OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’article du futur sera une API http://owni.fr/2011/07/06/larticle-du-futur-sera-une-api/ http://owni.fr/2011/07/06/larticle-du-futur-sera-une-api/#comments Wed, 06 Jul 2011 17:05:27 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=72185 Face.

Face à l’explosion continue des savoirs disponibles. Face à la perméabilité chaque jour plus grande des champs scientifiques, à leur reconfiguration permanente et à la place toujours plus grande de l’interdisciplinarité et de la transdisciplinarité. Face à la crise de l’édition et aux rentes de situation de quelques monopolistiques éditeurs. Face à la babélisation des expertises et à la crise de l’autorité académique qu’elle met en exergue. 

Face au mouvement de l’open access et à l’ensemble de ses dérivés (science commons, archives ouvertes et/ou institutionnelles, sciences citoyennes, etc.). Face à la mise en place de nouvelles énonciations scientifiques, de nouveaux agencements collectifs d’énonciation et face à leur structuration et à leur légitimité grandissante. Face à l’explosion des usages scientifiques de sites, de données, d’API, de corpus non-originellement scientifiques. Face aux interfaces évolutives proposées pour l’accès et pour le traitement des données disponibles pour les chercheurs ou offrant un intérêt scientifique. Face à une transition encore en train de se faire entre la “science” et la “science 2.0″.

Face à tout cela, le monde académique (éditeurs, universitaires, ingénieurs, professionnels de la documentation) cherche et tatônne pour savoir, ce qui dans une transition déjà actée, relèvera demain de la réelle nouveauté disruptive et/ou du simple effet de mode passager.

Pile.

C’est dans cette logique de grand tremblement institutionnel qu’Elsevier (grand éditeur monopolistique qu’engraisse éhontément l’argent public des universités) a lancé, à grands renforts de tambours et de trompettes marketing, son projet pour étudier ce que sera “l’article du futur“. Pile poil. Où l’on apprend que l’article du futur sera :

  • plus interactif
  • plus hypertextuel
  • plus “segmenté” (avec d’un côté les données brutes, de l’autre côté le protocole expérimental, au milieu les résultats)
  • plus interfacé (en lieu et place d’un simple pdf à double colonne aux immuables têtes de chapitres – résumé, description du problème, revue de littérature existante, description du protocole, analyse des données recueillies et méthodologie de recueil, conclusions, prolongements et/ou réplications possibles, bibliographie)
  • variable en fonction des spécificités de chaque discipline
  • plus facilement “partageable”
  • plus facilement visualisable (différentes “vues” du même contenu seront disponibles)

Wow. On a même droit à une jolie vidéo avec des bonnes grosses flèches oranges “powerpoint-like”:

Un ou deux ans de recherche pour inventer un affichage à 3 colonnes avec le sommaire à gauche et les navigations et vues contextuelles à droite (soit ce qui est déjà disponible depuis 6 ou 7 ans dans les templates ou gabarits gratuits des grandes plateformes de blogs, au hasard et de manière non-exhaustive “wordpress” ou “blogger”). On peut même accéder à un exemple “live” d’article du futur. Re-wow. Mais ce n’est pas tout. Sans même parler de “l’article du futur”, figurez-vous, ô révolution numérique, qu’Elsevier vient de rendre possible d’ajouter des cartes Google sur des articles en ligne.

Et là je dis au mieux “WTF” et au pire “no future”. Bon, blague et mauvaise foi à part, il est évident que ce truc là sera toujours préférable à un vieux pdf à double colonnage sans liens hypertextes, mais qualifier ce prototype “article du futur” me semble un peu too much pour être honnête. Pendant qu’Elsevier réfléchit à l’article du futur, le futur de la science s’écrit au quotidien.

Ici, les formidables carnets (= blogs) de la plateforme HYpotheses.org se voient attribuer un numéro ISSN. Authentique (r)évolution :

Cette attribution, exceptionnelle pour une plateforme de carnets de recherche, constitue avant tout la reconnaissance des carnets de recherche comme de véritables publications scientifiques.

