OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bactéries du futur [3/3] http://owni.fr/2012/03/26/bacteries-du-futur-33/ http://owni.fr/2012/03/26/bacteries-du-futur-33/#comments Mon, 26 Mar 2012 13:57:16 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=103214


[Suite de notre enquête sur la biologie de synthèse. Retrouvez ici la première et la deuxième partie]


Diplomatie et financement

Il pleut. À l’intérieur du bâtiment Necker du ministère de l’économie et des finances, à Bercy, le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies est installé au bout d’un long dédale de couloirs feutrés et incurvés.

Françoise Roure y préside la section Technologies et société :

En Chine, au Brésil, aux États-Unis la biologie de synthèse fait partie de programmes subventionnés par les pouvoirs publics. Chacun a un prisme particulier. En Chine c’est l’autosuffisance alimentaire de long terme, c’est-à-dire nourrir 1,3 milliard d’habitants sur 100 ans, au Brésil c’est le décollage économique par l’exploitation de ressources organiques et aux États-Unis les besoins énergétiques sont énormes. Pour toutes ces raisons la biologie de synthèse pour les biocarburants fait partie des options diplomatiques et de politiques intérieures extrêmement fortes. La continuité de l’approvisionnement énergétique conditionne énormément de choses, notamment l’approvisionnement durable en eau.

Bactéries du futur [1/3]

Bactéries du futur [1/3]

Dans leurs éprouvettes, des chercheurs préparent la biologie et la génétique de demain. Des "biologistes-ingénieurs" qui ...


Le ton est donné. Françoise Roure, qui a rencontré, au nom de la France, les spécialistes de la question dans le monde entier, de l’Allemagne aux États-Unis en passant par l’Autriche, poursuit : “A l’heure actuelle, on est sous la barre des 10 millions d’euros de financements publics en France pour les projets spécifiques liés à la biologie de synthèse. Au niveau européen, nous sommes à moins de 50 millions d’euros. Je regrette que ce soit le parent pauvre des programmes de recherche. La question pour moi, d’un point de vue de la puissance publique est ‘qui va financer l’acquisition des connaissances, et de quelles connaissances?’”

Elle ajoute :

Il y a encore beaucoup d’inconnus. La puissance publique peut aider à financer des recherches en amont sur l’impact écologique ou toxicologique qui ne sont pas prises en charge par l’économie de marché, et elle doit susciter des débats éthiques.

Culture scientifique

Retour à l’Assemblée nationale, rue de l’Université. Dans son petit bureau de députée, Geneviève Fioraso ouvre puis ferme la fenêtre. Ouverte, trop de bruit ; fermée, trop chaud.

Je pense que la biologie de synthèse est une technologie de rupture. C’est important de s’y intéresser tout de suite si on ne veut pas que son évolution soit complètement guidée par l’industrie et garder la maîtrise du sens de la science.

L’élue socialiste a à cœur de mener les discussions sur les enjeux de la biologie synthétique en amont, avant ses développements industriels. “Ce n’est pas un luxe, ça permet de sortir des débats idéologiques et de posture. Ça me paraît beaucoup plus efficace que les grands principes idéologiques, comme le principe de précaution, où finalement il n’y a aucune démarche d’évaluation au fur et à mesure. Parce que franchement les débats qu’on a eux dans l’hémicycle sur les OGM n’étaient pas passionnants”.


Elle poursuit : “Pour l’instant la biologie de synthèse c’est un peu un microcosme, je suis complètement favorable à un débat science-société. Mais je pense qu’il faut travailler à rehausser le niveau scientifique des citoyens : je ne crois pas à un grand débat public mais beaucoup plus à un processus de formation continu et permanent”.

En 2011, 25 % des Français ignorent ce que sont les nanotechnologies. Les nanotubes, par exemple, qui en sont un des matériaux, des assemblages d’atomes de carbone en cylindres de quelques milliardièmes de mètres de diamètre, sont utilisés pour renforcer les raquettes de tennis ou les cadres de vélo, dans des circuits de moteurs automobiles et dans certains textiles. Leurs effets potentiels sur la santé sont encore assez méconnus, et même régulièrement montrés du doigt par certains scientifiques.

“La culture scientifique et technique des citoyens de la population française n’est pas préparée à ces débats, or la qualité de la décision publique en dépend. Aux États-Unis, la question de la biologie de synthèse a été étudiée par le comité d’éthique de la Maison Blanche. Les questions d’éthique ont le pouvoir de faire dire ‘non’ “, m’avait rappelé Françoise Roure à Bercy.

Métaphysique

Il y a une dimension métaphysique dans la biologie de synthèse. Cela touche des questions très précieuses, sacrées.

Philippe Marlière n’hésite pas : “Les premiers qui doivent être contre la biologie de synthèse sont ceux qui la font”.

Il ajoute : “On ne peut pas dire que comme la nature bricole elle-même, on peut y faire ce qu’on veut sans aucun risque. Notre savoir est assez frustre mais nous avons quand même tous les outils pour modifier une bactérie qui représente à peu près 30 % de la biomasse marine. Le temps de génération d’une bactérie est très court, une heure environ. Le risque de déplacer des équilibres, de faire changer la couleur de la mer par exemple, existe. Moi je ne le ferai pas, j’aurais des scrupules. Intrinsèquement, le risque biologique croît exponentiellement. Celui du nucléaire, lui, à l’inverse, décroît”.

Conscient que la création d’une vie artificielle prête à la controverse, le généticien assure : ” les bactéries que nous produisons sont amoindries, ce sont des loosers, elles n’ont strictement aucune chance de rentrer en compétition avec des formes sauvages, comme une souris de laboratoire ne passerait pas l’après-midi dans un égout de Paris “.

Le responsable des énergies nouvelles à Total, Vincent Schachter, avait, lui, doctement assuré d’une voix calme à l’Assemblée nationale : ” Nous manipulons des levures génétiquement modifiées de type 1, qui sont réglementées. Ensuite, -c’est la première chose-, nous travaillons en milieu confiné et nous faisons tout ce qu’il faut pour que les organismes modifiés ne sortent pas. Après, au cas où ils sortiraient, ils auront du mal à survivre en milieu naturel. Troisièmement, la manière dont ils sont modifiés n’a absolument aucun rapport avec quelque effet néfaste que ce soit. Et enfin, ‘ceinture et bretelle, toujours’, nous allons évidement tester activement l’impact environnemental de toutes les nouvelles souches bactériennes, nous nous devons de le faire “.

Bactéries du futur [2/3]

Bactéries du futur [2/3]

Tubes à essai, agitateurs, congélateurs et biologie de synthèse : bienvenue dans l'univers de Global Bioenergies. Cette ...


Philippe Marlière précise quand même: ” Bien sûr, il serait très péremptoire de ma part d’affirmer que le risque est nul. Mais les verrous peuvent être multipliés. Nous rendons nos bactéries dépendantes d’une alimentation qui n’existe pas dans la nature et que nous produisons pour elles. Lorsqu’elles n’en trouvent pas, elles meurent “.

Contradictions

L’argument ne convainc pas Dorothée Benoît-Broadweys, déléguée générale de Vivagora.

Assise devant une bière, cette biologiste de formation lâche : ” La question du partage de l’espace et de ressources limitées est importante. Même si ces micro-organismes sont alimentés par des molécules artificielles, elles-mêmes seront produites à partir de ressources qu’il faut partager. Et même si la ressource utilisée est la biomasse, les déchets agricoles, il faut veiller à la question de l’affectation des ressources biologiques. Que la production de ressources énergétiques ne remplace pas les ressources alimentaires “.

L’association entend, selon ses statuts, ” socialiser l’innovation, lui donner ‘du sens’, en plaçant l’homme et sa qualité de vie au cœur des préoccupations, c’est-à-dire permettre aux citoyens de s’emparer des enjeux technologiques, et de s’exprimer pour définir le ’souhaitable’ parmi tous les ‘possibles’ “. Elle procède en organisant des ateliers où scientifiques spécialisés et citoyens novices échangent, fidèle à son objectif : ” mettre en débat les orientations scientifiques et les innovations techniques afin de promouvoir une gouvernance plus démocratique “.

A l’initiative des premières conférences publiques sur la biologie de synthèse, en 2009, l’association a elle aussi été entendue par l’OPECST. Et elle est, à l’heure actuelle, le seul contradicteur en France dans le débat sur la biologie de synthèse.

Dorothée Benoît-Broadweys reprend : ” ce ne sont pas les risques que nous avons mis en avant lorsque nous avons été entendus par les représentants de l’autorité publique mais plutôt la question du rapport au vivant “. Elle cite un peu confusément Paul Ricoeur, Alain et d’autres philosophes dont elle a oublié le nom.

Quelle est la nouvelle donne pour nous, êtres humains qui sommes reliés à un écosystème, comment va-t-on cohabiter avec ces artefacts produits par l’Homme et dont il aura la responsabilité ? On ne peut pas continuer dans l’idée d’une technologie qui s’imaginerait qu’elle peut être toute puissante et prétendre maîtriser la nature, on le voit assez avec les pesticides, les perturbateurs endocriniens, et leurs effets sur la santé. Donc soyons un peu raisonnables, faut-il nécessairement en finir avec la finitude ?

Contre l’intelligence collective

Dans le cercle restreint des spécialistes de biologie synthétique, Vivagora a mauvaise réputation. ” C’est très bien qu’il y ait des lanceurs d’alerte sur le sujet, mais qu’ils fassent correctement leur travail. Ils ne connaissent pas les dossiers “, lâche la chargée de presse de Global Bioenergies.
Philippe Marlière ne mâche pas ses mots : ” Leur espèce de comité citoyen est une pure folie d’un point de vue scientifique, la science ne s’est jamais faite à l’applaudimètre, c’est le contraire.
La science s’est toujours construite contre l’intelligence collective, c’est la grandeur du truc. C’est aristocratique, ça veut dire le gouvernement par les meilleurs. Ça ne veut pas dire que les scientifiques gouvernent le monde mais que la société scientifique est gouvernée de manière aristocratique “
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Il enfonce le clou : ” La position de Vivagora, qui vit de subventions publiques, est que tout est merveilleusement dangereux, tout peut dégénérer dans la pire des apocalypses, donc tout est interdit. Ce n’est pas opérationnel comme position, ce n’est pas une attitude pragmatique. Moi, je gagne de l’argent en convaincant des investisseurs, pas en tendant ma sébile auprès du contribuable “.

A l’assemblée nationale, Geneviève Fioraso grince des dents : ” Le problème, c’est que ce sont en même temps des consultants qui font payer leurs consultations. Et ils ont du mal à toucher les citoyens, ce sont plutôt des happy-few “.

Bioéconomie

La député a rencontré, outre-Atlantique, l’ONG canadienne ETC, pour Action Group on Erosion, Technology and Concentration

Elle indique : ” Leurs propos sont beaucoup plus modérés que ce qu’ils disent dans leurs rapports “.

Le dernier en date, intitulé ” Les maîtres de la biomasse ” est une somme de 90 pages. Sous-titré ” La biologie de synthèse menace la biodiversité et les modes de subsistance “, il reproduit dès son introduction les propos du père de la biologie de synthèse, Craig Venter, datés du 20 avril 2009 :

Quiconque produit des biocarburants en abondance pourrait bien finir par faire plus que des gros sous – il écrira l’histoire… Les entreprises et les pays qui y parviendront seront les vainqueurs économiques de la prochaine ère, au même titre que le sont actuellement les pays bien pourvus en ressources pétrolières.

L’ONG publie régulièrement des dossiers très documentés sur l’impact des nouvelles technologies sur les questions socio-économiques et écologiques, notamment dans les pays les plus pauvres. Elle reproduit dans celui-ci les propos du directeur général d’Amyris Biotechnologies, une start-up américaine spécialisée dans le développement de biocarburants : ” En scrutant le monde et en cherchant où se trouvait la biomasse la moins coûteuse et la plus abondante, nous avons découvert que le Brésil était vraiment l’Arabie Saoudite des énergies renouvelables. “

Total, qui a déjà investit 200 millions de dollars dans le capital d’Amyris, dont il détient plus de 20 %, pénètre le marché brésilien par l’intermédiaire de ce partenaire américain, et projette, d’ici à 2020 de posséder 5 à 10% de la production de canne à sucre brésilienne.

Des investissements qu’ETC appelle la nouvelle ” bioéconomie “, dirigée par ” les nouveaux maîtres du vivant “. Elle dénonce notamment une appropriation par une poignée d’industriels de ce monde vivant, dont la biomasse, ressource de la biologie de synthèse, est issue. L’ONG passe également au crible la conversion de terres à vocation alimentaire en terres à vocation énergétique et l’émergence de nouveaux risques biologiques incontrôlés.

Dénonçant l’arrogance des promoteurs de la biologie de synthèse, comparable à celle des tenants de l’énergie nucléaire, longtemps présentée comme sans risque et peu coûteuse, l’ONG appelle à une mobilisation de la société civile : agriculteurs, populations autochtones, et ” tous ceux qui se sentent concernés par la conservation des forêts, les aspects éthiques qui entourent les changements climatiques, les produits chimiques toxiques, la conservation des océans, la protection des déserts, les droits relatifs à l’eau “.

Elle préconise enfin que les fonds publics soient investis dans l’évaluation des coûts sociétaux et environnementaux de la biologie synthétique.

DIYBio

En France l’information est peut-être dans la zone industrielle de Nanterre. C’est là que l’association la Paillasse, la première communauté de biologistes-amateurs s’installe, au rez-de-chaussée d’un bâtiment de bureaux. Constituée il y a quelques mois elle rejoint l’Electrolab, des geeks, qui détournent les processus électroniques et informatiques pour les adapter à leurs goûts et leurs besoins, dans le plus pur esprit Do It Yourself, DIY.

Né aux États-Unis entre 2007 et 2008 le mouvement DIYBio, pour Do It Yourself biology, a depuis essaimé à Londres, à Madrid, à Vienne, à Boston, à Nanterre…

Electrolab : la révolution à propulsion silencieuse

Electrolab : la révolution à propulsion silencieuse

Le tout jeune Electrolab est un hackerspace basé à Nanterre. Comme son nom le suggère, sa marotte, c'est l'électronique. ...

Dans le demi sous-sol où elle emménage, la Paillasse a déjà accumulé une machine PCR, qui permet de répliquer à l’infini une séquence génétique, un bain-marie, des agitateurs, une centrifugeuse, des micro-pipettes. Tout le matériel, encore dans les cartons, tient sur deux tables. A côté, deux frigos, dont un pour les bactéries. Tout, ou presque, vient de Génopole. Un donateur institutionnel et généreux dont la directrice de la recherche, Françoise Russo-Marie, salue la ” démarche citoyenne “ de la Paillasse.

Leur crédo pourrait être ” pirater est bon, mais le mot a mauvaise réputation “. Car les pirates sont dociles. Une bande de jeunes très diplômés aux compétences vastes et aux centres d’intérêt variés. Ils fédèrent autour d’une poignée d’énergies motrices une dizaine d’ingénieurs, de biologistes, d’informaticiens, d’artistes et d’électrons libres.

Thomas Landrain, 26 ans, ancien étudiant à Normale Sup bio et thésard en biologie de synthèse à l’Institut de biologie systémique et synthétique d’Evry, co-fondateur de la Paillasse, m’explique :

l’idée est que la biologie est en train de devenir une technologie au même rang que l’électronique ou l’informatique, en terme de miniaturisation technologique on n’a pas encore fait mieux que les cellules vivantes ! Et comme on dispose de pièces modulaires pour fabriquer des circuits génétique, il est possible de créer des circuits chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple.

Il prévient : ” Il faut des autorisations pour faire des mutations génétiques actives. Nous ne voulons pas nous mettre en confrontation avec les règlements “. S’il est simple de manipuler le vivant c’est aussi plus risqué qu’en électronique ou en mécanique, puisque une cellule bactérienne génétiquement modifiée qui tombe par terre peut interagir avec son environnement.

Les bio-bidouilleurs s’enracinent

Les bio-bidouilleurs s’enracinent

La première communauté de biologistes hackers a vu le jour il y a quelques mois en France. Greffés au /tmp/lab, entre la ...

