OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 D’où vient notre fascination pour les faits divers ? http://owni.fr/2011/04/27/fascination-faits-divers/ http://owni.fr/2011/04/27/fascination-faits-divers/#comments Wed, 27 Apr 2011 15:06:34 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=59170 Les faits divers sordides semblent occuper une place croissante dans l’actualité, comme en témoignent la tuerie de Nantes, ou la disparition des jumelles suisses il y a quelques temps. Claire Sécail, chercheuse du CNRS confirme cette intuition pour ce qui concerne en tout cas le traitement de l’actualité en  télévision.

Mais il semble bien que les autres médias soient aussi de la partie. Pour Patrick Eveno, historien de la presse, interrogé par Rue89, il n ‘y a pas plus de faits divers qu’avant :

c’est la multiplication des canaux médiatiques qui explique le bruit médiatique beaucoup plus élevé autour des faits divers.

De fait, les journaux et pas seulement télévisés, n’hésitent plus à en faire la Une, reléguant les sujets internationaux ou de politique intérieure à une moindre place.

Cette hiérarchie de l’information glissante est dictée de toute évidence par des raisons économiques et de conquête d’audience. Mais le rôle des médias n’explique pas le succès des faits divers dont l’origine tient aux fonctions psychosociales majeures qu’ils remplissent.

1. Renforcer notre satisfaction existentielle

Nous éprouvons du plaisir à observer les souffrance ou le malheur des autres, car cela met en exergue notre situation privilégiée, par contraste. J’ai un boulot pénible, mais moins que cet ouvrier. Je suis peut-être fauché, mais au moins, je suis en bonne santé. J’ai des soucis professionnels, mais je ne suis la proie d’aucun drame majeur.

C’est l’un des ressorts essentiels du voyeurisme à l’œuvre dans les émissions de type “Bas les masques”, “Jour après jour” etc. De même est-ce l’un des facteurs du succès planétaire des fameux “Dallas” et autre “Dynastie”, comme le montre (entre autres choses) l’étude de Katz et Liebes dans les années 80. Les riches aussi souffrent, donc inutile d’envier ce monde d’argent finalement si malheureux, lui aussi.

Entendre les malheurs atroces qui touchent l’autre, c’est se rappeler qu’on a la chance de ne pas être soi-même une victime. Pour Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie à Bichat, c’est un mécanisme pour conjurer nos angoisses.

Une part non négligeable des informations que nous recherchons de manière générale a d’ailleurs pour but de conforter nos choix, nos valeurs, l’architecture mentale  que l’on s’est construit. D’où la difficulté à convaincre l’autre dans les discussions dont le but premier est surtout de renforcer son système primaire, comme le rappelle Aymeric. D’où la stratégie d’évitement des messages contraires à ses opinions préalables, à se convictions ou à ses choix.

De la même manière, une part du plaisir lié aux  films d’horreur consiste à se savoir précisément à l’abri. Idem pour la fascination vis à vis de ce qui est dangereux : les requins, les félins… Imaginer ou regarder ces souffrances atroces dont on ne sera jamais victime, c’est prendre conscience de la chance qu’on a, concrètement, physiquement… Il s’agit aussi un catalyseur d’angoisse – de là son succès auprès des ados -qui permet de la partager avec d’autres et de ne pas rester seul face à elle.

Fondamentalement selon Michel Lejoyeux, c’est la peur de la mort et “l’exigence sociale obsessionnelle de santé individuelle” qui explique cette fascination conjurationnelle pour la violence et les faits divers.

2. Éprouver une émotion à moindre coût

Par projection de soi, observer le malheur des autres, via la perte d’un être cher par exemple, c’est souffrir un peu soi-même, mais sans trop souffrir quand même. Nous éprouvons le sentiment potentiel de la douleur sans pâtir réellement de ses affres, ni en intensité, ni dans le temps. La tristesse est un sentiment qui n’est pas déplaisant, tant qu’il est mesuré et facilement réversible.

L’émotion, qui nous sort de nous même, nous déconnecte de la raison, par contagion affective est source de plaisir car elle nous fait lâcher prise, nous permet de nous laisser porter et de nous apitoyer sur nous-mêmes.

3. Célébrer notre égo

Oui, car à bien y réfléchir, notre propension à nous projeter en l’autre et à éprouver des sentiments de compassion n’est pas étranger à un certain égoïsme. À travers les malheurs de l’autre, c’est aussi soi-même que l’on pleure : quand je pense que cette famille nantaise pourrait être la mienne, quelle horreur…

L’empathie et la compassion ont finalement un lien assez fort avec l’égo, l’amour de soi. Ce qui n’est pas pour autant une critique dans la mesure où elles sont un premier pas vers la compréhension et l’amour d’autrui.

4. Se divertir

Les faits divers se prêtent particulièrement bien au story-telling de l’information, le feuilletonnage trépidant de l’actualité, avec ses mystères, ses rebondissements et l’épilogue espéré. Le cas de la disparition de la famille nantaise rassemble tous ces ingrédients qui nous maintiennent en haleine.

L’information devient fiction et nous divertit là encore, au sens de diversion qui nous éloigne des turpitudes et soucis de notre vie quotidienne.

5. Se socialiser

Le fait divers, en ce qu’il fait appel aux émotions et aux pulsions égotiques fondamentales (voir ci-dessus), intéresse tout le monde. C’est donc un sujet très efficace pour capter l’attention de son auditoire et susciter l’intérêt des autres.

Selon une étude britannique de 2006 [en, pdf] par ailleurs,  nous semblons être meilleurs narrateurs lorsque nous racontons des potins, des faits très socialisants. Nos informations sont alors plus précises, plus complètes et mieux décrites.

Mais quand bien ne serait-ce pas le cas,  nous avons moins besoin d’être efficaces, car l’attention de notre auditoire est déjà gagnée au départ par la simple nature du sujet. Le fait divers remplit donc une fonction sociale essentielle, de même que le potin people ou l’insolite.

Les médias, en s’appuyant sur des ressorts psychologiques puissants, accentuent sans nul doute le phénomène, davantage qu’ils ne l’expliquent. Dans leur course à l’audience, ils flattent les instincts naturels de leur audience. Il faut se demander cependant si cela n’a pas pour risque d’augmenter l’accoutumance et la désensibilisation émotionnelle. C’est à dire le besoin d’augmenter l’intensité du stimulus pour obtenir le même effet. En d’autres termes, relater des faits divers de plus en plus sordides ou spectaculaires pour maintenir l’attention du public ?


Article initialement publié sur le blog de Cyrille Franck Médiaculture

Crédit Photos Môsieur J. ; Steven Jambot

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Médias: complexité malvenue http://owni.fr/2011/03/03/medias-complexite-malvenue/ http://owni.fr/2011/03/03/medias-complexite-malvenue/#comments Thu, 03 Mar 2011 15:00:22 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=49593 Les médias, et la télévision en particulier, ont tendance à gommer la complexité du monde. Ils doivent s’adapter à un public moins disponible qui exige des explications rapides. Ils répondent aussi à un besoin croissant de sécurité qui favorise les réponses simples et peu nuancées.

La population a plus que jamais besoin de sens et accepte de moins en moins d’être dirigée sans comprendre ni être consultée. C’est d’abord le résultat d’une amélioration du niveau d’instruction moyen de la population depuis les années 50, grâce à la démocratisation de l’enseignement.

La proportion d’une classe d’âge obtenant le baccalauréat est passée de  3% en 1945, à 25 % en 1975, pour atteindre 65,6 % en 2009. Même si ce chiffre cache des disparités puisque parmi les bacheliers, seuls 53% ont un baccalauréat général  (25 % obtenant un bac technologique et 22 % un bac professionnel). Cela, en dépit d’une baisse des performances de l’éducation nationale au cours de la dernière décennie, et malgré une maîtrise des savoirs de base (orthographe, grammaire, calcul) qui semble en recul par rapport aux années 1920. Il n’en reste pas moins que la diversité des savoirs s’est accrue et que le niveau moyen d’instruction des Français s’est élevé.

Maturité croissante

À cela s’ajoute une maturité croissante du citoyen face à l’information. 50 ans de télévision sont passés par là. Gavés de journaux TV, de reportages, débats politiques, ou publicités, les téléspectateurs décodent de mieux les modes de communication et se montrent de plus en plus critiques face aux médias ou aux politiques.

Déçus par les différents fiascos médiatiques (guerre du Golfe, Timisoara, Outreau…), ils sont devenus méfiants vis à vis des journalistes. Phénomène accentué par le fait que les représentants les plus visibles de la profession — ceux qui officient en télévision — font preuve d’une révérence voyante. Une perte de crédit lente mais constante qui est à rapprocher historiquement du discrédit qui frappa les journaux “va-t-en-guerre” après la première guerre mondiale. Et entraîna une chute considérable des tirages après 1917

Mais parallèlement à cette exigence croissante de sens, le peuple ne peut y consacrer qu’un temps de plus en plus réduit. Son attention est désormais concurrencée par le divertissement, le jeu, la socialisation qui empiètent sur la recherche d’information et la construction d’un système cohérent de compréhension du monde.

Il faut donc aller à l’essentiel, divulguer rapidement des clés d’interprétation pour laisser du temps aux autres activités de plaisir ou d’ego.

D’où le succès des formats courts, tels 20 minutes ou de synthèse (“les clés de l’info”, “le dessous des cartes”). D’où le succès en librairie des ouvrages de vulgarisation permettant de rattraper rapidement son retard culturel (la culture G pour les nuls, les grandes dates de l’Histoire de France…)

D’où sur Internet la généralisation de l’écriture web pour augmenter l’efficacité journalistique afin de capter une attention de plus en plus rare et fugace. Et l’ensemble des nouveaux formats plus rapides et digestes pour s’adapter aux nouveaux modes de vie du lecteur : infographies, diaporamas…

Une tendance à rapprocher du “unique selling proposition” inventée par la publicité américaine des années 40. Cette simplification du message publicitaire réduit à un seul argument de vente devient l’angle principal d’un papier, le message essentiel.

