OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Internet, c’est un truc de hippies http://owni.fr/2012/12/12/internet-cest-un-truc-de-hippies/ http://owni.fr/2012/12/12/internet-cest-un-truc-de-hippies/#comments Wed, 12 Dec 2012 11:22:44 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=127231

Je suis souvent présenté comme un dinosaure d’Internet, mais c’est faux : même si je suis trop vieux pour faire partie de la génération “digital-native”, j’étais trop jeune quand Internet est né, trop jeune pour pouvoir vivre une époque à laquelle toutes les utopies étaient encore imaginables. Ça n’a jamais empêché personne de me considérer comme un utopiste libertaire (par exemple, dans ce billet qui aligne un nombre d’idées fausses assez stupéfiant), vous êtes prévenus.

Et je voudrais, pour replacer mon propos dans son contexte historique, revenir quelques instants sur ce monde dans lequel Internet est né. Je crois que c’est important pour mieux comprendre ce qu’il est devenu.

Arpanet est né en 1969. J’avais 5 ans, Jon Postel et Vinton Cerf avaient 25 ans. Steve Crocker (24 ans) publiait la première RFC. Ils étaient étudiants en Californie, à l’UCLA, en pleine contestation étudiante contre la guerre du Viêt Nam, en pleine lutte pour les droits des femmes et les droits civils sur les campus américains. C’est 2 ans après le “Summer of Love”, c’est l’année de Woodstock. Toute la côte ouest est en plein Flower Power.

Internet par la racine

Internet par la racine

Racine d'Internet par-ci, racine d'Internet par-là : mais c'est quoi ce bulbe magique générateur de réseau ?! Et pourquoi ...

On peut imaginer que — les geeks restant des geeks — nos trois jeunes ingénieurs ne faisaient pas partie des plus activistes, mais on ne peut pas ignorer l’ambiance qui entourait la naissance d’Internet. Et de là à penser qu’il est une invention de hippies, il n’y a qu’un pas. D’où croyez-vous que viennent les barbus ?

On dit souvent qu’Internet a cassé la logique hiérarchique verticale préalable et créé une société plus horizontale. On rappelle en permanence qu’il a permis l’usage de la liberté d’expression pour tous. Je vous engage à lire ou relire la RFC n°3 (publiée elle aussi en avril 69) qui définit la manière dont seront développés et discutés les futurs standards d’Internet, et en particulier la phrase “we hope to promote the exchange and discussion of considerably less than authoritative ideas”.

Dès le départ, la philosophie d’Internet est basée sur la liberté d’expression, ouverte à tous, sans obligation d’appartenance à telle ou telle communauté. Le débat et la prise de parole sont encouragés, la forme est accessoire, le groupe est ouvert, seules les idées sont importantes, d’où qu’elles viennent.

Sont-ce les usages d’Internet qui ont transformé une société hautement hiérarchisée, ou a-t-il été créé pour produire précisément cet effet, à une époque où toutes les utopies étaient encore envisageables ? Sans doute un peu des deux, mais il est certain que, dès l’origine, les principes qui ont conduit à sa naissance n’étaient pas ceux de la société patriarcale qui prévalait jusque là, et il est au moins probable que l’environnement dans lequel baignaient ses pères a joué un rôle sur ce qu’il est devenu.

La tribu informatique

Comme on me l’a souvent rappelé, depuis que j’ai commencé à développer cette vision des origines, cette ouverture à tous avait — et a toujours — une limite importante : s’agissant de développer des protocoles informatiques, et quelle qu’ait été la volonté de ses fondateurs, l’initiative était cependant réservée à ce que Philippe Breton a décrit bien plus tard comme “la tribu informatique”. Et là aussi il est bon de se replonger un peu dans le passé pour mieux comprendre le présent.

Internet, les origines

Internet, les origines

Mais qui a inventé Internet ? Au cœur de l'été, un débat fait rage de l'autre côté de l'Atlantique pour attribuer la ...

A l’époque des débuts d’Internet, et jusqu’au milieu des années 70, le logiciel n’était pas considéré comme il l’est de nos jours. Ce n’était pas un objet commercialisable. Jusqu’au début des années 70, AT&T distribuait UNIX gratuitement aux universitaires, et la grande majorité des programmes étaient le fruit de travaux académiques et étaient diffusés, sources comprises, selon les principes académiques d’ouverture et de coopération.

Les informaticiens de cette époque avaient souvent besoin de porter tel ou tel outil d’un système d’exploitation à un autre, à une époque où l’hétérogénéité du parc matériel explosait. La notion de partage était fortement représentée dans la culture informatique, et elle a perduré y compris lorsque le marché du logiciel commercial a explosé, en se scindant d’un côté dans la culture du logiciel libre et de l’autre dans celle du piratage.

Avant notre génération “digital native”, les inventeurs d’Internet sont devenus adultes dans les années comprises entre la fin de la seconde guerre mondiale et la 1ère crise pétrolière, à l’époque du “I have a dream” de Martin Luther King, du flower power, de la conquète de la Lune, du boom de l’électroménager et de la liberté sexuelle. Tout semblait possible, et je crois que même des geeks retranchés dans des services informatiques, relégués en sous-sol, n’ont pas pu ignorer cet environnement social. Dans un livre publié en 1984, le journaliste Steven Levy a rapporté l’idéologie des premiers hackers et en a tiré ce qu’il a nommé “the hacker ethic” dont les points-clé semblent venir directement des idées hippies.

Je ne crois pas qu’on puisse comprendre Internet sans prendre en compte ces prémisses culturels. Même s’ils sont largement négligés de nos jours, ils ont imprégné toute la structure fondamentale du réseau et leurs conséquences sont toujours largement présentes aujourd’hui :

- la sécurité des systèmes est un problème de plus en plus important à tous les niveaux de la société, mais si ce problème existe c’est aussi parce que la sécurité des données n’était pas un enjeu important pendant les premiers temps de l’Internet. Les datagrammes ne sont pas chiffrés, les serveurs et les tuyaux sont partagés entre tous, le DNS n’est pas sécurisé, le routage est fait d’annonces que chacun peut corrompre. Jusqu’à une période très récente, les notions de partage et de confiance sont bien plus importantes, sur le réseau, que celles de sécurité et de confidentialité.

- TCP/IP est un langage de pair à pair : les notions de client et serveur sont applicatives, sur Internet, pas structurelles. Il n’y a pas de hiérarchie entre les ordinateurs qui sont reliés par le réseau : chacun peut, à tout instant, passer du récepteur au diffuseur sans avoir à obtenir d’autorisation préalable. Sur Internet, la prise de parole est possible partout, pour tous, tout le temps.

- l’impératif d’intéropérabilité à une époque où le matériel informatique évolue sans cesse dans une hétérogénéité croissante a imposé – si même la question s’était posée – l’usage de standards ouverts et des logiciels libres. Le développement d’Internet et des logiciels libres sont intriqués au point qu’on aurait du mal à imaginer ce que serait le réseau sans eux. Et malgré la toute-puissance des géants du logiciel commercial, ils se sont développés à un point tel qu’au moins la moitié d’entre vous a un téléphone qui fonctionne sous Linux. Si on m’avait dit ça au début des années 90, je me serais moqué.

- le choix de la transmission par paquet, du datagramme et d’un réseau maillé de pair à pair (en lieu et place des technologies de circuits virtuels et des réseaux en étoile) a créé un réseau qui ignore les frontières des États, qui met en relation des ordinateurs et des humains sans considération des législations locales, des tabous culturels et du contrôle policier. Couper totalement l’accès d’une population à Internet, aujourd’hui, implique non seulement la fermeture des accès locaux mais aussi celle de tout le réseau téléphonique cablé, gsm et satellite. C’est pratiquement impossible (et on a pu recevoir des images de Syrie la semaine dernière malgré toute la volonté du gouvernement local).

L’art de la guerre

Quoi qu’ils en disent aujourd’hui, les états ont mis un certain temps à prendre conscience des conséquences d’Internet. Quand nous – techniciens – pressentions vaguement au début des années 90 une révolution trop vaste pour qu’on puisse en envisager toute l’étendue, qu’on essayait de l’expliquer, d’en montrer l’importance, les puissances en place nous riaient au nez.

Et sans doute n’était-ce pas plus mal parce qu’il est difficile de savoir ce que serait le réseau si à l’époque nous avions su montrer au pouvoir ce que signifiait l’arrivée d’Internet chez tout le monde.

Aujourd’hui encore, je crois qu’il manque toujours au plus haut niveau des États une compréhension, une appropriation réelle des enjeux. Tout semble se passer comme si, malgré un affichage plus ou moins affirmé, ils ne parvenaient pas à appréhender l’existence et l’importance sociale, économique et philosophique d’un réseau global. J’ai récemment écrit qu’ils me donnaient l’impression de ne pas vivre dans le même monde que le reste de la population, tant chacune de leurs décisions concernant de près ou de loin Internet semblait contre-productive et rétrograde quand ce n’est pas inutile ou même risible.

Toujours est-il que, pendant que les grands de ce monde avaient le dos tourné, Internet s’est installé dans nos vies.

Ça a commencé lentement bien sûr. En France, Internet a longtemps été perçu par le grand-public comme un Minitel un peu plus évolué : on y trouvait pas beaucoup plus d’information, c’était plus compliqué à utiliser, ça demandait un investissement financier et personnel plus important.

Seuls quelques activistes en prenaient possession pour s’exprimer, avec bien entendu des dérives faciles à dénoncer qui ont probablement contribué à conforter les idées reçues de ceux auquel il n’apportait rien de nouveau, puisqu’eux avaient déjà accès à la parole publique, à l’information en avant-première, que les portes des musées leur étaient toujours ouvertes et qu’ils dinaient avec ceux dont le public attendait les prochaines oeuvres.

Et puis, petit à petit, le public a appris à utiliser le réseau. Les services se sont mis au niveau pour lui faciliter l’auto-édition, le partage, le débat et la diffusion. Et ce qui était auparavant réservé à quelques élites est devenu accessible à tout le monde au point d’être devenu pour tout un chacun une part importante de la vie quotidienne.

Internet ça change la vie

Internet ça change la vie

"Révolution numérique". C'est l'expression consacrée des verbiages politiciens, mais concrètement ça veut dire quoi ? ...

J’ai écrit aussi que je voyais leur action comme celle d’un antivirus : quand je vois mon ordinateur (celui qui est sous Windows) changer inexplicablement de comportement sans que mes actions n’y soient pour rien, mon premier réflexe est de penser qu’il a été infecté par un logiciel malveillant.

De la même manière, ceux qui se sentent responsables de la société ne peuvent pas accepter qu’elle change en dehors de leur action. C’est vécu comme une intrusion dans leur pré-carré, comme une activité forcément malveillante, puisque l’administrateur du système n’a pas voulu ni souhaité ce qui se produit dans son environnement. Alors il réagit, là où il aurait mieux fait d’agir.

Car il est bien trop tard pour agir : Internet est dans la place. Internet est partout, dans nos ordinateurs, nos téléphones, nos tablettes, nos télévisions et nos consoles de jeu. Bientôt il sera dans nos éclairages, nos clés, nos moyens de paiement. Aujourd’hui, même mon ampli audio se met à jour par Internet.

Quoi que devienne le réseau dans le futur une chose est sûre : nos machines sont toutes connectées entre elles, et nous le sommes tous entre nous, à travers elles. Et là où des humains sont reliés entre eux, il y a échange, partage, débat et transmission de savoir.

