OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’objectif de transparence déteint-il sur la pub? http://owni.fr/2011/04/23/lobjectif-de-transparence-deteint-il-sur-la-pub/ http://owni.fr/2011/04/23/lobjectif-de-transparence-deteint-il-sur-la-pub/#comments Sat, 23 Apr 2011 16:00:13 +0000 Marie-Claude Ducas http://owni.fr/?p=58644 Le 31 mars dernier s’est tenu une série de conférences entourant les Tomorrow Awards,  par les créateurs de l’organisation I have an idea. Elles ont laissé entrevoir des tendances destinées à prendre de l’ampleur.

On voit émerger de nouveaux mots d’ordre en publicité : transparence, implication sociale, partage, développement durable. Tant de la part de quelqu’un comme Cindy Gallop, ex-patronne de Bartle Bogle Hegarty (BBH) New York, qui a fondé IfWeRanTheWorld, que de quelqu’un comme Nick Barham, Global Director de WK Tomorrow au sein de l’agence Wieden & Kennedy.

Étonnant, de prime abord. Mais logique, en fin de compte, quand on regarde les principaux enjeux du domaine des communications ces derniers temps. Il y a d’ailleurs, dans le genre de propos entendus le 31 mars dernier, un certain rapprochement à faire avec le discours tenu par Alex Bogusky, co-fondateur et ex-dirigeant de l’agence Crispin Porter + Bogusky. Mais, alors que Bogusky a – du moins jusqu’à indication contraire –  tourné le dos à l’univers du marketing pour tenter de « réinventer le capitalisme », les autres s’impliquent encore auprès des annonceurs. Cindy Gallop éxplique:

Ce sont les actions qui comptent; j’ai construit ma propre startup autour de cela. Les entreprises sont pleines de bonnes intentions. Mais, tout comme les gens, elle ont de la difficulté à les concrétiser. L’autre problème, c’est que l’idée de faire le bien, au départ, est très ennuyeuse en soi.

IfWeRanTheWorld veut donc, entre autres, s’attaquer au syndrome «worthy, but dull » (digne d’intérêt, mais ennuyeux).

Une des initiatives que IfWeRanTheWorld a contribué à mettre sur pied a été, par exemple, la mise en l’avant d’un projet de revitalisation de la ville de Braddock, en Pennsylvanie, pilotée et publicisée par la marque Levi’s. (voir ce billet sur le blog USA Character Approved.)

La transparence, nouvel impératif

Si vous ne faites rien dont vous puissiez avoir honte, vous n’avez pas à vous en faire sur ce que le public pourrait découvrir à votre sujet.

La transparence est d’ailleurs le premier aspect que mettait en avant Nick Barham, de Wieden & Kennedy, à travers les expériences récentes avec son client Nike. Rappelons que W & K est, depuis des années, l’agence de Nike, pour lequel elle a entre autres conçu le célèbre slogan « Just do it ». Et rappelons aussi que Nike a longtemps été une des cibles favorites des mouvements anti-marketing et anti-mondialisation. Notamment pour la « délocalisation » de sa main-d’œuvre, et le recours à des usines situées dans des pays du tiers-monde. Or, que fait Nike maintenant?

Ils communiquent maintenant les emplacements de toutes leurs manufactures. Ils ont libéré 400 de leurs brevets, pour que des industries hors du domaine du sport puissent les utiliser et en bénéficier. Ils ont mis au point un indice de développement durable (« sustainability»), dont ils partagent la méthode. Ils ont réalisé qu’ils ne pouvaient rien cacher au public.

Oui, il y a quelque chose de déconcertant, et même de carrément ironique, à voir de tels annonceurs prôner la transparence et la remise en question,  guidés en cela par les publicitaires, que l’on était plutôt habitués à voir comme des professionnels de la manipulation et de la dissimulation.