Éblouis par l’horreur du monde

Bombardés d’informations en permanence, nous subissons une pression psychologique nouvelle : celle d’être confrontés davantage à l’horreur du monde. Ainsi découvrons-nous chaque jour ces prêtres pédophiles, ces chiens meurtriers, ces catastrophes mondiales ou ces insurrections sanglantes… Connaissance nouvelle de faits anciens qui tend à nous faire croire à une régression de nos civilisations : “mais dans quel monde vit-on ?”

Les médias produisent donc un sentiment d’insécurité en améliorant notre connaissance des problèmes ou en grossissant l’ampleur de ceux-ci, à des fins de dramatisation et d’audience. Ainsi du nombre de voitures brûlées dont l’augmentation depuis 2005 traduit surtout un meilleur recueil des données, tout comme l’augmentation du nombre des incivilités à l’école tient aussi à la mise en place de la base Signa. Une peur diffuse accrue par l’exploitation politique des faits divers de l’actualité pour discréditer le camp ennemi, ou prouver sa propre efficacité. On ne compte plus le nombre de mesures adoptées dans l’urgence pour répondre à un drame, dispositions généralement inefficaces, non appliquées, voire absurdes.

Or, face à ces informations angoissantes qui augmentent notre sentiment d’instabilité psychologique, nous nous replions vers la fiction et le divertissement. Et ce phénomène contamine aussi l’information via des JT édulcorés, pacifiés, story-tellisés. Et ce n’est pas un hasard si le Journal télévisé le plus fort dans ce registre est celui qui a le public le plus âgé et le plus inquiet : le 13h de JP Pernaut sur TF1.

Réponses simplistes à des questions compliquées

Notre besoin d’échapper à l’angoisse existentielle accrue par une meilleure connaissance du monde, nous conduit à privilégier inconsciemment les réponses simples. La simplicité est rassurante, stable et plus confortable que la multiplicité ou l’interaction des causes. D’autant que les facteurs d’explication sont généralement si nombreux et conjugués qu’ils génèrent l’angoisse de l’incertitude. Notre pouvoir d’achat stagne ou décline ? C’est la faute de l’Europe et de son euro trop fort, ou de la finance internationale qui se gave sur le dos du travailleur, ou de ces Français qui s’accrochent à leurs privilèges…

Les médias renforcent d’ailleurs cette tendance à la simplification pour gagner en impact (voir ci-dessus) et apporter ces réponses tant attendues. Difficile de dire à nos enfants-citoyens: “pas si simple, c’est plus compliqué que cela, le monde est gris (mélange peu emballant de noir et blanc).

À échelle micro ou macroscopique, la complexité est synonyme de fragilité. Une molécule complexe a plus de chance d’être dissoute au contact d’une autre qu’une molécule simple. Une structure métallique alambiquée résistera moins à la tornade qu’un modèle élémentaire offrant moins de prise au vent. Un esprit animé de concepts complexes et variés sera plus sujet au doute qu’un esprit binaire. La simplification est un mécanisme d’auto-protection pour gagner en résistance mentale et se protéger de ce fameux doute déstabilisateur. Un phénomène classique étudié en psychologie sociale : l’exposition sélective aux messages. Les consommateurs ou électeurs évitent les messages qui ne conforment pas leur opinion préalable ou leur système cohérent de pensée.

Ainsi, après avoir acheté une voiture, le consommateur évite soigneusement toute publicité d’un autre modèle susceptible de lui faire regretter son choix. Ou les électeurs d’un parti évitent les discours du clan opposé ou résistent intérieurement à l’argumentation susceptible de déstabiliser leur opinion préalable, résultat d’un système cohérent et stable.

Le doute annihile l’action

La complexité est angoissante car elle entrave l’action. La peur des conséquences en cascade d’une action impliquant de nombreux acteurs et paramètres conduit à ne rien faire, à l’image des Ents du Seigneur des Anneaux paralysés par l’analyse extrême de la moindre décision. Attention, chasser Ben Ali ou Khadafi du pouvoir c’est ouvrir la voie aux islamistes, plonger la région dans la guerre civile, risquer une nouvelle crise du pétrole…

A contrario, WikiLeaks traduit un besoin de réenchantement du monde par l’action : on ouvre les vannes de l’information et on verra bien. Au diable l’analyse des conséquences potentielles des révélations. Dieu reconnaîtra les siens. Et foin de tergiversations, l’état du monde et la corruption des États exigent des mesures rapides et fortes.

De même les discours simplificateurs sur le rôle déterminant des nouvelles technologies dans les révolutions arabes révèlent autant un besoin de “comprendre” rapidement le complexe qu’un désir d’utopie. Et si on avait trouvé le rempart ultime contre les dictatures : les nouvelles technologies de l’information ?

Un besoin d’autant plus fort qu’il se nourrit du vide politique qui semble totalement impuissant à résoudre les problèmes du monde globalisé et par la même complexifié.

Méfiance toutefois car les réponses simples sont rarement les meilleures et conduisent à de profondes déconvenues, comme en attestent l’effondrement des idéologies successives. La pédagogie de la complexité elle est plus ingrate, plus lente et difficile, mais elle a le mérite de répondre à notre besoin de sens sur la durée. Mais comment en convaincre les politiques dont l’agenda électoral se situe à court terme ?

Article initialement publié le 1er mars sur le blog de Cyrille Frank, Médiaculture, sous le titre Médias et information, sale temps pour la complexité

Crédits Photo FlickR CC : centralasian / webtreats / Alex Barth

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La pauvreté de l’information politique http://owni.fr/2011/02/07/la-pauvrete-de-linformation-politique/ http://owni.fr/2011/02/07/la-pauvrete-de-linformation-politique/#comments Mon, 07 Feb 2011 11:00:58 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=45282 Pourquoi les journalistes politiques en télévision s’attachent-ils aux tactiques politiciennes plutôt qu’au fond ? C’est l’une des questions que soulève Narvic dans son dernier billet riche et passionnant. Voici quelques hypothèses…

Il faut simplifier

Le grand public est ignare, et le format télévisuel est trop court pour s’attacher au fond. Reste donc les questions de tactique, de petite politique : les attaques, les petites phrases, les ambitions… On a droit de façon systématique à cette question cul de sac : « serez-vous candidat à la prochaine élection? » Laquelle donne lieu à la traditionnelle réponse « langue de bois » : « je ne me préoccupe pas de cela pour le moment, ce sont les Français qui m’intéressent et ma mission actuelle blabla… »

Ce parti-pris s’appuie sur un mépris plus ou moins conscient du public : « ils ne peuvent pas comprendre ». Le monde est devenu tellement complexe, comment voulez-vous faire comprendre les différentes mesures fiscales, au cœur de la politique des partis, à madame Michu qui ne maîtrise pas les bases de l’économie ? Autant demander à un aveugle analphabète de lire Proust.

Il faut donner au public ce qu’il veut

Le lecteur se fiche littéralement du fond, contrairement à ce qu’il clame. Si l’on devait croire les déclarations des enquêtes lecteurs, tous liraient Le Monde ou le Courrier international, et aucun ne s’intéressait à Voici ou Closer. Sauf que les premiers ont un tirage bien moindre (sans parler du nombre de lecteurs beaucoup plus important en presse people, en raison de la forte duplication, chez le coiffeur notamment :) Ce qui séduit le lecteur c’est le léger, le divertissant le sordide… A quoi bon tenter de forcer sa nature ?

Il faut permettre aux médias de survivre

L'Express du 6 octobre 2010

D’autant que la contrainte économique est de plus en forte sur les médias. Si la course à l’audience devient un critère permanent sur les émissions d’information, comme le JT de 20h, il devient impossible de lutter contre les infos people, insolite, faits divers proposées par le concurrent. C’est comme proposer à ses enfants des lentilles, quand la belle-famille leur offrent des fraises Tagada. Le combat est inégal à la base et perdu d’avance, du moins sur le plan quantitatif.

D’où les contorsions où sont conduits les éditeurs de presse pour vendre leurs canards avec des couvertures accrocheuses, voire racoleuses. D’où leur propension à orienter les débats vers des questions polémiques qui plaisent, suscitent l’attention et font parler de soi (publicité gratuite).

C’est la prime aux polémiqueurs

Toute controverse susceptible de « buzzer » vaut à son auteur récompense et estime de sa direction ou des concurrents. C’est la capacité de Fogiel à rentrer dans le lard de ses invités, notamment politiques, qui l’a propulsé en télévision. Comme ce sont les prises de bec entêtées de Nicolas Demorand qui ont assurément fait monter sa cote au mercato médiatique et sans doute en partie valu sa nomination à Libération. La mesure, la discrétion, le travail patient de fourmi ne sont décidément pas des valeurs à la mode dans cette course à l’attention. Compétition dans laquelle les médias, comme les individus, doivent agiter bien fort les bras pour se faire remarquer.

C’est le prix de la polyvalence

Pour poser les bonnes questions, il faut avoir une idée des réponses possibles et donc une excellente culture spécialisée en politique. Or en télévision comme en presse, ceux qui tendent à prendre la parole sont de plus en plus des généralistes avec une bonne plume. Ce que Versac appelle le syndrôme Raphaëlle Bacqué. Quand ce ne sont pas purement des amuseurs, comme Michel Denisot choisi par le Président de la République pour l’interviewer (pratique en soi d’un autre âge) et dont les questions ont exclusivement porté sur des questions de tactique et jamais sur le fond. Le côté inoffensif de l’interviewer, n’est sans doute pas étranger à ce choix, comme l’incroyable longévité d’un Alain Duhamel, désespérément insipide, en dépit de ses grands airs inspirés.

