OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bibliothèques: streaming et services en ligne pour se renouveler http://owni.fr/2011/03/13/bibliotheques-streaming-et-services-en-ligne-pour-se-renouveler/ http://owni.fr/2011/03/13/bibliotheques-streaming-et-services-en-ligne-pour-se-renouveler/#comments Sun, 13 Mar 2011 11:30:17 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=51068 [Ce billet fait partie d'une série sur le livre numérique et les bibliothèques, retrouvez les épisodes précédents dans l'ordre sur le blog Bibliobsession sous le tag : Livre numérique et bibliothèques]

J’avais émis il y a quelques jours le constat suivant : Les bibliothèques ne seront perçues comme des intermédiaires utiles que si elles combinent une valeur ajoutée en terme de médiation, de services, voire de contenus exclusifs par rapport à une offre commerciale grand public. Comment cela peut-il se traduire dans un modèle d’affaire ?

C’est le pari tenté par les médiathèques Alsaciennes. Voici la présentation du projet qui a bénéficié du soutien du Ministère de la Culture dans le cadre de son appel à projet culturel numérique innovant.

La dématérialisation progressive de la musique amène les bibliothèques de lecture publique à revoir leur manière d’assurer leur rôle de diffusion et de pédagogie autour de la musique. Plutôt que le téléchargement qui impose de nombreuses contraintes à l’usager, les bibliothèques alsaciennes souhaitent mettre en œuvre une offre légale d’écoute en ligne (streaming) afin d’offrir un accès facile et rapide à une offre musicale dématérialisée via un simple navigateur. Ainsi les adhérents des bibliothèques alsaciennes participant à UMMA bénéficient d’un accès privilégié à une version dédiée de musicMe dont les pages et les services sont entièrement réservés à UMMA.

Cette version spécifique de musicMe donne accès à l’écoute en streaming d’un catalogue de 6 millions de titres (4 majors et 780 labels), des discographies complètes, des photos et vidéos d’artistes ainsi que des radios thématiques et des radios intelligentes (musicMix).

Une plateforme de découverte musicale entièrement gérée par les bibliothécaires musicaux. Par ailleurs, les fonctionnalités de radios permettent aux bibliothèques de construire des parcours de découvertes musicales en lien avec leurs missions pédagogiques. Courant juin 2010, les bibliothécaires musicaux pourront en outre modifier toute la partie éditoriale du site : gestion des albums en page d’accueil, gestion des rubriques « nouveaux talents » et « albums à découvrir », programmation de vos canaux radios, intervention dans les rubriques de recommandations d’artistes similaires, dans la gestion des genres musicaux et modification dans les biographies d’artistes. Une API permet aussi de proposer, quand c’est possible, l’écoute d’un extrait lors de la visualisation d”une notice sur le catalogue en ligne de la bibliothèque.

Quels résultats pour cette expérimentation ? Selon Xavier Galaup, son initiateur :

“Avec presque 300 inscrits sur les deux sites, 36 radios créées et 1500 Euros de coût lié à la consommation, je peux déjà dire que l’expérience est réussie au-delà des objectifs fixés au départ à savoir réussir à attirer un public significatif, maîtriser les budgets et s’approprier la plate-forme pour la médiation numérique. La collaboration avec musicMe est très bonne même si en utilisateur exigeant nous aurions aimés quelques évolutions plus rapidement. D’un autre coté, musicMe a développé la possibilité de personnaliser les albums à la Une et dans tous les genres musicaux ainsi que de modifier le contenu de certaines parties du site. Ce qui n’était pas prévu dans le cahier des charges initial… Rappelons que nous avons à faire à une petite entreprise d’une douzaine de personnes gérant plusieurs marchés en même temps…

J’attends maintenant avec impatience l’ouverture des deux autres sites pour voir l’écho auprès du public et les réflexions apportées par d’autres expérimentateurs. Fort de ces premiers mois, musicMe prépare et ajuste pour 2011 son offre aux bibliothèques. Nous vous tiendrons au courant.”

L’exemple illustre que la médiation numérique peut en soi-même constituer une valeur ajoutée monétisable auprès d’un fournisseur de contenus. Plutôt que de vendre des contenus à l’acte, on propose aux usagers un accès illimité et on vend aux bibliothèques des services leur permettant de mettre en œuvre une médiation numérique efficace.

Même si ici le modèle est hybride puisque le fournisseur tarifie l’accès aux contenus et la consommation à l’acte en amont de l’écoute par l’utilisateur, on peut tout à fait imaginer creuser ce modèle vers la fourniture de services permettant une médiation efficace, de nature à conserver l’attractivité du modèle et la soutenabilité de l’offre pour les budgets des bibliothèques. Le modèle montre en outre qu’il est tout à fait possible de quantifier et de tarifer chaque écoute ou chaque accès en streaming depuis une plateforme en maintenant une illusion d’illimité pour l’usager sur le modèle du “buffet à volonté” où les usagers s’auto-régulent.

