OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le blues vu de l’hexagone http://owni.fr/2011/03/23/le-blues-vu-de-lhexagone/ http://owni.fr/2011/03/23/le-blues-vu-de-lhexagone/#comments Wed, 23 Mar 2011 14:37:21 +0000 Nicolas Jacquet http://owni.fr/?p=31280

The Blues had a baby, and they named it Rock n’ Roll. (Muddy Waters)

Le blues et la country sont des musiques populaires, qui racontent les histoires de la vie quotidienne, la dureté de la vie, l’alcool, la fête… Pour le grand public, il existe une méconnaissance des genres : blues, country, country blues, bluegrass, hillbilly.

L’histoire de ces styles est peu connue, ces musiques représentent l’Amérique, son imaginaire et ses fantasmes… Mais alors qui sont ces aficionados du Blues et de la Country en France ? S’il est de bon ton de s’évertuer à s’interroger sur ce qu’est être rock aujourd’hui, pourquoi ne pas aussi se demander c’est quoi être country ou être blues en 2011 en France ?

Être Country

Qu’est-ce qu’être Country ? “Cow boy à frange, steel guitar , réac, amérique blanche… Alt (alternative) country ? jamais entendu parlé.”

La Country music a le vent en poupe en France, mais une country aseptisée “radioFMisée”, débarrassée du sang, de la sueur, des larmes et de l’alcool, bien loin d’Hank Williams

La Country, la Country… mais c’est quoi en fait la Country ? Country-Blues, Country Rock, Alternative Country, Outlaw Country…tout ça, c’est de la Country ! Mais qui se cache derrière ces noms ? Des groupes comme Uncle Tupelo, Wilco (ce qu’on a appelé le mouvement No Depression) ou les superbes Heartless Bastards qui ont savamment su mélanger la country, le bluegrass, le garage rock, le punk, le folk, le blues… pour produire une musique de qualité moderne et proche de ses racines à la fois. On peut aussi citer l’ovni musical Possessed By Paul James ou bien l’excellent Tom Vandenavond d’ailleurs nominés cette année dans la catégorie Alt Country aux Independent music awards… Bref, des artistes créatifs qui allient tradition et modernité en jetant des ponts entre différents univers musicaux.

Cet intérêt pour cette musique emplie de ruralité semble répondre en France à un besoin de retour aux sources, proche de la terre et des origines. Il apparaît que ces genres, Country et Hillbilly notamment, ont souvent du succès auprès d’un public “campagnard” ou urbain en mal d’un certain environnement rural. Nos propres traditions de musiques populaires ont quasiment disparu et elles n’ont pas résisté dans les années 1970 au conflit opposant le folklore US et folklore local français, selon Florian Caron (Docteur en sociologie, mondes musicaux et modernité).

Dans le dernier numéro du magazine Soul Bag, André Hobus parle ainsi d’un coffret portant sur l’oeuvre d’Hank Williams : “Toute la ruralité “countrypolitan” apparaît dans sa grandeur dépouillée et répand un parfum de tarte aux pommes et de café fumant dans notre 21 ème siècle technologique. On peut parler, je crois, d’un blues authentiquement blanc”.

Le groupe Wilco, par exemple, possède tout l’attirail pour plaire aux hipsters, c’est à dire un goût marqué pour la contre-culture ainsi qu’un métissage des influences, allant du rock indépendant au country rock. Sans oublier la chemise à carreaux qui reste un symbole fort et fédérateur…

Conséquence d’une forme d’attirance/répulsion qui nous lie en France avec les USA, la country et son cortège d’imaginaire nous fascine et nous interroge. Peu importe le nom… être country en 2011, c’est être définitivement alt-country et sortir des sentiers battus.

Être Blues

Qu’est-ce qu’être blues ? “Le blues c’est facile, tu te mets dans un champ et tu cries” répondront les moqueurs… Dans une publicité actuellement sur nos petits écrans, une voiture roule… et des lieux communs sont énumérés : “les joueurs de blues sont vieux”. Pas tous ! L’héritage a des successeurs, le blues est là, bien vivant, des jeunes poussent tordent l’idiome et pour paraphraser Brenn Beck du groupe Left Lane Cruiser “poussent le blues au delà de ses limites”. D’ailleurs, dans le Rock n’ Folk de janvier 2010, le journaliste Christian Casoni publie un article intitulé “être blues en 2010”. Le dossier tord le cou à cette idée selon laquelle 12 mesures à l’infini reproduisent le même effet. C’est faux et nous en avons la preuve !