En contrepoint, quelques préconisations

Pour améliorer la qualité des débats et des questions politiques en télévision, la première chose est de sortir cette thématique du champ concurrentiel. Plutôt que mettre fin à la publicité après 20h sur le service public, le Président eut été mieux inspiré de donner au service public la garantie de perdurer. Et ce, indépendamment de l’audimat, en particulier s’agissant des JT, lieu crucial de l’information politique pour la majorité des Français. Le JT de TF1 devant celui de France 2 ? Chouette, ma redevance sert à quelque chose.

Au risque de me répéter, s’il faut donner au public ce qu’il veut, il faut aussi lui proposer ce qu’il ne sait pas encore qu’il veut. C’est le fameux paradoxe de l’oeuf et la poule. Pourquoi voulez-vous que le public demande autre chose, si on ne lui propose jamais rien d’autre que ce qu’il aime et apprécie déjà ? C’est la frilosité des médias qui est en cause ici, qui préfèrent jouer les valeurs sûres de la petite politique ou du débat controversé, plutôt que le risque de la profondeur. C’est aussi le manque de créativité dans l’absence de formats qui pourraient concilier les deux. Il nous faudrait des vulgarisateurs politiques comme Michel Chevalet dans le domaine scientique, ou qui viennent nous expliquer, schémas, cartes ou modélisations à l’appui les enjeux du débat.

Il faut des dispositifs de traitement de l’information en temps réel qui permettent aux journalistes de corriger une mauvaise information ou un mensonge des politiques au moment où ce il est proféré. Et s’inspirer de sites comme Politifacts et son Truth-o-meter qui apporte un emballage attrayant aux questions de fond : quel est le degré de vérité de telle ou telle assertion ?

Le Truth-o-meter de Politifacts.com

Il faut croire en l’intelligence des gens et se remettre en question plutôt que d’accuser la bêtise des autres. Le sujet est bien souvent moins en cause que le format proposé. Ne rejetons pas systématiquement les sujets difficiles au motif qu’ils feront peu d’audience. Sur le long terme, les médias qui survivront seront ceux qui auront réussi à préserver le fond et la forme et satisfaire des besoins différents : de divertissement, de socialisation, mais aussi de sens.

Il faut un minimum de spécialisation des journalistes, les fameux « rubriquards » autrefois incollables dans leur domaine, aujourd’hui bien souvent retraités. Comme disait Henri Béraud,

Le journalisme est un métier où l’on passe une moitié de sa vie à parler de ce que l’on ne connaît pas et l’autre moitié à taire ce que l’on sait.

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Publié initialement sur le blog Mediaculture de Cyrille Frank aka Cyceron sous le titre : Pourquoi l’information politique est-elle si pauvre ?
Crédits photos : Nationaal Archief, [Domaine Public] via Flickr ; capture d’écran de la couverture de l’Express [06102010] ; Stuck in Customs CC-by-nc-sa via Flickr ; Capture d’écran du site Politifacts.com

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Le « story-telling » contre l’information http://owni.fr/2010/12/21/le-story-telling-contre-l%e2%80%99information/ http://owni.fr/2010/12/21/le-story-telling-contre-l%e2%80%99information/#comments Tue, 21 Dec 2010 17:52:57 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=39814 Les faits sont mornes, banals, inintéressants ? Et bien, habillons-les d’un vernis narratif agréable, “vendeur” qui fera appel aux émotions : compassion, révolte, admiration. Tout plutôt que l’apathie et l’indifférence des évènements bruts.

L’enquête universitaire valide ou invalide un postulat en fonction des éléments trouvés. Les reportages d’information en particulier télévisuels, eux, sont construits en amont des preuves rassemblées. Le canevas du reportage est décidé en salle de rédaction et seuls sont collectés les images et témoignages confortant ce parti-pris, ce choix éditorial préalable.

Patrick Champagne dans “la vision médiatique” a montré comment les journalistes construisent parfois la réalité qu’ils prétendent décrire. Qu’il s’agisse du problème des banlieues ou des manifestations d’étudiants, ils vont chercher sur le terrain les éléments de réponse qu’ils ont élaboré dans leur bureau.

Story-telling, par souci de vitesse et de rentabilité

Primo, les journalistes télé n’ont guère le temps de procéder à une vraie enquête. L’actualité commande d’aller vite, “t’as une journée pour récupérer de l’image coco”. La contrainte d’organisation et derrière celle-ci la pression économique est forte.

Secondo, la course à l’audience, la concurrence pousse au spectaculaire et à la simplification.

Des émeutes à Vaux-en-Velin ? Pour en comprendre les raisons, il suffit de voir les immeubles délabrés, la tristesse des tours, l’insalubrité des lieux que l’on va filmer sous leur pire angle. Le chômage d’une poignée de jeunes qui zonent, la violence verbale des petits caïds désireux de gagner quelques galons de respectabilité en passant à la télé, suffiront à expliquer les motifs du “malaise”. Le message est simple : c’est le lieu de vie déprimant, ces “horizons bouchés” et l’oisiveté qui conduisent à la révolte, au délit.

Tant pis si les choses sont plus complexes, tant pis si la majorité des habitants de la cité est composée de travailleurs silencieux et dociles. Qu’importe si le tissu associatif est foisonnant et créatif, si tous les équipements sportifs et culturels fraîchement achetés disent le contraire du discours misérabiliste. Le journaliste ne sélectionnera que les éléments conformes à son schéma originel.

Il faut raconter cette histoire qui apportera du “sens” au téléspectateur. Mais s’il vous plaît une explication rapide, le sujet ne dure que 5 mn. Difficile d’aborder la complexité dans des formats si étroits, et pas de chance : notre monde se complexifie

Et puis l’intelligence n’est tout simplement pas rentable. Il est tellement plus vendeur d’angler un reportage de 20 mn sur la violence machiste des jeunes de banlieue. Du spectaculaire, du révoltant, de l’anxiogène coco…

L'émotion contre l'information

L’édulcoration du réel

Certains autres reportages vont procéder à l’inverse en valorisant les émotions et sentiments positifs. Le JT de 13h de Jean-Pierre Pernaud nous modèle une France idéale et irréelle de carte postale, celle de nos régions tellement riches, jolies et harmonieuses. Cette France de la tradition emplie de bon sens, de beauté, d’intelligence. Une vision conçue sur mesure pour sa cible : les retraités et femmes au foyer, majoritaires devant leur poste à cette heure de la journée.

Mais les champions toutes catégories du story-telling sont indéniablement les journalistes sportifs, en particulier en télévision. Stade2 version Chamoulaud/Holz ont poussé à son comble cette façon de faire du journalisme, par scénarisation de l’information.

Le domaine roi où s’exerce cette technique : les portraits qui sont construits à l’hollywoodienne, sur des canevas standardisés :

1- Un défi difficile, un but lointain et inaccessible (championnat, prix…)
2- Des difficultés, des épreuves, la souffrance, les injustices qui s’accumulent
3- Description des vertus du héros : gentil, persévérant, fidèle, aimant sa famille…
4- La victoire, enfin, l’apothéose, la récompense.
5- Epilogue : tout est bien qui finit bien, la morale est sauve, il n’y a pas de hasard, les justes sont récompensés. Vous pouvez dormir tranquilles, tout est bien dans le meilleur des mondes.

Dans ce vieux reportage de Stade2, le petit jeune dont on dresse le portrait, Zinedine Zidane est un gentil garçon. Et comme les mots pour le décrire ne viennent pas tout seuls à sa compagne, le journaliste n’hésite pas à les lui souffler : « il est gentil hein ? »… Construction préalable.

La vie est déjà assez dure, le sport conçu comme divertissement se rapproche de la fiction, pour servir l’émotion, y compris contre l’information.

D’où la mièvrerie de Gérard Holz qui dissimule gentiment les histoires de gros sous, la tricherie institutionnalisée du vélo ou de l’athlétisme, les vilaines batailles en coulisses. Qui idéalise les portraits des sportifs qui sont tous “sympas”, même quand tout le monde sait en coulisse qu’ils sont parfaitement antipathiques.

Dans ce monde de carton-pâte, kawaï et kitch, la télévision devient évasion, rêve, fiction sous les apparences d’une réalité objective. L’alibi derrière la guerre économique que se livrent chaînes de tv ou titres de presse est vite trouvé : donner du bonheur aux gens.

La télé réalité n’a pas été inventée par Endemol

Ce mélange de fiction et de réalité tellement dénoncé quant il s’agit du « Loft » ou de « Secret Story » ne date donc pas de ces émissions. Ce mélange emplit nos journaux télé, nos reportages, nos magazines depuis bien plus longtemps…

L’objectivité journalistique n’existe pas bien naturellement. On n’échappe pas à sa culture, son éducation, son environnement qui forgent des constructions mentales, des a-priori inconscients.

Mais s’il n’y a pas obligation de résultat en termes d’objectivité, il y a une obligation de moyens : l’honnêteté intellectuelle, la rigueur dans le recueil des données, la confrontation des points de vue, la prudence dans la présentation des informations… Autant de qualités qui font un bon journaliste (entre autres).

Aujourd’hui, la culture de l’émotion à tout prix déforme l’information. Et la compétition autour de l’attention par ultra-concurrence des messages et des émetteurs accentue le mouvement.

Sous prétexte d’apporter du sens au lecteur-téléspectateur, même si l’explication est fausse ou incomplète, sous prétexte de lui procurer du “bonheur”, on déforme la réalité. Ce qui n’est pas si grave quand on annonce clairement la couleur. Ce qui l’est davantage quand le mélange est effectué insidieusement, par la bande, sous un vernis de respectabilité.

Finalement, je préfère presque le “Loft” à “Envoyé Spécial”.
Presque.

>> Article initialement publié sur Médiaculture

>> Illustrations FlickR CC : Tayrawr Fortune, pshmell

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Information internationale en recul, repli identitaire? http://owni.fr/2010/11/08/information-internationale-en-recul-repli-identitaire/ http://owni.fr/2010/11/08/information-internationale-en-recul-repli-identitaire/#comments Mon, 08 Nov 2010 13:32:03 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=34883 Une étude d’une association britannique, The Media Standards Trust, révèle le déclin du traitement de l’information internationale dans la presse britannique. Un phénomène relevé par Rue89 qui estime qu’en France, il en serait de même.

