu, 03 Jun 2010 10:20:34 +0000 Baptiste Coulmont http://owni.fr/?p=17396 A quoi est dû le succès ? Aux qualités intrinsèques de l’oeuvre ? D’autres caractéristiques ne joueraient-elles pas ?

Cette question ne trouvera pas facilement de réponse : avant tout parce que mes collègues sociologues rechignent à étudier de trop près les goûts populaires. Combien de thèses sur des acteurs comme Bernard Ménez (par comparaison avec Jean Vilar) ? Sur des chanteuses comme Catherine Lara ? Et combien sur le théâtre de boulevard ? Combien de thèses sur la variété populaire utilisant les mêmes outils que ceux que Bourdieu utilisait dans Homo Academicus ? Il y a de bons articles sur la bande-dessinée (Boltanski). Sur le Rap, le Jazz, et d’autres styles aptes à l’élévation distinctive… Mais je n’en connais pas sur la variété, sur les artistes invités par Drucker à la grande époque de Champs Elysées [car il y eu une grande époque...]…

C’est probablement parce que la hiérarchie sociale dicte en partie les intérêts sociologiques (on me souffle qu’une thèse est en préparation qui s’intéresse aux carrières de Bourdieu, Derrida et Foucault…) C’est aussi que la popularité de la variété ne se prête pas facilement à l’objectivation. Il n’y a pas d’académie (ni de chanteurs de variété à l’Académie française, à part Giscard). Pas d’intellectuels organiques (sauf Drucker ?). Pas même d’association des artistes de variété (la SACEM a un autre but, je crois). Il est en fait difficile de mesurer la popularité, quoi qu’on en dise. Qui croit sérieusement que les chiffres de vente annoncés reflêtent les ventes réelles ? Et qui a la base de données exhaustive de ces ventes ?

Prenons donc un chemin de traverse.

Le concours de l’Eurovision nous donne accès — via wikipedia — à une base de données. En cherchant un peu, il serait possible de comparer le succès que remporte un “groupe” par rapport à une personne toutes choses égales par ailleurs, de repérer l’effet de la langue ou du sexe, ou encore de l’ancienneté du pays dans le concours.

L’intérêt des données de l’Eurovision, écrivait perfidement Kieran Healy il y a quelques années, c’est l’absence de qualité intrinsèque de toutes les chansons : la popularité n’est donc ici pas “polluée” par la qualité. Il n’y a que de la merde, plus ou moins populaire. [Je mets ABBA de côté, ils jouaient dans une autre ligue.]

Je vais m’intéresser ici à la composition des votes lors de la dernière épreuve, samedi dernier, parce que je ne peux pas tout faire, non plus. Que voit-on ?

Une toile d’araignée, certes, mais que l’algorithme Kamada-Kawai construit d’une certaine manière. Les votes, en fait, rapprochent certains pays et éloignent d’autres pays. La RFA (ou Allemagne, mais j’en suis resté à la Grande Epoque du Mur) est au centre : sa chanteuse a remporté le concours. Les perdants sont sur la frange extérieure : ils n’ont reçu aucun vote, ou presque.

On peut essayer de mettre un peu de sens dans ce graphique. J’ai donc simplifié le précédent, en ne représentant que les votes de “twelve points” et “ten points” (mais les autres votes sont pris en compte dans la construction du réseau). Les rapprochements semblent avoir une base géopolitique :

Les patatoïdes permettent de se rendre compte que l’Eurovision n’est que la continuation de la diplomatie par d’autres moyens [si je pouvais placer une référence aux deux corps du Roi je le ferai ici]. Le bloc russe [je suis gaulliste sur ce point là, l'URSS n'étant que le corps mortel de l'immortelle corps russe], bien que scindé, plissé et morcelé, a des pratiques de votes similaires. Le monde balkanique se recompose dans la variété. L’Europe des démocraties libérales est unitaire (ce qui montre bien, s’il le fallait encore, que ce que raconte Esping-Andersen est un peu fumeux).

Je ne fais ici que reprendre l’analyse proposée il y a déjà six ans par Kieran Healy, qui, malheureusement, avait écrasé ses données en voulant constituer une base de grande ampleur (1975-1999). En effet, des périodes plus courtes sont nécessaires pour saisir les conséquences de l’éclatement de l’URSS (en créant plein de petits pays avec droit de vote).

Précisions : Vous venez de lire un billet ironique. Mais rien n’empêche d’étudier statistiquement l’Eurovision, ses principes de votes, les conditions du succès… Il devrait être possible, à mon avis, d’élaborer ainsi une stratégie gagnante pour la France, qui, souvenez-vous n’a gagné qu’une seule fois. Non les carottes, ne sont pas cuites. Rendez-nous vite, Marie Myriam!

Vous trouverez sur le net une véritable analyse économétrique des votes à l’Eurovision plus sérieuse que la mienne !

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Ce billet a été initialement publié sur le blog de Baptiste Coulmont sous le titre Réseaux Musicaux.

Crédit Photo CC Flickr : Schmish.

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