Pendant ce temps, , un enseignant-chercheur dépose (pour la première fois dans le monde francophone ?) la concaténation de 5 articles de blogs sur une plateforme d’archive ouverte, non pas pour se la jouer rebelle mais pour s’inscrire dans une très ancienne tradition de préprint initiée par la communauté des physiciens (sur le serveur Arxiv notamment). Et la bonne nouvelle – et la vraie nouveauté – est que cela n’émeut plus personne (à moins naturellement que personne ne l’ait encore remarqué ou n’ait jugé opportun de venir me manifester son outragé mécontentement devant ce dévoiement de l’honorabilité des publications académiques estampillées par la très sainte AERES).

Pendant ce temps-là, les contributions à l’encyclopédie Wikipédia sont prises en compte dans un CV académique.

Pendant ce temps-là, il y a déjà 3 ans, Jean-Max Noyer et 3 collègues universitaires réfléchissaient, non pas à “l’article du futur”, mais à la nécessaire et inexorable déconstruction numérique des modes de publication scientifique et des autorités liées. Voici quelques extraits de leur prose (je souligne) :

Les transformations de la sphère éditoriale scientifique sont à l’œuvre avec vigueur, depuis le début des années 90 et elles sont loin d’être stabilisées. Le passage d’un mode d’édition  « blanchi sous le papier »  avec ses dispositifs de fabrication, (leur sociologie) de financement, de légitimation (critériologie de sélection scientifique), de distribution, vers un mode éditorial numérique, hypertextuel complexe s’est accéléré depuis une dizaine d’années.
La première phase de ce passage est à présent bien avancée et la saturation des formes héritées du papier, toujours présentes au cœur des premières réalisations numériques est en cours. Une seconde phase est en cours de déploiement. Elle consiste à mettre l’édition numérique « au milieu » des conditions de production / circulation des savoirs scientifiques… Il s’agit en effet de penser et de concevoir des dispositifs qui soient l’expression la plus adéquate de ce couplage structurel.
Les mémoires numériques ont mis très rapidement en évidence la complexité des processus d’écritures scientifiques, les chaînes plus ou moins longues de transformations des textes, les morphogenèses documentaires. Bref, face à une exhibition de plus en plus forte  des dimensions processuelles et collectives des textualités scientifiques à travers la mise en mémoire d’un nombre croissant de traces produites par les chercheurs, l’édition scientifique doit repenser la manière dont elle a fondé son efficacité et sa légitimité sur une sélection relativement simple d’objets éditoriaux finis comme hypostases des savoirs scientifiques, comme effacement relatif (du processus de production scientifique lui-même), comme expression de l’imaginaire égalitaire de la redistribution des savoirs.
L’édition scientifique doit aujourd’hui permettre d’habiter les communautés d’œuvres, les agencements qui produisent et font circuler les documents, comme « incomplétude en procès de production ». Il s’agit de prendre en compte les dimensions complexes des procès d’écritures scientifiques et de favoriser le travail de recherche (…) au cœur des pratiques. Il s’agit encore de permettre l’établissement de chemins pertinents, de connexions, entre les hétéro-genèses documentaires, des fragments et des formes courtes les plus labiles aux textes stabilisés et sanctifiés en passant par les « working papers », les corpus de données quelconques… qui sont convoqués au cours du travail de recherche, de lectures-écritures.

De tout cela, de tous ces enjeux, naturellement pas un mot dans la réflexion sur l’article du futur d’Elsevier.

Alors ce sera quoi, l’article du futur ? Et ben je vais vous le dire :-) L’article du futur sera une API.

  • “A” non pas comme “Autorité” mais bien comme “agencements collectifs d’énonciation”. Ce que la recherche n’a par ailleurs – heureusement – jamais cessé d’être.
  • “P” comme “percolation” rendue possible entre différents champs scientifiques (voilà pour le fond), et entre les silos documentaires en reconfiguration permanente (voilà pour la forme)
  • “I”. Triple “I”. “I” comme “inscription”, c’est à dire comme capacité à faire trace. “I” comme “interface”, interface multimodale. Nécessairement multimodale. ”I” comme “indicateurs” : les nouveaux indicateurs de la science, viralité, téléchargements, réels, temps de lecture accordé, réplication, citations. Sur ce dernier point, Elsevier travaille beaucoup pour élaborer les tableaux de bord d’indicateurs scientifiques nécessaires au pilotage de la science, d’un strict point de vue comptable et/ou “valorisation à court terme”. Sur la question des indicateurs, Elesevier travaille (vraiment) beaucoup, et communique (vraiment) très peu. Ce sera peut-être l’objet d’un billet dédié si j’en trouve le temps, mais le monde académique serait très bien inspiré de se mettre rapidement au travail pour définir et fabriquer ses propres tableaux de bord d’indicateurs pour ne pas se trouver, demain, prisonnier de solutions clés en main technologiquement pointues mais méthodologiquement empreintes d’une vision strictement rentabiliste de la chose scientifique.

