OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La dette expliquée aux nuls http://owni.fr/2011/08/29/pourquoi-il-ne-faut-pas-rembourser-la-dette-de-letat/ http://owni.fr/2011/08/29/pourquoi-il-ne-faut-pas-rembourser-la-dette-de-letat/#comments Mon, 29 Aug 2011 12:24:10 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=77323 Lorsque l’on parle de dette, il est de coutume de dire que « l’État vit au dessus de ses moyens », que le modèle social français n’est plus soutenable, et qu’il faut donc réduire les dépenses.

Pourtant, la réalité est légèrement différente : sur 1 600 milliards de dette publique remboursée depuis 1974, environ 1 200 milliards d’euros ne sont constitués que des seuls intérêts.

L’effet « boule de neige » explique en grande partie ce phénomène. Afin de rembourser les intérêts, le Trésor fait « rouler » la dette, il émet de nouveaux emprunts pour rembourser ceux d’avant. Ce mécanisme est digne d’une chaîne de Ponzi : d’une part car cela alourdit toujours plus la charge de la dette jusqu’à la rendre insoutenable ; et d’autre part parce que cet accroissement de la dette nécessite que de nouveaux contributeurs rejoignent le système et mettent au pot à leur tour.

En réalité, hors paiement des intérêts, les budgets sont globalement à l’équilibre comme le montre le graphique ci dessous (issu du travail de André-Jacques Holbecq) :

Rembourser la dette, ce n’est donc pas payer en différé les dépenses d’éducation, de santé ou d’autres investissements. Payer la dette revient essentiellement aujourd’hui à donner de l’argent aux détenteurs des bons du Trésor français. Qui sont-ils ? En vrac, des banques, des assurances, les grosses fortunes, et également les détenteurs d’assurance vie. Notons aussi que, selon l’Agence France Trésor, environ 65% de la dette publique française est détenue par des investisseurs étrangers.

Rien d’étonnant à ce que les marchés soient rémunérés en prêtant leur capital. Mais rappelons tout de même que l’Etat n’a pas toujours eu besoin des marchés pour se financer.

Ce n’est qu’à partir de 1974, après adoption de la loi controversée dite « Pompidou-Giscard » que le gouvernement français s’est interdit d’emprunter gratuitement à la Banque de France.

A l’époque, l’idée de cette loi était de ne pas encourager les politiques dispendieuses (afin de limiter les risques d’inflation monétaire), en leur privant l’accès aux financements faciles de la banque centrale.

L’instauration d’un garde fou contre le clientèlisme est une bonne intention, mais son application fut en réalité plutôt désastreuse. L’effet boule de neige évoqué plus haut est en effet passé par là, faisant exploser la dette publique jusqu’à atteindre 85% du PIB aujourd’hui.

Revenir sur la loi de 1973 serait une bagatelle, si seulement son principe n’avait pas été repris par les traités européens, qui stipulent non seulement que la Banque centrale européenne ne peut pas octroyer des crédits aux États, mais également que la BCE doit tout mettre en oeuvre pour maintenir une inflation basse, à environ 2%. Pourtant, comme l’expliquent certains économistes tel Olivier Blanchard du FMI, un peu d’inflation ne ferait pas de mal aux économies européennes puisque cela ferait « fondre » la dette tout en dévaluant quelque peu l’euro, relançant ainsi les exportations.

L’ambiguïté du droit de la dette

Entre 2008 et 2009, le pourcentage de dette de la France est passé de 60 à 85% du PIB. Une grande partie de cette augmentation s’explique par les coûteux plans de relance des États pour faire face à la crise financière provoquée par les prises de risques inconsidérées des banques.

L’ironie de l’histoire, c’est que pour sauver la finance de la déroute, les États ont emprunté à ces mêmes acteurs financiers pour ensuite soutenir les banques et autres secteurs touchés.

Et pendant que l’on interdit à la BCE de donner un peu d’air aux démocraties en les finançant directement, celle-ci ne se prive pas de renflouer les banques à des taux incroyablement bas.

La dérive de la dette publique n’est pas seulement due au clientèlisme des politiques, ni même à la trop grande générosité de notre modèle social. Ces problèmes sont secondaires au regard de l’absurdité du système monétaire dont la dette publique est le résultat.

Ce système est dicté par des dogmes économiques dont les limites apparaissent aujourd’hui évidentes. Et pour reprendre le titre de l’excellent livre de André-Jacques Holbecq, la dette est une « affaire rentable »… pour les marchés financiers.

Trop longtemps ceux-ci ont pris pour acquis que les obligations souveraines étaient « sans risque » et aujourd’hui, ils se réveillent et, réalisant que ce n’est pas le cas, forcent les États à engager des réformes difficiles.

Une situation paradoxale : soit la dette est vraiment « sans risque », auquel cas le paiement d’une prime de risque est illégitime. Ou la dette souveraine serait « risquée », alors il est logique que des investisseurs essuient éventuellement des pertes.

Il y a toujours eu deux façons de se désendetter : la première consiste à ne pas payer ceux qui ont pris le risque de prêter leur argent ; la seconde, c’est l’austérité budgétaire, c’est à dire le sacrifice du peuple face aux marchés.

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Graphiques : André-Jacques Holbecq.

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La BCE, donjon vacillant de l’Europe http://owni.fr/2011/06/30/bce-donjon-vacillant-europe-crise-financiere/ http://owni.fr/2011/06/30/bce-donjon-vacillant-europe-crise-financiere/#comments Thu, 30 Jun 2011 17:58:30 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=71295 Sur fond de manifestations violentes à Athènes, de débats tendus au parlement grec où de nouvelles mesures d’austérité viennent d’être votées, et pendant que les dirigeants européens et les créanciers de la Grèce se réunissent à Rome afin d’éviter une faillite de la Grèce, le débat a tendance à cliver l’opinion publique : qui sont les coupables de la situation actuelle ? Est-ce le peuple grec ? L’oligarchie qui l’a dirigé et la dirige encore ? Est-ce la faute au FMI, à l’euro, à l’Europe ?

Et pendant ce temps, il reste un acteur majeur dont le rôle est largement sous-estimé, voire ignoré : la Banque Centrale Européenne (BCE).

Si personne ne doute du pouvoir dont dispose cette éminente institution, ses véritables domaines d’intervention et les conséquences de la politique monétaire qu’elle mène depuis 2008 sont assez négligés par le grand public. Pourtant, derrière la façade de son indépendance et sa noble mission de contrôle de l’inflation, la BCE dispose d’un pouvoir énorme : celui de sauver les banques, d’assurer la stabilité financière.

Rôle qu’elle a pris à coeur depuis 2008 et qui, à force d’en abuser, menace aujourd’hui la prospérité et la démocratie en Europe.

Comment la BCE a gonflé la bulle immobilière

Le premier problème de la zone euro est intrinsèque à sa nature même : une monnaie unique pour différents pays. Dans une telle configuration, la politique monétaire de la Banque centrale européenne, ne peut être que très imparfaite, car elle ne peut tenir compte des spécificités de chaque pays membre de la zone. C’est ce que l’on appelle le « one size fits all », la politique du taux unique.

Cette contrainte de la zone euro a directement été remise en cause avec l’éclatement de la bulle immobilière en 2008. En effet, les bulles immobilières en Irlande ou en Espagne auraient probablement été plus contenues si la banque centrale avait appliqué des taux plus adaptés à la spécificité des secteurs bancaires de ces pays. Mais les taux plutôt bas appliqués par la BCE ont permis aux banques irlandaises et espagnoles de se refinancer plus facilement qu’auparavant auprès de la banque centrale, ce qui les a incité à prendre davantage de risque.

En vertu de son puissant rôle de supervision, la BCE aurait au moins pu alerter la communauté financière de l’anormalité de l’expansion du crédit en Irlande ou en Espagne, comme l’a fait remarquer à plusieurs reprises John Bruton, ancien premier ministre irlandais et ambassadeur européen à Washington.

La BCE est donc en partie responsable de cette crise, mais elle est aussi coupable de sa mauvaise gestion.

Distorsion du marché des dettes souveraines

Lorsque Lehman Brothers fait faillite, l’onde de choc qui atteint très rapidement l’ensemble du secteur bancaire européen force la BCE à intervenir sur le marché afin d’éviter la banqueroute généralisée. Elle prend donc l’initiative de garantir la stabilité financière, ce qui n’est d’ailleurs pas dans les missions que lui ont assigné les traités européens.

Pour faire face à la défiance du marché interbancaire (où se refinancent normalement les banques), la BCE mène des opérations dites d’« open market ». Cela signifie qu’elle injecte des liquidités dans le circuit bancaire en permettant aux banques privées de se refinancer auprès d’elle, à des taux très favorables. Pour cela, il suffit aux banques de présenter des actifs éligibles aux critères de la BCE, appelés “collatéraux” : des obligations, des bons du trésor, par exemple. En contrepartie de la “mise en pension” de ces titres auprès de la BCE et contre un taux d’intérêt au rabais (1,25% actuellement), les banques peuvent ainsi obtenir des liquidités illimitées.

Les banques ont naturellement profité de cette possibilité. Entre 2008 et 2010, le montant des prêts ainsi accordés aux banques si situaient en moyenne entre 700 et 900 milliards d’euros. Ce montant a baissé depuis, pour se situer aujourd’hui à environ 480 milliards d’euros, dont près de 350 milliards rien que pour les banques des PIGS (acronyme moqueur pour désigner le Portugal, l’Irlande, la Grèce, et l’Espagne, ndlr).

Mais l’intervention de la BCE ne se limite pas là. Le 10 mai 2010, sous l’intense pression des marchés, la BCE décide de lancer le  ”Securities Market Programme”. Concrètement, la BCE procède à l’acquisition de titres de dette (notamment grecs et portugais), afin d’améliorer la liquidité de ces marchés, et ainsi de redonner confiance aux investisseurs. La BCE s’est ainsi doté d’un portefeuille de 74 milliards d’euros de titres de dettes souveraine, qui n’est pas sans entrer en contradiction avec l’esprit des traités et notamment de l’article 123 du traité de Lisbonne qui stipule :

Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.

L’utilisation de ces instruments monétaires n’est donc pas anodine. Et si cette politique a permis d’éviter un effondrement massif du secteur bancaire, et de donner un peu de temps à la Grèce, cela a aussi des effets néfastes sur le bon fonctionnement des marchés financiers.

Dans un contexte de chaos financier, les banques prennent moins de risque, et l’on observe une “fuite vers la qualité“. En l’occurrence, les banques se sont massivement détournées du marché des actions vers les commodities (les matières premières) et les bons du trésors, c’est à dire la dette des Etats soit-disant “sans risque”…

Ce report des investissements vers la dette souveraine a été encouragé par la politique monétaire de la BCE, dans la mesure où celle-ci accepte justement les obligations du trésor dans sa liste de actifs collatéraux éligibles. Du coup, le risque pour les banques d’acheter de la dette souveraine est encore plus faible : elles pourront toujours confier ces actifs à la BCE en échange de liquidités, se déchargeant ainsi d’un risque de défaut de la Grèce, par exemple.

Le rôle de la BCE n’est donc pas anodin dans la crise de la dette souveraine. Selon le think tank Open Europe, qui appelle à une refonte de l’Union Européenne, si la BCE avait été moins tendre avec les banques, celles-ci se serait détournées plus tôt de certains titres de dette, forçant ainsi les PIGS à entamer des réformes avant d’être pris à la gorge par les marchés comme ils le sont aujourd’hui.

Sauver l’euro, à tout prix ?

Garantir la confiance dans le marché bancaire à court terme peut sembler nécessaire. Mais cette politique doit comporter des limites, que la BCE semble malheureusement ne pas connaître, comme le témoigne le cas irlandais.

En Irlande, les banques ont été tellement dévastées par la crise immobilière qu’elles se sont retrouvées rapidement insolvables. En effet, l’éclatement de la bulle immobilière affaiblit tellement le secteur bancaire irlandais que par crainte de faillite de plusieurs banques, celles-ci font l’objet d’une fuite massive des dépôts vers l’étranger. Rien de moins qu’un “bankrun” invisible, silencieux, à coup de virements bancaires plutôt que de longue file devant les distributeurs de billets.

Selon les chiffres de la banque centrale d’Irlande, le montant des dépôts de non-résidents ont chuté de 50% en près de six mois, entre juin et décembre 2010. En situation de faillite virtuelle, et bannies des marchés obligataires, les banques irlandaises n’ont d’autre choix que de se tourner vers la BCE pour se réapprovisionner en liquidités, par le mécanisme précédemment expliqué.

Mais à défaut de pouvoir présenter des actifs de qualité auprès de la BCE, c’est directement la Banque centrale d’Irlande (BCI) qui – avec l’accord de la BCE – va prêter aux banques en dernier ressort, par un  mécanisme appelé “emergency liquidity assistance”. Les conditions de ce mécanisme restent floues, mais en fouillant un peu, on apprend ici et là que l’octroi de ces prêts d’urgence est lié à un accord entre la banque centrale et le ministère des finances irlandais, ce dernier autorisant expressément de prêter à une banque malgré l’absence d’actifs tangibles (mais tout de même avec un intérêt de 3%, ce qui est incroyablement peu cher compte tenu du risque encouru par la banque centrale d’Irlande).