S’agit-il tout bonnement de la manipulation ultime, du stade suprême de la récupération ? Pour ma part, je suis vraiment portée à prêter foi au discours de tels précurseurs. En n’oubliant pas, ceci dit, que la plupart des annonceurs (et des publicitaires) sont encore loin de cette philosophie de la transparence.
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Pub en « une » des journaux: la clause de trop d’un pacte faustien ? http://owni.fr/2010/10/22/pub-en-%c2%ab-une-%c2%bb-des-journaux-la-clause-de-trop-dun-pacte-faustien/ http://owni.fr/2010/10/22/pub-en-%c2%ab-une-%c2%bb-des-journaux-la-clause-de-trop-dun-pacte-faustien/#comments Fri, 22 Oct 2010 11:31:00 +0000 Marie-Claude Ducas http://owni.fr/?p=32681 Lors de l’émission C’est bien meilleur le matin, à Radio-Canada du 13 octobre, l’animateur René Homier-Roy a noté la « fausse une » de La Presse ce matin, occupée par une publicité pour Chevrolet, en s’en disant, dans l’ensemble, scandalisé, et en disant « Je ne comprends pas ». Ses collaborateurs présents ont, en ondes, abondé très majoritairement dans le même sens. Et ils ont soulevé des points très pertinents, auxquels je vais venir dans un instant.

La "une" de La Presse ... sans son emballage publicitaire.

Mais pour commencer, résumons de quoi il est question : c’est ce que que certains dans le métier appellent un « wrap-around », c’est-à-dire une section qui entoure entièrement le journal. Donc, pas seulement la « une », mais aussi la dernière page de la section ; et aussi les versos (c’est-à-dire les pages intérieures) de la une et du « back-cover » en question. Ceci dit, un tel « wrap-around » s’enlève complètement , et facilement. On peut donc le mettre de côté, pour ne conserver (et lire) que  le « vrai journal ». Pour continuer avec la mise en contexte : Homier-Roy souligne que, à sa connaissance, c’est la seconde fois que La Presse fait une opération semblable.

Un «wrap-around» de plus en plus enveloppant

Je n’ai évidemment pas tenu de registre de ce genre de chose mais voici, au mieux de ma mémoire, d’autres éléments sur la façon dont ce genre de concept a évolué au cours des dernières années (eh oui ! On parle déjà d’années…). Les premiers « excarts » du genre que l’on a vus étaient, justement, une sorte d’équivalent des « encarts » publicitaires, mais à l’extérieur : on enveloppait entièrement le journal, mais  entièrement identifiés à l’annonceur : on n’y voyait pas l’en-tête du journal, que ce soit Métro, La Presse ou le Globe and Mail… Et là, encore une fois, je n’ai pas tenu de registre, mais il me semble que ce sont les journaux gratuits comme Métro qui ont particulièrement popularisé ce genre d’opérations. Entre autres parce qu’on prenait pour acquis qu’elles risquaient de moins choquer la clientèle d’un journal gratuit. Je me dois d’ajouter que mon propre magazine (Infopresse) fait aussi cela à l’occasion, et que la chose est courante dans des publications spécialisées comparables, que ce soit Advertising Age aux États-Unis, Stratégies ou CB News en France.

Ce n’est que par la suite qu’on a franchi un nouveau pas, à savoir ce que l’on voit en une de La Presse d’aujourd’hui. Et, si je me souviens bien, la première fois que je l’ai vu, et que j’ai été frappée par la chose, c’est en une du Globe and Mail : à savoir, une pub qui, non seulement enveloppe le journal, mais où on a intégré l’en-tête (i.e. « le logo ») du journal, et aussi, en plus, des titres sur des nouvelles que l’on retrouve à l’intérieur. Il y a déjà plusieurs mois de cela, peut-être même un an.  Et je me rappelle avoir dit à l’époque à un collègue : « Il y a encore peu de temps, ils n’auraient jamais accepté ça… »

À l’émission de Homier-Roy ce matin,  j’ai aussi appris que, récemment, leLos Angeles Times est allé beaucoup plus loin : son « wrap-around » était carrément présenté comme une nouvelle, concernant une nouvelle série télé. Ce qui a, évidemment, soulevé toute  une controverse, et avec raison…

Froisser le lecteur

Et donc, revenons-en à ce dont il était question ce matin. « On le sait que les journaux ont des problèmes, qu’ils ont besoin d’argent. (… ) Mais, en faisant des fausses première comme ça, ils froissent les lecteurs qui leur restent, qui sont intéressés par les journaux », a souligné Homier-Roy. « La une, traditionnellement pour un journal, c’est la fenêtre, c’est une façon de vendre son produit ; pas forcément celui des autres », a renchéri avec à-propos Philippe Marcoux, alors que, aux yeux de Jean-François Poirier, le responsable des sports, c’était « vendre son âme au diable… », et que Véronique Mayrand, la chroniqueuse météo, a souligné que, en kiosque, souvent, on risque de ne pas reconnaître son journal et de passer à côté lorsqu’il est ainsi « enveloppé ».

