OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 1961 violence et silence http://owni.fr/2011/10/14/1961-entre-violence-et-silence/ http://owni.fr/2011/10/14/1961-entre-violence-et-silence/#comments Fri, 14 Oct 2011 21:41:07 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=83480

17 octobre 1961/ Photo copyright Elie Kagan/BDIC

Ce qui a précédé la manifestation du 17 octobre et la rafle de près de 12 000 algériens fait partie du tabou de l’histoire de France. Les documents d’archives que publie aujourd’hui OWNI ne laissent pourtant aucun doute sur la violence policière assaisonnée au silence de Maurice Papon qui s’était installée dans le pays.

Dès septembre 1958, plusieurs attentats meurtriers sont revendiqués par la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN) contre son opposant le Mouvement national algérien (MNA). Et Papon décide de déclarer la guerre au FLN.

Montée en température

L’année 1961 est un tournant : le nombre de victimes policières des attentats du FLN est multiplié par trois. Entre les partisans du FLN et le préfet le ton se durcit. La guerre qu’il livre au groupe s’étend à tous les ressortissants de l’Algérie française. Et la communauté algérienne, logeant principalement dans des bidonvilles de Paris et ses environs, est alors la cible de la police.

Le témoignage de Gérard Monate, adjoint de François Rouve, le secrétaire général du Syndicat général de la police (SGP) montre ainsi que :

Les policiers ont acquis le sentiment d’être abandonnés par le justice et le pouvoir politique. L’idée de régler ses comptes soi-même s’inscrivit dans les esprits et allait jusqu’à conduire à des dérives dramatiques, d’autant que la hiérarchie grande et moins grande ne faisait rien pour calmer ce climat, bien au contraire. […] On vit alors s’installer et s’amplifier : le racket : tout argent trouvé sur un algérien était « confisqué » ; le matraquage dans toutes les interpellations ; […] les brimades stupides : par exemple, le renversement des gamelles sur la chaussée des ouvriers algériens interpellés.

Voici l’intégralité de son témoignage :
1961 Scribd 2

D’autres sont “simples” témoins. Tel le député Pierre Henault qui envoie un courrier à Maurice Papon le 14 septembre 1961 dans lequel il dénonce des faits de violence lors d’un contrôle d’identité.

Henault

Dans le courrier ci-dessus, Pierre Hénault explique que :

[…] des agents procédaient à la fouille de musulmans, afin de détecter des armes possibles, ce que je trouve absolument normal. Toutefois, ce qui l’est beaucoup moins c’est la façon dont s’acquittait, notamment un agent, lequel après avoir procédé à cette fouille, a giflé violemment cet arabe, lequel n’a d’ailleurs pas protesté, tandis que la foule marquait sa désapprobation à son égard.

Maurice Papon transmettra la missive à ses services. L’affaire sera classée le 3 novembre 1961 comme en atteste la réponse du directeur général de la police municipale, qui a estimé ne pas être utile de procéder à l’audition des gardiens de la paix sur place :

Le pétitionnaire ne précisant pas en avoir été témoin, il est permis d’une part de douter de leur véracité et, d’autre part , de présumer que celui-ci lui ont été rapportés par une tierce personne ne nourrissant pas les meilleurs sentiments à l’égard des policiers.

Dans un climat tendu, la condition sine qua non pour garantir que les troupes continuent de “faire le tri” au sein de la population des Français musulmans reste de conserver une ligne de conduite claire : soutenir les troupes quoi qu’elles fassent.

Réponse papon

L’immobilité de Maurice Papon et son huile sur le feu

Pour calmer la tempête, Maurice Papon, garant de l’ordre public et de la sécurité urbaine, aurait pu alors agir en conséquence. Au lieu de ça, les notes de services échangées entre les différents acteurs de l’époque indiquent plutôt qu’il était favorable à une bataille des forces de l’ordre contre les membres du FLN ou de simples Français musulmans.

Le 22 septembre 1961, il s’adresse à ses lieutenants et officiers en ces termes :

J’ai prescrit à vos chefs et à vos cadres de reprendre fermement l’offensive dans tous les secteurs en harcelant les organisations politico-administratives et terroristes de la rébellion. […] D’autre part, j’ai décidé que des actions seraient engagées pour mettre hors d’état de nuire les suspects, les oisifs, les proxénètes et les patrons des débits-hôtels. […] Je vous présente d !ès maintenant ma satisfaction des résultats obtenus.

Difficile de croire à une volonté de coopération trois mois après l’ouverture d’un dialogue entre le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et le gouvernement français.

Note Papon

De son côté, le constat de Gérard Monate est sans appel :

Ce fut constamment le silence qui pour nous s’apparentait à de la complicité [...]. C’est dans ces moments dramatiques qu’intervient le discours de Maurice Papon au cours des obsèques d’un de nos camarades tué en service en septembre « pour un coup reçu nous en rendrons dix ».