Depuis décembre 2010, le montant de ces opérations atteint entre 51 milliards et 70 milliards d’euros. Montants qui s’ajoute aux 120 milliards d’euros déjà dépensés pour éviter un effondrement des banques de l’île…

Combien de temps cela va-t-il durer ?

Concrètement, la Banque centrale d’Irlande et la BCE sont en train de maintenir en vie des banques totalement insolvables malgré leurs renflouements successifs. Au total, le sauvetage des banques irlandaises implique environ 260 milliards d’euros entre les prêts de la BCE, de la BCI, et les fonds avancés par le gouvernement irlandais (et ses contribuables). N’est-ce pas un peu trop pour un pays dont le PIB est de 160 milliards d’euros ? Et alors même que l’on demande aux citoyens de se serrer la ceinture pour rembourser la dette publique ?

Une restructuration ainsi qu’une recapitalisation des banques avec la mise à contribution des créanciers des banques privées aurait certainement abouti à une situation plus saine, et surtout plus juste que l’ubuesque fuite en avant que l’on constate aujourd’hui en Irlande, mais aussi en Grèce, au Portugal, et bientôt en Espagne.

Mais selon Jean-Claude Trichet, président de l’institution de Francfort, « il serait une énorme erreur de s’embarquer dans des décisions qui pourraient déclencher un événement de crédit ».

L’indépendance de la BCE en question

Officiellement, la BCE argue qu’un défaut de paiement, même partiel, dit être évité car cela provoquerait une nouvelle dégradation de la note de la dette grecque par les agences de notation ce qui rendrait ces actifs inéligibles selon les règles de la BCE, et mettrait donc en difficulté les banques.

Mais en vérité, la BCE s’arrange déjà avec ses propres règles pour accepter des titres de dette totalement pourris. Sa crainte, c’est surtout qu’une restructuration même partielle pourrait créer un précédent en Europe, et ainsi engendrer un effet domino qui menacerait la pérennité de la monnaie commune.

Et pour éviter cela, la BCE utilise tous les moyens en son pouvoir pour en dissuader les gouvernants des pays concernés.

Outre les pressions que certains membres de gouvernements auraient subies de la part de la BCE, celle-ci  s’est lancé dans une véritable stratégie de chantage afin d’éviter à tout prix qu’un gouvernement ne procède à une restructuration de sa dette, affirmant que si tel était le cas, elle ne continuerait plus de soutenir les banques des pays concernés. Provoquant de fait une faillite de celles-ci.

De même, l’indépendance de la Banque centrale a également été mise en doute avec le remplacement de Trichet à la tête de la banque de Francfort par Mario Draghi. Cette fois-ci, c’est Nicolas Sarkozy qui est venu faire de l’ingérence dans les affaires de Francfort, demandant en coulisses la démission de Lorenzo Bini Smaghi, afin qu’il n’y ait pas deux italiens au sein du conseil des gouverneurs de la BCE. L’autre raison est bien sûr qu’en ces temps de crainte de “nouveau Lehman Brothers”, il est toujours appréciable d’avoir quelqu’un pour seconder  Christian Noyer à la gouvernance de la BCE et ainsi mieux protéger les intérêts nationaux de la France.

La BCE bientôt en faillite ?

On ne peut comprendre le véritable dilemme qui se pose à la BCE sans bien réaliser le fait que la BCE, par ses opérations de refinancement des banques et d’acquisitions d’obligations sur le marché secondaire, possède aujourd’hui dans son bilan environ 430 milliards d’euros de dette souveraine des “PIGS”.

Or, avec 10,7 milliards d’euros de capital et 70 milliards d’euros de réserves pour  environ 1900 milliards d’actifs dans son bilan, la BCE cumule deux faiblesses : une capitalisation trop faible ainsi qu’un trop fort effet de levier. Autrement dit, si elle laisse les gouvernements grecs, irlandais, ou portugais faire défaut, elle subira elle-même des pertes sèches qui pourraient tout simplement la mettre en faillite ! Un scénario qui ne permettrait d’envisager que deux solutions.

La première, c’est la planche à billet : la BCE pourrait facilement effacer ses pertes par création monétaire. Mais cette solution semble difficilement compatible avec son objectif de maintien de l’inflation. Il faudrait de plus convaincre les économistes allemands de recourir à ce qu’ils redoutent le plus au monde en raison du risque inflationniste que cela implique .

La seconde solution, c’est de demander aux états de l’Union Européenne – actionnaires de la BCE – de recapitaliser la banque. Mais le problème cette fois-ci, c’est qu’il faudra faire passer (une fois de plus) la pilule aux contribuables…

On le comprend, la BCE veut à tout prix éviter d’en arriver à cette humiliante (et dramatique) situation. Et c’est pourquoi elle fait barrage à toute restructuration de la dette souveraine. D’autant plus que si elle encaissait des pertes sur de la dette souveraine, cela pourrait être interprété comme une assistance à un état, ce que les traités lui interdisent formellement !

Banque centrale vs. foule en colère

Nul ne peut l’ignorer à présent : en décidant de secourir le secteur financier en 2008, la BCE a outrepassé ses prérogatives initiales. Elle a de fait endossé le rôle d’une institution politique et économique interventionniste avec lequel l’indépendance est difficilement compatible. Et dès lors, elle doit rendre des comptes aux citoyens.

Or, le bilan de la politique monétaire de Francfort est plutôt paradoxal : tandis qu’elle garantie des liquidités illimités aux banques too big to fail, elle empêche formellement toute restructuration de dette publique pourtant considérée comme inévitable et nécessaire par la plupart des analystes ; elle force les gouvernements à adopter des plans de sauvetages couteux pour les contribuables ; elle rehausse les taux d’intérêts directeurs afin de contenir la hausse des salaires.

Seul point positif : l’inflation reste contenue pour le moment. Mais cette maigre consolation suffira-t-elle à apaiser la colère des grecs, l’indignation des espagnols, l’exaspération des portugais, le malaise des irlandais ?

Faire payer aux citoyens le prix de dettes d’origine privées et nationalisées pour éviter un effondrement total du système financier : voilà l’équation impossible que tente de résoudre la gardienne de notre monnaie commune.


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“Il n’y a pas besoin d’être un banquier pour créer de l’argent” http://owni.fr/2011/06/16/pas-besoin-detre-un-banquier-pour-creer-de-largent/ http://owni.fr/2011/06/16/pas-besoin-detre-un-banquier-pour-creer-de-largent/#comments Thu, 16 Jun 2011 06:26:15 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=67963 Bitcoin est une monnaie virtuelle créée en 2009 par Satoshi Nakamoto, un personnage mystérieux dont personne ne connait la véritable identité. Ce dernier, empruntant de vieilles idées issues des années 90, publia un document (pdf) décrivant les caractéristiques d’une monnaie décentralisée. Depuis peu, cette idée est portée par un bon  nombre de geeks pour changer notre système économique. Le blogueur Étienne Hayem (aka @zoupic) nous donne sa vision sur cette monnaie virtuelle à la mode.

Que t’inspire Bitcoin ?

Bitcoin est avant tout une initiative qui fait réfléchir. Comme l’a dit Rick Falkvinge (le fondateur du Parti pirate suédois, ndlr), c’est le Napster de la banque, le phénomène qui va ouvrir le débat sur un sujet qui était jusque-là en marge de la société : « et si c’était possible ? Et si on pouvait refaire la banque ? »

D’où sort Bitcoin ?

C’est apparu en 2009, à l’initiative de Satushi Nakamoto, ce pseudo japonais [personne ne connaît sa véritable identité, ndlr]. Avant lui, plusieurs personnes ont théorisé le concept, de manière prospective, pour essayer d’imaginer à quoi pourrait ressembler une telle monnaie.

Rien n’empêche de penser que l’on puisse créer une monnaie sur Internet dans le cadre d’une communauté, par exemple avec tous les utilisateurs des auberges de jeunesse. Mais ce genre d’initiatives restait connecté à l’économie réelle.

Alors qu’avec Bitcoin, la masse monétaire est complètement déconnectée avec un processus purement algorithmique, sur le modèle de Google. C’était envisageable, mais il fallait quand même le faire !

Donc beaucoup de gens y pensaient ?

Oui, mais c’est une vision qui est, pour moi, assez étriquée de la monnaie. Toute la force déployée pour prouver que c’est viable – ou en tout cas faire croire que c’est viable ou stable – est justifiée par la techno. C’est tout le concept de cryptocurrency : plus il y a d’utilisateurs qui font tourner le logiciel, plus les données sont cryptées, et plus il faut d’ordinateurs hostiles pour faire tomber le système.

C’est comme WikiLeaks, Wikipedia ou même Seti@home qui utilise le CPU (le processeur, ndlr) des gens quand leur ordinateur est en veille pour contribuer à la recherche d’ovnis… Là c’est pareil, on utilise l’ordinateur des gens pour crypter du code au maximum pour que personne ne puisse le casser. Plus il y a d’utilisateurs qui utilisent le logiciel, plus le réseau est complexe, donc sécurisé. Et les gens de Bitcoin disent que cette sécurité crée de la valeur.

« Code is law » en quelque sorte ?

Oui c’est ça ! Mais c’est là où c’est tordu… Car en fait, il n’y a pas besoin que tout soit indéchiffrable pour que ça ait de la valeur ! Dans un Système d’Échange Local (SEL) par exemple, dès que l’on fait un échange et que l’on inscrit cet échange dans une ligne de compte, on admet qu’il y a de la valeur. Il n’y a pas besoin de faire tourner nos ordinateurs des heures et des heures pour protéger cet échange ou cette transaction.

Selon moi, la vraie valeur n’est pas dans le temps de processeur ou dans le fait que le code soit incassable. Cela peut être un choix, mais il y a un côté miroir aux alouettes, car la valeur n’est pas vraiment là.

Est-ce que Bitcoin est alors dangereux ?

Dangereux pour qui ? (sourire) La question n’est pas là : Bitcoin est là, et va certainement rester un bout de temps. Là où je me réjouis, c’est que ce projet va ouvrir la question, lancer le débat. Les gens vont se rendre compte qu’on peut créer de l’argent ! Qu’il n’y a pas besoin d’être un banquier pour créer de la monnaie.

L’argent est un protocole, une écriture, une ligne de compte, la monnaie c’est un accord au sein d’une communauté pour utiliser quelque chose comme moyen d’échange.

Donc dans le cas de Bitcoin, la communauté ce sont les internautes qui téléchargent Bitcoin et y croient. Très bien pour eux !

Charles Ponzi

Par contre, comme Stéphane Laborde l’a montré, là où Bitcoin est dangereux c’est qu’il s’agit d’un schéma de Ponzi ! Et en plus, ses créateurs détournent un peu l’attention : quand on regarde la vidéo de présentation, ça a l’air tout beau : pas de contrôle, pas de taxes etc. Ils attirent les gens en jouant sur leur exaspération et leur envie d’autre chose. Mais ils occultent le problème de la masse monétaire, qui est une question importante.

D’autant que si demain, comme cela se dessine, on aura différentes monnaies, il faudra choisir laquelle m’est utile, quelles sont les forces et faiblesses de chacune. Il faudra que les gens jugent selon des critères.

Quels sont ces critères selon toi ? En quoi Bitcoin ne répond pas à ces critères ?

Pour moi le premier problème de Bitcoin, c’est que la monnaie est rare. La limiter dès maintenant à 21 millions revient à programmer la limitation de la valeur. Et donc si ça prend comme on le voit avec le buzz ces temps-ci, la valeur, qui est rare, ne peut qu’augmenter. On est en plein dans Madoff  : premiers arrivés, premiers servis…

Or pour commencer à participer à l’économie de Bitcoin, il me faut bien des Bitcoins pour acheter quelque chose ! Donc soit je rentre dans le circuit en vendant directement du service, et à ce moment là je suis très malin et je vais gagner mes premiers Bitcoins. Mais sinon je fais comment ? Je m’endette en Bitcoins ?

La monnaie est une proposition de jeu. Avec Bitcoin, on n’est pas dans le Monopoly, mais si tu gagnes au début et que tu as bien compris le fonctionnement, tu t’en sors forcément mieux. J’ai donc l’impression que ce système n’est pas juste pour tous. Mais au moins l’avantage est que les règles sont écrites et lisibles par tous, mais ils mettent tellement en avant le reste que j’ai l’impression qu’ils veulent attirer du monde pour en profiter.

Faut-il interdire Bitcoin, comme le veulent deux sénateurs américains ?

Si quelqu’un veut interdire Bitcoin, c’est que ça touche des intérêts importants, que ça blesse encore une fois là où ça fait mal…

Curieusement, les arguments de ceux qui veulent l’interdire sont les mêmes de ceux qui veulent condamner la neutralité du Net : les pédophiles, les trafiquants de drogue, les joueurs de poker etc. Le diable est partout en fait ! Mais de toute façon ces usages ne représentent pas l’outil en tant que tel.

Pour moi c’est bon signe car ça en fait parler. Car aujourd’hui ce qui est important, c’est que les gens prennent conscience que la monnaie ne doit pas appartenir aux banques privées. C’est une erreur énorme que l’on a faite, et aujourd’hui il faut que cela revienne ou soit partagé entre les citoyens, l’État, et pourquoi pas les entreprises. Il faut libérer la monnaie, les monnaies même !