Il y a eu une guerre entre Internet et les pouvoirs en place. Et Internet l’a gagnée. L’envahisseur ne se cache plus : il est bien installé et il n’hésite pas à répondre quand, au coup par coup, nos dinosaures qui n’ont pas eu conscience de la chute de la comète tentent de survivre au changement en lui donnant quelques coups de patte bien peu efficaces.

Je ne vais pas refaire ici l’historique de ces pauvres tentatives d’empêcher un changement inéluctable : gouvernance, régulation, taxes diverses, refus des effets fiscaux de la globalisation quand elle concerne les géants du web alors qu’on l’encense quand elle vient de l’industrie du pétrole ou de la culture, tout ça est bien connu. C’est trop peu, trop tard, surtout trop tard.

On achève bien les dinosaures

On achève bien les dinosaures

Copinage, incompréhension, contre-sens. Nos représentants politiques sont les seuls à croire encore que le Web est ...

Les révolutions arabes ont montré que l’usage des réseaux sociaux permettait d’organiser des actions de groupe là où dans le passé il fallait s’appuyer sur des syndicats ou des partis politiques pour mobiliser. Et je crois aussi que le Web, pour des jeunes qui atteignent aujourd’hui l’âge adulte et entrent dans la vie active en ayant eu pendant toute leur enfance sous les yeux l’opulence des pays les plus riches, a eu plus que sa part dans la motivation de révoltes qui, la crise économique aidant, ne feront que s’amplifier dans le futur.

Internet a gagné la guerre, et les populations savent s’en servir bien mieux que leurs gouvernants. Que ce soit pour prendre conscience de la façon dont il est maintenu dans la misère (Wikileaks bien sûr, mais au delà il suffit de voir la façon dont les affaires sortent via Twitter avant même les journaux télévisés pour comprendre que la couleur du Web est la transparence) ou pour organiser les mouvements sociaux, le peuple a désormais un outil qui a été créé pour rester hors de portée des tentatives de contrôle. Hadopi, Loppsi, Taxe Google, Cloud souverain et tentative de surveillance globale ne sont guère que des actions de guerilla de quelques groupes de résistants dépassés.

La guerilla est une tactique du faible au fort, et contre Internet ce sont les États qui la mènent. Je vous laisse conclure.

Les voleurs 2.0

Alors, et après ?

Longtemps, quand je prédisais la victoire d’Internet, j’ai eu en face de moi des amis qui, eux, craignaient que le commerce, les gouvernements, les forces réactionnaires de toutes provenances ne viennent réduire à néant les espoirs d’une société meilleure basée sur les principes de partage et de liberté qui ont été les bonnes fées penchées sur le berceau du réseau.

J’ai toujours fait partie du camp des optimistes. En considérant la vitesse à laquelle le public arrivait sur le réseau, et en calculant au doigt mouillé qu’il fallait en moyenne 5 ans pour passer d’un usage purement clientéliste à une appropriation plus complète des moyens d’expression et de diffusion mis à sa disposition, je faisais le pari – gagné d’avance – que la masse de gens qui auraient pris goût à la liberté serait trop importante pour un retour au statu quo ante bien avant que quiconque ne puisse réagir.

Comme toujours, j’avais raison.

Et comme toujours je me suis trompé.

Le danger n’est pas venu du commerce : ceux qui prédisaient la fin d’un Internet libre comme s’étaient éteintes les radios libres avaient oublié que l’espace numérique, à la différence du nombre des fréquences hertziennes, était infini et que quelle que soit la place prise par le commerce en ligne, il en resterait toujours autant qu’on en voulait pour le simple citoyen.

Il n’est pas venu non plus des politiques, qui n’ont jamais compris ce qui leur arrivait et qui ne le comprendront jamais : par nature, Internet rend inutiles un bon nombre d’intermédiaires, que ce soit entre les auteurs et leur public, entre les fabriquants ou les grossistes et le client final, ou entre les opinions et l’information et la population. Je crois que l’intermédiaire entre le peuple et la démocratie qu’est la représentation politique est vouée elle aussi à disparaître quelles que soient ses gesticulations pour repousser l’échéance.

Non, le danger n’est pas venu du passé, il est venu d’Internet lui-même.

La plus grande force d’Internet est dans sa résilience. Les choix technologiques du passé ont donné un réseau très fortement décentralisé, auto-correctif, quasiment impossible à contrôler – et donc à vaincre – par une entité unique quelle qu’elle soit en dehors de quelques erreurs historiques (la centralisation du DNS et du système d’adressage). Mais, peut-être à cause d’une croissance trop rapide due à la faiblesse de ses ennemis naturel, le réseau a développé une maladie auto-immune.

Peur sur le Web

Peur sur le Web

Propagande, pensée unique, méfiance et peur de l'autre : on n'est jamais responsable du malheur qui nous arrive. Alors ...

Longtemps on a parlé d’Internet comme d’un réseau dont l’intelligence était aux extrémités (end-to-end principle). Et il faut se souvenir que, même s’il y a du progrès depuis l’époque des modems RTC, le principe même du “fournisseur d’accès” est une rustine pour pallier à l’absence d’un vrai réseau informatique reliant tous les foyers entre eux. Internet est un réseau de réseaux, mais le client d’un FAI n’est pas un pair d’internet à égalité avec les serveurs qui le composent. L’asynchronie entre émission et réception, qui découle de l’usage de la paire de cuivre, tend à transformer l’utilisateur final en client simple plutôt qu’en égal qui peut participer aux échanges en tant que membre à part entière du réseau.

Il est facile de dire que cet état de fait répond aux usages et qu’un simple utilisateur n’est pas forcément quelqu’un qui participe autant qu’il consomme. Mais c’est une idée fausse, je crois : s’il n’était que récepteur, les médias broadcastés lui suffiraient. En réalité ce qu’on constate souvent c’est qu’il participe plus ou moins à hauteur de ce que sa bande passante montante lui permet et que ses usages dépendent de l’infrastructure qui lui est proposée bien plus que l’inverse.

En parallèle, et parce que la technologie transforme l’utilisateur en simple client, les services se centralisent. Ils deviennent ce qu’on appelle “des géants du Web” alors même que par principe dans un réseau de pair à pair ces termes devraient être antinomiques.

Et comme un cancer, le corps du patient devient son propre ennemi. J’ai raconté en conférence comment, par exemple, Facebook avait volé 4 fois ses utilisateurs (et en tant qu’ancien voleur je m’y connais). D’abord en transformant ses utilisateurs en ouvriers non-salariés – c’est le modèle du Web 2.0 qui consiste à vendre à ses clients, les régies publicitaires, un espace de contenus produits par des gens qui ne sont pas rémunérés mais qui attirent l’audience), puis en vendant à ces régies les informations privées – qui vous appartiennent mais que vous lui aviez confiées – pour qu’elles puissent mieux vous cibler, puis en vous vendant en bourse des parts de l’entreprise qui n’aurait aucune valeur sans votre participation, et enfin en vous proposant de payer pour promouvoir vos propres contenus auprès de vos amis, en un complet renversement du modèle normal qui veut qu’un auteur soit rémunéré en fonction de l’argent qu’il rapporte à son éditeur.

Difficile de faire mieux. Ou pire, c’est selon. Et pourtant, Facebook (et Google et iTunes et Amazon et tous les autres) y arrivent quand même : en devenant les géants qu’ils sont, en centralisant tous les services et les contenus comme ils le font, ces acteurs concentrent l’intelligence au centre du réseau et transforment les équipements tiers (smartphones, tablettes – de moins en moins interfaces d’interaction et de plus en plus interfaces de simple réception) en simples terminaux, qui de plus en plus peuvent – et sont – contrôlées à distance.

[1/2]La neutralité du réseau pour les nuls

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On a tout entendu sur la notion de neutralité d'Internet. L'ingénieur Stéphane Bortzmeyer tente d'y voir plus clair. En ...

Et c’est un mouvement général : alors même que jamais le prix du stockage local n’a été aussi bas, la mode est au cloud. On ne conserve plus ses données chez soi, là où elles sont le plus en sécurité, mais chez un tiers, qui centralise toutes les données du monde. On voudrait créer un point central de totale insécurité et de contrôle total qu’on agirait pas autrement.

Et alors même que les gouvernements ne voyaient pas comment attaquer un réseau décentralisé pour reprendre le contrôle de l’évolution de nos sociétés, voilà que son plus grand ennemi lui offre sa reddition sur un plateau: s’il y a bien une chose à laquelle les États sont habitués, c’est de traiter avec les multinationales. Dans un jeu dont on vient de voir, avec Florange, comme il se joue, l’État français joue de la menace fiscale et légale contre Google, Amazon et tous les autres pour obtenir d’eux quelque prébende en échange d’une totale liberté dans l’exploitation de leur main-d’oeuvre.

Quant au contrôle des populations, c’est en cours, avec la possibilité de couper telle ou telle fonctionnalité d’un iPhone à distance chez Apple, pourquoi pas pendant une manifestation populaire dont un gouvernement ne voudrait pas qu’elle fasse trop parler d’elle, ou avec la volonté pour le CSA en France de contrôler les contenus sur le Web comme il le fait pour la télévision, ou enfin avec l’ITU qui veut redonner le pouvoir au politique plutôt qu’au citoyen en permettant des législations nationales applicables à tous les acteurs du Net.

Conclusion

Je reste l’éternel optimiste, je ne crois pas qu’Internet puisse être transformé au point de revenir à un monde dans lequel il faut avoir des amis, du pouvoir ou de l’argent pour avoir la possibilité d’exercer son droit à la liberté de parole “sans considération de frontières”.
Je veux croire que Facebook n’est qu’une mode passagère et que le public saura se détourner d’un Apple qui le prive de toute liberté d’utiliser comme il le souhaite le terminal qu’il possède.
Je veux croire qu’avec un peu de bouteille, les gens se détourneront des services gratuits d’un Google qu’il échange avec la confidentialité de ses données, de ses mails et de sa vie entière pour revenir à des services locaux, pourquoi pas à en réinstallant chez eux des serveurs de mail, pour commencer.

Pour un Internet polisson !

Pour un Internet polisson !

Contre un Internet policé, choisissons l'Internet polisson ! C'est en gros le message de Pas sage en Seine, festival de ...

Dans mon monde idéal, les gouvernements se souviennent de leur rôle de prévision. Ils font d’Internet un service universel, en donnant aux intermédiaires une mission de service public en attendant qu’un plan fibre ambitieux permette à chacun d’organiser selon sa volonté sa connectivité, en devenant son propre FAI s’il le souhaite ou en déléguant à une association ou une entreprise, s’il le préfère. Sans filtrage, sans asymétrie des débits montants et descendants, sans services associés obligatoires.

À chacun de choisir s’il préfère un package où tout est géré par un tiers ou s’il veut être opérateur de son propre réseau tout en déléguant tel ou tel service. Un modèle comme celui-ci serait sans doute bien plus productif pour le redressement d’une économie tant locale que nationale que toutes les taxes Google du monde.

Il faudra sans doute se battre pour en arriver là, alors même que la bataille semblait gagnée d’avance. C’est dommage, mais Jefferson et La Fontaine le disaient déjà en leur temps:

Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre.

En laissant faire, après que les États ont senti le vent du boulet à ce point, je ne crois pas qu’on ait avant longtemps une nouvelle chance de garantir les libertés publiques si nous ne nous battons pas pour conserver celles que nous ont offertes de vieux soixante-huitards utopistes. Sinon nous aurons un réseau reterritorialisé, sous le contrôle de pouvoirs qui préfèrent la pérennité de leur main-mise au bonheur de leur peuple. Et parce qu’Internet n’est pas contrôlable par des démocraties, nous aurons des dictatures à la place.