Et puis littéralement, l’article du futur sera une API. Une interface de programmation (voir le remarquable article d’InternetActu), rendant différentes applications possibles. Un vrai boulot d’éditeur que de réfléchir à ce que seront ces API. Que l’on regarde ce qui se passe du côté du livre numérique. L’édition savante va devoir faire rapidement la preuve de son érudition informatique et logicielle. A moins qu’elle ne préfère réinventer la roue ou l’article d’hier en l’appelant celui de demain.


Article initialement publié sur “Affordance.info” sous le titre “L’article du futur sera une API”.

Crédits photo FlickR CC : by-nc Eric Constantineau / by-sa Reilly Butler

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Lettre à Laurence http://owni.fr/2010/11/14/lettre-a-laurence/ http://owni.fr/2010/11/14/lettre-a-laurence/#comments Sun, 14 Nov 2010 16:12:20 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=31545 Elle s’appelle Laurence. Comme 16 000 autres enseignants, elle est la génération “master”. Elle s’est retrouvée en septembre devant une classe pour faire cours. Et elle n’y est pas arrivé. On ne le lui avait tout simplement pas appris. Depuis elle est sous anxiolytiques. Des histoires comme celle de Laurence, des histoires de jeunes profs en dépression après quelques semaines d’enseignement, il y en avait déjà plein, bien avant la réforme de la masterisation. Et puis, il n’y a pas que des Laurence dans la vie. Il y a aussi des Claire, Claire qui n’est pas tombée dans un lycée difficile, qui n’est pas en face d’enfants difficiles, qui, pour différentes raisons, a peut être plus de facilités que Laurence avec la gestion d’un groupe, avec la discipline, avec le rapport aux autres. Bien sûr qu’enseigner est un métier qui s’apprend. Mais l’on sait également que chacun fera des choses différentes de l’enseignement reçu, en fonction de ses capacités personnelles, de son milieu social et culturel, des classes et des élèves en face desquels il finira par se retrouver. Oui mais voilà.

Laurence a reçu une lettre. Une lettre de l’inspecteur d’académie. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit:

Laurence, si vous ne vous sentez pas capable de faire ce métier, il faut démissionner.

C’est vrai quoi, les places sont chères, et il y a sûrement plein de Claire qui attendent un poste. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit aussi :

Laurence, les elèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents.

C’est vrai quoi, surtout quand il s’agit d’élèves difficiles.

Oui mais voilà. Laurence, elle avait envie et tout aussi certainement besoin de faire ce métier. Apprendre le programme d’histoire ou de mathématiques ou de français, ça Laurence y est très bien arrivée. C’est une partie du métier qu’elle avait choisi. Mais apprendre comment on fait passer un programme d’histoire, de mathématiques ou de français à une classe de 32 élèves de 13 ou 14 ans, ça, on ne le lui apprend plus à Laurence. On la met devant les élèves, on lui colle un “tuteur” enseignant  – qui n’est souvent même pas dans le même lycée ou collège qu’elle – et on lui dit débrouille-toi Laurence.

Messieurs.

–Monsieur l’inspecteur d’académie dont je ne connais pas le nom,
–Monsieur Luc Châtel, ministre du management national et de l’éradication nationale des psychologues scolaires**,
–Monsieur Xavier Darcos, ancien ministre de l’éradication nationale de la formation des enseignants,

Vous avez tous les trois des métiers qui doivent certains jours vous paraître aussi difficiles que celui de Laurence. J’ignore si vous êtes ou si vous avez été sous anxiolytique. Que vous portiez tous les trois l’écrasante responsabilité de l’effondrement programmé d’un système, celui de l’instruction publique, passe encore. Que vous ou votre mentor, vous réclamiez régulièrement de l’héritage de Jaurès ou de Jules Ferry, passe encore. Vous pouvez “jouir pleinement de la supériorité reconnue que les chiens vivants ont sur les lions morts” (Jean-Paul Sartre). Après tout, vous êtes nommés ministres ou inspecteur, vous êtes convaincus que le secteur privé peut assurer des missions qui incombaient jusqu’ici aux services publics, dans l’éducation comme ailleurs, et vous mettez en oeuvre le programme permettant de faire aboutir vos idées. Donc acte. “C’est le jeu”. Mais la lettre que vous venez tous les trois d’envoyer à Laurence signe la fin de la partie.

