OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Montebourg irradie http://owni.fr/2012/08/27/montebourg-irradie/ http://owni.fr/2012/08/27/montebourg-irradie/#comments Mon, 27 Aug 2012 15:15:19 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=118734 "Le nucléaire est notre avenir"... Radio, télévision et Internet voient fleurir les réactions à cette déclaration d'Arnaud Montebourg. Cette sortie n'est pourtant pas étonnante, le ministre ne faisant que poursuivre ce qu'il avait déjà entamé. Explications.]]> Dans un entretien sur BFM TV hier soir, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, était invité pour défendre sa vision de la production française et ses théories sur cette ré-industrialisation. Mais il y a aussi glissé que le nucléaire était une énergie d’avenir.

Provocation pour les écologistes, Noël Mamère en tête, profession de foi en décalage avec la réalité pour Denis Baupin, vice-président (EELV) à l’Assemblée Nationale, Montebourg est pourtant soutenu par Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur.

Sauf que le hasard n’existe pas

Arnaud Montebourg, avocat de formation a débuté sa carrière politique en Saône-et-Loire à la fin des années 90. Alors député de la 6ème circonscription, il devient ensuite en 2008 Président du Conseil Général de Saône-et-Loire. Sur la région Bourgogne, quelques milliers de travailleurs de l’industrie française. Le porte-parole de Ségolène Royal en 2007 sait de quoi il retourne quand on parle d’industrie du nucléaire. Ce qui l’amènera à se prononcer au cours de la campagne de l’ancienne femme de François Hollande pour l’achèvement du chantier de Flammanville. Avec Mâcon, Le Creusot et Saint-Marcel, le pôle nucléaire de Bourgogne est dense et le poids de l’industrie dans l’emploi était de de l’ordre de 20 % en 2008 et selon l’INSEE l’emploi salarié de l’industrie de Saône-et-Loire a perdu 14 200 postes entre 1989 et 2007, dont 12 500 dans le secteur de la fabrication de produits industriels. “Il s’agit là des conséquences des suppressions d’emploi dans le textile (DIM), de la fermeture des activités industrielles de Kodak à Chalon-sur-Saône, des difficultés rencontrées dans la métallurgie (Arcelor), les pneumatiques (Michelin) et les mines”.

Certainement sensibilisé par ses électeurs, Arnaud Montebourg sait aussi que la région Bourgogne compte près de 9 000 salariés du nucléaire, tel qu’estimé par François Sauvadet, ancien ministre de la Fonction publique sous le gouvernement Fillon et président du conseil général de Côte-d’Or. 150 entreprises adhèrent aussi au Pôle nucléaire Bourgogne, rassemblant les industries qui travaillent de près ou de loin avec ou pour l’industrie nucléaire. De quoi les rassurer, un peu.

Semblant surprendre ou choquer les uns et les autres, écologistes ou non, il n’est pourtant pas à sa première déclaration tonitruante sur le sujet. Il est ainsi l’un des rares non-signataires de l’accord PS-EELV.

L’idéalisme du ministre du redressement productif ne s’arrête pas à ce seul bassin-là et, régulièrement, il rencontre les salariés du nucléaire. Par le biais des syndicats. Après l’annonce du plan d’austérité d’Areva mené par Luc Oursel, quelques temps après sa nomination en novembre 2011 et l’accord PS-EELV, il avait reçu la délégation CFDT pour les rassurer sur la ligne de conduite du Parti Socialiste en cas de victoire :

On ne peut pas bazarder une industrie qui marche, surtout quand on a rien pour la remplacer. Il serait irréaliste de fermer des centrales qui ne sont pas en fin de vie et de ne pas poursuivre l’EPR.

Plus récemment, il a co-signé les nouveaux statuts d’Areva avec Pierre Moscovici, ministre de l’économie et Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Pour un renforcement des pouvoirs du conseil de surveillance du groupe — en matière d’acquisition notamment. Les prémices d’une reprise en main de l’industrie nucléaire. Et de sa pérennité.

Les peurs d’Arnaud

Dans son intervention sur BFM TV, Arnaud Montebourg prône un déploiement de la croissance après la rigueur, à contre courant des “politiques austéritaires de l’Europe”. Après quelques prises de position : pour les hydroliennes, contre le gaz de schiste (“Jean-Marc Ayrault a dit que le débat n’était pas tranché. [...] Aujourd’hui telles que les conditions d’exploitation se déroulent [...] il y a un énorme problème environnemental. [...] La fracturation hydraulique fait beaucoup de dégâts.”).

Cette réindustrialisation émerge de ce “besoin de nous protéger”, ce qu’il martèle :

Un pays qui ne produit pas est dans la main de ceux qui produisent. Un pays qui consomme les produits des autres est un pays qui devient dépendant des autres. Un pays qui produit et donne à consommer aux autres devient un pays puissant. C’est le destin de la France, d’être une grande nation industrielle. Elle s’est affaissée, elle doit se redresser.

Alors que la cause anti ou pro nucléaire sort de deux mois de vacances et après une année complète ou presque à avoir défrayé la chronique, pourquoi mettre sur le tapis la question nucléaire ? Rien de plus simple pour le journaliste de BFMTV Olivier Mazerolle, grâce à l’équation du Premier ministre sortie tout droit des archives des différentes interventions ministérielles : 25 milliards pour cause d’exportation insuffisante — 45 milliards imputables à l’énergie. Et pour redresser la France, rien de mieux que de ramener la part déficitaire du commerce extérieur à zéro. Tel est l’objectif du gouvernement.

Pour produire plus, il faut de l’énergie. Est ce que c’est vraiment le moment de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité en France ?

C’est à ce moment-là que le débat prend un virage qui fait rugir bon nombre d’élus et de personnalités diverses, à commencer par les écologistes. La réponse d’Arnaud Montebourg dépasse ce qu’ils auraient souhaité entendre compte tenu du poids qu’ils estiment peser au sein de gouvernement et dans les bas-côtés :

Nous avons besoin d’énergie — et pas trop chère — et la France a un atout extraordinaire entre ses mains, qui lui a permis de bâtir son industrie [...] c’est une énergie abordable. Et même en Allemagne, les entreprises se retrouvent avec des hausses de coûts. [...] Notre choix [...] est stratégique pour la Nation. Le nucléaire doit être rééquilibré [...] Il y a la quantité, ce qu’on consomme de plus. Nous arrivons quand même à un certain maintien du parc actuel. [...] Pour ma part, je considère que le nucléaire est une filière d’avenir.

Le nucléaire, une filière d’avenir, c’est ce qui a fait tiquer la majorité les spectateurs, ceux convaincus fermement que la catastrophe de Fukushima devrait permettre à la France de comprendre qu’il faut cesser d’utiliser l’énergie nucléaire, à l’instar de l’Allemagne d’Angela Merkel. Pourtant, jamais Arnaud Montebourg n’a fait partie des grands pourfendeurs de l’énergie nucléaire. Supposons un instant que si François Hollande recevait les grands patrons du CAC le 23 août dernier — sans Areva ni EDF — c’est parce que le dossier est dans les mains d’un des défenseurs de l’énergie tant décriée, aux côtés d’un autre fin connaisseur de la problématique, Bernard Cazeneuve, bien présent sur La Hague et ses usines liées au nucléaire.
En fin de journée, en déplacement chez Atol,
il affirmait :

Areva est une des plus belles entreprises nucléaires au monde en exportant deux tiers de ses productions.

Le nucléaire a de beaux jours devant lui. N’en déplaise donc aux écologistes.


Photo par Jyc1 (cc-by) et loltoshopée via ICanHasCheezburger

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Ici la Hague, Greenpeace Airways en approche… http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/ http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/#comments Wed, 02 May 2012 06:24:11 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=108043 OWNI met en ligne une vidéo inédite réalisée par un engin de Greenpeace survolant le site de La Hague, le plus dangereux de tous. L'ONG publie aujourd'hui un rapport sur l'absence de prise en compte de ces risques par les responsables français. Bienvenue à bord, sur une petite musique de Vivaldi. ]]>

Les sites nucléaires peuplent les campagnes françaises : 58 réacteurs et autres installations potentiellement exposés à des accidents provoqués par des causes extérieures. Séismes, inondations ou chutes d’avion… Pour limiter ce dernier risque, théoriquement, le survol des sites les plus importants est strictement interdit à basse altitude. Une interdiction que Greenpeace a voulu mettre à l’épreuve des faits.

Or, fin 2011, un engin de l’organisation est parvenu à survoler pendant plusieurs minutes, sans être inquiété, le site de La Hague où sont stockés des centaines de tonnes de déchets radioactifs en attente de retraitement, comme le montre une vidéo de l’ONG que nous mettons en ligne aujourd’hui (voir plus bas). Ce matin, après avoir fait atterrir un militant au sein de la centrale du Bugey, Greenpeace rend public le rapport d’un scientifique (version complète en anglais et résumé en français au bas de l’article) consacré à ce sujet. En ligne de mire : les risques en cas de crash aérien sur les installations françaises. Et l’éventuelle prise en charge de ces risques par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française et les exploitants du parc nucléaire.

Le survol de La Hague

La Hague, située à quelques kilomètres de Cherbourg, est le site de retraitement de déchets radioactifs en France. Il reçoit régulièrement les combustibles des centrales françaises et étrangères – allemandes notamment. Pourvu après les attentats du 11 septembre, entre octobre 2001 et mars 2002, de missiles sol-air destinés à abattre les avions en survol, le site est toujours sous surveillance rapprochée. Mais l’ONG, maitresse en matière d’intrusion, prouve cette fois qu’il est possible de se promener dans les airs au-dessus de cette installation nucléaire :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Effectuée à moins de 3 900 pieds (limite minimale de survol de cette installation nucléaire), l’opération a pour objectif selon Sophia Majnoni, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France, “de montrer que l’espace aérien interdit était pas vraiment interdit”. Précisant que le site de La Hague a été choisi pour les quantités importantes de matières radioactives qu’il contient :

C’est le lieu en France dans lequel il y a le plus stockage de matière radioactive, à la fois des piscines de combustibles irradiés et à la fois du plutonium. Il existe un certain nombre de normes sur les réacteurs qui ne s’appliquent pas pour les piscines. Pourtant après le 11 septembre, c’est le seul site où des systèmes de surveillance ont été mis en place : des missiles et un radar. Il y a des avions qui passent au-dessus de la Hague et de Flamanville. Il y a aujourd’hui un radar qui prévient un avion de chasse. Qui lui met 6 minutes pour intervenir, pour tirer. Mais est-ce qu’on peut tirer sur un boeing ? Pour les réacteurs, ils n’ont jamais pris en compte la chute d’un avion de ligne et pour les piscines ils n’ont pas pris en compte les chutes tout court. Elles sont encore moins protégées. La protection est hyper minimaliste.

Après Fukushima, Sophia Majnoni, regrette que “les catastrophes non naturelles n’aient pas été étudiées dans les stress-tests de l’Autorité de sûreté nucléaire :

La chute d’un avion de ligne c’est peu probable donc pour eux, on ne les prend pas en compte. Avant Fukushima, ils pouvaient être cohérents en disant qu’ils avaient une approche probabiliste. Or après Fukushima, cette approche de calcul de probabilité a été remise en cause. (Mais) seulement pour les catastrophes naturelles ! Les Allemands l’ont fait, les Suisses l’ont fait, mais pas la France. Il faudrait qu’en France la sécurité soit dans le giron de l’ASN au même titre que la sûreté. Notre souhait c’est d’avoir un audit sur le sujet.

Zéro risque ?

Dans le rapport, une cinquantaine de pages analyse la sûreté des installations du parc nucléaire français vis-à-vis du risque chute d’avion. Le rapport fait état de l’absence de prise en compte du risque d’accident d’avion de ligne sur une centrale mais aussi à ses abords : si le dôme au-dessus du réacteur protège le réacteur en lui-même, les installations annexes ne bénéficient pas du même degré de protection.