La Paillasse a donc opté pour une approche plutôt ” passive ” de la biologie de synthèse et, plus largement, de la génétique. ” Nous voulons être un laboratoire de biotechnologie ouvert, citoyen et transparent. L’idée est de rendre le pouvoir de la recherche accessible à n’importe qui. Aujourd’hui la techno-biologie est de plus en plus importante, c’est devenu une technologie routinière : on établit des diagnostiques médicaux à partir du séquençage d’un génome, les OGM nous entourent. Or ce sont des termes difficiles à comprendre. L’information génétique est partout mais paradoxalement personne ne peut y accéder.”

Le collectif souhaite, pour ses premières réalisations, fabriquer des kits de détection d’OGM, dans la nourriture ou dans l’environnement. Également à l’ordre du jour, des ateliers de sensibilisation à la génétique, comme ceux qui ont déjà été menés au MAC/VAL, le musée d’art moderne de Vitry, dans la banlieue parisienne.

Interrogé sur la signification politique de cet engagement, le biologiste réfléchit, hésite, et énonce clairement : ” C’est forcément une démarche politique puisque nous nous déclarons libres de détourner la technologie par rapport à l’usage que prévoient les règlements. Nous sommes des gens curieux, nous voulons explorer la nature, nous avons des outils à notre disposition, il n’y a pas de raison de s’en priver. Et nous sommes là pour réclamer une liberté par rapport aux informations génétiques, pour qu’elles ne soient pas la propriété d’entreprises privées ou de l’État.
D’ici 10 ou 15 ans nous aurons peut-être notre génome encodé sur notre carte Vitale. Ces informations peuvent être dangereuses à partir du moment où elles sont complètes et qu’elles nous sont propres. Il faut démystifier la génétique “.

Et de conclure :

La société du XXIe siècle va être envahie par les biotechnologies, il semble évident de former les gens à ce qui arrive. L’éducation à la science et à la technique est un véritable contre-pouvoir. Le DIYBio, c’est un peu la science au peuple.

Dont acte.


Illustrations sous licences Creative Commons par Lynn, Anua22a et Kevin Dooley

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Bactéries du futur [1/3] http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/ http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/#comments Wed, 21 Mar 2012 10:57:23 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=102645

A l’heure actuelle la demande en énergie croît plus vite que l’offre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, à l’horizon 2030 les besoins de la planète seront difficiles à satisfaire, tous types d’énergies confondus. Il faudra beaucoup de créativité pour satisfaire la demande.

Vincent Schachter, directeur de la recherche et du développement pour les énergies nouvelles à Total commence son exposé sur la biologie de synthèse. “C’est important de préciser dans quel cadre nous travaillons”. Ses chercheurs redessinent le vivant. Ils s’échinent à mettre au point des organismes microscopiques, des bactéries, capables de produire de l’énergie.

En combinant ingénierie, chimie, informatique et biologie moléculaire, les scientifiques recréent la vie.

Ambition démiurgique

Aucune avancée scientifique n’a incarné tant de promesses : détourner des bactéries en usines biologiques capables de produire des thérapeutiques contre le cancer, des biocarburants ou des molécules capables de dégrader des substances toxiques.

Dans la salle Lamartine de l’Assemblée nationale ce 15 février, le parterre de spécialistes invités par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifique et techniques (OPECST) est silencieux. L’audition publique intitulée Les enjeux de la biologie de synthèse s’attaque à cette discipline jeune, enjeu déjà stratégique. Geneviève Fioraso, députée de l’Isère, qui l’a organisée, confesse : “J’ai des collègues parlementaires à l’Office qui sont biologistes. Ils me disent qu’ils sont parfois dépassés par ce qui est présenté. Ce sont des questions très complexes d’un point de vue scientifique”.

L’Office, dont la mission est “d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions” est composé de parlementaires, députés et sénateurs. Dix-huit élus de chaque assemblée qui représentent proportionnellement l’équilibre politique du Parlement. Assistés d’un conseil scientifique ad hoc ils sont saisis des sujets scientifiques contemporains : la sûreté nucléaire en France, les effets sur la santé des perturbateurs endocriniens, les leçons à tirer de l’éruption du volcan Eyjafjöll…

Marc Delcourt, le PDG de la start-up Global Bioenergies, basée à Evry, prend la parole :

La biologie de synthèse, c’est créer des objets biologiques. Nous nous attachons à transformer le métabolisme de bactéries pour leur faire produire à partir de sucres une molécule jusqu’à maintenant uniquement issue du pétrole, et dont les applications industrielles sont énormes.

Rencontré quelques jours plus tard, Philippe Marlière, le cofondateur de l’entreprise, “s’excuse”. Il donne, lui, une définition “assez philosophique” de la biologie de synthèse : ” Pour moi c’est la discipline qui vise à faire des espèces biologiques, ou tout objet biologique, que la nature n’aurait pas pu faire. Ce n’est pas ‘qu’elle n’a pas fait’, c’est ‘qu’elle n’aurait pas pu faire. Il faut que ce soit notre gamberge qui change ce qui se passe dans le vivant”.

Ce bio-chimiste, formé à l’École Normale Supérieure, assume sans fard une ambition de démiurge, il s’agit de créer la vie de manière synthétique pour supplanter la nature. Il ajoute :

Je ne suis pas naturaliste, je ne fais pas partie des gens qui pensent que la nature est harmonieuse et bonne. Au contraire, la biologie de synthèse pose la nature comme imparfaite et propose de l’améliorer .

Aussi provoquant que cela puisse paraître c’est l’objectif affiché et en partie atteint par la centaine de chercheurs qui s’adonne à la discipline depuis 10 ans en France. Il reprend : “Aussi vaste que soit la diversité des gènes à la surface de la terre, les industriels se sont déjà persuadés que la biodiversité naturelle ne suffira pas à procurer l’ensemble des procédés dont ils auront besoin pour produire de manière plus efficace des médicaments ou des biocarburants. Il va falloir que nous nous retroussions les manches et que nous nous occupions de créer de la bio-diversité radicalement nouvelle, nous-mêmes.”

Biologiste-ingénieur

L’évolution sur terre depuis 3 milliard et demi d’années telle que décrite par Darwin est strictement contingente. La sélection naturelle, écrit le prix Nobel de médecine François Jacob dans Le jeu des possibles “opère à la manière d’un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu’il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle, morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement lui fournir des matériaux […] D’une vieille roue de voiture il fait un ventilateur ; d’une table cassée un parasol. Ce genre d’opération ne diffère guère de ce qu’accomplit l’évolution quand elle produit une aile à partir d’une patte, ou un morceau d’oreille avec un fragment de mâchoire”.

Le hasard de l’évolution naturelle, combiné avec la nécessité de l’adaptation a sculpté un monde “qui n’est qu’un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle résulte de l’histoire de la terre. Il aurait très bien pu être différent. Il aurait même pu ne pas exister du tout”. Philippe Marlière ajoute, laconique : “A posteriori on a toujours l’impression que les choses n’auraient pas pu être autrement, mais c’est faux, le monde aurait très bien pu exister sans Beethoven”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comprendre que l’évolution n’a ni but, ni projet. Et la science est sur le point de pouvoir mettre un terme au bricolage inopérant de l’évolution. Le biologiste, ici, est aussi ingénieur. A partir d’un cahier des charges il définit la structure d’un organisme pour lui faire produire la molécule dont il a besoin. Si la biologie de synthèse en est à ses balbutiements, elle est aussi une révolution culturelle.

Il s’agit désormais de créer de nouvelles espèces dont l’existence même est tournée vers les besoins de l’humanité. “La limite à ne pas toucher pour moi c’est la nature humaine. Je suis un opposant acharné au transhumanisme“, met tout de suite en garde le généticien.

A, T, G, C

Depuis que Francis Crick, James Watson et Rosalind Franklin ont identifié l’existence de l’ADN, l’acide désoxyribonucléique, en 1953, une succession de découvertes ont permis de modifier cet l’alphabet du vivant.

On sait désormais lire, répliquer, mais surtout créer un génome et ses gènes, soit en remplaçant certaines de ses parties, soit en le synthétisant entièrement d’après un modèle informatique. Les gènes, quatre bases azotées, A, T, G et C qui se succèdent le long de chacun des deux brins d’ADN pour former la fameuse double hélice, illustre représentation du vivant. Quatre molécules chimiques qui codent la vie : A, pour adénine, T pour thymine, G pour guanine, et C pour cytosine. Leur agencement détermine l’activité du gène, la ou les protéines pour lesquelles il code, qu’il crée. Les protéines, ensuite, déterminent l’action des cellules au sein des organismes vivants : produire des cheveux blonds, des globules blancs, ou des bio-carburants.

On peut à l’heure actuelle, en quelques clics, acheter sur Internet une base azotée pour 30 cents. Un gène de taille moyenne, chez la bactérie, coûte entre 300 et 500 €, il est livré aux laboratoires dans de petits tubes en plastique translucide. Là il est intégré à un génome qui va générer de nouvelles protéines, en adéquation avec les besoins de l’industrie et de l’environnement.

L’être humain est devenu ingénieur du vivant, il peut transformer de simples êtres unicellulaires, levures ou bactéries en de petites usines qu’il contrôle. C’est le bio-entrepreneur américain Craig Venter qui sort la discipline des laboratoires en annonçant en juin 2010 avoir crée Mycoplasma mycoides, une bactérie totalement artificielle “fabriquée à partir de quatre bouteilles de produits chimiques dans un synthétiseur chimique, d’après des informations stockées dans un ordinateur”.

Si la création a été saluée par ses pairs et les médias, certains s’attachent toutefois à souligner que sa Mycoplasma mycoides n’a pas été crée ex nihilo, puisque le génome modifié a été inséré dans l’enveloppe d’une bactérie naturelle. Mais la manipulation est une grande première.

Tour de Babel génétique

Philippe Marlière a posé devant lui un petit cahier, format A5, où après avoir laissé dériver son regard il prend quelques notes. “Il y a longtemps qu’on essaye de changer le vivant en profondeur. Moi c’est l’aspect chimique du truc qui m’intéresse : où faut-il aller piocher dans la table de Mandeleiev pour faire des organismes vivants ? Jusqu’où sont-ils déformables ? Jusqu’à quel point peut-on les lancer dans des mondes parallèles sur terre ?”. Il jette un coup d’œil à son Schweppes :

Prenez l’exemple de l’eau lourde. C’est une molécule d’eau qui se comporte pratiquement comme de l’eau, et on peut forcer des organismes vivants à y vivre et évoluer. Or il n’y a d’eau lourde nulle part dans l’univers, il n’y a que les humains qui savent la concentrer. On peut créer un microcosme complètement artificiel et être sûr que l’évolution qui a lieu là-dedans n’a pas eu lieu dans l’univers. C’est l’évolution dans des conditions qui n’auraient pas pu se dérouler sur terre, c’est intéressant. La biologie de synthèse est une forme radicale d’alter-mondialisme, elle consiste à dire que d’autres vies sont vraiment possibles, en les changeant de fond en comble.

Ce n’est pas une provocation feinte, ce n’est même pas une provocation. L’homme a à cœur d’être bien compris. Il s’agit de venir à bout de l’évolution darwinienne, pathétiquement coincée à un stade qui n’assure plus les besoins en énergie des 10 milliards d’humains à venir. Il faut pour ça réécrire la vie, son code. Innover dans l’alphabet de quatre lettres, A, C, G et T. Créer une nouvelle biodiversité. Condition sine qua non : ces mondes, le nôtre, le naturel, et le nouveau, l’artificiel, devraient cohabiter sans pouvoir jamais échanger d’informations. Il appelle ça la tour de Babel génétique, où les croisements entre espèces seraient impossibles.

“Les écologistes exagèrent souvent, mais ils mettent en garde contre les risques de dissémination génétique et ils ont raison. Les croisements entre espèces vont très loin. J’ai lu récemment que le chat et le serval sont inter-féconds”. Il estime de la main la hauteur du serval, un félin tacheté, proche du guépard, qui vit en Afrique. Un mètre de haut environ.

Par ailleurs il fallait être superstitieux pour imaginer que le pollen des OGM n’allait pas se disséminer. Le pollen sert à la dissémination génétique ! D’où notre projet, il s’agit de faire apparaître des lignées vivantes pour lesquelles la probabilité de transmettre de l’information génétique est nulle.

Le concept tient en une phrase :

“The farther, the safer : plus la vie artificielle est éloignée de celle que nous connaissons, plus les risques d’échanges génétiques entre espèces diminuent. C’est là qu’il y a le plus de brevets et d’hégémonie technologique à prendre.”

Il s’agit de modifier notre alphabet de 4 lettres, A, C, G et T, pour créer un nouvel ADN, le XNA, clé de la “xénobiologie”:

X pour Xeno, étranger, et biologie. Le sens de cet alphabet ne serait pas lisible par les organismes vivants, c’est ça le monde qu’on veut faire. C’est comme lancer un Spoutnik, c’est difficile. Mais comme disait Kennedy, ‘On ne va pas sur la lune parce que c’est facile, on y va parce que c’est difficile.’

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Retrouvez la suite de cet article en deux parties ici et .


Cette enquête sera publiée en trois parties tout au long de la semaine.
Illustrations par Daniel*1977 (ccbyncssa)/Flickr

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Vérités à biométrie variable http://owni.fr/2012/03/05/verites-a-biometrie-variable/ http://owni.fr/2012/03/05/verites-a-biometrie-variable/#comments Mon, 05 Mar 2012 14:05:52 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=100407 À l'occasion du vote de demain à l'Assemblée nationale permettant de créer le plus gros fichier biométrique de la population française, OWNI a listé les faiblesses des systèmes biométriques. Et la liste est longue...]]>

“A l’exception de l’analyse de l’ADN, aucune des méthodes utilisées en matière de police scientifique et technique n’a démontré de façon rigoureuse qu’elle avait la capacité de démontrer un lien entre une trace et un individu ou une source spécifique.”

En 2009, aux États-Unis, un rapport accablant de l’Académie nationale des sciences jetait un pavé dans la mare de ceux qui accordent une confiance aveugle aux “experts” de la police technique et scientifique. Les “experts” savent très bien que leurs méthodes ne permettent aucunement de recueillir une “preuve scientifique“, mais uniquement une “présomption”.

Erreurs humaines, de calcul, de prélèvement, de conservation ou de comparaison des échantillons, biais méthodologiques ou scientifiques, les “experts” ont de très nombreuses raisons de se tromper… sans parler de ceux qui condamnent ainsi des innocents à plusieurs années de prison.

50% des victimes d’erreurs judiciaires sorties de prison par l’Innocence Project, une ONG américaine qui utilise l’empreinte génétique pour innocenter des condamnés inculpés à tort, avaient ainsi été condamnées sur la foi de témoignages et de “preuves” apportés par des experts de la police scientifique et technique.

Brandon Mayfield, un avocat américain de 37 ans, fut ainsi accusé d’être l’un des auteurs des attentats à la bombe qui frappèrent Madrid en 2006. Pour le FBI, son empreinte digitale correspondait “à 100%” à celle trouvé par la police espagnole sur un sac d’explosifs. La police espagnole répondit au FBI que, d’après ses propres analyses, l’empreinte de Mayfiled ne correspondait pas à celle du suspect, il n’en fut pas moins incarcéré, au secret, pendant deux semaines. Son empreinte faisait partie d’un groupe de 20 empreintes “similaires“… et Mayfield, qui s’était converti à l’islam après s’être marié à une Égyptienne, avait déjà fait l’objet de mesures de surveillance de la part du FBI. Il était donc un suspect tout désigné.

Shirley McKie, une détective de la police écossaise, fut quant à elle accusée de meurtre. Quatre experts de la police technique et scientifique avaient identifié son empreinte digitale sur la porte de la salle de bain d’une femme qui avait été poignardée à mort. Deux “experts” américains expliquèrent à son procès que son empreinte ne correspondait pas à celle laissée sur la scène de crime, lui évitant 8 ans de prison. Mais ses confrères britanniques maintinrent leurs versions, déclarant que c’était une “question d’opinion“. L’autre meurtrier présumé, identifié lui aussi par ses empreintes digitales, fut libéré de prison, d’autres experts ayant eux aussi conclu à une identification erronée.

On sait d’autre part qu’il est aussi possible de tromper les systèmes de reconnaissance biométrique en leur soumettant des fausses empreintes digitales réalisées à base de pâte à modeler, de gélatine, de silicone, de latex ou encore de colle à bois.

Le Centre de recherche des technologies d’identification (CITER), chargé par la National Science Foundation (NSF) d’aider les industriels à évaluer et améliorer la “crédibilité” de leurs technologies, a ainsi initié un concours, LivDet, de reconnaissance des fausses empreintes digitales.