Avec cette lettre cesse le jeu et commence l’indéfendable. Supprimer la formation des maîtres, placer ces nouveaux maîtres “dans des classes”, attendre que certains d’entre eux s’effondrent, et leur signifier par courier hiérarchique que “les élèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents” et que le cas échéant ils feraient mieux “de démissionner”, est une stratégie managériale ayant effectivement déjà fait ses preuves, et dont l’avantage est de révéler à ceux qui l’ignoreraient encore l’étymologie du mot “cynisme”. Comme des chiens. Vous avez, “messieurs qu’on nomme grands”, merveilleusement contribué à l’enrichissement de l’horizon sémantique du cynisme : ce qui était au départ le seul mépris des convenances sociales, désignera désormais également le total et absolu mépris de l’humain.

Un nouveau cynisme dont l’alpha et l’oméga est constitué de la seule doctrine managériale. Une machinerie implacable, chez France Télécom comme dans l’éducation nationale désormais, qui fabrique des Laurence dans le seul but de les broyer, pour s’économiser l’annonce d’un énième plan social, pour accélérer encore un peu le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Vous avez, messieurs, parfaitement raison sur un point : les élèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents. Mais vous avez patiemment, minutieusement, laborieusement transformé l’école de la république en un immense tube digestif. Une machine à bouffer de l’humain.

D’un tube digestif il ne peut sortir que de la merde. C’est pas du management, c’est de la biologie.

J’ai souvenir d’une école de la république d’où sortaient des citoyens.

Article initialement publié sur Affordance.info

Illustration CC FlickR par …::: Antman :::…

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Filtrage du Net: l’école a pris l’option autruche http://owni.fr/2010/10/07/filtrage-du-net-lecole-a-pris-loption-autruche/ http://owni.fr/2010/10/07/filtrage-du-net-lecole-a-pris-loption-autruche/#comments Thu, 07 Oct 2010 12:03:18 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=19557 Introduit dans la loi de 2005, le socle commun de connaissances et de compétences voulu par l’Éducation nationale

“constitue l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen.”

Y figure “la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication : chaque élève apprend à faire un usage responsable des technologies de l’information et de la communication (TIC). L’acquisition du Brevet informatique et Internet (B2i) est nécessaire à l’obtention, en fin de troisième, du Diplôme national du brevet (D.N.B.).”

Et c’est là que le bât blesse : la politique de filtrage mise en place dans les académies et établissements ne semble pas aller dans ce sens. Si l’Éducation nationale stipule à juste titre que “le développement de l’usage de l’internet [...] doit s’accompagner des mesures de formation et de contrôle permettant d’assurer la sécurité des citoyens et notamment des mineurs”, il est courant que le filtrage dépasse le simple respect de la loi. Quant à la formation…

La politique de l’autruche serait plutôt la tendance, à des degrés variables selon les académies voire les établissements.

Plusieurs niveaux de gestion

Comment marche le filtrage? Il n’y pas de politique nationale mais une gestion sur trois niveaux. Premier étage, les black lists de l’Université Toulouse 1 Capitole. Elles servent de référence en attendant une hypothétique liste nationale annoncée mais toujours pas mise en place. Pour le moment, c’est vers celle de Toulouse qu’elle dirige de fait.

Aux manettes, Fabrice Prigent, responsable service système. Il est à l’origine de cette liste, la première du genre en France : “Avant que je ne la commence, on trouvait des listes anglo-saxonne, explique-t-il. L’éducation nationale s’est rendue compte que les gens utilisaient la mienne, le ministère m’a contacté pour qu’elle soit liste de référence.”

Visiblement habitué à des remarques suspicieuses sur le terme “black list”, Fabrice souligne qu’il s’agit plutôt d’une “catégorisation” et qu’il exécute ce qu’on lui demande, point barre.