Ce qui est vraiment bien avec Bitcoin, c’est que ça montre ce qu’il est possible de faire. Donc demain quand la bulle Bitcoin aura éclaté, ceux qui vont se faire arnaquer pourront certes dire : « c’est une arnaque les monnaies machin, il faut les interdire », mais aussi : « et si on reprenait le concept de la monnaie P2P, pour en réécrire le code ? »

Et là, les gens vont commencer à réfléchir au code de la monnaie ! Et pas forcément pour arnaquer les autres, mais pour trouver le code qui permette d’échanger dans le temps, avec les générations futures. Et ainsi définir la monnaie que l’on veut créer. Maintenant que c’est techniquement faisable, il est fort possible que l’on voit un foisonnement d’initiatives.

Et on est pas forcément dans le winner takes all [en], le premier le plus fort qui écrase tous les autres. Si les monnaies sont complémentaires, si elles ont chacune des secteurs bien définis, ce n’est pas impossible de les voir cohabiter.

Mais est-ce que cela ne va pas devenir un peu compliqué au quotidien ?

On aurait dit la même chose des médias il y a trente ans, quand il y avait juste la radio. On écoutait juste une seule voix, alors qu’aujourd’hui on lit dix blogs, la radio, un peu de télé, et un magazine, etc. On ne lit pas tout, mais on choisit les sources qui, en fonction de nos besoins, nous correspondent. Et dans la mesure où c’est aujourd’hui totalement dématérialisable, cela sera d’autant plus facile. Avec ta carte bleue, tu taperas 1 pour payer en euros, 2 pour les Bitcoins, ou 3 pour la monnaie locale du quartier. Une fois que c’est dématérialisé, c’est assez facile.

Le blog d’Étienne Hayem (aka @zoupic)

Photo PaternitéPartage selon les Conditions Initiales Mukumbura ; Wikimédia Paternité epSos.de

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Bitcoin: de la révolution monétaire au Ponzi 2.0 http://owni.fr/2011/06/15/bitcoin-revolution-monetaire-ponzi/ http://owni.fr/2011/06/15/bitcoin-revolution-monetaire-ponzi/#comments Wed, 15 Jun 2011 17:13:16 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=67811 Toucher aux règles monétaires n’a rien d’anecdotique. Lorsque nous dépensons, que nous travaillons, tous les jours, ce que nous faisons a un rapport avec la monnaie, sans même que nous y pensions.

Que se passe-t-il alors lorsque des geeks créent une monnaie universelle, décentralisée, sécurisée, anonyme ? Lorsque ceux-ci peuvent faire du commerce en dehors de toute forme de contrôle, qu’il soit bancaire, étatique, ou fiscal ?

En apparence, une révolution. Mais à condition de ne pas reproduire les méfaits que l’on veut combattre.

Qu’est-ce que bitcoin ?

Bitcoin est une monnaie virtuelle créée en 2009 par Satoshi Nakamoto, un personnage mystérieux dont personne ne connait la véritable identité. Ce dernier, empruntant de vieilles idées issues des années 90, publia un document (pdf) décrivant les caractéristiques d’une monnaie décentralisée :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Bitcoin est donc deux choses à la fois : il s’agit tout d’abord d’un outil très basique de gestion de portefeuille, un logiciel open-source que tout le monde peut télécharger et lancer depuis son ordinateur. Mais bitcoin, c’est surtout un protocole d’échange monétaire : en combinant le code de bitcoin et la puissance du réseau P2P, un système monétaire totalement alternatif est ainsi créé.

Un système monétaire sécurisé, anonyme, et pourtant sans banque ni aucune autorité centrale.

Comment ça marche ?

Pour fonctionner, bitcoin a besoin d’une puissance de calcul afin de vérifier et archiver les transactions effectuées. Concrètement, il faut donc que des personnes mettent leur processeur d’ordinateur à disposition du réseau. Pour les inciter à le faire, condition nécessaire au bon fonctionnement du réseau, Satoshi Nakamoto a eu une idée assez originale : rémunérer ces personnes par l’émission de nouveaux bitcoins.

Il suffit de cliquer sur un bouton pour participer au réseau

A chaque fois qu’un pair du réseau résout l’algorithme permettant de boucler un bloc de transactions et ainsi maintenir à jour le registre des transactions, il est crédité de quelques bitcoins, faisant ainsi croître progressivement la masse monétaire, qui atteint aujourd’hui environ 6.540.300 bitcoins.

Mais, de manière assez étrange, Satoshi Nakamoto a programmé bitcoin pour que la masse monétaire tende à une limite de 21 millions de bitcoins d’ici 2030 environ. Du coup, plus le temps passe, plus il devient difficile d’obtenir des bitcoins. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes comme nous allons le voir plus loin.

Chaque participant, en téléchargeant bitcoin sur son ordinateur, peut gérer lui même son dépôt de bitcoins, sans intermédiaire : il est maître de ses données. Le logiciel attribue automatiquement un numéro de compte unique permettant de recevoir des transactions. Tout le monde peut ainsi librement échanger des bitcoins avec d’autres personnes à travers le monde, sans aucune taxe.

A chaque fois qu’une transaction est effectuée, le logiciel notifie les autres nœuds du réseau auxquels il est connecté. Ces nœuds se chargent alors de vérifier que cette transaction n’a été effectuée qu’une seule fois, et tiennent petit à petit à jour un registre, partagé dans le réseau, de toutes les transactions effectuées.

De cette manière, personne ne peut créer de fausse monnaie, ou “multiplier la monnaie” comme le font aujourd’hui les banques lorsqu’elles émettent des crédits. Chaque unité de monnaie n’appartient qu’à une seule personne à la fois.

Aujourd’hui, l’économie des bitcoin représente environ 130 millions de dollars, et les usages sont très divers : de la vente de noms de domaines, de l’hébergement, entre autres… Certains se servent aussi de bitcoin pour éviter les frais de change. WikiLeaks le proposent comme moyens de paiement pour recevoir des dons. De même, le site (illégal) de vente de drogue en ligne Silk Road l’a adopté comme unique moyen de paiement, faisant ainsi bénéficier aux internautes de l’anonymat du système. Ce genre d’usages sert d’ailleurs de prétexte à deux sénateurs américains qui demandent l’interdiction de Bitcoin.

Y-a-t-il une « bulle bitcoin » ?

Comme la convertibilité du bitcoin en plusieurs monnaies étrangères est assurée par des sites comme MtGox.com ou Tradehill.com, certains s’amusent aussi à spéculer sur le cours du bitcoin. En effet, comme la volatilité du bitcoin est très forte depuis les dernières semaines, il est possible de réaliser de très grosses plus-values.

Du coup, un grand débat a lieu ces temps-ci sur Internet pour savoir si le bitcoin est surévalué, s’il y a une bulle spéculative, ou s’il ne s’agit tout simplement pas d’une arnaque.

L’avantage de bitcoin est que le système est totalement transparent : du code source du logiciel que vous installez, au nombre de bitcoin en circulation, toute l’information est disponible.

Contrairement aux monnaies officielles, la confiance n’a pas besoin d’être instaurée par un gouvernement ou une banque centrale : elle émane d’un accord des participants avec les règles qui régissent le système ; code is law, comme on dit chez les geeks. Si des gens utilisent bitcoin aujourd’hui, c’est donc que les règles sont suffisamment claires, acceptées, et que le système est sécurisé pour que la confiance s’établisse.

Que bitcoin fasse l’objet d’une activité spéculative importante est un fait. Mais est-ce que la seule spéculation explique la valeur actuelle du bitcoin ? Certaines raisons tendent à prouver que non :

  • Bitcoin voit le jour dans une période de grands troubles monétaires. Le dollar est sur le point de s’effondrer sous le poids de la dette américaine et de la politique de la FED (la banque centrale américaine), alors que dans le même temps l’euro est sous menace d’un éclatement. Bref, ces monnaies dites de “réserve de valeur” vont très probablement perdre leur valeur dans les prochains mois par la mise en route de la planche à billet, et de l’inflation qui en résultera. Ces monnaies sont actuellement sujette à une grande défiance comme le montre la montée des valeurs refuges telles que l’or et de l’argent.
  • Face à la montée de ce risque, bitcoin se présente non seulement comme une valeur refuge, mais aussi comme un moyen de paiement alternatif. En effet, même si bitcoin n’a pas de valeur sous-jacente (comme autrefois le dollar était rattaché à l’or), il demeure un système monétaire dont la création est strictement contrôlée. Il s’agit donc d’une monnaie rare, certains la comparent même à une matière première virtuelle. Bref, un placement utile en temps de crise.

Pour toutes ces raisons, bitcoin est une monnaie alternative intéressante, et l’engouement qu’il suscite est logique compte tenu du contexte actuel.

Le retour du “Ponzi scheme”

Pourtant, tout n’est pas parfait dans les règles monétaires de bitcoin, et notamment la question de la création monétaire qui agite beaucoup la communauté.

L’idée de Satushio Nakamoto de récompenser ceux qui contribuent à la santé du réseau est d’un coté assez astucieuse : elle incite les premiers early adopters à venir “miner” afin de gagner des bitcoins, et ainsi à contribuer à l’élargissement de la communauté. En effet, plus la communauté grossit, plus il y a de nouveaux biens et services pouvant être échangés. La valeur du bitcoin augmente donc logiquement.

Mais le système est aussi très injuste, car le degré de difficulté du minage est configuré de manière à augmenter progressivement, afin de freiner la croissance de la masse monétaire, limitée à terme à 21 millions d’unités. Du coup, alors que les premiers utilisateurs de bitcoin pouvaient – aux premières heures – empocher jusqu’à 50 bitcoin en une semaine, il faut aujourd’hui quelques semaines pour gagner le moindre bitcoin (et encore, selon la puissance de votre processeur…). Aujourd’hui, la difficulté du mining est telle qu’il est parfois préférable d’acheter directement des bitcoin avec des euros plutôt que de faire chauffer sa bécane des nuits durant. D’autres optent pour des stratégies alternatives en créant des pools de mining (ils mettent en commun les ressources de leurs ordinateurs) , ou insèrent des codes javascript dans leurs pages web afin d’exploiter la puissance de calcul de l’ordinateur de leurs visiteurs, à leur insu.

On constate donc une asymétrie des droits entre les premiers utilisateurs de bitcoin et les nouveaux arrivants qui n’est pas sans rappeler le tristement célèbre schéma de Ponzi, comme l’explique Stéphane Laborde de creationmonetaire.info :

La pyramide bitcoin est uniquement temporelle et non spatiale, puisque dans l’espace, personne n’est privilégié vis à vis de la création monétaire : à un instant t, chaque utilisateur peut générer un bitcoin, où qu’il se trouve.

Mais temporellement, ça ne marche pas parce que la quantité totale de monnaie est limitée. Il arrive un temps t où de même que le pic pétrolier, on arrivera à une expansion maximale. Du coup les derniers entrants, toujours plus nombreux, en réalisant des échanges, verront leurs valeurs ne pas susciter d’échanges plus importants, et gagneront de moins en moins de bitcoin avec des investissements toujours plus lourds.

En fait, les derniers entrants sont floués, parce que la création monétaire ne s’est faite que pour les premiers entrants, n’alimentant le circuit que pour eux.

Que reste-t-il des ruées vers l’or, à part des villes fantômes ?

La révolution inachevée

Bitcoin est à n’en pas douter une prouesse technologique. Et le fait que certains veuillent l’interdire est loin d’être anodin : bitcoin constitue une menace pour le capitalisme financier et les gouvernements. Mais est-ce pour autant une véritable monnaie, telle que définie par Bernard Lietaer à savoir un « un accord au sein d’une communauté pour utiliser quelque chose comme moyen d’échange » ?

Plus qu’une monnaie comme protocole d’échange, Bitcoin tente de ressusciter une sorte d’étalon-or, dont la valeur est garantie par sa rareté. Mais cette rareté a-t-elle un sens dans un monde numérique inondé d’abondance ?


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Retrouvez les autres articles du dossier sur les bulles économiques :

Gaz de schiste, les nouveaux subprimes ?

Grand Paris, énergie, économie… PYRAMIDES DE PONZI !

Une Loguy pour OWNI /-)

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“Debtocracy”, le documentaire qui secoue la Grèce http://owni.fr/2011/06/09/debtocracy-documentaire-choc-grece/ http://owni.fr/2011/06/09/debtocracy-documentaire-choc-grece/#comments Thu, 09 Jun 2011 06:28:31 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=66660
Cette interview a été initialement publiée sur OWNI.eu le 6 mai dernier. Suite à la publication de la version sous-titrée en français du documentaire, nous publions aujourd’hui la traduction française.

Né à Athènes, Aris Hatzistefanou, 34 ans, est un journaliste à toute épreuve depuis ses plus jeunes années. Journaliste en Palestine, puis à Londres pour la BBC, son émission de radio “infowar” sur la station grecque Sky Radio, très écoutée, fut arrêtée quelques jours seulement avant la publication du documentaire Debtocracy, dont le message est à contre-courant de la pensée dominante.

Ce projet a attiré l’attention de plus d’un million de personnes en Grèce, et a popularisé une campagne nationale demandant une commission d’audit de la dette publique du pays. OWNI s’est entretenu avec l’homme derrière ce subversif documentaire qui secoue l’opinion grecque, dans une période très difficile pour le pays.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

(Cliquer sur le bouton CC en haut du player pour sélectionner la langue des sous-titres)

Quelle est l’histoire de Debtocracy ?