Les résultats (.pdf) de l’édition 2011 sont assez édifiants : en fonction des algorithmes, systèmes et logiciels utilisés, de 6 à 40% des fausses empreintes digitales étaient identifiées, à tort, comme véritables, et de 12 à 66% des vraies empreintes digitales étaient, tout aussi à tort, identifiées comme fausses…

Par ailleurs, plus une base de donnée biométrique est importante, plus grande est la probabilité statistique d’identifier quelqu’un par erreur ou, a contrario, de mettre de côté un individu de peur de l’identifier par erreur. Les spécialistes de la biométrie sont ainsi amenés à élaborer de très complexes algorithmes statistiques jonglant entre “faux positifs” et “faux négatifs“, et basés sur un taux d’erreur acceptable.

Tel le projet du gouvernement indien de ficher ses 1,2 milliards de citoyens. Jamais on avait en effet cherché à procéder à une reconnaissance biométrique d’une telle ampleur.

Pour Joachim Murat, responsable pour l’Inde de Morpho, n°1 mondial de l’empreinte digitale et filiale de Safran, interrogé par Les Echos, “la confirmation de la décision de relever les données biométriques de tous les Indiens « garantit un très gros marché pour les terminaux qui captent les iris et les empreintes digitales »“, dont son employeur est l’un des principaux fournisseurs mondiaux.

Le marché est d’autant plus juteux que Morpho qu’il faut non seulement recueillir les empreintes digitales et les numériser, mais également leur appliquer nombre de traitements pour en “dédupliquer” les identifiants, afin de vérifier que le nouvel inscrit n’avait pas été préalablement fiché.

Sur les 200 millions d’Indiens d’ores et déjà fichés par l’Autorité d’identification unique indienne (UIDAI), la “déduplication” a ainsi permis de réduire la base de données à 130 millions. Pour inciter les Indiens à venir se recenser, les autorités leur offre en effet de l’argent, voire une collation, entraînant certains à revenir s’identifier plusieurs fois…

On aurait pu espérer que ces 70 millions de doublons eussent pu être évités d’emblée, lors de la prise des identifiants, mais non : la reconnaissance par empreintes biométriques ne permet pas tant, en effet, d’identifier “scientifiquement“, et donc à coup sûr, le porteur de telle ou telle empreinte digitale, mais d’estimer la probabilité statistique qu’il s’agisse bien de lui, ou non. Ce qui requiert tout un tas de vérifications :

L’UIDAI vient ainsi de publier une étude très détaillée (.pdf) expliquant comment elle est parvenue à identifier, de façon unique, 99,86% de la population, tout en précisant que 99,965% des doublons étaient identifiés comme tels.

Une précédente étude (.pdf), basée sur des recherches effectuées sur 46 millions d’identifiants contenus dans la base de données du FBI, avait démontré que la prise d’empreintes de deux doigts seulement débouchait sur un taux de “fausses acceptations” (False Acceptance Rate, ou FAR : personnes identifiées, à tort) de 10,3%, et de 29,2% de “faux rejets” (False Rejection Rate, ou FRR : personnes rejetées, à tort).

Avec 10 empreintes, le taux de faux négatifs tombait à 0, mais les faux positifs se maintenaient à 10,9%. D’où la nécessité de rajouter à ces 10 empreintes digitales celles des deux iris, seule combinaison à même de pouvoir identifier avec certitude, et sans risque de doublon ou de fausse identification, l’intégralité de la population.

Dans un ouvrage d’anthologie consacré à l’identification biométrique, Bernadette Dorizzi, spécialiste de la question, et notamment des taux d’erreurs, écrit que “pour les systèmes d’identification (titres identitaires, vote), le FAR (les “faux positifs”, NDLR) peut être défini entre 1/1 000 000 et 1/100 000 000. Le FRR (les “faux négatifs”), quant à lui, est de 1/1000 (0,1%)“, ce qui n’est pas sans incidence sur l’utilisation même du système :

Un système identitaire avec une base de données d’un million d’individus recevra, pour des demandes de renouvellement et de création, environ 1 milliard de requêtes par jour (sur une vingtaine d’heures ouvrées), soit environ 14 000 mises en correspondance par seconde pour un gabarit. Si l’on considère un taux d’erreurs de 1/1 000 000, cela veut dire qu’il faudra traiter manuellement 1000 cas par jour dans le pire des cas.

La question reste donc de savoir comment les industriels français parviendront, d’une part à identifier, de manière unique, de 45 à 60 millions de gens à partir de deux empreintes digitales seulement, mais également de parvenir à un taux d’erreur acceptable limitant autant que faire se peut “faux positifs” et “faux négatifs“, et donc la probabilité statique d’entraîner des erreurs judiciaires…


Photo par Chris John Beckett (CCbyncnd)

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ADN partout, justice nulle part http://owni.fr/2011/11/23/adn-partout-justice-nulle-part-fichier-police/ http://owni.fr/2011/11/23/adn-partout-justice-nulle-part-fichier-police/#comments Wed, 23 Nov 2011 10:58:40 +0000 Agnès Rousseaux (Bastamag) http://owni.fr/?p=87773

Basta ! : Quelles informations les autorités judiciaires et la police peuvent-elles obtenir par un prélèvement ADN ?

Catherine Bourgain : Pour le fichier des empreintes génétiques, on ne garde pas l’intégralité du prélèvement d’ADN, mais seulement des segments. En France, sept segments étaient sélectionnés initialement, situés un peu partout dans notre ADN. Depuis 2006, on prend 16 à 18 segments, car plus on fait de prélèvements sur une population, plus il faut un nombre important de segments pour réduire au minimum les marges d’erreur (Ces segments d’ADN ont une longueur variable selon les individus. C’est cette longueur qui permet de déterminer les différences entre individus. La probabilité d’avoir deux personnes avec les mêmes séquences est de 1 sur 3 milliards de milliards avec 16 à 18 segments pris en compte.) Ces segments ADN ont deux caractéristiques : ils sont différents d’une personne à l’autre, et ils sont censés être “non codants”, c’est-à-dire qu’ils doivent permettre d’identifier les personnes mais n’apporter aucune autre information.

C’est ce que vous remettez en cause aujourd’hui ?

On revient actuellement sur cette description de l’ADN. Les scientifiques pensaient que certains segments ne servaient à rien, c’est-à-dire étaient “non codants”, mais on se rend compte aujourd’hui qu’on ignorait simplement à quoi ils servaient, et qu’ils peuvent avoir un rôle particulier. Une équipe de chercheurs italiens qui travaillaient sur une maladie génétique rare a fait une découverte par hasard : le segment ADN lié à cette maladie est un de ceux choisis pour le Fichier français des empreintes génétiques (Fnaeg). Donc, en analysant ce segment, on peut définir si la personne est atteinte – ou peut être atteinte – par cette maladie.

Quelles autres informations les segments ADN du fichier français peuvent-ils contenir ?

Des chercheurs européens ont mis au point un logiciel qui permet de déterminer, à partir des segments ADN prélevés pour le Fnaeg, l’origine géographique de la personne. Car les segments n’ont pas exactement la même forme que l’on soit d’origine européenne, africaine ou asiatique. Avec 7 segments, on n’avait pas assez d’informations pour obtenir ce résultat. Mais avec 17 segments, c’est possible. Quand les parlementaires ont voté la création du fichier en 1998, il ne devait servir qu’à identifier les gens. Mais il est aujourd’hui illusoire de penser qu’on ne peut faire que ça avec ces prélèvements. Et on peut très bien découvrir prochainement que les segments fichés dans le Fnaeg donnent accès à de nouvelles informations.

Qui peut aujourd’hui être amené à subir un prélèvement d’ADN ?

En France, environ 1,3 million de personnes sont inscrites dans le Fnaeg. Il a été créé en 1998, par le gouvernement Jospin, à la suite de l’arrestation du tueur en série parisien Guy Georges. Il était au départ destiné aux infractions sexuelles et a ensuite été étendu, notamment en 2003. Tous les délits peuvent aujourd’hui justifier un prélèvement d’ADN, sauf les délits routiers, ceux liés aux droits des étrangers et les délits financiers. Depuis 2003, les personnes simplement “mises en cause” dans une affaire, mais encore non condamnées, peuvent être inscrites au fichier. Les données sont conservées pendant quarante ans pour les personnes condamnées, et vingt-cinq ans pour les autres.

D’où l’augmentation exponentielle du nombre de personnes fichées ?

Le gouvernement fixe des objectifs chiffrés, notamment dans les Indicateurs de performance des politiques publiques, annexés à la Loi de finances. Il est indiqué qu’en 2011 plus de 50 % des personnes simplement mises en cause (avant condamnation éventuelle) dans des affaires judiciaires doivent faire l’objet d’un prélèvement d’ADN. Ces objectifs sont en augmentation constante chaque année. Il y a une volonté claire de remplir le fichier.

Ce fichier d’empreintes génétiques permet-il de résoudre beaucoup d’enquêtes policières ?

Il y a deux utilisations différentes de l’ADN : lors d’enquêtes policières comme, par exemple, après un homicide, on peut comparer les traces d’ADN sur la victime et les prélèvements d’ADN des suspects. L’ADN sert alors ponctuellement à innocenter ou à prouver la culpabilité de quelqu’un. Ce n’est pas la même chose que de construire un fichier. L’utilisation ponctuelle a servi à légitimer l’enrichissement du fichier. Aujourd’hui, quand on a des suspects et une victime, la police entre les échantillons dans le fichier. Cela permet de justifier que c’est grâce au fichier que l’affaire a été résolue. Alors que si on avait comparé l’ADN prélevé sur la victime à celui des suspects, sans passer par le fichier, on aurait également établi la correspondance. On biaise ainsi les statistiques sur le nombre de cas résolus grâce au fichier Fnaeg.

La situation est-elle la même hors de France ?

En Grande-Bretagne, le fichier génétique comprend 5 millions de personnes. Des associations britanniques ont montré qu’il n’est pas possible d’avoir des statistiques valables sur l’utilité de ces fichiers : on ne peut pas identifier les cas qui ont été résolus grâce à eux. Une cinquantaine de pays dans le monde opèrent ce type de prélèvements. Il existe une interconnexion des fichiers via Interpol. L’argument des policiers qui font le prélèvement est : “Si tu n’as rien à cacher, tu n’as rien à craindre.” Mais ce n’est pas anodin de ficher de façon massive l’ADN d’une population. Nous sommes quand même passés par Vichy : on ne doit pas faire n’importe quoi avec des fichiers !

Les pratiques actuelles sont donc contraires à la loi, puisque le fichier ne devait servir qu’à identifier les personnes, et il est démontré qu’on peut déjà collecter plus d’informations. Comment réagit la justice face à cette illégalité ?

J’ai témoigné pour le procès du syndicaliste Xavier Mathieu, qui a été relaxé pour son refus de prélèvement ADN. Le jugement n’a pas fait explicitement mention de ces éléments scientifiques, mais les termes utilisés par le juge montrent que notre argumentaire a eu un impact. Cette preuve que l’on peut avoir accès à des informations sur les personnes via le prélèvement d’ADN le rend illégal, puisque contraire à ce qui a été voté par la loi. Mais il est nécessaire de développer un argumentaire scientifique et juridique pour que les juges puissent s’appuyer dessus lors des procès, car ils ne sont pas en mesure de le construire eux-mêmes.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

Billet initialement publié sur Bastamag sous le titre “Fichage ADN : tout ce que la police peut savoir sur vous”

Photo de Leo Reynolds [cc-by-nc-sa] via Flickr

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Une phrase copyrightée dans la bactérie de Craig Venter? http://owni.fr/2011/04/04/une-phrase-copyrightee-dans-la-bacterie-de-craig-venter/ http://owni.fr/2011/04/04/une-phrase-copyrightee-dans-la-bacterie-de-craig-venter/#comments Mon, 04 Apr 2011 09:43:39 +0000 Admin http://owni.fr/?p=34444 Jusqu’où peut aller se nicher le copyright ? Même dans l’infiniment petit, au cœur de l’ADN d’une bactérie, c’est ce que l’on constate dans ce très beau cas de CopyrightMadness, signalée sur Twitter par @grimmelm.

En mai 2010, le généticien américain Craig Venter s’est illustré en donnant naissance pour la première fois à une cellule « synthétique », dont le génome a été produit de manière artificielle par un ordinateur. Cette prouesse ne manqua pas de déclencher une tempête de questions éthiques, mais aussi… juridiques, par un biais détourné surprenant.

Cette « créature » était en effet issue de l’ADN d’une bactérie très simple – Mycoplasma mycoides -, mais pour différencier leur œuvre de synthèse de l’ADN original, Craig Venter et son équipe décidèrent d’introduire dans les séquences de code des éléments distinctifs, comme une sorte de « signature » :

Un travail soigné et signé, car pour distinguer le génome artificiel de son modèle naturel, les chercheurs se sont amusés à glisser dans le génome synthétique des séquences de lettres qui nomment les auteurs de l’étude ou donnent l’adresse de leur site web… à la manière des informaticiens qui signent leurs programmes de lignes de codes maison.

C’est à propos de ce geste prométhéen que le copyright est revenu poindre le bout de son nez, car parmi ces séquences de lettres, Craig Venter utilisa une citation, tirée de Portrait de l’artiste en jeune homme de James Joyce, fort bien choisie au demeurant :

To live, to err, to fall, to triumph, to recreate life out of life.

Or, après avoir communiqué sur cette forme de « citation génétique », Craig Venter eut la mauvaise surprise de recevoir une assignation de la part de Joyce Estate, organisme chargé de défendre les intérêts des héritiers de l’auteur, lui reprochant d’avoir fait une utilisation de l’œuvre, sans autorisation ! Les ayant droits de Joyce sont réputés pour lancer des attaques particulièrement abusives sur la base de la violation de copyright et Emmanuel Pierrat leur consacre un chapitre croustillant dans son ouvrage « Familles, je vous hais : les héritiers d’auteur » .

Craig Venter s’est défendu en invoquant le fair use - l’usage équitable -, disposition de la loi américaine qui permet dans certains cas d’utilisation d’extraits sans violation, à condition de ne pas menacer l’exploitation de l’œuvre.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là ! Dans une autre séquence du code, Craig Venter utilisa une autre citation, du physicien Richard Feynam :

What I cannot build, I cannot understand.

Or l’Université où enseigna Feynman a a fait remarquer, preuve à l’appui, que la citation a été déformée et que la phrase exacte était : « What I cannot create, I do not understand.” Reconnaissant son erreur, Venter annonça qu’il allait… modifier le code de la bactérie, pour corriger cette coquille « génographique » !

Si la parade du fair use semble pouvoir fonctionner aux Etats-Unis, on peut se demander ce qui aurait pu se passer si Venter avait été attaqué en France, car de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est l’exception de courte citation qui s’applique, et les juges ne l’admettent que lorsque la citation est incorporée à une « œuvre citante ». Peut-on considérer une bactérie comme une œuvre de l’esprit ? Et une œuvre citante, qui plus est ? Certainement pas, mais pour son code génétique, c’est une autre affaire, car celui-ci n’est pas si éloigné d’un logiciel (c’est d’ailleurs un ordinateur qui a codé le génome de la bactérie). Or les logiciels sont considérés par la loi française comme des œuvres de l’esprit protégeables par le droit d’auteur. Finalement, la question – absurde au premier abord – n’est peut-être pas si incongrue…

A moins que l’on ne considère que ce n’est pas l’œuvre en tant que telle qui a été utilisée, mais de simples informations, contenues dans les suites de lettres. Or l’information brute reste libre et ne peut être appropriée par le biais du droit d’auteur.

Et maintenant, le meilleur ! Sur son fil Twitter, @Blank_TextField signale qu’un des descendants de James Joyce – Stephen – est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Teaching an anthill to fetch : developing collaborative intelligence @ work« , placé… sous licence Creative Commons ! Une philosophie bien mal illustrée par l’agressivité judiciaire de Joyce Estate…

***

Vous pouvez retrouver ce cas dans le pearltrees CopyrightMadness, que j’alimente avec quelques autres, et il n’est pas impossible que j’écrive un billet de temps en temps pour relater les délires du Copyright.

>> Article initialement publié sur S.I. Lex en Creative Commons Attribution

>> Photos FlickR Creative Commons Attribution JohnGoode et AttributionNoncommercialShare Alike wudzy.