Ainsi le consultant spécialiste du nucléaire, John Large – à qui Greenpeace a commandé l’analyse -, explique que les problèmes peuvent être de l’ordre de ceux de Fukushima, soit plusieurs facteurs qui amèneraient la centrale à souffrir d’un accident qui ne toucherait pas directement le réacteur :

La chute d’un avion pourrait couper la centrale des sources d’approvisionnement électrique situées à l’extérieur du site et, simultanément, empêcher les groupes électrogènes de secours sur le site de fonctionner. Dans une telle situation, la centrale devrait faire face à une coupure de courant prolongée, et le refroidissement du réacteur et des piscines de désactivation ne serait plus assuré (comme cela a été le cas à Fukushima).

John Large pointe également du doigt la stratégie paradoxale de l’ASN qui dit “estime[r], en s’appuyant sur les rares événements précédents, que la possibilité d’une chute accidentelle d’un avion de ligne commercial est si faible qu’elle est donc improbable. Ces nuances mises à part, l’ASN participe pourtant à un “groupe ad-hoc sur la sécurité nucléaire (AHGNS) de l’Union européenne, chargé d’analyser les menaces liées aux attaques terroristes dans le cadre du ‘volet sécurité’ ['Security Track'] mis en place en parallèle des stress-tests post Fukushima effectués sur toutes les centrales européennes [...].

Loin d’être suffisant, selon le scientifique, qui considère que l’autorité de contrôle de la sécurité des installations nucléaires “exonère l’exploitant de la nécessité de se préparer à une chute d’avion, estimant qu’il s’agit d’un acte de guerre.”

Contestant la méthode utilisée – ” prendre en compte la simulation du crash d’un avion de combat militaire (d’environ 20 000 kilos) et de l’extrapoler à un avion commercial (pouvant peser plus de 130 000 kg), “ -, il soulève également le problème des réactions des travailleurs de l’installation :

Il est tout à fait possible qu’une bonne partie du personnel se sente dépassée et incapable de réagir si un avion venait à s’écraser sur le site. La centrale serait alors livrée à elle-même, en l’absence de tout contrôle.

Vulnérabilité

Yves Lenoir a travaillé pour le gouvernement de Basse-Saxe lors de la préparation du projet d’usine de retraitement de Gorleben et de son stockage de déchets radioactifs. Il est aujourd’hui président de l’association Enfants de Tchernobyl Bélarus. Co-auteur de Tchernobyl-Sur-Seine, il nous a confirmé la nécessité de prendre en considération, sérieusement, ces risques :

Vous avez le coeur du système, en général une enceinte simple ou double disposée autour de la cuve et des générateurs. Ensuite, sortent de l’enceinte des canalisations, quasi à l’air libre pour aller en salle des machines. Il y a aussi une alimentation électrique par le réseau extérieur et donc un risque de destructions de ces lignes électriques si un avion tombe. Il va détruire les communications de sortie et d’entrée de courant de la centrale. Qui sera entièrement dépendante des moyens de secours internes. Et puis imaginez qu’un gros porteur tombe avec ses 90 tonnes de carburant, il va mettre le feu à tout. Même s’il n’est pas tombé sur le bâtiment principal, les canalisations ne sont pas protégées.

Les calculs de l’ASN et des autres instances sont établis à partir de modélisation de la chute d’un avion de chasse sur une cuve de réacteur. Hormis les conséquences sur les abords de l’installation, l’avion de chasse pourrait aussi provoquer bon nombre de réactions en chaine.

Il y a deux types de chocs, celui d’un avion de chasse ou d’un avion avec peu de carburant et celui d’un avion de ligne. Le poids – très lourd – de l’avion de chasse, combiné au fait qu’il vole très vite, amène la chute de l’avion à être un choc dur. Sur une usine de retraitement, à une vitesse de 250m/s – caractéristiques étudiées par les instances -, la masse de l’avion est concentrée sur 1 ou 2 mètre carré. S’il tombe sur l’élément le plus résistant de l’installation telle que l’enceinte double, il passe au travers de la première enceinte mais ne perfore pas la seconde. En revanche, comme cette deuxième enceinte est élastique, elle se déforme et va déformer l’intérieur de la cuve. Le béton va avoir tendance à se disloquer donc se fissurer. Et occasionner des missiles secondaires ou blocs de béton de quelques centaines de kilos qui se détachent et voyagent dans le bâtiment. À 250m/s, les blocs de béton bougeront à 100m/s à l’intérieur. Les simulations et les tests montrent qu’ils peuvent détruire des câbles, de l’instrumentation, des canalisations secondaires, etc… Et même si le bâtiment à l’extérieur a l’air d’avoir résisté au choc, à l’intérieur il y a des dégâts.

Autre scenario : celui d’un crash d’un avion commercial. Yves Lenoir explique que “Le fuselage de l’avion peut taper dans le bâtiment du réacteur, de biais ou sur une partie arrondie. Et il pourra glisser. Le choc va endommager de manière considérable l’enceinte extérieure mais ne devrait pas provoquer trop de dégâts sur l’enceinte intérieure. Sauf que les ailes peuvent chuter sur les câbles, le kérosène provoquer un incendie, etc. Et s’il touche la salle de contrôle, quel est le niveau de protection ? Si le bâtiment n’est pas bunkerisé comme l’est le bâtiment réacteur, je donne pas cher de ce qu’il se passe à l’intérieur.” Parler ouvertement de ce genre de risque, pour le scientifique, “ce n’est pas être alarmiste :

Parce que, finalement, regardée comme ça, une chute d’avion, c’est comme le tsunami de Fukushima. C’est un cas extrême mais on a vu que le cas extrême devenait très probable dans certaines circonstances. En France on a des centaines d’avions qui décollent en permanence. Si incendie il y a, il peut y avoir un Fukushima français. Le dire ce n’est pas être alarmiste, c’est les mettre face à leurs responsabilités.

D’autant que déjà en 2001, le directeur de l’ASN – loin d’être rassurant – déclarait selon Areva (ex-Cogema) :

Comme l’a rappelé le directeur de l’Autorité de sûreté nucléaire dans des déclarations ces derniers jours, aucune installation nucléaire n’a été conçue pour résister à la chute d’un avion de ligne.


Illustration via la galerie Flickr de X-Ray Delta One [CC-bysa]. Edition par Ophelia Noor pour Owni.
Captures d’écran de la vidéo de Greenpeace, Coucou !

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L’image des irradiés qu’on nous cache http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/ http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/#comments Fri, 27 Apr 2012 10:53:16 +0000 Claire Berthelemy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=105001 OWNI propose un état des lieux global des contaminations provoquées par les installations nucléaires françaises au cours des dix dernières années. La France, par tradition, dissimule ces données chiffrées. Derrière lesquelles tentent de vivre, ou survivre, les fantômes de la contamination. Sur OWNI, aujourd'hui, plusieurs articles sont consacrés à cette maladie honteuse, bien de chez nous. ]]>

Du point de vue de la santé mentale, la solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude…
Rapport de l’OMS de 1955, Cité par Jacques Ellul, in Le bluff technologique, p 294

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“Légère irradiation d’un expérimentateur”, “perte de protection biologique dans un local de travail”, “accident de niveau 1 sur une échelle qui en compte 7”. Si un profane survole les rapports de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), chargée du contrôle des installations nucléaires françaises,  il ne s’inquiètera pas des contaminations touchant les salariés du secteur.

RAS, nucléaire : rien à signaler, pour reprendre le titre du documentaire d’Alain de Halleux. À partir des avis d’incidents disponibles sur le site sous une forme particulièrement indigeste, OWNI a ré-exploité ces données pour visualiser, en une seule et même image, les contaminations produites par le nucléaire français. C’est l’image ci-dessous. Vous pouvez cliquer dessus puis zoomer à l’intérieur pour prendre connaissance des différents cas.

Derrière la froideur technocratique rassurante des rapports de l’ASN, la réalité est plus inquiétante. Certains chercheurs estiment que des conséquences aussi graves que l’amiante en terme de santé publique sont à prévoir. Le fichier Dosinat – mis en place en 1992 par EDF – répertorie pour chaque intervenant, qu’il soit sous-traitant ou non, les doses qu’il reçoit. Il est établi que les sous-traitants encaissent 80% des irradiations dans nos dix-neuf centrales. Pourtant, dans les informations des rapports, il est ainsi impossible de savoir systématiquement si des sous-traitants ont été touchés, encore moins le nom de leur entreprise.

On ignore aussi dans la plupart des cas le radioélément impliqué. Information pourtant importante puisque selon le radioélément, les effets seront plus ou moins forts et longs. De même, on ne sait pas systématiquement si l’accident a lieu pendant un arrêt de tranche ou une autre période de maintenance, durant lesquels le recours à la sous-traitance est très majoritaire : EDF sous-traite à plus de 80% sa maintenance, et les sous-traitants sont trois fois plus touchés par les accidents du travail.

Le thermomètre cassé

Il est admis qu’un être humain doit rester à 37° de température environ. Au-delà, il faut s’inquiéter. Mais admettons qu’un décret indique que la température normale soit désormais comprise entre 37 et 39°, par exemple quand sévit une épidémie de grippe. Une partie de la population cesse d’entrer dans la catégorie des gens atteints de fièvre.

C’est ce qui s’est passé avec le nucléaire, industrie où cette question du thermomètre est au cœur de la controverse scientifique. Les seuils ont en effet été abaissés avec les ans, modulant dans le sens d’un renforcement la notion de dangerosité. En France selon le Code du travail, il était de 50 mSv à partir de 1988, de  30 mSv jusqu’en 2003, puis de 20 mSv, la norme actuelle. À titre de comparaison, le reste de la population ne doit pas dépasser 1 mSv/an/personne dixit le Code de la santé publique.

Ce seuil, fixé sur la base des recherches du Commission internationale de protection radiologique (CIPR), est remis en cause par celles du Comité européen sur le risque de l’irradiation (CERI) depuis 2003. Leurs conclusions : il faut diviser par 4 le seuil actuel, soit 5 mSv. Et par conséquent, la dangerosité d’une partie des incidents de contamination relevée par l’ASN devrait être reconsidérée à la hausse. L’IRSN reconnaitra lui-même en 2005 que ces problèmes soulevés par le CERI “ont été largement négligés par la communauté scientifique.”

Enfin, les incidents en-dessous de 10 000 becquerels ne font pas l’objet d’un rapport de l’ASN. Or l’IRSN reconnaissait aussi que les recherches sur les effets des faibles doses avaient jusqu’à présent été basées sur un postulat faux :

Il a longtemps été postulé que l’incorporation de 100 becquerels en un jour revenait à incorporer 1 becquerel pendant 100 jours. Cela est tout à fait exact mais faux en biologie.

La traçabilité est donc perfectible, comme le souligne Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Une déclaration d’incident de travail (différente du rapport ASN) devrait être faite systématiquement puisqu’il s’agit d’un risque grave, afin d’avoir une trace de toutes les contaminations, y compris celles en-dessous du seuil. Selon la législation, les lésions peuvent être immédiates ou différées. Et ce n’est jamais fait.

Une procédure judiciaire a été engagée à l’initiative d’un inspecteur dans ce sens, mais sa demande a été déboutée en correctionnel.

Nous avons lancé une campagne notamment avec des syndicalistes délégués de CHSCT [Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, NDLR] de différentes centrales pour inciter à faire la déclaration, et si l’entreprise refuse, l’employé a deux ans pour le faire. Il y a eu une circulaire de la direction du parc nucléaire pour dire qu’il n’y avait pas de raison de faire une déclaration, révélée par Mediapart [payant]. Cela nous a servi de leçon, j’ai dit aux inspecteurs du travail qu’il fallait aller au-delà du droit du travail sur le pénal pour mise en danger d’autrui, on en est là.

