OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “Bloggeurs contre presse: un discours dépassé non?” http://owni.fr/2011/03/02/blogeurs-contre-presse-un-discours-depasse-non/ http://owni.fr/2011/03/02/blogeurs-contre-presse-un-discours-depasse-non/#comments Wed, 02 Mar 2011 17:06:55 +0000 Emgenius http://owni.fr/?p=30611 Emgenius écrit pour Benzinemag et sur Emgeniux Owni News. Il est actif dans l’industrie des services mobiles depuis plus de 10 ans. Chargé de projets multimédias convergents – Chef de produit marketing – Mobile evangelist à ses heures chez Mobile en France et Geek le reste du temps. Eugenius est un grand fan de musique et de nouveautés technologiques, bref, le genre de passionnés qui nous passionnent chez OWNImusic.


Ok ça y est JD the DJ a réussi à me pourrir la journée. Enfin quand je dis la journée, j’exagère un peu… Que je vous explique:

JD et moi

Dans une critique mi-figue mi-raison du dernier Radiohead, il signale au compte de l’album the king of limbs que « Radiohead frappe pour une fois là où on l’attend. Soit dans un registre psalmodies/incantations/ dissonances/arythmies/tachycardie déjà abordé ailleurs. Le tout en format court (huit titres) et produit par le fidèle Nigel Godrich, avec tous les espaces, dérèglements et rituels espérés, attendus ou redoutés ». Je résume, parce que JD fait beaucoup de blabla dans son article (vache t’as vu ma vanne ?).

Dans la mesure où la bande à Thom est un groupe dont depuis plusieurs années maintenant je loue plus la démarche artistico-marketing plus que réellement le résultat musical – qui a fini de me perdre dans les circonvolutions de leur esprit musical génial mais dénué de la moindre once d’affectivité de ce grand cœur qui est le mien depuis une trentaine d’année (en gros Radiohead parle désormais plus à mon cerveau qu’à mon cœur) -, je suis plutôt enclin à me ranger à l’avis de JD Beauvallet ce qu’une écoute rapide du dernier album semble confirmer. Que les choses soient claires d’emblée, comme ça j’évacue directement la querelle musicale éventuelle de cette diatribe.

Dénigrer ou ne pas dénigrer les blogueurs, telle est la question.

Dans les pages 4 et 5 de son long article (oui parce que maintenant dans les sites commerciaux on est obligé de séparer les longs articles en quatre à cinq pages pour augmenter le nombre de pages vues et enregistrer un plus grand nombre de recettes publicitaires) JD Beauvallet, qui est pourtant une personne de goût, démontre qu’il est devenu vieux. Enfin plutôt qu’il s’est rangé dans le camp du « old media », avec un air de ne pas y toucher (en gardant une certaine distance entre le propos énoncé, en parlant sans avoir l’air d’en faire partie de l’opposition entre l’internaute lambda et la presse installée. Le fameux « y’en a des qui » de nos cours de récré devenu argument de langage d’un article de presse.

Voici donc le « y’en a des qui trouvent que… » de JD the DJ :

Avec Radiohead, le critique et l’internaute se retrouvent sur un pied d’égalité : tout le monde, en payant la même somme pour le même téléchargement, découvre en même temps la musique et les informations. Tous ont les mêmes oreilles, mais tous n’ont pas le même parcours, le même savoir s’insurgent ici et là les journalistes dépossédés. (…) Sur la critique d’un seul et unique disque, livré sans la moindre information supplémentaire à la presse, l’avis d’un internaute de Bourganeuf vaut celui du rédacteur en chef du NME ou d’un critique de Pitchfork.

Ainsi donc certaines institutions de la presse musicale propre sur elle dont les Inrocks font ou ne font pas partie (ouais parce que monsieur Beauvallet entretient l’ambiguïté, le lectorat étant précieux et il faut bien le ménager) se sont senties humiliées de voir leurs prérogatives séculaires bafouées. Pas de CD-R, pas d’avance, pas d’écoute presse dans les locaux de la maison de disque, pas de dossier de presse qui résume ce que la presse d’ici et d’ailleurs a pensé de l’album, pas de moyen de se situer par avance par rapport aux confrères, pas de moyen de prévoir une couverture hebdomadaire bien aguicheuse, du genre de celle qui attire le chaland vers le kiosquier, rien… Pas même un peu d’avance par rapport à la plèbe, qui permette de signaler que « et chtoc, nous ne sommes pas du même monde toi public huissier et moi journaliste punk. Toi tu dois attendre la sortie officielle pour te forger un avis que je t’aurai prémâché. Moi je sais d’avance ce qui sera bon ou pas, et à fortiori bon pour toi ».