Illustration CC FlickR Digital Sextant

Et, pour finir, Philippe Marcoux a soulevé à ce sujet une question importante que,  j’avoue,  je n’avais jamais envisagée  sous cette angle, même si cela recoupe un aspect que j’ai déjà abordé au sujet des journaux papier, et du rôle de la « une ». « La chose que l’on perd avec le web, et qui à mon avis va disparaître si jamais on cesse de publier des journaux papier, c’est la «  une », l’histoire, de quoi on va parler, collectivement aujourd’hui, souligne-t-il lui aussi. Alors que cette « une », on la retrouve encore sur papier. » Et donc, est-il vraiment avisé de remplacer cette « une » par une publicité ?

Conséquences sur la crédibilité

On peut en effet se demander dans quel pacte faustien se sont engagés nos journaux, et quelle seront les conséquences, à plus long terme, sur leur crédibilité et par le fait même, ironiquement, sur leur valeur en tant que support publicitaire. J’irais même jusqu’à ajouter que, à terme, certains annonceurs se questionneront peut-être sur le fait de vouloir être associés à ce genre d’opérations. D’autant plus que, comme pour tout ce qui relève du coup d’éclat,  la pub demeure assujettie à la cruelle loi de l’escalade et de l’encombrement (c’est la même chose pour des trucs comme des flashmobs, pour le guérilla marketing et pour les divers « stunts » mis sur pied en publicité : les premiers se font remarquer; pour les autres, c’est plus difficile…  Et, donc, encore une fois, cela vaut-il la peine de risquer de compromettre  ce qui, au départ, fait l’intérêt et la valeur d’un média, avec des opérations qui, au bout d’une ou deux fois, risquent de perdre leur impact commercial ?

Post-scriptum : On ne peut pas passer sous silence le fait que ce débat arrive au lendemain du rejet, par le syndiqués du Journal de Montréal, en lock-out depuis bientôt vingt mois, des offres faites par la direction de Quebecor. Ce qui signifie la poursuite de ce conflit qui a déjà établi un record dans son secteur, en Amérique du Nord. Un conflit, dont, d’ailleurs, étant donné le enjeux en cause pour l’avenir des médias,  il a somme toute été peu question dans l’univers de médias ici… Ce qui englobe, soulignons-le, les agences, les agences médias, et les annonceurs.

Billet initialement publié sur le blog de Marie-Claude Ducas sous le titre “Pub en « une » des journaux : est-ce trop ?”

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Médias: le cadavre du Rocky Mountain News a des choses à vous dire http://owni.fr/2010/05/06/medias-le-cadavre-du-rocky-mountain-news-a-des-choses-a-vous-dire/ http://owni.fr/2010/05/06/medias-le-cadavre-du-rocky-mountain-news-a-des-choses-a-vous-dire/#comments Thu, 06 May 2010 14:25:07 +0000 Marie-Claude Ducas http://owni.fr/?p=14738

La dernière "une", le 27 février 2009 : est-ce Internet qui a tué le Rocky Mountain News ?

Je m’étais bien promis de revenir sur une des rares conférences auxquelles j’avais pu assister, lors de mon trop rapide passage au dernier Webcom: celle de John Temple, qui était éditeur du défunt journal Rocky Mountain News. J’avoue que, sans savoir exactement à quoi m’attendre, j’arrivais préparée à entendre un discours surtout teinté de nostalgie.

Je me suis plutôt retrouvée face à une analyse d’affaires aussi éclairante qu’impitoyable, qui peut intéresser TOUS les types de médias. Et qui m’a donné aussitôt une envie irrépressible de la partager. Ce que je me mets en frais de faire, enfin.

Pour commencer, soulignons que John Temple tient un blogue, intitulé Temple Talk, sur lequel il partage ses réflexions sur les médias et le journalisme. Il a d’ailleurs, dans un billet, publié intégralement le contenu de sa conférence au Webcom. Il y a même des liens vers ses diapos, et sa narration. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à le lire, et même à l’écouter : cela dure à peine une demi-heure et, quant à moi, c’est du temps bien employé. Par ailleurs, Alexandra Bonan en a parlé sur le blogue GoRef, et Stéphane Baillargeon en a fait une très bonne synthèse dans Le Devoir.