De quoi parle-t-on exactement?

L’information internationale, est-ce seulement le traitement d’un événement provenant de l’étranger quel qu’il soit ? Ou parle-t-on des domaines “nobles” du journalisme : la politique, économie, société au plan international ?

Le distingo est important car j’ai constaté de manière empirique une augmentation du traitement des faits étrangers d’ordre insolite, people, spectaculaire. Ainsi pour ne citer qu’un exemple, les frasques de Berlusconi bénéficient en France d’une assez belle couverture, de même que les bourdes de notre président sont elles-mêmes assez bien relayées à l’étranger.

On peut faire cette même remarque s’agissant d’ailleurs de la couverture politique. Comme le constate fort justement Nicolas Vanbremeersch (Versac), le “syndrôme Raphaelle Bacqué” se développe en matière politique. Les coulisses, les relations intimes entre personnalités (à l’image du best seller “Sexus Politicus”), les petites phrases, les intrigues et coups bas… ce genre de traitement tend lui, à se développer dans l’information.

Un recul de l’information sérieuse

Mon intuition de lecteur régulier de la presse et d’ancien rédacteur en chef de l’actualité d’un grand portail (AOL) me permet de donner raison à Pierre Haski de Rue89, sans trop de risque.

Oui le traitement de l’information internationale se réduit, tout comme tous les sujets “eyebrow”, comme disent les anglais, les sujets sérieux qui font lever le sourcil.  J’en ai été moi-même l’instigateur autant que la victime. Comment expliquer ce phénomène ?

La course à l’audience naturellement dans un univers hyper-concurrentiel où les cinq premiers du classement Nielsen récupèrent 70 à 80% des budgets publicitaires des grandes marques. Ceci dans un contexte où le CPM (coût par mille) est au minimum dix fois plus faible qu’en presse papier, à la fois pour des raisons historiques (les éditeurs ont bradé leur inventaire Internet, car c’était le cerise sur le gâteau) et structurelles (explosion de l’offre qui a tiré les tarifs publicitaires à la baisse).

La frilosité des dirigeants Internet. Pas de risque, pas d’innovation. On se concentre sur les valeurs sûres d’audience : faits divers, people, insolites, spectaculaire. D’où ce phénomène de mimétisme des lignes édito qui finissent par se ressembler toutes plus ou moins. On retrouve ce manque de prise de risque en télévision où TF1 préfère acheter des séries américaines qui ont fait leurs preuves ailleurs que d’investir dans des productions françaises, à la différence de Canal+ , qui a retourné cette contrainte légale en force de différenciation et de recrutement d’abonnés.

Une tendance sociologique de fond. Le divertissement, le plaisir prennent de plus en plus d’importance (voir ou revoir l’excellent et prémonitoire Wall-E) dans notre société. avec en contrepoint l’évitement de l’effort, de la contrainte et de l’anxiogène. Même le fait divers cède un peu du terrain face au LOL, au rire d’évitement, d’oubli.

Une adaptation conjoncturelle. La crise est passée par là. La majeure partie des gens voient leurs revenus stagner ou régresser. Et surtout leurs conditions de vie se dégradent. Augmentation de la précarité du travail (CDD, interim, freelance…), augmentation des temps de transport (dans des conditions de plus en plus mauvaises, par manque de renouvellement des équipements collectifs liés à un désinvestissement public progressif), baisse de la qualité des services publics ( plus les moyens budgétaires)…

Un repli réflexe

Face à ces difficultés réelles, les individus se recentrent sur eux-mêmes, leurs famille proche, leurs amis. Bien sûr, avec Facebook, ils s’amusent à avoir 130 amis ou plus. Mais en réalité, ils ne discutent toujours qu’avec les 10 ou 15 mêmes, comme le rappelle Cameron Marlow,  le sociologue maison de Facebook dans une étude relayée par Readwriteweb

Pour pouvoir s’intéresser à des choses supérieures, il faut être déjà dégagé de ses contraintes primaires (manger, se vêtir, se loger : se rappeler la toujours probante pyramide de Maslow)

C’est bien la raison pour laquelle, ce sont les classes supérieures, bourgeois, aristocrates, clercs qui ont fomenté la révolution française. Ils étaient bien les seuls qui pouvaient se permettre d’y penser, et pouvaient prendre le risque (indépendamment du capital culturel qu’ils avaient accumulé grâce à la lecture des Lumières sous Louis XV). Le peuple lui, n’en a été que le bras armé et finalement aussi long à se révolter que dur à calmer par la suite.

Il faut ajouter aux problèmes matériels, une inquiétude protéiforme et diffuse vis à vis de la mondialisation, l’avenir, les technologies qui nous échappent. Un désaveu du politique corrompu et impuissant face aux organismes internationaux qui les détrônent (ONU, OMC, Bruxelles…). Sans oublier les technologies qui s’emballent, si difficiles à suivre et finalement anxiogènes pour beaucoup. En témoignent les réactions de rejet y compris parmi les élites traditionnelles (Séguéla, Minc, Finkielkraut…)

Autant de facteurs d’instabilité psychologique qui expliquent les mécanismes de repli, dont la xénophobie est d’ailleurs l’une de ses manifestations les plus détestables.

L’évasion hédoniste et le repli identitaire, communautaire ou xénophobe, ont des fondements à la fois conjoncturels et structurels qu’encouragent parfois avec une certaine irresponsabilités des médias aux abois. Il est temps de rééquilibrer les choses et de ne pas céder à la facilité. Les internautes, tels des enfants gavés d’infos acidulées pourraient nous reprocher plus tard notre démagogie intéressée…

Ce billet a initialement été publié sur Médiaculture, le blog de Cyrille Frank

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Crédits photo: Flickr CC pedrosimoes7, micora

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Comment la course à l’attention renforce la société de l’ego http://owni.fr/2010/10/30/comment-la-course-a-l%e2%80%99attention-renforce-la-societe-de-l%e2%80%99ego/ http://owni.fr/2010/10/30/comment-la-course-a-l%e2%80%99attention-renforce-la-societe-de-l%e2%80%99ego/#comments Sat, 30 Oct 2010 08:00:48 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=33904 Sans tomber dans les théories sociobiologistes radicales, on peut raisonnablement postuler que l’égo, la vanité, l’exaltation de soi sont en partie au moins le résultat d’une stratégie adaptative de l’espèce humaine.

ÉMERGER DE LA MULTITUDE UN BESOIN NATUREL

A l’époque préhistorique, la survie du groupe se joue sur des critères de force et de résistance physique individuelle en des temps d’insécurité où l’Homme est démuni face à la nature. Il faut être fort pour résister aux intempéries, aux longues transhumances, aux dangers d’un environnement sauvage… Il faut être fort aussi pour s’imposer auprès des autres mâles dans la compétition sexuelle et l’accès aux femmes, pour la perpétuation de son capital génétique.

Autre critère déterminant en termes de survie : la cohésion, la solidarité du groupe qui permet de lutter contre les animaux sauvages ou encore d’organiser des chasses collectives permettant d’abattre de plus gros animaux. Laquelle procure en retour une meilleure sécurité alimentaire, efficacité qui justifie la perpétuation de ce mode d’action commune.

Dernier facteur sélectif primordial pour la survie du groupe et qui, selon la théorie darwinienne, entraîne l’évolution de l’espèce humaine : l’intelligence. Celle-ci permettant l’élaboration d’armes pour se protéger, d’outils pour fabriquer des vêtements (qu’on pense à la géniale invention de l’aiguille !), du feu qui révolutionne l’alimentation et inverse le rapport de force de l’Homme face à la nature.

De nos jours les risques liés à la survie immédiate ont disparu mais d’autres enjeux sont apparus, notamment la nécessité d’émerger au sein de la multitude. D’où ce besoin de différenciation plus fort qui passe par la maîtrise de l’intelligence communicationnelle.

LA COMMUNICATION NOUVEAU FACTEUR DIFFÉRENCIANT

Nos modes de vie de plus en plus urbanisés, la centralisation des activités humaines liée à l’industrialisation a rapproché géographiquement les individus. Nous sommes en permanence entourés d’une multitude d’autres êtres humains.

Par ailleurs la société moderne accentue la standardisation des modes de vie qui se calque d’une part sur l’homogénéité des activités professionnelles : les clones d’employés ont remplacé la foultitude des petits métiers d’autrefois (d’ailleurs il suffit d’aller faire un petit tour en Inde pour se rappeler cette incroyable diversité originelle).  Standardisation alimentée d’autre part par le modèle économique industriel à l’origine de cette fameuse “société de consommation” qui a besoin de produire massivement pour fonctionner. Qui n’a pas eu chez lui une étagère Ikea “Billy” ?

Société de consommation standardisée qui s’auto-alimente par les mécanismes de différenciation sociale comme l’ont bien montré Jean Baudrillard (“La société de consommation”) ou Pierre Bourdieu (“La distinction”).

Mais avec les nouvelles technologies de l’information et l’irruption de la conversation mondiale via le web 2.0 et les réseaux sociaux, la communication est devenue un outil majeur de cette fameuse différenciation nécessaire dans la compétition économique, politique et sexuelle.

Les bons mots échangés sur Facebook, les articles de blog comme celui-ci sont autant de moyens de faire connaître sa différence, sa singularité, sa valeur en tant qu’objet de consommation social et culturel.

Avoir une conversation en société, être “intéressant”, drôle, original est devenu un impératif social pour exister. Alors pour ce faire, il faut alimenter la machine : on se tient de plus en plus au courant pour avoir des choses à raconter, on visite des expos, on va au ciné, on fait du bricolage, de la déco pour témoigner de sa créativité. En réalité la  motivation et la finalité sont très souvent sociales : il faut capter l’attention des autres, denrée de plus en plus rare.