Quand Radiohead joue au chien dans un jeu de quilles

Je sais ça fait mal. D’abord parce que Radiohead décide de ne pas jouer un jeu qui recommençait tout juste à se re-roder à l’ère numérique. Une ère où certes les voyages de presse aux frais de la maison de disque sont moins nombreux, mais où quand même à la faveur d’un lien en stream ou d’une écoute publique dans un café/salle de la région parisienne, la presse française peut gagner ce petit supplément d’avance qui leur fera gagner quelques places dans le référencement des sites par Google. Un jeu que maisons de disques et presse en ligne ont compris assez tardivement certes, mais des privilèges qu’ils ont réussi ensuite à bien utiliser (et je ne leur jette pas la pierre… combien sont-ils les blogs musicaux sur lesquels je tombe à la faveur d’une recherche qui se fendent d’un articulet –artienculé- bidon annonçant tel ou tel album, juste pour que Google les remonte en page 1 sur la clé de recherche liée à l’album…). En fournissant le même matériel à tout le monde en même temps, le groupe a réussi à mettre tout le monde sur un pied d’égalité.

Une égalité qui pointe les limites du système de l’information musicale liée à l’économie. Ce faisant, le groupe ne donne pas plus la prééminence à un site professionnels, à des journalistes rémunérés pour écrire un papier qu’au péquin moyen de Chalmaison en Seine et Marne.

La presse musicale c’est le maaaal ;-)

Normalement c’est là que moi blogueur j’y vais de mon discours sur la collusion publicitaire qui existe entre le journaliste payé pour critiquer un album, par des revenus publicitaires des maisons de disque et tourneurs qui annoncent sur leur site, là où un blogueur lambda sans publicité ne fait que relayer son sentiment profond, sans autre but que la beauté du geste et du partage. Je m’abstiens. Parce que je n’ai pas assez de place. Parce que je sais aussi que certains blogueurs musicaux sont devenus des quasi entreprises de production de contenu promotionnels et finissent par faire attention à ce qu’ils écrivent.

Il faut cependant noter que ce genre de vexations à priori, le grand public s’en branle. Le jeu de la prise d’avance de la presse tend même à le saouler. Combien de fois n’avons-nous pas été emballé par un article de Christophe Basterra dans Magic ! concernant un album… Avant de nous rendre compte qu’il faudra attendre près d’un mois pour l’écouter….

Blogeurs contre presse: un discours dépassé non?

Or donc la question n’est pas tant de savoir si les inrocks, magic et autres rock and folk de notre paysage magazinesque français doivent pouvoir conserver le privilège de l’avance par rapport à la plèbe. En fait cette question sous-jacente me fait doucement rigoler. Franchement, c’est d’une naïveté sans nom que de penser que seul le jeu du « c’est moi qui l’ai écouté en premier et qui peut te mâcher le travail d’écoute » restera le modèle pour les années à venir. C’est sooooo nineties comme on dit sur le web. Dans un univers mondialisé par le web, où les décalages géographiques, horaires et la pluralité des supports musicaux sont devenus une évidence, il est ridicule de penser que le schéma Artiste > label > presse > public continuera bien longtemps à faire la loi.

Tous les amateurs de musique ont fini de recourir au seul CD, aux seuls MP3 pour creuser un genre particulier ou partir à la recherche d’artistes du même style que ceux d’une découverte qui nous a fait triper. On nous a donné le net, on a appris à aller nous servir nous-mêmes. On nous a donné Myspace, et pendant un temps on a même cru qu’allait s’y concentrer le bon grain et l’ivraie, mais en tout cas l’essentiel des contenus musicaux produits par une tripotée d’artistes répartis aux quatre coins du globe. Garder de l’avance, pour la presse traditionnelle, c’est avouer qu’on ne s’intéresse qu’au circuit officiel, à l’ancienne qui passe par le groupe, son manager, le directeur artistique d’un label, le directeur marketing, son attaché de presse , les inrocks puis la Fnac. Heureusement pour nous, cela fait longtemps que ce modèle a vécu. L’internaute est capable et a les outils pour aller seul vers une musique qui lui ressemble.