Ajouter du service autour de contenus libres

Autre exemple, celui de Revues.org très bien expliqué par Pierre Mounier :

nous avons élaboré un modèle économique et une proposition commerciale permettant de soutenir la diffusion en libre accès sur le web des résultats de la recherche en sciences humaines et sociales. Ce modèle, baptisée OpenEdition Freemium, déconnecte l’accès à l’information, qui reste libre, de la fourniture, payante cette fois,  de services supplémentaires. Conséquence  : les contenus (livres, revues, carnets, programmes scientifiques) restent diffusés en libre accès pour tous dans le format le plus universel et le plus accessible : celui du web. Mais nous vendons des services supplémentaires qui permettent par exemple de télécharger des fichiers pdf ou epub à partir de ces contenus (pour les lire plus confortablement ou les enregistrer plus facilement), d’accéder à des statistiques de consultation, de bénéficier d’alertes personnalisées sur ces contenus, ou encore d’ajouter facilement les titres au catalogue.

Qui sont les destinataires de ces services payants ? Les bibliothèques bien sûr, en priorité, qui retrouvent par ce moyen la possibilité d’acquérir (des services) pour des contenus en libre accès et peuvent donc réintégrer le circuit documentaire. Qui sont les bénéficiaires des revenus ainsi obtenus ? Les producteurs de contenus en libre accès, les revues et leur éditeur particulièrement, qui trouvent ainsi un soutien dont ils ont très souvent besoin pour pérenniser et développer leur activité.
Qu’essayons-nous de faire ? Nous tentons de reconstruire une alliance stratégique entre éditeurs et bibliothèques pour soutenir la publication en libre accès au coeur même du Web. Nous ne pensons pas du tout que ces acteurs historiques de la communication scientifique et de la diffusion des savoirs doivent être balayés par Google ou bien restés cantonnés derrière les murailles stérilisantes des plateformes à accès restreint. Nous voulons leur permettre au contraire d’être bien présents et d’apporter toute leur compétence accumulée au coeur du nouvel environnement qui se développe à grande vitesse.

On le voit le modèle mise sur l’idée que notre valeur ajoutée soit la diffusion et pas l’exclusivité des contenus, mais celle des services. Voilà une piste intéressante non ?

>> Article publié initialement sur Bibliobsession

>> Photo FlickR CC by-nd Telmo32

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Le numérique bouleverse l’acquisition des livres au sein des bibliothèques http://owni.fr/2011/03/11/le-numerique-bouleverse-laquisition-des-livres-au-sein-des-bibliotheques/ http://owni.fr/2011/03/11/le-numerique-bouleverse-laquisition-des-livres-au-sein-des-bibliotheques/#comments Fri, 11 Mar 2011 14:58:22 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=50885 [Ce billet fait partie d'une série sur le livre numérique et les bibliothèques, retrouvez les épisodes précédents dans l'ordre sur le blog Bibliobsession sous le tag : Livre numérique et bibliothèques]

Le flux, l’abondance, l’accès libre financé en amont. Ebrary (l’un des principaux fournisseurs de contenu numérique récemment racheté par Proquest), tente de concilier ces modalités. J’en avais parlé dans ce billet en présentant le modèle : les usagers peuvent rechercher et consulter l’un des ebooks au sein d’une offre de dizaine de milliers de titres pendant cinq minutes sans faire encourir de frais à la bibliothèque. Après cinq minutes, une fenêtre apparaît, demandant à l’usager s’il souhaite continuer à accéder au livre numérique. Si l’usager le souhaite, la bibliothèque est créditée d’une utilisation de livre numérique, mais c’est transparent pour l’usager. Il peut continuer à utiliser le livre pendant 10 jours sans frais supplémentaire pour la bibliothèque. A la quatrième utilisation d’un titre, un “achat” automatique est fait, et livre numérique est ajouté à la collection permanente de la bibliothèque, il devient alors accessible à tous les usagers. Ce modèle se nomme Patron-Driven Acquisition que l’on pourrait traduire par “acquisition conduite par les usagers”.