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[entretien] Google, “une des plus grandes puissances géopolitiques du monde” http://owni.fr/2011/03/20/google-democratie-entretien-google-une-des-plus-grandes-puissances-geopolitiques-du-monde/ http://owni.fr/2011/03/20/google-democratie-entretien-google-une-des-plus-grandes-puissances-geopolitiques-du-monde/#comments Sun, 20 Mar 2011 20:06:38 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=52403 A la lecture de la présentation hallucinée faite par JC Féraud de Google Démocratie, on a voulu aller plus loin. Et quoi de mieux qu’une rencontre avec les auteurs pour prolonger le plaisir de la lecture de ce “techno-thriller” et approfondir certaines des questions évoquées dans l’ouvrage. Rencontre avec Laurent Alexandre,  généticien, énarque et fondateur de Doctissimo et David Angevin, journaliste et écrivain, auteur notamment de Dans la peau de Nicolas.

Du fait que Sergey Brin (renommé Brain dans le livre) soit porteur du gène de la maladie de Parkinson aux fulgurants développements des technologies NBIC (nano-bio-info-cogno), entretien à bâtons rompus.

On n’a pas l’habitude d’un roman écrit à quatre mains. Comment vous êtes-vous rencontrés?

David Angevin: On s’est rencontré il y a trois ans. On est devenu copains, Laurent avait lu mes livres, je connaissais Doctissimo. En discutant, on s’est dit que c’était…

Laurent Alexandre: … rigolo de faire un truc entre transhumanité, intelligence artificielle (IA) et puis génétique. De faire la NBIC, la totale, en un seul roman. Et de faire le lien entre la passion des gens de Google pour l’intelligence artificielle et le fait que Serguey Brin va faire un Parkinson; il a le gène LRRK2 muté, comme annoncé sur son blog en 2008.

David Angevin: Ca a d’ailleurs fait la couverture de Wired

Laurent Alexandre: Il s’est fait fait tester par la filiale de Google qui fait de la génétique qui est 23andMe, et qui est dirigée par sa femme.

Il y a un vrai pont entre la génomique et Google, ce n’est pas un hasard. Il y a le pont par la maladie et par la diversification sur le plan économique avec la création de 23andMe. 23, parce qu’on a 23 paires de  chromosomes. Et moi. Confier son ADN à Google laisse présager de choses assez sympathiques.

D’où vient l’acronyme NBIC?

Laurent Alexandre: Nano-Bio-Info-Cogno, ce n’est pas de nous. C’est vraiment un terme utilisé dans le cercle des gens qui bossent sur ces questions. En plus, c’est un acronyme facile à retenir. Les gens ont un peu de mal sur la cogno [les sciences cognitives] parce qu’en fait la cognitique, c’est à dire les sciences du cerveau et de l’IA, c’est un truc que les gens connaissent en fait très peu: au mieux les gens connaissent l’informatique bien sûr, et les nanos, qu’on commence à connaître. On a fait ce pont là. Et on s’est intéressés à l’émergence des groupes transhumanistes aux Etats-Unis: Kurzweil, ses opposants, les réactionnaires comme Kass.

David Angevin: On s’est échangé des milliers d’e-mails, d’articles… Tous les matins j’ouvrais ma boîte mail et Laurent m’avait envoyé cinquante liens. Je n’y connaissais pas grand chose à l’origine et en tant que romancier ça a fini par faire tilt, je me suis dit que c’était quand même plus intéressant que de raconter des histoires de bobos parisiens et journalistes, comme j’ai pu le faire avant. C’est un champ énorme qui s’est ouvert.

D’autant que le spectre est assez large: de la géopolitique aux évolutions technologiques en passant par l’anticipation…

David Angevin: Oui. On s’est dit que tant qu’à faire, autant dresser un paysage complet.

Laurent Alexandre: Il se passe quelque chose avec Google, et c’est forcément un peu vaste. On n’est pas une des plus grandes puissances géopolitiques du monde, ce qu’est Google de notre point de vue aujourd’hui, sans que ça remue beaucoup d’éléments.

Vous situez l’action du roman en 2018, pourquoi?

Laurent Alexandre: Parce que ça sensibilise plus les gens que 2174. Et que ça situe l’action dans un contexte géopolitique, économique, social, que les gens vivent.

David Angevin: Notre idée est de faire une série de livres sur le sujet. C’est intéressant parce que ce n’est ni de la science-fiction (SF), ni de l’anticipation: 2018 c’est demain matin. Alors évidemment, on exagère un peu: ce qu’on raconte adviendra peut-être en 2025. La date n’est pas importante finalement. La SF, ça ne nous intéresse pas. JC Feraud parlait de technoythriller: un divertissement qui tente de poser des questions.

Laurent Alexandre: La bataille pour le contrôle de Google me paraît envisageable à cette échéance. On peut imaginer que des acteurs veuillent prendre le contrôle de Google et que les Etats se posent des questions. Si Google continue à vouloir être un cerveau planétaire et à vendre une forme d’IA, la propriété de Google sera un problème d’envergure internationale.

“On est des déclinistes, on ne croit pas que l’Europe va se réveiller demain matin”

A cet égard, votre vision de la géopolotique me paraît un peu pessimiste. Ce que vous décrivez autour de la crispation de l’Europe sur les questions bioéthiques et le tableau sombre que vous dressez de l’état économique de la zone euro est quasiment apocalyptique. Google est pourtant censé ne pas faire de mal et apporter des solutions. Qu’est-ce qui vous arrive?

Laurent Alexandre: Toutes ces histoires se construisent loin de chez nous. On peut pas dire que la Silicon Valley et la génomique se construisent sur les bords de la Seine ou sur les bords du Tage. On est quand même assez largement en dehors de cette histoire qui se construit entre Shenzhen, San Diego et la Silicon Valley, qui est l’épicentre des technologies NBIC.

Et pour vous, on va le rester?

Laurent Alexandre: Le “Google franco-allemand”, Quaero, ne me paraît pas très sérieux ni très crédible. On est des déclinistes, on ne croit pas que l’Europe va se réveiller demain matin.

David Angevin: Laurent me disait que l’Iran investit plus que nous dans les nanotechnologies.

Laurent Alexandre: Quand on voit la liste des pays qui auront plus de 150 millions d’habitants en 2050, c’est à dire demain matin, on a le Congo et l’Ethiopie (170 millions)… Ce ne sont pas de grandes puissances industrielles et technologiques, nous sommes d’accord. Mais les équilibres géostratégiques bougent beaucoup, et rapidement. L’Iran, le Viet-Nam et l’Egypte ont dépassé les 125 millions d’habitants. Quand j’étais en 6ème, l’Egypte était au programme, il y avait 27 millions d’habitants. Le basculement est très rapide.

David Angevin: On parlait de pessimisme sur l’aspect économique. C’est une possibilité. C’est un roman, donc on peut s’amuser mais c’est tout de même fondé sur un terreau qui tend à nous faire penser qu’on peut aller par là.

Vous vous faites effectivement plaisir et ça se ressent à la lecture, notamment dans l’inspiration qui semble provenir des Etats-Unis. Comment vous êtes-vous répartis la tâche en terme de rédaction?

David Angevin: On a travaillé, on a mis deux ans à écrire ce livre. Je ne trouve pas particulièrement de plaisir à lire des polars français ou, encore pire, les polars nordiques que je trouve insupportables mais qui se vendent commes des petits pains. On est plutôt fans de littérature américaine effectivement. Ce qui m’a donné le rythme en revanche, n’a rien à voir: je me suis retapé les six saisons des Sopranos !

Concernant les évolutions de la génétique et de la thérapie génique que vous décrivez, 2018 vous paraît être un horizon crédible?

Laurent Alexandre: C’est en train d’exploser. Le coût du séquençage ADN baisse de 50% tous les cinq mois.


David Angevin: Le premier a eu lieu en 2003.

Laurent Alexandre: En 2003, une personne a pu séquencer son ADN, Craig Venter. 2007 c’était Watson, inventeur de l’ADN. En 2009, on arrive à 100, et en 2010, 4500. On parle de 2 millions de personnes en 2013. Le coût d’un séquençage baisse drastiquement en parallèle. 3 milliards de dollars pour Craig Venter. En 2013, on sera à 1000 dollars et à 100 dollars en 2018. Après, il y a la thérapie génique. Cela obéit à une loi de Moore au cube. La loi de Moore, ça baisse de 50% tous les 18 mois, là, on en est à une baisse de 50% tous les cinq mois. Il y a un véritable génotsunami en cours. Donc, pour répondre à votre question, la partie génétique paraît probable. La partie intelligence artificielle interviendra sans doute un peu plus tard, mais il est claire que la thérapigénique va exploser assez rapidement.

“Nous ne sommes qu’au milliardième de ce qu’on aura dans trente ans”

Donc l’enjeu se situe au point de rencontre entre thérapie génique et noosphère?

Laurent Alexandre: Il avait décrit Google en fait,en évoquant la mise en commun de tous les cerveaux de la planète, mais sous une forme religieuse. Il ne pensait pas évidemment aux microprocesseurs. Mais Google est quand même une forme de noosphère.

David Angevin: D’ailleurs, le test de Türing en 2018, ce n’est pas complètement impossible…

Laurent Alexandre: La preuve par Waston. Moi je pensais qu’il allait perdre. Pour ce jeu télévisé [voir vidéo en anglais] qui est quelque chose de compliqué se rapprochant d’un test de Türing, j’étais persuadé qu’on était 5 ans trop tôt pour qu’un ordinateur l’emporte.

David Angevin: En plus, il n’a pas gagné contre des nazes. J’ai pas répondu à une question.

Laurent Alexandre: Il a fait une ou deux erreurs logiques, mais c’était impressionnant. On peut penser que le test de Türing sera gagné avant 2020, mais ce n’est pas le test de l’intelligence.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Au delà de l’intelligence artificielle, le mouvement transhumain (en particulier Kurzweil) met en avant la volonté d’aller vers une forme d’immortalité.

Laurent Alexandre: L’immortalité, c’est plutôt le post-humain. Parce que le transhumain ne télécharge pas son cerveau. Le vrai immortel, c’est plutôt le post-humain. Ce genre d’idéologie va attirer pas mal de gens étranges: des gourous NBIC autant que des kamikazes bioluddites. On peut imaginer toutes les dérives dans cet univers, comme dans toutes mutations technologiques.

Vous partez d’ailleurs du principe que les religions vont rentrer en résistance par rapport à cette mutation.

David Angevin: Ca va aller tellement vite qu’ils vont flipper. Ils sont déjà relativement crispés sur ces questions. On peut imaginer que des extrêmistes religieux se mobiliseront contre ces évolutions. D’ailleurs, dans notre livre, Larry Page se fait descendre par un kamikaze bioluddite.

Laurent Alexandre: Si le pouvoir de l’homme croît exponentiellement, si l’espérance de vie augmente et si on manipule à l’envi notre ADN et notre cerveau, on pose bien sûr question aux religions. Et surtout si on créé de la vie tabula rasa. On est dans une phase de création de la vie en éprouvette, déjà. On a créé une cellule artificielle en juillet dernier, ce qui n’est pas anodin vis à vis des religions. Dans le puzzle NBIC, c’est une pièce importante, comme d’autres se mettent en place depuis quelques années. Et elles s’assemblent: le séquencage ADN, la thérapie génique à notre porte, la vie artificielle qui se créée, des progrès extraordinaires dans la compréhension du cerveau et en IA.

Ce qui est fascinant, c’est que quand on prend la loi de Moore, l’évolution est proprement ahurissante. En réalité, nous ne sommes qu’au milliardième de ce qu’on aura dans trente ans.

“On n’a jamais renoncé à un progrès scientifique”

Vous parlez des bioluddites, ces gens refusant le progrès et luttant contre ses applications. On vous sent un peu amers par rapport aux écologistes et aux décroissants.

David Angevin: On n’a jamais, dans toutes l’histoire de l’humanité, renoncé à une découverte, à un progrès scientifique. J’ai plutôt de la tendresse pour ces gens. J’ai un profond respect pour les gens qui se retirent de la société. Mais il y a aussi un côté un peu pathétique, parce que ce n’est pas ce vers quoi le monde va. Je suis assez frappé qu’on arrive avec ce bouquin et qu’il n’y ait pas déjà eu un million de livres sur le sujet! C’est grave. Le manque de curiosité des journalistes ou des responsables politiques sur ces sujets, c’est dément!

Vous pensez que ces questions devraient être beaucoup plus présentes dans le débat public?

David Angevin: Bien sûr.

Laurent Alexandre: Les politiques ne veulent pas en entendre parler. Je suis énarque, j’en connais des politiques. La technologie leur fait peur. En réalité, la biopolitique et les NBIC ne rentrent pas dans le clivage droite/gauche.

Madelin est ultra proNBIC, il y a des gens pro NBIC à gauche, les écologistes sont antiNBIC, comme les cathos versaillais de droite. La biopolitique, ce n’est pas gauche/droite, et donc c’est un peu compliqué.
David Angevin: Il y a aussi des associations contre-nature dans le livre, comme entre extrêmistes islamistes et cathos de droite.

La théorie du livre c’est que la clivage droite/gauche va disparaître au profit du clivage bioconservateurs/transhumanistes.

“Le cyborg est une figure qui nécessite quelques décennies pour s’épanouir”

Votre livre a-t-il pour objet de vulgariser ces thématiques?

David Angevin: Au départ, on voulait faire ça sous forme d’essai, mais on s’est vite rendu compte que c’était trop froid: c’était plus malin d’en faire une “politique-fiction”: un bon moment à passer qui pose les bonnes questions.

Laurent Alexandre: Et puis Sergey Brin est un personnage de roman: si puissant, et si jeune. Et ils ont des comportements de gamins avec leur ballons et leurs bureaux à la con. Ce sont de grands enfants. En plus, Brin matérialise deux des facettes NBIC: la génétique et l’IA.

C’est le rapprochement entre ces deux champs qui apparaît central dans le livre. Pouvez-vous en donner des exemples?

Laurent Alexandre: L’analyse d’un génome nécessite beaucoup d’algorithmes. L’affinement des technologies d’analyse du génome passera par des algoritmes qui vont de plus en plus tendre vers l’IA. Quand on traite des milliards et des milliards de données, on est déjà dans de l’IA, aves des moteurs de recherche, des moteurs d’inférence… C’est une tendance. Ce qu’on fait en biologie va également être de plus en plus irrigué par de l’IA. Mais il n’y aura pas de seuil. On ne va pas du jour au lendemain découvrir l’IA: ce n’est pas un bouton on/off. C’est comme un enfant qui grandit, c’est un processus vivant qui se créé. L’an 0 de l’IA, c’est la victoire contre Kasparov aux échecs en 1997, ce que tout le monde considérait comme impossible. Pourtant, il y a encore des champs dans lesquels l’ordinateur ne peut battre l’homme: le jeu de Go par exemple.

En revanche, vous n’êtes pas très “androïdes”. Vous parlez de post-humains mais il n’apparaît pas tel quel dans votre livre.

David Angevin: C’est 2018, encore une fois. Il va y avoir une suite.

Laurent Alexandre: Le cyborg est une figure qui nécessite quelques décennies pour s’épanouir…

Et, pour revenir à Google, vous pensez que ses dirigeants sont dans cette logique…

David Angevin: Oui, et ils ne s’en cachent pas!

Laurent Alexandre: Sur l’IA, ils ont fait plusieurs déclarations dans lesquelles ils présentaient leur objectif: que Google soit un moteur d’IA.

David Angevin: On n’a pas inventé grand chose.

Dans votre livre, deux milliards d’individus se connectent à Google chaque jour. Google amasse déjà énormément de données, et on peut décemment se poser la question de savoir ce qu’ils vont en faire.

David Angevin: Dans le bouquin, Google se contente de s’en servir pour tenir tout le monde par les couilles, ils s’en servent comme d’une arme.

Laurent Alexandre: Notre conviction, c’est que si on avait de vrais moteurs d’IA, on s’en servirait à des fins médicales. Parce que finalement la seule obsession partagée par tout le monde sur Terre est de vivre plus longtemps. Ce serait l’utilisation première.

Pourtant, dans Google Démocratie ça tire dans tous les sens. Il y a des rapports de force, des flingues, des mafieux, des agents plus ou moins secrets…

David Angevin: On est en 2018, encore une fois. Et c’est tôt, ils n’ont pas encore fait le boulot, ni gagné la partie. Il y a forcément des barbouzes qui gravitent autour. Et puis, c’était pour le côté fun.

Laurent Alexandre: Tout cela reste très humain.