La question n’est même pas de savoir si les Inrocks, magic et autres rock and folk de notre paysage magazinesque français font du bon ou du mauvais travail. Si les blogueurs musicaux par contre ont moins de poids que JD ou n’importe lequel de ses sbires. Je ne m’étendrai pas sur les critiques à l’emporte pièces lues parfois sur le site des Inrocks au sujet d’albums moins tête de gondole, rédigées par des journalistes pigistes ou stagiaires qui ont une connaissance au moins aussi parcellaire que moi de la musique. Quand je rédigeais ma première critique sur le web, Johanna n’était pas encore la journaliste efficace des Inrocks qu’elle est devenue…

La presse musicale fait-elle un meilleur travail de critique que mon pote de Bourganeuf. M’en tape. Déjà je trouve la fatuité des propos remontés par M. Beauvallet,vexant pour la plupart des blogueurs musicaux que je connais et respecte depuis des années pour la qualité de leur travail, et aussi parce que je pense que tous ces titres de presse ont fait et continuent à faire un travail d’abattage énorme. Bon ok, j’ai bien mon avis polémique sur la question d’ailleurs… En effet quand je tapote le nom d’un artiste sur le net, que je tombe sur un blog home made, il ne me faut que quelques lignes de lecture pour savoir si du fond à la forme l’avis de la personne qui l’a écrite m’intéresse ou est susceptible de m’apporter un supplément d’aide au choix. Une sélectivité que je n’ai parfois plus quand je passe dans le giron des « installés ». Parfois quand je finis une critique des Inrocks, je suis ultra déçu. Déçu de m’être fadé une critique longue que j’ai lue jusqu’à la fin, écrite par un gusse dont je me rends compte qu’il ne m’a pas donné un seul argument valable pour encenser ou détruire un album. Déçu parce que le mec qui l’écrit a une pire connaissance du groupe glosé que celle que je peux en avoir Et que j’ai tout lu à la seule raison que « attend c’est les Inrocks, je vais sûrement apprendre quelque chose ». Je préfère de loin trier vite fait auprès de quidams anonymes que je peux prendre ou zapper en fonction de ce qu’il m’apportent de la compréhension de l’album. En me demandant rarement à la fin, si l’avis que je viens de lire n’est pas aussi un peu biaisé par la collusion publicitaire entre le site et le label.

De l’utilité des magazines musicaux en 2011

Non, la vraie question à se poser est: quel rôle le lecteur demande à ses magazines musicaux en 2011, à l’heure de la mondialisation des sources via le web, à l’heure aussi de la mise à disposition mondiale de la musique? La question est une fois de plus celle de la valeur du média face au monde.

Est-ce que je demande aux Inrocks de me fournir l’avis de ses pigistes sur un album écouté en amont ? Est-ce que je ne préfère pas plutôt à cette critique au kilomètre, calée aux sorties des labels, me rapprocher de l’avis circonstancié et long en bouche de mon pote BenoîtOlivier, des avis de Mlle Edie, parfois en décalage total avec la sacro sainte actualité ; ou des petites infos dispensées de ci de là par @dissogirl , @JSZanchi , @Zikomagnes , @Co_Sweuphoria  …. Autant de gens dont la géographie ou le cénacle fréquenté, me parlent avec des mots qui me touchent plus que n’importe lequel des avis d’un des mecs qui a entendu tous les advance d’un même CD, été gratuitement à toutes les versions du concert du groupe chose à laquelle vu le prix demandé, je ne pourrai jamais mettre les pieds ? L’âge aussi que semble oublier le papier de Beauvallet. Je me souviens de l’anecdote du frangin découvrant Get Ready de New Order sans avoir jamais écouté une once de Substance et m’expliquant pourquoi c’était à ses yeux un album rock exceptionnel ? Faut-il connaître toute l’encyclopédie du Garage rock pour aimer les Strokes ? Faut-il parler de Colombier pour bien évoquer les arrangements d’Arnaud Fleurent Didier ?

Bullshit.

Le tout est d’être capable de fournir une information sensée sur un album. Sinon au plus grand nombre à tout le moins à ceux qui par affinités électives ont fait l’effort de lire la critique, parce que le sujet, la forme ou la manière utilisée pour le décrire me parle, m’évoque, me donne envie d’aller découvrir l’artiste. Le reste n’est que de l’astiquage de nougat, rendu privilégié par l’accès en amont à certains contenus.