Les résultats sont spectaculaires. Selon cette étude (pdf) menée sur 11 bibliothèques utilisant ce service entre 2006 et 2009 sur une offre d’environ 30 000 livres numériques et plus de 200 000 accès il est démontré que l’offre constituée par les usagers

  • est 2 à 5 fois plus utilisée que l’offre pré-sélectionnée par les bibliothécaires
  • génère une audience 2 à 3 fois plus large que celle constituée par les bibliothécaires (en visiteur unique par titre)
  • propose une répartition des sujets similaire à celle constituée par les bibliothécaires

Impressionnant non ? Il faudrait nuancer le dernier point en précisant qu’il s’agit d’un contexte universitaire où les enseignants sont fortement prescripteurs et dans ce cas sûrement acheteurs également, ce qui peut expliquer la proximité de la répartition des sujets avec une offre présélectionnée.

Une complémentarité entre l’usager et le bibliothécaire

Avantage : les coûts d’acquisition sont bien moindres pour les bibliothèques et le modèle est de nature à rendre lisible l’usage collectif en utilisant les usagers comme co-créateurs d’une sélection au sein d’une abondance présentée comme illimitée. Cette “illusion d’illimité” est fondamentale puisqu’elle permet de reconnecter une offre légale à des pratiques d’accès ancrées dans l’univers numérique. L’avantage principal en terme budgétaire peut néanmoins nous poser un sérieux problème : dans ce modèle tous les contenus de la collection ont été demandé et donc on donne la priorité absolue à ce qui est utilisé par les usagers, exit tout le reste. Voilà qui heurte le modèle républicain de la bibliothèque comme outil d’émancipation proposant des contenus dont le besoin est reconnu d’utilité publique qu’ils soient utilisés, ou pas (je force le trait).

Ce modèle fera bondir certains bibliothécaires de leur chaise parce qu’il auront l’impression d’être dépossédés de leur traditionnelle prérogative : la sélection dans l’abondance pour constituer une offre. En rendant transparent et immédiat l’acte d’acquisition, son sens est en effet profondément questionné. Pour les objets tangibles il symbolisait l’entrée progressive dans l’espace commun socialisé de la bibliothèque par le truchement d’un professionnel apte à “valider” la légitimité de tel ou tel contenu pour l’intérêt général… On mesure le bouleversement avec le fait que dans un tel système, une acquisition c’est “juste” le changement automatique de droits d’accès autour d’un fichier ou d’un ensemble de flux que n’importe quel usager peut effectuer en échange de son attention. Qui ne voit que cet aspect ne peut qu’être effaré du mécanisme, de sa froideur versus l’humanité du bibliothécaire dont la qualité de l’attention est pourtant validée par des compétences, oui monsieur ! En réalité, les usagers sont tout aussi humains, la sagesse de la foule leur confère une variété et une diversité de compétences que n’auront jamais les bibliothécaires…

Quelle est alors la légitimité de l’institution à donner accès à tel ou tel contenu ? Que devient la sacro-sainte “politique d’acquisition” si les usagers deviennent acquéreurs et peuvent prendre le contrôle de la collection ? Qu’est-ce qu’une collection dans ces conditions ? (Grandes et belles questions !)

Au fond, les deux étapes de la politique documentaire traditionnelle : construction d’une offre par anticipation de besoin collectifs puis ajustement de cette offre à des demandes grâce aux statistiques de prêt ou à des demandes ponctuelles d’usagers sont ici fusionnées. Ici l’ajustement se fait en temps réel entre une offre et une demande de contenu, la bibliothèque n’est plus un espace d’accès à des contenus exclusifs mais joue le rôle d’un “tiers de confiance” à distance dont le rôle est a minima de rendre pérenne en sortant du flux un certains nombre de contenus jugés importants parce qu’un nombre d’usager fixé à l’avance y aura consacré suffisamment de temps d’attention… La collection ici devient une enveloppe virtuelle extraite du flux.

On le voit, les frontières se brouillent entre l’offre publique et l’offre privée. Si le rôle de la bibliothèque se borne à la pérennité des contenus qu’elle propose, alors elle ne tardera pas à être un intermédiaire inutile dans un monde ou la mémoire publique sera (en dehors du dépôt légal et des Centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique CADIST) de plus en plus dure à justifier et dans lequel le critère de valeur c’est l’attention.

Si l’on imagine la combinaison des deux systèmes : associer une pré-sélection de contenus exclusifs choisis par des bibliothécaires avec une partie de l’offre constituée par les usagers, on voit que ce qui reste important n’est plus tant de répondre à une demande puisque celle-ci s’exprime et trouve naturellement satisfaction, mais de propulser telle offre, telle pépite auprès de tel type d’usager pour permettre une rencontre. Demeure ainsi le besoin de sélection dans une offre par le bibliothécaire mais pas dans la même perspective… Je m’explique : en se déchargeant de la velléité de pleinement satisfaire une demande mainstream le bibliothécaire peut libérer son énergie à sélectionner et à propulser tel ou tel contenu de niche associé à telle demande exprimée tout en continuant à anticiper des besoins collectifs. Un tel bouleversement amène à modifier notre pratique des politiques documentaires.