L’idée nous est venue après une émission sur Sky Radio sur la manière dont le président équatorien avait géré la dette colossale du pays : il mis en place une commission chargée d’auditer la dette souveraine du pays, et arriva à la conclusion que d’autres pays étaient en train d’utiliser l’Équateur comme un “esclave”, tout comme l’Argentine et d’autres pays avant lui. Par conséquent, le gouvernement équatorien força les créanciers à subir un « haircut » [des pertes, ndlr] de 70%.

Dans le même temps, en Grèce, des gens étaient en train de lancer une initiative similaire, et recherchaient du soutien pour cela. Du coup, mon émission sur Sky Radio entrait en écho avec leur discours. Et beaucoup de gens semblaient se demander si nous pouvions faire la même chose en Grèce.

Katerina Kitidi (éditrice en chef de TV XS) et moi nous sommes alors décidés à produire ce documentaire. Mais nous n’avions pas d’argent, et ne voulions surtout pas demander des financements auprès d’un quelconque parti politique, syndicat, entreprise, ou pire, une banque. Nous avons alors eu l’idée de demander aux gens de nous aider en lançant une campagne de crowdfunding.

Et cela a très bien marché ! Nous avons récolté 8.000 euros en seulement dix jours, ce qui est pas mal du tout en Grèce, surtout dans le contexte actuel.

Au début, ce projet était censé n’être qu’une vidéo de plus sur YouTube ! Mais comme beaucoup de gens nous ont proposé leur aide (des professionnels de l’audiovisuel notamment), et que beaucoup de gens nous ont aidés financièrement, nous avons pu réaliser un véritable documentaire. À un moment, nous avions même tellement de dons que nous avons décidé d’investir dans la promotion du film, ce qui n’était pas prévu.

Alors que ce projet avait été initié par deux personnes, environ quarante personnes ont contribué au final.

Katerina Kitidi et Aris Hatzistefanou.

Comment le film a été reçu en Grèce ?

Nous avons eu plus d’un demi-million de vues en moins d’une semaine, et nous sommes aujourd’hui à plus d’un million. Mais en dépit de ce succès, les média grecs n’en touchèrent pas un mot au début. Puis, quand ils ont vu le succès du film, ils ne pouvaient plus faire comme si nous n’existions pas. Il sont alors commencé à nous critiquer et à tenter de nous décrédibiliser. Jusqu’à présent, aucune chaine de télévision n’a parlé de nous, même négativement.

En fait, le jour où ils le feront, c’est que nous aurons gagné.

Quel est le message que vous voulez faire passer avec ce documentaire ?

Nous défendons le point de vue que la situation actuelle n’est qu’une partie d’un problème bien plus global, notamment lié au problème de l’euro. Parce que l’euro est divisé entre son cœur et la périphérie, nous sommes condamnés à souffrir de pertes de compétitivité face à l’économie mondiale, car nous ne pouvons pas dévaluer notre monnaie.

Je ne nie pas que nous avons notre propre part de responsabilité. Le problème de la Grèce est que notre fiscalité ne s’est pas adapté au modèle d’État-providence que nous avons mis en place : les entreprises ne sont pas assez taxées, les déficits ne sont donc pas contrôlés. Nous avons aussi un grave problème de corruption, mais cela reste un détail : nous pourrions mettre tous les politiques en prison, mais qu’est-ce que cela changerait ?

Bref, ce qui se passe actuellement ne peut pas être totalement de la faute des “PIIGS”, comme ils nous appellent.

Nous disons aussi que le modèle allemand n’est pas un modèle à suivre. Ils ont simplement gelé les salaires depuis dix ans ! Ce n’est pas soutenable pour l’ensemble de l’Europe !

Certains disent que votre point de vue n’est pas impartial. Que leur répondez-vous ?

Tout d’abord, nous n’avons jamais prétendu être mesurés. C’est même plutôt l’inverse, puisque nous pensons que nos contradicteurs ont largement eu le temps et l’espace médiatique pour faire valoir leur position. D’ailleurs, leur position n’est pas vraiment équilibrée non plus…

Certains critiquent aussi le fait que l’Équateur n’est pas un bon exemple, car c’est un pays en voie de développement qui a du pétrole. Mais le pétrole ne représente que 25% du PIB de l’Équateur, et nous, nous avons nous aussi en Grèce notre propre pétrole : le tourisme.

Après, on aurait pu prendre n’importe quel autre pays comme exemple, il y aurait toujours des gens pour dire que « comparaison n’est pas raison », même si le contexte est tout de même similaire, avec une spirale d’endettement et l’intervention du FMI. Mais au final, ils essaient juste de faire dériver la conversation afin de ne pas répondre au principal sujet de ce film : la nécessité de créer une commission d’audit de la dette.

À votre avis, que devrait faire la Grèce aujourd’hui ?

C’est clair que la Grèce ne peut repayer sa dette, que celle-ci soit légale ou pas, et quel que soit son montant et son taux d’intérêt. Plus de 350 milliards de dettes, c’est déjà trop. Très ironiquement, les marchés semblent plus lucides que le gouvernement, qui continue de dire que l’on peut trouver l’argent. Mais les marchés ne sont pas stupides. Les plans de sauvetage n’ont en vérité qu’un seul objectif : sauver les banques françaises et allemandes, qui tomberaient si la Grèce faisait banqueroute.

Donc, de notre point de vue, nous ne devrions rien attendre des décideurs européens. Si nous attendons, il sera trop tard pour prendre les mesures nécessaires. Nous devons donc trouver nous même des solutions, et lancer des initiatives.

Une fois que cela est dit, la première chose que nous devons faire et de mener un audit de la dette grecque, de manière à discerner la dette légale de celle qui ne l’est pas. Un certain nombre d’indices tendent à montrer qu’une grande partie de la dette est odieuse, voire illégale. Mais seule une commission d’audit saurait le démontrer. C’est pourquoi nous soutenons complètement cette initiative, même si nous soulignons l’importance que cette commission soit menée de manière transparente et démocratique. Pas par les parlementaires.

Après, nous sommes plus radicaux que d’autres dans nos propositions car nous pensons que nous devrions stopper le remboursement de la dette, quitter l’euro, et nationaliser le secteur bancaire. Ce n’est pas quelque chose de facile à défendre, car cela parait très radical, mais même certains économistes et hommes politiques commencent aussi à étudier ces options.

Nationaliser les banques peut sembler être une proposition communiste, mais j’y vois plutôt du pragmatisme : il faut protéger le pays d’une éventuelle fuite des capitaux vers l’étranger, dans le cas où nous quittons l’euro.

Avez-vous des liens avec d’autres initiatives de ce type en Europe ?

Nous avons été contactés par de nombreux groupes, notamment pour que nous traduisions le documentaire. Ce qui est désormais chose faite. Mais nous ne collaborons pas vraiment avec eux en tant que tel, nous leur permettons simplement de réutiliser notre travail, qui est sous licence Creative Commons.

Comment voyez-vous l’avenir de la Grèce ?

L’année dernière, il y a eu plusieurs soulèvements contre le plan de sauvetage du pays, mais les citoyens sont très découragés depuis. Pendant les dix dernières années, l’opposition n’a jamais rien proposé qui puisse rassembler l’opinion publique. Certains pensent que les grecs se font une raison, mais je sens que l’indignation est toujours bien là, sous nos pieds. Elle n’attend qu’un nouveau prétexte pour être ravivée.

Il est intéressant de noter qu’aucun parti politique n’a le contrôle des mouvements de protestation, et que personne ne guide ce mouvement. Je redoute donc que la situation ne s’enflamme de nouveau, d’une manière violente. Mais il est impossible de prévoir quand et pourquoi.

Quelle est la suite pour Debtocracy ?

Grâce à toutes les personnes qui nous ont soutenus, nous avons collecté plus d’argent que nécessaire pour la production du film. Nous avons donc décidé de créer un compte spécial pour que les gens déposent leurs dons. Si nous n’utilisons finalement pas cet argent pour un nouveau projet dans les six mois, les donateurs seront remboursés.

Franchement, nous ne nous attendions pas à un tel succès avec si peu de moyens. Ce n’était pas facile, mais nous nous sommes prouvé que nous pouvions faire de grande choses avec peu de ressources, surtout quand vous êtes entourés de personnes talentueuses.

Internet nous a beaucoup aidés, mais nous voyons aussi les limites de l’outil. Nous devons aujourd’hui aller à la rencontre de ceux qui ne sont pas forcément sur Internet, notamment à l’extérieur d’Athènes. Si nous n’étions que sur Internet, notre approche resterait trop élitiste. C’est pourquoi nous envisageons de distribuer des DVD et d’organiser des projections dans des théâtres ou des cinémas.

Nous voulons vraiment aller plus loin, faire face aux tabous des médias mainstream grecs. Aujourd’hui, si les gens ne participent pas eux-mêmes à la production de l’information, il n’y aura jamais aucune entreprise de média prête à leur donner la parole.


Crédit photo : Debtocracy

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Faillite de Icesave : qui paiera pour le non des Islandais ? http://owni.fr/2011/04/20/islande-referendum-icesave-banques/ http://owni.fr/2011/04/20/islande-referendum-icesave-banques/#comments Wed, 20 Apr 2011 17:59:47 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=58177 Le 9 avril dernier, les Islandais ont rejeté à 59% l’accord prévoyant le remboursement des gouvernements britannique et néerlandais dans le cadre de la faillite de la banque en ligne Icesave.

De nombreuses voix se sont félicitées du refus des Islandais de payer pour les erreurs des banquiers. Certains allant même jusqu’à qualifier la victoire du “non” au référendum de “rébellion contre la finance internationale” ou de “victoire contre les banksters”. Une analyse un peu rapide.

La garantie des dépôts, éternel talon d’Achille du système bancaire

Dans la plupart des pays la protection des déposants n’est que purement théorique. En effet, comme le soulignent plusieurs rapports de banque centrale et autres économistes, les fonds de garantie sont en réalité largement sous-capitalisés, de sorte que le système ne peut en aucun cas subvenir à une faillite systémique.

En France, par exemple, notre fonds de garantie des dépôts ne dispose que de 1 à 2 milliards d’euros tandis que de son coté, le fonds de garantie islandais, le tryggingarsjodur n’était doté que de 47 millions d’euros en 2008, notamment en raison du fait qu’il n’était pas conçu pour faire face à une augmentation aussi extensive du montant des dépôts des banques islandaises. Mais comme le précise la directive européenne, c’est aux États d’accueil des banques étrangères (par exemple les autorités hollandaises et anglaise dans l’affaire islandaise) de s’assurer de la conformité du système de garantie des dépôts des banques étrangères agissant sur leur territoire. Torts partagés sur ce point, donc.

Le recours de cet affaire devant une cour de justice devrait donc permettre d’y voir plus clair sur la signification exacte des traités. Néanmoins, il n’y a que peu de chances que l’Islande ne paie pas. La question est plutôt de savoir : qui paiera entre la banque (nationalisée) Landsbanki par la vente de ses avoirs, et le gouvernement islandais (c’est à dire les contribuables) ? La nuance est lourde de conséquences, en Islande comme dans le reste de l’Europe.

L’affaire Icesave

L’histoire d’Icesave débute en 2006. Filiale de la banque islandaise Landsbanki, c’est un établissement bancaire en ligne créé pour s’adresser à une clientèle européenne. Avec de hauts rendements proposés aux déposants, Icesave capitalise plus de 700 millions d’euros en quelques mois et gagne rapidement les faveurs de 320.000 clients anglais et néerlandais, et ouvre des succursales en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, donc avec l’accord des autorités bancaires locales.

Mais la crise financière de septembre 2008 emporte Icesave – comme 85% banques islandaises. Icesave est en banqueroute et doit plus de 3,8 milliards d’euros de dépôts. Or, le 6 octobre 2008, la banque est nationalisée, reportant indirectement le poids de cette colossale dette (40% du PNB du pays) sur l’État islandais.

Il faut dire que nous étions à cette époque là au plus fort de la crise : Lehman Brothers venait de tomber le 30 septembre, et toutes les banques européennes étaient sous pression de fuite des dépôts. Un non-remboursement des clients d’Icesave aurait donc pu créer un dangereux précédent en Europe, et précipiter le secteur bancaire dans la banqueroute généralisée.

Du coup, les États néerlandais et britannique se sont empressés de garantir les déposants de Icesave (jusqu’à 50.000 £ en Angleterre, et 100.000 euros en Hollande) en utilisant leur propre fonds de garantie, avant de se retourner vers l’état islandais pour obtenir le remboursement de ces sommes.

Pour cela, ils vont utiliser tous les moyens possibles : de l’utilisation de la loi anti-terroriste par le gouvernement britannique pour geler les actifs de Landsbanki, aux pressions diplomatiques anglaises et hollandaises pour bloquer le renflouement du pays prévu par le FMI. C’est dans ces circonstances particulières que le gouvernement islandais donne finalement en novembre 2008 son accord de principe pour que les dépôts soient remboursés, à hauteur de 20.000 euros par client, le montant des garanties fixé par le système de garantie des dépôts irlandais.

Les négociations commencent alors entre les gouvernements islandais, britannique et néerlandais, et aboutissent en juin 2009 à un accord demandant à l’Islande de rembourser 3,8 milliards d’euros, sous la forme d’un emprunt à 5,5% de taux d’intérêt à rembourser sous 15 ans.