En 2011 déjà, La vraie force des Inrocks, Magic, et consorts par rapport à la masse de blogueurs dont Pitchfork fit un jour partie, c’est leur nom. Le gage de qualité, la patente, la coloration esthétique ou politique. Plus que n’importe lequel de leurs articles. Et cette « hiérarchie » se duplique en interne. Une critique de miss Seban aura toujours moins de valeur à mes yeux qu’une critique de JD etc. Peu de ces médias le comprennent déjà, lancés dans la course au toujours plus tôt, au plus intello, au plus référencé, au plus démonstrateur de passe-droits.

Un jour, pour parler d’un album à sortir, ces médias installés, ces « old médias » comme on les appelle affectueusement entre nous, comprendront peut-être que leur destin véritable se situe plus dans la curation de contenu que dans la production kilométrique.
La curation ? mais siii cette méthode qui consiste à collectionner, agencer et partager les contenus les plus intéressants (textes, images, vidéos, etc.) autour d’un même thème. Demain, les Inrocks, Magic, Rock and folk et les autres deviendront peut-être des e-documentalistes 2.0. c’est-à-dire des sortes de pères putatifs d’une armée de blogueurs, de vrais gens écoutant avec la seule arme de leur vraie oreille les productions musicales de mille lieux de la planète. Une revue de blogs patentée JD the DJ aura peut-être plus de valeur que son avis lui-même sur un album, certainement plus de valeur que celui du pigiste payé au lance-pierre par le label qui finance la page de pub.

Parce qu’ainsi le magazine sera capable de traiter un spectre plus large de création musicale que la seule routine des labels, parce qu’ainsi les papiers des « pontes » de ces médias acquerront une plus forte puissance, eux qui laisseront l’annonce, l’effet et le trivial aux blogueurs internautes (le son général, la date de sortie, le label, et la forme générale de l’album) et prendront tout le temps alloué à leur papier à l’explication personnelle, à ce que ça leur procure, ce que ça leur renouvelle etc. Une critique plus personnelle, moins informative, nourrie de l’âge, de l’expérience, et de l’aura du capitaine sur ses ouailles. Une valeur véritable que ne pourra jamais même tenter le blogueur influent depuis deux ans ou le pigiste de la rédaction payé à faire mille choses dans une seule et même journée, forçat de rédaction précaire.

Conclusion où on reparle un peu de Radiohead

Alors non, non, l’album de Radiohead ne me fait pas rêver du tout. Il est beau, bien torché et dans la droite ligne du précédent, ce qui est dommage pour un groupe qui a pris l’habitude de tout réinventer à chaque opus comme la bande à Thom Yorke. Reste qu’en mettant tout le monde sur un pied d’égalité il a au moins renouvelé ici le rapport de la critique musicale à son œuvre. Et permettre à des blogs de concurrencer le référencement des Inrocks sur le nom de l’album, moi dans l’absolu… ça me fait marrer. Rien que pour ça tiens, j’aime bien Radiohead ;-)

Denis Verloes

Article initialement publié sur: Benzinemag

Crédits photos flickr CC: Rock Mixer, dwineberger, just.Luc, serjaocarvalho, unawares

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Chroniqueur pop: fin d’un monde et retour à la niche http://owni.fr/2010/04/13/chroniqueur-pop-fin-dun-monde-et-retour-a-la-niche/ http://owni.fr/2010/04/13/chroniqueur-pop-fin-dun-monde-et-retour-a-la-niche/#comments Tue, 13 Apr 2010 10:42:45 +0000 Emgenius http://owni.fr/?p=12140 Dans ce billet, Emgenius s’interroge sur l’évolution des fanzines et blogs musicaux et sur les liens qu’ils entretiennent avec l’industrie du disque.

Titre original:

La niche musicale : icône communicationnelle, et maillon faible de l’économie culturelle de masse

A la niche, Mauricette!

Avec un titre pareil tu te crois au moins dans une analyse bourdieusienne ou un article de Bernard Guetta. En fait non, ce n’est que moi…  et un simple constat. Cette semaine je me suis plongé dans la lecture des aventures de Gerald de Oliveira, que nombre de musicophiles connaissent plutôt parce qu’il est le bonhomme derrière un des premiers blogs totalement indé, totalement gratuit, totalement dévoué, A Découvrir Absolument, et navigue dans les mêmes eaux que notre bon vieux Benzinemag, depuis des temps quasi immémoriaux.