Temple résumait son propos, fort succinctement, en dix « leçons » par lesquelles pas mal d’entre nous peuvent se sentir interpellés.  Je m’arrêterai, quant à moi,  à certains aspects qui m’ont particulièrement frappée.

D’abord une citation de Alan Horton, alors vice-président à E.W Scripps, la compagnie-mère, peu après la fermeture du journal : “We had all the advantages and let it slip away. We couldn’t give up the idea that we were newspaper companies.” Et c’est un ancien éditeur de journal qui dit cela ! Les dirigeants doivent changer leur focus, et cesser de croire que leur première mission est de « faire des journaux ». Temple disait d’ailleurs plus loin : « We thought we were in the newspaper business. We were right and at the same time deeply mistaken. » Le Rocky Mountain News était engagé dans une lutte acharnée avec son rival, le Denver Post, mais, souligne Temple, « nous étions en train de livrer la guerre précédente ; nous ne comprenions pas ce qui était en train d’arriver sur le champ de bataille. » À commencer par le fait que ce ne sont plus les médias qui sont maintenant en contrôle, mais les consommateurs. Et qu’un média ne peut plus prétendre s’approprier et « posséder » un marché.

C’est à la fois fascinant et désolant de voir les erreurs de planifications et de jugements qui ont été faites, les unes après les autres. Bien sûr, il faut quand même garder en mémoire que ce qui semble évident a posteriori ne l’était pas forcément alors, dans le feu de l’action et des changements. Mais, ce qui est encore encore plus désolant, et surtout inquiétant, c’est de constater que beaucoup de gens, dans bien des médias, persistent encore dans les mêmes erreurs. Enfin…

Quelques exemples :

- Quand le Rocky Mountain News a dû, pour des raisons financières, restreindre l’étendue de sa distribution papier, le mot du rédacteur en chef avait comme angle premier de dire « adieu » à une partie des lecteurs… plutôt que d’abord leur dire « hey, vous trouvez la même info et les mêmes services en ligne, plus rapidement, de partout » (ce qui était tout à fait vrai).

- En développant les projets web,  on a fait exactement les mêmes erreurs de perspective que dans l’ « ancien temps » : à savoir se laisser empêtrer dans les structures matérielles et la technique, plutôt que de se concentrer sur le contenu et la mission première de l’entreprise. Encore une fois, une citation parle mieux que tout le reste : « We didn’t see the value of audience. Scripps bought sophisticated software to run its cable and newspaper web sites. Although it tried to put the focus on readers, in the end it let technical people develop a culture based on how they wanted technology to work – stable and secure – rather than putting the priority on remaining nimble in a rapidly changing world. We kept trying to build perfect systems, slowing our progress, instead of working iteratively. »

Enfin, et pour résumer, le Rocky Mountain News a, comme beaucoup de médias « traditionnels », péché par arrogance et par manque d’écoute de son public. Une citation finale : “We were not used to the market telling us how things should be. We were used to telling people what we thought they needed and how they needed it,” is how a Scripps marketing exec put it. That has to change. (…) « Local news organizations should give consumers more control. They’re still thinking too much about themselves and not enough about what the consumer wants. »

Ai-je besoin de rappeler que, après avoir longtemps cultivé l’illusion de l’«exception québécoise », on se retrouve, ici aussi, avec des journaux en pleine tourmente ? Enough said, comme ils disent en anglais… Mais pourquoi ne pas, au moins, apprendre des erreurs des autres ?

Post-scriptum musical : j’ai réalisé il y a un moment que je ne pouvais pas entendre ou lire une référence au Rocky Mountain News sans avoir ensuite en tête, pour les heures suivantes, la chanson Rocky Mountain High, du regretté John Denver. Je me permets donc de la partager ici, histoire de me sentir moins seule dans cette situation. Bonus : puisqu’on parle de John Denver, je confesse que j’ai toujours aussi eu un petit faible pour Annie’s Song. Voilà.

Billet initialement publié sur le blogue de Marie-Claude Ducas en novembre 2009 sous le titre “L’autopsie du Rocky Mountain News: intéressante, pas juste pour les journaux”

Image CC Flickr martnpro

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Les journaux tels que nous les connaissons: un “accident historique” ? http://owni.fr/2010/04/15/les-journaux-tels-que-nous-les-connaissons-un-accident-historique/ http://owni.fr/2010/04/15/les-journaux-tels-que-nous-les-connaissons-un-accident-historique/#comments Thu, 15 Apr 2010 10:00:58 +0000 Marie-Claude Ducas http://owni.fr/?p=12378 Le business model de la presse traditionnelle s’est construit dans un contexte qui ne se reproduira plus explique Clay Shirky. Il se montre du coup très pessimiste sur l’avenir du journalisme “chien de garde”.