Exemple:

la catégorie blog est une demande du ministère, car certains étaient inquiets. C’est une catégorie compliquée, on va trouver de tout, je l’ai rempli avec les grands blogs

Quelle est la pertinence d’un tel classement, qui plus est lorsque la peur motive la décision?  N’y aurait pas en arrière-plan un a priori défavorable envers le blog ? Du coup, c’est un fourre-tout hétéroclite qui va de Skyblog à blogs.nouvelobs.com en passant par… Facebook. On y trouve même des sites nominatifs, comme bribri-au-coeur-dange (sic). S’agit-il de la production d’une adolescente qui a eu le malheur de se connecter de son établissement ? Mystère…

Fabrice Prigent indique également:

C’est vrai que c’est un filtre Internet, il a surtout pour fonction de bloquer.

Il y a forcément une vérification, “de nombreux plaisantins s’amusant à envoyer n’importe quoi par l’interface de mise à jour.” Tant qu’il y en a pas trop, la vérification rapide suffit mais c’est lui qui prend la décision finale : “Je n’ai personne d’autre.”

Personne d’autre mais outil, , pornperl, qui évalue les contenus listés adult (“les sites adultes allant de l’érotique à la pornographie dure”), qui constituent la liste la plus fournie. Si la note donnée par Pornperl est haute, le site est directement blacklisté, sinon, Fabrice vérifie. “Le doute profite à la protection”, précise-t-il. Il est parfois contacté directement par des gens qui lui signalent une correction.

Quel est le profil de ces contributeurs? “Il ne s’agit pas des professeurs mais de gens comme moi, des responsables informatiques en réseau qui trouvent pertinent d’alimenter la liste. Cet ensemble d’utilisateurs-contributeurs fait que cette liste semble correspondre à la majorité des besoins”, juge-t-il. Il dit apprécier la philosophie du libre “par pragmatisme : c’est mieux de répartir la tâche et les regards.”

Sauf que les regards ne semblent en l’occurrence pas vraiment partagés.

Une salle de classe sous le regard attendri de Tux: une utopie?

Une gestion fine… à condition de s’en occuper

L’enjeu se situe en fait aux niveaux inférieurs : les outils disponibles permettent une gestion fine, poste par poste, par tranche horaire. Outre les listes de Toulouse, il est possible de rajouter au niveau local un blocage par mots-clés, dont on connaît la limite : “sexe” peut tout aussi bien être une requête pleine d’hormones que studieuse, dans le cadre d’un cours de sciences naturelles. Enfin, un site en particulier peut également être intégré dans le système de blocage, au cas par cas.

Il existe plusieurs systèmes. DIR300-ENR est plutôt recommandé dans les écoles primaires et les petits établissements. Dans le secondaire et les universités, deux systèmes officiels sont utilisés. Entre les deux c’est une “guerre” feutrée. D’un côté, on a le SLIS, développé par l’académie de Grenoble. Premier pare-feu scolaire conçu dans un but pédagogique, il existe depuis 1998. “C’est un outil développé de la base, en lien avec les pédagogues”, avance Philippe Paget, responsable SLIS à Grenoble.

En face, le système EOLE AMON, poussé par le ministère et développé par des “techos”, à partir de 2000. Des techos accusés de développer un outil à visée administrative, rigide, aux fonctions insuffisantes, qui ne serait pas adapté aux besoins pédagogiques. Un point de vue que réfute bien entendu le camps adverse. Cédric Frayssinet, enseignant, s’occupe des réseaux informatique dans les collèges et lycées de l’académie de Lyon. Il estime que “les différences tendent à se réduire. SLIS est peut-être plus fin, mais plus complexe aussi. Il n’y a pas de grosses différences.”

Une judiciarisation qui favorise le principe de précaution

Si l’école pose des objectifs en matière d’Internet, il existe en face des lois. De jure, la pornographie est interdite au moins de 18 ans, on ne peut proférer des propos racistes, faire l’apologie du nazisme… Certaines CGU posent des restrictions à l’usage:  Facebook est interdit au moins de 13 ans, ce qui en interdit de jure l’usage par des 6ème et des 5ème…

En cas de pépin, la responsabilité en revient au chef d’établissement et éventuellement au professeur. Dans un contexte de judiciarisation -certains parents ont le procès facile-, “on devient parano , analyse Aka, professeur de mathématiques et membre de Framasoft, le filtrage est l’exemple d’une dérive liée au principe de précaution poussée à l’extrême.” Si on lui demande ce qu’il ferait s’il était chef d’établissement, il répond : “le filtrage, pour avoir la paix”. Mais comme professeur, c’est l’ouverture qu’il préfère sans barguigner. Il cite l’exemple d’un de ces anciens établissements dont les élèves avaient créés un groupe “je hais tel professeur”. Les faits n’avaient pas eu lieu dans l’établissement, n’empêche, c’est Facebook dans son entier qui a été banni.

