OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Danah Boyd: la “privacy” n’est pas morte http://owni.fr/2010/03/15/danah-boyd-la-privacy-nest-pas-morte/ http://owni.fr/2010/03/15/danah-boyd-la-privacy-nest-pas-morte/#comments Mon, 15 Mar 2010 18:58:32 +0000 danah boyd (trad. Alexandre Léchenet) http://owni.fr/?p=10127 danah boy (pas de capitale, à sa demande) s’est exprimée dans le cadre du festival FXSW au Texas sur la vie privée, un des thèmes que la spécialiste des médias sociaux étudie dans le cadre de ses recherches. Un discours en réaction à des déclarations récentes de pontes du web annonçant la fin de la “privacy”.


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danah boyd est une sociologue qui explore, depuis plusieurs années, la façon dont les gens s’approprient les médias sociaux, qu’il s’agisse des adolescents américains sur MySpace, de tout un chacun sur Facebook, ou de l’élite geek sur Twitter. C’est aussi une excellente oratrice, très incisive, et c’était un réel plaisir de l’entendre prononcer la conférence plénière d’ouverture du festival.

La conférence portait sur la « privacy », qu’on peut traduire imparfaitement par droit à la vie privée ; autrement dit, la capacité des individus à contrôler quels aspects de leur vie sont rendus publics, et à quel public. Le discours de danah boyd s’inscrivait en réaction directe à plusieurs déclarations récentes de caciques de l’Internet annonçant la fin de la privacy : Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, l’a déclarée « morte » il y a quelques mois, tandis que le PDG de Google, Eric Schmidt, avait soupçonné les gens qui s’inquiètent pour la privacy « d’avoir quelque chose à cacher ».

Contre cette tendance, la sociologue a affirmé que les gens n’ont à aucun moment renoncé à contrôler l’information personnelle qu’ils rendent publique, et que l’affirmation contraire est le reflet d’une croyance limitée à une petite élite sociale et technologique.

C’est cette croyance qui a conduit Google au désastre du lancement de Google Buzz : en construisant un réseau social public par défaut au sein de l’univers le plus privé qui soit (le mail), Google s’est heurté violemment au souci des individus de contrôler le passage de l’information des réseaux amicaux aux réseaux publics. C’est cette même croyance qui a poussé Facebook à rendre publique par défaut tout l’information de ses utilisateurs il y a quelque mois, avant de se rétracter en partie. Que cette croyance repose sur de l’ignorance ou le mépris des soucis réels des individus ordinaires ne change guère les données du problème.

Bien sûr, dans les couloirs de la conférence comme sur twitter, les festivaliers n’ont pas manqué de soupçonner que l’embauche récente de la sociologue par Microsoft Research contribue à la virulence vis-à-vis de Google et Facebook. La démonstration n’en reste pas moins intéressante.

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danah boyd a commencé par rappeler que, dans la vraie vie (IRL), la privacy est l’objet d’apprentissages et de négociations toujours imparfaites. On apprend à faire plus ou moins confiance aux individus quant à la rétention de l’information qu’ils ont sur nous ; et on apprend à faire plus ou moins confiance aux endroits dans lesquels on se trouve. Par exemple, si dans un café j’entends le récit très intime de mes voisins de table, la norme sociale veut que je me comporte comme si je ne l’avais pas entendu, et que je ne fasse aucun usage de cette information.

Ces normes sont toujours en partie floues, renégociées selon les situations ; elles n’en sont pas moins cruciales au bon déroulement de notre vie sociale. Le contrôle de la diffusion de notre information personnelle repose donc, IRL, sur des suppositions raisonnables quant à la confiance que l’on peut accorder aux gens et aux lieux.

Il n’y a aucune raison de croire que ces enjeux soient différents en ligne. Les gens ordinaires interviewés par la sociologue n’ont pas abandonné l’idée de contrôler la publicité de leur information. Bien sûr, ils sont prêts à publier beaucoup de choses en ligne, parce que c’est justement le ressort du web social : on se montre pour susciter des rencontres.

Mais cela ne signifie pas qu’on accepte par extension de tout montrer à tout le monde : un statut facebook s’adresse à mes amis Facebook, aux personnes avec lesquelles j’interagis régulièrement. Les adolescents qui s’exposent souhaitent se montrer à leurs pairs, pas aux gens qui ont du pouvoir sur eux (parents, enseignants, recruteurs, etc.).