Je m’étais déjà promis de relayer ce point de vue, mis de l’avant récemment sur Six Pixels of Separation, le célèbre blogue du non moins célèbre Mitch Joel, président de Twist Image. Et, alors que l’on vient d’apprendre de CanWest Global, qui possède entre autres le réseau de télévision Global, The National Post, et plusieurs autres quotidiens dont The Gazette à Montréal, vient de placer certaines de ses divisions sous la protection de la loi de la faillite, cela tombe (hélas) d’autant plus à point nommé. The Gazette ne fait pas partie des divisions incluse dans cet arrangement, mais, comme les autres quotidiens de la chaîne, il est en difficulté, et a évité une grève il y a quelques mois.

Pour contexte, rappelons que, ici, Le Journal de Montréal, propriété de Quebecor, est en lock-out depuis dix mois ; que la direction de La Presse (Gesca) a récemment brandi une menace de fermeture si aucune entente avec ses employés quant à des coupures n’était conclue d’ici le premier décembre ; que les autres quotidiens de Gesca doivent aussi faire face à des restrictions, de même que d’autres entreprises de média ici. Et, ailleurs au Canada et en Amérique du Nord, les exemples du genre se multiplient.

Et, c’est maintenant clair pour tout le monde, la récente récession est loin de tout expliquer : c’est tout le modèle d’affaires des médias traditionnels qui est remis en question. Et, en ce qui concerne les journaux, la remise en question touche directement la question de l’information : qui elle intéresse, qui elle rejoint… et surtout ce qu’il en coûte pour la produire, et qui est prêt à financer cela. Pour les journaux, en effet c’est l’information qui compose l’essentiel du contenu.

Le point de vue relayé par Mitch Joel est celui de Clay Shirky, énoncé, récemment lors d’une conférence du Shorenstein Center on the Press, Politics and Public Policy, un organisme lié à l’université Harvard. J’avoue que je ne connaissais pas Clay Shirky, auteur d’un best-seller intitulé Here Comes Everybody: The Power of Organizing Without Organizations. Mais je me promets bien d’aller lire davantage ce qu’il a écrit.

Clay Shirky :

Photo CC Flickr chéggy

En ce qui concerne les journaux, on pourrait résumer ainsi un des principaux points mis de l’avant par Shirky dans sa conférence : le présent modèle d’affaires des journaux, où des entités commerciales financent massivement la production de quelque chose qui, finalement, s’apparente davantage à un service public, est une sorte d’accident historique, maintenant voué à disparaître. Je vais tenter de résumer le mieux possible ce qui émerge de son point de vue, et faire ressortir les implications que je vois pour ce qui se passe ici. Mais j’incite fortement quiconque est le moindrement intéressé par ces questions à aller lire les propos de Clay Shirky, qui ont été reproduits intégralement sur le blogue du Nieman Journalisme Lab, un autre organisme lié à Harvard (d’ailleurs, pour ceux qui sont davantage « auditifs », il y a aussi un lien vers la version audio). Croyez-moi quand je vous dis que c’est du temps que vous n’aurez pas gaspillé… quoique, si vous êtes moindrement concernés par l’avenir des journaux, ou par tout ce qui touche à l’information et au rôle du journalisme, c’est un point de vue qui risque de vous déranger.

Voici déjà une citation : « Some time between the rise of the penny press and the end of the Second World War, we had a very unusual circumstance — and I think especially in the United States — where we had commercial entities producing critical public goods. We had ad-supported newspapers producing accountability journalism. Now, it’s unusual to have that degree of focus on essentially both missions – both making a profit and producing this kind of public value. But that was the historic circumstance, and it lasted for decades. But it was an accident. There was a set of forces that made that possible. And they weren’t deep truths – the commercial success of newspapers and their linking of that to accountability journalism wasn’t a deep truth about reality. Best Buy was not willing to support the Baghdad bureau because Best Buy cared about news from Baghdad. They just didn’t have any other good choices. »