Internet doit rester un truc de hippies.


Illustration par Alvaro Tapia Hidalgo (ccbyncnd)
Consulter sa présentation ici.
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Nos dossiers à consulter : Un internet pas si neutre et Hacker la société.

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Peur sur le Web http://owni.fr/2012/11/29/peur-sur-le-web/ http://owni.fr/2012/11/29/peur-sur-le-web/#comments Thu, 29 Nov 2012 12:13:59 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=126802

Axiome : si une société va mal, ce ne peut être la faute de ses dirigeants. C’est donc la faute d’un autre : “ces péchés ne sont pas les nôtres, entassons-les sur le dos de ce bouc et chassons-le, pour qu’avec lui ils disparaissent”. Magie !

La stratégie du bouc émissaire ne date pas d’hier et Moïse lui-même n’en fut pas l’initiateur : combien de jeunes vierges, sacrifiées pour apaiser la colère du volcan (qu’on croyait trop vieux), furent désignées à la vindicte du peuple par un chef de clan, pour se dédouaner de son manque de prévoyance ? Et combien de chats noirs écorchés, combien de jeunes femmes de Salem brulées, de prophètes crucifiés au nom du “c’est pas moi c’est l’autre” ? La facilité du procédé vient sans doute du fait qu’il est profondément inscrit dans nos gènes.

Nous avons évolué, bien sûr : nous avons, depuis, appris à industrialiser la technique.

Le juif, le tzigane… plus près de nous le rom ou le musulman : ce que nous ne comprenons pas nous fait toujours un peu peur. Et la peur est le moteur idéal de la haine, surtout lorsqu’elle est instillée par ceux qui savent, qui nous conseillent et qui nous dirigent. Et lorsque les choses vont mal et que la seule explication est trop complexe pour être facilement acceptée, quoi de mieux que les vieilles recettes ?

Et, donc, citoyens, tremblez, ayez peur.

Ayez peur de l’autre, de l’étranger, du compliqué et de la nouveauté. Ayez peur des rencontres, de la différence, de l’espoir et du risque. Ayez-en peur, et quand vous serez assez terrifiés, haïssez-les. Ca vaudra toujours mieux que si vous vous mettiez à haïr ceux qui sont vraiment responsables de vos malheurs : vous risqueriez alors de les renverser. Et ça, hein, ce serait vraiment terrifiant.

Le responsable, donc, ce n’est pas vous (ni vos élus) : c’est l’autre. C’est toujours l’autre.

La crise ? C’est de la faute des Grecs. Ou des immigrés. Ou d’autre chose : je ne sais pas, mais en tous cas ce n’est pas de la faute de la gestion du pays, de la dérégulation de la finance et du contrôle accru des peuples, du soutien aveugle à des industries dépassées au dépens de celles du futur. Ça ne se peut pas : ce serait remettre en question tous nos choix politiques des 50 dernières années.

Impossible.

Et, de plus en plus souvent, bien sûr, c’est de la faute à Internet.

Il faut dire qu’il l’a bien cherché.

Hormis quelques geeks anarchistes, barbus et mal habillés (qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?), qui comprend vraiment ce machin ? On l’utilise, oui : c’est pratique, et rapide, et plein de chatons mignons. Mais comment ça marche au juste ? Comment ça se fait qu’on ait payé pendant des années des factures de téléphone démesurées pour appeler nos voisins de palier ou réserver des billets de train et que, tout d’un coup, tout ça devient presque gratuit, à peine le prix de trois paquets de clopes par mois pour un usage illimité ? C’est pas naturel.

Ça cache forcément quelque chose.

Et puis, à part nous, c’est plein de gens qui l’utilisent ! On ne les connait pas ! On les côtoie, mais on ne sait pas qui c’est. Des anonymes ! Des pirates ! Des terroristes ! Des voleurs de pains au chocolat, même si ça se trouve ! Ça fait peur. Et en plus tous ces gens disent des choses avec lesquelles, des fois, on n’est pas d’accord : ça prouve qu’ils sont autres. Différents. Pas nous, donc dangereux. Forcément responsables.

On nous a dit “c’est l’avenir”. On nous a dit “c’est la liberté”. Mais c’est aussi la liberté des autres ! Et ça, vraiment, c’est insupportable.

Et puis, l’avenir de quoi, au juste ? De la presse ? Elle dépérit. De l’économie ? On licencie chez Peugeot. Du lien social ? Mais on nous dit à longueur de télé que ce n’est que du lien virtuel dépourvu de toute réalité.

En plus si on regarde bien, eh ben la crise elle a commencé en même temps que le Web : c’est bien la preuve que c’est de sa faute, mon bon monsieur (patron, remettez-moi un jaune bien de chez nous).

Le “non” au traité européen qui devait tous nous sauver ? C’est la faute à Internet. La crise du disque dont l’industrie a refusé toute évolution ? C’est de la faute à Internet. La crise de la presse du Figaro ? C’est de la faute à Google. La crise économique ? C’est de la faute à Amazoggapple qui défiscalise (alors que, c’est bien connu, jamais une entreprise bien française comme Total n’aurait fait un truc pareil). Internet est d’origine américaine, donc il n’existe que pour nous dominer et nous détruire. Dont acte.

Allons plus loin : après tout personne n’est responsable d’Internet.

Et, donc, il ne peut pas se défendre. On peut tout lui mettre sur le dos.

Le terrorisme ? C’est de la faute à Internet.

La pédophilie ? C’est de la faute à Internet.

La violence ? C’est de la faute à Internet (et aux jeux vidéo).

La disparition des artistes ? C’est de la faute aux pirates de l’Internet.

La crise de la presse ? N’allez pas croire que les unes racoleuses de l’Express en soient la cause, ou que nos journalistes ne sachent plus quel marronnier sortir du feu, non : c’est de la faute à Internet bien sûr.

Le règne de la rumeur ? C’est Internet qui a inventé la rumeur, c’est bien connu.

La fin de la vie privée ? N’allez pas penser au traçage de vos déplacements via votre carte Navigo, au nombre écrasant de caméras de vidéosurveillance, aux puces RFID dans vos achats, au passeport biométrique et à tous ces petits détails. Non : la fin de la vie privée, c’est de la faute à Internet et puis c’est tout.

La faim dans le monde ? C’est de la faute au 4e opérateur de téléphonie mobile (ah non pardon je pique le texte de notre ministre du redressement productif à nous qu’on a).

J’en oublie, nécessairement. Depuis quelque temps, tout et n’importe quoi est de la faute à Internet. Il est la cause de tout, il est responsable de tout, il est à l’origine de tout. Même le refus d’utiliser les millions de doses de vaccins contre la grippe H1N1 de Roselyne était de la faute à Internet (si si).

Et puis même moi j’en ajoute encore, quand j’attribue à Internet une (petite) part de responsabilité dans la genèse du printemps arabe, alors hein !

C’est entendu tous les malheurs de ce monde sont dûs à Internet.

Et s’il en fallait encore une preuve : devinez qui vient dans nos écoles pour sensibiliser les jeunes aux “dangers d’Internet” ? La police, bien sûr !

Et pas pour rassurer la (future) population, non : elle vient avec trois clips hyper anxiogènes (ici, et ), un discours de peur, d’usage excessif, et des conseils de filtrage et de limitation.

Il ne faudrait quand même pas que nos digital natifs prennent confiance en leur capacité à appréhender un monde que leurs ainés ne comprennent pas : on risquerait sinon qu’eux aussi, à l’instar des jeunes arabes, en usent plus tard pour renverser des gouvernements éclairés. Houla.

Ne croyez pas qu’on enverra aussi des entrepreneurs du Web, ou des activistes des libertés numériques, pour contrebalancer le message et leur donner envie d’entreprendre, d’oser la liberté ou de risquer la rencontre : ce serait trop difficile pour nos jeunes cervelles. Un bon discours de peur ne se satisfait pas de trop de complexité. Restons simples.

Rencontrer d’autres opinions ? Trop dangereux. Laissons faire Finkielkraut et Wolton : s’ils passent à la télé c’est qu’ils sont plus intelligents que nous, et s’ils nous disent qu’Internet c’est le mal, qui sommes-nous pour les contredire ? Une opinion unique pour un pays, c’est bien suffisant.

Découvrir d’autres cultures ? Vous n’y pensez pas !

Imaginons qu’on s’aperçoive qu’elles ne sont pas si différentes, ni incompréhensibles, sur qui pourrions-nous projeter nos peurs alors ?

Internet ça change la vie

Internet ça change la vie

"Révolution numérique". C'est l'expression consacrée des verbiages politiciens, mais concrètement ça veut dire quoi ? ...

Créer de nouveaux modes d’expression, de nouveaux usages, une économie moins pyramidale, l’affichage insouciant de nos vies quotidiennes ? Et puis quoi encore ? Si leurs parents se sont satisfaits de l’ancien monde, nos enfants ne méritent pas d’inventer le leur.

Et puis la peur pourrait disparaître, les vraies responsabilités apparaître, et là, là, je ne sais pas, je ne sais plus. Il vaut mieux, restons prudents, souscrire à l’assurance d’AXA “contre les dangers d’Internet“. Ça au moins, c’est du solide.

Vous pensez que tout ce qui précède est une caricature ? Mais pourtant, non, vraiment pas. Je n’ai rien inventé, et le nombre inhabituel — pour moi — de liens dans ce billet est là pour le prouver.

J’ai toujours vécu Internet comme un désir. Désir de liberté, désir d’autogestion, d’amitié et de culture partagées. Désir de rencontrer l’autre, de confronter mes opinions, d’apprendre et de découvrir. Je n’ai jamais, ou si peu depuis presque 20 années d’usage du réseau, croisé de haine ou de danger. Je ne nie pas qu’ils existent, mais j’affirme qu’ils sont si minoritaires que j’ai — depuis longtemps — remis en question l’idée reçue (à l’école bien sûr) que l’homme est un loup pour l’homme.

Je me suis trompé. Que je suis naïf.


Illustration par Alvaro Tapia Hidalgo (CC-by-nc-nd)

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La presse entre révolution et vacuité http://owni.fr/2012/11/12/la-presse-entre-revolution-et-vacuite/ http://owni.fr/2012/11/12/la-presse-entre-revolution-et-vacuite/#comments Mon, 12 Nov 2012 16:14:58 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=125760

Il n’est jamais facile de traiter d’un sujet comme la Presse, ni même de son évolution vers le numérique, quand on ne fait pas partie du sérail : un simple mot de travers, et c’est toute une profession (dont la parole publique est le métier) qui peut faire bloc contre le novice qui s’y risquerait.

Aussi dois-je, je crois, afficher ici quelque affidavit avant d’oser aborder le thème de ma chronique. Donc : je suis actionnaire de Politis (et de Médiapart dans une moindre mesure), j’ai – dans le passé – lancé l’aventure de Transfert.net avec Valentin Lacambre, j’ai tenu une chronique pour Planète Internet et je suis l’hébergeur du site du Monde diplomatique depuis 1998. Ah, et mon tout premier programme a été publié dans Hebdogiciel n°3, ça compte ? Voilà. Bon. Je ne sais pas si ça me donne le droit de parler, mais au moins vous savez d’où je parle.