Mais, poussé par une pétition recueillant plus de 50.000 signatures, Ólafur Ragnar Grímsson, le président islandais, refuse de ratifier le texte et provoque un référendum qui se concrétise le 6 mars 2010 par un rejet de l’accord par 93% des suffrages.

L’Islande reprend donc les négociations avec l’Angleterre et les Pays-Bas et obtient cette fois-ci un accord beaucoup plus avantageux, que le parlement adopte le 16 février dernier. C’est cet accord qui a été rejeté lors du dernier référendum, renvoyant probablement l’affaire devant une cour de justice européenne.

L’issue d’une telle procédure est justement assez incertaine. Car la question qui se posera au parquet européen n’est pas tant d’ordre morale, comme l’a été dans une certaine mesure l’objet du référendum, que d’ordre légal.

Une improvisation coupable ?

En tant que branche (et non filiale) de Landsbanki, Icesave était soumis au système de garantie des dépôts islandais, et non britannique ou néerlandais. Or, aucun texte de loi n’oblige un Etat à se substituer au fonds de garantie des dépôts d’un autre pays comme l’ont fait Londres et Amsterdam. C’était donc au fonds islandais de rembourser directement les clients, et les gouvernements néerlandais et britanniques auraient a priori dépassé leurs prérogatives en prenant les devant.

De même, l’Etat islandais n’avait pas nécessairement à avancer sa garantie souveraine puisqu’en principe, le fonds de garantie des dépôts est le premier exposé à la défaillance d’une banque. Les traités européens et de l’Alliance européenne de libre-échange (AELE) à laquelle appartient l’Islande le stipulent d’ailleurs très bien. Ce que l’EFTA, l’autorité financière de l’AELE n’a pas manqué de rappeler en mai dernier :

L’autorité de surveillance a la tâche de s’assurer que l’Islande, la Norvège, et le Liechtenstein se conforment aux termes de l’accord européen de libre échange. La directive [94/19/EC, ndlr] sur la garantie des dépots fait partie de ces termes. Selon cette directive, l’Islande était obligée de garantir – après Landsbanki – les déposants des branches néerlandaises et britanniques de la banque Icesave, à hauteur de 20.000 euros.

Mais, même si l’Islande doit concourir à son fonds de garantie en dernier ressort, le gouvernement islandais, en promettant son soutien direct aux clients de Icesave, a offert aux Pays-Bas et à l’Angleterre un mauvais prétexte de traiter directement avec lui, plutôt qu’avec le fonds de garantie islandais, ou mieux : la banque Landsbanki !

Ce qui est plutôt étrange, vu que le gouvernement assure depuis toujours – et le répète aujourd’hui – que les actifs de la banque permettraient de rembourser au moins 90% des dépôts des anciens clients de Icesave. C’est bien à eux que devraient revenir les gains de la vente de ces actifs si la procédure avait été normalement suivie.

Ce sont donc en partie à cause de décisions précipitées dans un contexte de panique que l’on se retrouve dans cette situation absurde : une dette privée de Landsbanki envers des clients européens se transforme en dette souveraine de l’Islande envers le gouvernement britannique et néerlandais.


Photo flickr Courtesy InDefence ; CC Artyvee ; CC Helgi Hall

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Crise de la dette: la stratégie de la poussière sous le tapis http://owni.fr/2011/03/24/sommet-europeen-crise-dette/ http://owni.fr/2011/03/24/sommet-europeen-crise-dette/#comments Thu, 24 Mar 2011 18:23:06 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=53288 Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se réunissent ce soir et demain pour acter la mise en place d’un dispositif de solidarité financière entre les États de la zone euro, et ainsi tenter de sortir l’euro de la crise de la dette souveraine.

Et malgré les derniers rebondissements liés à la démission du Premier ministre portugais, tout semble être sous contrôle. Par quelques artefacts financiers, le Portugal devenu insolvable pourra à nouveau s’endetter. Et l’Union européenne aura ainsi “sauvé” le pays de la faillite. Elle aura même sauvé l’euro.

En apparence, tout va bien. Pourtant, la crise de la dette n’a jamais été aussi loin d’être résolue.

Les spéculateurs n’y sont pour rien

Car, contrairement à l’idée que l’on peut se faire au premier abord, il ne s’agit pas d’une “crise financière de plus” dont les méchants spéculateurs seraient coupables.

Ces derniers, de même que les agences de notation, ne font que réagir mécaniquement à la situation catastrophique de certains pays : des pays très endettés dont les déficits chroniques et les faibles espoirs de croissances mettent en doute leur capacité à rembourser la dette qu’ils ont contractée. Et ce d’autant plus que, dans le cadre de l’euro, ces pays se sont formellement interdits de recourir à la planche à billet pour liquider leurs dettes.

La réaction des investisseurs n’est au fond pas très différente de celle du bon père de famille : lorsque le risque est trop fort, il ne prête pas son argent, ou pas à des taux faibles.

On est donc dans une crise bien différente de celles des subprimes qui avait exposé au grand jour les turpitudes du monde de la finance. Cette crise remet en cause les fondamentaux économiques du modèle de croissance des pays développés : l’endettement massif des États pour soutenir la croissance économique.

Cacher la dette sous le tapis

Les institutions européennes n’étaient pas configurées pour faire face à ce cas de figure. Du coup, on bricole des mécanismes dits de “stabilité financière”. Ainsi, plutôt que de s’endetter auprès des marchés, on permet aux États en difficultés (la Grèce, l’Irlande, et bientôt le Portugal) de s’endetter auprès d’un fonds garanti par les autres États européens. Le poids de la dette des États en difficulté est transféré des marchés vers d’autres États qui se financent auprès des marchés. Autrement dit, on cache ainsi la poussière sous le tapis… pour ne surtout pas changer le système.

Et dans leur aveuglement, les dirigeants européens nous vantent ce qu’ils appellent “la solidarité financière européenne” , la bonne santé de l’Allemagne aidant la Grèce et l’Irlande à se sortir du trou. C’est beau.

De quelle solidarité parle-t-on vraiment ?

Malheureusement, cette solidarité a un prix : non pas seulement le taux d’intérêt surévalué qu’il faudra rembourser, mais surtout des plans d’austérité drastiques visant à rétablir l’équilibre des comptes publics. Ce qui semble aller de soi, mais qui en pratique se concrétise par une croissance affaiblie des pays concernés, rendant ainsi encore plus improbable le remboursement de la dette contractée.

Les exemples de l’Irlande et de la Grèce sont frappants. En Irlande, 100.000 personnes ont quitté le pays, faute de perspectives d’emploi, tandis qu’en Grèce, la “génération 500 euros” est dans les rues presque tous les jours pour contester la légitimité de cette dette. Et comme si cela ne suffisait pas, les investisseurs retirent leurs capitaux de ces pays, redoutant une récession économique plus forte encore, voire pire : la faillite des banques.

Alors qu’ils visaient à éviter un défaut des États sur leur dette souveraine, les plans d’austérité accélèrent précisément le processus. L’échec de la réponse européenne est donc prévisible.

« Mais a-t-on vraiment le choix ? »

Telle serait la réponse de Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss-Kahn.

Si les États ne remboursent pas leur dette, leurs créanciers qui sont principalement des banques et assurances, perdraient des sommes colossales ! Et ces banques – qui au passage, détiennent vos avoirs, votre assurance vie etc. – sont déjà pour certaines très fragilisées par la crise des subprimes de 2008. Si bien qu’en cas d’effet boule de neige, le risque systémique d’une banqueroute généralisée n’est pas exclu.

Comble de l’ironie, pendant qu’en Irlande, le nouveau gouvernement remet en cause le plan de sauvetage décidé sous le précédent gouvernement, l’opposition portugaise, elle, rejette un énième plan d’austérité visant justement à éviter l’aide de l’UE et du FMI, pour ne proposer rien d’autre que d’accepter l’aide de l’Union Européenne… et sa contrepartie : l’austérité budgétaire.

Le serpent se mord la queue, et l’absence d’alternatives est affligeante : il faut continuer à renflouer tout le monde… et presser les populations comme des citrons à coup de taxes, pour résorber les déficits…

Il y a des alternatives, explorons les !

Les faits sont pourtant là : la dette est insolvable, les perspectives de croissances sont faibles, et l’austérité ne marche pas. L’Europe est dans l’impasse et nos dirigeants entretiennent le déni en recherchant en vain à éviter à tout prix ce qu’ils considéreraient comme un effondrement du système : les défauts des États.

Le tableau décrit ci-dessus peut paraitre bien pessimiste. Et pourtant, il ne l’est pas tant. Comme le dit le célèbre proverbe Shaddock : « S’il n’y a pas de solutions, c’est qu’il n’y a pas de problème » ou plus précisément : c’est que le problème n’est pas clairement identifié.

Les vraies questions, certains osent pourtant les poser : “Pourquoi faut-il toujours sauver les banques ?” se demandent les citoyens grecs ou irlandais. “Le rôle de la Banque Centrale Européenne est-il correctement calibré ? Pourquoi ne pas créer de la monnaie pour rembourser nos dettes ?” interrogent certains économistes. “Et si la solution, c’était le retour au franc ?” prétendent les souverainistes.

Chez OWNI, ces questions ne nous font pas peur. Mieux : elles nous intéressent. C’est pourquoi nous avons décidé de lancer un projet : une “cellule de crise” visant à informer les citoyens sur cette crise, l’expliquer, et enfin, explorer les alternatives qui existent malgré l’ignorance des politiques et médias mainstream.

Ce projet ce concrétise par l’ouverture d’un blog collaboratif permettant d’allier le savoir-faire de OWNI en terme de journalisme numérique avec l’expertise des contributeurs de la communauté d’OWNI sur les questions économiques et financière.

OWNI se donne ainsi pour devoir de donner la parole à tous ceux qui posent de bonnes questions et proposent des alternatives. Si vous voulez en être, n’hésitez pas à vous signaler !

Illustrations CC European Parliament ; Asteris Masouras ; acb

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http://owni.fr/2011/03/24/sommet-europeen-crise-dette/feed/ 22
Yoland Bresson: “le revenu d’existence sera au centre du débat en 2012″ http://owni.fr/2011/03/18/yoland-bresson-revenu-existence/ http://owni.fr/2011/03/18/yoland-bresson-revenu-existence/#comments Fri, 18 Mar 2011 15:58:44 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=52029 Yoland Bresson, économiste, est auteur de plusieurs ouvrages dont Le revenu d’existence ou la métamorphose de l’être social paru en 2002 ; et plus récemment Une clémente économie : Au-delà du revenu d’existence. Il est l’un des tous premiers défenseurs du revenu d’existence depuis les années 80, et a fondé l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence. Il est donc un interlocuteur privilégié sur le sujet du revenu universel, et c’est pourquoi je suis allé à sa rencontre pour un entretien de près d’une heure.

Bonjour Yoland Bresson, vous êtes économiste et défendez depuis très longtemps le revenu universel, que vous nommez “revenu d’existence”. Comment en êtes-vous arrivé à cette proposition, et quel a été votre cheminement ?

Aussi surprenant que ça puisse paraître, c’est le Concorde qui a été le point de départ de toute la réflexion. Au titre de professeur-économètre, j’ai fait partie de l’équipe franco-américaine en 1972 à qui on a confié la tâche de fixer le prix des billets du supersonique. Malgré tous les modèles économiques que nous avons essayé, rien n’a vraiment fonctionné. Du coup, on a décidé de passer par une enquête pour essayer de comprendre ce qui pouvait motiver les gens et à quel niveau de prix certains peuvent être désireux de prendre le Concorde.

Tous les modèles économiques étaient fondés sur le postulat de départ que plus l’on travaille, plus on gagne de l’argent. La problématique revenait donc à faire gagner du temps aux gens qui travaillent beaucoup et ont de l’argent à investir. Or, dans les faits, les plus motivés n’étaient pas forcément les moins occupés mais plutôt ceux qui avaient le plus de souplesse dans leur emploi du temps. Paradoxalement, les grands patrons de l’industrie se situent dans dans cette catégorie là, bien qu’ils passaient leur temps à dire qu’ils étaient submergés de travail. Il y avait une grande différence dans la perception du temps, et finalement on observait – après coup – que plus on était riche, plus on avait du temps disponible. Il y avait donc une corrélation quasi-parfaite entre ces deux facteurs, ce qui mettait en cause presque tous les modèles de productivité, de temps de travail, le rapport loisir/travail. Partant de ce constat, j’ai cherché la loi de répartition des revenus.

N’est-ce pas un peu paradoxal ? Vous écrivez vous-même dans votre livre : « celui qui conserve le plus de temps libre doit recevoir plus ». Mais celui qui conserve le plus de temps libre, c’est le patron dont vous parliez à l’instant, non ?

Effectivement mais on ne l’explique qu’après coup, en rentrant dans le processus de l’attribution des ressources. En fait, l’économie est essentiellement un processus d’échange de temps : nous recevons de l’argent en paiement du temps que nous consacrons à une activité et nous libérons du temps en récompensant celui qui le prend pour faire ce dont nous avons besoin à notre place. Chaque échange est producteur d’une richesse : du temps disponible. Finalement, qui gagne le plus dans les échanges ? C’est celui qui libère le plus de temps pour lui. Et voilà la logique du jeu économique.