Illustrations CC FlickR: MJ/TR, Tangi BertinJoamm Tall

Images de Une par Marion Boucharlat pour OWNI

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Et si on fichait l’ADN de tous les policiers ? http://owni.fr/2011/02/16/et-si-on-fichait-ladn-de-tous-les-policiers/ http://owni.fr/2011/02/16/et-si-on-fichait-ladn-de-tous-les-policiers/#comments Wed, 16 Feb 2011 07:26:24 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=46805 La semaine passée, L’Express révélait que “le ministère de l’Intérieur, en coordination avec les syndicats de police, a lancé une réflexion sur la création d’un fichier génétique spécifique dans lequel seraient intégrés les profils ADN de tous les enquêteurs” :

Cette base de données, appelée “base d’exclusion”, serait distincte de l’actuel Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), qui recense, lui, les personnes mises en cause et les condamnés.

L’objectif est d’éviter les erreurs sur les scènes de crimes, où les enquêteurs laissent parfois leurs propres traces biologiques. Le seuil de détection étant aujourd’hui très bas, plusieurs cas de “pollution” ont ainsi été observés ces dernières années, y compris dans des affaires sensibles.

Le risque de “pollution” est bien réel, comme le montre l’enquête que j’avais consacrée aux erreurs imputables aux “experts” de la preuve par l’ADN, ou encore, et de façon plus prosaïque, ce commentaire posté en réponse à l’article de l’Express :

Ca me parait évident que c’est nécessaire, d’abord les rares cas de pollution, c’est assez faux; Quand j’ai bossé dans les banques très rapidement j’ai dû bloquer tous les policiers qui venaient lors de braquage qui commencaient a mettre les mains sur les portes des sas, ne prenaient pas de gants a l’intérieur etc etc.. certes ce ne sont pas des meurtres mais quand on voit cette négligence affichée, on tombe des nues.

Quand l’ADN rend parano

On peut raisonnablement penser que les policiers sont aujourd’hui, de plus en plus formés, pour éviter de polluer ainsi une scène de crime ou de délit. Mais la réflexion initiée par le ministère de l’Intérieur démontre que le risque est loin d’être nul.

Un autre internaute, plus suspicieux, craint de son côté que “les policiers dont l’ADN sera retrouvé sur le lieu d’un crime seront automatiquement considérés comme innocents, l’ADN relevé étant consécutif à une “erreur”. Très pratique. Dans un état policier, evidemment…


Le problème est ailleurs : en 2001, près de la moitié des policiers britanniques à qui leurs supérieurs avaient de même réclamé leur ADN avaient tout simplement refusé d’être ainsi fichés, pour les même motifs. Leurs craintes étaient doubles:

. que des malfrats mal intentionnés ne prélèvent intentionnellement des mégots de clope, mouchoirs ou verres de policiers pour les laisser sciemment sur une scène de crime afin de les incriminer, et au motif que rien n’empêchera la police d’utiliser la “base d’exclusion” afin d’y rechercher des suspects (on a en effet déjà vu des malfrats laisser ainsi sciemment des traces ADN de leurs meilleurs ennemis sur les lieux de leurs propres délits);

. que la base de données génétiques ne soit, à terme, utilisée par des assureurs et autres mutuelles, ou encore pour effectuer des tests de paternité. Une crainte a priori injustifiée si l’on s’en tient aux objectifs affichés du fichier. Une crainte pas si irrationnelle que cela lorsque l’on se penche sur l’évolution des fichiers génétiques.

On a ainsi longtemps pensé que les segments qualifiés de “non-codants” enregistrés dans le FNAEG interdisaient tout tri sélectif en fonction de caractéristiques génétiques (couleur de peau, maladie, etc.). Or, il semblerait qu’”il n’y a pas d’ADN “neutre, et qu’à terme on puisse discriminer des empreintes génétiques en fonction de telles ou telles caractéristiques…

Plus important : depuis ses débuts, le fichier ADN n’a cessé de grandir, grossir, s’élargir et de dériver de ses finalités premières. Petit retour en arrière.

Les paranos ne sont pas ceux qu’on croit

Dans l’émission que TF1 lui a gracieusement offert, Nicolas Sarkozy a quelque peu travesti la réalité en déclarant qu’il était celui qui avait créé le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) :

Lorsque j’ai créé le fichier d’empreintes génétiques pour les délinquants sexuels, souvenez-vous en 2003 le scandale que cela a fait. Aujourd’hui, on retrouve un coupable de viols sur deux !

Ce n’est pas grâce à leur ADN que l’on retrouve un violeur sur deux, et l’efficacité du fichier est loin d’être aussi probante. Fin 2009, le ministère de l’intérieur avait ainsi répertorié 17 740 rapprochements d’affaires entre des traces et des personnes précédemment “mises en cause“, et 5 840 avec des personnes condamnées, soit un total de 23 580 affaires (plus 4 231 rapprochements “traces/traces mais qui, faute d’avoir identifié le propriétaire de ces traces, ne peuvent à ce jour aboutir).

Le FNAEG répertoriant l’ADN de 1 214 511 personnes (à raison de 280 399 condamnés, et 934 112 “mis en cause“), ce sont donc 1.94% des personnes fichées (2,08% des condamnés, et 1,89% des “mis en cause“) qui se sont retrouvés suspectées d’un crime ou d’un délit du fait d’avoir été génétiquement fichées.

ANNÉE ACTIVITÉ ET ENREGISTREMENTS CUMULÉS DEPUIS LA CRÉATION DU FNAEG
Profil génétique
des personnes
condamnées
Traces
non
identifiées
Profil génétique
des personnes
mises en cause
Rapprochement d’affaires
Traces/
traces
Traces/
mises
en cause
Traces/
condamnés
31 décembre 2009 280 399 62 258 934 112 4 231 17 740 5 840

Dans son rapport annuel intitulé Criminalité et délinquance enregistrées en 2010, l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), l’usine à statistiques du ministère de l’intérieur, dénombre 10 108 viols (dont 5 388 sur mineurs) pour la seule année 2010. On est donc bien loin de l’identification d’un violeur sur deux grâce à l’ADN… Mais on aimerait bien, effectivement, en savoir plus sur la teneur de ces “rapprochements“, le type d’affaires que cela concerne, les conséquences judiciaires que cela a pu avoir, l’évolution du nombre et de la qualité de ces “rapprochements“…

Les paranos ne sont pas ceux qu’on croient

Plus gênant encore : ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a créé le FNAEG, quoi qu’il en dise. Comme le rappelle Wikipedia, le fichier a été créé, par le gouvernement socialiste, au travers de la loi Guigou du 18 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, afin de ficher les personnes impliquées dans les infractions à caractères sexuelles.

En novembre 2001, ce même gouvernement socialiste élargissait son champ d’application dans sa loi pour la sécurité quotidienne (LSQ) aux crimes d’atteintes volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie et de violences volontaires, aux crimes de vols, d’extorsions et de destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes, et aux crimes constituant des actes de terrorisme.

Nicolas Sarkozy, lui, s’est contenté -si l’on peut dire- de l’élargir, non seulement aux personnes reconnues coupables de la quasi-totalité des simples délits, mais également aux personnes “mises en cause” dans ces types de délits.

Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy, ce n’est pas d’avoir créé le fichier génétique des délinquants sexuels, mais d’avoir élargi ce dernier aux simples suspects de la quasi-totalité des crimes et (surtout) des délits. D’où l’explosion du nombre de personnes fichées : 2100 en 2001, 1,2 million de personnes fin 2009, soit 1,86% de la population française. D’où le fait que près de 75% des personnes qui y sont fichées sont donc toujours “présumées innocentes“. D’où, enfin, les nombreux problèmes rencontrés depuis avec ces faucheurs d’OGM, manifestants et enfants que des gendarmes et policiers voulaient ficher.

Rajoutez-y le fait que la consultation du FNAEG a été rendue possible aux policiers d’un certain nombre de pays étrangers, alors même qu’aucun accord n’a été trouvé pour ce qui est de la protection des données personnelles ainsi échangées, et l’on comprend déjà un peu mieux ceux qui critiquent le FNAEG, à l’instar d’Olivier Joulin, du Syndicat de la magistrature, que j’avais interviewé en 2007 :

Selon une méthode éprouvée, dans un premier temps on justifie une atteinte générale aux libertés publiques en insistant sur le caractère exceptionnel [infractions sexuelles graves] et sur l’importance des modes de contrôles, en particulier concernant l’habilitation des personnels et les protocoles à mettre en œuvre.

Ils nous avaient été vantés pour rassurer les personnes qui criaient aux risques d’atteintes aux libertés. Puis on élargit le champ d’application du Fnaeg, qui concerne aujourd’hui presque toutes les infractions, et on réduit les possibilités de contrôle. L’exception devient la norme.

Olivier Joulin dénonçait également la “perméabilité” des fichiers, et donc le fait que le risque ne relève plus tant des autorités publiques (“sauf dérapage de type écoutes de l’Elysée“) que de la possibilité de les voir détournés par des gens du secteur privé, ou des autorités d’autres pays hors du contrôle des juridictions françaises.

Interrogé par Le Monde sur cette montée en puissance du FNAEG, Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, se déclarait lui aussi, l’an passé, pour le moins circonspect :

Il faut reconnaître qu’il permet de résoudre des affaires, mais on est maintenant dans une logique d’alimentation du fichier. Personne ne prône le fichage généralisé, mais, de fait, on est en train de l’effectuer.

Alors, pourquoi ne pas ficher l’ADN de tous les policiers, et puis de tous les gendarmes aussi, et les pompiers, infirmiers, sans oublier les magistrats (qui ont accès aux scellés), les surveillants pénitentiaires (qui sont au contact de criminels), les personnels hospitaliers (qui s’occupent des victimes sur qui l’on prélève des traces génétiques)…

Aux USA, certains commencent à s’intéresser à l’ADN des familles des criminels et délinquants en fuite (ou qui n’ont pas encore été fichés), afin de voir si, d’aventure, on ne pourrait pas leur imputer certains crimes et délits impunis. En France, deux hommes politiques au moins, Christian Estrosi et Jean-Christophe Lagarde, se sont déjà prononcés pour un fichage génétique généralisé de l’ensemble de la population, “dès la naissance“, avait précisé Estrosi. Un objectif repris, en 2009, par les Emirats Arabes Unis :

La première étape est de mettre en place l’infrastructure, et d’engager les techniciens de laboratoire. Ce qui devait nous prendre environ un an.

Le but est de ficher, à terme, la totalité de la population.

Notre objectif est d’échantillonner un million de gens par an, ce qui devrait nous prendre 10 ans si l’on prend en compte l’évolution de la population.

Les Emirats Arabes Unis sont le premier pays à avoir décidé de ficher les empreintes génétiques de l’intégralité de sa population, expatriés, immigrés et “visiteurs” compris, indéfiniment -ou au moins jusqu’à leur mort.

Les tout premiers à être fichés seront les mineurs, au motif que “la majeure partie des criminels commencent lorsqu’ils sont jeunes. Si nous les identifions à cet âge, il sera plus simple de les réhabiliter avant qu’ils ne commettent de crimes encore plus graves“.

Plus c’est gros, moins ça passe

Élie Escondida et Dante Timélos, auteurs d’un “guide de self-défense juridique“, Face à la police / Face à la justice, rappellent que la preuve par l’ADN n’est jamais qu’une méthode statistique, et que les “experts” n’analysent jamais l’intégralité d’une “empreinte” ADN, mais qu’ils en dressent un “profil” :

Deux ADN différents peuvent donner deux profils ADN semblables justement parce que le profil n’utilise qu’une fraction de l’ADN et non l’ADN dans sa totalité.

Pour pallier ces difficultés, les experts vont se livrer à un calcul de probabilités. L’idée est simple. Même si on ne peut certifier que deux profils ADN identiques représentent bien un ADN unique, il est toujours possible d’essayer d’estimer la probabilité d’une coïncidence fortuite.

Autrement dit, le résultat d’une expertise ADN n’est pas, contrairement à ce qu’on croit, une affirmation du type « l’ADN retrouvé dans cette trace appartient à telle personne » mais bien une affirmation du type « il y a x probabilités pour que l’ADN retrouvé dans cette trace appartienne à telle personne ».

Si on peut réfuter, avec une certitude absolue, l’identité entre deux profils, on ne peut en revanche jamais confirmer celle-ci avec une certitude de 100 %.

Pour Raphaël Coquoz, chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne et spécialiste de l’ADN, on “accorde trop de valeur” à l’ADN : “l’analyse ADN donne une probabilité que telle ou telle personne ait été présente à un endroit. Le concept de probabilité est parfois difficile à entendre quand on aimerait voir les choses en blanc ou en noir.

Or, comme l’expliquent Escondida et Timélos, “plus un fichier augmente en taille, plus il est censé être efficace, mais plus sa fiabilité théorique est en chute libre“… Dit autrement : plus on fichera de gens, plus la probabilité d’en faire quelque chose de probant diminuera.

L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Illustration CC FlickR : micahb37 et extraite d’une brochure appelant au refus du fichage ADN.

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http://owni.fr/2011/02/16/et-si-on-fichait-ladn-de-tous-les-policiers/feed/ 13
Même pas mort dans ma deuxième vie numérique ! http://owni.fr/2011/02/14/meme-pas-mort-dans-ma-deuxieme-vie-numerique/ http://owni.fr/2011/02/14/meme-pas-mort-dans-ma-deuxieme-vie-numerique/#comments Mon, 14 Feb 2011 16:36:19 +0000 Capucine Cousin et Jean-Christophe Féraud http://owni.fr/?p=46636 Avez-vous déjà songé à ce que deviendront vos mails, vos tweets, votre page Facebook ou votre blog une fois passé à trépas ? Le fantôme de votre double numérique hantera-t-il pour toujours le cyberespace à coup de posts automatiques  et de “c’est votre anniversaire” sur le “Social Network”? Votre compte Twitter continuera-t-il à vivre alimenté par des posts en 140 signes robotisés ou sera-t-il usurpé par un proche ou un inconnu entretenant l’illusion pour vos 4000 followers ?

Sans y penser, vous semez chaque jour, à chaque heure, parfois à chaque minute les traces de votre existence et de vos pensées  sur les dizaines de milliers de serveurs qui font battre le coeur du Réseau. Et vous vous assurez ainsi une postérité numérique, une forme d’immortalité sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Demain, à partir de cet ADN digital, vos descendants pourront peut-être recréer votre personnalité sous la forme d’un avatar “3D” doté d’une intelligence artificielle avec qui ils pourront conserver : “Dis c’était comment cher Aïeul au début du XXIème siécle ? Et qui était cette femme que tu as tant aimé ?”… Encore plus fou, n’avez-vous jamais rêvé (ou cauchemardé) de renaître à la vie par la grâce d’une manipulation de votre ADN biologique, cette fois, cloné par quelque savant fou qui donnerait naissance à un Golem de chair, un deuxième vous-même ? Et si d’aventure il était possible un jour de “sauvegarder” votre conscience, ce pur esprit que les croyants appellent l’âme, pour la télécharger sur un disque dur et ressusciter des morts tel Lazare sous la forme d’un homme-machine que l’on appelle Cyborg ?

#JESUISMORT

Le sujet est troublant, dérangeant. Pourtant, il faudra bien se pencher dessus, alors qu’un business commence à émerger autour de la gestion de votre vie numérique, de l’archivage de votre vie numérique, avec notamment le projet Total Recallil en était question au cours de la soirée #jesuismort , organisée mardi à La Cantine par nos amis de L’Atelier des Médias de RFI, Silicon Maniacs et Owni (retrouverez la vidéo à la fin de ce billet). Une soirée-débat particulière, avec des invités étranges (entre autres un président de l’Association Française Transhumaniste, un membre de la Singularity University…) où l’on a beaucoup causé immortalité et transhumanisme, cette mouvance culturelle qui prône l’usage des sciences et des techniques pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. ourdi par un Docteur de Mabuse de Microsoft. Votre vie numérisée pour l’éternité, l’immortalité digitale, la transcendance de l’humanité et son “augmentation” par la machine…Justement,

Un truc de doux de dingues ? Pas si sûr quand Eric Schmidt de Google s’y met et déclare : “Ce que nous essayons de faire c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu’ils n’arrivent pas à faire bien”…

Au lendemain de la soirée #Jesuismort, nous avons donc décidé d’écrire ce billet à quatre mains avec ma collègue blogueuse et journaliste Capucine Cousin et de l’accueillir sur nos blogs respectifs (vive les billets co-brandés ;). Alors suivez le guide, continuons donc notre voyage dans les limbes de la post-humanité numérique…

Cimetière Virtuel

Nos traces numériques esquissent déjà des prémices à notre postérité digitale. Vous êtes peut-être déjà tombés, au gré de vos pérégrinations sur Facebook, sur des pages de personnes décédées. Capucine a déjà  atterri par hasard sur la page Facebook du frère d’un ami, disparu en mer. Son wall était resté ouvert, en accès libre, ses amis et sa famille continuaient à y déposer des messages d’hommage post-mortem. J’ai connu la même expérience suite à la mort soudaine d’un vieil ami journaliste…et lorsque la petite fille d’un autre ami a été emportée si jeune par la maladie. Sa famille, ses proches, ses amis d’école lui ont continué à lui parler pendant des mois comme à un ange présent derrière l’écran, lui érigeant un mausolée presque gai de photos, petits mots,  fleurs et dessins….Un besoin troublant, émouvant, déchirant d’entretenir la mémoire vieux comme l’humanité : Facebook est-il en train de devenir le premier cimetière virtuel global ?