Il souligne aussi le rôle des médias mainstream dans la crainte liée à l’Internet, toujours prompts à monter en épingle des faits divers anecdotiques. Un peu de bon sens, comme le demande Jean-Marc Manach :

lit-on, dans le même temps, [...] “violée à cause d’un bistrot”, “licencié à cause de Facebook” ?

“Le respect de la loi est d’abord le même que le FAI -obligation de conserver les traces pendant un an et de les fournir sur requête-, complète Bruno Devauchelle, formateur chercheur au CEPEC (Centre d’Études Pédagogiques pour l’Expérimentation et le Conseil) de Lyon, spécialiste des TICE. C’est aussi ce qui concerne l’accès des jeunes aux contenus, mais là les choses sont beaucoup plus floues sur la loi. Là encore filtrage est trop restrictif (cf sécurité, contrôle, suivi, etc.).”

Luc Bourdot, qui travaille sur AMON, justifie aussi cette prudence a priori : “Il y a une absence de séparation entre vie privée et vie professionnelle (en l’occurrence scolaire, NDLR). On a donné tôt un e-mail aux élèves. Dessus, l’élève mineur peut recevoir des messages à caractère privé si l’outil est ouvert sur l’extérieur, ce qui peut poser problème.”

“Tant que la sécurité est assurée, c’est le principal“, analyse Philippe Paget. Il se souvient d’une journée de formation assurée par un cabinet de consultants d’avocats : ” ‘Bloquez tout vous serez tranquille en cas de problème’, voilà le discours général”. Ce à quoi les développeurs de SLIS répondent  : “trouvez-nous le texte de loi qui corresponde”. Pas facile, en l’absence de jurisprudence consistante… Grenoble, “qui passe pour des non-conformistes” selon Philippe Paget, “bloque a minima”, juste ce qu’il faut pour respecter la loi dans le domaine.

Absence de politique nationale

La situation est clairement variable dans les académies et les établissements. “Dans les académies, cela peut changer d’une semaine à l’autre. C’est décidé par quelqu’un à qui on a confié les clés mais qui souvent n’y connait rien, indique Michel Guillou, adjoint au Conseiller TICE du Recteur de l’Académie de Versailles. Lorsqu’AMON est en place, il est alors beaucoup plus difficile de changer les réglages par défaut. Il s’agit souvent d’un local fermé à clé sous la responsabilité du chef d’établissement. S’il n’est pas sensibilisé à ces enjeux, le réglage est effectué une fois pour toute. Dans 95 % des cas, la liste de Toulouse est prise, sans y toucher. C’est une solution de confort.”

“Le degré de délégation varie, les académies verrouillent plus ou moins, explique Luc Bourdot. Ce n’est pas qu’AMON n’est pas adapté mais qu’on ne laisse pas la main. Le système permet de plus verrouiller au niveau académique, pour des questions d’optimisation. Mais nous, on milite pour la délégation.” Il souligne également que de leur côté, ils ont fait ce travail de formation et ont beaucoup communiqué.

Les professeurs, si l’on en croit les différentes personnes interrogées, ne mettent pas beaucoup le nez sous le capot, pour des raisons diverses. “Je n’ai pas l’impression qu’il soient beaucoup avertis sur le filtrage, qu’ils sachent qu’ils peuvent agir dessus. Beaucoup pensent qu’ils ne peuvent pas”, pense Fabrice Prigent. ‘Je prends, je coche tout et ça va’ se disent-ils, et tant que ça se plaint pas trop, on ne change pas.” Un point de vue confirmé par Michel Guillou : “1% sait qu’il y a des listes, et parmi eux, 1% que les listes peuvent être changées.”

“Les enseignants ne se mêlent pas de cela car ce sont les informaticiens qui, la plupart du temps, imposent leur vue au nom de la ’sécurité’, terme qui englobe filtrage (contenus et virus) contrôle (surveillance des flux et log) et suivi (surveillance en temps réel de certains flux, parfois sans respect de la loi)”, estime Bruno Devauchelle.