Biaisé, le thermomètre l’est aussi par le peu de fiabilité des dosimètres. Les travailleurs doivent en porter deux, un dosimètre-film et, depuis la fin des années 90, un dosimètre électronique. Annie Thébaud-Mony estime qu’“il présente 20 à 40 % de marge d’erreurs. Et entre les deux dosimètres, il y a 20% de taux d’erreur.” Nous avons contacté EDF pour avoir des explications sur ce sujet, qui nous a “conseillé d’interroger les fournisseurs de dosimètres, notamment l’IRSN”. Ces derniers n’ont pas répondu.

Parfois, le dosimètre est jeté aux orties : un rapport datant de 2006 de l’inspecteur général d’EDF mentionne “une pratique préoccupante de salariés qui ne portent pas de dosimètre”. Une pratique préoccupante dont elle se défausse sur les entreprises sous-traitantes. Perversité de ce système des poupées russes.

Personne pour vérifier

Derrière chaque incident, la proposition de l’exploitant d’un classement sur l’échelle INES. ”Soit l’ASN est d’accord avec l’exploitant, soit il lui explique pourquoi. C’est un partenariat.” se défend l’ASN. Et bien souvent, le classement de l’exploitant est validé par l’autorité. Pour pouvoir juger des conséquences, l’ASN a donc en main une déclaration – de bonne foi – des exploitants, qui proposent un classement. Parfois, les équipes de l’ASN se déplacent pour vérification ou appréciation sur le terrain. Mais ”rarement dans le cas d’un niveau 0. S’il n’y a pas d’enjeu, on ne se déplace pas”, confie un des employés de l’autorité :

Ça dépend des informations que nous avons à partir de la déclaration. On les appelle et on voit selon ce que dit l’exploitant. Les investigations interviennent juste après la déclaration d’évènement. En fonction, on peut arrêter l’installation. La responsabilité première est celle de l’exploitant : on se base sur ce qui est dit et sur la nature de ce qui s’est passé. On peut aussi solliciter l’appui technique de l’IRSN [Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, NDLR].

Le bras de fer entre les deux instances n’est que le reflet de ce que l’humain peut peser dans une échelle de classement : pas grand chose au vu du peu d’importance que revêtent les contaminations dans le classement INES.


Nous remercions vivement, dans l’ordre d’arrivée, Julien Kirch (au code), Cédric Suriré, doctorant en socio-anthropologie du risque et des vulnérabilités, Annie Thébaud-Mony et Marion Boucharlat (au graphisme), sans qui ce travail n’aurait jamais abouti.

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http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/feed/ 44
Uranium militaire en croisière http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/ http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/#comments Mon, 02 Apr 2012 07:14:40 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=103981

© Laurent Vautrin, Le Carton/Picturetank

Depuis la publication de l’article, des déclarations ont eu lieu remettant en cause les propos de Greenpeace. Voir notre ajout dans un autre article.

La France s’apprête à importer des États-Unis près de 180 kg d’uranium de qualité militaire en lui faisant traverser l’océan atlantique sur un bateau ne répondant pas aux normes de sécurité pour pareil transport. Le 21 octobre dernier, un centre de recherche grenoblois, l’Institut Laue-Langevin, a obtenu des États-Unis une licence pour recevoir cet uranium dit de “qualité militaire”, par l’entremise d’une filiale d’Areva, selon des documents du département américain à l’Énergie (consultable au bas de cet article).

Voyage, voyage

Selon nos informations, depuis ce week-end, cet uranium est sur le point de quitter le sol américain depuis un port (dont nous ne dévoilons pas le nom pour des raisons de sécurité), à bord d’un navire britannique propriété de la Nuclear Decommissionning Agency(NDA – dont TN International, la filiale de transports des combustibles d’Areva est actionnaire).

Dans ses soutes, un peu moins de 180 kilos d’uranium enrichi à 93% destinés à rejoindre les bâtiments de la Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA) près de Valence, dans l’Est de la France, pour y être assemblé à de l’aluminium. Et alimenter ensuite le réacteur de recherche HFR (High flux reactor) de l’Institut Laue-Langevin de Grenoble, détenu en partie par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et le Centre national de recherche scientifique (CNRS).

Le 16 mars, la Nuclear Regulatory Commission, équivalent américain de l’Autorité de sureté nucléaire française (ASN) a délivré l’ultime autorisation permettant ce transport (page 7 des documents ci-dessous). Problème, le bateau de la NDA affrété pour la circonstance est vieux de 25 ans et ne correspond plus aux normes en vigueur pour ce genre de voyage à haut risque – en raison de la qualité militaire de l’uranium acheminé et de l’intérêt qu’il peut éveiller.

Ce navire, dont nous connaissons le nom et les caractéristiques, appartient à une flotte vouée à démolition comme les bateaux de ce type et de sa génération – qui sont actuellement en cours de remplacement. Un spécialiste s’étonne :

Ces bateaux-là sont conçus pour ça et ce type de voyages arrive de temps en temps, pour le transport du MOX vers le Japon par exemple. Sauf que 25 ans pour un bateau qui assure des missions de transport d’uranium, c’est vieux.

D’autant que pour cette flotte britannique, et particulièrement cette série de bateaux, se sont posés des problèmes de corrosion de la coque, argument utilisé pour la refonte complète des bateaux de la NDA. Et ce même après quelques modifications “destinées à renforcer sa flexibilité opérationnelle en le rendant compatible avec le plus grand nombre de colis et de conteneurs ISO, afin de répondre aux besoins des clients”. Yannick Rousselet, chargé de la campagne nucléaire chez Greenpeace précise :

La NDA voulait à l’origine construire un nouveau bateau. Finalement, pour des raisons financières, ils ont décidé de ne pas construire ce bateau et ont préféré récupérer celui-ci. Curieux de se retrouver avec un vieux bateau pour ce transport-là !

À l’époque de l’acheminement de MOX vers le Japon, “il possédait des canons de défense, dont un témoin affirme qu’ils ont été démontés depuis” précise Yannick Rousselet. Autre anomalie constatée par le chargé du nucléaire chez Greenpeace et confirmée par la carte du port depuis lequel le bateau doit partir : alors que les cargos de ce type naviguent de concert pour se protéger tout au long du trajet, dans le port, le navire chargé pour Areva était amarré seul.

8 kg d’uranium par rechargement

La Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA), une des nombreuses filiales d’Areva, près de Romans, intervient dans la fabrication et la fourniture de combustible pour les réacteurs de recherche. Dans l’installation nucléaire de base (INB) qui abrite un atelier d’élaboration de combustibles hautement enrichi, l’uranium américain sera donc couplé à de l’aluminium. Pour alimenter le réacteur de l’institut de recherche grenoblois à l’origine de la commande.

À terme, les équipes travaillant sur le réacteur souhaitent utiliser un uranium moins enrichi. Hervé Guyon, chef de la division Réacteur de l’Institut Laue-Langevin, souligne la volonté de baisser le pourcentage d’enrichissement de l’uranium, ” et de faire fonctionner le réacteur avec un combustible enrichi à 20% environ. D’ici 2019-2020.”

En attendant, le réacteur continuera de se fournir “ailleurs”, et surtout depuis les Etats-Unis. Pour Yannick Rousselet, “il y a clairement un problème de risque de prolifération. Avoir des matériaux utilisables à des fins militaires comme ça, directement sur l’océan… Et il a l’avantage d’être sous forme métallique directement utilisable. Un des premiers risques c’est aussi le détournement de matière.”

Face aux nécessités de sécurisation du convoi, les lobbys du nucléaire cultivent leur mutisme : si personne n’est au courant du convoi, le convoi est sécurisé, CQFD. À l’évocation de l’argument “secret bien gardé transport sécurisé”, Yannick Rousselet ironise :

Ce secret, faites-moi la démonstration que nous ne le savons pas ! Quelqu’un qui vraiment veut ces matières peut les récupérer.

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MÀJ du 2/04, 10 h : Julien Duperray, porte-parole de l’activité transport d’Areva, précise que “certaines activités sont clairement classifiées et on ne peut pas communiquer sur celles-ci. Les transports de ce type de matériaux ne représentent qu’une petite part de notre activité.”


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Photographie via Picture Tank par © Laurent Vautrin/Le Carton, tous droits reservés

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30 km carrés de déchets radioactifs http://owni.fr/2012/03/18/voyage-au-centre-de-la-meuse-nucleaire-cigeo-andra/ http://owni.fr/2012/03/18/voyage-au-centre-de-la-meuse-nucleaire-cigeo-andra/#comments Sun, 18 Mar 2012 16:28:41 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=101750 2 de galeries et de tunnels. Notre journaliste y est descendue. Voyage au centre du nucléaire.]]>

À la frontière entre la Meuse et la Haute-Marne : la commune de Bure sur laquelle est implanté le laboratoire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). À 500 mètres sous terre, le laboratoire accueille des tests et expérimentations pour déterminer les réactions de la roche dans laquelle seront plongées, à partir de 2025, les tonnes de déchets radioactifs en provenance de La Hague. L’ANDRA a proposé à OWNI de visiter le laboratoire qui sert d’expérimentation pour la fabrication des futures galeries souterraines, tandis que le 27 février les promoteurs annonçaient que le projet était maintenant validé sur le plan scientifique et technique. Nous en avons profité pour rendre visite aux opposants historiques à ce chantier, l’association Bure Stop, dans le village voisin.

Entrailles

Les 80 kilomètres qui séparent Bure de Nancy sont une suite de champs. À un rond point, des bâtiments sortent de terre : EDF y a installé son centre d’archives, une écosphère de l’ANDRA est en cours de construction et le laboratoire de l’agence devant lequel flottent des drapeaux français fait figure d’ovni dans le paysage. Aux alentours, tout est lisse et plat. À moins d’une centaine de mètres de l’entrée du laboratoire, sur la commune de Saudron, l’espace technologique de l’ANDRA qui accueille touristes, scolaires, presse et officiels. Flambant neuf.

“Ce sont un peu nos clients [les officiels : EDF, Areva et le CEA, NDLR], ce sont eux qui payent” souffle Marc Antoine Martin, le responsable de communication du site. Il est aussi le chargé des visites, celui qui vend l’image et l’histoire du laboratoire aux visiteurs occasionnels. Et à la presse. La stratégie de communication de l’ANDRA est rodée.

Les premières galeries ont été creusées en 2007, par tranche et le laboratoire s’enterre à presque 500 mètres sous le niveau de la mer. “490 mètres de profondeur plus précisément” enchaîne Marc-Antoine Martin. En sous-sol, les chercheurs et employés – prestataires la plupart du temps – réalisent les essais grandeur nature : pression de la roche, effets de la température sur les alvéoles de stockage, sondes de mesure des mouvements de la terre et toutes les autres possibilités de changement d’état du sol à cette profondeur-là. Pour tester quelle technique sera utilisée pour creuser et quels matériaux vont être utilisés à terme pour le site d’enfouissement à proprement parler, baptisé Centre industriel de stockage géologique (Cigéo).

Cigeo, modélisation de la zone d'accueil des déchêts, vue en surface. ©ANDRA

Nous avions au départ une zone de transposition de 200 kilomètres carrés, au sein de laquelle le stockage était faisable. Techniquement. Puis nous avons réduit la zone, au regard des évaluations sur les différents travaux de l’ANDRA, pour aboutir à 15 kilomètres carrés. Jusqu’en 2009, la consultation des locaux n’était que partielle. Quand en 2009 a été mis sur le tapis la question psychologique pour les habitants du coin, nous avons été capables de marger la zone sur 30 kilomètres carrés, essentiellement en dessous d’une forêt et d’une ferme qui n’est pas habitée. L’idée est de pouvoir stocker en profondeur. Tout en respectant la volonté de ceux qui habitent par là. Techniquement c’était possible. Nous pouvions donc accéder aux demandes de la population…

nous explique Marc-Antoine Martin. “Les habitants du coin” reçoivent surtout des financements des deux groupes d’intérêt public de la Meuse et de la Haute-Marne. 30 millions pour chacun, millions issus de la taxation des producteurs de déchets, EDF en tête, suivi par Areva et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Sur place, les élus sont rétribués proportionnellement à leur coopération pour le projet.