Bref. C’est une litote de dire que la Presse fait face à une révolution. Plus que toute autre profession, celle du journaliste subit – face à Internet – une concurrence totale. Lui qui disposait, dans le passé, d’un quasi-monopole de la parole publique affronte désormais la possibilité, pour chacun, d’en disposer. Le live-tweet fait pièce au direct dans l’actualité, Instagram transforme tout le monde en photojournaliste, l’éditorialisation est le quotidien de tous ceux qui paufinent leur personal branding et tout utilisateur d’Internet apprend très vite à apposer son propre filtre éditorial sur ses lectures (ne serait-ce qu’en choisissant sa timeline Twitter, ses amis sur Facebook, ou en sachant interroger Google), à croiser ses sources d’information et, même, à enquêter lui-même. Une actualité vous semble mal traitée ? Allez donc interviewer vous-même ses protagonistes – ils sont, comme vous, sur Facebook et Twitter – et publiez.

La mort de l’amateurisme

On peut, bien sûr, considérer que l’amateurisme du simple particulier ne pèse guère face à une vraie carte de presse, mais ce serait faire peu de cas du niveau stupéfiant de bien des blogueurs : on se tromperait à confondre la qualité d’un texte avec celle de son auteur. L’apprentissage du style, de la phrase-choc et de la titraille, sont des quasi-obligations pour qui veut avoir plus d’une dizaine de followers sur Twitter. Et on se tromperait aussi à ne considérer que le rapport de force actuel, sans voir à quelle vitesse la concurrence forcenée pour sortir de la masse conduit à une qualité de plus en plus grande de la production “amateur”.

La définition même du mot “journaliste” pourrait s’appliquer sans rien y changer au blogueur (ou au simple chroniqueur que je suis). Quoi d’étonnant, alors, si disposant d’un certain talent et d’un média ouvert, beaucoup s’imaginent pouvoir faire carrière dans cette filière pourtant sinistrée et créer des “pure players” ? J’ai peur qu’ils ne se trompent, hélas.

Les algorithmes prédictifs sont-ils un risque pour notre libre-arbitre?

Les algorithmes prédictifs sont-ils un risque pour notre libre-arbitre?

L’informavore caractérise l’organisme qui consomme de l’information pour vivre, explique Frank Schirrmacher, ...

Car là où le titre de presse centralisait l’information, fédérait sur son titre, son engagement et ses choix éditoriaux, Internet joue son rôle décentralisateur à plein. On va de moins en moins lire un article parce qu’il est paru dans tel ou tel journal auquel on s’identifie, mais parce que son thème nous intéresse. On picore, ici ou là, en fonction de l’actualité choisie par nous plutôt qu’en fonction des choix du jour d’une conf’ de rédac matinale. Même les marques, plutôt que de risquer de cotoyer leurs concurrents dans les pages glacées d’un magazine (ou un gros-titre vulgaire en première page), jouent la carte de la désintermédiation en créant leur propre média ou en se payant des blogueurs influents.

Que reste-t-il à nos journaux, alors ? Pas grand chose. L’argumentaire classique, ici, parlerait d’infobésité et du besoin de plus en plus important de disposer d’experts pour faire un tri parmi les sources d’information. Mais c’est là un discours de journaliste désespéré qui tente de se rassurer, et je ne suis pas journaliste (ni désespéré).

L’avènement du “robot-journaliste”

Par définition, l’informatique est l’art (ou la science ?) de traiter des grandes quantités de données pour en tirer du sens. Là où un humain, fut-il le meilleur journaliste du monde, ne peut qu’effleurer la couche superficielle de l’énorme masse d’informations disponible sur un sujet donné, un logiciel pourra, lui, plonger dedans et s’en repaître. Le datajournalisme est encore, pour le moment, entre les mains des auteurs et des graphistes, mais le logiciel évolue beaucoup plus vite que l’humain. Sa mémoire et sa capacité de traitement sont quasi-illimitées et augmentent chaque jour. Je ne donne que quelques années aux hommes avant d’être totalement dépassés par le logiciel, dans ce domaine. Et le robot-journalisme remplacera le journalisme dans bien des domaines longtemps avant que Laurent Joffrin ne comprenne ce qui lui arrive.

Alors, quoi ? La presse d’opinion ? N’importe quel billet de blog me semble plus intelligent et mieux écrit qu’un édito de Lolo de l’Obs. Le reportage de guerre ? Je préfère les tweets des gens qui vivent sur place aux reportages des envoyés spéciaux enfermés dans leurs hôtels ou “embedded” dans une troupe qui veut surtout les désinformer. L’enquête financière ? Des robots écrivent déjà pour Forbes et – là plus qu’ailleurs – le logiciel sera roi. La presse régionale ? Monputeaux.com a montré la voie de l’information citoyenne au niveau local. Le portrait ? Il est déjà sur Wikipédia. La chronique judiciaire ? Maitre Eolas a plus de lecteurs que bien des journaux. Le people ? Les paparazzi modernes sont des passants équipés d’un smartphone. Le dessin du jour ? La recette de cuisine ? Le fait divers ? La veille juridique ? Le scoop ? Je les ai tous les matins dans ma timeline.

Pendant que les dinosaures des rotatives s’interrogent sur la façon de réamorcer la pompe à finance, la finance, elle, a très bien compris où se situaient les nouveaux accès à l’information. Quoi d’étonnant si Google raffle la mise, puisque c’est Google qui est devenu le meilleur médiateur entre le public et l’actualité, à l’instar des journaux du passé ?

Un journaliste ne crée pas l’actualité

Il serait temps, en effet, de battre en brèche l’idée défendue par les tenants de la Lex Google : non, les journalistes n’ont jamais créé l’actualité. Ils n’en étaient que les porteurs, non les acteurs. Ils la racontaient, en lieu et place des personnages principaux, mais ne la faisaient pas. Ils se comportaient comme Google, en somme, sans jamais payer de taxe (tiens donc) ni aux acteurs de l’histoire qu’ils nous contaient, ni aux témoins dont ils rapportaient les propos. Ils ne produisaient que des mots, et ces mots là, aujourd’hui, sont en concurrence directe avec nos mots à nous, tous, simples citoyens.

“Nous ne voulons pas payer pour un contenu que nous n’hébergeons pas”

“Nous ne voulons pas payer pour un contenu que nous n’hébergeons pas”

Le patron de Google persiste et signe. Eric Schmidt a réaffirmé au New York Times que sa firme ne paierait pas ...

Et, oui, Internet – là comme ailleurs – tend à faire disparaître le besoin des intermédiaires. Tout comme on achète désormais sa copie d’iPhone directement au grossiste chinois, on s’informe directement à la source, et ce ne sont pas les journaux qui ont publié la première phrase du nouveau président américain mais Obama lui-même qui l’a twittée. Et les derniers médiateurs du monde seront soit le moteur de recherche, soit le réseau social. À eux l’argent, ce n’est que justice.

Que la presse, face à la crise systémique à laquelle elle fait face, cherche à réduire ses coûts en passant au tout numérique, quel qu’en soit le modèle économique, c’est bien normal : à l’heure du mail, de l’ebook, du smartphone et des tablettes, il faudrait être un peu fou pour continuer à dépenser de l’argent dans une imprimerie, du routage, des marges versées au kiosquier et des frais de retour et de pilon. Et je préfère voir la filière de la distribution de papier s’effondrer plutôt que de voir les effectifs des rédactions fondre.

Mais, ce faisant, elle ne fait qu’accentuer encore son exposition à la concurrence directe de la liberté d’expression de tous. Et c’est inévitable.

La messe est dite

À lire tout ce qui précède, on pourrait croire que je me réjouis du simple constat que je fais. Loin s’en faut (et pas seulement parce que je tiens à mes petits investissements).

Parce que, oui, bien sûr, il est bon de pouvoir disposer du témoignage direct du président à peine élu (ou de son équipe de campagne). Il est bon de pouvoir multiplier ses sources d’information et d’apprendre à discriminer les bonnes données des mauvaises sans avoir forcément besoin de faire confiance à un tiers. Il est bon de pouvoir publier ses opinions et de développer ses aptitudes au débat public et même de vivre de sa plume, si la chance nous sourit. Tout cela est excellent.

Mais quel citoyen, quel pure player désargenté, publiera demain le nouveau scandale du Watergate ? Qui osera affronter les pouvoirs en place, puissants et riches, face aux menaces de procès et aux tribunaux ? Vous ? Moi ? Et vos sources, qui les protègera de l’enquête d’une quelconque Hadopi même pas mandatée par un juge ? Que deviendra l’équilibre d’une démocratie sans le contre-pouvoir d’une presse puissante – sinon riche ? Serez-vous plus optimiste que moi en imaginant que la seule pression citoyenne, que le seul pseudonymat ou quelque autre Wikileaks y suffira, quand le journalisme sera devenu un métier disparu ?

Et si, plutôt que de s’abaisser toujours davantage dans l’acrimonie et la bêtise, nos chers vieux médias essayaient plutôt de démontrer – à l’instar, oui, d’un Médiapart qui enquête sur les petites affaires privées de nos ministres en place – leur utilité ? Et si l’avenir – y compris financier – de la Presse passait bien davantage par la reconquête d’une légitimité depuis longtemps noyée dans la compromission et la recherche effrénée de subsides d’argent public que par la tentation facile d’aller chercher toujours plus d’argent dans les poches des tiers pour payer des contenus toujours plus faciles et démagogiques ?

Et si le futur du journalisme était à rechercher du côté des journalistes ?


Illustration par Soosay [CC-by]

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Internet ça change la vie http://owni.fr/2012/11/07/internet-ca-change-la-vie/ http://owni.fr/2012/11/07/internet-ca-change-la-vie/#comments Wed, 07 Nov 2012 16:08:50 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=125253

Un des problèmes majeurs qu’on rencontre, quand on essaie de comprendre l’impact d’Internet dans nos sociétés, c’est de prendre le recul nécessaire : il est si difficile d’imaginer notre vie sans lui qu’on n’arrive pas à voir ce qu’il change. Il nous manque la possibilité de comparer notre monde à un monde sans réseau informatique global pour appréhender vraiment tout ce qu’il a changé et tout ce qu’il changera.

Il est plus facile – du coup – de tenter l’exercice de l’allégorie.

Il était une fois

Imaginons quelque chose de vraiment très improbable : les Mayas se sont plantés et la fin du monde n’est pas pour dans un mois.

Imaginons que, du coup, notre technologie continue d’évoluer et que d’ici une dizaine d’années un groupe de hackers invente dans son coin une imprimante 3D capable de reproduire à peu près n’importe quoi, au niveau moléculaire. Tant qu’à faire d’imaginer l’improbable, pourquoi pas ça ?

Son coût initial est très élevé, mais – dès sa conception – il tend vers zéro du simple fait de son existence : elle peut se reproduire elle-même à l’infini à partir de matériaux de base à très faible coût.

Au tout début, les fichiers sont rares. Le réplicateur ne sait reproduire que quelques rares objets : des yoyos, des chaussures de sport (sans les lacets) et des claviers d’ordinateur. Les informaticiens qui s’amusent avec les premiers modèles produisent des claviers de toutes sortes et des chaussures qui donnent l’heure. Et ils jouent au yoyo. Mais très vite sur Internet apparaissent des projets d’écriture de fichiers permettant la reproduction d’objets de plus en plus complexes et on voit bientôt arriver des stylos-plume, un succédané de viande, des batteries et des télécommandes de télé. Un type affirme pouvoir reproduire des chatons vivants. Personne ne le croit vraiment, mais le buzz “création de la vie” pousse le grand public à s’équiper.