La plupart du temps, lorsque le fruit de cette exposition (photos, blagues, opinions à l’emporte-pièce…) se trouvent être public, et accessible notamment aux moteurs de recherche, c’est par ignorance des règles de fonctionnement des sites et de leur évolution. d. boyd a ainsi demandé à des dizaines d’utilisateurs ordinaires ce qu’ils pensaient être leurs paramètres de privacy sur Facebook, avant de vérifier les paramètres effectivement activés : « le taux de recoupement est de 0% ».

Quelle importance finalement, du moins pour tous les gens qui n’ont « rien à cacher » ? D’une part, bien sûr, l’exposition d’une conversation privée à un public large peut générer des drames liés à la pression de l’attention publique. Mais surtout, danah boyd rappelle que l’espace public de nos sociétés occidentales n’est pas, du moins pas encore, parfaitement égalitaire et démocratique.

Lorsque les individus blancs, mâles, surdiplômés et ultra-compétents technologiquement, qui constituaient la majorité de l’auditoire, s’expriment dans l’espace public, ils estiment avec raison ne prendre aucun risque pour leur vie privée ou professionnelle.

Mais l’espace public, même numérique, n’est pas si accueillant pour tout le monde : danah boyd remarque que lorsque plusieurs sujets liés à la culture noire-américaine apparaissent dans les « trending topics » de twitter, les réactions de rejet fleurissent. Et plus généralement, de très nombreux professionnels sont trop dépendants de leurs clients et employeurs pour qu’on les contraigne à afficher leurs conversations en ligne ; il n’est sans doute pas souhaitable que les opinions politiques et religieuses des enseignants soient accessibles facilement aux parents d’élèves. La publicité sur les réseaux sociaux n’est pas nécessairement un outil de démocratisation de l’espace public, et peut très bien opérer dans le sens contraire.

En guise d’adresse finale aux décideurs et créateurs de technologies sociales présentes dans la salle, Danah Boyd a rappelé qu’il n’existe pas de solution miracle : le problème n’est pas d’inventer le bon algorithme. Il faut plutôt chercher des outils permettant de rendre autant que possible le contrôle aux utilisateurs, outils qui seront, comme dans la vraie vie, forcément imparfaits.

> Article initialement publié sur Frenchxsw

> Illustration par Michael Francis McCarthy et par alancleaver_2000 sur Flickr

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Chatroulette : le tribut de danah http://owni.fr/2010/02/23/chatroulette-le-tribut-de-danah/ http://owni.fr/2010/02/23/chatroulette-le-tribut-de-danah/#comments Tue, 23 Feb 2010 17:39:07 +0000 danah boyd (trad. Alexandre Léchenet) http://owni.fr/?p=8884 danah

danah boyd (sans majuscule, elle y tient) est chercheuse dans le domaine des médias sociaux à la Microsoft Research New England. Elle a récemment obtenu son doctorat de la School of Information de l’Université de Californie. Dans un article publié sur son blog, elle analyse Chatroulette avec sa vision de femme, apportant un angle intéressant à ce sujet que nous avons déjà abordé sur Owni.
J’ai observé l’agitation autour de Chatroulette depuis pas mal de temps maintenant, mais je ne me suis jamais sentie à l’aise pour en parler en public. Tout d’abord parce que c’est un site très controversé, le genre de site qui suscite à nouveau une panique autour de l’activité des jeunes sur Internet. Et je déteste avoir affaire à la foule en colère (je sais, je sais…)

Mais surtout, j’ai du mal à répondre à leurs craintes parce que je trouve ce site très attachant. Chatroulette me rappelle de nombreuses bizarreries d’Internet avec lesquelles j’ai grandi. Comme lorsque j’étais adolescente et que je jouais à troller sur les chats, je trouve sur Chatroulette des personnes étranges. Les utilisateurs s’ignorent jusqu’à trouver quelqu’un d’intéressant ou de fascinant.

Alors que le site a été créé par un ado, les mineurs n’y sont pas les plus présents (il y a, en revanche, beaucoup de jeunes adultes). Ce n’est pas une surprise, les adolescents n’ayant AUCUNE raison de parler à des personnes plus âgées, même si celles-ci sont comme moi. C’est la dynamique de mise en relation la plus étrange que je connaisse… Chacun peut cliquer sur “next” jusqu’à ce que les choses se cristallisent. Même si j’ai envie de parler avec des ados sur le site, ils n’ont aucune envie d’échanger avec moi.

Imaginez que je sois un péquin moyen : aucun intérêt. De même, les personnes qui veulent me parler à moi (une jeune femme) sont les personnes avec qui je n’ai pas envie de parler. Et ainsi de suite, on clique “next” jusqu’à une possible étincelle.
C’est un jeu pour les flâneurs marchant dans les rues numériques.