[« Quelque part entre l’avènement de la presse de masse et la fin de la Seconde Guerre mondiale, on était face à des circonstances très particulières, surtout aux États-Unis, où des acteurs privés produisaient des biens publics indispensables. On avait des journalistes financés par la publicité qui jouaient un rôle de chien de garde. De nos jours, il est rare de voir une organisation qui se concentre autant sur ces deux problèmes : dégager un profit et produire ce genre de bien public. Ce furent des circonstances exceptionnelles et elles durèrent plusieurs décennies. Mais c’était un accident. Il y avait un ensemble de forces qui ont rendu ça possible. Cela n’avait rien à voir avec une réalité profonde – le modèle d’affaires du journalisme ‘chien de garde’ n’était pas lié à une réalité du marché. Wal Mart ne payait pas pour un correspondant à Bagdad parce qu’ils en avaient envie. Ils n’avaient tout simplement aucune autre option. »]

Ce qui a permis aux journaux de pouvoir de maintenir une politique d’indépendance rédactionnelle face aux annonceurs, soutient Shirky, c’est qu’ils étaient, en quelque sorte, en situation de monopole : « The advertisers were not only overcharged, they were underserved. Not only did they have to deliver more money to the newspapers than they would have wanted, they didn’t even get to say: “And don’t report on my industry, please.” There was a time when Ford went to The New York Times during the rollover stories and said, “You know, if you keep going on this, we may just pull all Ford ads in The New York Times.” To which the Times said, “Okay.” And the ability to do that — to say essentially to the advertiser, “Where else are you going to go?” — was a big part of what kept newspapers from suffering from commercial capture. »

« Non seulement les annonceurs payaient trop cher, mais ils étaient aussi très mal servis. Non seulement devaient-ils payer plus qu’ils auraient voulu, ils n’avaient pas non plus le droit de dire ‘Et pas un mot sur mon entreprise, s’il vous plait’. Une fois, Ford est allé voir le New York Times pendant une crise liée au renversement des 4×4 et dit ‘Vous savez, si vous continuez comme ça, on retire les pubs Ford du NYT’. Le Times répondit simplement : ‘OK’. La possibilité de faire ça, de dire à l’annonceur ‘Vous allez aller où ?’ a joué un grand rôle dans la santé financière des journaux. »]

Photo CC Flickr chéggy

Mais cette époque est bel et bien terminée : « The institutions harrying newspapers — Monster and Match and Craigslist — all have the logic that if you want to list a job or sell a bike, you don’t go to the place that’s printing news from Antananarivo and the crossword puzzle. You go to the place that’s good for listing jobs and selling bikes. And so if you had a good idea for a business, you wouldn’t launch it in order to give the profits to the newsroom. You’d launch it in order to give the profits to the shareholders. »
[« Les institutions qui harcèlent les journaux – les Monster, Meetic et Craigslist – fonctionnent tous de la même manière. Si vous voulez passer une annonce emploi ou vendre un vélo, vous n’avez pas besoin d’aller voir ceux qui impriment les dernières actus sur Tananarive ou les mots croisés. Vous allez là où on passe les annonces emplois ou là où on vend des vélos. Et si vous avez une bonne idée de plan d’affaires, vous n’allez pas partager les profits avec une rédaction. Vous allez donner les profits à vos actionnaires. »]

Alors voilà. Il y a d’autres aspects, à commencer par la pertinence, ou non, de faire payer pour du contenu, sur lesquels je reviendrai certainement. Mais voici, pour finir, ce qu’il a à dire en ce qui concerne le journalisme tel qu’on s’est habitués à le connaître : « I think a bad thing is going to happen, right? And it’s amazing to me how much, in a conversation conducted by adults, the possibility that maybe things are just going to get a lot worse for a while does not seem to be something people are taking seriously. But I think this falling into relative corruption of moderate-sized cities and towns — I think that’s baked into the current environment. I don’t think there’s any way we can get out of that kind of thing. So I think we are headed into a long trough of decline in accountability journalism, because the old models are breaking faster than the new models can be put into place. »

[« Je pense que quelque chose de terrible va arriver. Et ça me semble incroyable à quel point, dans une conversation entre adultes, les gens ne prennent pas au sérieux la possibilité que les choses vont sérieusement empirer pendant un certain temps. J’ai l’impression que cette descente vers plus de corruption dans les petites et moyennes villes est en gestation dans l’environnement actuel. Je vois pas comment on pourrait y échapper. C’est pourquoi j’ai le sentiment que l’on se dirige vers un long déclin du journalisme ‘chien de garde’, étant donné que les anciens modèles s’écroulent plus vite que les nouveaux se construisent. »]

À ma lecture, lundi soir dernier, ce dernier passage m’avait particulièrement frappée : je n’avais jamais vu, auparavant, remettre en question de façon aussi limpide – on pourrait même dire aussi crue – la survie du journalisme tel qu’on le connaît, et de la fonction qu’il remplit.