Une nouvelle économie

Dix ans plus tard, le réplicateur est devenu un équipement standard présent chez tout-un-chacun. La qualité des objets produits n’est pas toujours au rendez-vous, mais leur coût est si bas que leur durée de vie importe peu et, quand un objet se casse, le réplicateur peut réutiliser ses matériaux pour en fabriquer un neuf en quelques minutes.

Quelques grandes entreprises vendent encore des fichiers chiffrés qui ne fonctionnent que sur les appareils de leur marque et permettent de créer des pièces de très bonne qualité, mais quelles que soient les protections mises en place, des copies apparaissent toujours en quelques mois sur les réseaux pirates.

Peu à peu, une nouvelle économie se met en place.

Plutôt que des produits finis, le public n’achète plus que les matériaux bruts les plus rares (ceux que leur machine ne peut extraire en assez grande quantité des déchets dont on la nourrit). Presque toutes les industries du passé souffrent et déclinent, en dehors de celles qui ont su assez tôt se reconvertir en apportant de réels services (livraison à domicile dans l’heure, nouveaux designs innovants, prix tenant compte de la quasi-disparition des coûts de production…).

Face au changement inéluctable, la réaction a tardé à se mettre en place. Les puissants, n’ayant eu aucun besoin d’utiliser la nouvelle technologie pour se payer ce qu’ils voulaient, n’ont pas compris très vite ses implications et ont du mal à accepter de voir partout autour d’eux des romanichels équipés de montres plus chères – théoriquement – que les leurs. Ils se rebellent face à ce manque de savoir-vivre évident. Ayant l’écoute des pouvoirs en place, ils demandent (et obtiennent) le vote d’une loi interdisant de se nourrir de reproduction numérique de caviar, mais Le peuple n’en tient pas compte et – après avoir beaucoup ri – continue de manger ce qu’il peut fabriquer gratuitement.

Un monde nouveau

Arrêtons là notre petite science-fiction, je vous laisse imaginer la suite de la longue liste des changements économiques et sociaux qu’une telle invention impliquerait.

Un nouveau monde est né. Un réplicateur ne serait – dans le monde analogique – rien de moins que ce qu’est Internet dans monde numérique : une machine à copier n’importe quoi pour un coût qui tend vers zéro.

Les nouvelles puissances de ce monde ne sont pas celles qui héritent du pouvoir de leur parents, mais celles qui ont assez d’imagination pour deviner les usages et les besoins de demain. Le savoir n’est plus réservé aux élites capables de se payer les écoles les plus chères : il est accessible à tous, partout, en permanence. Il suffit de savoir utiliser un moteur de recherche et d’avoir un peu de temps pour apprendre presque n’importe quoi (j’ai réparé moi-même ma chaudière la semaine dernière : un acte qui ne me serait même pas venu à l’esprit il y a 10 ans à peine).

Petit à petit, ce savoir va inonder nos sociétés, en commençant – quoi qu’on pense d’eux – par ceux qui sont nés dans ce nouveau monde et qui ne pourront jamais imaginer qu’on ait pu un jour vivre dans un monde sans Wikipedia. Tout va changer (oui lecteur de mon âge : beaucoup plus encore que ce que tu crois pouvoir imaginer). Le savoir est le moteur de notre espèce, et nous venons de passer directement de la rame au réacteur.

Déclencheur

“L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden”

“L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden”

Les révoltes arabes ont consacré le rôle des réseaux sociaux, admis par certains, contestés par d'autres. Dans son ...

On parle beaucoup, par exemple, de l’utilisation des réseaux sociaux dans les révolutions arabes. Mais, même si je n’ai aucune preuve de ce que j’avance, je prétends qu’Internet a eu non seulement un rôle d’accompagnateur de la colère des peuples, mais aussi et surtout de déclencheur de cette colère (je ne dis pas que ce fut le seul, bien sûr). Comment imaginer que toute une génération, qui a eu toute sa vie sous les yeux – via Internet – l’opulence des pays occidentaux, puisse accepter la misère comme seul horizon en arrivant à l’âge adulte ? Surtout si elle a – en plus – les moyens de s’organiser en dehors du contrôle du pouvoir…

Qu’ils continuent donc, nos chers politiciens formés dans les grandes écoles du passé, à n’écouter que leurs amis arc-boutés sur des modèles dépassés. Qu’ils continuent donc à vouloir limiter l’accès libre à la culture, à tenter de préserver des industries moribondes, à limiter les libertés pour garantir encore et toujours des revenus indécents aux élites qui ont leur oreille. Qu’ils continuent donc, et ils verront que les jeunes arabes ne sont pas les seuls à être révoltés par les méthodes des puissants pour conserver le pouvoir. Ni à savoir s’organiser.

Aujourd’hui déjà, tous les jours, on peut voir des géants industriels plier devant la colère de leurs clients, quand les réseaux sociaux s’emparent de tel ou tel scandale avéré. Nos gouvernants, pendant ce temps, préfèrent plier devant quelques centaines de “pigeons” riches et puissants.

Aujourd’hui déjà, chacun peut anticiper la fin des industries culturelles dont les modèles étaient basés sur l’économie de la rareté (de l’offre, des ondes hertziennes, de l’espace physique des rayons de la FNAC…). Nos gouvernants, pendant ce temps, préfèrent imaginer comment financer les jouets éditoriaux de leurs amis médiatiques, comment garantir les rentes de quelques-uns au prix des libertés de tous les autres.

Oublions-les.

On achève bien les dinosaures

On achève bien les dinosaures

Copinage, incompréhension, contre-sens. Nos représentants politiques sont les seuls à croire encore que le Web est ...

Qu’ils persistent encore et on verra alors – la crise aidant – que l’exemple tunisien peut très bien s’exporter aussi en Occident.

Oublions-les. Ils ne vivent pas dans le même monde que nous.

Qu’ils se retranchent donc derrière leurs miradors, qu’ils persistent à ne pas voir la façon dont le monde a été transformé par le seul fait qu’Internet existe, tout comme il sera transformé quand apparaîtra le réplicateur.

Ce n’est pas leur monde, c’est le nôtre. Nos Ben Ali locaux, enfermés dans leurs villas luxueuses et traversant le vrai monde dans leurs berlines aux vitres fumées, ne veulent pas, ne peuvent pas voir la réalité qui les entoure.

Tant pis pour eux. Ignorons-les. Il n’est même pas besoin de les renverser : il suffit de les laisser vivre entre eux dans leur loft videosurveillé pendant que nous inventerons l’avenir ailleurs. Qu’ils votent leurs HADOPI : nous créerons d’autres cultures que celles qu’ils protègent, et d’autres moyens de la partager. Qu’ils fassent disparaître les journaux de leurs amis des moteurs de recherche : nous irons nous informer dans les blogs, les timelines, les reportages diffusés par nos semblables. Qu’ils imposent donc des limites à Internet tel qu’il est : nous saurons le transformer en réseau full-mesh résolument incontrôlable.

Leurs analyses, leur savoir-faire ? On voit ce qu’ils valent quand le rapport tant attendu pour redresser notre économie ignore superbement tout ce qui touche aux nouvelles technologies et n’utilise sur 11 pages qu’une seule fois le mot “Internet”.

Ils ne servent à rien. Laissons-les manger leur caviar entre eux et passons à la suite de l’histoire sans eux.

Les nouvelles structures se mettent en place, tranquillement, en dehors des modèles anciens. AMAPs, SELs, logiciels et cultures libres, jardins partagés… l’économie solidaire est en plein développement, hors des sentiers battus du capitalisme centralisateur.

Et s’il manque encore, pour bien faire, un moyen d’assurer le gite et le couvert, pour tous en dehors de l’ancien monde, je ne peux qu’espérer, vite, la création du réplicateur.


Les plus anciens (j’ai failli écrire “vieux”) d’entre vous trouveront sans doute quelques similitudes entre ce billet et un précédent tout aussi vieux qu’eux (houlala, 13 ans déjà). C’est normal : considérez ceci comme une mise à jour.


Illustrations de l’internet par Ssoosay (CC)

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On achève bien les dinosaures http://owni.fr/2012/10/25/on-acheve-bien-les-dinosaures/ http://owni.fr/2012/10/25/on-acheve-bien-les-dinosaures/#comments Thu, 25 Oct 2012 16:04:07 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=124147

Longtemps, j’ai mis sur le compte de l’incompréhension – donc de la peur – l’étrange tendance qu’ont les professionnels de la politique à intervenir en permanence pour tenter de “réguler”, “légiférer”, “contrôler” les nouvelles technologies de l’information.

De mon point de vue de simple programmeur informatique, vouloir à toutes forces modifier un logiciel parfaitement fonctionnel est incompréhensible: si la règle “If it ain’t broke, don’t fix it” était à l’origine politique, elle a été largement reprise depuis par la communauté des informaticiens flemmards dont je me réclame. C’est donc tout naturellement que je pensais naïvement qu’une telle volonté de vouloir “corriger” le comportement d’un écosystème tout à fait viable ne pouvait venir que d’une totale incompréhension de son fonctionnement.

Comme toujours, j’avais tort.

L’excellent Stéphane Bortzmeyer l’a rappelé cette année lors du non moins excellent “Pas sage en Seine” : qu’ils le comprennent ou non, on s’en fout. Ils ne savent que rarement comment ça marche, et pourquoi, mais ils savent que l’effet produit sur la société n’est pas en adéquation avec leur projet politique, et donc ils agissent de manière à limiter ou à faire disparaître cet
effet. Un point c’est tout.

De leur point de vue, le “logiciel” Internet est un virus qui modifie l’état d’une société dont ils pensent être responsables, et – de gauche comme de droite – ils se prennent pour l’antivirus qui va éradiquer le méchant.

Le réseau permet au simple citoyen – pour la première fois dans l’Histoire – d’exercer son droit à la liberté d’expression “sans considérations de frontières” ? On multipliera alors les déclarations à l’emporte-pièce : il est important de convaincre madame Michu qu’Internet, c’est le mal, pour que la censure puisse s’installer un jour avec sa bénédiction. La preuve, c’est que des pédophiles l’ont utilisé pour regarder des photos, si si, alors on vote LOPPSI2 qui permettra de filtrer tout ce qu’on veut. Na.

Internet permet à d’autres qu’au seul personnel politique d’avoir en temps réel les sondages “sortie des urnes” des élections ? Surtout ne changeons rien à la loi et rappelons ce que risquent nos médias nationaux si jamais ils osent publier ce qu’on trouvera si facilement au-delà de nos frontières. Si ça ne suffit pas, on envahira la Suisse et la Belgique. Na.

L’abondance des sources d’information rend à peu près caduque la mission de “garantir la liberté de communication audiovisuelle en France” du CSA ? Qu’à celà ne tienne : on étudiera sa fusion avec l’ARCEP, au mépris du principe de neutralité des opérateurs consacrée par le 5e alinéa de l’article L31-1 du Code des Postes et Communications. Qui contrôlerait ce qu’on peut dire en public dans ce pays, sinon ?

Twitter et les réseaux sociaux ont facilité les révolutions du printemps arabe ? Fabuleux ! Vite, demandons-lui de mettre en place des méthodes de censure géolocalisée pour que nous puissions interdire la diffusion de ce que nos lois interdisent (et tant pis si demain ces outils permettront à des dictatures de garder la main-mise sur leur population). Na.