LA COMPÉTITION AUTOUR DE L’ATTENTION

Mus par ce besoin constant de valorisation sociale, nous sommes dans “l’agir” permanent, pris d’un activisme forcené. Il faut toujours faire quelque chose : travailler, lire, regarder la TV, manger, dormir. La non-action, la contemplation est disqualifiée (contrairement à d’autres cultures, notamment bouddhistes). Je vous invite à voir ou revoir “Kennedy et moi” avec l’excellent Jean-Pierre Bacri.

Cet affairement constant a pour corollaire un déficit d’attention porté à autrui. Il faut rationaliser ses investissements affectifs, son temps de socialisation, ses marques d’attention à nos proches, nos amis, nos collègues. On entre ainsi dans un cercle vicieux : plus l’on s’active en vue d’une socialisation ultérieure, plus on raréfie l’attention globale disponible et donc moins l’on a de chance de se socialiser réellement.

Finalement les collègues sont les mieux lotis car ils bénéficient d’une attention “forcée”. Ce qui explique sans doute en partie ce lien très fort qui se tisse de nos jours entre collaborateurs d’entreprise, en positif ou négatif. D’où également cette confusion affective entre privé et professionnel, créateur de convivialité et de drames quand des dissensions et déceptions se font jour, immanquablement.

À cela s’ajoutent les nouveaux médias, les nouvelles pratiques culturelles : jeux vidéo, informatique, réseaux sociaux qui s’ajoutent aux anciennes : télévision, radio, journaux. Sans parler de l’explosion de l’offre s’agissant de ces derniers.

Autant de nouvelles activités consommatrices de temps qui réduisent l’attention disponible aux autres. “Tu vas pas lâcher un peu ta console ?”, “Oh non ne m’appelle pas jeudi, c’est le jour de mon émission préférée”.

On se souvient du mot de Patrice Le Lay de TF1 sur le “temps de cerveau disponible” qu’il vendait aux annonceurs. Phrase juste et finalement assez honnête qui a fait grand bruit. Il ne disait pourtant tout haut que ce que l’ensemble des médias font, tout bas.

LA MISE EN SCÈNE DE L’EGO, UNE STRATÉGIE DE DIFFÉRENCIATION

Le mécanisme n’est pas nouveau mais nos modes de vie et l’irruption de nouveaux outils accentuent ce phénomène. Il faut se mettre en avant pour émerger et comme les instruments à disposition nous y encouragent…

Les blogs, les réseaux sociaux, les plate-formes communautaires diverses (Flick’r, Youtube, WAT), les sites participatifs (Rue89, 20 minutes, Le Post). Sans parler de l’ouverture des commentaires sur la plupart des sites d’information. Le robinet d’expression et d’égo est désormais ouvert.

En entreprise le nouveau credo n’est plus tant le “savoir faire” que le “faire savoir”. Les valeurs chrétiennes d’humilité ne sont plus opérantes de notre société en termes d’efficacité sociale. Il faut au contraire “emboucher les trompettes de sa renommée”, se mettre en avant le plus possible pour avoir une chance de retenir cette fameuse attention.

C’est bien d’ailleurs ce reproche que l’on fait aux jeunes journalistes galériens qui à travers le “personal brandingcherchent juste à s’en sortir, comme je l’ai écrit dans un billet précédent.

D’ailleurs Internet s’il a échoué comme les autres technologies de l’information à démocratiser véritablement la culture et le savoir, est néanmoins un formidable propulseur de talents. C’est un système beaucoup plus ouvert qui permet l’émergence des individualités, blogueurs de qualité (Maitre Eolas, Hugues Serraf, Versac), amuseurs (Vinvin, Mathieu Sicard). La parole publique confisquée autrefois par les élites de la presse et des médias peut désormais s’exprimer et permettre à certains de sortir du lot en montrant leur valeur.

LA COURSE A L’ATTENTION CRÉATRICE D’UNE ÉMOTION FACTICE

Enfin, cette course à la sociabilité, à l’attention génère une façade de sentiments et d’émotions fausses destinées à répondre à la demande supposée de la communauté. C’est l’obligation de bonheur, la course à l’épanouissement qui valorise l’individu et efface le moindre problème, édulcore le monde dans un mécanisme identique au Kawaii japonais (lire à ce sujet “l’euphorie perpétuelle” de Pascal Bruckner)

- C’est la bonne humeur permanente, “la pêche”
- C’est l’exagération des sentiments positifs “j’ai passé un suuuperrr week-end”
- C’est la gentillesse mielleuse “vous êtes des amours, vous êtes vraiment formidables”
- C’est l’humour, la dérision systématique, le LOL tellement plus tendance et jeune que le propos sérieux et rébarbatif.

Ou bien au contraire, l’usage du cynisme sert d’instrument de domination symbolique sur les individus, sur les évènements. Se moquer, c’est afficher une certaine transcendance : extérieure et supérieure à la chose raillée.

UNE NOUVELLE SOURCE D’INÉGALITÉ

Dans cette mise en concurrence des individus sur le temps d’attention disponible, tout le monde ne part pas avec les mêmes chances. Seuls les plus intéressants, les plus drôles, les plus gentils tirent leur épingle du jeu.

Les médiocres, les sans-culture, sans-avis, sans-humour sont les 1ers victimes de cette discrimination sociale. Et comme d’habitude, ce sont les moins favorisés socialement, ceux n’ayant pas un degré d’instruction et de culture très élevé, ceux n’ayant pas été initiés au second degré depuis l’enfance. Ceux qui n’ont pas été voir des films intelligents, des musées d’art modernes… qui héritent d’une conversation pauvre, sans valeur aux yeux de la classe moyenne/supérieure.

Alors les “sans-conversation” se regroupent et se consolent entre eux. C’est le pilier de bistrot qui refait le monde avec des bribes mal digérées d’information et de rumeurs glanées ici et là. Ce sont les jeunes de banlieue qui se rassemblent au pied des immeubles, parlent leur langage, suivent un rituel d’appartenance bien précis. Qui les rassure et les enferme aussi. Lire Hegel et sa “phénoménologie de l’esprit”.

Les nouveaux médias ne sont pas responsables de cette course à l’égo qui est concomitante à la société de consommation. Mais l’homogénéisation des modes de vie, la concentration humaine et les nouveaux outils accentuent ce phénomène. J’émerge donc je suis…

Ce billet a initialement été publié sur Mediaculture, le blog de Cyrille Frank

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Crédits photos cc FlickR : Mr Bultitude, Kaptain Kobold, looking4poetry, familymwr, the|G|™.

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Information: non aux ghettos culturels de riches ! http://owni.fr/2010/09/27/information-non-aux-ghettos-culturels-de-riches/ http://owni.fr/2010/09/27/information-non-aux-ghettos-culturels-de-riches/#comments Mon, 27 Sep 2010 06:30:20 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=29600

Edwy Plenel se félicite du succès récent de Médiapart, consécutif aux révélations de l’affaire Woerth. Le site payant d’information a recruté plus de 5.000 nouveaux abonnés en quelques semaines, se rapprochant très vite du seuil de rentabilité. Belle victoire de la démocratie ? Oui et non…

Dans une interview donnée à FrenchWeb, Edwy Plenel revient sur l’origine de son choix de business fondé entièrement sur l’abonnement. Il arbore le sourire et la bonne humeur de celui qui a eu raison contre tous (“nous étions les seuls au monde”) en défendant un modèle de presse en ligne payant.

Au cours de l’interview, il s’exprime longuement sur ses “amis de Rue89” (à 9:18 mn dans la vidéo), qu’il amoche pourtant assez sérieusement sur le fond.

“Qu’est-ce qui fait la rentabilité de TF1, de RTL et Europe 1, c’est pas l’information, c’est le divertissement. Il peut y avoir de très bonnes rédactions, mais la rentabilité elle est venue de quoi ? La pub, c’est les Grosses Têtes, la pub, c’est la télé-réalité, la pub c’est la Star Academy, c’est pas l’info qui amène la pub.

Donc mon doute sur le pari de mes amis de Rue89, c’est que si ils veulent gagner leur pari qui est une logique d’audience, avec des recettes publicitaires fortes, cela aura une incidence sur leurs pratiques journalistiques. Il faudra qu’ils fassent des papiers plus people, plus superficiels, plus accrocheurs, plus de buzz. Nous on fait des papiers raides, longs, durables, forts, lourds. On ne fait pas que Karachi ou Béttencourt.”

Ce passage est tout à fait éclairant de la philosophie profonde d’Edwy Plenel sur l’information, mais sur la culture et l’éducation en général. Il se situe assez loin de ma manière de concevoir non seulement mon métier de journaliste, mais aussi mon devoir de citoyen.

Plenel a les mains propres mais il n’a pas de mains

J’ai envie de paraphraser Charles Péguy critiquant le rigorisme de l’impératif kantien pour émettre quelques objections au propos du grand Edwy Plenel. Je dis cela sans ironie, j’ai beaucoup d’admiration personnelle pour le journaliste, pour sa rigueur intellectuelle, ses qualités professionnelles, son engagement et son courage.

Péguy critiquait la raideur de Kant qui prétendait qu’un bon citoyen devait obéir coûte que coûte à la loi morale et notamment au principe supérieur de vérité. Ainsi, quand bien même un mensonge pourrait sauver un innocent, il faudrait s’en abstenir pour rester conforme à ce principe supérieur de vérité. D’où l’absence de mains de celui qui abandonne le malheureux à son sort. Discussion philosophique abstraite qui prendra une autre résonance avec la Seconde Guerre mondiale…

Quel rapport avec Plenel ? Ce même rigorisme par rapport au principe de vérité, dans le devoir d’information. Ce respect sacré des faits, du vrai au détriment du reste. Il y a du Kant chez Plenel : une construction mentale impeccable, un véritable système de pensée cohérent et implacable. Et en même temps un certain manque d’humanité, ou en tout cas de psychologie.

