OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [itw] Quand l’outil modifie le regard http://owni.fr/2010/10/04/itwquand-loutil-modifie-le-regard/ http://owni.fr/2010/10/04/itwquand-loutil-modifie-le-regard/#comments Mon, 04 Oct 2010 10:41:07 +0000 Julien Goetz http://owni.fr/?p=30299 Les boîtiers numériques professionnels tels que le Canon 5D Mark II apparaissent progressivement au sein des rédactions télé. L’esthétique de l’information télévisuelle est donc amenée à changer progressivement, ces outils offrant une bien plus grande qualité d’image que les caméras traditionnelle, se rapprochant même d’une image de cinéma. En quoi cela va changer notre rapport à l’information, aussi bien du côté des vidéojournalistes que du côté des reporters. Eléments de réponse avec Fabio La Rocca, docteur en sociologie et responsable du GRIS (Groupe de Recherche sur l’Image en Sociologie).

Avec des appareils tels que le Canon 5D, l’image se rapproche beaucoup d’une image de cinéma, existe-t-il un risque de fictionner l’information ?

C’est en effet une critique que l’on pourrait faire par rapport aux journalistes qui pourraient fictionnaliser la réalité mais je suis totalement contre cette idée car je pars du principe que le cinéma est réel, cela n’a donc pas de sens d’évoquer le risque de “fictionner” la réalité. Simplement il y a plusieurs réels.
Si le photojournalisme ou le vidéojournalisme veut s’approcher de la qualité d’image du cinéma, cela ne veut pas dire qu’il devient fictionnel comme dans le cinéma. Je crois plutôt que dès le début la démarche d’un cinéaste est la même que celle d’un reporter. Ils vont à la chasse, ils sont des détectives et c’est aussi ce que font les sociologues, tous les trois fonctionnent de la même manière : aller à la recherche des éléments du quotidien. Même s’il y a un scénario en toile de fond lorsque l’on parle du cinéma – et ce scénario existe aussi parfois chez les journalistes – la démarche est la même, c’est-à-dire capter l’instant du quotidien et le mettre en images.
Si un reporter a de bons moyens pour travailler notamment par rapport à la qualité de l’image et si un reportage est fait avec une qualité très belle peut importe. L’important c’est celui qui filme. Ce qui va primer c’est l’histoire qu’il raconte et la qualité esthétique de l’image donne simplement une touche en plus. On met un cadre plus beau. Mais ça ne veut pas dire que cela va faire passer le journaliste du côté de la fictionnalité présumée du cinéma.

Cela permettrait donc de tirer vers le haut la qualité de l’image et donc la qualité du regard ?

Les outils doivent être pensés de manière à faire accomplir la tâche de la meilleure façon possible. Si cet appareil est dans les mains de tous les journalistes, cela signifie que chacun peu avoir la possibilité d’amener son regard sur une situation. Tandis que si on ne l’a pas, on reste dans notre coin, on ne peut pas développer notre regard sur la société.
Aujourd’hui les frontières sont plus ouvertes, on va parfois reprocher aux journalistes de faire un travail de cinéaste tandis que à l’inverse on reprochera au cinéaste qui réalise un film documentaire de faire un travail de journaliste. Moi je ne fais pas de distinction entre un reporter et un cinéaste.
Aujourd’hui grâce aux performances du numériques, la frontière est plus faible, de plus en plus subtile et ça peut permettre un travail plus riche. Quand il y a un échange entre des disciplines ou des savoirs différents et cela va enrichir le travail. L’interdisciplinarité est une chose importante. La qualité des appareils technologiques, l’image numérique nous permettent d’aller dans cette direction, donc ça facilite les choses et ça aide le reporter à mieux faire son travail.

L’une des révolutions qu’apporte ces appareils est la possibilité d’y mettre de réelles optiques photo et donc de retrouver un travail sur la profondeur de champs et la possibilité d’isoler un plan par rapport aux autres. Est-ce que cela induit une manière différente de ractonter l’actualité ?