Et voilà que je lis, aujourd’hui dans la section « Forum » du journal La Presse (page A20), une opinion, signée par un ex-conseiller municipal de la ville de Trois-Rivières. Il y est question de favoritisme en ce qui concerne l’attribution de contrats d’architecture ; et l’auteur plaide pour l’instauration d’une fonction de commissaire à l’éthique pour les villes. Mais c’est le passage suivant qui m’intéresse : « Qu’en est-il dans ces villes qui n’ont pas toujours de partis de l’opposition structurés, de journalistes d’enquête ou de médias indépendants, qui peuvent dénoncer des situations sans craindre de perdre LE gros contrat de publicité ou la publication des avis publics avec la Ville ? » Et de quoi parlait Clay Shirky, déjà ? « … this falling into relative corruption of moderate-sized cities and towns… » Ouch.

Billet initialement publié sur le blog de Marie-Claude Ducas sous le titre L’avenir des journaux: un point de vue brillant… mais dérangeant ; traduction des citations : Nicolas Kayser-Bril

Sur la renaissance du journalisme d’investigation grâce à des médias non-profit : ProPublica remporte un Pulitzer: la fin de l’hypocrisie d’une information “for profit”?

Photo CC nc-by noodlepie

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La soif de simplicité : dans les médias, aussi… http://owni.fr/2010/04/12/la-soif-de-simplicite-dans-les-medias-aussi%e2%80%a6/ http://owni.fr/2010/04/12/la-soif-de-simplicite-dans-les-medias-aussi%e2%80%a6/#comments Mon, 12 Apr 2010 08:41:57 +0000 Marie-Claude Ducas http://owni.fr/?p=12012

Photo CC Flickr webtreats

Les journalistes passent-ils trop de temps sur les réseaux sociaux ? Certains, et pas des technophobes hostiles à l’évolution du métier, prônent la sobriété en la matière, rapporte Marie-Claude Ducas, blogueuse canadienne qui arrive sur la soucoupe. Le débat est ouvert !

À la fin de mon dernier billet, où je parlais des inconvénients de la complexité, je promettais de revenir sur le sujet, en abordant les implications qui ont trait aux médias. De la même façon qu’on voit se dessiner un « backlash » contre l’excès de choix et la complexité dans les produits, écrivais-je,  j’ai aussi l’impression de voir émerger un besoin de simplicité, de cohérence et de crédibilité en ce qui concerne les médias.

Malcolm Gladwell : "Quand on est au milieu d'une révolution, on a parfois besoin de s'arrêter pour en évaluer les conséquences."

Or, la journée même, la directrice de la Grande Bibliothèque et ex-directrice du Devoir, Lise Bissonnette, se questionnait sur les effets pervers de la multiplication des blogues et l’omniprésence des réseaux sociaux, en tenant ces propos, rapportés par Le Devoir le lendemain : « Les énergies des meilleurs journalistes sont “dispersées” et “la communauté de placoteux” qui commente au bas des textes et autres entrées forme un “public gazouillant” qu’on prend à tort pour l’expression de l’opinion publique ». Dans son blogue, Nathalie Collard, depuis peu chroniqueuse médias à La Presse, a relancé la question : bien plus que la perte de temps, le vrai danger, estime-t-elle pour sa part, est que les journalistes dérapent, que leurs écrits dépassent leur pensée, et que leur objectivité soit remise en question. Ce qui est drôle, c’est de voir que  les commentaires sur le blogue de Nathalie Collard donnent plutôt raison à Mme Bissonnette, alors que ceux qui ont commenté l’article d’Antoine Robitaille dans Le Devoir se montrent dans l’ensemble assez critiques, lui reprochant entre autres son manque de connaissances et d’ouverture face aux nouvelles technologies, et aux changements qu’ils entraînent…

Tyler Brûlé, fondateur de Monocle : "Le monde a besoin de moins de bavardage. Pas d'en ajouter."