Anne Delineau, coordonnatrice académique CLEMI de Poitiers, nuance : “Les professeurs râlent mais font avec”. Il faut dire qu’ils ont d’autres chats à fouetter. Elle souligne aussi la lourdeur de la procédure dans son académie : “un professeur doit demander au chef d’établissement qui transmet à la DIR (Division Informatique et Réseau)” Nous avons demandé à ce que cela soit allégé mais c’est resté en l’état.”

“Le filtrage la majorité du temps, du moins dans les lycées, c’est les professeurs qui s’occupent de l’informatique qui gèrent, alors c’est plus difficile de faire ça finement, il faut prendre du temps, il faut être à la demande des professeurs, bref, on n’est pas forcément assez disponible pour filtrer finement, détaille Cédric Frayssinet à propos de son académie. Du coup, c’est plutôt un filtrage global par établissement, quand ce n’est pas tous les collèges d’un département entier, ce qui est le cas dans le Rhône : Facebook est interdit, administration et élèves compris. Un Facebook filtré pour des raisons de bande passante.

Car l’intérêt supposé de l’élève et la loi ne sont pas les seuls paramètres pris en compte : l’aspect financier pèse aussi. Certains sites, gourmands en bande passante, peuvent être bloqués pour des raisons d’économie. Les conseils généraux, en charge des collèges, et les régions, en charge des lycées, n’apprécient pas forcément de rallonger la note pour permettre de surfer sur des sites qu’ils ne perçoivent pas forcément comme des outils pédagogiques mais plutôt comme un loisir. Et tant pis pour le professeur d’histoire qui a besoin d’une vidéo sur YouTube pour son cours.

Retour dans l’académie de Lyon. Chaque lycée a son réglage, l’administrateur réseau, qui est aussi un professeur, bloque tel ou tel site à la demande des professeurs. “C’est essentiellement les documentalistes qui s’intéressent au sujet parce que dans les CDI il y a pas mal de postes en accès libre en midi et deux, ou pendant les pauses. Ils sont plus au fait des usages que les profs, qui sont dans les classes et surveillent leurs élèves. Le blocage global est problématique pour l’éducation numérique, rajoute-t-il, conscient des enjeux, comme l’usage des réseaux sociaux par exemple. Parfois des association viennent dans les collèges, ce tout ou rien est gênant.”


Et si on formait ?

Car c’est là la vraie question. Le guide pratique de l’accès à Internet affirme que “toute mise à disposition de documents suppose un choix et donc une sélection dans le fond comme dans la forme vers l’intérêt de l’élève.” Quel est l’intérêt de l’élève ? Le mettre dans une bulle artificielle, sans lui donner les moyens d’apprendre à maîtriser les outils ? Inciter à hacker les outils dans un but pédagogique ? La circulaire du 18 février 2004 réaffirme “le rôle majeur de l’école pour lutter contre la fracture numérique et proposer un accès à ce savoir pour tous nos élèves.” On sait l’importance d’une bonne gestion de l’e-reputation, par exemple. Pour aider les jeunes à maîtriser cette dimension, l’Éducation nationale choisit de blacklister Facebook et Twitter.

Michel Guillou déplore ainsi l’absence de “réflexion cohérente sur les enjeux de l’éducation aux médias. Celle-ci est encore trop axée sur les outils anciens, radio, télévision, PQR. Les plus sensibilisés sont les documentalistes. Actuellement, c’est une politique de l’autruche, on pense que le travail est fait vis-à-vis des parents parce que les tuyaux sont protégés, mais on ne se pose pas les vraies questions.”

Aka va dans ce sens : “Il n’y a pas de discussion avec les acteurs, dénonce-t-il. Tout se fait en haut, dans une logique top-down.” S’il confirme une absence générale d’intérêt, ce constat est logique selon lui vu ce contexte : “c’est le serpent qui se mord la queue”. Il en appelle du coup à un débat transparent :

ouvrons un espace de discussion sur le filtrage !

La vraie question pour lui, c’est : “Quelles conséquences pour les enfants ?” À l’écouter, on est en droit de penser que les risques d’un filtrage excessif sont peut-être plus forts que ceux liés à une trop grande ouverture des vannes. “Aujourd’hui les gamins sont démunis”, explique-t-il. Pour être nés avec une souris dans les mains, les enfants et les ados d’aujourd’hui n’en sont pas pour autant des digital literacy… La fracture numérique n’est pas qu’une question d’équipement mais aussi d’alphabétisation. Si l’école ne la prend pas en charge cette alphabétisation ? Et si filtrer il faut, car cela peut effectivement être utile dans certains contextes, “expliquer les raisons”, souligne Aka.