Et à raison de millions dépensés en infrastructures pour leurs communes, sous le doux nom de dotations communales. La refonte des routes, le chauffage dans les églises et les nouvelles salles des fêtes sont le prix de l’acceptation du nucléaire. En plus de ces dotations, les habitants peuvent eux-mêmes déposer des dossiers pour des demandes de subventions. Les entreprises en bénéficient dès qu’elles le peuvent. Sans savoir parfois que “c’est l’argent du nucléaire” confie un chef d’entreprise – petite – à qui le GIP de Haute-Marne a octroyé une subvention l’an dernier.

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Autre contrepartie, EDF, le CEA et Areva en financiers clefs du projet d’enfouissement sont sommés de créer du développement économique. EDF a délocalisé ses archives à côté du laboratoire. Mais ce qui ne regarde pas l’ANDRA permet parfois au financier de participer en monnaie sonnante et trébuchante à ses propres projets avec ses propres taxes : EDF a ouvert une plate-forme de stockage de pièces de rechange à Velaines, financée en partie par Objectif Meuse, le GIP de la Meuse, à hauteur de 3 millions d’euros [PDF]. L’ANDRA à Bure a déposé en 2007 un dossier et demandé 1 million d’euros pour la construction de son centre technologique de Bure-Saudron, l’espace d’accueil du public. Même chose pour le CEA et ses 3 millions pour Syndièse, un projet d’usine prototype de transformation de bois en carburant.

Mais le discours de l’ANDRA élude toutes questions sur le financement des autres parties et se concentre sur les provisions à long terme, la technicité du projet et la gouvernance actuelle :

L’indépendance de l’ANDRA s’est vue renforcée en 2006 avec la loi Birraux : il n’y a plus qu’un seul siège pour un représentant des trois instances de financement de l’agence – EDF, le CEA et Areva – contre trois avec chacun un droit de vote au conseil d’administration avant la loi. Et surtout ici à l’ANDRA, on gère “ici et maintenant”.

Sébastien Farin, le responsable comm’ à Paris venu pour la visite ajoute :

On ne peut éthiquement pas faire payer les générations futures. La solution du stockage temporaire nécessite de mettre à contribution ces générations-là.

Comprendre que décemment, le stockage en surface en se répétant que tout ira bien n’est pas une solution pérenne au regard de ce que l’ANDRA, avec le laboratoire de Bure, découvre au fur et à mesure sur la fiabilité de la roche. Une troisième solution, réalisée par les équipes du CEA dans des conditions de laboratoire consistait à provoquer une réaction de physique nucléaire de séparation et transmutation. “Mais ce qui est possible au CEA depuis 2005 n’est réalisable qu’en 2040 à l’échelle industrielle. Nous recherchons plutôt la stabilité en enfouissant les déchets sous terre. Les propriétés radioactives restent présentes pendant 100 000 ans mais cette garantie de stabilité, on l’a, tout en restant vigilant” souligne Marc-Antoine Martin.

Les dispositions de Cigéo ont été prises pour une centaine d’années et pour des déchets bien précis : le parc français actuel seulement. Les EPR à venir ne sont pas concernés, le MOX non plus et les déchets étrangers sont pour le moment interdits.

Probabilité

Deux modes de transports souterrains ont été pensés pour faire descendre les déchets jusqu’au point de stockage : des tunnels depuis la Meuse, droits, et des descenderies depuis la Haute Marne, en pente. Mais “La descenderie coute forcément plus cher et la probabilité d’une panne est donc plus forte, mais elle répond à une demande locale. Les deux sites aussi coutent plus cher. Simplement parce qu’il y en a deux.” confirme Marc-Antoine Martin.

Bure ; Edf ; Centre de stockage ; Galerie souterraine (cc) Claire Berthelemy pour Owni

Actuellement au sein des galeries, une cinquantaine de personnes s’activent pour observer comment la roche se comporte. À chaque galerie correspond des tests différents : actuellement, la technique de forage n’est pas encore décidée mais « on essaie de voir ce que ça pourrait faire avec un tunelier ». Pour le reste, les responsables communication de l’ANDRA sont confiants :

Dans cette roche on connaît la vitesse du phénomène technologique et nous avons une grande confiance, il n’y a aucune raison pour que ça bouge sur le million d’années à venir !

La poussière sous le tapis

Mais ce bel optimisme ne fait pas l’unanimité. À Bure, un groupe d’opposants réunis autour de l’association Bure Stop, l’un des principaux mouvements hostiles au site d’enfouissement des déchets, a élu domicile dans une maison – à l’origine – en ruine. Dans cette maison 0% nucléaire, entre photovoltaïque et chauffage au bois, les murs abritent une dizaine de personnes, quelques permanents et d’autres moins.

Dehors autour d’un repas au soleil, la présentation des lieux et de leurs charmes prime temporairement sur le reste. “On a un dortoir et on peut mettre des tentes aussi dans le jardin”, explique Justine. Aucun n’est du village plus qu’un autre mais tous connaissent le laboratoire de Bure et le site de stockage – futur – des déchets.

Nadine Schneider, porte-parole de l’association, que nous avions interrogée sur le financement et l’arrosage des élus est catégorique concernant le projet Cigéo :

Ils jouent juste sur les mots : la réversibilité c’est la possibilité de remonter les colis tant qu’ils ne sont pas scellés. Sur un plan technique, l’IEER [Institute for energy and environnemental research, un institut indépendant, NDLR] explique que l’interprétation des données est “systématiquement strictement optimiste” et que les travaux de l’ANDRA ne tiennent pas suffisamment compte des propriétés de la roche hôte. Alors que fondamentalement, la roche est modifiée par l’intrusion humaine. la radioactivité ne va pas attendre sagement les bras croisés pendant des milliers d’années parce que l’Andra aura décrété que la roche était étanche !

Inutile de parler bassin d’emplois sous peine de déclencher un rire amer. “Là bas les gens viennent pour des missions, personne ne viendra s’installer, c’est un non développement économique. Ici, il n’y a pas longtemps, il y a eu des campagnes de forages avec des camions vibreurs. Les ouvriers sont venus en mission, ne parlaient qu’allemand et sont repartis. “, martèle la femme et ses dix-huit années de combat derrière elle. Turn-over trop important, missions courtes pour des postes hautement spécifiques provoquent une dilution des responsabilités.

Galeries du laboratoire de Bure ©E.Sutre

Effectivement, Bure, malgré sa nouvelle salle polyvalente est loin d’être la zone attractive du coin. Le collège voisin à Montiers-sur-Saulx est maintenu sous perfusion “parce que c’est Bure” assène Nadine Schneider. À table, on écoute la porte-parole. On souffle aussi quelques mots assassins :

En 1997, l’ANDRA avait gommé les failles des cartes du BRGM [Bureau de recherches géologiques et minières, NDLR] transmises au cours de l’enquête publique. Pour les remettre à d’autres endroits sur les cartes…

Le problème majeur, outre celui des déchets radioactifs, l’absence de liens entre deux départements qui appartiennent à deux régions différentes dont les zones académiques ne sont pas les mêmes. Qui empêche parfois de fédérer la population – deux fois 190 000 personnes, en diminution depuis quelques années – derrière un “non à l’enfouissement des déchets”. Mais le manque de liant entre les deux départements ne provoque aucune résignation du côté du Bure Stop.

Entre septembre 2005 et janvier 2006, la Commission particulière de débat public sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de hautes activités et de moyenne activité à vie longue, avait conclu que l’enfouissement n’avait pas la faveur du public. “S’ils avaient écrit l’inverse, l’ANDRA le mettrait dans toutes ses publications”, ironise Nadine Schneider. Dans le rapport de la Commission], ces quelques lignes :

“Il y a un problème d’acceptabilité territoriale”, reconnaît un élu favorable au laboratoire de Bure. La pétition pour un référendum en Meuse et Haute-Marne, avec plusieurs dizaines de milliers de signatures (40 000 selon ses promoteurs), et les interventions du public le confirment.

L’association dénonce et a une idée très imagée pour décrire ce contre quoi ils se battent : “Quand on sait pas quoi faire de quelque chose, on ne peut pas le mettre dans un trou et le refermer. C’est le principe de la poussière sous le tapis.”

Le débat est lancé depuis près de vingt ans et met au jour les problématiques temporelles du projet. Notamment celui de la gouvernance pour les cent ans à venir et l’ouverture de l’enfouissement des déchets aux pays étrangers, interdit pour le moment.


Illustrations et couverture par Marion Boucharlat pour Owni /-)
Photographies par Claire Berthelemy, CC BY-NC-ND et ANDRA.FR, tous droits réservés

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Areva trop intelligente http://owni.fr/2012/03/10/areva-trop-intelligente/ http://owni.fr/2012/03/10/areva-trop-intelligente/#comments Sat, 10 Mar 2012 14:45:39 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=100486

Tout commence début 2010, lorsque plusieurs dirigeants d’Areva commandent une enquête à une société d’intelligence économique, Apic, soupçonnant un des cadres de s’être enrichi sur le dos du groupe avec la bénédiction de la patronne, Anne Lauvergeon. OWNI s’est procuré de nombreux échanges entre Areva et cette petite structure, éclairant les soucis actuels du géant du nucléaire.

Car la saga judiciaire qui a débuté entre Anne Lauvergeon – qui a quitté ses fonctions en juin 2011 – et son ancien groupe, Areva, repose en particulier sur ce rapport établi par Apic, contestant le bienfondé d’une importante opération financière, l’achat d’UraMin. Une entreprise propriétaire de mines d’uranium en Afrique, achetée à prix d’or par Areva en 2007, et aujourd’hui au centre de toutes les polémiques.

Le rapport qui amnistie Areva

Le rapport qui amnistie Areva

Les affaires d'espionnage d'Areva et de sa présidente dépassent la simple récupération de factures détaillées. Et une ...

Sur le fond, difficile de prendre au sérieux les allégations portées contre Anne Lauvergeon et certains membres du groupe dans le rapport d’Apic. D’ailleurs, en interne, entre mai 2010 et le début de l’année 2011, le rapport n’avait provoqué aucun remous ; ne contenant aucune preuve matérielle autre qu’un livre disparu et des liens menant vers les pages internet du site d’Areva. Juste de quoi alimenter des rumeurs. Jusqu’à ce que Sébastien de Montessus, qui vient donc d’annoncer sa démission de son poste de directeur de la branche minière d’Areva, ne s’en serve comme catalyseur pour commander cette fois une mission d’espionnage à une officine privée suisse, Alp Service. Cette fois, la limite de la légalité est franchie en surveillant le couple Lauvergeon. En épluchant agendas et appels téléphoniques, sans rien trouver de probant d’ailleurs pour étayer les supputations du rapport Apic.

Catimini

À ce jour, le départ précipité de Sébastien de Montessus pourrait en annoncer d’autres. Puisque dans les faits, d’autres hauts responsables d’Areva ont cautionné le travail d’Apic, à l’origine de toute l’affaire, comme le montrent les différents documents. Comprenant propositions, devis, contrat, facture et diverses notes internes.

Les noms de plusieurs dirigeants y apparaissent, tels Thierry d’Arbonneau, responsable de la Direction de la protection du patrimoine et des personnes, Gérard Arbola, membre du directoire, Nanda Nègre, chef de marché en charge du secteur protégé au sein de la Direction des Achats, Olivier Grégoire, directeur de l’intelligence économique du groupe. Et le service finance-gestion pour faire entrer cette enquête dans les bonnes cases de la comptabilité.