En somme il s’agit d’inverser la perspective des deux plans : construire une offre autour d’une demande exprimée en la tirant vers des besoins collectifs au lieu d’anticiper des besoins collectifs puis de les ajuster à une demande exprimée.

Pour rendre “acceptable” un tel modèle sans heurter un “fondamental du métier” un fournisseur habile devrait donc le présenter non pas comme la bibliothèque crée par les usagers, mais comme un équilibre à trouver entre une pré-sélection par des bibliothécaires enrichie par une post-sélection par des usagers… Voilà un modèle qui me semble tout à fait prometteur : co-acquisition avec les usagers et illusion d’abondance sur fond de promesse de maîtrise des coûts… Intéressant non ? A bon entendeur !

>> Article initialement publié sur Bibliobsession

>> Photos FlickR CC by-nc-nd : Aalain (1) et (2)

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De la roue à livres à la table Ipad http://owni.fr/2010/11/25/de-la-roue-a-livres-a-la-table-ipad/ http://owni.fr/2010/11/25/de-la-roue-a-livres-a-la-table-ipad/#comments Thu, 25 Nov 2010 15:40:49 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=36917 Titre original : Ameublement cognitif

D'abord la "Roue à livres"

On savait déjà que les fauteuils étaient, de manière périphrastique, des “commodités de la conversation“. Mais il est d’autres meubles, et nous le verrons, depuis longtemps, qui jouent ou ont joué un rôle essentiel dans “l’assise” de notre lien cognitif au monde.

Or donc. Je suis tombé ce matin, sur un billet de (l’eeeeexcellent) blog Graphism.fr, présentant une version de la table “salsa” du designer Bram Boo, version équipée de 4 Ipads intégrés. Et là, la vision de cette table Salsa équipée d’Ipads rapprochée de la lecture du titre du billet (“voici la mort de la bibliothèque ou son renouveau“) a immédiatement fait surgir une autre image : celle de la “roue à livres” d’Augusto Ramelli.

Les images en question

Tout ce qu’il faut savoir sur cet étrange objet est à lire dans ce billet du blog du bibliophile. Du point de vue cognitif, ou si l’on préfère, du point de vue de l’histoire des supports d’inscription de la connaissance, la roue à livres arrive à un moment où il devient essentiel de pouvoir mettre les textes en résonance, de les comparer, un moment où il est également nécessaire de pouvoir lire plusieurs ouvrages simultanément pour faire le tour (de roue) d’un sujet, d’un domaine, d’une question. Bref, la roue à livres incarne davantage qu’elle n’inaugure le modèle de la bibliothèque d’étude.


Ensuite la Table Salsa Ipad.

Une table dont Graphism.fr nous rappelle la particularité : “être un ensemble de chaises/bancs conçus pour quatre personnes avec quatre iPad intégrés. Chaque utilisateur se trouve ainsi dans une direction différente mais tous avec un iPad sous les yeux.

Pourquoi penser à la roue à livres en découvrant la table à Ipad ?

Parce que la table à Ipad, dont la finalité première est de pouvoir équiper – notamment – les bibliothèques, me semble emblématique d’un nouveau rapport cognitif au savoir, comme le fut la roue à livres en son temps.

La table à Ipad vise au rassemblement des “lecteurs” quand la roue à livres leur offrait un isolement nécessaire. Il s’agit de mettre 4 personnes en situation de rassemblement (= “sur”  et non pas “autour” d’une même table) mais en préservant, par défaut, leur “intimité” en les orientant différemment (c’est à dire en “organisant”, en “scénarisant” l’absence de face à face), et tout en incluant (et en induisant fortement) dans le dispositif (la table) la possibilité d’une transition facile vers une rupture de cette intimité au profit d’une collaboration duale prioritaire, mais pouvant également être élargie à l’ensemble des personnes “en co-présence” autour de ladite table.

Ingénierie de la proxémie

La table à Ipad est un outil qui relève d’une ingénierie de la proxémie. (la proxémie étant l’étude des distances mesurables entre des personnes – ou des animaux – qui interagissent pour en déduire des données comportementales).

Scénariser le lien, qu’il soit “hypertexte” ou “social”. Là où son lointain ancêtre (la roue à livres) visait précisément à se focaliser sur un seul type d’interaction (entre l’homme et les livres), en jouant l’isolement du lecteur – postulé comme nécessaire – et en intensifiant et dé-multipliant le seul rapport à l’objet-livre, la table à Ipad scénarise différemment la nature du lien social en bibliothèque.