Plaintes en pagailles

Les Français musulmans d’Algérie – nommés le plus souvent FMA par la police – ont été persécutés par les forces de l’ordre, et ce bien avant le couvre-feu instauré pour tous les algériens par Maurice Papon. Parmi les plaintes, figure celle-ci déposée en juin 1961. Deux hommes accusent les policiers d’avoir essayé de les tuer en les arrosant d’essence et le troisième dénonce un tabassage en règle. De façon détaillée. Tous les trois sont âgés d’une trentaine d’années.

plainte trois

Mais dès le départ, les observations de l’officier chargé de recueillir les plaintes dédouanent les policiers :

La raison se refuse à admettre que des gardiens de la paix français, en uniforme se soient livrés sur la voie publique à de tels actes.

Autre demande d’action en justice, celle de Berkani Ramdane qui dépose plainte pour coups et blessures suite à des violences policières les 18 sepembre et 18 octobre.

Plainte Ramdane

Pour toute réponse, le 5 octobre Maurice Papon déclare le couvre feu obligatoire pour les Français musulmans.
couvre-feu-papon



Qui rétorquent par une manifestation pacifique le 17 octobre 1961.


Photo de Une et des articles par Elie Kagan. Fonds Elie Kagan géré par a Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine, copyright Elie Kagan/BDIC

Illustrations et infographies par Loguy pour Owni /-)
Retrouvez les articles du dossier :
La rafle du 17 octobre et Une honte française

[MAJ] Découvrez le webdocumentaire d’Olivier Lambert et Thomas Salva La Nuit oubliée, diffusé ce lundi sur lemonde.fr.
La nuit oubliée – 17 octobre 1961

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Une honte française 17 octobre 1961 http://owni.fr/2011/10/14/une-honte-francaise/ http://owni.fr/2011/10/14/une-honte-francaise/#comments Fri, 14 Oct 2011 18:10:33 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=83424 “]

Dans le métro de Paris le 17 octobre 1961 / copyright Elie Kagan/BDIC

17 octobre 1961 : à Paris coulent la Seine et les cadavres. On en dénombre au moins 200 pour cette nuit-là. À lire les documents et les notes de la Préfecture de police de Paris, la tragédie est le résultat d’une politique de violences policières planifiée, voulue en haut lieu. Et soutenue alors que les autorités n’ignoraient rien du caractère pacifiste de la manifestation organisée par le Front de libération nationale (FLN) algérien.

Dans la journée du 17, le Service d’action technique (SAT) de la préfecture, sorte d’agence de renseignement spécialisée sur les milieux indépendantistes algériens, informe le cabinet du préfet Maurice Papon en des termes clairs sur la nature de la manifestation (voir document ci-dessous). Selon ce service, pour le FLN :

Il s’agit d’être tous dehors et de se faire voir, notamment après l’heure du couvre-feu, afin de protester pacifiquement contre les récentes mesures préfectorales. Certains responsables ont réclamé à leurs éléments d’emmener avec eux leurs femmes et leurs enfants.

Ahurissant

Les manifestants se heurtent à une violence policière meurtrière. Au moins 200 personnes d’origine algérienne sont assassinées – jetées des ponts, tuées par balle, ou à coup de bâtons. Un policier de l’époque, Gérard Monate, membre du Syndicat général de la police, a participé à plusieurs réunions internes à la Préfecture de police sur ces évènements. Plusieurs années après, il a livré un témoignage saisissant (voir document ci-dessous) :

Tout Algérien devenait un ennemi potentiel et devait subir la rigueur de la police. On vit alors s’installer et s’amplifier : le racket, tout argent trouvé sur un algérien était confisqué ; le matraquage dans toutes les interpellations ; les comités d’accueil, lors des rafles les algériens interpellés devaient rentrer dans les locaux de la police entre deux haies d’agents qui les matraquaient. Le déchaînement devint incontrôlable et nous savions que toutes manifestations auraient un résultat dramatique. Hélas c’est ce qui s’est produit pendant les affrontements du mois d’octobre 1961. Il y a eu des tués et des blessés (…) Ce fut ahurissant ! Le nombre officiel des morts est dérisoire par rapport à la réalité.

Aucune investigation

La loi du silence s’applique alors dans toute l’administration de la police pour que la tragédie d’octobre 61 n’entre pas dans l’histoire officielle. Cachée par tout un gouvernement au nom de la raison d’État. À l’exception d’un Groupe de policiers républicains à l’origine d’un tract accusateur daté du 31 octobre. Le 1er décembre 1961, dans son bulletin d’information interne (voir document ci-dessous), le préfet de police Maurice Papon se félicite cependant, auprès de ses policiers, qu’aucune investigation indépendante ne se penche sur ces évènements :

Je me suis opposé à l’institution de commissions d’enquête et comme je vous en ai fait part, les élus de Paris et de la Seine, à l’issue de leurs débats, ont tenu à voter une adresse de confiance à votre égard.