Un premier mail du 27 janvier 2010 permet de dater la construction des soupçons. Il prévient laconiquement du lancement d’une étude sur l’acquisition d’une autre société minière, Swala, dont un des actionnaires n’est autre que Daniel Wouters, l’intermédiaire d’Areva au cours de l’acquisition d’UraMin. Les commanditaires le soupçonnent de s’être précédemment enrichi sur le dos d’Areva.



Très vite, les échanges entre Marc Eichinger, dirigeant d’Apic contacté par Areva et les représentants du groupe s’intensifient. Jusqu’à la présentation d’un devis et une “demande d’achat” – de l’enquête – dans les registres comptables le 9 février 2010. Laquelle va s’étendre à l’acquisition d’UraMin. L’intitulé ne laisse pas de doutes : “recherche d’information à la demande de la BU Mines”. Le tout validé par Olivier Grégoire et Thierry d’Arbonneau entre autres.



Le contrat est parachevé le 23 février 2010. Pour 20 000 euros hors taxes, signé par les deux parties, comme en témoigne le document du service achat d’Areva. La commande de prestation d’intelligence économique à Marc Eichinger est naturellement accompagnée des conditions générales d’Areva, comme pour un banal contrat de prestations de service.


Conséquences

Le rapport, accusateur et manifestement soupçonneux, est remis le 5 avril à Areva. Dans les quelques pages de l’analyse d’Apic, Marc Eichinger est formel et à charge. La direction d’Areva – et de fait Anne Lauvergeon – a manipulé et dupé l’Agence des participations de l’État (APE), Bercy, et même EDF (un temps sollicité pour UraMin) :

La direction d’Areva a manipulé les représentants d’EDF et sans doute également Bercy de la même manière. Depuis le début tout est faux et il n’est pas question d’aborder une autre cible qu’UraMin. Il ne peut s’agir d’une erreur humaine individuelle ou collective.

Après réception du rapport et lecture des conclusions, Thierry d’Arbonneau met dans la boucle Gérard Arbola, membre du directoire, lequel se défend aujourd’hui d’avoir été mis au courant. Dans les conclusions que Thierry d’Arbonneau propose, ne sont mentionnés ni Apic, ni Marc Eichinger. Même si ses analyses sont reprises. En conclusion de la note interne, il explique :

- L’achat d’Uramin soulève beaucoup de questions et de suspicions [...]
Risques :
Si un expert se penche sur le dossier et les documents cités, il pourrait relever :
- un conflit d’intérêt avec l’activité minière indépendante de D.W. [Daniel Wouters, NDLR]
- le personnage de D. W. et son recrutement dans le groupe.
- Les bénéficiaires de la vente d’Uramin
- La diffusion d’informations erronées au marché.
- L’exactitude incertaine des bilans.
- Les conséquences économiques



Au sujet du rapport d’Apic, son auteur, Marc Eichinger a tenté de se justifier en expliquant le contexte de l’époque. Il a notamment confié au Parisien :

Il y [avait] un faisceau d’indices sérieux et concordants qui démontrent qu’Areva a été victime d’une escroquerie. [...] En 2006, Daniel Wouters, vétéran de la finance minière, se retrouve du jour au lendemain à la tête de la division mines d’Areva. D’ordinaire, quand une entreprise de ce calibre cherche un responsable, le processus est long. Mais Wouters connaissait le mari d’un cadre dirigeant, dont je ne peux dévoiler le nom.

Pourtant dans ce rapport qu’Areva a payé 20 000 euros, aucune preuve de la culpabilité des uns ou des autres dans le rachat de la petite société minière. De simples supputations. Depuis, un courrier du 19 janvier 2012 émanant d’Areva a intimé à Marc Eichinger de se taire dans les médias.



L’affrontement entre Anne Lauvergeon et l’actuelle direction d’Areva devrait connaître d’autres développements, rapidement. Contacté dans le cadre de cet article, les représentants Areva n’ont pas souhaité s’exprimer.


Illustrations et couverture par Marion Boucharlat pour Owni /-)

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Uranium appauvri http://owni.fr/2012/03/07/nucleaire-deficitaire/ http://owni.fr/2012/03/07/nucleaire-deficitaire/#comments Wed, 07 Mar 2012 15:29:11 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=101007
Dans un rapport de 118 pages remis par la Commission des finances de l’Assemblée nationale ce mercredi, deux députés rendent leur avis sur l’état financier des majors du nucléaire français, Areva et EDF. Avec en ligne de mire, la mauvaise gestion des différents acteurs, État compris. Qu’ils épinglent.

Après des comptes-rendus publiés en octobre dernier, les deux députés Marc Goua (PS) et Camille de Rocca Serra (UMP) en remettent donc une couche sur la gestion bancale d’EDF et d’Areva et leur manque de transparence. Deux entreprises orchestrés par un état actionnaire majoritaire mais quasi-mutique.

L’information ne filtre pas

Sur l’affaire de l’acquisition désastreuse de la société UraMin par Areva, les députés apportent quelques révélations. En particulier, ils expliquent qu’EDF, client d’Areva, avait également été intéressé par cet achat, mais avait décliné l’offre en raison des informations obtenues par les dirigeants d’EDF. Ainsi, alors que l’État est actionnaire dans les deux groupes, dans un cas (EDF) il évite une catastrophe financière, dans l’autre cas, il la laisse se dérouler (Areva).

Pire, selon le député Marc Goua, c’est par l’entremise de la banque d’affaires Goldman Sacchs, par ailleurs actionnaire minoritaire d’UraMin , que le groupe EDF est informé de la santé précaire de cette entreprise.

Mais l’information ne filtre pas, en raison des rivalités entre les géants du nucléaire français. Pour les députés, EDF avait des informations que ni l’Agence des participations de l’État (APE) – représentant l’État au sein des conseils d’administration – ni Areva n’avaient en main. Sans se focaliser sur la responsabilité de l’APE, Camille de Rocca Serra le martèle :

On le voit à travers la réponse d’EDF, il n’y a pas de transmission de l’information, l’APE n’a pas toutes les informations et les bonnes informations. […] C’est un problème de gouvernance, un problème entre Areva et l’APE et un problème entre EDF et Areva.

L’habile communication des dirigeants de la société avant rachat, le désengagement d’un fond chinois – qui devait prendre part au capital à hauteur de 49% dans UraMin, information non vérifiée par l’APE selon les deux députés – , la réactivité limitée d’Areva, le manque de vigilance de l’APE et l’absence de communication, tout autant de facteurs qui ont joué en défaveur des acheteurs. Malgré ce constat, Camille de Rocca Serra se voulait rassurant aujourd’hui lors de la présentation de ce rapport, quant aux relations nouées entre EDF et Areva :

Nos deux champions ont amélioré leur partenariat. Les relations entre les deux entreprises se sont nettement améliorées.

Focus sur Areva

Le document déposé ce matin vient conclure des mois d’enquête et d’auditions. Si les premières investigations, débutées en juin 2011, les avaient menés devant une porte close à l’Agence de participation de l’État (APE), pendant la seconde phase d’auditions, les fonctionnaires ont été obligés d’ouvrir leurs cartons aux parlementaires mandatés par Jérôme Cahuzac, président de la Commission des finances de l’Assemblée.

Le rapport qui punit Areva

Le rapport qui punit Areva

Opacité. Acquisition désastreuse. Comptabilité mystérieuse. Le rapporteur de la Commission des finances a remis hier soir ...

À la demande de ce dernier, les deux députés avaient déjà fait part de leurs craintes sur les finances d’Areva, dans une première synthèse datée du 12 octobre 2011. Ils avaient auditionné pendant quelques mois les principaux responsables des instances décisionnaires des acquisitions, ventes et finances des deux entreprises, Anne Lauvergeon et Luc Oursel compris.

Le rapport d’étape, dévoilé par OWNI (voir ci-contre) pointait déjà du doigt les finances désastreuses d’Areva, conséquences de deux opérations pour le moins malheureuses. Ladite acquisition d’UraMin en 2007 – qualifiée a posteriori de “beau succès pour l’entreprise” par l’APE – et les retards de l’EPR finlandais, d’un cout initial de 3 milliards d’euros et pour un surcout total de 6 milliards. Le rapport s’étonnait de la quasi absence des responsables de l’APE, pourtant garant étatique de la sécurité des opérations financières des entreprises dans lesquels l’État est actionnaire majoritaire.

Depuis, l’acquisition d’UraMin a suscité bon nombre de réactions et déballages dans les médias, espionnage d’Anne Lauvergeon à la clef. L’EPR finlandais reste toujours en retard et les provisions coutent aussi cher que l’acquisition de la petite société minière UraMin.

Ce fiasco imputé à l’ancienne présidente d’Areva, le retard de l’EPR, lui, l’est à Luc Oursel, l’actuel président, les deux se sont longuement querellés par médias interposés et devant les tribunaux. Tribunal de commerce pour le gel des indemnités d’Anne Lauvergeon, suspendues à la remise d’un audit interne sur l’acquisition d’UraMin. Et Tribunal de grande instance pour les différentes affaires d’espionnage de l’ancienne présidente du groupe.

Areva, après avoir enregistré une perte de 2,4 milliards d’euros pour l’année 2011, cherche à vendre ses parts dans Eramet, décision prise en juin 2009 lors d’un conseil de surveillance, au Fonds stratégique d’investissement. Malgré un besoin de cash et les excellents résultats du FSI l’an dernier, ce dernier a décidé d’octroyer à Areva 500 millions en liquide sur les 776 millions des parts d’Areva dans Eramet et le reste en action chez … Danone et Air Liquide. Pas de quoi voir venir les milliards manquants.


Illustration et couverture par Marion Boucharlat pour Owni /-)

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Planque radioactive http://owni.fr/2012/02/14/planque-radioactive/ http://owni.fr/2012/02/14/planque-radioactive/#comments Tue, 14 Feb 2012 10:20:10 +0000 Claire Berthelemy et Fabien Soyez http://owni.fr/?p=95624

Cigéo : modélisation de la zone du futur site principal, vue en surface. ©ANDRA

Entre les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, à proximité du village de Bure, étrange ambiance. Depuis 1993, un site d’enfouissement de déchets nucléaires est en projet. Actuellement en cours de construction et baptisé Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), il pourrait à terme confiner pendant des milliers d’années 65 300 m3 de déchets de moyenne activité et 7 910 m3 de déchets de haute activité.

15 km2 sous-terre

Pour faire accepter le projet, deux groupes d’intérêt public formés pour l’occasion achètent la paix civile en arrosant de subventions les communes et les entreprises : Objectif Meuse et le GIP de Haute-Marne. Dans l’un de ses avis rendu en janvier 2010, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), régulateur du projet, rappelle :

l’importance qu’il y a à choisir un site pour stocker les déchets de haute et moyenne activité à vie longue en vue d’une mise en exploitation du centre de stockage en 2025.

Surtout compte tenu de l’étendue du site : quelques 300 hectares d’installations en surface et 15 km² d’installations souterraines, situées à 500 mètres de profondeur dans une couche d’argile. Avec le projet Cigéo, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) cherche à réaliser un site fermé mais “réversible” pendant au moins un siècle. Cigéo devrait être construit autour du petit village de Bure, 94 habitants. Depuis 15 ans, les opposants au projet sont nombreux, qu’il s’agisse d’associations comme Bure Stop ou d’élus locaux.

L’idée d’un enfouissement souterrain des déchets nucléaires n’est pas nouvelle. En 1988, quatre départements, l’Ain, l’Aisne, le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres, avaient été retenus pour la création de “centres de stockages souterrains”.

Des “travaux de recherche sur le terrain” avaient aussitôt commencé. Face à une “opposition ferme et résolue d’une grande partie des populations concernées”, les travaux avaient été suspendus deux ans plus tard. “L’idée de l’enfouissement est dans les cartons depuis longtemps, l’Etat a juste modifié son approche”, se rappelle Nadine Schneider, porte parole de Bure Stop, association membre du réseau Sortir du nucléaire. Fin 1991, la loi Bataille sur la gestion des déchets radioactifs est votée. La porte-parole de Bure Stop soupire :

On ne parlait alors plus d’enfouissement, mais d’un laboratoire de recherche. Un projet scientifique, présenté comme porteur d’emplois et bénéfique pour l’économie des départements. C’était comme un cheval de Troie, en prévision d’un enfouissement futur.