Les hommes sont pluriels, la presse aussi

Pour Edwy Plenel, qui est représentatif d’une certaine vision de l’information, le seul rôle de la presse semble être celui d’informer. Je conteste ce point de vue non seulement aujourd’hui mais aussi dans son rapport à l’Histoire que je n’ai pas enseignée mais étudiée avec un grand spécialiste.

Informer, divertir, servir, relier… voilà les quatre principaux besoins auxquels répond la presse depuis l’origine.

Informer avant tout bien sûr, former les opinions éclairées du citoyen votant, cœur de la légitimité démocratique de la presse. Mais s’arrêter à cela, c’est passer à côté de la psychologie humaine.

Le divertissement a toujours été un des motifs forts de lecture et d’achat de la presse. Depuis la relation des événements de la Cour au peuple via la Gazette de Théophraste Renaudot au 17e siècle qui l’amusait beaucoup, jusqu’aux faits divers sanglants qui ont fait le succès de La Presse d’Emile Girardin au 19es. En passant par les mots croisés, rébus, cartoons et autre friandises divertissantes du Monde.

D’ailleurs ce distinguo entre information et divertissement est très délicat. Quand finit l’information et quand commence le divertissement ? On le voit bien aujourd’hui avec une scénarisation de plus en plus forte de l’information politique qui tend à rapprocher la première du second, alors même que la thématique reste “noble”. Raphaëlle Bacqué, avec tout le talent d’écriture qui est le sien en est l’une des plus éminentes représentantes. Qui décide de l’information noble et sur quels critères ? On le sent en filigrane chez Edwy, le seul critère qui vaille est cette capacité à éclairer le choix politique, j’y reviendrai plus loin.

Rendre service : ce sont les informations pratiques, les heures d’ouverture de la crèche, les adresses des services publics, les informations concernant les travaux sur la rocade… Bref, ce qui constitue l’un des plus forts ciment de la presse régionale vis-à-vis de ses lecteurs.

Le lien social, c’est ce prétexte à discussion, cette occasion de débattre, échanger des idées, rencontrer l’altérité dans l’échange et la confrontation d’informations lues dans le canard. Les infos sont en ce sens une sorte de carburant social de premier ordre, remplacé depuis longtemps par la télévision, elle-même concurrencée aujourd’hui par Internet. D’ailleurs Edwy a pour le coup bien intégré cette dimension via sa plateforme communautaire de blogs de Mediapart.

La rentabilité des journaux n’est jamais venue de l’info

Ma conviction est que l’information citoyenne n’ a jamais justifié à elle seule ni la lecture, ni a fortiori l’achat d’un journal. C’est ce “mix produit” des quatre critères évoqués ci-dessus, comme on dit chez les marketeux, qui l’expliquait et l’explique toujours.

Il y a chez Edwy Plenel un biais égocentré dans sa conception de l’information et la culture. Il projette sur la majorité ses propres goûts, alors qu’elle ne représente qu’une conception élitiste. En réussissant à atteindre ses 60.000 abonnés, ce que je lui souhaite, Edwy aura réussi l’incroyable pari, encore plus impressionnant sous cet angle, d’attirer à lui lune bonne partie des élites intellectuelles de France. Je ne parle pas des cadres supérieurs ou chefs d’entreprise, mais plutôt des clercs : professeurs, universitaires, chercheurs, artistes, écrivains… la société de l’intelligence qui représente finalement pas mal de monde dans la mesure où elle englobe l’Éducation nationale, mais n’est qu’une portion minoritaire des Français.

La téléréalité pour la « masse bêlante »

Voilà la grande peur que j’ai avec Mediapart et autre Arrêt sur images : la constitution d’enclaves culturelles privées réservées à une élite sociale, celle ayant un certain niveau socio-culturel initial. À la « masse bêlante », les programmes plus ou moins abêtissants de la Star Ac ou de la télé-réalité décriés ci-dessus.

Non pas que j’en rende Edwy Plenel ou Daniel Schneidermann responsables, naturellement. Les deux défendent un projet de qualité avec passion et j’admire leur ténacité, leur abnégation, leur courage. Mais je m’interroge sur le résultat de pareilles fuites des cerveaux à échelle globale.  Non, le problème est d’ordre politique et économique. Avec un abandon progressif des missions de service publique en particulier l’école, sous l’effet conjugué d’une crise économique, d’une mondialisation dé-régulée et d’une politique nationale clientéliste et injuste.

Mais en se retirant des organes subventionnés par nous autres citoyens, Edwy et Daniel ne nous rendent pas un grand service. Ils augmentent en effet indirectement le prix de l’abonnement en l’absence des aides directes et indirectes (TVA réduite à 2.1%). Et ce n’est pas prêt de changer si j’en crois mon compagnon de tweets et ancien professeur d’économie et sociologie à l’Institut Français de Presse Jean-Marie Charron, compte tenu de la réglementation européenne.

Donc, en quittant le navire pour aller fonder leurs enclaves payantes privées, ils empêchent les petits, les moyennement lettrés ou éduqués de jamais s’y intéresser.

Du rôle pédagogique de la presse

Notre société se tourne de plus en plus vers le divertissement, vers le léger (dont le LOL est une incarnation), vers le plaisir. Pour plein de raisons éducatives, économiques, psychologiques que je détaillerai un autre jour. Mais de fait la société des jeunes lecteurs a changé et modifie de façon très forte le fameux “mix produit” nécessaire pour vendre.

Un peu plus de divertissement et de superficiel que de sens, par rapport à nos aînés, la génération d’Edwy. On peut le déplorer c’est vrai, je ne me réjouis pas de voir des émissions débilitantes envahir complètement nos vies, à commencer par les séries américaines au scénario industriel, programmes d’une pauvreté affligeante qui colonisent tout l’espace culturel de nos médias audiovisuels.

Mais si je suis sûr d’une chose, c’est que la création et le succès économique de Mediapart et Arrêt sur images n’y changera rien. Edwy Plenel semble vraiment croire à la contagion positive de son modèle : « en pariant sur une réussite qui serait chimiquement pure qui aiderait toute la profession, tous les producteurs d’information sur le Net, et qui aiderait profondément le journalisme dans un moment de crise, c’est de montrer qu’on peut arriver en trois ans, à faire un journal indépendant, sans publicité, avec plus d’une trentaine de salariés, qui arrivent à l’équilibre ».

C’est assez naïf. Quand les deux auront fait les fonds de tiroirs des élites intello, il ne restera plus grand nombre de lecteurs cultivés pour se payer la moindre feuille de chou. Et de toute façon le frein est puissant : c’est celui de l’éducation et de l’instruction scolaire.

Moi j’ai une autre méthode qui se résume à cette fameuse phrase : “il faut être dans l’avion pour le détourner”. C’est le principe de la pédagogie : s’adapter à son élève pour le faire progresser. Faut-il adapter Molière en verlan pour intéresser les banlieues ? Et bien soit ! Ce sera moins noble, moins beau, il y aura un peu de dégradation du message initial c’est vrai, mais au moins passera-t-il.

Cela marchera beaucoup mieux et au final le ROI culturel sera là. Je sais que deux écoles de pédagogie s’affrontent là, entre ceux qui ne veulent pas édulcorer le contenu pour maintenir une qualité et égalité des contenus et ceux comme moi, qui estiment qu’il est urgent de mettre en place des approches différenciées, pragmatiques.

Il en va beaucoup plus que de la survie de la presse. Il en va de la cohésion sociale, de l’harmonie démocratique. Pour éviter de creuser encore davantage ce fossé culturel et ce mépris perceptible de ceux qui savent, qui consomment la bonne information, la bonne culture vis-à-vis des millions de “beaufs”. Emballer le sens avec de la sauce plaisir, voilà mon pari à moi. Les lecteurs populaires ne viendront pas tout seuls, il va falloir les chercher. Mais le premier moteur de l’égalité républicaine reste l’institution publique, l’école en particulier. Il ne s’agit pas d’accuser les nouveaux médias qui veulent simplement faire bien leur travail. Juste de les inviter peut-être à tendre davantage l’oreille et la main en direction de ces nouveaux publics qui s’éloignent d’eux, sans comprendre qu’ils passent à côté d’une grande richesse.

Billet initialement publié sur Mediaculture

Image CC Flickr © Ahmed Amir et nicholasjon

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http://owni.fr/2010/09/27/information-non-aux-ghettos-culturels-de-riches/feed/ 14
Google n’est pas responsable de la standardisation journalistique http://owni.fr/2010/09/17/google-n%e2%80%99est-pas-responsable-de-la-standardisation-journalistique/ http://owni.fr/2010/09/17/google-n%e2%80%99est-pas-responsable-de-la-standardisation-journalistique/#comments Fri, 17 Sep 2010 20:34:26 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=28587 Dans un article intéressant, mais assez démago, Owni pose la question suivante : les journalistes écrivent-ils pour Google ? Le vil moteur est supposé pervertir les journalistes qui s’intéressent plus à l’efficacité SEO de leur prose qu’à la satisfaction de leurs lecteurs. C’est partiellement vrai, mais la responsabilité en incombe aux journalistes, pas à Google.

D’abord il convient de rappeler une évidence économique : le but de Google est de faire des profits, or pour se faire, l’entreprise a opté dès l’origine pour la satisfaction du client, plus que les autres. Son succès vient de sa capacité à délivrer des résultats plus pertinents, plus exhaustifs et plus rapides que les autres. Google ne s’est pas arrogé plus de 65% de parts de marché mondial et plus de 90% en france en forçant la main des utilisateurs (contrairement à Microsoft qui dans les années 70-80 a percé grâce à une (abus?) position dominante sur la distribution de matériel informatique.

Google dont j’observe avec une certaine inquiétude par ailleurs le développement tentaculaire, n’en est pas moins méritant sur son core-business : il a réussi car c’est le plus efficace, celui qui rend globalement le meilleur service aux internautes.

Les journalistes, tous des clones?