Pour une raison “simple” : le dispositif technologique contenant – possiblement – tous les livres, point n’est besoin de scénariser le chemin d’accès à la lecture, toutes les lectures étant là encore possiblement contenues dans un si petit objet. L’accent peut donc être mis sur le meilleur moyen de rebâtir autour de l’objet lui-même, c’est à dire, en fait, autour de la connaissance qu’il contient et donc de la bibliothèque elle-même, un espace qui autorise l’isolement sans interdire, et en facilitant le rapprochement.

Les bibliothèques ont à mon avis beaucoup à glaner du côté de cette ingénierie de la proxémie. Certaines y réfléchissent d’ailleurs déjà depuis pas mal de temps (enfin j’espère).

Deux ingénieries connexes. Au fond, c’est peut-être cela le seul vrai learning center : tous les livres dans des Ipad, des Ipad “dans” des tables, des gens disposés autour, des interactions qui se mettent en place. Une ingénierie de la proxémie au service d’une autre ingénierie déjà bien avancée, celle de la proxémie d’en-dedans du dispositif technologique (l’ipad) : c’est à dire la manière dont s’effectue la navigation entre des contenus venant eux-mêmes de strates cognitives parfois radicalement diverses (journaux, livres, jeux, etc.). De cette ingénierie là également (qui correspond grosso modo à ce que l’on nomme habituellement la “navigation”) il faut s’emparer.

Moralité. Si elles veulent s’emparer des enjeux de la révolution cognitive de notre époque, les bibliothèques (ou les learning centers …) de demain ont aujourd’hui tout intérêt à embaucher massivement des anthropologues (proxémie – interactions dans l’espace), des ergonomes (navigation dans les contenus), et des designers qui permettront d’articuler l’ensemble.

>> Article initialement publié sur Affordance

>> source (photos non Creative Commons)

>> Illustration pour OWNI de Elliot Lepers

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Contrat Google/Bibliothèque de Lyon : l’ombre d’un doute… http://owni.fr/2009/12/13/contrat-googlebibliotheque-de-lyon-lombre-dun-doute/ http://owni.fr/2009/12/13/contrat-googlebibliotheque-de-lyon-lombre-dun-doute/#comments Sun, 13 Dec 2009 13:06:07 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=6151

Il est étonnant de voir que deux semaines après sa révélation, le contrat liant Google à la Ville de Lyon pour la numérisation du fonds ancien de sa bibliothèque n’a pas réellement fait l’objet d’analyses détaillées d’un point de vue juridique, alors que dans le même temps le débat sur la numérisation du patrimoine continue d’occuper le devant de la scène médiatique.

J’avais commencé à essayer de sortir les points essentiels des clauses il y a quinze jours dans mon tour de veille hebdomadaire, notamment pour cerner ce qui rendait ce contrat différent de ceux que nous connaissons déjà (université de Michigan et université de Californie).

Depuis, on peut lire des choses distrayantes (comme ici chez Télérama) dans ce registre philosophico-polémique qui tient lieu de débat public sur la question de la numérisation dans notre pays, mais des études serrées et argumentées du contrat : je n’en trouve point. On tombe aussi hélas sur des choses très approximatives, voire inexactes comme cet article chez Actualitté, qui titre d’une façon laissant entendre que le contrat n’imposerait aucune exclusivité (ce qui est faux).

Quand on trouve des commentaires plus précis (comme ici chez Archimag), ils se focalisent en général sur l’exclusivité commerciale de 25 ans consentie au profit de Google par la Ville de Lyon, aspect certes important, mais qui est loin d’être le seul méritant vigilance et attention.

Le contrat obtenu par la ville de Lyon est plus ouvert que ceux que nous connaissons déjà, mais l’ombre d’un doute persiste sur certains points essentiels pour l’accès à l’information. (Shadow of a doubt. Par Danièle Y. Go. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

J’aimerais ici revenir sur deux aspects qui me paraissent essentiels dans ce contrat et qui n’ont pour l’instant pas vraiment fait l’objet d’analyses : la question de l’exclusivité d’indexation et celle des possibilités de réutilisation des fichiers numériques remis à la Ville de Lyon.

Avant d’aller plus loin, je vous conseille d’aller relire le billet publié par Olivier Ertschzeid sur son blog en 2006 lorsque les contrats américains ont été révélés “Contrat californien et eugénisme documentaire“, histoire de bien se remémorer à quel niveau d’enjeu on se situe.