Cigeo, modélisation de la zone d'accueil des déchêts, vue en surface. ©ANDRA

En 1993, quatre nouveaux départements sont candidats, comme en 1988 : le Gard, la Vienne, la Meuse et la Haute-Marne. Cette fois, indique Nadine Schneider, “on fait miroiter aux départements un financement très important.” Arsène Lux, maire de Verdun, était conseiller municipal à l’époque.

L’État avait choisi la Meuse parce qu’elle était faiblement peuplée. À Verdun, il y a eu un vote unanime des conseillers généraux du moment en faveur du laboratoire. Trois semaines après, l’Andra a publié une brochure qui ne laissait pas de place au doute : il ne s’agissait pas seulement d’un laboratoire, vu la taille du site, mais d’un futur centre de stockage. On nous avait roulé dans la farine.

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L’uranium enrichit la campagne

Curiosité française : les villages proches des centrales nucléaires sont gâtés pourris. Pour le meilleur et pour le ...

En 1999, un décret autorise la construction de ce laboratoire de Bure, officiellement pour étudier les formations géologiques profondes où pourraient être stockés des déchets radioactifs. Pour accompagner économiquement le laboratoire, deux groupements d’intérêt public (GIP) sont donc créés : Objectif Meuse et le GIP de Haute-Marne. Deux importantes structures de lobbying ad-hoc, créées pour convaincre les élus et la population d’accepter ces projets d’enfouissement de déchets.

Chacune de ces organisations disposait à l’origine d’une manne financière de plusieurs millions d’euros par an, issue des taxes d’accompagnement et de la taxe de diffusion technologique sur les installations nucléaires (en provenance pour 78% d’EDF, 17% du CEA et 5% d’Areva) : 9,1 millions pour la Meuse et 9,2 pour la Haute-Marne. Aujourd’hui, les deux enveloppes frôlent les 30 millions d’euros chacune. C’est ce que Nadine Schneider appelle la “valse des millions” :

Depuis 13 ans, l’Andra et les GIP distribuent de l’argent un peu partout, aux collectivités locales, aux entreprises. Tout le monde est arrosé. Dans le même temps, l’Andra fait miroiter la création de 800 emplois avec la création du site, alors qu’il s’agira d’emplois extrêmement spécialisés, qui ne toucheront que peu de locaux. Quand les GIP parlent d’un “accompagnement financier”, c’est un terme pour dire qu’ils achètent légalement les consciences.

Vue de la future galerie d’accès aux alvéoles de stockage de déchets de haute activité (les alvéoles sont dans derrière les portes circulaires rouges) ©ANDRA

De 2000 à 2008, le GIP Objectif Meuse a financé environ 1 400 projets et octroie aux communes les plus proches de Bure, une dotation de 400 euros par habitant – en moyenne. Le GIP de Haute Marne a quant à lui 18 communes en “zone rapprochée”. Eric Durand, l’un des maires de la zone concernée, touche 600 euros de subventions par habitant. Proche du dossier, un consultant en développement économique constate :

EDF et Areva apportent beaucoup d’argent pour appuyer la structure de recherche, mais aussi pour “dédommager” les deux départements des effets de l’installation de Cigéo. On assiste à des choses aberrantes, à des situations absolument ubuesques, des villages de 200 habitants qui voient la construction d’un passage piéton ou l’éclairage financés… Dans un village, une église ouverte deux fois par an est chauffée toute l’année. Tout cela n’est pas anodin.

Depuis 2006, une nouvelle loi entérine le projet de site de stockage Cigéo, prolongement du Laboratoire. A Verdun, Arsène Lux n’hésite pas à se déclarer “vent-debout opposé à toute notion d’enfouissement” :

Creuser un trou, jeter les déchets dedans puis l’oublier, avec les risques potentiels mais probables qui en découlent, est une insulte à nos générations futures. C’est la solution de facilité, alors qu’il faudrait explorer les possibilités de transmutation, de traitement, afin de réduire la durée de vie des déchets. Cela coûte de l’argent, mais il faut le faire, et on n’a jamais engagé d’argent pour des études dans ce sens.

Pour le maire, “le simple fait d’avoir une poubelle nucléaire entraîne un préjudice d’image pour la Meuse” qui justifie l’argent grassement distribué par les GIP.

Cigeo, stockage des déchets nucléaires, vue en coupe du futur site. ©ANDRA

La Meuse sera la poubelle nucléaire de France ! Je n’ai pas envie que l’on fasse le lien entre la poubelle nucléaire et Verdun, une terre d’Histoire, sa bataille et son message universel du “plus jamais ça”. Pour corriger le préjudice d’image, ce n’est pas 30 millions qu’il faudrait avoir, c’est beaucoup plus que ça !

Où l’on arrose la Meuse et la Haute Marne

Dans la Meuse, Verdun, situé à 70 km de Bure-Saudron, a reçu d’Objectif Meuse 30 181 euros pour l’organisation de la Foire Nationale de Verdun, l’une des “plus importantes manifestations en Meuse” en 2010. Arsène Lux déclare :

Cet argent ne me dérange pas un quart de seconde, c’est une question de justice. Celui qui entraîne un préjudice doit le corriger ! Le GIP corrige un préjudice, compense un manque à gagner parce que nous aurons moins de touristes. Mais je préférerais me passer de cet argent !

Les élus parlent d’un GIP “vampirisé” par le Conseil Général. Et pour cause : Christian Namy, le président d’Objectif Meuse, est également le président du Conseil Général de la Meuse depuis 2004. Un président mis en examen, en 2007, pour usage de faux et prise illégale d’intérêts. Il lui était reproché, par la Cour des Comptes, de nombreuses “irrégularités” concernant la gestion du Lac de Madine et de sa base de loisirs. En 2009, il avait été condamné à 3 mois de prison avec sursis et à 3.000 euros d’amende pour “faux et usage de faux en écriture publique”.

Chaque année, le département perçoit directement plusieurs millions d’euros de la part du GIP, selon Christian Namy, qui présente Objectif Meuse en termes élogieux :

Les 30 millions d’euros par an du GIP servent à développer le secteur où Cigéo sera construit. Objectif Meuse sert à accompagner les projets des collectivités et des entreprises. Entre 500 et 1000 salariés vont venir travailler sur le site, ça nécessite des fonds, c’est de l’accompagnement. Le but d’Objectif Meuse, c’est de donner un cadre de vie agréable aux salariés.

Gilles Barnagaud, premier adjoint au maire de Bar-Le-Duc, situé à 40 km du futur Cigéo :

C’est un marché de dupes. L’Etat n’assume plus certaines compétences, il donne de l’argent en compensation au département, mais il ne l’a pas remboursé à 100%. Cela avait été l’objet d’une fronde de sept départements, en 2010, qui avaient menacé l’Etat d’un procès pour anti-constitutionnalité. La situation n’a pas changé, du coup, la Meuse se sert du GIP pour mener sa politique.

Galeries du laboratoire de Bure ©E.Sutre

Jean-Pierre Remmele, maire de Bonnet, un petit village de 198 habitants, 7 habitants au kilomètre carré, situé à 500 mètres du futur site, assume totalement l’argent qu’il perçoit du GIP, même s’il s’est toujours opposé au Labo puis à Cigéo.

En janvier 2010, notre conseil municipal s’est prononcé contre Cigéo. Quand il y a eu la réunion du GIP, tous les élus regardaient leurs chaussures en me disant bonjour. Il n’y a jamais eu de consultation des élus et des habitants du département… On nous balance des valises de billets sur la table, le GIP arrose l’ensemble de la Meuse et tout le monde en profite.

En 2010, Objectif Meuse a versé à la commune de Bonnet une dotation de 104 613 euros (500 euros par habitant), ainsi que 36 209 euros pour “mettre en valeur le village par la lumière”, 4801 euros pour “améliorer les accès et la desserte” de la boulangerie du village, et 13 915 euros pour restaurer deux fontaines.

Quand on voit l’état du département, vous pensez bien que les élus ne crachent pas sur cet argent. Je ne l’accepte pas pour moi, mais pour mes administrés. Notre commune a besoin d’argent, nous avons un monument historique a retaper… Mais nous ne sommes pas dupes, et ce n’est pas cet argent qui nous fera adhérer à Cigéo, bien au contraire ! A partir du moment où le site n’est pas encore construit et qu’on arrose déjà les gens de cette façon, il y a quelque chose de pas clair. Un conseiller général d’un village voisin a dit qu’il espérait que “les fonds d’accompagnement, autrement dit la dotation, seraient à la hauteur des “sacrifices” faits par les territoires”. Ça veut tout dire.

Futur stockage d’un colis de déchets de moyenne activité à vie longue. ©ANDRA

A Bar-le-Duc, ville de 15 757 habitants, Gilles Barnagaud parle d’un “effet d’aubaine”. Tous les ans, la commune perçoit plusieurs centaines de milliers d’euros destinés à financer la création d’une future gare multimodale et le Festival Renaissances, le grand évènement culturel annuel du coin. En 2010, le GIP aura distribué 143 275 euros à Bar-le-Duc pour l’organisation de ce festival.

La subvention, on aurait tort de ne pas en profiter. On nous soudoie, l’Etat essaie de nous faire passer la pilule, il tente de calmer sa conscience par une pièce de cent sous. Mais cet argent, c’est une aubaine pour un département en perte de vitesse. Ce que nous n’avons pas par le département, nous l’avons par le GIP. Mais cet argent ne nous fera pas changer d’avis : au conseil municipal, une majorité est contre le Laboratoire et encore plus contre Cigéo. L’argent, on nous le donne, on le prend, mais on ne nous achètera pas.

Bertrand Pancher, député de la Meuse, soutient l’action du GIP et Cigéo, “une chance pour le développement économique du département”, et insiste sur la nécessité d’une “justice fiscale” :

L’argent part partout dans les deux départements, mais pas de façon égale entre les villages. On soutient un projet à Verdun, à 70 km de Bure, mais à Mandres en Barrois, à 4 km de Bure, il y a des emplacements, des logements disponibles, mais les chercheurs ne veulent pas venir car il n’y a pas le haut débit… Les habitants du village disent qu’on ne les aide pas assez, qu’ils ont besoin d’aide pour rendre leur village plus attractif. Il faut remettre tout cela à plat, pour éviter que certaines communes se retrouvent avec des robinets en or et des piscines, alors que la Meuse et la Haute-Marne sont des départements en difficulté économique.

Les entreprises aussi ont touché une bonne part du pactole. Certaines sans véritable lien avec le secteur du nucléaire. Au total, ce sont 85 entreprises qui ont bénéficié d’aides, le plus souvent, à “l’acquisition de matériel”. A Savonnière, les Fromageries Bel ont touché de 363 316 euros pour construire un nouveau garage. A Fains Véel, à 52 kilomètres de Bure, le Laboratoire Dentaire Etienne s’est vu financer son matériel de production à hauteur de 13 398 euros.

La Haute-Marne n’est pas en reste. OWNI a obtenu la liste des subventions allouées aux entreprises et communes du département sur l’année 2011 : plus de 300 aides allouées à des projets divers et variés pour les communes, proches ou non du laboratoire d’enfouissements de déchets de Bure.