Ce que j’aime le plus à propos de ce site, c’est le fait qu’il n’y ait pas grand chose que vous puissiez cacher. Ce n’est pas un site où les policiers peuvent prétendre être des jeunes filles. Ce n’est pas un lieu où vous vous sentez forcé de rester ; vous pouvez aller de l’avant et personne ne le saura. Si quelqu’un ne comprend pas votre style, continuez. Encore, et encore.

J’aime la façon dont les choses se font. Pour la plupart des utilisateurs de tous âges, mais principalement les ados, Internet est aujourd’hui une question de relation sociale avec des personnes que vous connaissez déjà. Personnellement, j’appréciais  l’aspect aléatoire d’Internet. Je ne peux pas vous dire à quel point cela a été formateur de grandir en parlant avec un tas de gens différent sur Internet. Ce qui me fait me sentir plutôt déprimée à chaque fois que j’entends des gens parler des dangers liés au fait d’entrer en relation avec des inconnus.

Les inconnus sont ceux qui m’ont aidée à être ce que je suis. Les inconnus m’ont appris un monde différent de celui que je voyais dans mon petit village. Les inconnus m’ont permis de voir le monde depuis un autre point de vue. Les inconnus m’ont ouvert au milieu universitaire, à la théorie des sexes, aux écoles de l’Ivy League, à l’art de la guerre, etc…

Je déteste cette propension à considérer l’inconnu comme fondamentalement mauvais.  Est-ce que j’ai rencontré des gens bizarres sur Internet quand j’étais ado ? BIEN SÛR ! Ils étaient bizarres, j’ai esquivé. Et c’était beaucoup plus difficile d’esquiver quand tout était rattaché à un email pour lequel on payait.

En fait, je pense que la façon dont fonctionne Chatroulette permet de passer à autre chose beaucoup plus facilement, avec beaucoup moins de culpabilité et plus confortablement. Ironiquement, malgré ce que laisse entendre la récente couverture médiatique, le site me semble plus sécurisé que n’importe quel autre site où les gens doivent s’identifier et connecter leurs informations personnelles avec celles d’autres personnes.

Est-ce que les jeunes peuvent avoir des problèmes sur ce site ? Sûrement, de la même façon que dans n’importe quel lieu public. Et il y a toujours des jeunes qui jouent avec le feu. Mais, une fois encore, pourquoi blâmer la technologie alors que les problèmes sous-jacents devraient être ceux qui nous préoccupent ? Soupir…

Quoi qu’il en soit, j’étais un peu hésitante sur ce que j’avais à dire à ce sujet et je le suis encore parce qu’honnêtement, j’aime bien avoir en tête notre bonne vieille culture de l’Internet. J’aime le fait qu’il y ait encore un petit pourcentage de gens qui cherchent à s’amuser parce qu’ils s’ennuient et qui souhaitent se connecter avec de l’aléatoire, des gens qui connaissent cette joie que procure la rencontre d’ inconnus dans un endroit plus sûr que beaucoup d’autres lieux.

Je sais bien que cela implique la potentialité de voir des choses assez dégueulasses ou problématiques et je ne veux pas le cacher, mais je suis assez sûre que les ados réagissent de la même façon que moi, en cliquant sur “next”. Est-ce que c’est l’idéal ? Probablement pas. Et je préfèrerais un filtre, pas seulement pour les ados, mais aussi pour mes yeux.

Je ne suis pas sûre que les personnes immatures quel que soit leur âge (ou les personnes facilement choquées) devraient être présentes sur ce site. Mais j’espère que nous puissions créer un lieu sur lequel les ados, les jeunes adultes et tous les autres puissent interagir de manière complètement aléatoire. Notre isolement social à un coût, et je crains que ça ne soit à nous de payer pour les générations futures.

Je ne suis pas vraiment sûre de ce qu’il faut dire, cependant je ressens ce poids qui me fait pousser un soupir. Le même sentiment de déprime et de fatigue que j’ai ressenti ce matin lorsque je jouais à cache-cache avec un enfant souriant à l’aéroport et que ses parents l’ont éloigné, me regardant comme si j’étais le diable. J’ai réalisé que beaucoup de parents pensent qu’il est nécessaire de protéger leur progéniture de l’imprévu : cela me rend simplement triste.

Je suis très amusée par Chatroulette mais également déprimée parce que je comprends que beaucoup de monde fera le choix de rester à l’abri eux et de préserver leurs ados plutôt que de leur donner une façon de comprendre ce genre de système et de leur apprendre à s’éloigner lorsque les chose deviennent étranges.

Et cela mérite un gros soupir …
> Traduction réalisée par Alexandre Léchenet, dégrossie par Guillaume Ledit, et sublimée par Sabine Blanc
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