C’est ainsi que j’ai établi la loi de répartition des revenus, une formule un peu compliquée publiée dans L’Après Salariat. Le résultat nous donnait une loi de distribution des revenus théoriques qui tendait à montrer que tout le monde devait au moins recevoir la quantité de monnaie correspondant à la valeur du temps c’est à dire la valeur commune du temps, ne serait-ce que pour commencer à participer aux échanges, en termes économiques. Pour rentrer dans le jeu économique, il faut donc tout simplement que chacun reçoive inconditionnellement le montant de monnaie qui est le cœur du système. Un peu comme dans le Monopoly ! En s‘appuyant sur cette base, on éliminerait ainsi l’extrême pauvreté.

Ce n’est pas du tout de ce que je recherchais au départ. Mais à partir de là s’est enchainé toute une réflexion. Cela remettait en cause beaucoup d’observations que les uns et les autres apportaient au fonctionnement général des sociétés et de l’économie. L’Après Salariat a été publié en 1984 et a participé à une convergence étonnante. Philippe Van Parijs, spécialiste de philosophie politique à Louvain, concluait son analyse la nature de la société par la nécessité d’une allocation universelle ; en Allemagne, Claus Offee, sociologue, arrivait aussi à l’idée qu’il fallait un “basic income” ; en Angleterre, Keith Roberts, spécialiste de sécurité sociale, est parvenu à la nécessité d’un “citizen income” en cherchant une organisation optimale de sécurité sociale.

En 1984 ! C’était il y a longtemps ça ! Où en est-on maintenant ?

Philippe Von Parjis a reçu un prix pour son travail et nous a réuni à Louvain pour fonder le Basic Income European Network (BIEN) que nous avons décidé de réunir en Congrès tous les deux ans. Aujourd’hui, ce sont des congrès mondiaux qui réunissent 200 à 250 participants présidé par un Brésilien, Eduardo Suplici. En France, c’est Henri Guitton, professeur d‘économie malheureusement décédé depuis, qui a lu mon bouquin et m’a appelé pour me dire : « vous avez la réponse à la question que je me suis posé pendant toute ma vie de chercheur ! ». De là, nous avons fondé l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE).

Malgré l’ancienneté de cette proposition, comment expliquez-vous qu’elle ne soit pas débattue sur la place publique ?

Pour commencer, notre société a lutté contre la rareté des ressources depuis 8000 ans et cela a énormément façonné les mentalités. L’idée que nous puissions donner de l’argent ou autres à quelqu’un sans qu’il ne participe à la production des ressources est assimilée à du parasitisme.

Le deuxième élément, c’est qu’au sortir de la guerre, les pays occidentaux ont connu un miracle : le plein emploi salarié a amené le salariat à sa perfection, avec une protection sociale de qualité, l’intégration se faisait spontanément puisque tout le monde avait un emploi… Bref, on a connu les Trente Glorieuses, une sorte de paradis, malgré les quelques critiques. Ce n’est rien à l’échelle de l’histoire de l’humanité mais ça a considérablement marqué les pays développés. Or, une fois cette période terminée, la crise a tout changé mais on a poursuivit notre course un peu comme dans les dessins animés, le gars qui est au dessus du gouffre mais il continue de courir ! Les politiques ont dit aux gens : « on va retrouver le plein emploi » en boucle, et tous les gens le croient et sanctionnent chaque gouvernement qui n’arrive pas à redonner espoir, alors que fondamentalement, il est indispensable de changer l’organisation de nos société.

De ce point de vue, je crois que les peuples sont en avance sur les politiques : les gens commencent vraiment à se dire que cette histoire de plein emploi, ça ne va pas marcher, et qu’il faut trouver autre chose. Alors ils attendent qu’on leur propose autre chose… mais ils sont avant tout dans le refus de ce qui est, car ils n’ont pas encore de solution alternative. Ils sont donc dans le pessimisme.

S’il y a une demande des citoyens, pourquoi si peu de politiques s’en emparent ?

Les premières fois où j’ai discuté avec Christine Boutin, elle a laissé l’idée de côté. Puis, quand on lui a confié une mission sur la pauvreté, elle a rencontré beaucoup d’organisations professionnelles et de travailleurs sociaux, des milieux dans lesquels l’idée se diffusait progressivement. Et, au détour de ces rencontres, le sujet est revenu régulièrement. Elle m’a alors appelé pour qu’on en rediscute et a obtenu un crédit pour organiser un séminaire de réflexion à Port Royal, avec des philosophes, des gens de Bercy, des conseillers d’Etat. C’est à cette occasion qu’elle a décidé de publier son rapport et de promouvoir ce qu’elle a appelé le “dividende universel”. Elle a d’ailleurs bien fait de l’appeler “dividende universel” et pas le revenu d’existence : cela permet de garder une terme générique sans le connoter politiquement.

Ensuite d’autres politiques s’y sont mis, les Verts, etc. et aujourd’hui, je pense qu’on est tout prêt d’ouvrir le débat.

Pensez-vous que la multiplicité des écoles de pensées et des théories puisses précisément nuire à la clarté du débat ?

Il y a effectivement différentes propositions, avec différents noms etc. mais il y a des points absolument déterminant sur lesquels il ne faut pas transiger :

  • l’inconditionnalité ;
  • l’égalité ;
  • le fait que ce soit cumulable sans restriction ni limite avec n’importe quelle autre forme de revenu ;
  • et enfin il y a le montant, qui constitue un risque.

En tant qu’économiste, je dois tenir compte des lois et des contraintes. Avec les calculs que j’ai fait, le revenu d’existence devrait représenter entre 14 et 15% du PIB. Beaucoup disent que ce n’est pas suffisant pour vivre, mais ce n’est pas le problème. Le problème est que si l’on augmente le revenu à 800 € ou plus, l’économie va se venger. Premièrement, il y aura une tendance à la hausse des prix, et par conséquent le pouvoir d’achat réel de cette dotation va revenir vers sa norme. Deuxièmement, si le revenu d’existence est trop élevé, dans le marché mondial où nous sommes intégrés, il y aura des conséquences en termes de réduction de la croissance du PIB, par la perte de compétitivité économique globale. Et par conséquent, le niveau même du revenu d’existence qui est corrélé au niveau du PIB diminuera.

Voulez-vous dire qu’il s’agit d’arbitrer entre la réduction des inégalités et la récession ?

Le mieux immédiat peut être l’ennemi du bien futur. D’ailleurs ce qui est étonnant c’est que les libéraux extrêmes sont partisans d’un revenu d’existence élevé, mais en contrepartie de quoi les individus deviennent totalement responsables d’eux-mêmes. Donc l’Etat se désengagerait et tout serait laissé au marché : l’éducation, les assurances, etc. à l’exception de ses fonctions régaliennes. De même, à extrême gauche, l’allocation universelle d’André Gorz est aussi à peu près de ce type, mais avec l’idée suivante : à partir du moment où l’on donne ce revenu, les individus doivent par exemple donner deux heures de leur temps dans une sorte de collectivisme généralisé. Et le reste du temps est libre, non-marchand.

Ces deux extrêmes là peuvent être idéologiquement intéressants, mais ce qui m’intéresse moi, c’est que la société et les mentalités évoluent. Comme je dis souvent, nous sommes dans l’évolution consciente de la complexité : dans un système complexe – comme notre organisme humain – si on opère une modification trop brutale, la réaction sera le rejet ou la digestion. Pour faire évoluer un système complexe, la science montre qu’il faut agir au niveau des gènes fondateurs, c’est à dire au plus basique. Le revenu d’existence est un gène fondateur car il coupe le lien strict emploi/revenu. Et alors on commence à prendre conscience que l’on peut produire des richesses et organiser une distribution des richesses qui soit partiellement déconnectée de la production, parce qu’on est sorti de la rareté.

Dans le contexte actuel de crise de la dette et d’inquiétude sur les déficits, n’est-il pas plus opportun de mener une réforme profonde de la fiscalité et de transférer plus de ressource auparavant dédiés aux aides sociales vers un revenu universel plus important ?

Parmi les règles fondamentales en économie, il y en a une qui veut qu’il ne faut jamais poursuivre plusieurs buts en même temps sans quoi on n’atteint jamais l’optimum.

Le point essentiel aujourd’hui, c’est le problème de l’emploi et, par conséquent, de notre organisation productive et distributrice. Le revenu d’existence, ce n’est pas une modification de la redistribution. C’est le mode de distribution des revenus qu’il faut changer. Imaginez le système comme un jeu de carte : actuellement, l’Etat distribue les cartes au hasard et, pour équilibrer le jeu, il prend des cartes aux gagnants pour les donner aux perdants afin qu’ils continuent à jouer. Le revenu d’existence fonctionne différemment, il propose de mettre un as dans les cartes de chaque joueur dès le départ avant de distribuer le reste des cartes.

Certains demanderont  : « pourquoi ne pas distribuer un as, un roi et une reine plus qu’un as ? » Le problème, c’est que les excellents joueurs vont être incités à aller jouer à d’autres tables où les possibilités de gain sont bien meilleures, ce qui, dans le monde actuel, n’est pas un problème… A contrario, si vous ne donnez qu’un roi ou une dame, les joueurs trop faibles se retrouveront disqualifiés rapidement. c’est pour cela que la question du montant est très sensible.

Une fois que l’on a changé le mode de distribution, la société va commencer à se réorganiser à partir de ce gène.

Et le deuxième gène fondamental, c’est la suppression du contrat de travail à durée indéterminée. Tout le monde s’accroche au CDI, notamment car beaucoup de garanties supplémentaires y ont été ajouté par l’action des syndicats. D’où l’inquiétude de perdre les garanties avec le contrat.

Tout le monde cherche “l’emploi”. Mais l’emploi c’est du travail que l’on a transformé en marchandise, ce n’est pas LE travail. Karl Marx l’avait déjà dit : “chacun vend sa force de travail”. Je pense que l’on vend plus que ça : on vend son temps de vie, c’est une forme d’esclavage adouci. D’où l’idée qu’il faut que les contrats de travail soient à durée déterminée, avec reconduction tacite, ce qui libère le travail du carcan de l’emploi. Et progressivement, les gens qui étaient des salariés deviennent des participants, maîtres de leur temps, maîtres de leurs vies.

D’autant plus si l’on donne un revenu d’existence aux enfants – même si les parents pourront en utiliser une partie – lorsqu’ils arriveront à la majorité, ils auront un capital financier non négligeable, et ils sauront que toute leur vie durant, ils auront un revenu d’existence qui croîtra avec le PIB du pays. De quoi leur donner le temps de choisir leurs talents, leurs activités, et donc de s’intégrer dans le système avec le travail. Il restera juste à transformer toutes les garanties actuellement liées au CDI en garanties liées à la personne. Le salariat n’est qu’une étape de l’Histoire et, en la quittant, on change le monde !

Evidemment, il ne faut pas que tous ces changements se fasse par une révolution brutale, sans quoi on s’exposerait à une restauration qui amènerait des formes sociales encore plus violentes. Il faut que ce soit un changement conscient et consenti par les citoyens.

Vous abordez dans votre analyse la question monétaire et préfacez l’ouvrage Stéphane Laborde, La Théorie Relative de la Monnaie. Pouvez-vous expliquer en quoi sa réflexion sur le place de la monnaie rejoint la vôtre ?

Par son analyse sur la création monétaire et par ses critères mathématiques, Stéphane Laborde arrive quasiment aux mêmes conclusions que moi. Ce qu’il dit est incontestable : selon lui, la vraie égalité serait que la monnaie soit distribuée – comme au Monopoly – à chacun, alors que le système de création monétaire qui nous dirige aujourd’hui est un système de création par la dette. Concrètement, les banques “fabriquent” de la monnaie en prêtant aux particuliers et aux entreprises. Pour ce faire, elles s’appuient sur l’argent que la banque centrale leur avance. Et, si jamais il y défaut de paiement, elles se retournent également vers la banque centrale, ce qui fait que cet organe est le premier et le dernier prêteur à la fois !

Ce système vient toujours de l’époque de la rareté. Sauf que, des monnaies rares (car issues du métal), la créativité financière a inventé d’autres mécanismes pour démultiplier la monnaie, permettre l’expansion économique et lutter contre la rareté. Aujourd’hui la monnaie n’est plus rare ! Comme tout le reste, les limites sont des contraintes d’organisation, d’équilibres, d’économie générale. Par contre on entretient la rareté artificielle parce que ce système est rentable pour un certain nombre de ceux qui dirigent les mécanismes de la création monétaire, particulièrement les banques. D’où l’importance du propos de Stéphane Laborde : il faut changer les règles de création monétaire. C’est le troisième gène à modifier de la société. Moi, ce que je proposais, c’était de contourner les obstacles. Je n’étais pas allé bille en tête dans la transformation génétique de la monnaie… car c’est s’attaquer à une forteresse !

Faudrait-il sortir de l’euro pour réaliser cette transformation ?

Non, surement pas. Et justement pour des contraintes monétaires.

La crise de la dette que connaissent les Etats européens est une opportunité extraordinaire. La proportion de dette des états n’est pas catastrophique en soi, comparé aux taux de plus de 200% au sortir de la guerre par exemple. Par contre ce qui fait craindre les marchés financier, c’est l’avenir, car on ne voit pas comment ce niveau d’endettement peut diminuer. D’une part parce qu’aucun Etat ne peut raisonnablement augmenter les impôts pour rembourser la dette : les taux sont déjà relativement élevés pour financer la protection sociale, qui est un pilier fondamental de l’Europe. De plus, dans l’économie mondiale, l’Europe ne peut plus espérer avoir la croissance la plus forte et se permettre ainsi de rembourser sa dette par le décollage du PIB. Enfin, l’allongement de l’espérance de vie et le vieillissement des populations européennes provoque une hausse naturelle des charges de retraites, de santé, de la dépendance. Par conséquent, tous les financier du monde disent “attention, l’Europe peut très bien tomber en défaut, dans l’incapacité de rembourser sa dette !”