[...] le marché de dupe est le suivant : chacun des 2 partenaires reçoit “sa” copie, une copie à usage interne si l’on veut. Mais le marchand (Google) s’ouvre tous les droits sur la sienne et les copies de la sienne (impression, téléchargement, revente …) et impose au bibliothécaire un usage fermé et stérile de la sienne (pas de revente ni de cession, pas de téléchargement depuis les sites universitaires, etc.). Une forme revendiquée d’eugénisme documentaire [...] Chaque nouvelle bibliothèque contractante, en même temps qu’elle assure une visibilité de ses fonds et à l’impression de contribuer à la dissémination mondiale de la culture, fait faire un irrémédiable pas en arrière de plus à l’ambition d’une bibliothèque universelle.

C’est à cette aune que je veux examiner le contrat lyonnais en essayant de déterminer s’il contient des éléments problématiques du point de vue de l’accès à l’information, à savoir un déséquilibre au niveau des accès et des usages entre ce que l’on pourra faire à partir de Google Book Search et ce qui sera possible à partir des fichiers de la Bibliothèque de Lyon.

La première chose à prendre en considération de ce point de vue est la question centrale de l’exclusivité d’indexation. Il y a deux semaines dans mon rapide commentaire du contrat, j’indiquais que le Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP) qui a été publié paraissait présenter la particularité de ne pas comporter d’exclusivité d’indexation, tout en ajoutant qu’un certain doute persistait tout de même.

Pour bien comprendre de quoi il retourne, il faut partir des deux contrats américains.

Ces derniers contiennent en effet une clause explicite qui interdit aux bibliothèques partenaires de Google de laisser les robots des moteurs de recherche indexer le contenu des fichiers qu’elle diffuseront à partir de leur propre site. La clause est formulée de manière identique dans le contrat de l’université de Michigan (4.4.1 p. 5) et dans celui de l’université de Californie (4.9 p. 6) :

“University shall implement technological measures (e.g. through use of the robots.txt protocol) to restrict automated access to any portion of the University Digital Copy or the portions of the University Website on wich any portion of the University Digital Copy is available.”

Cette restriction signifie que les moteurs de recherche concurrents de Google (Bing de Microsoft, Yahoo !, Exalead, etc) n’auront pas la possibilité d’accéder à ces contenus. Certes, Google pourra de son côté les indexer (c’est même le but premier de la manœuvre !), mais il sera le seul à pouvoir le faire et c’est dans cette exclusivité que réside une forme d’atteinte  à l’accès à l’information. Un seul chemin pour accéder aux contenus patrimoniaux à partir des recherches en ligne : celui que Google aura décidé de mettre en place. L’exclusivité d’indexation présente une importance économique fondamentale. Dans la bataille du capitalisme cognitif dont l’affaire Google Book est une manifestation éclatante, un des enjeux principaux consiste à savoir qui sera en mesure de mettre en place le “Portique” par lequel les utilisateurs devront passer pour accéder à l’information. De ce point de vue, pouvoir disposer d’une exclusivité d’indexation confère un  avantage décisif à celui qui peut s’en prévaloir.

Lorsqu’on lit le contrat lyonnais, une des premières choses qui frappent, c’est que cette exclusivité d’indexation ne figure pas inscrite en toutes lettres.  Aucune trace de ces deux lignes que ce soit dans le CCTP ou dans l’acte d’engagement du marché. Cela dit, je ne peux pas me départir d’un doute gênant, qui tient à la solution technique prévue  pour permettre l’accès aux copies numériques remises à la Bibliothèque de Lyon.

Le CCTP indique en effet que la mise de ces fichiers se fera “dans le cadre d’une solution hébergée propre à la Ville de Lyon (hosted solution)” à savoir “un service distant via Internet que [Google] hébergera, à ses frais, sur ses serveurs” (art.20 p. 12). Cela signifie que c’est Google qui, dans un premier temps, construira à ses frais une bibliothèque numérique permettant à la Bibliothèque de Lyon de diffuser ses propres copies. Or cette prestation n’est pas consentie sans contrepartie ; c’est le moins que l’on puisse dire.

On lit en effet plus loin dans le CCTP que “les fonctionnalités, le design et le contenu de ce service restent entièrement sous le contrôle du titulaire. Par design du site, il faut entendre : l’ergonomie, la présentation, l’interface et les fonctionnalités techniques de la bibliothèque numérique propre à la ville qui sera hébergée par le titulaire“.

Vous lisez comme moi : les fonctionnalités de ce site restent  “sous le contrôle” de Google. Cela signifie que même si l’exclusivité d’indexation ne figure pas de manière explicite dans le contrat, je ne vois rien d’un point de vue juridique  qui empêche Google de bloquer les robots des moteurs de recherche concurrents afin qu’ils n’indexent pas les contenus de cette Hosted Solution. Et symétriquement, il n’y a pas moyen contractuellement d’imposer à Google qu’il le fasse.