Illustrations de la Une du 17 octobre 1961 par Loguy pour Owni /-)

Retrouvez les autres articles du dossier :
1961 entre violence et silence
La rafle du 17 octobre 1961

Photos du fonds Elie Kagan gérées par a Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine, copyright Elie Kagan/BDIC

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La nuit oubliée – 17 octobre 1961

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La rafle du 17 octobre http://owni.fr/2011/10/14/la-rafle-du-17-octobre-1961/ http://owni.fr/2011/10/14/la-rafle-du-17-octobre-1961/#comments Fri, 14 Oct 2011 13:28:13 +0000 Guillaume Dasquié & Andréa Fradin http://owni.fr/?p=83354 Le 17 octobre 1961, en plus du massacre perpétré dans les rues de Paris, la Préfecture de police a planifié l’incarcération d’au moins 11 538 personnes d’origine algérienne – et 12 520 au plus, en recoupant différentes sources documentaires de l’administration. Des personnes entassées durant plusieurs jours au Stade Coubertin, au Palais des sports de la porte de Versailles, dans le hall du Palais des expositions, et dans deux centres policiers du 3e arrondissement et du quartier de l’Opéra.

Dans ces lieux, selon des témoignages concordants, plusieurs d’entre elles ont été victimes d’exécutions sommaires – on estime qu’au moins 200 personnes d’origine algérienne ont péri dans la nuit du 17 octobre. Des notes confidentielles de la Préfecture de police de Paris, alors dirigée par Maurice Papon, et datées du 18 octobre 1961 à 6h30 du matin, comptabilise cette horreur. Les personnes arrêtées sont répertoriées par la police sous l’acronyme “FMA”, pour Français musulmans d’Algérie.

Ainsi, dès la nuit du 17 octobre, 10 009 personnes ont été placées de force dans les stades et les enceintes sportives de la capitale, dont la réquisition avait dû être prévue au préalable. 831 étaient retenues dans des commissariats d’arrondissement, et 698 dans des commissariats de la proche banlieue. Au-delà du 24 octobre, il restait encore plus de 2 000 personnes enfermées, qui avaient été regroupées dans un centre situé à Vincennes.

17 octobre 1961/ Photo copyright Elie Kagan/BDIC

Au sein de l’appareil d’État, aucun responsable n’ignorait l’illégalité et la cruauté de ces opérations. La Commission de vérification des mesures de sécurité publique dépêcha l’un de ses conseillers au Centre de Vincennes, le 26 octobre. Il rend un rapport accablant, dont on sait qu’il est remonté jusqu’au Premier ministre. Dans ce document de quatre pages (voir ci-dessous), l’auteur écrit :

Je ne crois pas devoir cacher que l’impression que j’ai ressentie spécialement dans les locaux de triage m’a été fort pénible. Des centaines d’êtres humains sont parqués derrière des barrières couchés ou assis sur la paille, sales (…) la nourriture paraît nettement insuffisante ; les services d’hygiène [sont] réduits au minimum. (…) Mon attention a été attirée par plusieurs Algériens portant des pansements à la tête. Interrogés, ils m’ont déclaré avoir été frappés à coups de bâton par les gardiens de la paix (…).

Occupation nazie

La violence et le caractère barbare de ces emprisonnements extrajudiciaires ont frappé quelques intellectuels de l’époque, alertés par la tragédie. Ils les ont immédiatement comparés aux actes commis durant la seconde guerre mondiale, par cette même police française, contre les Parisiens de confession juive.

Un télégramme secret du 19 octobre 1961 (ci-dessous), deux jours après la tragédie, transmis par les services de renseignement de la préfecture, s’inquiète ainsi d’un manifeste de l’écrivain Claude Lanzmann – alors âgé de 36 ans. Et de citer le texte que Lanzmann fait circuler alors auprès de ses amis :

Un déchaînement de violences policières a répondu à leur démonstration pacifique et de nouveaux Algériens sont morts parce qu’ils voulaient vivre en hommes libres. En restant passifs, les Français se feraient les complices des fureurs racistes dont Paris a été le théâtre et qui nous ramènent aux jours les plus noirs de l’occupation nazie. Entre les Algériens entassés au Palais des Sports en attendant d’être refoulés et les juifs parqués à Drancy avant la déportation, nous nous refusons de faire une différence.



Photo de Une et des articles par Elie Kagan. Fonds Elie Kagan géré par la Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine, copyright Elie Kagan/BDIC

Illustrations par Loguy pour Owni /-)
Infographie par Andréa Fradin et Loguy
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1961 entre violence et silence
Une honte française


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La nuit oubliée – 17 octobre 1961

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