L’écriture web, c’est servir l’utilisateur, pas Google

« L’écriture web » n’est pas destinée à Google, mais bien au récepteur final: le lecteur internaute.

Ecrire pour Google, c’est écrire d’abord pour le lecteur : faire concis et précis (titre et accroches efficaces) riche (liens externes, popularité, régularité), et accessible sur la forme (gras, paragraphes etc.)

Ce sont tous ces critères qui sont récompensés dans l’algorithme de classification de Google et le moteur ne fait qu’appliquer les bonnes pratiques journalistiques classiques, adaptées au support qu’est l’écran (la lecture est en moyenne 25% plus lente et difficile sur un écran que sur du papier selon l’expert reconnu du sujet Jakob Nielsen). Ecrire pour le web, c’est bien écrire tout court.

La standardisation vient des journalistes

S’agissant de la standardisation des formats sur le web, je rappelle que cela n’est pas nouveau. Il existe dans tous les médias, en particulier en télévision, et depuis fort longtemps. Qui n’entend la désopilante musique des actualités Pathé dans lesquelles le speaker enchaînait des phrases de 3km avec un ton nasillard et un vocable ampoulé? C’était le standard de l’époque.

Aujourd’hui en télévision, il est à la mode d’entonner une petite musique ternaire qui alterne l’aigu et le grave pour appuyer prétendument un propos : c’est le fameux ton sentencieux et prétentieux de Capital : « derrière cette porte (respiration), des millions d’euros s’échangent » (abaissement de la voix sur la dernière syllabe).

Je ne parle même pas des clichés journalistiques qui témoignent d’un mimétisme socio-professionnel classique et dénoncée avec humour et auto-dérision sympathique par  Rue89 via le compte alertecliché.

C’est aux producteurs de contenu de ne pas abuser

Ce qui est vrai , en revanche, c’est qu’il ne faut pas être dogmatique et appliquer bêtement des recettes de SEO sans les comprendre. Ainsi les titres avec « kickers » ne sont pas une obligation, mais c’est plus efficace en termes de lecture (et pas seulement de référencement!)

Exemple :

« Retraites : le détail de la réforme du gouvernement » indique tout de suite au lecteur la nature du sujet, c’est un service à lui rendre dans la profusion d’information (l’infobésité dit-on chez les journalistes « tendance »)

Mais le titre :
« La réforme des retraites gouvernementale en détails » fonctionne très bien aussi. L’information essentielle se trouve toujours le plus tôt possible.

Il est vrai également que les titres d’articles de jeux de mots plus ou moins tirés par les cheveux ont de moins en moins lieu d’être sur Internet. Ce n’est pas la faute de Google, c’est la faute de nos modes de vie hystériques et de la concurrence de l’attention liée à la pléthore de stimuli (tv, radio, jeux, mobile etc…). Nous n’avons pas de temps à perdre, bombardés que nous sommes de messages. Attirer l’attention des lecteurs aujourd’hui c’est comme essayer de parler aux automobilistes sur l’autoroute : faut vraiment faire court et clair !

Exemple de titres, 20Minutes

Il faut donc que les titres soient informatifs et concis s’ils veulent retenir l’attention des lecteurs et c’est ce que récompense Google, pas autre chose. Mais cela n’empêche pas d’être créatif et imaginatif sur les titres des pages d’accueil, comme le fait très bien 20minutes. A condition de veiller à écrire un titre d’article informatif pour permettre au lecteur de comprendre immédiatement de quoi on lui parle quand il arrive de la recherche, aujourd’hui et demain (il faut penser aux archives). Et pour s’adapter  aussi à tous les nouveaux modes d’accès à l’information : flux RSS, mobile etc.

Enfin l’algorithme de Google évolue constamment et les différentes techniques utilisées par les petits malins pour envoyer du trafic sur du mauvais contenu sont assez régulièrement sanctionnées. Google n’a pas envie de tuer la poule aux oeufs d’or et attache énormément d’importance à l’efficacité des critères de classification. Le jour où il cessera de le faire, il disparaîtra. C’est l’ancien éditeur d’AltaVista qui vous parle…

Google est un bon outil de recherche qui sert avant tout l’utilisateur. Si les titres web se standardisent, c’est d’une part dans l’intérêt du lecteur et d’autre part, par manque d’imagination et d’inventivité des journalistes. Enfin, que le web soit plus orienté vitesse et efficacité est inhérent à l’usage majoritaire de ce média. Pour les titres plus incitatifs et ludiques, il y a le papier. A chacun son truc, comme l’a bien compris Libération. Enlever à la presse ce rare avantage concurrentiel par rapport au web, n’est vraiment pas charitable :)

Article initialement publié sur Mediaculture

Crédit photo CC FlickR par Legoboy Production, Robert Couse-Baker

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http://owni.fr/2010/09/17/google-n%e2%80%99est-pas-responsable-de-la-standardisation-journalistique/feed/ 3
Les mécanismes séculaires de l’influence médiatique http://owni.fr/2010/09/13/les-mecanismes-seculaires-de-l%e2%80%99influence-mediatique-2/ http://owni.fr/2010/09/13/les-mecanismes-seculaires-de-l%e2%80%99influence-mediatique-2/#comments Mon, 13 Sep 2010 06:31:10 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=27957 Les « influenceurs », interprètes des autochtones du web, sont les éclaireurs des nouveaux territoires médiatiques auprès des commerçants et politiques qui n’y entendent rien. Leur technique repose sur 5 principes séculaires.

1- Inspirer la crainte

Inspirer la crainte plus que l’amour (Machiavel, « le Prince »), susciter la terreur même, telVlad l’empaleur résistant à l’envahisseur ottoman qui a tellement frappé les imaginations ennemies, que son nom entra dans la légende sous le nom de Dracula.

Il faut s’attaquer à des ennemis redoutables pour mettre en scène son courage, sa force, sa vertu. Tout comme les héros grecs n’accédaient au mythe que via l’accomplissement rituel d’épreuves surhumaines (cf les 12 travaux d’Héraclès)

C’est la stratégie de Birenbaum brocardant Aphatie, ou de Bruno Roger Petit épinglant Elisabeth Levy. Il n’y a pas de grand héros, sans grands monstres. Le message adressé aux autres est clair : « attention, j’ai le pouvoir de détruire socialement, car je maîtrise le ridicule ».

2- Susciter l’amour

Raréfier son attention au vulgus pecum  et accorder ses faveurs avec une extrême parcimonie. Reproduire la geste aristocratique qui veut que l’on ne remercie jamais les serviteurs, que l’on n’accorde que le minimum d’attention au vulgaire, que l’on respecte son « rang ». C’est déchoir qu’user sa personne à des personnes ou des tâches subalternes. Techniques de contrôle de l’aristocratie par Louis XIV que Mitterrand a su fort bien reproduire vis à vis des élites intellectuelles et médiatiques.

Par le jeu classique de l’offre et la demande, la raréfaction des communications augmente leur valeur. Et quel meilleur moyen ensuite pour créer de la reconnaissance, voire de l’amour, de la part de ceux à qui l’on s’adresse exceptionnellement : « il m’a parlé, il m’a souris, il m’a répondu ! »

Même procédé que celui utilisé par les politiques qui se font souffler le nom des « petites gens » qu’ils rencontrent. Ou du Pdg qui lors d’une assemblée, s’adresse à l’employé du bas de l’échelle par son patronyme. Quel merveilleux gain d’image et d’estime du peuple gagné « à pas cher ».

3- Exagérer sa puissance

Un des instruments de la domination sociale est le bluff. Exagérer sa puissance et celles de ses ennemis pour intimider, glorifier son propre nom. Stratégie très efficace mise en place par ce pionnier de la propagande : Jules César qui dans la « Guerre des Gaules » accentue outrancièrement la férocité et la barbarie des celtes pour mieux réhausser son mérite de les avoir vaincus.

Rappeler ses victoires ou les nommer comme telles, même quand il s’agit de défaite. Ainsi de Ségolène qui répète à l’envi qu’elle a réuni la moitié des Français sur son nom, considérant sa défaite comme une victoire à venir. Technique politique très ancienne qui rappelle la bataille de Kadesh entre Ramsès II et Muwatali II, l’empereur hittite. Bataille au cours de laquelle les deux peuples se sont neutralisés mais dont chacun a revendiqué la victoire. Les Egyptiens ont toutefois gagné la bataille politique en inscrivant l’Histoire  sur les murs de leurs temples. La maîtrise de l’Histoire est éminemment politique. D’où la vigilance dont il faut faire preuve vis à vis de ceux qui veulent la réécrire à l’aune de leurs intérêts et convictions particuliers.

4- S’entourer de mystère

En matière d’influence web, il faut faire savoir le plus possible que l’on a des relations, des entrées, que l’on est un « insider »… Sans donner de noms, sans faire l’inventaire de son carnet d’adresses, mais en donnant par petites touches des gages réguliers de sa tentaculaire longueur de bras.

Etre concis, pour ne pas dire laconique, afin que le propos ouvert puisse être interprété de 100 façons différentes. S’appuyer sur la fonction projective de l’individu, la fameuse tâche de Rorschach. Ou illusion de forme qui ne représente rien, si ce n’est ce que l’individu y met lui-même. Procédé superbement mis en scène par David Lynch dans Mulholland Drive, l’IKEA cinématographique, le film à monter soi-même.

Etre obscur pour masquer le manque de profondeur de la pensée mais toujours avec des mots compliqués, supplétifs d’intelligence qui rassurent le lecteur. Cosmogonie, herméneutique, sérépendité… Autant de « name-dropping » qui visent parfois moins à développer une argumentation qu’à en mettre plein la vue. Technique classique en agence de pub où l’on « néologise » à tour de bras ou l’on use d’anglicismes abscons pour impressionner le client. Il s’agir de le mettre immédiatement en position d’infériorité : vous utilisez un langage qu’il ne comprend pas, c’est dire s’il a besoin de vous…

5- Fréquenter les puissants

Communiquer avec des élites médiatico-intellectuelles (Eric Zemmour ou David Abikerpar exemple), avec des politiques « tendance si possible (nkm est parfaitement indiquée), avec des puissance d’argent (grands patrons, directeurs d’agence de publicité et de communication…).