La pédagogie, c’est le parent pauvre

résume Philippe Paget. Lui estime que l’académie de Grenoble est bien lotie car les enseignants ont été sensibilisés au filtrage : “Ils savent qu’ils peuvent jouer sur la bride.”

“Il ne faut pas se mettre la tête dans le sac, l’Éducation nationale devrait former dans un environnement sécurisé à l’intérieur de la communauté éducative,” prône lui Luc Bourdot, soulignant qu’ils disposent de tels outils. Mais quid de l’élève une fois qu’il est chez lui devant son ordinateur ?

Anne Delineau pointe aussi le manque de moyens humains : éduquer, cela demande du temps et des hommes formés. Dans le contexte de réduction de postes, pas sûr que ce manque soit comblé…

Cédric Frayssinet indique aussi que le filtrage par identifiant, qui permet de filtrer par profil, qui arrive petit à petit, devrait améliorer la situation. In fine, chaque professeur gérerait le filtrage comme il l’entend dans sa classe. Mais règle-t-il la question de l’éducation…

Contourner le blocage ?

Rajoutons que le blocage d’un site reste toujours relatif. (Re)prenons Facebook le honni : “Je me suis rendu compte que Facebook était beaucoup plus présent que je ne le pensais : des sites y font appel avec du javascript, il était donc quand même visible”, détaille Fabrice Prigent. Ce genre de question posée sur un forum incite aussi à se poser des questions : “bonjour, nos élèves ont trouvé la faille pour accéder à certains sites bloqués par le SLIS, (ex FACEBOOK), il suffit de rajouter un “s” au http. je n’ai pas réussi à bloquer cette faille sur le slis. Je pose donc ma question : comment bloquer un site en https ?”

De quoi nuancer ces propos de Fabrice Prigent : “Contourner, c’est toujours envisageable. C’est le principe de la ceinture de sécurité, elle protège quelqu’un qui va pas chercher à aller trop loin. Je pense que c’est suffisamment compliqué pour que les enfants n’y arrivent pas.” On notera au passage le parallèle avec la prévention routière, sans nuance, est symptomatique d’une politique qui ne fait pas dans la dentelle : entre un blog nazi et Facebook, il y a une échelle de danger… Il existe aussi une chose merveilleuse qui s’appelle l’Internet mobile, c’est une tendance lourde, qui permet, ô merveille, de se connecter à YouPorn des toilettes.

En guise d’éducation, le fameux B2i n’est qu’une coquille vide guère significative, attribué en mode presque automatique puisque sa validation est obligatoire pour avoir le brevet. Du coup, le taureau est pris en main par les cornes au petit bonheur la chance, au hasard de la bonne volonté des professeurs, de leur temps, de leur appétence pour le sujet. Et pendant ce temps, nos voisins allemands vont enseigner la protection de la vie privée dans certains Länder.

Les annonces d’un certain François Fillon en 2004 semblent donc être restées au stade de la bonne parole incantatoire : “Aussi performants que puissent être les dispositifs de filtrage, ils demandent à être accompagnés de mesures de formation, de sensibilisation et de responsabilisation de l’ensemble des acteurs concernées; une solution efficace dans le domaine de la sécurité ne peut se concevoir sans l’implication des utilisateurs. Les usagers, personnels de l’Éducation nationale et élèves, doivent être infomés des spécificités de l’Internet. Cette sensibilisation et responsabilisation, qui est déjà largement engagée dans les académies, est une étape indispensable à une utilisation citoyenne de l’Internet. Elle demeure une nécessité et le fondement d’une véritable prise de conscience des problèmes éventuels.”

Concluons par une citation amusante au vue de ce panorama, du même François Fillon :

“Je vous remercie d’apporter ainsi à nos élèves les moyens de devenir des citoyens éclairés de la société numérique”

Pour ceux que les détails techniques intéressent, voici les schémas de principe pour l’académie de Lyon.

À lire aussi : Hacker la pédagogie

Crédits photos CC FlickR happy via, Extra Ketchup

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