Un peu plus loin encore, le CCTP ajoute : ”la recherche des ouvrages imprimés par l’utilisateur final doit pouvoir se faire, via Internet, aussi bien à partir du contenu des textes (full text) que des métadonnées bibliographiques“. On pourrait voir dans cette clause (les mots “full text“) une forme de garantie, mais Google aura certainement satisfait à ses obligations s’il permet simplement l’accès aux contenus de la Bibliothèque par son propre moteur.

Il existe néanmoins dans le contrat une sorte de soupape qui donne théoriquement à la Ville de Lyon les moyens de conjurer ce risque. A l’article 24 du CCTP, on peut lire : “La Ville de Lyon peut librement constituer avec les ouvrages imprimés numérisés par le titulaire, au fur et à mesure de la réalisation de la prestation, sa propre bibliothèque numérique et la rendre consultable par le public gratuitement, sur place ou via Internet“. Cela signifie qu’en plus de Google Book Search et en plus de la Hosted Solution développée par Google, la Ville de Lyon garde la faculté de monter une autre bibliothèque numérique (une troisième donc…), par ses propres moyens et rien alors dans le contrat n’empêche de l’ouvrir à tous les moteurs.

Garantie importante, j’en conviens…

Mais il faudra voir si concrètement la Ville de Lyon consentira à faire cet effort, alors qu’un accès au fichiers existe déjà par le biais de la Hosted Solution, offerte gratuitement. Et ici encore, je vous recommande de relire ce que disait Olivier Ertzscheid en 2006 dans son billet :

[...] pour parachever le tout, nos chères bibliothèques n’ont d’autre choix que d’accepter le cadeau “empoisonné” de Google qui consiste à opter pour une solution hébergé, le temps de la numérisation : c’est à dire que les oeuvres seront disponibles sur le site de Google uniquement, le temps que les université aient mis en place les capacités de stockage et de bande passante nécessaires … Vous imaginez bien qu’une fois que vous aurez consulté une oeuvre sur Google Books (qui entre temps aura largement communiqué sur l’augmentation de l’offre disponible) vous vous empresserez (si vous êtes au courant que “ça y est, la bibliothèque à récupéré son exemplaire et le propose dans son Opac”), vous vous empresserez, disais-je, d’aller trouver le site de la bibliothèque de l’université qui possède l’ouvrage, puis de trouver sur ce site comment est-ce qu’on fait pour accéder à leur p—–n d’Opac, puis de rechercher de nouveau l’ouvrage en question, puis de vous empresser de mettre ce si beau site de bibliothèque dans votre liste de favoris qui en comporte déjà 250 pour pouvoir y revenir quand bon vous semble. Hein ? Quoi ? Vous ne ferez pas ça ? Vous irez plutôt interroger directement Google Books ? Ooooh, ben oui mais alors si personne ne fait d’efforts …

Vous comprendrez que je puisse avoir l’ombre d’un doute, car si l’exclusivité d’indexation n’est pas inscrite formellement en droit, il existe un risque qu’elle puisse persister dans les faits.

A ce risque de déséquilibre dans l’accès, s’ajoutent des clauses qui vont certainement provoquer un déséquilibre dans les usages.

Tout se joue encore à l’article 24 du CCTP.

On y lit que “La Ville de Lyon peut permettre le téléchargement gratuit des images numérisés d’un ouvrage à partir de sa propre bibliothèque numérique, en tout ou partie, à condition que ce soit à l’unité, pour un usage individuel“.

Images“… “Individuel“… deux mots qui pèsent lourd…

Il faut comprendre en effet que les utilisateurs n’auront accès par le biais du téléchargement qu’au mode image, et non au mode texte. Tout ceux qui ont déjà sérieusement travaillé sur un ouvrage numérisé savent que c’est une restriction très forte, notamment pour les usages d’étude et de recherche. C’est se priver d’une des principales plus-value qu’apporte la numérisation. Du mode image à la bibliothèque, tandis que dans le même temps une grande partie du contenu libre de droits de Google Book Search est déjà récupérable au format ePub… hum…

L’autre restriction drastique découle du fait qu’il ne pourra être fait qu’un “usage individuel” des fichiers téléchargés à partir du site de la Ville de Lyon. Est-il besoin de rappeler par exemple qu’un usage pédagogique, par définition, n’est pas un usage individuel ? Qu’il en est de même pour la plupart des usages de recherche ? L’enseignement, la recherche comportent une dimension collective et publique qui n’est pas compatible avec un usage limité à la dimension individuelle.