Une dette qu’elle s’est interdit de monétiser…

Effectivement. Le mécanisme européen tendrait aujourd’hui à différencier deux types de dettes : la “dette souveraine”, et la “dette subordonnée”. La dette souveraine serait la dette garantie par tous les Etats européens simultanément. L’Europe toute entière emprunterait en émettant des obligations européennes : les sommes seraient emprunté selon un même taux, redistribuées aux Etats de façon à ce qu’ils règlent progressivement leurs déficits budgétaires jusqu’à retrouver les 3% en 2013, et les 60% de dette souveraine en 2040. Les Etats pourraient s’endetter plus mais cette dette là ne serait pas garantie par l’Europe et ses intérêts seraient plus élevés.

Or, un tel emprunt serait peut-être l’opportunité idéale pour fonder un projet collectif européen de revenu d’existence à l’échelle de l’Union. En distribuant cette création monétaire supplémentaires aux particuliers de façon égale (à la manière du dividende universel de Stéphane Laborde) au rythme de 5% par an. De quoi, au passage, redonner de l’espoir dans le projet européen.

Une quatrième piste est possible : créer un franc solidaire égal à l’euro mais non convertible créé par la Banque de France qui nourrirait le revenu d’existence selon principe d’écluse consistant à remplir un réservoir de 250 milliards de francs jusqu’à atteindre le seuil de financement nécessaire pour ce revenu. Dans ce système à deux monnaies, les gens pourraient s’échanger des francs et être payés en euros, sauf que le franc ne pourrait pas être épargné car il perdrait de la valeur au fur et à mesure, afin de n’être qu’une monnaie de consommation. Ce système est viable mais a un inconvénient à mon sens : le lien entre revenu et travail n’est pas coupé, puisque les emplois continueraient d’être rémunérés en euros, ce qui ferait de ce nouveau système un parasite du système préexistant. C’est un pontage coronarien sur un cœur fatigué, alors qu’il faudrait opérer le cœur du système.

Que pensez-vous de la proposition de “revenu citoyen” de Dominique de Villepin ?

Tout d’abord je ne suis pas très surpris puisque dans son discours j’ai entendu quasiment mes propres phrases. Mais il est vraiment resté à la surface des choses. Il n’a pas du bien comprendre. Il utilise le terme de « revenu citoyen », plutôt générique pour définir ce qui est connu depuis longtemps : c’est l’impôt négatif théorisé par Milton Friedman dans les années 1960, dans une version plus généreuse. Or, le problème de ce système est connu : il élargit à des activités non-marchandes, c’est à dire qu’on peut avoir des activités hors du système marchand en contrepartie de cette dotation, alors que dans le système de Friedman, on ne bénéficie de cette somme que si on a un emploi.

Une expérience de ce type a été menée pendant 3 ans dans le New Jersey car on craignait justement que les gens ne travaillent plus et se contentent du revenu octroyé. Or on a vu que non seulement ce n’était pas vrai mais surtout que pour rentrer dans le système il faut un emploi, et un revenu. Si on fixe le niveau à 100 et que j’ai un revenu de 20, alors on me donne 80. Mais si j’ai un emploi qui me rapporte 60, on me donne que 40. C’est à dire que les 40 que j’ai obtenu, c’est comme si on me les reprenait. Donc au final c’est un impôt de 100% sur les revenus entre 0 et 100. Et bien sur, les gens ont compris ce qu’il fallait faire : avoir un emploi peu rémunéré (mais qui fait entrer dans le système pour toucher 20 et recevoir 80 de l’Etat) et à coté travailler au noir pour gagner 80 sans rien déclarer, pour gagner 180 au final plutot que 100. Ils se sont aperçus qu’il fallait alors contrôler ! Mais étendre ce système et son contrôle à tous les Etats Unis cela aurait couté trop cher, et ils ont donc abandonné le projet. Dominique De Villepin ne fait que reprendre cette idée.

Donc il a tort ?

Évidemment qu’il a tort ! Le bon côté, c’est qu’il est le premier homme politique de haut niveau qui attire le regard des médias sur l’idée d’un revenu citoyen. Et donc de ce point de vue là, on peut lui dire merci ! Grâce à sa sortie, je suis persuadé que le revenu d’existence sera au centre du débat en 2012, d’autant que je sais que Dominique de Villepin n’est pas le seul à travailler là dessus…

Retrouvez notre dossier spécial sur le revenu citoyen :

Propos recueillis par Stanislas Jourdan

>> Illustrations flickr CC John Harvey ; mtsofan

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http://owni.fr/2011/03/18/yoland-bresson-revenu-existence/feed/ 19
Bonne résolution pour 2011 : guérir l’économie de la maladie de la croissance http://owni.fr/2010/12/31/bonne-resolution-pour-2011-guerir-leconomie-de-la-maladie-de-la-croissance-decroissance-crise-pib-ecologie/ http://owni.fr/2010/12/31/bonne-resolution-pour-2011-guerir-leconomie-de-la-maladie-de-la-croissance-decroissance-crise-pib-ecologie/#comments Fri, 31 Dec 2010 16:19:04 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=37458 A l’exception notable d’une branche d’Europe Ecologie, l’ensemble de la classe politique positionne ses programmes politiques dans des objectifs de recherche de la croissance économique. La croissance est ainsi vue comme le seul moyen de résoudre le chômage, de rembourser les colossales dettes publiques, et de réduire les inégalités.

Pourtant, alors que nous ne sommes qu’à l’aube d’une nouvelle crise financière, notre espérance de croissance a-t-il jamais été aussi faible ? Et alors que de plus en plus de voix se lèvent pour prôner la décroissance, n’y a-t-il pas des raisons légitimes de croire que le capitalisme arrive à la fin d’un cycle expansionniste ?

Après m’être attaqué il y a quelques semaines au mythe du plein emploi, c’est donc le mythe du retour de la croissance qu’il faut aujourd’hui abattre pour construire le monde de demain.

Quand la croissance ne permet plus de rembourser les dettes…

Tout d’abord, commençons par analyser la conjoncture actuelle. Les rocambolesques « sauvetages » de la Grèce ainsi que de l’Irlande nous présagent un avenir bien sombre sur l’ensemble de l’Europe. De quoi s’agit-il exactement ? Ce n’est pas aussi compliqué que cela puisse paraitre, et je vais en tout cas essayer de résumer la situation.

Les états européens accumulent les déficits publics depuis 30 ans. Pour se financer, ils se sont endettés sur les marchés en émettant des obligations (= des dettes à moyen terme). Qui achète ces obligations ? Essentiellement les banques, assurances et autres investisseurs de nos propres pays, parfois même des investisseurs étrangers (la Chine par exemple). Pourquoi le font-ils ? Parce que les états sont théoriquement des agents qui ne peuvent pas faire faillite, donc les obligations sont réputées « sans risque », la bonne affaire quoi!

Sauf que la crise financière des subprimes de 2008 a accéléré l’endettement des états, qui ont perdu leurs dernières plumes dans des plans de relance coûteux et inefficients. Du coup, ceux-là même (les banques) qui achetaient les yeux fermés les obligations d’état se sont levés un bon matin en réalisant que l’état grec n’était plus en état de payer. Ils se mettent donc à revendre massivement leurs titres, provoquant ainsi une panique et une hausse des taux des obligations vers 12-13% voire plus, ce qui signifie que la Grèce ne peut tout simplement plus financer son fonctionnement : c’est la faillite.

Afin d’éviter cela, l’Union européenne a décidé de créer un fond de stabilité, qui permet à l’UE de racheter des obligations grecques pour rassurer le marché et financer la Grèce à un coût raisonnable.

Le problème, est que la Grèce, bien que dans une situation exceptionnelle, n’est pas un cas isolé. Répétez le scénario au cas de l’Irlande (fait), de l’Espagne (ça arrive…), du Portugal, de la Belgique, de l’Italie et de la France, et vous comprendrez alors que la sphère financière est comme une épée de Damoclès au dessus de l’économie européenne. Notre espérance de croissance est complètement hypothéquée par les marchés. Combien faudrait-il de milliards d’euros pour sauver tous ces pays surendettés ? Certainement trop…

Mais d’ailleurs, quand bien même le fond de stabilité permet de remettre à flots les pays qui en ont besoin, il n’est pas du tout certain que cela suffise à remettre ces pays « dans le droit chemin ». Car la contrepartie de l’aide de l’Europe, c’est la mise en place de plans de rigueur. Or ces plans vont naturellement freiner la croissance par la baisse du pouvoir d’achat. Concrètement, un pays comme la Grèce n’a que 2 options : entrer dans la déflation afin de relancer sa compétitivité à moyen terme (comme le suggérait Dominique Strauss-Kahn) ; ou au contraire provoquer de l’inflation, ce qui permet de faire « fondre » la dette souveraine. Mais dans tous les cas, la  croissance à court terme est très fortement compromise par les deux scenarii ! Or, en absence de croissance, comment feront les états pour rembourser les nouvelles obligations émises (et leurs intérêts !) ??!

Bref, vous l’aurez compris, nous sommes loin de la « reprise » que nous promettaient nos dirigeants il y a quelques mois.  Mais la vérité est plus profonde que cela. Ce que nous rappelle cette crise, c’est que depuis les années 80, nous avons endetté toujours plus massivement encore la société (citoyens, entreprises et états confondus) pour tenter de stimuler une croissance inexistante et ainsi retrouver le plein-emploi. Mais cette croissance n’était que virtuelle, car, étant sans cesse dans l’impossibilité de rembourser les intérêts de la dette (vu que la croissance n’était pas suffisante…), son coût était sans cesse repoussé par de nouveaux emprunts… Après la crise de 2008 « sanctionnant » le niveau excessif des dettes privées, c’est aujourd’hui les dettes publiques qui se trouvent dans le collimateur de la méfiance des marchés. La boucle est bouclée…

La morale de cette histoire, c’est que le surendettement généralisé du système ne peut plus continuer. Nous touchons aux limites du système, la fin d’un cycle : nous devons nécessairement trouver d’autres moyens de financer l’économie (en reprenant par exemple la souveraineté de la création monétaire – perdue depuis Maastricht). Mais en attendant, il faut bien que quelqu’un paie… !

… ni de créer de l’emploi

Nous venons de voir comment, derrière une crise en apparence conjoncturelle, notre espérance de croissance à court et moyen terme avait été anéantie par la  sphère financière. A présent, analysons comment les autres fondements de la croissance économique du XXème siècle sont remis en cause : les ressources naturelles et la démographie.

Ce n’est un secret pour personne, notre économie repose en grande partie sur la consommation de matières premières dont les réserves naturelles sont par nature limitées : le pétrole, le cuivre, le gaz, le charbon, l’uranium etc. Sans ces ressources là, nous serions incapables de produire et marchander autant qu’aujourd’hui. Certes, personne ne peut prétendre savoir quand nous serons à court de ces-dites ressources, mais nous savons tout de même que nous ne pourrions soutenir les besoins planétaires si le reste du monde avait le même niveau de vie moyen que celui des citoyens des pays développés. Autrement dit, dans l’état actuel, si la croissance de pays comme la Chine et de l’Inde continue, elle se heurtera nécessairement au manque de ressources planétaires (ce qui nuirait alors à la croissance mondiale).

D’autre part, nous savons que la population des pays développés est vieillissante et que notre population ne croît aujourd’hui que grâce à l’immigration. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Il est fort probable que la population actuellement stagnante va diminuer, réduisant de fait la consommation domestique (qui est le principal moteur de la croissance française de ces 15 dernières années…) Dans les pays du Sud qui n’ont pas achevé leur transition démographique (l’Afrique surtout), la population augmentera encore pendant quelques décennies, alors même que l’on ne sait même pas comment nourrir les populations existantes. Les capacités de production risquent de ne pas subvenir aux besoins des prochaines générations.

Tout semble donc indiquer que notre système économique n’est pas viable dans ces conditions. En fait, la notion de croissance (sous-entendu : illimitée) risque de se confronter à la réalité des limites de notre planète dans laquelle la plupart des ressources ainsi que la population ne peuvent pas être illimités. Nous avons tendance à l’oublier, mais la croissance des 50 dernières années a été exceptionnellement exponentielle. Il ne serait donc pas « anormal » qu’elle ralentisse fortement au XXIème siècle. Comme le suggère le graphique ci-dessous (déniché ici), nous ne ferions qu’entrer dans une nouvelle péridode : la phase de stabilisation de la croissance :

Que nous réserve un avenir sans croissance ? Avant de tenter d’en projeter quelques pistes, faisons tout d’abord la critique du modèle de croissance. La croissance n’est qu’une représentation statistique de l’expansion de l’économie. On sait bien que le PIB n’est pas du tout représentatif du bonheur d’une population. C’est évident, mais toujours bon à rappeler : si la croissance ne profite qu’à 10%, et appauvrit les 90% restants, alors à quoi bon la rechercher ?

Et c’est malheureusement à peu près ce qui se passe en France depuis les années 80.