Ce genre de critique est toutefois plus difficile à formuler à l’endroit de quelqu’un comme Malcolm Gladwell, auteur, journaliste et conférencier que l’on s’arrache en tant que gourou ès tendances. Or, dans une entrevue publiée dans le Globe and Mail récemment , on soulignait que Gladwell lui-même ne « twitte » pas, n’entretient par de page Facebook, et n’a pas de blogue à proprement parler (enfin, techniquement, oui, mais il l’alimente 3-4 fois par an). Gladwell soulignait pour sa part que « il y a une limite à ce qu’on peut faire dans une journée » : « I have books, I write for the New Yorker. If I gave people any more, they’d get sick of me. » Il possède un Blackberry, mais le laisse de côté fréquemment.  « Any innovation, at the end of the day, is usually a net good. But that doesn’t mean there aren’t significant and sometimes adverse consequences that we need to find another way to deal with. While we’re in the midst of the revolution, we need to stop and talk about its broader consequences », souligne-t-il aussi.

Ces propos recoupent, de façon frappante, ceux tenus par une autre personnalité qui fait aussi figure de gourou ès tendance, dans un registre un peu différent : Tyler Brûlé, éditeur, rédacteur en chef et fondateur de Monocle, ce success-story international aussi éclatant qu’inattendu dans l’univers des médias imprimés en général, et des magazines en particulier. Tyler Brûlé s’était auparavant fait connaître en lançant le magazine Wallpaper.

Et, attention, voici le scoop du jour : l’entrevue en question n’a pas encore été publiée. Elle le sera dans la prochaine édition du magazine Infopresse, celle de mai-juin, et dont la première distribution sera lors de la soirée de remise des Prix Média, le 28 avril prochain. Je n’ai pas l’habitude de me servir de ce blogue pour faire de l’ »autoplogue » à outrance, et je n’ai pas l’intention de commencer. Mais ici, vraiment, cela coule de source. Et franchement, je suis tellement enthousiasmée par cette entrevue, que j’ai envie d’attirer l’attention sur ce que l’on y dit, et sur ce que tout le monde dans les médias, tant gestionnaires que journalistes, peuvent en retirer. Le modèle d’affaires de Monocle, et la vision de Tyler Brûlé, sont un vrai vent de fraîcheur et d’optimisme, après ces temps de grisaille et d’insécurité qui ont sévi dans tout ce qui s’appelle média « traditionnel ». Voici seulement quelques-uns de ses propos les plus  frappants :

« En 2009, nous avons enrichi notre présence audio et vidéo, mais sans nous laisser distraire, sans essayer de suivre à tout prix chaque nouvelle tendance sur les réseaux sociaux. Nous n’avons pas essayé de transformer tous nos correspondants en blogueurs. Nos gens se concentrent sur ce qu’ils savent faire. Cela, je crois,  nous a valu le respect de nos lecteurs et de nos annonceurs. »

« La discipline qui guide notre entreprise, au départ, est celle de l’imprimé. Et cela influence tous nos produits, même audio et vidéo. »

Lui non plus ne tient pas de blogue : « La dernière page du Financial Times, où je signe une chronique chaque semaine, constitue un endroit beaucoup plus intéressant où se trouver. Les gens n’ont pas besoin d’entendre parler de moi tous les jours ; pas plus qu’ils n’ont besoin d’entendre parler tous les jours de nos directeurs de rédaction ou de nos journalistes. (…) Lors des Olympiques de Vancouver, les correspondants de la BBC bloguaient constamment… Je n’ai pas le temps, comme consommateur, de m’engager là-dedans. Je veux connaître les résultats ! Je n’ai pas besoin de tout le bavardage entretemps. Le monde a besoin de moins de bavardage. Pas d’en ajouter. » Et cela ne donne qu’un faible aperçu du contenu de l’entrevue, qui fait plusieurs pages.

L’autre lien entre ce blogue et le magazine, c’est que ce billet et celui que j’avais publié il y a trois jours me servent en quelque sorte à décanter la matière de ma prochaine chronique : je veux revenir, en arrivant à la synthétiser, sur cette notion d’un plus grand besoin de simplicité, de fiabilité, de références communes. Qu’est-ce que cela donnera ? Il me reste encore moi-même à le découvrir (ce qui me fait réaliser que je me réserve probablement un beau week-end… C’est la vie).

Billet initialement publié sur le blogue de Marie-Claude Ducas, repéré via Alain Joannès… sur Twitter

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