Bref. Là comme ailleurs, je pourrais continuer longtemps à dénoncer les idioties passées et à venir. Et surtout à rappeler encore et toujours le clientélisme qui semble inscrit dans les gènes de nos représentants :

“Allô François ? C’est Laurent. Dis, y a une petite boite américaine, là, Gogole, qui fait rien qu’à m’embêter à vouloir me piquer ma publicité à moi que j’ai et qui me donne envie de dire du bien de ton boulot ! Faut faire quelque chose.”
“Ok, je vais créer une taxe sur les liens !”
“Allô Aurélie ? C’est Pascal. Dis, y a des tarés libertaires qui croient qu’ils peuvent échanger ma Culture à moi que j’ai – sans payer la gabelle qui rend heureuses les célébrités qui te soutiennent. Faut faire quelque chose.”
“D’accord, je vais élargir la taxe sur les fournisseurs d’accès pour financer ton business !”

ALLO UI C INTERNET ET VOUS N’Y POUVEZ RIEN C LA MONDIALISATION.

Et oui, messieurs mesdames : la disparition des frontières c’est bon (mangez-en) pour les riches et les puissants, mais seulement si le libre-échange ne concerne qu’eux. Quand le simple citoyen s’y met aussi, alors là, rien ne va plus. Imaginez qu’en plus ils expatrient leurs données, qu’ils utilisent des VPN pour se délocaliser là où la législation permet l’activité prohibée ici-bas, voire même, horreur, malheur, qu’ils ne soient pas commerçants mais simplement partageurs !

Ces choses là ne se font pas, monsieur. Ces choses là sont réservées à nos élites, pas au bas peuple. Quand trop de monde “optimise” sa fiscalité en achetant ses DVD là où la taxe sur la copie privée est moins délirante, quand trop de monde préfère choisir le prix le moins cher pour ses achats, “sans considérations de frontière” et sans passer par les baronnies féodales de la nation, voire même – comme dans le ridicule exemple de Coursera – quand chacun peut choisir où et quoi étudier, alors là monsieur, alors là où va-t-on ?

Internet a tendance à faire disparaître les intermédiaires, dans tous les domaines. Dans l’entreprise, le mail a remplacé la chaîne hiérarchique et chacun peut s’adresser à n’importe qui. Dans le commerce, le grossiste chinois a sa propre boutique en ligne accessible à tous. Dans la Culture, l’artiste peut diffuser directement ses oeuvres à son public. Certains l’ont bien compris et ont construit un modèle économique pour en tenir compte (Google n’est finalement qu’un énorme filtre éditorial qui permet au simple citoyen de faire le tri dans une information et une culture d’abondance). D’autres le refusent, arc-boutés sur des modèles qui les privilégiaient. Rien de plus normal.

Ce qui l’est moins (normal), c’est quand ce refus d’accorder aux autres les privilèges dont on était l’unique dépositaire atteint les combles du ridicule dans lesquels baigne le législateur depuis quelques années.

Nos grands groupes industriels du numérique sont dépassés par encore plus gros et peinent à exister face aux Apple et Amazon ? Finançons un “Cloud souverain” à partir du grand emprunt ! Et tant pis si ça concurrence quelques jeunes pousses locales, mieux adaptées au nouveau monde : ce qui compte c’est d’agréer nos vieux amis.

Nos ayants droit ne gagnent plus autant qu’avant, noyés qu’ils sont dans l’évolution des formats et de la distribution des oeuvres ? Qu’à celà ne tienne : créons une “taxe copie privée” (la plus élevée d’Europe) pour les dédommager de leur propre turpitude. Et tant pis si nos petits distributeurs locaux font faillite face à la concurrence des vendeurs de support étrangers, et tant pis si cette taxe est déclarée illégale par Bruxelles. On s’arrangera : ce qui compte c’est de protéger les représentants bien nourris de nos artistes connus (et n’oublions pas que 25% de cette taxe arrose les différents festivals de nos amis élus locaux, ça compte les amis – au fait, ça s’appelle comment quand de l’argent privé permet d’acheter des passe-droit auprès de structure publiques ?).

Lex Google pour les nuls

Lex Google pour les nuls

Si les éditeurs de presse français n'ont pas encore déclaré officiellement la guerre à Google, le manège y ressemble. ...

Nos patrons de Presse sont incapables de trouver un modèle économique cohérent sur le Web ? Eh bien taxons le Web pour les aider ! Si Google indexe leurs sites il doit les payer. S’il ne les indexe pas alors c’est qu’il les censure. Dans tous les cas il doit payer. Pourquoi ? Parce que Google rend service à la Presse mais qu’il en retire de l’argent : c’est scandaleux. Personne ne gagne d’argent dans la Presse dans ce pays, un point c’est tout. Et tant pis si la Presse française finit par ne plus être indexée et si elle disparaît du paysage numérique. Ce qui compte c’est de montrer à nos amis éditorialistes influents qu’on les aime.

La liste est si longue des incohérences, taxes, législations spécifiques, au cas par cas, en fonction des besoins, des amitiés, de la puissance de tel ou tel lobby que je pourrais continuer comme ça sur des pages et des pages. Et chaque nouvelle législature recommence, encore et encore, à chercher un angle pour rétablir des frontières à jamais disparues. Mais uniquement sur Internet, les frontières, hein ? Pas sur nos routes, là ce serait nuisible au commerce mondialisé qui a rendu tant de services à nos grands groupes délocalisateurs fiscalement optimisés.

Comme si Internet n’était pas le vrai monde, comme si le vrai monde n’était pas Internet. Nos représentants politiques sont les seuls à croire encore que le Web est virtuel, que la loi commune ne s’y applique pas, qu’il y faut une législation spéciale, des frontières archaiques et une surveillance particulière.

N’importe quoi.

La loi doit être la même pour tous. Les taxes doivent être cohérentes pour être acceptables. Imposer une TVA plus élevée sur la Presse en ligne que sur la Presse papier, par exemple, ne repose sur aucune justification. Punir davantage un pédophile parce qu’il mate des gamins sur Internet plutôt que dans un square est surréaliste (et pourtant c’est le cas: CP227-23). Bannir l’antisémitisme de Twitter mais le laisser s’étaler dans la rue est affligeant. Et en ce qui concerne nos finances, ce n’est pas mieux : OVH prouve que le cloud souverain n’est pas forcément un cloud financé par l’Etat quand il refuse le dictat d’Apple d’obéir aux lois américaines. Inutile donc de favoriser la concurrence dans ce marché déjà ultra-concurrentiel : c’est simplement contre-productif à l’époque du redressement productif.

La période est à la recherche de compétitivité dans un marché mondialisé, mais dès qu’Internet est impliqué on fait tout à l’envers. On finance des baudruches en ignorant nos réussites, on protège des modèles économiques dépassés au prix des libertés publiques, on cherche à dresser des lignes Maginot numériques tout en nous expliquant que dans le “vrai monde” on ne peut pratiquement rien faire pour Gandrange, PSA, Florange et Sanofi, et on se tire des balles fiscales dans le pied de la croissance des nouvelles technologies.

On fait n’importe quoi. On joue à contre-temps. Le libéralisme a sans doute permis une croissance sans précédent dans le commerce des biens physiques, mais la crise économique montre qu’il y a atteint ses limites. Et plutôt que d’en revenir, là où ce serait nécessaire, on voudrait le bannir là où il démontre son utilité ? Ces choix politiques sont dépassés, dépourvus de toute cohérence, sans vision d’avenir, sans autre projet que celui de favoriser ses amis. Tout le démontre.

Pitié, pitié, achevez ces dinosaures délirants. Depuis la chute de la comète Internet, ils souffrent trop.


Photo par Matt Carman [CC-byncsnd] modifié par Ophelia Noor avec son aimable autorisation.

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Une culture, mais à titre exceptionnel http://owni.fr/2012/10/15/une-culture-mais-a-titre-exceptionnel/ http://owni.fr/2012/10/15/une-culture-mais-a-titre-exceptionnel/#comments Mon, 15 Oct 2012 12:45:54 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=122654 Exception Culturelle il sort son pistolet. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Laurent Chemla n'a pas la plume dans sa poche et qu'il a des propositions plutôt radicales pour illuminer l'avenir.]]>

Art by Banksy

Il y a des idées, comme ça, qui deviennent des dogmes sans qu’on sache très bien pourquoi. A force de les entendre répéter comme des évidences, plus personne n’a même l’idée de les remettre en question.

Il en va ainsi de notre très chère Exception Culturelle.

Mise en place dès après la seconde guerre mondiale, dans un autre temps – presque un autre monde – pour garantir la survie de la culture nationale face à la menace du méchant impérialisme américain, cette restriction au principe intangible de la concurence-libre-et-non-faussée perdure dans un espace devenu mondialisé, dans un cadre de moins en moins national mais de plus en plus européen, au seul profit d’une industrie qui – elle – a très bien su devenir multinationale.

Notre industrie culturelle y a gagné. Notre culture, quant à elle, a gentiment été glissée sous le tapis. Est-il permis de douter de l’intérêt de déverser des tombereaux d’argent public dans les poches profondes de nos ayants droit expatriés sans passer illico pour un ultra-libéral qui souhaite la mort du pauvre chansonnier bien de chez nous ?

Osons. Ces jours-ci on mange de l’exception culturelle à toutes les sauces.

Open Data

L’ouverture des données publiques culturelles existe à peu près partout. Ma mémoire de vieux con me fait souvenir qu’un des tout premiers sites web fut celui de la bibliothèque du Congrès américain. A l’époque en France c’était un étudiant qui proposait des images de tableaux du Louvre numérisés, mais pour des raisons juridiques il avait dû changer le nom de son site. Déjà aux origines du réseau on pouvait voir à l’oeuvre notre volonté de mieux diffuser notre culture. Et aujourd’hui ?

L’université de Yale a récemment placé 250 000 images issues de sa collection privée dans le domaine public. La vieille bibliothèque du Congrès a mis en ligne un “jukebox” de plus de 10 000 enregistrements audio réalisés entre 1901 et 1925 (avec l’accord de Sony Music). L’Europe a suivi avec Europeana en rendant libres toutes les métadonnées qu’elle publie.

Et en France ?

En France, la ministre de la Culture vient de répondre à la question que les données publiques culturelles sont exclues de la politique de l’Open Data, au nom de leur potentiel économique. Et de l’exception culturelle. Diversité culturelle ? Meilleure diffusion de la culture nationale ? No way les gars: il y a du fric en jeu, contentez-vous de la culture américaine.

Fiscalité

Nos grandes fortunes nationales sont expertes au jeu de la niche fiscale, et quoi de mieux que de placer son argent dans l’art, puisque celui-ci ne semble jamais connaître la crise ? Cherchant à équilibrer ses finances, la nouvelle assemblée a voulu que l’impôt sur la fortune soit élargi au patrimoine artistique. Pas celui dont tu disposes, ami lecteur : il n’était question de ne tenir compte que des oeuvres estimées à plus de 5 000 euros.

Que nenni ! Malgré un amendement portant la limite à 50 000 euros, c’est le gouvernement qui s’y oppose. Et pourquoi ? Et notre ministre de répondre: “au nom de l’exception culturelle”, bien sûr. Imaginez que nos oeuvres nationales fuient à l’étranger pour échapper à l’impôt, ce serait risquer une bien trop large diffusion de notre culture. Oh. Wait.