Au fil des années, ADA a réussi à imposer son style à la chronique mitraillette au gré d’albums reconnus, de groupes en développement et d’artistes non signés. Au point que je me suis souvent demandé : mais comment fait-il pour écouter autant de musique et surtout : « où trouve-t-il le temps de critiquer de plus en plus d’albums sur son site, avec une régularité d’horloge ? » et de développer, en plus, des compilations à télécharger toujours plus pointues, toujours plus indé. Je dois l’avouer. Longtemps j’ai jalousé la rapidité du bonhomme et son pagerank Google ;-)

Récemment Gérald a signifié aux internautes qu’il jettait le gant. Que pour cause de naissance et de projets personnels, il arrêtait la course à la chronique et au toujours plus, pour ne se concentrer plus que sur de sporadiques compilations, regroupant ses coups de cœur du moment.

Cet aveu, qui n’engage que son auteur est cependant symptomatique de deux grands mouvements à l’œuvre dans le monde culturel. Mais on pourrait aisément généraliser au  « en ligne » assez facilement.

Il devient de plus en plus facile de produire, enregistrer et diffuser > Difficile de suivre le rythme

Contrairement à Pascal Nègre, je pense que le téléchargement massif et l’accès gratuit à la musique a permis à une génération aujourd’hui post adolescente, d’avoir accès à un catalogue de tires qui nous a été interdit quant à nous.

Image CC FlickR par Brian Lane Winfield Moore

Les gamins qui ont pris les guitares, les ordinateurs et les sampleurs après 2000 ont en général eu accès à un catalogue, que mes cassettes magnétiques faites avec amour suite aux visites en médiathèque n’auraient jamais pu égaler. Le corollaire, c’est qu’un maximum de groupes fomentés dans les garages de l’Essonne, de Jette ou de Brooklyn ont débuté avec une connaissance des œuvres des aînés incomparable.

Globalement, j’ai tendance à croire que cet accès a donné à la jeunesse « qui joue de la musique » une certaine maturité que nous ne pouvions avoir à notre époque ; et globalement une musique plus efficace dès les premières notes. Donc plus enthousiasmante aussi à écouter.

Par ailleurs, n’en déplaise aux majors qui vantent leur labeur de loueur de studios et d’orchestre, force est de constater aussi, que là où mes camarades de fac pouvaient espérer au maximum produire une cassette sur leur quatre pistes, les gamins élevés au super Poulain et à ProTools sont aujourd’hui capables, depuis leur chambre de produire des « entités musicales », des albums, qui ont peut à envier à certaines des productions réservées jadis aux groupes en développement des maisons de disque.

Mieux encore, suite aux crises à répétition qui ont frappé le secteur, il y a fort à parier que les maisons de disque encouragent désormais un type de production similaire pour leurs artistes maison (combien d’interviews ais-je lui d’artistes qui expliquent s’être retirés dans une chapelle pour écrire leur album ou avoir composé la totalité de l’album dans le garage de Joe).

Le résultat est que nombre des premières démo de ces nouveaux groupes n’ont pas grand-chose à envier aux grands frères signés en maison de disque et arrivent très souvent avec bonheur auprès des webzines comme Benzinemag ou ADA, qui ont du coup bien du mal à refuser des démo super abouties, super léchées, qui ont parfois le petit grain de nouveauté qui nous émeut, ou que nous devons laisser sur le côté pour la seule raison, non technique, qu’il s’agit d’un n ième clone des Strokes ou une centième version de Kid A. Il n’empêche que globlament le niveau des démos est devenu très professionnel.

“Le Directeur Artistique est devenu la foule”

Avec l’avènement du web et les boosters que furent en leur temps les pages « official sites » et myspace des groupes, on a pu se mettre à écouter les démos de ces kids de chambre, émergeant des quatre coins du monde, sans filtre marketing, sans barrière de langue, sans halte, sans arrêt.

Et les démos de bidouilleurs isolés ont réussi à toucher un public parfois énorme avant même d’avoir donné ne fut-ce que l’ombre d’un concert dans la salle de gym du lycée. L’industrie en perte de vitesse s’est sentie spoliée d’un rôle de plus, celui de média, et a tenté de compenser les baisses de ventes d’albums par la production de masse de groupes en développement, tentant de compenser ce qu’ils perdaient en masse de vente sur un album par des coups possibles sur de multiples albums.