Puits d'accès au laboratoire de Bure en cours de construction. © P.Demail

En 2013, un débat public est prévu. Pour Nadine Schneider, de Bure Stop, “ça ne changera sûrement rien”. La militante critique un “habillage de communication”, un projet où “tout est écrit d’avance”, et où les élus locaux, “qui disaient oui au Labo mais non à l’enfouissement” dans les années 1990, ont accepté la notion de “stockage réversible” :

Dès le début, il n’y a eu aucune vraie consultation de population, à part quelques petites réunions, qui étaient tout sauf de la consultation. Il y a bien eu un débat public en 2005, mais tout était déjà réglé avant le débat, alors que des études disaient que l’enfouissement n’avait pas le vent en poupe auprès des citoyens. Le “stockage réversible”, c’est un terme inventé, un jeu de sémantique, alors qu’en réalité, il s’agit d’un stockage définitif.

En 2015, l’Andra remettra au gouvernement et à l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) une demande d’autorisation de création du site Cigéo. Si la demande est acceptée, “le GIP sera remplacé par des investissements, entre 10 et 15 milliards d’euros pendant trente ans”, explique Bertrand Pancher. “La question est de savoir où iront ces investissements. Il faut que l’argent soit partagé équitablement, notamment pour installer dans de bonnes conditions les futurs salariés du site.” Et d’avouer à demi-mot l’intérêt des conseillers généraux lors de la présentation du projet du Laboratoire de Bure :

Il y a 15 ans, on ne parlait pas clairement du sujet du stockage, on parlait du Labo de recherche. Il y a eu un lobbying des conseillers généraux, qui ont vu là une manne financière importante. Ils ont dit “on s’est battus pour accueillir cet équipement, on veut que ça nous revienne”.

A terme, “Cigéo générera en contrepartie des retombées fiscales pour les collectivités, des impôts et des recettes”, se réjouit Bertrand Pancher, qui réclame néanmoins des “garanties” lors d’un “véritable débat public” en 2013, quant à la sécurité du site d’enfouissement.


Illustrations  ANDRA.FR, tous droits réservés ; Photos par E.Sutre, P.Demail et Studio Durey pour l’ANDRA, tous droits réservés.

Couverture : déchet nucléaire vitrifié par PNNL Pacific Northwest National Laboratory (CC-byncsa)

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Are-Vah en hindi dans le texte http://owni.fr/2012/02/06/are-vah-areva-jaitapur-inde/ http://owni.fr/2012/02/06/are-vah-areva-jaitapur-inde/#comments Mon, 06 Feb 2012 13:40:50 +0000 Ophelia Noor et Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=94452

Le port de Sakrinate a une économie prolifique. 1er port de pêche de la région, il fait face au plateau de Jaitapur convoité pour l'installation du complexe nucléaire. © Micha Patault/Picture Tank

Le projet de centrale nucléaire d’Areva dotée de deux réacteurs EPR dans la ville de Jaïtapur, en Inde,  a poussé le photojournaliste Micha Patault à s’intéresser de plus près à la question. Son projet de documentaire, est malicieusement intitulé ARE-VAH, interjection qui signifie “oh putain” ou “oh la la” en hindi. Un reportage au long cours sous forme de road-movie, commencé en 2011 pendant la catastrophe de Fukushima. Le jeune réalisateur repart sur le terrain dans deux semaines, avec la preneuse de son Sarah Irion. Une collecte de fonds est organisée sur Kiss Kiss Bank Bank pour soutenir le son projet. Entretien.

Comment est née l’idée de ce documentaire ?

L’Inde est un terrain que j’appréhende bien, je m’y rends depuis 10 ans, je parle hindi couramment. Je l’ai étudié car je voulais connaitre cette société. J’ai travaillé ensuite sur les conséquences de l’affaire Bhopal pendant 4 ans. C’est aussi à ce moment là que je me suis rendu compte que la photographie pouvait avoir un impact, être documentaire.

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À mon retour, je me suis ensuite penché sur la question du nucléaire à plusieurs reprises. J’ai d’abord été aux États-Unis à Richland, ville berceau du nucléaire, où j’ai réalisé un webdocumentaire,Atomic City. Mon but était de comprendre l’origine de l’épopée nucléaire. Puis, je suis revenu vers le cas français et j’ai documenté la transition énergétique pour le compte de Greenpeace. J’ai alors imaginé une trilogie sur le nucléaire, en plongeant d’abord dans le passé comme à Atomic City, dans le présent à Jaitapur, et dans le futur.

Pourquoi faire de Jaitapur le symbole du présent nucléaire ?

C’est important de symboliser le présent par l’acte et pour moi c’est Jaitapur. Sans aucun jugement de valeur par rapport à Fukushima évidemment, car on est face à quelque chose de très grave. Mais je trouvais plus intéressant de symboliser le présent nucléaire par les décisions des états et la responsabilité des entreprises dans le cadre d’un futur projet de centrale comme à Jaitapur, plutôt que par les conséquences d’une catastrophe comme celle de Fukushima. L’idée était de prendre le contre-pied de ce désastre japonais en travaillant sur la question indienne sachant que nous, français, sommes actuellement dans cette problématique. C’est Areva, et des banques françaises comme la BNP [La BNP - entre autres - devrait prêter à l'état Indien pour l'achat des EPR, NDLR] et les contribuables français qui sont directement impliqués dans ce projet indien. Et ça rejoignait ma logique de recherche et la logique temporelle dans cette chronologie du nucléaire. Plus tard, je me consacrerai au troisième volet du futur sur les déchets nucléaires. Mais ce qui me presse aujourd’hui c’est de traiter, surtout pendant cette période d’élection présidentielle, la question du nucléaire.

Les pancartes anti-nucléaires sont confisquées par les autorités. Cinq villages doivent être évacués, mais les habitants résistent et se mobilisent. Village de Madban. ©Micha Patault/Picture Tank

Vous étiez à Jaitapur lors de la catastrophe de Fukushima. Quelles ont été les réactions des Indiens ?

Les gens en Inde sont très au fait de Fukushima. J’étais à Jaitapur quand la catastrophe est arrivée. Je me rappelle de Pradip, leader d’un petit groupe, qui m’appelle et me dit : “c’est peut-être notre chance ce drame. Ils vont abandonner le projet !” Fukushima a provoqué un énorme raz de marée médiatique en Inde. Le projet nucléaire de Jaitapur et la catastrophe de Fukushima étaient partout dans les médias. Mais il faut déjà beaucoup de force pour lutter contre son gouvernement d’état.

Vous repartez dans deux semaines, une collecte de fonds est lancée sur Kiss Kiss Bank Bank, qu’est ce qu’il vous manque pour avancer dans l’enquête ?

Pour le moment, je n’ai que des constats de faits. J’étais là-bas en mars 2011, j’ai recueilli les témoignages de plusieurs personnes, des pêcheurs, des leaders locaux, des institutionnels comme Greenpeace et l’activiste anti-nucléaire Vaishali Patil. Mais je veux aller plus loin. J’ai des questions qui demandent à être démontrées. Par exemple, si cette région est aussi sismique qu’ils le prétendent alors pourquoi le projet a-t-il été accepté ? Sur l’échelle de l’Inde, la région de Jaitapur est classée niveau 4 sur les 5 zones. Depuis la signature de l’accord avec la France, la zone a été re-classée au niveau 3. Pourquoi ? Je voudrais aller interviewer le spécialiste de cette question qui se trouve à Delhi. Côté financier et partenariats, des négociations sont en cours sur le son avec des radios. Et pour le web-documentaire, Picture Tank m’aide sur la levée de fonds et dans la recherche d’un diffuseur et d’un producteur. La collecte de fonds sur KissKissBankBank servira uniquement à financer le reportage à venir.

Quelle trame narrative avez-vous envisagée pour construire le webdocumentaire ?

Je suis d’abord parti d’un constat. À Jaitapur j’ai vécu et senti une grande pression policière. Le terrain était très compliqué, j’ai du me cacher. Je portais constamment mon topi musulman, avec ma barbe, pour me faire passer pour un local. Les gens ont peur, on le sent. Une zone entière va être dépeuplée et cinq villages vont être évacués. La pression est forte. Pour me déplacer jusque cette zone il m’a fallu prendre de gros risques. Et je sentais que j’en faisais prendre aussi aux gens qui me côtoyaient. C’est en racontant cette expérience à mon retour en France que des personnes m’ont fait réaliser que le plus intéressant était de montrer cette pression et cette peur sur place. En le vivant soi-même. Du coup, j’ai réfléchi à comment je pouvais montrer cela de manière humaine. C’est à ce moment que m’est venue l’idée du protagoniste local qui mènerait l’enquête à mes côtés sous la forme d’un road-movie à travers ces différents lieux, entre le Bhopal et Jaitapur.

Pravin Gavankar est président du Jahnit Seva Samiti, leader de la lutte anti-Jaitapur. "Les autorités répriment sévèrement notre mouvement pacifiste. J'ai fait plusieurs séjours en prison et nous sommes régulièrement menacés." Village de Madban. ©Micha Patault/Picture Tank

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce protagoniste et sur le point de vue adopté ?

Je n’ai pas l’habitude de partir en équipe et écrire me prend beaucoup de temps. Je travaillerai avec Sarah Irion qui est preneuse de son et rédactrice. La troisième personne est donc Sanjay Verma, un indien, totalement engagé dans l’histoire de Bhopal que j’ai rencontré en 2011. À la fois victime et acteur majeur, il a perdu toute sa famille dans la catastrophe de Bhopal à l’âge de trois ans. Il a 29 ans aujourd’hui, fait des études à Delhi et se trouve à la tête d’une association, Students for Bhopal. Sanjay se bat au quotidien pour faire reconnaitre les droits des indiens et la responsabilité de Dow chemicals [Anciennement Union Carbide, NDLR] dans cette catastrophe. Sanjay endosserait donc comme moi le rôle d’enquêteur sur Jaitapur. Mais ce qui m’intéresse encore plus c’est d’avoir sa vision et ses réactions à chaud après un rendez-vous ou une rencontre. Comment on montre un anachronisme de l’état, entre les décisions prises aujourd’hui et le fait qu’aucune leçon ne semble être tirée du passé. Je voudrais le montrer de façon humaine et de cette manière là, réussir à impliquer le public dans cette histoire.

Amjad Borkar, leader de la Ligue des Pêcheurs. Sakrinate. "Si ce projet se réalise, les habitants de toute la région seront obligés de fuir." © Micha Patault/Picture Tank

Justement, l’enquête se déroulera sur la route entre Bhopal et Jaitapur. Pourquoi avoir pris Bhopal comme point de départ ?

La mémoire industrielle de l’Inde c’est justement la catastrophe chimique de Bhopal. Cela fait plus de 27 ans que les victimes se battent pour obtenir une compensation plus plus juste. L’Inde a ce passé et cette conscience de la responsabilité des entreprise étrangères. C’est une question très sensible qui peut mettre le feu aux poudres très rapidement. Bhopal est une verrue pour le gouvernement indien qui cherche à privilégier ses accords économiques avec ces entreprises. Et des pays comme les États-Unis et la France veulent prendre ces marchés de centaines de milliards de dollars. C’est pour cela que Bhopal me semblait un bon point de départ. Le lien entre le passé et le présent est fondamental.

Comment allez-vous travailler sur le terrain, avec quel medium allez-vous privilégier ?

La photo est très difficile sur le terrain. Le site nucléaire de Jaitapur n’est pas encore construit. Pour l’instant c’est du papier, des accords, des signatures. Il me fallait de l’image, du concret, des faits, une dynamique. Je vais privilégier la vidéo, avec le 5D et une GoPro. Sarah aura le micro. Je ferai de mon mieux pour la photo, mais le but c’est de passer inaperçu donc je prévois aussi filmer avec l’iPhone. J’ai peur que ça tourne mal bien sûr, qu’on me confisque des affaires. Je pense idéalement y rester un mois. Le temps de me mettre dans le bain. On partira de Bhopal avec Sanjay. On va faire les choses petit à petit, en prenant le moins de risques possibles. Nous allons passer par le village de Kudankulam dans l’état du Tamil Nadu au sud de l’Inde, pour voir son complexe nucléaire russe très controversé. Mais je dois faire très attention. Je sais aussi que la police là-bas commence à avoir des droits qui sont totalement anti-démocratiques.