La question est posée. Justement, mardi soir à #Jesuismort, Tristan-Mendès France, un temps assistant parlementaire, maintenant blogueur, documentariste et chargé de cours au Celsa, nous a longuement parlé de cela – ces rites funéraires qui commencent à se développer dans des mondes virtuels. La première fois, que cela s’est produit, dit-on, c’était dans le jeu en réseau “Word of Warcraft” en 2005 : suite au décès d’une gameuse, une véritable veillée a été organisé dans le monde de Warcraft pour lui rendre hommage…

Pour Tristan, c’est sûr, Facebook devient aussi un lieu de sépulture et de culte post-mortem qui compterait 5 millions de morts sur 600 millions de vivants: des profils de personnes décédées, laissés ouverts, volontairement ou pas, par les familles… Et de fait, c’est un peu affolant, mais rien n’a été prévu par les Facebook, Twitter, LinkedIn et les autres réseaux sociaux pour supprimer le profil d’une personne décédée ! Idem pour les plateformes de blogs, les moteurs de recherche…

Au niveau juridique, c’est la jungle. Au point que quelques sociétés imaginent déjà sûrement des solutions de marchandisation post-mortem. Imaginez : bientôt, à défaut d’être immortel physiquement, vous pourrez sans doute vous acheter une immortalité digitale, garder une présence en ligne, sous la forme d’une concession virtuelle éternelle ou réduite à 20, 30 ou 50 ans…

Parallèlement, des futurologues, gourous du transhumanisme, tels Raymond Kuzweil, Aubrey de Grey, et autres doux dingues le jurent: la mort est un phénomène dont on peut guérir. Certains prédisent l’immortalité dans 15 ou 20 ans grâce au séquençage du génome humain, entre autres évolutions technologiques. Lisez plutôt le Manifeste des Extropiens, une nouvelle religion conceptualisée par le bon docteur Max More http://www.maxmore.com/:

Nous mettons en question le caractère inévitable du vieillissement de la mort, nous cherchons à améliorer progressivement nos capacités intellectuelles et physiques, et à nous développer émotionnellement. Nous voyons l’humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous défendons l’usage de la science pour accélérer notre passage d’une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine. Comme l’a dit le physicien Freeman Dyson, ‘l’humanité me semble un magnifique commencement, mais pas le dernier mot

(Introduction à “Principes extropiens” 3.0).

Un délire de l’humain parfait flirtant dangereusement avec l’eugénisme et l’homme nouveau national socialiste qui a abondamment inspiré la Science-Fiction d’avant et d’après guerre, du “Big Brother” d’Orwell au “Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Et que l’on a vu recyclé dans plusieurs films, notamment « Bienvenue à Gattaca » où des  jeunes gens au patrimoine génétique parfaits étaient programmés pour partir à la conquête de l’espace…Pour mémoire, voyez plutôt ce petit extrait :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Etranges Concepts

C’est là, que défilent d’étranges concepts survolés lors de la soirée #Jesuismort. On a brièvement parlé de cryogénisation”uploading de l’esprit” ou comment transférer  le contenu d’un cerveau sur disque dur, en l’ayant préalablement numérisé. Un ordinateur pourrait alors reconstituer l’esprit par la simulation de son fonctionnement, sans que l’on ne puisse distinguer un cerveau biologique «réel » d’un cerveau simulé…Totalement naïf et délirant vous diront tous les neurologues vu la Terra Incognita que reste notre cortex pour la science. Le concept apparaît pourtant dans “Matrix” et ses suites, mais aussi dans “La Possibilité d’une Ile” de Michel Houellebecq, où le “mind uploading” est évoqué comme un composant de la technique permettant de vivre, jeune, plusieurs vies successives avec un corps et un esprit identiques. De vaincre enfin l’obsolescence de l’humanité

Les tenants du transhumanisme y croient dur comme fer: en plein débat sur la réforme de la loi sur la bioéthique (le texte est en débat au Parlement en ce moment), ils ne jurent que par les propositions « technoprogressistes ». Comme par exemple, « autoriser le libre choix de la gestion pour autrui, notamment dans le cas des mères porteuses », expliquait mardi soir Marc Roux, étrange président de l’Association Française Transhumaniste. Pour lui, c’est simple, « le législateur est très en retard sur ces sujets ».

Ces délires scientistes autour du transhumanisme se concrétisent déjà. Vous voulez  savoir si d’aventure vous n’avez pas quelques prédispositions pour avoir un cancer ou la maladie d’Alzheimer ? Si votre enfant potentiel à venir aura un QI de 150 et les yeux bleus ? Une kyrielle de start-ups pullulent sur le Net, et vous proposent déjà d’analyser votre ADN, telle 23AndMe (oh tiens donc, fondée par l’épouse de Sergey Brin, un des fondateurs de Google…on y reviendra), d’explorer votre patrimoine génétique, ou plus prosaïquement de faire un test de paternité. Quitte à conserver dans leurs bases de données ces précieuses données très intimes vous concernant… au risque de les revendre dans quelques années.

J’ai vu tant de chose que vous humains ne pourrez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannahauser.Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie…

déclamait Roy, le répliquant de “Blade Runner dans la scène finale du film de Ridley Scott.

Comme nous pauvres mortels, il avait peur de tirer sa révérence sans laisser trace de son existence terrestre. Il se trompait. Demain, rien ne se perdra totalement dans l’oubli. La mémoire du réseau est éternelle. Demain, une bonne partie de ce que nous avons été perdurera pour des siècles et des siécles sous une forme immatérielle ou une autre

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http://owni.fr/2011/02/14/meme-pas-mort-dans-ma-deuxieme-vie-numerique/feed/ 8
Intoxication médiatique à l’arsenic http://owni.fr/2011/01/12/intoxication-mediatique-a-larsenic/ http://owni.fr/2011/01/12/intoxication-mediatique-a-larsenic/#comments Wed, 12 Jan 2011 11:07:04 +0000 malicia http://owni.fr/?p=33894 Il s’agit d’une traduction en français du billet “Arsenic life is one month old…”.

Le bébé Arsenic a un mois… En effet, une longue vie pour un mort-né. Revenons sur cette histoire honteuse.

Que s’est-il passé au début ? Eh bien, ça a véritablement commencé en 2008, pas en 2010 : Martin Reilly du New Scientist avait écrit sur la vie basée sur arsenic. Comme l’écrit Antoine Danchin dans son récent article paru dans le Journal of Cosmology :

Comme un cadeau pour la nouvelle année, de retour en 2008, une prophétie est apparue comme un examen par les pairs avant publication. Dans ce document, il était prévu que l’arsenic se retrouve dans le squelette des acides nucléiques des organismes vivants, en remplaçant le phosphore omniprésent. La prophétie, comme c’est souvent le cas avec ce type de croyances, a également suggéré un endroit sur Terre où cela se produirait : le lac Mono en Californie (Wolfe-Simon et al., 2008.). Le 6 avril 2008, cette prophétie a été communiquée au monde par un magazine de vulgarisation scientifique (Reilly, 2008). Maintenant, à la fin de 2010, comme cadeau de Noël (en Europe continentale, le 2 décembre), la NASA a publié un communiqué de presse sensationnel heureuse d’annoncer que, oui, la prophétie se réalisait, et non sur une planète exotique, mais sur notre vieille mère Terre et exactement à l’endroit où cela était prévu de se produire (Wolfe-Simon et al., 2010).

En effet, comme vous avez pu l’entendre, cette histoire était vraiment hype pendant un certain temps. Toutefois, des préoccupations assez graves sont rapidement apparues. La critique la plus brillante, extrêmement bien documentée et solide a été de Dr Rosie Redfield, microbiologiste à l’Université de British Columbia. Elle a dressé une longue liste de problèmes dans le papier et l’a qualifié de « beaucoup de charlataneries, mais très peu d’informations fiables ». Parmi les problèmes cités, remarquons  le phosphore présent dans des concentrations très élevées dans le milieu de culture des bactéries ainsi que le manque total de vérification que les bactéries ne l’absorbent pas, et une analyse incorrecte de l’ADN censé être composé d’arsenic.

Le même jour, Alex Bradley, un géochimiste et microbiologiste à l’Université de Harvard, soulevait une autre préoccupation, à savoir l’instabilité dans l’eau des composés contenant de l’arsenic. Il a également mentionné la mauvaise analyse de l’ADN et a rappelé que la spectrométrie de masse aurait dû être utilisée afin de clore le débat étant donné que cette technique est une façon très précise de déterminer quels sont les éléments contenus dans une molécule.

Davantage de commentaires ont été postés ici et là et on aurait pu penser que la NASA prenne au sérieux les inquiétudes de la communauté scientifique. Étonnamment (au moins pour moi), que nenni. Au contraire, Dwayne Brown, leur principal chargé des affaires publiques, a déclaré que le papier a été publié dans une revue à facteur d’impact très élevé (le facteur d’impact de Science est supérieur à 30) et a précisé, d’une manière assez condescendante, que le débat entre chercheurs et blogueurs n’est pas approprié. Wolfe-Simon a également gazouillé que la « discussion sur les détails scientifiques DOIT être menée dans un lieu scientifique afin que nous puissions donner au public une compréhension unifiée. ». En d’autres termes, les blogueurs scientifiques ne sont pas des pairs, leurs analyses ne valent rien.

Mais cette histoire honteuse ne s’arrête pas là. Après que Carl Zimmer a titré « Ce papier n’aurait pas dû être publié » dans Slate, Ivan Oransky a contacté Dwayne Brown de la NASA. Et sa réponse a été vraiment surprenante :

Le vrai problème est que le monde de l’information a changé en raison de l’Internet / des blogueurs / médias sociaux, etc. Un terme “buzz” tel que EXTRA-TERRESTRE provoquera quiconque possède un ordinateur à dire tout ce qu’il veut ou ressent. LA NASA N’A RIEN GONFLÉ DU TOUT — d’autres l’ont fait. Les médias crédibles n’ont remis en question aucun texte de la NASA. Les blogueurs et les médias sociaux l’ont fait… … … c’est ce qui fait  que notre pays est grand — LA LIBERTÉ D’EXPRESSION.

La discussion porte maintenant sur la science et les prochaines étapes.

Cette interjection dessert définitivement la NASA … Comme cela ne suffisait pas, Ivan Oransky soulignait peu après que la NASA n’a pas suivi son propre code de conduite.

Beaucoup de gens ont réagi au point de vue condescendant selon lequel les blogueurs ne sont pas des pairs. Permettez-moi de citer David Dobbs, le plus éloquent (selon moi) :

Rosie Redfield est un membre actif de la communauté scientifique et un chercheur dans le domaine en question. [...] Redfield Rosie est un pair, et son blog est un examen par les pairs.

Comme vous l’avez probablement deviné, la NASA et le Dr Wolfe-Simon ont refusé de répondre aux critiques. Dans une déclaration sur son site web, Wolfe-Simon s’est félicité du « débat animé » et a invité les chercheurs à adresser leurs questions à la revue Science « aux fins d’examen pour que nous puissions répondre officiellement ». Eh bien, le Dr Rosie Redfield avait déjà préparé sa copie. Cette saga a continué le 16 décembre : même si le Dr Wolfe-Simon avait répondu à certaines questions, les réponses n’étaient pas satisfaisantes ; un grand nombre de défauts techniques ont encore besoin d’éclaircissement.

Le moment de sobriété est venu. Comme vous avez pu le remarquer, je ne me suis pas lancée dans un catalogue à la Prévert des critiques scientifiques adressées à cette étude : ce n’est pas mon but ici et d’autres l’avaient déjà brillamment fait ailleurs. Il y a néanmoins deux problèmes d’une autre nature que je voudrais pointer ici : l’un concerne les scientifiques et l’autre — les journalistes scientifiques.

Alors, chers collègues, comment est-il possible d’avoir publié ce genre de papier ? Les pairs, lors du processus de revue, ont-ils énoncé des commentaires critiques ? Combien de scientifiques n’ont pas remarqué à la lecture du papier publié que l’ADN prétendument fait de l’arsenic est amplifié par une polymérase classique avec quelques amorces universelles ? Combien ont remarqué que cette bactérie a été signalée dans Wolfe-Simon et al. (2010) comme étant de la famille Halomonadaceae ? On a donc pu faire une analyse phylogénétique d’un ADN soi-disant contenant de l’arsenic et de plein d’autres ADN contenant du phosphore et cela ne choque personne… On a analysé un bout de gel et basta, c’est de l’arsenic ? Les gens de la NASA ont prétendu qu’ils n’avaient pas l’argent de faire de la spectro de masse et on a avalé ça, soit ; faire une séparation des ADN sur un gradient continu de chlorure de césium, c’est un peu old school, mais ça ne ment pas… Comment les gens respectables et critiques ont pu laisser cette sorte d’étude, digne d’un stage de licence qui a mal tourné, sortir dans un journal et qui plus est, un journal tel que Science ? Est-il acceptable que de la recherche soit faite avec des communiqués et conférences de presse plutôt qu’avec des données et de la rigueur ? Comment est-il possible que des chercheurs aient accepté que les critiques de leurs collègues soient écartées sous le seul prétexte qu’elles sont écrites sur un blog ? Ces questions portent donc toutes sur la garantie inhérente à l’examen par les pairs et à l’éthique scientifique…

“Est-ce que cette bête folle de l’arsenic — autrefois un extra-terrestre — est un chien?”, demandait David Dobbs. Combien d’entre vous, les journalistes scientifiques, ont écrit une critique ? Combien ont vu qu’il y avait quelque chose de louche dans cette histoire ? Et combien parmi vous ont osé écrire vos doutes ? Comme dans le cas plus haut, beaucoup ont pris pour argent comptant ce qui vient de la NASA et de Science. Il n’est pas question de flagellation ici, mais seulement d’une tentative de rendre les gens conscients qu’il faut garder un esprit critique tout le temps quand ils apportent des informations à des tiers.

L’idée que l’arsenic ait pu remplacer le phosphore comme un élément central des acides nucléiques n’aurait jamais dû être publiée dans une revue scientifique. Cependant, les auteurs ne doivent pas supporter tout le poids de la faute. La nature de la science est de mener des expériences avec des contrôles appropriés et d’obtenir des résultats. Pour être communiqués à d’autres chercheurs, ces résultats devront être rédigés et présentés sous la forme d’un article à une revue scientifique aux fins d’examen par les pairs.

Malheureusement, en raison de la compétition pour les ressources financières limitées, une hiérarchie a été progressivement mise en place, avec quelques journaux considérés comme plus importants que d’autres en raison de l’impact qu’ils ont sur leurs lecteurs. Faute d’une bonne formation scientifique, de nombreux journalistes ont tendance à prendre les facteurs d’impact des revues comme une preuve de qualité scientifique. Ce n’est pas le cas, malheureusement. Et le plus souvent, comme on le voit dans la situation actuelle, des revues de haut niveau ont échoué dans les responsabilités de base requises pour une revue scientifique et ont ensuite participé à une campagne de publicité trompeuse et étrange qui a eu pour résultat de duper le public. Dans un contexte de perte croissante de confiance dans la science et les scientifiques, cela aura des conséquences les plus dommageables. (Antoine Danchin)

« Science and Arsenic Fool’s Gold: A Toxic Broth », Antoine Danchin, Journal of Cosmology, 2010, Vol 13, 3617-3620. http://journalofcosmology.com/Abiogenesis123.html

« A Bacterium That Can Grow by Using Arsenic Instead of Phosphorus », Felisa Wolfe-Simon et al., Science 2010. http://www.sciencemag.org/content/early/2010/12/01/science.1197258.