Il semble que le blues, à l’instar de la country, fasse en France peu de bruit… avec peu d’artistes fédérateurs… Pourtant le Blues possède son noyau dur de fidèles. Historiquement, le Blues a connu un essor plus important chez nos voisins britanniques (Le British blues boom) que dans l’hexagone. Une théorie veut que le jazz se serait plus facilement implanté dans les pays “envahis” comme la France pendant la seconde guerre qu’en Angleterre où le blues aurait pris le dessus. Un autre élément peut expliquer le côté “petite chapelle” du blues en France, comme ailleurs. Cela s’explique semble-t-il par un esprit peu ou pas commercial, un imaginaire renvoyant à la ruralité. Le rock, avec ses trois accords et son rythme binaire est plus direct (Elvis le Pelvis) et s’est très vite adapté à l’industrie musicale. Les succès en matière de blues quant à lui ont souvent eu lieu lors d’une dilution du propos dans un mariage avec la soul (et son côté plus sucré).

Cependant, le blues attire, fascine, sur notre sol : des jeunes et des plus âgés, des novices comme des experts. L’influence de cette musique sur l’ arbre généalogique des musiques populaires (jazz – rock n’roll – soul – funk – reggae - rap…) la rend attrayante pour un public hétéroclite.

Le blues est riche et a plusieurs figures où chacun peut y trouver son compte ! Il peut aussi bien embrasser le hip-hop, comme chez les anglais de nu blues, être arrosé d’electro comme dans le tube de Moby, traumatisé comme chez Left Lane Cruiser, “touareguisé” comme chez Tinariwen… “francisé” par Patrick Verbeke, Bill Deraime, Fred Chapelier, Paul Personne, Jean Jacques Milteau … Le label Français Dixiefrog fait dans ce sens du très beau travail.
On peut même voir des frenchies en one man band, comme Eric Bling ou Ronan (qui a fait la première partie de Left Lane Cruiser dès 2009 ).

Un constat, les grands noms du Blues sont assez peu connus en France. Fred Mc Dowell, Lighntnin Hopkins, Son House… des noms qui ne trouvent que peu d’échos dans l’hexagone, eu égard à leur influence sur la musique en général. Rendons ici hommage à des musiciens comme Jack White (White Stripes) qui reprend par exemple du Son House dans le film “It might get loud”. La faiblesse du blues en France réside en un déficit d’image… pourtant il est partout, tel le “Crawling King Snake”. Johnny ne chantait-il pas déjà en 1974 : “toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du blues”. Le blues est présent malgré lui dans toutes les musiques… L’idiome nourrit par exemple l’essentiel du contenu musical de l’indispensable “Fragments d’hébétude” du poète jurassien Hubert Félix Thiéfaine. A la campagne comme à la ville, le blues s’est toujours adapté, c’est là sans doute où réside sa force.

Évangéliser la France

Dans cet univers peu médiatisé, des acteurs indépendants, musiciens, patrons de bars, passionnés, se battent pour faire vivre et partager ce en quoi ils croient et diffusent ainsi la “bonne nouvelle”.

Vincent Delsupexhe, organisateur du festival Blues Rules, le festival du blues Underground s’exprime ainsi:

“Les années 60/70 ont permis au blues de se développer en Angleterre, de devenir le rock moderne, mais il arrive toujours un moment où un retour aux sources s’impose… Et il semblerait que ce soit maintenant.

Les trentenaires actuels, dont je fais partie, ont eu la possibilité de redécouvrir le blues à la fin des années 90 grâce à l’arrivée en France du label Fat Possum qui proposa des artistes ayant une histoire.

Qu’il s’agisse de T-Model Ford à la vie remplie d’anecdotes, de Cedell Davis et ses multiples malheurs qui n’ont jamais pu lui retirer l’envie de jouer pour les autres, ou de R.L. Burnside et Junior Kimbrough, les deux figures emblématiques actuelles des racines du Blues.

Si Fat Possum avait eu la prétention de faire se déplacer les foules pour des dinosaures jusque là inconnus avec les Juke Joint Caravan Tour – en 1999 avec R.L. Burnside, Paul Jones, T-Model Ford et 20 Miles – on peut noter que ces grands-pères du Blues ont rapidement eu un capital “sympathie” au sein d’un public très jeune.

Une sorte d’envie de montrer à nos pères que B.B. King n’est plus le roi, que Muddy Waters n’est pas le seul, que le blues n’est pas mort…
On peut voir depuis 5 ans une véritable émergence d’une scène blues/blues-rock en France, un fleurissement de petits festivals ou bars à caractère résolument blues (les Nuits de l’Alligator en exemple de festival, qui en 2006 avait en affiche Kenny Brown, Scott H. Biram et la première scène pour les Black Diamond Heavies).