Cinéma

Le budget du Centre National du Cinéma a été sous les feux de l’actualité : grâce à une taxe sur nos FAI, il est passé d’environ 500 millions par an à près de 800 millions. Ça fait jaser, d’autant que la commission européenne doit toujours rendre son verdict quant à la légalité de cette taxe. Alors faut-il le limiter, ou bien le reverser à l’État qui redistribuera la cagnotte en fonction des besoins réels du cinéma ? “Mais vous êtes fous” nous dit le président du Machin !

Extrait de Playtime de Jacques Tati

Si l’Europe s’oppose à notre taxe à nous qu’on a, c’est qu’elle n’a rien compris à l’exception culturelle. Oh bien sûr on a jamais été autant au cinéma que ces dernières années et le secteur se porte à merveille, mais on ne sait jamais, il vaut mieux conserver la cagnotte. Pas question de se contenter d’être en bonne santé si on peut en plus être riches.

Mais alors que faire si Bruxelles – comme on s’y attend – s’oppose finalement à cette taxe ? Facile ! Si on ne peut plus taxer les FAI sur leur offre triple-play, alors on taxera sans discrimination tous les accès à Internet, mobile comme fixe. Et tant pis si la Cour des Comptes pense que ce financement n’est “pas fondé sur des évaluations convaincantes de la place que les télécoms occupent dans la filière audiovisuelle”.

Ce qui compte, ce n’est pas la justice, c’est l’exception culturelle. Que serait en effet notre culture si on cessait de financer près d’un film par jour et par an ? Euh…

Et bientôt

Bientôt on nous vendra Hadopi comme protecteur de l’exception culturelle, la fusion CSA/Arcep comme seule garante de notre culture exceptionnelle, le DPI nous sera imposé pour garantir un pourcentage minimal de “culture” française par foyer accédant à YouTube et le domaine public sera taxé pour soutenir les artistes français morts. J’en fais ici le pari.

Osons encore.

Ne pourrait-on pas, je ne sais pas, envisager de conserver les mêmes modes de financement (qui ont fait leurs preuves) sans pour autant verser dans l’excès ? Sans pour autant imposer des quotas “exceptionnels” à des télévisions qui font face à la disparition d’une chronologie des médias mise à mal par l’existence même d’Internet et à la future concurrence des géants américains via la fameuse “télé connectée” ?

Je lis que cet ecosystème permet de financer 340 000 emplois. Excellent, mais alors on ne parle plus de défendre la culture, mais simplement les emplois. Si les mêmes étaient payés pour tourner des films en anglais (après tout pourquoi pas), que deviendrait cet argument ? Où serait passée notre si précaire culture ?

La musique alors ? Laissez-moi rire et relisez une des dernières interviews de Jean Ferrat pour rire avec moi. De nos jours je n’arrive que rarement à savoir dans quelle langue chantent nos stars hexagonales, qui comme tout le monde cherchent à exporter pour vendre d’avantage.

Qu’on me comprenne bien : dans un espace sans frontières tel qu’Internet, le principe de la défense de la diversité culturelle est forcément quelque chose d’important, et que je défends. Simplement j’ai du mal à voir en quoi, aujourd’hui, nos lois défendent autre chose que les poches de multinationales “majors” et de quelques rares artistes apatrides.

Dans une autre vie, à la lointaine époque des premiers procès contre les fournisseurs d’accès au nom de la lutte contre le racisme, j’avais défendu – face à la Licra – que la meilleure méthode pour lutter contre les premiers sites négationnistes était de s’impliquer davantage sur le réseau pour diffuser l’histoire et la culture. La volonté de pouvoir censurer me semblait déjà dangereuse pour la liberté d’expression (pas celle des Faurissons et assimilés, mais celle de toute la population).

Jean Ferrat vu par La demeure du chaos (cc)

Aujourd’hui je crois qu’il faut faire la même chose pour la culture. Plutôt que d’essayer à toute force de recréer des frontières disparues, et si l’objectif est réellement de promouvoir la diversité culturelle, alors il me semble que l’urgence n’est pas de persister dans des modèles établis au siècle dernier mais de revoir de fond en comble la façon dont le droit d’auteur est protégé.

Comment mieux favoriser la diffusion d’une culture qu’en garantissant le libre partage des oeuvres du domaine public (et surtout pas d’autoriser M.  Rogard à le soumettre à une redevance), en abaissant la durée de protection des oeuvres après la mort de leur auteur, et en libéralisant le partage non marchand du patrimoine qu’on souhaite promouvoir ? Qui aujourd’hui est coupable de créer des oeuvres orphelines, sinon nos ayants droit qui cherchent quel qu’en soit le prix social à protéger leurs rentes en recréant un droit d’auteur là où il avait disparu – au seul motif de l’application d’un procédé technique ?

La notion d’exception culturelle est née du constat que la culture d’un pays risquait de disparaître au profit de celle des pays plus puissants si aucun frein à l’importation n’était possible. C’est la définition originelle, et qui fut confirmée lors de l’Uruguay Round. Sa version française a imposé, en plus, des quotas de diffusion d’oeuvres françaises et européennes aux radios et télévisions.

Outre qu’avec l’avènement d’Internet il devient plus qu’illusoire de fermer nos frontières à la diffusion des cultures étrangères sur le territoire national, jamais, jamais il n’a été question ni d’empêcher nos oeuvres de sortir du territoire, ni d’en limiter la diffusion à l’extérieur pour protéger des intérêts privés. Or c’est semble-t-il ces aspects là qui ressortent des discours actuels que je pointe plus haut. La cause première est caduque, la dérive est patente, une fois encore on invente des principes sortis du néant pour protéger des lobbies du passé.

Si notre culture mérite une exception, alors que celle-ci soit appliquée au régime – devenu démentiel – du droit d’auteur plutôt qu’en en faisant une arme limitant au maximum sa diffusion au public. Ce ne serait que du bon sens et un juste retour à sa justification première.

Osons.


Laurent Chemla est le co-fondateur de Gandi et auteur des Confessions d’un voleur. Il publie une chronique régulière sur Owni.
Photos sous licences Creative Commons ; tableau de Banksy au Musée de Bristol par Jordi Martorell ; Extrait de Playtime de Jacques Tati par Stewf ; Jean Ferrat vu par la demeure du chaos (Abode of Chaos)

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Révélations sur la télévision connectée http://owni.fr/2012/10/03/revelations-sur-la-television-connectee/ http://owni.fr/2012/10/03/revelations-sur-la-television-connectee/#comments Wed, 03 Oct 2012 09:12:17 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=121508 Confessions d'un voleur, Laurent Chemla publie sur Owni sa deuxième chronique et dit tout le bien qu'il pense de la télévision connectée. Avec méthode et ouverture d'esprit, dans l'espoir que le lecteur y donnera son avis.]]>

Eat more pizza. Drink More beer. Photo CC by-sa avlxyz

Argument-choc d’un CSA qui se cherche à redorer une légitimité ternie, le serpent de mer de la “télévision connectée” est récemment ressorti du marais saumâtre des idées-bateaux, idées imposées par un marketing tout-puissant mais sans imagination.

Même dans les termes, c’est imbuvable : on ne “voit” pas Internet, on l’utilise.

Et on y participe autant qu’on le consomme, bien au-delà de la simple “interactivité” que nos chers diffuseurs cherchent vainement à développer depuis des lustres. La télévision aura beau être reliée à Internet, si elle est une télé-”vision”, elle ne sera pas plus “connectée” qu’elle ne l’est déjà par ondes hertziennes. Tout au plus, elle utilisera pour se diffuser une bande-passante déjà trop rare dans bien des territoires ruraux.

Le principe même de la “diffusion”, d’ailleurs, se prête mal au jeu du réseau.

Les plus grands diffuseurs d’Internet ont besoin d’une infrastructure lourde (CDN), mal adaptée, chère, et qui ne va pas sans poser des problèmes de centralisation (à l’opposé de l’idée même d’un réseau a-centralisé tel qu’Internet) et de partage des coûts entre opérateurs (on le voit dans le conflit entre Google et Free, qui explique les difficultés que connaissent ses abonnés quand ils veulent regarder une vidéo sur YouTube). Quoi qu’on en dise, on n’a — à ce jour — rien trouvé de plus efficace pour broadcaster du contenu que la bonne vieille antenne.

Qu’il me suffise de rappeler, pour en finir au moins temporairement avec cette idée ridicule, que nos futurs écrans 4k nécessiteront un débit de 500 Mbps pour afficher les détails de l’image (le débit moyen d’Internet en France est de 5,6 Mbps). Même la bien balbutiante fibre optique ne permet pas ça, sans même parler du dimensionnement des équipements en amont. Si c’est sur ce futur mort-né que veut se baser notre gouvernement pour justifier la fusion du CSA et de l’ARCEP, c’est dire comme on est mal barrés.

Internet en fusion

Internet en fusion

En lançant une réflexion sur le "rapprochement" de l'Arcep et du CSA, le gouvernement ressuscite un serpent de mer qui ...

Bref. Pour savoir ce qu’était supposé faire cette chose dont on parle beaucoup mais sans savoir pourquoi, j’ai fait comme n’importe qui et j’ai été lire Wikipedia. Ce dernier propose trois types de service : la navigation, la VOD et les applications (issues d’un App Store ou d’un Google Play) permettant l’interactivité. Quelle vision grandiose.

Il suffit d’avoir joué une fois dans sa vie avec une Wii pour savoir à quel point un pointeur embarqué dans une télécommande – même intelligente – est peu précis. Imaginer utiliser autre chose qu’une souris (ou un doigt) pour “naviguer” sur le Web c’est se le fourrer (le doigt) dans l’oeil. Même les pointeurs laser utilisés pendant les présentations commerciales sont sujets aux tremblements d’une main très peu adaptée à cet usage. Et puis franchement, même avec des lunettes on a déjà tous (sauf moi) du mal à lire une page web quand on a pas le nez collé à l’écran, alors naviguer sur une télé de salon depuis son canapé situé à deux mètres de distance (et à plusieurs)…

Je zappe.

Les applications, donc. Imaginons une émission “interactive” : un diffuseur, des millions de spectateurs, et chacun d’entre eux peut interagir. Pour faire quoi ? Donner son avis ? Vous les imaginez, les millions de tweets qui défilent en bas de l’image pendant le débat entre deux prétendants à la magistrature suprême ? Ridicule. Le seul usage un tant soit peu crédible sera de faire voter le public pour tel ou tel Staracadémiste. Quant à réagir en direct, je me marre : on imagine un clavier (physique ou pas peu importe) et le public qui tape à son rythme de public : le temps qu’il pose sa question, qu’elle soit filtrée par la production et qu’elle sera affichée, on en sera à la pub.

Je zappe.

La VOD (ou la catch-up TV) alors ? Soit, mais laquelle ? Si la grande innovation qui fait peur à toute une industrie consiste à remplacer le loueur de DVD (ou le magnétoscope), je me gausse.

Pourtant la télé connectée existe déjà, mais quoi qu’en pensent les imbéciles qui prédisent la si fameuse convergence (ou qui s’en servent de prétexte à une régulation de la parole publique qu’ils souhaitent depuis toujours), elle ne passe ni par les “players” de nos “box” ni par la Google TV ni par je ne sais quel boîtier blanc (aux coins ronds) designé par Apple. Elle est arrivée depuis longtemps dans nos salons, et nos bureaux, dans une fenêtre comme n’importe quelle autre.

C’est celle que je regarde, de temps en temps, tout en tapant ce texte, et en twittant, et en dialoguant avec mes amis en parallèle. Elle passe par une antenne, puis via mon réseau local elle arrive sur mon écran d’ordinateur. Et lui il a déjà une souris, un clavier, un écran assez proche de mes yeux de presque-cinquantenaire. Son système d’exploitation c’est moi qui l’ai choisi.