L'économie de la pêche est prolifique dans la région de Jaitapur. Les pêcheurs dénoncent l'impact négatif de l'exploitation de la centrale nucléaire sur l'écosystème marin. Le port de Sakrinate compte 500 bateaux. @Micha Patault/Picture Tank

Vous parlez de la tension ambiante, maintenant de pressions policières ?

Au Kudankulam, les leaders sont déjà accusés de sédition et de guerre contre l’état. Le gouvernement indien vient d’autoriser les autorités policières du Tamil Nadu à arrêter les leaders qui s’opposent au projet de centrale. Ils risquent des peines à perpétuité alors qu’ils participent à des manifestations pacifiques. C’est peut-être ce qui attend Jaitapur. Les condamnations pourraient être les mêmes. Je pense qu’il y aura beaucoup de stress et de pression sur place car la construction commence en 2012 sachant que le réacteur devra être opérationnel en 2018.

Que peut-on dire de la pression financière ?

En 2010, une limite de dédommagement en cas de catastrophe nucléaire, a été signée. En cas d’incident nucléaire majeur, il sera demandé à l’entreprise étrangère une somme de 250 millions de dollars. C’est dérisoire et humiliant. Pour point de comparaison, la catastrophe chimique de Bhopal a reçu 470 millions de dollars au total. Et cette somme était déjà insuffisante. Là nous parlons de nucléaire, c’est encore plus grave car ce type de catastrophe ne connait pas de frontières. Mais c’est pourtant acté avec le gouvernement indien : Areva sait qu’elle ne devra verser qu’une toute petite participation de 250 millions de dollars alors que le contrat initial des EPR se monte à 7 milliards de dollars. Paradoxalement aujourd’hui aucun EPR ne fonctionne. Le gouvernement indien demande et attend toujours le compte rendu de nos centrales, l’audit de l’ASN (ndlr : Autorité de sûreté nucléaire).

Vijaya Kondekar a 75 ans. Elle a fait partie des 650 personnes arrêtées par la police à la suite d'une manifestation en 2010. Village de Madban. ©Micha Patault/Picture Tank

Quelles sont les conséquences pour les populations locales ? Comment réagissent-ils ?

Ce qui m’intéresse c’est ce combat qui s’annonce entre le peuple et le gouvernement. Des propositions d’alternatives ont-elles été faites ? Non. Beaucoup de choses n’ont pas été honorées. Les populations son perdantes, d’abord sur le prix des rachats des terres. Aujourd’hui le gouvernement local estime qu’ils ont racheté les terres, mais une centaine personne seulement ont vendu à prix d’or et elles vivent à Bombay. La majorité qui vit sur place, n’est pas au courant et ne veut pas vendre. C’est une question très délicate. D’ailleurs le gouvernement essaie de monter les communautés entre elles mais ça ne marche pas. Les populations ne laisseront pas tomber parce que l’économie de la pêche est phénoménale et vitale. Beaucoup de tibétains et de népalais sont saisonniers, et viennent gagner leur vie dans cette région six mois par an. Cette centrale et ces évacuations de populations vont toucher économiquement toute la région, bien au-delà de ces cinq villages.

Mansur A.Solkar, gérant de la société AF Sea Foods. Village de Sakrinate. "L'économie de la pêche ici est ancestrale. Nous avons de très bons revenus." ©Micha Patault/Picture Tank

Les militaires ont-ils un intérêt dans la construction de ces centrales ?

Ce sujet est intéressant, c’est un pays émergent, comme le Brésil, une des plus grande démocraties, c’est un symbole. Sur le côté militaire en Inde, j’aimerai une réponse d’un spécialiste sur le versant militaire. On pourrait soupçonner qu’une centrale aussi puissante puisse générer beaucoup de plutonium nécessaire a la construction du bombes. En fait c’est du MOX et un retour possible a du détournement de plutonium. Donc on passe du civil au militaire. C’est tout aussi dangereux. Étant donné que l’Inde n’est pas signataire du traité de non prolifération nucléaire elle pourrait cacher ses activités nucléaires militaires de manière légale. Si d’énormes centrales demain couronnent l’Inde avec du MOX on peut légitimement se poser la question de l’intérêt militaire. Les pressions sont peut-être aussi à chercher de ce côté là.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photographies par Micha Patault / Agence Picture Tank © Tous droits réservés Vous pouvez soutenir le reportage de Micha Patault en faisant un don sur la page KKBB dédiée au projet ARE-VAH.

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Les pancartes anti-nucléaires sont confisquées par les autorités. Cinq villages doivent être évacués, mais les habitants résistent et se mobilisent. Village de Madban. ©Micha Patault/Picture Tank

En Inde, au Sud de Bombay, près de la ville de Jaïtapur, dans une zone fortement sismique, Areva met en chantier la construction de deux réacteurs EPR de troisième génération. Ils pourraient entrer en activité en 2014. Le site où ils vont être implantés est distant d’environ 110 kilomètres de l’épicentre du séisme de Koyna de 1967 – d’une intensité de 6,3 sur l’échelle de Richter.

L’éventualité qu’un tremblement de terre endommage un jour les futurs réacteurs EPR semble avoir été minimisée jusqu’à présent – malgré des manifestations de la population locale au mois d’avril 2011.

6 sur l’échelle de Richter

Depuis quelques semaines pourtant, des recherches ont démontré le caractère sérieux de ce risque. Il s’agit d’une étude géologique publiée le 25 novembre dernier dans la revue scientifique Current Science, une publication éditée en partenariat avec l’Académie des sciences de New Delhi. Dans leur compte-rendu scientifique – que nous vous proposons de télécharger ici - deux géologues, Roger Bilham et Vinod K. Gaur, l’un professeur à l’Université du Colorado et l’autre ancien directeur de l’Institut indien de géophysique, démontrent l’absence de pertinence du choix de l’emplacement des EPR. Selon eux :

La région a les mêmes propriétés sismiques que les zone de Koyna et Latur où des tremblements de terre équivalent à 6,5 se sont produits ces cinquante dernières années (…) Un séisme d’une magnitude d’au moins 6 sur l’échelle de Richter pourrait frapper la région de Jaitapur.

La lecture de leurs travaux permet même de conclure que la survenue d’une telle catastrophe dans la zone de Jaïtapur représente davantage une question de temps. Un constat que ne partage pas le partenaire local d’Areva, l’entreprise publique Nuclear power corporation of India limited (NPCIL), chargé de la fourniture d’électricité et à ce titre futur exploitant des réacteurs. Dans un communiqué, le groupe dément la sismicité de la zone en faisant référence à d’autres travaux.

En France, les responsables d’Areva ne se montrent pas directement concernés. Au service com’ du géant du nucléaire, Jérôme Rosso, nous explique :

C’est aux autorités indiennes de décider où elles souhaitent implanter les centrales. Le risque sismique pour Areva est pris en compte dans le cahier des charges et donc dans la conception même des réacteurs.

Irréprochable

Are-Vah en hindi dans le texte

Are-Vah en hindi dans le texte

Micha Patault est un photographe spécialiste de l'Inde et du nucléaire. Après quelques semaines passées à Jaïtapur, ...

La décision d’implanter ces réacteurs nucléaires dans cette région est naturellement antérieure à la catastrophe de Fukushima du Japon et à ses enseignements. En septembre 2008, alors que l’Inde cherche à accroître sa production énergétique pour soutenir sa folle croissance, le gouvernement français signe un accord de coopération sur le nucléaire civil. Objet de cette entente franco-indienne : exporter des EPR français et le combustible pour les alimenter. Dans ce cadre, Jaïtapur passe pour la pièce maîtresse du nouveau parc nucléaire indien.

Quelques mois plus tard, en février 2009, le protocole d’accord entre les deux pays est conclu. Il prévoit la construction de deux à six EPR de 1650 Mégawatt à Jaïtapur.

La visite de Nicolas Sarkozy en Inde en décembre 2010 voit les contrats se signer entre le premier ministre Manmohan Singh et le Président français. Les deux accords cadres des deux EPR à Jaïtapur sont confiés à Areva. Dans une interview accordée au Times of India, Nicolas Sarkozy déclare alors :

La France, vous le savez, a été le premier avocat de l’Inde dans le monde sur la question du nucléaire civil. Nous avons été les premiers à agir pour sortir l’Inde de l’isolement dans lequel elle se trouvait depuis 1998 et pour qu’elle soit autorisée à nouer des coopérations dans ce domaine. Nous l’avons fait parce que l’Inde s’est toujours comportée de manière irréprochable en matière de non-prolifération et parce que l’Inde a besoin de l’énergie nucléaire civile, qui est une énergie propre, pour son développement.

Le plateau de Jaïtapur vu depuis le haut du village de Sakrinate, le plus important port de pêche de la région. Il ne sera pas évacué mais risque d'être très touché économiquement par l'installation du complexe nucléaire prévu juste en face. ©Micha Patault/Picture Tank

L’Inde, avec son milliard d’habitants, sa démocratie parlementaire et sa croissance à plus de 7% même après la crise de 2008 apparaît comme l’un des pays les plus fréquentables pour vendre la technologie nucléaire française. Et apporter à Areva un contrat juteux qui oscille entre 5 et 7 milliards d’euros, selon les options commerciales mises en oeuvre. Chez Areva, Jérôme Rosso explique :

Les discussions sont encore en cours concernant le contrat commercial, un accord a été signé en décembre et une étude de faisabilité a été faite pour les deux réacteurs EPR. NPCIL avait clairement indiqué qu’ils attendaient les résultats de l’Agence de sûreté nucléaire [française, NDLR] sur la sûreté et cette dernière a communiqué en janvier les modifications à apporter et les exigences qu’elle impose à EDF et Areva. NPCIL a déclaré début janvier qu’ils souhaitaient signer d’ici décembre 2012. Mais comme nous sommes en cours de négociation, nous ne pouvons pas communiquer sur le montant du contrat final.

Les volets commerciaux du contrat sont pour l’heure contrariés par la règlementation indienne sur la responsabilité du fournisseur en cas d’incident et l’indemnisation des victimes. Une loi est en train d’être discutée au Parlement indien qui obligerait Areva à indemniser ceux qui les poursuivraient en justice.

Une reproduction d'un article du Maharashtra Times trône sur la place du village de Sakrinate. Le journaliste Pradeep Indulkar y explique les effets de la centrale nucléaire sur l

Chez Areva, nos interlocuteurs se montrent confiants, cependant :

C’est de l’ordre de la responsabilité civile nucléaire : dans le cas indien, évidemment, on appliquera la loi indienne. Là pour le moment, le texte est étudié et des modifications peuvent être encore faites au Parlement.

Mais Bernard Bigot, président du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a justifié une de ses visites en Inde en décembre 2011 par l’importance de ce problème :

En Inde, se posait le problème de la loi sur la responsabilité civile nucléaire qui, à la suite de l’accident de Bhopal [mettant en cause l'industrie chimique, mais ayant fait jurisprudence] reportait des responsabilités sur le fournisseur, contrairement à la tradition de la filière nucléaire attribuant cette responsabilité à l’exploitant – ce qui est normal, puisqu’il est en première ligne. Je suis donc allé dans ce pays pour expliquer à nos partenaires indiens pourquoi leur choix n’était pas raisonnable. Je ne crois pas, en agissant ainsi, être sorti du cadre de mes fonctions.

Au-delà des aller-retours diplomatiques, des organisations militantes dénoncent l’absence de transparence du financement. Selon Greenpeace le premier contrat négocié par les deux entreprises de la filière nucléaire font monter à 5,4 milliards d’euros les deux réacteurs. Soit 2,7 milliards chacun. Financés à hauteur de 70% de dette et 30% de fonds propres du gouvernement indien.


Photographies par © Micha Patault /Picture Tank, tous droits réservés
Carte de l’Inde réalisée par Micha Patault.

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