Côté fanzine, on a donc continué à voir débouler les démos super abouties de groupes non signés en quête de notoriété, diablement efficaces, et les albums de labels parfois plus petit ou non qui diffusent quantité d’albums en général plutôt plus que corrects, car portés par un buzz de fans, de communautés d’amateurs en ligne.

Le DA est devenu la foule, et la foule faite de plein de foules, réparties dans le monde, aux distances et au temps aboli par le web. Pour les webzines, comme d’ailleurs pour les installés de type Inrocks, Rolling Stones, Magic et consorts c’est devenu un peu comme une course à l’écoute. Pour rester généraliste, indé mais pertinent, il faut multiplier ses oreilles ou diminuer son temps de sommeil. Ce qui n’est viable ni si on a des impératifs financiers, ni si on entretient une vie professionnelle en parallèle.

Le désarroi des gloseurs de sorties

C’est à cette époque (il y a trois quatre ans) qu’on a vu les magazines recourir à de plus en plus de stagiaires pour les chroniques papier / web (diluant parfois l’essence des magazines au gré de plumes pas encore suffisamment mûres), user d’artifices comme les dossiers thématiques ou les hors série pour garder un lectorat captif ou un rôle de « carte IGN » dans un univers en perpétuelle ébullition qu’ils sont par ailleurs obligés de suivre sous peine de ringardisation.

C’est à cette époque aussi que sont nés plein de webzines très ciblés : untel sur la musique indus uniquement, untel sur le rap français en particulier, tel autre sur les musiciens belges… comprenant que puisqu’il devenait impossible de couvrir un scope complet, il valait mieux se spécialiser et engranger les pages vues auprès d’une ligne de fan, comme il existait jadis des lignes de produit. C’est depuis cette époque aussi qu’avec Benoît chez Benzine on cherche à dynamiser notre petite équipe, pour augmenter à la fois le confort de lecture, la rapidité de communication sur des bons groupes en phase ascendante, et une petite équipe dont le bénévolat rebute parfois dans la régularité des contributions.  C’est depuis cette époque aussi, que je me fais souvent rappeler à l’ordre par les labels qui nous contactent, parce que forcément, je suis toujours en retard d’une écoute, d’un bon coup, d’un newcomer.

Cette pléthore de sorties est difficile à gérer et ADA vient d’illustrer le désarroi de plein de fanzines, même si on se le cache souvent derrière le plaisir d’écouter des titres généralement bons. Cette offre pléthorique est ressentie aussi par le grand public, qui (et je suis sûr que c’est aussi un facteur de la baisse des ventes d’albums) n’a plus les moyens ou l’envie de céder au « fétichisme » autour d’un groupe déjà dépassé, ou dont le second album s’avère une bouse sans nom.

Ecouter et apprécier oui, aduler non. J’ai souvent mis sur le compte du « c’était mieux avant » de vieux con, mon impression diffuse de ne plus m’être enthousiasmé depuis longtemps pour un groupe pop et rock (pourtant mes préférés) comme j’ai pu le faire à l’époque pour les Cure, les Stone Roses, Pavement, Blur, Pulp ou même les Strokes et Bloc Party. Je me demande maintenant dans quelle mesure la « remplaçabilité » d’un groupe par un autre un peu meilleur, un peu différent, n’est pas en train de transformer le rapport à la musique et rendre caduque la notion même d’adhésion de masse pour un groupe populaire en une multiplicité d’adhésion de foule à des groupes de niche.

Un bon groupe de niche

Maintenir le cap de critiques généralistes, mais indé, pour le monsieur tout le monde Pop dans son ensemble (comme les Inrocks ou Magic et R&f dans leur créneau) est à la fois de plus en plus dur à continuer avec pertinence dans une volonté de couvrir TOUT le spectre des albums ou groupes potentiels, mais me semble aussi devenir de moins en moins en phase avec les attentes des lecteurs eux-mêmes

Je me trompe peut-être mais je veux y voir des signes à la fois dans la « démission » de Gérald from ADA, le côté de plus en plus fade rencontré dans ma lecture des Inrocks ou la sensation d’être roulé par les couvertures « groupe du mois » de mon favori Magic. Une hype remplace l’autre et un bon groupe remplace un autre bon groupe sans jamais rencontrer, ou si peu, le fétichisme quasi autiste des concerts de Cure qu’on préparait au khôl ou de Nirvana et Pavement à la chemise de bûcheron.