Quand la fenêtre “télévision” balance de la pub, je lui coupe le sifflet d’un coup de molette et je passe à autre chose. Quand je veux réagir, je prends le temps de réfléchir et j’en fais un billet de blog. Quand je veux jouer, j’ai un microprocesseur assez puissant pour que ce soit agréable. Et quand le CSA essaiera de contrôler ce que je veux publier, j’utiliserai un VPN pour le contourner.

La télévision connectée existe déjà. Ça s’appelle un ordinateur.


Eat more pizza. Drink More beer. Photo CC [by-sa] avlxyz.

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http://owni.fr/2012/10/03/revelations-sur-la-television-connectee/feed/ 67
La course en solitaire http://owni.fr/2012/09/27/la-course-en-solitaire/ http://owni.fr/2012/09/27/la-course-en-solitaire/#comments Thu, 27 Sep 2012 10:59:23 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=120835 Owni de la nouvelle chronique inédite de Laurent Chemla - fondateur de Gandi et auteur de Confessions d'un voleur-, à laquelle le lecteur est invité à participer. C'est expérimental. Et interroge le présent sur son avenir, ses enjeux, de notre place dans le monde. Rien que ça.]]>

“Où cesse la solitude, commence la place publique ; et où commence la place publique, commence aussi le bruit des grands comédiens et le bourdonnement des mouches venimeuses.” – Friedrich Nietzsche, “Ainsi parlait Zarathoustra”.

Il a toujours été difficile de sortir la tête du quotidien pour essayer de retrouver une vue d’ensemble de l’évolution de nos vies. Et quand cette évolution devient une révolution en accélération permanente, comme dans nos sociétés numériques, ça devient une gageure.

Pourtant, quoi de plus nécessaire que de prendre du recul, au moins un peu ? Comment, sans ce recul, juger de notre trajectoire (de ses débuts à ses fins, à moyen terme), des obstacles qui sont devant nous, de ceux que nous avons su éviter sans vraiment nous en apercevoir tant notre vitesse est grande ?

Difficile de voir la totalité du chemin qu’on emprunte – sauf à s’en éloigner – mais c’est ce que je veux tenter ici de faire, avec votre aide si vous voulez bien participer à ces “tables rondes” virtuelles auxquelles je souhaite vous convier chaque semaine. Réagissez à cette chronique et discutons-en ensemble.

Une réflexion expérimentale

Pour inaugurer ce projet, en cette période de rentrée et de sortie d’un nouvel iPhone, je vous invite à revenir sur l’évolution de notre rapport au monde. Rien que ça, oui. Pas besoin pour ça de remonter très loin en arrière: 30 ans à peine, j’ose croire qu’une majorité d’entre nous s’en souvient. Sony a sorti son tout premier Walkman voilà peu, nos rendez-vous avec le monde (en dehors de notre petit cercle familial et de nos collègues de travail) se résument pour les plus curieux d’entre nous à un journal (en papier, jeune lecteur) le matin, les ragots autour de la machine à café au bureau, et le journal de 20h à la télé le soir. Un coup de téléphone (fixe) à sa mère, une fois par semaine au mieux.

Et c’est tout. Difficile de voir une évolution depuis l’époque lointaine où les seules interactions sociales se concentraient à la sortie de la messe du dimanche et à quelques fêtes de village. 30 ans. Un saut de puce, même à l’échelle d’une vie humaine, et pourtant… Tout était déjà là, pourtant. Le PC est né en 1981, ouvrant la voie pour le pire ou le meilleur à la standardisation logicielle. Le Minitel est arrivé en masse dans nos foyers en 1982, et nous avons entamé sans nous en apercevoir notre rapide mutation numérique à partir de ce boitier. Qui aurait pu prédire notre présent hyperconnecté à cette époque ?

Nous sommes passés, sans vraiment savoir comment, d’un rapport au reste du monde ponctuel, à heure fixe, fortement standardisé, à un rapport permanent, intime, spécifique de plus en plus souvent à chaque utilisateur. Un rapport à ce point devenu la norme que c’est désormais la déconnexion qui fait l’actualité, lorsque tel ou tel choisit à son tour de médiatiser son retour à la préhistoire.

La fin du temps lent

On peut voir les années 80 comme un tournant dans bien des domaines. Le PS au pouvoir. Les années-fric. Margaret Thatcher. La chute du mur. Le sida. D’un point de vue économique et social, certainement, ces années ont modelé notre époque actuelle. Mais technologiquement ? Le Macintosh d’Apple, le Windows de Microsoft, le CD, la NES : de grands progrès (quoique), mais toutes ces inventions manquaient singulièrement d’ouverture sur le reste du monde. Chacune semble même, avec le recul, destinée à une utilisation nombriliste, individualiste. L’utilisateur de Windows est réduit à l’utilisation de son compte personnel, nominatif, fermé. Le CD s’écoute à domicile. La NES est accusée de fabriquer une génération d’autistes.

Je ne sais pas ce que l’histoire en retiendra, mais pour moi les années 80 resteront surtout la dernière décennie de l’humanité déconnectée. Celle dont on dira un jour “voici comment vivaient nos ancêtres avant le monde moderne”. Les dernières années d’isolement, les dernières années de vie privée, l’époque du temps lent.

À partir des années 90 tout s’accélère brutalement, et avant même l’arrivée d’Internet dans le grand-public. Peut-être grâce à l’influence des jeux de rôle (de plateau, jeune lecteur) qui ont fait sortir de chez elle toute une génération dont les parents vivent encore en cellule familiale nucléaire, retranchée du monde, les interactions sociales prennent une ampleur nouvelle dans notre histoire.

Le plan informatique pour tous a aussi apporté son écot en faisant entrer l’informatique dans l’école, et les micro-informaticiens remplacent de plus en plus dans l’entreprise une génération d’informaticiens mainframe formée au COBOL et à la carte perforée. Forcément jeunes (le PC d’IBM n’a qu’une dizaine d’année), leur culture est différente, plus ouverte au monde, et ils amènent avec eux les premiers réseaux locaux et l’habitude de partager l’information – héritée sans doute de leur découverte en commun de la micro informatique. La publication de listings dans l’Ordinateur Individuel puis dans des magazines comme Hebdogiciel sont, en France, largement précurseurs, sinon du logiciel libre, au moins de l’Open Source.

Et puis, Internet, bien sûr. On n’envisage plus, aujourd’hui, un ordinateur non-connecté. Nos téléphones sont de plus en plus dépendants du réseau global. Nos télés -le symbole même du repli sur soi – seront bientôt elles aussi mises en réseau. Internet est dans nos foyers, nos écoles, nos boulots et même dans nos poches. D’ici très peu de temps nous seront connectés partout, et en permanence. Le déconnecté, ermite des temps modernes, deviendra lui-même (s’il ne l’est pas déjà) le phénomène médiatique qu’il tentait de rejeter.

Tout est réseau et inversement

Alors quoi ? Je ne crois pas que les réseaux sociaux sont arrivés avec le Web 2.0. Dès qu’un outil met des humains en relation, dès qu’une liaison informatique (ou pas) est établie entre deux points distants, elle ne relie pas seulement des équipements mais aussi (et surtout) les humains qui les utilisent. Si les premiers réseaux informatiques étaient destinés à partager des ressources matérielles rares (imprimantes, puissance de calcul, stockage) ils ont dès le début été hackés pour servir aussi (surtout) de messagerie et de support de discussions publiques.

Tout réseau informatique est un réseau social. Et un réseau informatique mondial permet des interactions humaines à une échelle sans précédent dans l’histoire de l’espèce. C’est une évidence qu’il est toujours bon de rappeler. Alors imaginons, si nous le pouvons, ce que sera demain quand ce réseau global nous accompagnera partout. Un monde envahi par une publicité omniprésente, forcément : comment imaginer que nos “iPhone 9″ (ou nos Google Glass) se contenteront de nous informer gentiment de l’historique de tel ou tel bâtiment devant lequel on passe ?

Elle en profiteront pour nous proposer d’entrer dans la boutique d’à côté pour profiter des articles en solde, à grand renfort d’outils de marketing visuels. Et quoi de plus normal puisque nos appareils mobiles auront été, comme c’est déjà presque toujours le cas, en partie financés par des régies publicitaires ?

En dehors des plus riches d’entre nous, personne ne pourra se payer les dernières avancées technologiques sans accepter en même temps de subir une pollution publicitaire permanente. C’est un fait quasiment acquis. Et personne, personne, ne pourra échapper à l’enregistrement permanent de chacun de ses actes, de chacune de ses recherches, ses lectures, presque ses pensées. C’est déjà là.

Mais, au-delà de l’aspect économique, au-delà de la vie privée, que deviendra la condition humaine quand à tout instant, partout, nous aurons à notre disposition non seulement une information complète sur notre environnement mais aussi, et surtout, la possibilité de partager avec le reste de l’humanité nos émerveillements, nos découvertes, nos colères et nos passions ?

Et si nous en avions terminé pour toujours avec la solitude ?


Photos sous licences Creative Commons par wizzer2801, dansays et groume, édités par Ophelia Noor pour ~~~~=:) Owni

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http://owni.fr/2012/09/27/la-course-en-solitaire/feed/ 28
Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire http://owni.fr/2011/03/29/internet-ne-peut-pas-etre-controle-autant-sy-faire/ http://owni.fr/2011/03/29/internet-ne-peut-pas-etre-controle-autant-sy-faire/#comments Tue, 29 Mar 2011 17:14:38 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=54093 [Remarque introductive de AkA, éditeur du Framablog, à cet article publié en juillet 2010] : Ce n’est pas le premier article de Laurent Chemla reproduit sur le Framablog (cf L’avenir d’Internet). Par ailleurs je le remercie de m’avoir ouvert les yeux en 1999 avec Internet : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth. On trouve un article puissant et inédit de Laurent Chemla en ouverture (ou prolégomènes) du tout récent framabook AlternC Comme si vous y étiez. Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé. Autant s’y faire. Et, contrairement à d’autres, nous nous y faisons très bien.

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes. Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal – de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique – de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau. Tant qu’il ne s’agit que de mots…

Et l’Etat légifère à tour de bras

Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier. Or donc – sans volonté d’exhaustivité – nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de « régulation », de « contrôle », voire même de « domestication ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable. La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès !

On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme « en ligne ». J’ai hâte. On en rigole d’avance.

Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle ? J’y vois (au moins) quatre raisons majeures :

La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif) .

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du « village global » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non – et son contenu libre de droit – est adopté en avril 1969. Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément « domestiquable », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années ?

Et surtout – c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile – le réseau est international. On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie « contrôlée » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée ? Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des « paradis numériques » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus – et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux – qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays.

On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée ?

«Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression »

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit). Et même avant d’en arriver là : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’oeuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si. Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien :

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour « recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires… Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les Etats peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.
Autant s’y faire.

> Article Laurent Chemla – juillet 2010 – publié initialement sur Framablog sous le titre Internet ne peut pas être contrôle, autant s’y faire.

> Illustrations Flickr CC Kalexanderson, Balleyne et Kirklau

Pour rappel toute l’équipe l’AlternC était à La Cantine lundi 28 mars dernier pour fêter simultanément la sortie du livre, les dix ans d’AlternC et la version 1.0 du logiciel !

Vous pouvez soutenir Framasoft sur leur site.

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