>> Image : FlickR CC : Gary Hayes et Wikimédia Commons (domaine public)

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http://owni.fr/2011/01/12/intoxication-mediatique-a-larsenic/feed/ 8
L’expertise judiciaire ADN n’est pas infaillible http://owni.fr/2011/01/05/lexpertise-judiciaire-adn-nest-pas-infaillible/ http://owni.fr/2011/01/05/lexpertise-judiciaire-adn-nest-pas-infaillible/#comments Wed, 05 Jan 2011 08:31:03 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=41132 Titre original : ADN: quand les “experts” se trompent

Souvent parée de toutes les vertus, l’ADN n’est pas la “reine des preuves” : erreurs de manipulation, d’analyse ou de conservation, “faux positifs“… les annales policières et judiciaires ont d’ors et déjà répertorié plusieurs cas de personnes, accusées et incarcérées, à tort, parce que leur ADN les désignait comme suspectes (voir Quand les “experts” se trompent). Plusieurs scientifiques tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme : les taux d’erreurs seraient bien trop importants.

En juin 2010, plusieurs utilisateurs de 23andme, l’une des entreprises proposant de décoder son propre ADN (voir L’avènement de la génomique personnelle), découvrirent, stupéfaits, qu’ils n’avaient pas le même ADN que leurs enfants, frères, soeurs, parents, ou bien qu’ils étaient noirs, ou asiatiques (alors qu’ils étaient blancs)…

Quelques jours plus tard, 23andme découvrit qu’il s’agissait d’une erreur, une plaque comportant 96 empreintes génétiques ayant été retournée, à 180 degrés, entraînant une confusion dans les noms de ses clients.

En décembre 2009, la société deCODE genetics, qui cherchait à concurrencer 23andme en proposant à ses clients une autre interprétation de leur ADN, avait expliqué à certains d’entre eux, à tort, qu’ils encourraient un risque élevé d’être atteint par la maladie d’Alzheimer : 23andme avait changé le format de ses données, mais deCODE ne s’en était pas aperçu, et continuait à utiliser une ancienne grille d’analyse…

En août 2009, un journaliste du New Scientist, qui avait demandé à deCODE d’analyser son ADN, reçu quant à lui cette étonnante réponse, par e-mail :

La question va peut-être vous paraître étrange, mais êtes-vous bien sûr qu’il s’agit d’un Homo sapiens ?

En l’espèce, il s’agissait d’un bug logiciel affectant la façon d’extraire les informations de la base de données de deCODE… Mais l’erreur peut aussi être humaine, et avoir des répercussions d’autant plus graves lorsqu’elle permet de suspecter, voire de condamner, à tort, un innocent.

11 erreurs judiciaires (au moins) imputables à l’ADN aux USA

En 2004, un procureur du New Jersey annonça ainsi que le viol et le meurtre d’une étudiante, 36 ans auparavant, venait enfin d’être élucidé :

Grâce à l’ADN, nous avons enfin pu mettre un visage sur le meurtrier de Jane Durrua, et ce visage appartient à Jerry Bellamy.

Deux ans plus tard, Bellamy fut libéré après que les enquêteurs découvrirent que l’échantillon génétique issu de la scène du crime avait en fait été contaminé, dans le laboratoire de la police technique et scientifique, au contact de l’ADN de Bellamy, qui devait y être également expertisé, mais dans un autre dossier…

Gregory Turner, un Canadien, avait ainsi été accusé de meurtre, au motif qu’on avait trouvé l’ADN de la victime sur sa bague, et que la probabilité qu’elle n’émane pas de cette femme de 56 ans était de 1 sur 163 trillions (soit 163 milliards de milliards). On découvrit, en fait, que l’ADN était celui de l’”experte” qui avait analysé sa bague… Il risquait la prison à vie, et avait déjà passé 27 mois en détention.

L’affaire dite du Fantôme d’Heilbronn est probablement la plus connue des erreurs liées à l’ADN. Qualifiée sur TF1 de “plus grande énigme criminelle de l’Histoire“, elle mobilisa plus de 100 policiers, sur plus de 1400 pistes différentes, entraînant 2400 analyses génétiques, afin d’identifier une tueuse en série à qui les polices allemande et autrichienne imputait une dizaine de meurtres, et des dizaines de cambriolages, depuis 1993.

En mars 2009, on découvrit que l’ADN de la tueuse en série était en fait celui d’une employée de la société de matériel médical qui fournissait les cotons-tiges de prélèvement génétique utilisés par la police, et qu’il n’existait donc pas de Fantôme d’Heilbronn.

Ce même mois de mars 2009, un homme, mis en examen en 2004 pour le meurtre de sa femme après analyse de son ADN, était définitivement mis hors de cause : une consultation du fichier d’empreintes génétiques révéla qu’il avait le même profil génétique qu’un autre homme, connu pour des faits de proxénétisme, mais décédé depuis.

Brandon L. Garrett est professeur à l’école de droit de Virginie, Peter J. Neufeld, cofondateur de l’Innocence Project qui a permis, à ce jour, d’innocenter 261 personnes en démontrant que leur ADN ne correspondait pas à celui du véritable coupable de ce pour quoi ils avaient été condamnés (plus de la moitié d’entre eux avaient pourtant été, notamment, condamnés sur la foi de preuves apportées par la police technique et scientifique qui, par la suite, se sont en fait avérées erronées).

Sur les 137 cas qu’ils ont analysés, en 2009, pour leur étude qu’ils ont consacrée aux erreurs des “experts” de la police scientifique et technique, Garrett et Neufeld ont découvert 11 erreurs judiciaires imputables, en partie, à une mauvaise interprétation ou exploitation de “la preuve par l’ADN“.

L’une des victimes de ces erreurs judiciaires fit les frais d’une “grossière erreur” dans l’analyse de son ADN. Trois autres furent condamnés sur la base de faux témoignages des experts ayant analysé leur ADN. Pire : l’ADN de sept d’entre eux avaient précisément démontré leur innocence, en vain.

Josiah Sutton, un noir américain de 16 ans, fut ainsi condamné pour viol, en 1999, à 25 ans de prison (il n’en fit “que” 4 ans 1/2). Son ADN ne correspondait pas au sperme trouvé sur le lieu du viol, mais cet aspect ne figura pas dans le rapport officiel, et l’”expert” déclara, a contrario, qu’il correspondait bien au sien, avançant un taux de probabilité de 1 sur 694 000 personnes. Dans les faits, un homme noir sur 16 partageait ses caractéristiques génétiques, et le laboratoire de Houston, impliqué dans plusieurs centaines d’autres cas litigieux, fut finalement fermé.

Gilbert Alejandro fut de même condamné pour viol sur la base du témoignage de l’”expert“, qui déclara être sûr à 100% que l’ADN du violeur était le sien. Il s’avéra que cet “expert“, Fred Zain, avait non seulement menti sur son diplôme, et qu’il ne possédait aucune qualification à même de justifier ce pour quoi il travailla pourtant pendant 20 ans pour la police scientifique et technique du Texas, mais également qu’il n’avait pas proprement effectué l’analyse en question. Zain fut finalement impliqué dans 134 condamnations douteuses, et plusieurs dizaines de personnes, qu’il avait contribué à condamner, furent ensuite innocentés.

1 “chance” sur 1M, sur 40 000, ou bien sur 3

En août dernier, Linda Geddes, journaliste au New Scientist revenait de son côté sur le calvaire traversé par Richard Smith, accusé de viol, et qui risquait 25 ans de prison.

Le prélèvement génétique effectué sur son pénis lors de son arrestation comportait deux ADN mêlés. L’expert qui témoigna à son procès estima que la probabilité que l’autre ADN ne soit pas celui de la victime était de 1 sur 95 000. Son supérieur hiérarchique estima quant à lui que la probabilité était de 1 sur 47. Une expertise ultérieure avança qu’elle était plutôt de 1 sur 13. En changeant de méthode statistique, elle n’était plus que de 1 sur 2…

Une étude du National Institute of Standards and Technology (NIST), qui avait envoyé une seule empreinte génétique à 69 laboratoires américains révéla que les méthodes utilisées étaient tellement variées que les résultats obtenus variaient d’une magnitude de 10. Les résultats émanant de laboratoires utilisant les mêmes méthodes statistiques n’étaient guère plus rassurants : en fonction des analyses, la probabilité d’identification de l’ADN variait de 1 sur 100 000 à 1 sur un quadrillion (10 puissance 15, soit mille milliards).

On pense souvent que l’expertise génétique relève de quelque chose de scientifique. Dans les faits, c’est aussi et surtout de la statistique ou, plus exactement, un calcul de probabilités, comme le soulignent Élie Escondida et Dante Timélos, auteurs d’un “guide de self-défense juridique“, Face à la police / Face à la justice, qui notent qu’”on a rarement rappelé le fait que la preuve par l’ADN n’est, tout simplement, pas infaillible” :

Pour profiler quelqu’un, les “experts” analysent en effet généralement 13 marqueurs (ou locis, régions chromosomiques) de l’échantillon ADN qu’ils expertisent, dans la mesure où l’analyse de ces marqueurs suffit généralement à distinguer l’empreinte d’un individu, avant d’estimer la probabilité de concordance de profils (random match probability, RMP, en anglais), à savoir le risque de voir cet ADN correspondre à une ou plusieurs personnes. Dès lors, l’objectif n’est donc pas tant de déterminer l’”empreinte” ADN d’un individu, mais son “profil“, et ça change tout, pour Escondida et Timélos :

Deux ADN différents peuvent donner deux profils ADN semblables justement parce que le profil n’utilise qu’une fraction de l’ADN et non l’ADN dans sa totalité.

Pour pallier ces difficultés, les experts vont se livrer à un calcul de probabilités. L’idée est simple. Même si on ne peut certifier que deux profils ADN identiques représentent bien un ADN unique, il est toujours possible d’essayer d’estimer la probabilité d’une coïncidence fortuite. Autrement dit, le résultat d’une expertise ADN n’est pas, contrairement à ce qu’on croit, une affirmation du type « l’ADN retrouvé dans cette trace appartient à telle personne » mais bien une affirmation du type « il y a x probabilités pour que l’ADN retrouvé dans cette trace appartienne à telle personne ». Si on peut réfuter, avec une certitude absolue, l’identité entre deux profils, on ne peut en revanche jamais confirmer celle-ci avec une certitude de 100 %.

En mai 2008, le Los Angeles Times revenait ainsi sur le cas de John Puckett, un Américain qui, en 2004, à l’âge de 70 ans, se vit inculpé d’un meurtre commis 30 ans auparavant, parce que son ADN correspondait partiellement au sperme prélevé sur la victime.

Lors de son procès, les experts de l’accusation avancèrent que la probabilité d’une coïncidence de profils ADN était de 1 sur 1,1 millions. Les experts de la défense, utilisant d’autres méthodes de calcul, avancèrent les chiffres de 1 sur 40 000, et de 1 sur 16 400. Après 48h de délibéré, les jurés le déclarèrent coupable.

Or, d’après le LA Times, la probabilité que l’ADN de Puckett et celui du meurtrier soient les mêmes était en fait de 1 sur 3… Car le fichier génétique répertoriait, à l’époque, 338 000 profils ADN, et qu’il convenait donc, pour affiner la probabilité, de diviser 338 000 par 1,1 million, soit une probabilité de concordance de profils de 1 sur 3…

Interrogé par le LA Times, l’un des jurés expliqua que le taux de probabilité de 1,1 million était ce qui leur avait finalement permis de conclure à la culpabilité de Puckett. Et que s’ils avaient eu vent de ce taux de 1 sur 3 seulement, le verdict aurait très certainement été très différent.

Condamné par un “expert”, innocenté par 16 autres

Aux Etats-Unis, la fascination exercée par la police scientifique et technique porte un nom : le CSI Effect, du nom de la série télé (”Les experts“, en VF) qui cartonne en terme d’audience, et qui a bouleversé la façon de présenter le travail de la police à la télévision.

Or, cette vision, comme toute fascination, est une représentation glamour, romancée, exagérée et inexacte, pour ne pas dire faussée, de la réalité, comme l’ont noté plusieurs sociologues et juristes américains :

Par exemple la place de la preuve ADN est grandement exagérée tout comme sa pertinence. Les procureurs sont poussés à produire toujours plus de preuves scientifiques même si cela ne présente aucun intérêt pour l’affaire a priori.

Bien que les technologies présentées par la série et ses dérivés existent dans les laboratoires criminels, elles demandent bien plus de temps et sont souvent bien plus équivoques dans la réalité.

Les analystes craignent que les gens en viennent à croire que les sciences légales sont aussi efficaces que dans les séries et s’attendent donc à des effets plus spectaculaires dans les cours de justice.”

Pour comprendre pourquoi un seul et même prélèvement génétique pouvait ainsi être interprété de façon si différente, le New Scientist a demandé à 17 “experts” d’analyser un prélèvement génétique ayant permis la condamnation d’un homme, Kerry Robinson, pour viol. Comme le résume sobrement Le Matin, dans un article intitulé Crime : peut-on faire confiance à l’ADN ?, “les avis sont apparus étonnamment divergents” :

Quatre ont affirmé que les résultats n’étaient pas probants, douze ont établi que la présence de l’homme en question sur le lieu du crime pouvait être écartée, et un seul s’est rallié à l’avis qui avait prévalu lors du jugement, concluant qu’il n’était pas possible d’exclure sa présence sur les lieux.

Autrement dit : pour près des 3/4 des laboratoires, le prélèvement génétique permettait d’établir l’innocence du prévenu, pour 1/4 d’entre eux, qu’il ne permettait d’établir rien du tout. Et le seul laboratoire qui s’est rangé à l’avis de l’expert ayant contribué à faire condamner cet homme n’a pas affirmé qu’il était le coupable recherché, mais que sa présence sur les lieux ne pouvait pas être exclue…

Pour le New Scientist, “la technique est subjective et faillible“. Or, il suffit de l’”opinion” d’un seul individu pour finir en prison. De fait, Richard Smith et Kerry Robinson, bien qu’innocentés par une grande majorité des laboratoires ayant contre-expertisé les échantillons génétiques leur ayant valu condamnations, sont toujours en prison.

“On n’est jamais sûr à 100%”

Pour Raphaël Coquoz, chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne et spécialiste de l’ADN, interrogé par Le Matin, ces divergences d’expertises ne sont pas très étonnantes : “Un profil ADN n’est pas quelque chose d’univoque” :

On lui accorde trop de valeur. L’analyse ADN donne une probabilité que telle ou telle personne ait été présente à un endroit. Le concept de probabilité est parfois difficile à entendre quand on aimerait voir les choses en blanc ou en noir.

En présence d’un profil “faible”, lorsque les traces sont infimes ou mélangées, la probabilité diminue. Lorsque le profil est de bonne qualité, les certitudes sont élevées, mais on n’est jamais sûr à 100%.

L’ADN n’est qu’un outil parmi d’autres, qui peut mener à des erreurs judiciaires. Il faut le reconnaître.

Tout dépend en effet d’abord de la qualité de l’échantillon recueilli. Parfois, il est trop petit, ou abîmé, dégradé, pollué, quand il ne comporte pas plusieurs ADN, qui peuvent se masquer les uns les autres… rendant son analyse encore plus ardue. Le mythe de l’infaillibilité des “experts“, et la pression de la hiérarchie et de la justice sont tels que, par ailleurs, les policiers procèdent de plus en plus à des prélèvements d’échantillons génétiques sur les scènes de crimes.

Un rapport de l’autorité de contrôle britannique de la génétique (HGC) avait ainsi révélé, en 2009, que la police arrêtait de plus en plus de gens aux seules fins de les ficher génétiquement : alors que la délinquance baissait, les arrestations, et le fichage ADN, progressait, au point que 1 million d’innocents figuraient dans la base de données policière britannique (forte de 6,3 millions de profils, dont 282 000 mineurs de moins de 18 ans), ainsi que 75% des Noirs de 18 à 35 ans.

Dans son rapport sur le projet de loi de finances français pour 2011, le député UMP Guy Geoffroy rappelait ainsi que le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) continuait sa “montée en puissance, avec 1 582 595 traces génétiques enregistrées au 1er juillet 2010” :

Rien que sur l’année 2010, près de 375 000 traces supplémentaires devraient avoir été insérées.