Un côté grand messe perdue, que je ne vois pas loin de là comme une des conséquences du rôle de filtre perdu par les maisons de disque (je n’ai pas le respect suffisant pour les majors qui me feraient accroire qu’ils triaient le bon grain de l’ivraie et c’est pour ça qu’on adulait en masse), mais comme une conséquence de l’accès à de multiples stimuli, de multiples enregistrements, diluant d’autant nos amours musicaux.

Un côté grand messe qu’on ne trouve plus qu’au sein de niches. Les ados avec les miraculés Indochine ou Tokio Hotel en sont les caricatures, les métalleux avec plein de groupes que je ne parviens plus à écouter au décorum et aux codes super précis… Autant de niches créant leurs icônes, leur habitus (dirait Bourdieu), leurs sociolectes et leurs messies de caste. Autant de niches qui rendent compliqué l’adhésion nécessaire à la vente de magazines tels les Inrocks ou Magic, les forcent à parfois se créer des stars du jour qui favorisent l’envie de lecture.

Des niches qui se créent sur des thématiques musicales, ou sur des personnalités de blogueurs, découvreur. Depuis une paire d’année, je constate que les blogs qui tournent autour d’une identité (et nombre de compères chez benzinemag en font partie), d’un chroniqueur se développent et gagnent un lectorat sans cesse croissant.

Un album mis en avant par Withoutmyhat ou le choix.fr encensé par eux, aura plus de chance de faire un joli carton au sein de sa communauté de lecteurs qui échangent avec ces blogueurs en nom propre, que des critiques régulières d’un maximum d’albums tel que benzine, popnews, ada, et les historiques peuvent le faire. On est passé de l’information globale au besoin de tri. Un tri qui se fait par le style de musique ou via la comparaison avec celui qui sert d’entremetteur.

Un rôle que peuvent se donner certains blogueurs, mais qui sied mal au fonctionnement de certains blogs, et qui peut faire enrager les labels condamnés à poster des des CD à la pelle, avec de moins en moins de garantie de sortir chroniqué (ce qui explique aussi pourquoi ils sont en train massivement de passer à l’envoi de MP3).

Des niches qui imposent aussi certains webzines à marcher ou crever (sous peine de disparaître en pagerank 6), à ne pas oublier les artistes avec notoriété dans chacune des niches (pour crédibiliser le site) et provoquent des démissions somme toutes logiques quand l’activité de veille / découverte se greffe sur des professions, des vies de famille etc. qui requièrent la plus grande partie de nos attentions.

Si le désarroi existe pour les webzines on ose à peine imaginer le bordel dans les labels

CC par Tsuki-chama sur FlickR

Or donc voilà que la niche domine les comportements d’achat éventuel. On le constate en bout de chaîne, quand il s’agit de parler des sorties. On se représente aussi du coup la difficulté pour tout le petit écosystème de la promotion au sein des labels et autre PR qui gravitent dans l’univers.

Il y a de plus en plus d’artistes à promouvoir, dans de plus en plus de niches. Et il n’y a pas encore de facto, d’unité de mesure ni de l’influence, ni du potentiel d’une niche.

J’imagine le RP au moment de sélectionner les 100 chroniqueurs potentiels à qui envoyer une version jolie d’un disque à promouvoir vs la version MP3 du même album ? Comment choisir ? Celui qui fait le plus de lectorat. Comment sélectionner un référent à choyer  pour un type d’artiste à promouvoir. Un magazine qui cartonne au tirage ou un blogueur influent auprès des émo-rockeurs d’ile de France, férus de ska et de punk écolo en provenance de Denver.

Où accorder l’interview ? Qui envoyer en concert ? Où se cachent les leviers qui remplissent les salles et /ou achètent du merchandising et du CD ?

Un casse-tête. Il existe peu, me semble-t-il d’analyse marketing concernant le positionnement de produit dans une niche définie et le retour qu’on peut espérer de micro écosystèmes, comparativement à de larges foules.

Seule reste le doute, la fuite en avant, et les démissions. Le changement de cap de ADA est assurément un témoignage d’un monde qui vient de se terminer.

On attend que se définissent les règles précises du monde à venir.

> Article initialement publié sur le blog d’Emgenius

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