Par le jeu tacite de l’adoubement relationnel, si vous fréquentez les puissants, c’est que vous en êtes. D’où l’importance capitale d’être vu avec des pop-stars, tel Christian Audigier, affichant sur les murs de son club de nuit ses effusions avec Michael Jackson.

D’où la nécessité sur Twitter d’entretenir des conversation publiques avec des puissants ou du moins des influents : journalistes, créateurs d’entreprises, célébrités… Et surtout pas en message direct, le DM est le démon.

Escalier social

Atteindre le bol de sangria

Le but du jeu ultime est d’intégrer le cercle fermé des puissants, des vrais influenceurs : les médias traditionnels, au premier rangs desquels les médias audio-visuels. D’abord la radio, puis, si tout va bien, la télévision, seul média de masse (mais peut-être plus pour longtemps…) Ou intégrer des cercles politiques qui ouvrent bien des portes : business, médias, fonctions publiques…

Les « influents » sur la toile se servent surtout d’Internet comme un moyen d’ascension sociale. Ils monnaient leur savoir-faire et leur lien sur la masse auprès des vrais puissants qui leur achètent un moyen de contrôle supposé sur les opinions : pour vendre  des marques, des partis, des idées politiques…

Article initialement publié sur Mediaculture

Crédit photo CC FlickR :  musmacity1 et pixel@work

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Nouveaux médias: une nouvelle classe de dominants http://owni.fr/2010/09/05/nouveaux-medias-une-nouvelle-classe-de-dominants/ http://owni.fr/2010/09/05/nouveaux-medias-une-nouvelle-classe-de-dominants/#comments Sun, 05 Sep 2010 12:23:28 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=27039 LE PEUPLE AU POUVOIR ?

Avec les nouvelles technologies de l’information se répand l’idéologie du peuple au pouvoir : simplification des techniques, baisse des coûts d’entrée… Les nouveaux produits démocratisent la culture et permettent à tous de s’élever socialement, de “reprendre la main”.

C’est un peu l’idée inhérente à l’UGC (User Generated Content). Nous serions passés de l’ère du consommateur passif à celui de l’internaute actif et créateur. Les technologies “libèrent la créativité”, comme quelques publicités et autre best-sellers nous l’assurent.

D’autres plate-formes libèrent la création du plus grand nombre grâce au financement mutualisé de type My major company

De même le consommateur, désormais acteur (“consom’acteurs” disent les marketeux jamais en mal de néologismes fumeux), prend sa revanche sur les marques. Il décide désormais de manière beaucoup plus rationnelle en se fondant sur la recommandation de ses proches (pdf rapport Credoc) plus que sur la publicité.

Les blogs, Twitter et les réseaux sociaux libèrent la parole, décentralisent et démocratisent la discussion, les médias traditionnels en particulier la presse, perdent leur monopole sur l’information. Celle-ci appartient désormais à tout le monde. C’est la fin de l’information descendante et l’avènement au contraire d’une collaboration avec le lecteur dans la fabrication de l’information. Jusqu’à l’irruption d’un journalisme à la demande, où la ligne éditoriale est déterminée par le lecteur lui-même.

Avec Facebook, les PME peuvent se lancer dans le grand bain du e-commerce avec facilité : il leur suffit de monter une page de fan. Plus besoin de développer des usines à gaz, monter des bases de données sur serveurs et maîtriser cinq langages informatiques. Démarches totalement inaccessibles qui les rendaient totalement dépendants de web-agencies plus ou moins sérieuses ou honnêtes.

Le savoir n’a jamais été aussi libre d’accès grâce notamment à Wikipedia, qui malgré ses erreurs, reste un source encyclopédique assez fiable (ou plutôt pas moins mauvaise que d’autres). Les grandes universités fournissent désormais gratuitement en ligne leurs cours en vidéo à l’instar de quelques prestigieuses grandes écoles, telle Yale

Une pléthore de bases documentaires sont en libre accès comme je le décris dans mon billet “nouveaux medias : trop de mémoire ou pas assez ?

L’ARGUMENTAIRE DES VENDEURS DE PELLES

Nouveaux médias : le nouvel eldorado

Dans la ruée vers l’or américaine de la fin du XIXe, sauf exceptions, les seuls qui firent fortune  sont ceux qui vendaient les pelles et les pioches.

Aujourd’hui, face à l’eldorado du web, les “vendeurs de pelles” sont les agences marketing, les consultants, les web-agencies, les fabricants de matériel informatique… tous ceux qui ont intérêt à générer le plus d’investissement dans le secteur, à faire venir un maximum de prospecteurs.

Il s’ensuit un bouillonnement d’activité, d’innovations, d’émulation qui n’est pas que négative, bien au contraire, quand elle n’est pas exagérément risquée

Mais le discours pro-web 2.0 sous-estime bien souvent les risques pour les entreprises. “Entrez dans la discussion, jouez le jeu de la transparence”… Oui, sauf quand les moyens de gestion communautaire ne sont pas là, sauf quand la manière de procéder n’apporte aucune valeur utilisateur. Ouvrir une page de fan Facebook alimentée d’un flux d’infos corporate, c’est comme les “sites vitrines” des années 2000 : cela ne sert à rien si ce n’est enrichir un peu l’agence qui aura vendu le projet (“vous ne pouvez pas vous permettre de ne pas en être”).

En revanche, ouvrir ses produits aux commentaires sans community manager digne de ce nom (et pas un stagiaire qui en sait à peine plus que vous), c’est dangereux. C’est comme appeler des gens au téléphone, sans jamais parler : ça agace.

UN DISCOURS MÉRITOCRATIQUE CULPABILISANT

Avec la simplification des outils, la démocratisation et la gratuité des savoirs disponibles, la baisse des coûts d’entrée… tout semble tellement plus facile que si l’on n’y arrive pas, c’est qu’on ne le veut pas vraiment. C’est cette mythologie de la méritocratie que la sociologue Marie Dullut-Berat décrit pour le domaine scolaire.

Ce discours du “tout est possible” est celui du libéralisme économique et de la droite traditionnelle. Libérez les entraves qui pèsent sur les individus et la société dans son ensemble y gagnera. En plus d’être efficace, ce système est juste car il repose sur le mérite puisqu’il favorise l’accession des plus dynamiques, ceux qui ont la volonté de s’en sortir, ceux qui ont fait l’effort, ceux qui ont pris des risques…

Sauf que cette vision utopiste minore tous les facteurs indirects et néanmoins puissants d’inégalité, tels que le niveau culturel, le capital culturel, les valeurs d’ambition, de confiance du milieu d’origine etc.

On retrouve avec le web 2.0 toute cette utopie dangereuse du possible qui rejette implicitement dans le camp des fainéants ou des inaptes, tous ceux qui ne prennent pas le train de la technologie.

Je me rappelle du cri sincère de Loïc Lemeur, lors d’une réunion de blogueurs en pleine présidentielle 2007, qui, s’adressant à une jeune fille sur-diplômée expliquant sa difficulté à trouver du travail s’écria : “monte ta boîte !”.  Cela lui paraissait évident, voire facile et il ne semblait pas comprendre la réticence de ceux qui hésitent à se lancer. Sans prendre conscience que sa confiance, son assurance à lui, sont le résultat unique d’une éducation de confiance, de réussites accumulées, de rencontres motrices, de chance… sans parler des facilitateurs de parcours comme les grandes écoles (HEC en l’occurrence).

LA CONSTITUTION D’UNE NOUVELLE ÉLITE

Une nouvelle classe dominante

En réalité, les nouvelles technologies consacrent surtout l’avènement d’une nouvelle classe dominante : ceux qui les maîtrisent.

Tout comme les maires du Palais ont remplacé les monarques mérovingiens (les fameux “rois fainéants”), comme la bourgeoisie a remplacé l’aristocratie après la révolution française… Aujourd’hui se construit lentement sous nos yeux une nouvelle classe médiatico-commerciale qui prend le pas sur les héritiers d’une économie vacillante.

Jeunes journalistes 2.0,  communicants et marketeux technophiles, experts et consultants en réseaux sociaux, entrepreneurs du secteur technologique… Tous ceux qui s’adaptent à l’accélération du changement pour non seulement survivre mais  en vivre.

Ce n’est ni juste, ni injuste car l’Histoire est a-morale, contrairement à ce qu’on veut parfois nous faire croire. C’est juste une évolution logique et inéluctable qui crée des crispations du côté de ceux qui refusent ce déplacement de pouvoir car ils se sentent menacés, à juste titre d’ailleurs.

Ainsi par exemple, Erwann Gaucher qui dénonce fort justement dans son article le mépris de certains médias traditionnels vis-à-vis de nouvelles pratiques du journalisme, en l’occurrence le “personal branding”.

Les changements technologiques importants dans l’Histoire sont toujours créateurs de déséquilibres et de bouleversements politico-économiques. La maîtrise du fer a favorisé les tribus sur celles qui pratiquaient le bronze, la technique militaire collective et soudée de la phalange grecque ou de la manipule romaine ont permis la domination de ces deux civilisations, les armes à feu ont permis l’unification du Japon par les clans Nobunaga et Tokugawa, ainsi que la domination coloniale…
Lire à ce sujet l’excellent Culture et carnage.

Aujourd’hui l’arme de domination sociale principale de nos sociétés modernes est l’information. Et à ce jeu là, les classes déjà dominantes, comme toujours, sont les mieux armées. Contrairement au discours technophile utopiste, nous assistons non pas à une démocratisation du pouvoir, mais à un déplacement entre groupes déjà favorisés. Aux lions la carcasse, à la masse des chacals alentour, peut-être quelques miettes du festin.

Crédit photo Flickr: zert., zerozz1080 , Dunechaser

Billet initialement publié sur Mediaculture

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