Depuis la constitution du fichier, de très nombreux rapprochements d’affaires ont été réalisés : 5548 avec une trace non identifiée, 25 884 avec l’empreinte génétique d’une personne mise en cause et 8796 avec celle d’une personne condamnée.

Visitant en octobre dernier un laboratoire de la police technique et scientifique, Brice Hortefeux a ainsi rappelé l’objectif fixé par son ministère de l’Intérieur : “réaliser des prélèvements d’empreintes génétiques sur 100% des cambriolages et des voitures volées retrouvées“.

Dans le même temps, et conséquemment, ceux qui sont transmis aux laboratoires d’analyse sont de moins en moins bonne qualité. De plus, il existe plusieurs techniques et méthodes statistiques pour expertiser un échantillon génétique. Et moins l’empreinte est de qualité, plus il faut recourir à des techniques complexes, mais donc également plus compliquées à appréhender par un juge, et a fortiori par des jurés, qui n’ont jamais été formés aux subtilités de la statistique ni de la génétique.

La confiance populaire dans la “preuve par l’ADN” est telle que, sous la pression des juges, victimes, avocats, procureurs ou encore de l’opinion publique, les “experts” sont bien souvent sommés de parler, sinon de prendre parti, alors même que certaines empreintes ou prélèvements sont tellement abîmés, partiels ou complexes à analyser qu’il est très difficile de distinguer ce qui relève du signal de ce qui relève du bruit ou encore des artefacts techniques, au point qu’il est impossible d’espérer pouvoir en tirer une expertise véritablement fiable.

Mais au lieu d’expliquer la méthodologie statistique utilisée, afin de permettre à ceux qui vont juger de le faire un connaissance de cause, nombreux sont les experts et les laboratoires qui se contentent d’expliquer qu’ils “pensent” que l’ADN est (ou pas) celui du suspect, ou de la victime, entraînant juges et jurés à condamner quelqu’un en accordant une confiance aveugle à une “expertise” qui, d’un point de vue scientifique ou statistique, pourrait pourtant être contestée par un autre expert…

Or, comme le rappelle le New Scientist dans son éditorial, les jurés américains estiment, à 95%, que la preuve par l’ADN est fiable, et un prévenu est plus susceptible d’être condamné si le dossier comporte une “preuve” ADN que s’il n’en comporte pas…

John Butler, responsable du groupe de génétique appliquée au National Institute of Standards and Technology (NIST), a ainsi examiné 5000 échantillons ADN de 14 laboratoires différents, et découvert que 34% d’entre-eux comportaient l’ADN de deux personnes, et 11% celui de trois voire quatre personnes différentes.

Parallèlement, une étude de Dan Krane, de l’université de Wright, parue dans le Journal of Forensic Sciences, a démontré que 3% des échantillons comportant trois ADN différents pouvaient être interprétés comme ne comportant que deux ADN seulement, et que 70% des échantillons de quatre ADN pouvaient, pareillement, être analysés comme ne comportant que deux ou trois ADN différents.

Or, comme le résume Dan Krane qui, en tant que consultant, effectue régulièrement des contre-expertises, “si vous ne pouvez déterminer combien de personnes étaient présentes sur les lieux, il est ridicule de suggérer que vous pouvez être en mesure d’identifier le profil ADN ou l’identité de ceux qui y étaient vraiment.

Itiel Dror, professeur de neuroscience au collège universitaire de Londres, qui a contribué à l’expérimentation du New Scientist, en appelle à la conscience professionnelle des “experts” :

Ceux qui travaillent dans l’analyse des empreintes digitales, et autres disciplines de la police technique et scientifique, ont désormais accepté que la subjectivité et le contexte pouvaient affecter leurs jugements et décisions.

Il est désormais aussi temps que les experts génétiques acceptent que, dans certaines conditions, la subjectivité, voire même certains biais, puissent affecter leur travail.

Le problème se double du fait que, comme le souligne Linda Geddes dans le New Scientist, les “experts” n’utilisent pas forcément tous les mêmes procédures. Un questionnaire, auquel ont répondu 19 laboratoires américains, canadiens, britanniques et australiens, a révélé que 11 d’entre eux interdisaient à leurs analystes d’interpréter les résultats de manière subjective, mais que 4 d’entre eux l’autorisaient régulièrement, et deux autres de manière exceptionnelles.

L’ADN, une preuve essentiellement “à charge”

Si la génétique permet souvent d’accuser, ou d’innocenter, quelqu’un sans trop de difficultés, David Balding, un généticien et statisticien anglais, n’en estime pas moins que juges et jurés sont trop fréquemment confrontés à des preuves exploitées essentiellement “à charge“, pour confondre tel ou tel suspect, et non pas seulement de manière neutre et scientifique.

Il est ainsi courant qu’un laboratoire se voit demander si l’ADN de tel suspect, qui a été appréhendé, se trouve aussi sur l’échantillon prélevé sur la scène du crime. Ce qui est tout à fait différent que de demander au laboratoire d’identifier le ou les ADN du prélèvement, sans faire de lien, d’emblée, avec tel ou tel suspect.

Dan Krane et William Thompson, professeur de criminologie à l’université de Californie, ont ainsi soumis un échantillon de salive prélevé sur le sein d’une femme qui avait été violée à 1000 “experts“, répartis en quatre catégories.

Trois hommes avaient été suspectés, un seul fut condamné. Les trois premiers groupes devaient estimer si l’ADN de chacun de ces trois suspects pouvait être identifié, ou non, dans l’échantillon, le quatrième étant chargé d’y rechercher l’ADN de la victime.

Tous ont estimé que l’ADN de la personne qui leur était présentée pouvait être identifié dans l’échantillon de salive en question. Or, souligne Dan Krane, près du tiers des affaires qu’il a à traiter, au quotidien, comportent de tels biais d’interprétation subjective…

Le New Scientist explique également que les “experts” sont souvent trop proches de la police, et qu’ils en savent souvent trop sur l’affaire, ou les suspects, au point que cela pourrait constituer un biais dans leurs analyses. Un “expert” américain, témoignant de façon anonyme, dénonce ainsi les risques de partialité de ses confrères :

Les laboratoires criminels ne devraient pas être placés sous le contrôle de l’institution policière. Nous sommes des scientifiques, pas des policiers, ni des procureurs.

Avec Peter Gill, co-inventeur de la “preuve par l’ADN avec Sir Alec Jeffreys, et ancien responsable du laboratoire de police scientifique britannique, David Balding a ainsi élaboré une méthode, le “ratio de probabilité” (”likehood ratio“, LR) , dont l’énoncé suffit à mettre à mal l’infaillibilité supposée de la preuve par l’ADN :

Il s’agit de se demander quelle est la probabilité que cette preuve puisse être utilisée par l’accusation, et quelle est la probabilité qu’elle puisse être exploitée par la défense. Ensuite, vous faire un ratio des deux.

Aussi surprenante qu’elle puisse paraître pour un profane, cette méthode a officiellement été recommandée, l’an passé, par l’International Society for Forensic Genetics (ISFG), et le Scientific Working Group on DNA Analysis Methods (SWGDAM), un laboratoire du FBI chargé d’effectuer des recommandations aux laboratoires de police scientifique et technique américains, dès lors que l’empreinte génétique s’avère complexe à expertiser.

Pour Peter Gill, qui déplore le “mythe” de l’infaillibilité de l’ADN, “le manque de compréhension de la part du public, mais également des juges et des avocats, est considérable“. Ainsi, aux Etats-Unis, il estime que seuls 10 à 15% des avocats dont les clients ont pourtant été, en tout ou partie, incriminés sur la base de leur empreinte génétique, effectuent une contre-expertise… Dane Krane, lui, estime que le taux serait plutôt inférieur à 1%, soulignant la croyance aveugle qu’accorderait les avocats dans la preuve génétique…

Bruce Budowle, ancien responsable du laboratoire génétique du FBI, plaide ainsi pour que les laboratoires généralisent la contre-expertise, et la vérification, de leurs analyses, et pour que toutes ces données et conclusions soient aussi confiées aux avocats et défenseurs des personnes dont l’ADN a été identifié.

18 des 19 laboratoires interrogés par le New Scientist procèdent à de telles contre-expertises, mais dans la majorité des cas, le second analyste a préalablement pris connaissance des conclusions de son prédécesseur, faussant ainsi potentiellement leurs résultats.

Si 15 de ces laboratoires expliquent qu’en cas de désaccord, c’est le supérieur hiérarchique qui tranche, seuls deux d’entre eux déclarent mentionner, dans leurs rapports, l’existence d’une divergence d’analyses…

Il ne s’agit pas pour autant de jeter l’opprobre sur l’utilisation judiciaire de l’ADN, ni de conclure que les expertises seraient systématiquement sujettes à caution.

Par contre, le fait que l’on ait d’ores et déjà autant d’erreurs, et les biais et problèmes de subjectivité soulevés par le New Scientist, plaident pour une vigilance accrue en la matière, d’autant que la police et la justice exploitent de plus en plus la génétique dans leurs enquêtes.

L’expertise génétique est une discipline encore relativement nouvelle, mais nous disposons également de suffisamment d’éléments pour ne plus lui accorder la confiance aveugle qu’on lui prête généralement.

Il est temps de “libérer” l’ADN

Dans son rapport, très critique (voir Quand les “experts” se trompent), sur le caractère non scientifique des techniques utilisées par la police technique et scientifique, le conseil national de la recherche américain soulignait ainsi que “les méthodes développées dans les laboratoires afin d’aider les forces de l’ordre” pourraient grandement bénéficier des contributions des chercheurs et scientifiques.

Et c’est précisément pour renforcer la confiance que l’on peut accorder au système judiciaire, et à la façon qu’ont les “experts” d’exploiter traces et identifiants génétiques, que Dan Krane a publié dans la revue Science, en décembre 2009, un appel cosigné par 40 autres scientifiques et professeurs de droit, intitulé Time for DNA disclosure (.pdf) (Il est temps de libérer l’ADN), appelant à libérer la base de données de profils génétiques de la police américaine, afin que d’autres chercheurs et scientifiques y aient eux aussi accès :

Nous pensons que le temps est venu pour le FBI de permettre aux scientifiques d’accéder aux profils génétiques anonymisés de sa base de données afin qu’ils puissent y effectuer des recherches qui profiteront à l’ensemble de la justice criminelle.

Les forces de l’ordre devraient honorer les normes scientifiques et ouvrir leurs bases de données ADN au regard scientifique indépendant. Cela ne pose guère de risque significatif, et ne peut que renforcer la qualité de l’exploitation judiciaire de l’ADN.

Comme le souligne également le New Scientist dans l’éditorial qu’il consacra à cette demande, “si le FBI s’est trompé dans ses statistiques, les conséquences sont tellement profondes que nous devrions pouvoir le savoir. S’il ne s’est pas trompé, les recherches ne pourront que renforcer la preuve par l’ADN. Dans les deux cas, la justice en sortira gagnante.”

Cette évaluation serait d’autant plus pressante, mais également pertinente, que ladite base de données est de plus en plus exploitée par la police et la justice, et qu’elle répertorie plus de 9 millions de profils génétiques, augmentant d’autant la probabilité de voir une ou plusieurs personnes partager le même profil ADN, et donc déboucher sur des erreurs judiciaires. Comme l’expliquent Escondida et Timélos, “plus un fichier augmente en taille, plus il est censé être efficace, mais plus sa fiabilité théorique est en chute libre“.

Interrogé par le LA Times, Jonathan Jay Koehler, professeur de droit spécialiste des sciences du comportement, et notamment de ce qui préside aux décisions judiciaires basées sur les expertises de la police technique et scientifique, estime que le taux d’erreur, dans les laboratoires, est de l’ordre de 1 pour 1000, qu’il s’agisse d’ADN identifié, à tort, ou bien, a contrario, non identifié alors qu’il aurait pu l’avoir été :

Personne ne voudrait prendre l’avion s’il devait s’écraser une fois tous les 1000 vols.

William Thompson, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes des erreurs en matière de génétique criminelle, se rappelle que lors de la création des premières bases de données d’ADN, on estimait que les innocents n’avaient rien à craindre, et qu’ils ne devaient donc pas avoir peur d’être fichés.

Mais aujourd’hui, quand on regarde la somme d’erreurs répertoriées de par le monde – et nous ne connaissons que la partie émergée de l’iceberg -, le problème se pose vraiment de savoir combien de personnes nous voulons ainsi ficher. Et je n’aimerais certainement pas être l’une d’entre elles.

77% des personnes fichées, en France, sont “innocentes”

En 1994, la loi qui avait créé le fichier génétique américain avait expressément anticipé le fait que des chercheurs pourraient y effectuer des contrôles qualité “dans la mesure où les informations personnelles et identifiables en seraient retirées“, ce qu’il est d’autant plus facile à faire que les identifiants génétiques fichés sont “non-codants“, et donc non susceptibles de révéler d’informations sensibles (une affirmation cela dit contestée par Catherine Bourgain, chargée de Recherches de l’Unité INSERM 535 “Génétique épidémiologique et structures des populations humaines“, pour qui il n’y a pas d’ADN “neutre”).

Si le FBI s’est déjà illustré en essayant de camoufler les erreurs identifiées par certains “experts” dans son fichier génétique, il refuse d’accéder aux demandes des scientifiques précisément (ou, plutôt, “officiellement“) en raison de considérations liées à la protection de la vie privée, et des caractéristiques génétiques de ceux qui sont fichés dans sa base de données.

Ces derniers voudraient ainsi vérifier le taux d’erreur, au moment de la saisie manuelle des fichiers. Une étude portant sur 15 021 profils génétiques contenus dans une base de donnée gouvernementale australienne avait ainsi révélé un taux d’erreur de 1 sur 300, “ce qui soulève un certain nombre de questions au regard des opportunités manquées d’aboutir sur certaines enquêtes“.

A contrario, l’article que Linda Geddes, du New Scientist, a consacré à cette lettre ouverte, met plutôt l’accent sur les risques d’erreurs judiciaires. Elle cite ainsi plusieurs expériences, menées sur près de 300 000 profils génétiques extraits de trois bases de données ADN américaines. A la grande surprise des scientifiques, plus de 2000 profils partageaient des caractéristiques qui, normalement, auraient dû rendre leurs profils “uniques“.

Interrogé à ce sujet, Bruce Budowle, ancien responsable scientifique du fichier génétique du FBI, explique que sélectionner le profil d’un suspect afin de le comparer à un échantillon prélevé sur une scène de crime est à peu près aussi pertinent que de tenter d’identifier un suspect à partir de sa seule date de naissance : plus la base de données contient de profils génétiques, plus grandes sont les chances d’en voir un certain nombre partager certaines caractéristiques.

En décembre 2008, la Grande-Bretagne était condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme à détruire les profils ADN de 850 000 personnes, soit près de 13% des 6,3 millions d’individus présents dans le fichier génétique de la police britannique.

Les juges avaient en effet estimé que leur fichage génétique était une “atteinte disproportionnée au respect de la vie privée“, au motif que leur casier judiciaire était vierge, et qu’ils n’avaient pas été condamnés dans l’affaire qui leur avait valu d’être fichés, et qu’ils devaient donc toujours être présumés innocents.

Le Fichier national automatisé des empreintes génétiques, son équivalent français, ne comporte, lui, “que” 1,6 million de profils. Créé en 1998 afin de ficher les criminels sexuels, et lutter contre la récidive, il a depuis été élargi à la quasi-totalité des personnes à l’€™encontre desquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elles aient commis un crime ou un délit (à l’exception notable de la délinquance routière et financière).

En décembre 2009, alors qu’il n’en recensait “que” 1,2 million de profils, le nombre de personnes condamnées enregistrées était de 280 399, soit 23%. Dit autrement : 77% des personnes fichées génétiquement, en France, n’ont été que “mises en cause” et suspectées, mais jamais condamnées. Elles sont donc toujours “présumés innocentes“…

Comme le soulignait l’an passé Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, au sujet du FNAEG, “Il faut reconnaître qu’il permet de résoudre des affaires, mais on est maintenant dans une logique d’alimentation du fichier. Personne ne prône le fichage généralisé, mais, de fait, on est en train de l’effectuer“ (voir Objectif: ficher l’ADN de toute la population).

>> Illustrations CC FlickR : Null Value, didbygraham

>> Article initialement publié sur Internet Actu

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