Autant dire que des légendes oubliées avaient besoin d’une oreille neuve, que leur temps d’expression est enfin arrivé après 70 ans sans public, que leur inspiration est largement proclamée au sein de la scène émergente proposée par des nouveaux labels (Alive, Hillgrass Bluebilly, Stag-O-Lee, …), avec comme exemples forts les Black Keys dont le leader Dan Auerbach ne cacha jamais son admiration pour Junior Kimbrough… ou encore le film It Might Get Loud (2008) regroupant Jimmy Page (Led Zeppelin), The Edge (U2) et Jack White (White Stripes), un documentaire sur la guitare électrique, où les trois protagonistes révéleront leur attachement à un blues rural (notamment le plus jeune d’entre-eux : Jack White).

A l’instar d’une partie de la jeune scène Rock américaine, on peut dire que les jeunes oreilles françaises se tournent elles aussi vers les racines de la musique, vers ce blues rural…
Le blues n’est plus une musique de vieux ! Même si ceux-ci restent au cœur de cet art, que les figures ridées et souriantes attirent et attisent un public de jeunes… un retour aux années 50, au temps où le Rock’n'Roll s’appelait Blues, une époque où seul cette musique permettait de danser, entre jeunes, de se libérer, de partager un moment fou sous des rythmes endiablés… les soirées “transe”, hypnotiques…

Ecoutez un disque de Junior Kimbrough, allez voir sur scène la famille Burnside, et vos jambes prendront le rythme, vos yeux mi-clos, votre tête se balancera… une hypnose naturelle, une musique naturelle, dans un monde d’artifice et de virtuel… pas étonnant que ça plaise !”

Vincent Delsupexhe (Co-fondateur du Blues Rules Crissier Festival)

Dans le monde de la Country, saluons aussi le travail de Nicolas Moog et son groupe Thee Verduns. Nicolas et son épouse ont organisé par exemple des concert pour Possessed By Paul James. Il est aussi l’auteur d’une excellente bande dessinée “My American Diary”, basée sur le récit de son voyage au Texas à la rencontre des musiciens du Label Hillgrass Bluebilly. Retenez bien ce nom : Hillgrass Bluebilly Records… ce label, au départ promoteur de concerts, que j’ai décidé de promouvoir au travers de ma plateforme Nayati Dreams est présent depuis peu sur le sol Français, tout comme Broke and Hungry Records, héritier de Fat Possum.

Peu médiatisé, certes, mais c’est sans compter sur “Le Collectif des Radios Blues” un réseau bien structuré qui propose une diffusion radiophonique de la gamme pentatonique. N’oublions pas non plus ici la diffusion de revues française comme Blues Magazine, Blues Again, Abs Magazine ou Eldorado dans le domaine plus Folk et Americana.

D’après Vincent, disquaire à Reims : “de plus en plus de gens, ceux qui écoutent les White Stripes, Wilco, Giant Sand etc s’intéressent aux racines de la musique US.” Voici une bonne nouvelle ! Une chose est sûre : internet joue un rôle primordial pour la musique aujourd’hui. Cet outil permet de découvrir et de diffuser labels, groupes et de rendre justice au rôle de tel ou tel musicien. Selon Brenn Beck, le batteur tellurique de Left Lane Cruiser , à propos de R.L Burnside : “Il y a 5 ans, quand on parlait de R.L Burnside, personne ne savait de qui il s’agissait. Maintenant les gens se battent pour faire des covers de R.L..”

Malgré une méconnaissance et une dose d’idées reçues, le Blues, la Country et le Rock n’ Roll influencent depuis longtemps les musiciens Français. Eddy Mitchell en 1974 nous livrait un très bon “Rocking in Nashville” et donnait à la steel guitar un accent parisien. Alain Bashung Countrysait lui aussi en Français sur “ Osez Joséphine” en 1992.

Les Français sont parfois méfiants de ce qu’ils ne connaissent pas, sont suspicieux, craignent l’arnaque… dommage ! Pourtant il n’y a que peu d’arnaque dans le domaine du Blues. Quand on observe la production actuelle, il existe une vraie intégrité dans le monde du blues ou des musiques roots. Dans une époque où nombreux sont ceux qui ne savent plus à quel saint se vouer, le monde des musiques “roots” attire un public varié, ouvert vers la jeunesse et respectueux de ses glorieux aînés.

Si le 21ème siècle est le siècle du métissage, le blues et la country n’échappent pas à cette règle… D’ailleurs, entre nous, “Man, ça fait longtemps que le blues et la country dansent ensemble”*… et avec d’autres.

*Brenn Beck, batteur de Left Lane Cruiser

Sur la même thématique et dans le cadre du focus sur le folklore Américain, vous pouvez lire les articles suivants sur OWNImusic :

- OWNI X SXSW : un petit air de Country

- Découvrez Cheyenne by Left Lane Cruiser

- Découvrez I don’t wanna by Eric Bling

Crédits photos CC flickr : THEfunckyman; odadreck; thibault balahy; yann seiteck

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