D’une part, on constate que le lien entre croissance et emploi s’est affaibli. Autrement dit, la croissance économique n’est pas nécessairement créatrice d’emploi, notamment en raison des gains de productivité comme je l’expliquais dans mon dernier article, étroitement lié à l’augmentation du travail à temps partiel subi. Nous assistons donc à une « croissance sans emploi ».

Source : Rapport Insee : Le contenu en emplois de la croissance française (pdf)

Par ailleurs, nous savons également que la croissance des 30 dernières années est marquée par un partage déséquilibré de la valeur ajoutée entre capital et travail qui est la conséquence directe d’un rapport de force défavorable aux travailleurs (en raison du au chômage). Ce rapport est stabilisé à environ 67% depuis 1985 au lieu de 72% auparavant.

Pas grand chose me direz-vous, sauf que dans le même temps, la rémunération du travail a progressé très faiblement, à un rythme moins élevé que la croissance de la valeur ajoutée (0,7% pour les salaires contre 2% d’augmentation de la VA). Cette stagnation, couplée à une inflation (même sous contrôle), entraine naturellement une baisse du pouvoir d’achat dont plus d’un se plaint aujourd’hui. Cependant, plutôt que de se cantonner au clivage classique « actionnaires vs. salariés », n’oublions pas que la valeur ajoutée partageable est aussi plombée par le poids des cotisations sociales. Il résulte donc en partie d’un choix de société : une large couverture sociale en échange de moins de pouvoir d’achat.

Source : rapport de l’Insee : Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France (pdf)

Enfin, autre point à noter, la croissance économique ne tient pas compte des externalités négatives qu’elle commet. Ainsi, lorsqu’une entreprise pollue une rivière, ou qu’un secteur crée à lui seul une crise économique (suivez mon regard…) il contribue tout de même à la croissance. Pire, lorsqu’une autre entreprise dépollue, son activité génère également de la « croissance »… Je vous laisse imaginer ce que cela donne lorsqu’une seule entreprise fait les 2 activités (exemple de l’industrie de l’armement qui conçoit à la fois les mines anti-personnelles et les appareils de déminages…).

Pour conclure, malgré la croissance économique des 30 dernières années, il semble que les inégalités se soient creusées tout en remettant en cause la soutenabilité de l’environnement pour les générations futures. La croissance, n’est donc pas forcément positive en soi. Si elle ne profite qu’à certaines populations, au détriment d’autres, alors la croissance peut même avoir un effet nul sur le progrès d’une société. Sommes-nous en arrivé là ? Difficile de trancher en l’absence d’indicateurs précis sur ce sujet. Et puis surtout, on peut également objecter que la situation serait pire sans croissance. Cela est peut être vrai pour la période qui s’achève, mais qu’en est-il de la période à venir ? N’y a-t-il pas des moyens de faire progresser la société sans croissance économique ?

Puisque les fondements de la croissance économiques sont aujourd’hui abbatus, allons nous alors vers la catastrophe ? L’économie va-t-elle se réduire, nos niveaux de vie diminuer ? Allons nous donc vers la décroissance absolue, ou assistons nous simplement à une transition vers un autre paradigme économique?

De l’accaparement au partage : remettre l’économie dans le droit chemin

Le paragraphe précédent nous permet déjà de relativiser ces craintes : la croissance n’a de toute façon jamais permis de résoudre tous les problèmes. Au contraire, elle les a parfois aggravé. Mais outre cela, il faut nuancer le concept « décroissance ». Il ne s’agit en aucun cas d’une décroissance absolue : certains secteurs d’activités, zones géographiques continueront de croitre.

Par exemple, la pénurie prochaine de ressources naturelles nous incitera à trouver de nouveaux moyens d’économiser ou de recycler les matières premières : il faudrait faire plus avec moins, alors que le capitalisme se contentait de l’efficacité, nous devrons rechercher l’efficience. L’économie aura pour salut les gains de productivité qui seront source de croissance dans les secteurs qui en vaudront la peine (mais ce type de croissance ne sera pas créateur d’emploi, au contraire).

Par ailleurs, comme le notait Thierry Crouzet dans sa relecture de Paul Ariès (un des promoteurs de la décroissance), si les ressources physique sont effectivement limitées, le monde de l’immatériel, lui, ne l’est absolument pas. Ainsi, on peut aisément imaginer qu’à l’heure de la société de la connaissance, nous verrons apparaitre de nouvelles formes de croissance. L’économie de l’abondance, de la gratuité, des modèles open-source… voilà déjà des exemples de création de valeur émergents qui semblent échapper aux logiques économiques traditionnelles ! La valeur de wikipédia pour la société est incommensurable, pourtant sa contribution au PIB n’apparait dans aucune ligne de compte !

Au terme de « décroissance »,  je privilégie donc le terme de « post-croissance » car il sous-entend davantage l’arrivée d’une nouvelle ère, d’un nouveau paradigme : celui où la croissance économique n’est pas au centre du système.

Car finalement, le problème de notre système, c’est justement que sans croissance, il part en vrille : le chômage, les dettes, la finance etc… Nous avons construit une société dont la croissance est à la fois le moteur et le talon d’Achille. C’est donc précisément de cette relation de dépendance qu’il faut s’échapper. L’économie post-croissance, ce serait donc une économie qui permette de continuer à progresser quel que soit le niveau de croissance. Et vous serez peut être surpris, mais c’est possible.

Peter Victor, économiste canadien et auteur de Managing Without Growth a réalisé un logiciel permettant de faire des simulations économiques sans croissance (ou très peu) à partir de différentes hypothèses d’investissement, de consommation, de gains de productivité etc. Ses conclusions aboutissent à l’édification de plusieurs scénarios possibles, tous très différents : catastrophiques autant que positifs. La question n’est donc pas tant de savoir si notre société peut survivre sans croissance, mais de déterminer ce qu’il faut mettre en œuvre pour que cela soit possible !

Sur la base des meilleurs scénarios qu’il a trouvé, Peter Victor propose les directives suivantes :

  • soutenir massivement et directement les populations les plus pauvres ainsi qu’une meilleur répartition des richesses en général (moins de « super-riches ») ;
  • investir dans la production de biens publics plus que des « positional goods » (biens de consommation ostentatoires), ainsi que des investissements de productivité ;
  • Dans l’idéal, les balances commerciales devraient être nulles (exports = imports).
  • la population doit stagner.
  • l’établissement de quotas d’utilisation des ressources naturelles ou de production d’externalités négatives.

Ces politiques sont loin d’être hors de portée. Des mesures comme le revenu garanti minimum associé à un système monétaire à dividende universel, les monnaies complémentaires, ou encore la réforme de la fiscalité, l’extention du domaine de la gratuité, sont des exemples de mesures concrètes et réalisables qui s’inscrivent parfaitement dans cette perspective.

Malheureusement, il semble que l’on soit en train de prendre une direction tout à fait opposée. Accrochés à leurs vieux dogmes obsolètes, les politiques vont continuer à nous vendre leur soupe à la croissance pendant un certain temps encore.  Ils empireront encore plus la situation comme ils le font actuellement en essayant de sauver le système financier.

La crise de la dette souveraine qui vient va faire mal, très mal. Nous pouvons tout juste espérer qu’elle fera surtout mal aux « bonnes personnes » (i.e. les plus riches) et qu’elle sera le coup de fouet salutaire qui nous forcera à changer nos mentalités et nos comportements… Mais dans tous les cas, les 10 prochaines années risquent d’être longues avant que l’on entre enfin dans le XXIème siècle.

Sources des graphiques et autres données statistiques :
Le contenu en emplois de la croissance française (rapport Insee)
Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France (rapport Insee)
Consultez aussi mon pearltree sur la décroissance

Article initialement publié sur Tête de quenelle sous le titre La croissance économique est au bout du rouleau.

Photos FlickR CC Anne Oeldorf-Hirsch ; killthebird ; The US National Archive ; Josep Tomas.

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Droit d’auteur sans auteur n’est que ruine de l’art http://owni.fr/2010/10/15/droit-dauteur-sans-auteur-nest-que-ruine-de-lart/ http://owni.fr/2010/10/15/droit-dauteur-sans-auteur-nest-que-ruine-de-lart/#comments Fri, 15 Oct 2010 07:30:55 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=27035 Stanislas Jourdan, auteur du blog Tete de Quenelle rebondit à chaud sur une question posée par Kyle Bylin sur Hypebot What rights do you think that musicians should have? How can we create digital culture that respects them? ou en français : A votre avis, quels droits les musiciens devraient-ils avoir ? Comment créer une culture numérique qui les respecte ?

Je ne répondrai pas à l’ensemble de cette vague question (je l’ai déjà fait en partie : Le droit d’auteur a-t-il mal tourné ? ; Droit d’auteur à outrance sur internet et compte bien prolonger la réflexion plus tard). J’aurais plutôt envie dans ce post, de prendre le contrepied de cette question en en posant une autre : que font les auteurs de leurs droits d’auteur ?

De la gestion des droits d’auteurs

Dans la grande majorité des cas, les artistes se privent volontairement de leurs droits. Je m’explique : le modèle de production musicale du XXème siècle est fondamentalement basé sur le principe suivant : un artiste a quelques chansons en stock, va voir une maison de disque, lui fait écouter sa maquette. Le directeur artistique du label , s’il apprécie l’oeuvre, décide de la produire et la grande négociation commence. Et là que se passe-t-il ? L’artiste confie la gestion de ses droits d’auteur (ou plus précisément de ses droits patrimoniaux) au label qui jouit du monopole de l’exploitation économique de l’œuvre, en échange de quoi le label finance la production de l’album, sa commercialisation, la communication. Cela est même pire aux Etats-Unis dans le cadre du copyright puisque l’artiste cède l’ensemble de ses droits ou presque au label.

De même, lorsqu’un auteur souhaite faire fructifier ses œuvres à la radio, il n’a guère que le choix de devenir sociétaire de la SACEM (ou équivalent). Concrètement, cela signifie que l’artiste donne ses droits d’auteurs en tant qu’apport au capital en nature et devient ainsi actionnaire de la SACEM. De ce fait, il refuse donc la jouissance de ses droits d’auteurs, ce qui lui empêche par exemple de diffuser gratuitement ses chansons sur internet (enfin, c’est compliqué quoi) ou de les mettre sous licence creative commons.

Dès lors qu’un tel accord est signé, peut-on continuer à parler de « droit d’auteur » ? Ne serait-il pas plus approprié de parler de « droit des éditeurs » ou bien de « droit des maisons de disques » ou encore « droit de sociétés de gestion collectives » ? Peut-il y avoir de droit d’auteur … sans auteur ?


De la nécessité pour les artistes de reconquérir le droit d’auteur

Il n’y a pas de secret pour un artiste sur internet : il faut créer un lien avec ses fans, créer une communauté, y ajouter une bonne dose d’authenticité et ainsi développer une relation affective avec ses fans qui seront ainsi plus enclins à mettre la main à la poche quand l’occasion se présentera. (c’est en tout cas ce que je ferais à leur place)

Or justement, cette stratégie ne peut fonctionner que si l’artiste a le pouvoir de décision sur la manière dont est commercialisée (ou non) sa création (mais aussi les produits dérivés sous licence etc.). En effet, les fans supportent très mal l’incohérence entre la dimension musicale d’un artiste et l’aspect commercial. Les fans ne comprendront par exemple jamais pourquoi vous avez un super site, peut être même un blog que vous animez vous-même, mais que l’on ne peut pas vous soutenir directement sans donner 70% de notre argent à un tiers. (Un autre exemple d’incohérence manifeste ici).

Voilà pourquoi les artistes devraient selon moi reprendre contrôle sur l’ensemble des activités liées à leur création : du live à leurs activités sur les réseaux sociaux … à la commercialisation de leur musique. Si un artiste préfère vendre sa musique il devrait aussi pouvoir le faire sans qu’une firme vienne y coller des DRM contre sa volonté. Si un musicien veut diffuser sa musique sur youtube, lastfm, ou la donner gratuitement, personne ne devrait pouvoir l’empêcher. Et surtout pas ceux qui prétendent hypocritement vouloir protéger le « droit d’auteur ».

Je ne dis pas que les artistes doivent tout faire tout seul (ce que n’a jamais voulu dire le “do it yourself“!). C’est bien sûr impossible étant donné la palette de compétences requises. Néanmoins il me parait important si ce n’est vital pour un artiste de décider par lui-même de ce qu’il veut faire, puis de se faire aider. Et pour tout cela, la moindre des choses est de ne pas se retirer le droit (d’auteur) de le faire … ;)

Conclusion

L’ironie des controverses autour du droit d’auteur est assez cocasse. D’un coté, l’industrie du disque prétend vouloir défendre le droit d’auteur contre les méchants pirates, alors qu’il ne s’agit bien évidemment que de défendre leurs propres droits à profiter d’une œuvre économiquement. (Parfois au détriment des auteurs justement). Mais de leur coté, les artistes ne sont pas toujours très cohérents non plus. Tout en défendant le droit d’auteur tel un acquis social, la plupart continuent d’accepter de le jeter en pâture aux vautours de l’industrie musicale. Comme s’ils sous-évaluaient en fait l’importance de ce droit. Paradoxal, non ?

A lire ailleurs :

Supprimez le copyright, rendez-nous le droit d’auteur !

Article initialement publié sur le blog Tête de Quenelle.

Crédits photos : FlickR CC ntr23 ; the Mad LOLscientist

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