De la même manière, l’usage individuel entraîne qu’il ne sera pas possible de réutiliser ces fichiers en ligne sur Internet. Or la réutilisation constitue un enjeu majeur de la numérisation aujourd’hui. Il fût un temps où la consultation en ligne sur le site de la bibliothèque numérique était le but ultime de la numérisation du patrimoine. C’est de moins en moins vrai aujourd’hui. Les utilisateurs ont certes besoin de consulter, mais ils veulent aussi emporter, réafficher, modifier, partager les documents, en accord avec les nouveaux usages du web. La faculté de pouvoir disséminer – et non plus seulement diffuser – les documents devient dès lors essentielle.

Or dissémination et réutilisation ne sont pas compatibles avec l’ “usage individuel”. Tout usage en ligne dépasse ce cadre étroit. L’article 24 du CCTP ajoute même pour que ce soit bien clair : “La Ville de Lyon s’engage également à empêcher tout tiers de : [...] redistribuer toute partie de sa bibliothèque numérique” (je serai d’ailleurs curieux de voir comment on peut satisfaire une telle exigence lorsqu’on permet par ailleurs  le téléchargement).

Google a d’ailleurs bien compris l’importance de permettre aux utilisateurs de s’approprier les documents et de les rediffuser par eux-mêmes. Il a même mis en place une solution technique pour ce faire, sous la forme d’un système de vignette exportable (embed), très bien fait. J’affiche par ce biais  le petit extrait que vous voyez ci-dessous (choisi complètement au hasard) et ce faisant, vous conviendrez que je fais à l’évidence une utilisation du document numérique plus large que l’usage individuel. Je doute que de telles fonctionnalités puissent être mises en place par la BM de Lyon à partir de son propre site.

Ajoutons que si les utilisateurs ne pourront pas disséminer les fichiers, la Bibliothèque ne sera pas plus en mesure de le faire elle-même puisque les partenariats sont limités par le CCTP à “la consultation des fichiers numérisés [par Google] dans le cadre de la bibliothèque numérique propre à la BML et sans transmission des fichiers aux partenaires“. Le contrat “fixe” les documents numériques sur le site de la BM de Lyon.

Ce qui est particulièrement dérangeant avec cette restriction à l’usage, c’est qu’elle est plus forte que celles mises en place par les conditions d’utilisation de … Google Book Search ! On accède à ces conditions lorsque l’on télécharge un ouvrage et elles nous disent que l’on peut réutiliser les documents à condition de ne pas faire un usage commercial des fichiers et de ne pas supprimer l’attribution (c’est-à-dire le filigrane discret “numérisé par Google” qui figure en bas de chaque page).

Or être limité à un usage non commercial n’empêche pas de faire une utilisation pédagogique ou de recherche des fichiers, pas plus que la réutilisation en ligne sur Internet et la dissémination. A la différence de l’usage individuel qui bloque beaucoup plus de choses…

Malgré ces ombres que je discerne dans l’accord entre Google et la Ville de Lyon, je n’irais pas jusqu’à employer le terme “d’eugénisme documentaire” à son sujet. D’abord parce que je n’ai pas envie de marquer un point Godwin et d’autre part parce que ce serait manquer d’objectivité dans l’analyse de  ce document.

Si on le compare avec les contrats de l’université de Michigan et de l’université de Californie, l’accord lyonnais est plus ouvert et il apporte plus de garanties. Il est très important d’insister sur ce point.

Il n’empêche que cet accord comporte toujours un risque de mise en place d’un déséquilibre des accès du point de vue de la liberté d’indexer les contenus. Et qu’il va provoquer un déséquilibre des usages à causes des restrictions imposées à la réutilisation des fichiers.

Ce qui m’étonne le plus dans cette histoire, c’est qu’on ne compte plus le nombre de personnes distinguées qui sont intervenues dans le ” débat” pour se fendre d’un article à la Darnton, en montant sur de grands chevaux théoriques et nous gratifier de grandes envolées de futurologie épistémologique.

Mais pour ce qui est de se confronter directement avec les clauses du contrat… pas grand monde soudainement…

Il ne suffit pas qu’un document soit rendu public pour l’exigence démocratique soit satisfaite. Ce qui importe, c’est que cette publicité soit le point de départ de l’analyse critique.

Dans ces conditions, si j’ai l’ombre d’un doute, c’est  surtout peut-être sur notre capacité à nous saisir d’une question aussi complexe que celle que nous pose Google Book Search.

Un billet publié à l’origine sur le blog S.I.Lex ]]> http://owni.fr/2009/12/13/contrat-googlebibliotheque-de-lyon-lombre-dun-doute/feed/ 2