Isoler des moments, ça permet d’approfondir un point de vue sur une spécificité du réel qui passe devant nous. Donc la qualité de l’image va ponctuer, le “ponctum” de Barthes, prendre, isoler quelque chose et le mettre en relief. Ensuite c’est le journaliste qui va choisir dans l’action qui se déroule sous ses yeux. Par exemple j’ai dans mon cadre une salle avec une personne devant un ordinateur et que je choisi de mettre le focus sur la chaise vide qui est devant lui, je raconte une chose particulière, on va particulariser l’image. Cela permet de distinguer le regard unique sur quelque chose de spécifique. Et c’est en ça que le travail du journaliste va pouvoir se rapprocher de l’esthétique cinématographique.

Du même coup, cela pousse le vidéojournaliste à choisir encore plus ce qu’il va mettre en avant dans son reportage, au moment même de la prise de vue. Est-ce que cela pousse à plus de subjectivité, d’implication ?

Chaque image est un symptôme d’une émotion que l’on peut éprouver à travers notre regard.
Je suis convaincu que le journaliste dans son action, même s’il doit répondre à la logique journalistique, a toujours cette qualité d’être “embeded” comme disent les anglo-saxons. Il est engagé et il ne peut pas se sortir de cet engagement là, dans l’action.
Le travail produit avec les images, c’est le résultat de cet engagement. Dans l’action, il y a toujours une touche d’image qui est la mienne, qui est mon engagement et je vais le rendre présent dans ce que je suis en train de faire.
Avec cet outil technologique, on va l’assumer plus. À mon avis cela va favoriser un meilleur travail du journaliste, plus complet, plus précis. Il va avoir la possibilité de capter certaines situations et de les isoler.
C’est comme un second déclenchement dans le cadre. Vous allez focaliser l’intérêt, l’extrapoler du cadre général pour le mettre de côté. Je prends la scène au total du réel qui est en train de se passer, de l’instant vécu et j’isole des petits instants et ces petits instants justement c’est mon engagement.
Cela va faciliter ma conscience d’engagement, mon travail, la pluralité du regard. Le journaliste est donc encore plus engagé dans son travail parce qu’il sait qu’il a cette disponibilité technologique qui est plus ou mois celle qu’un cinéaste a à sa disposition quand il fait un film.
C’est un changement de vision, toute technologie amène un changement de vision et ce changement de vision va changer ma manière de travailler.
Avec les images, il y a quelque chose de magique, d’automatique, les choses viennent toutes seules. Quand on a la qualité du regard, comme un journaliste, même avec les difficultés d’appréhender un nouvel outil, les choses seront plus simples, plus directes, ça vient tout seul car notre oeil est entraîné à capter.
De ce type d’image naît une mosaïque qui est en train de se développer devant nous, donc notre regard est encore plus en profondeur, il va capter encore plus en détail les petits détails du quotidien, de l’instant vécu.

Cette précision du regard du vidéojournaliste va-t-elle lui permettre, au final, de rendre plus lisible la réalité qu’il observe ?

À mon avis oui, parce que le spectateur est habitué. Il faut voir le changement de paradigme de l’image, comment l’image se transforme avec les nouvelles technologies.
Le journaliste, quelqu’un qui travaille avec les images, doit répondre à un désir et quel est le désir du spectateur ? Avoir des images, en avoir plus et en avoir des meilleures.
Les images produites avec ce type d’appareils vont permettre au spectateur d’agrandir son regard. En étant attentif à ce genre d’images, où l’attention est captée par le regard journalistique, le spectateur va s’habituer à un nouveau type d’images journalistiques.
Si le journal télévisé se rapproche de cette esthétique que le spectateur connaît déjà cela répondra à son désir d’avoir des éléments plus précis, d’avoir une pluralité d’instants filmés et donc cela va favoriser la mise en commun entre l’image et la personne qui est en face de l’écran.

Photo cc FlickR nyuudo.

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Une nouvelle esthétique de l’info télé? http://owni.fr/2010/10/04/une-nouvelle-esthetique-de-linfo-tele/ http://owni.fr/2010/10/04/une-nouvelle-esthetique-de-linfo-tele/#comments Mon, 04 Oct 2010 08:40:19 +0000 Julien Goetz http://owni.fr/?p=30276 Décembre 2009, Lucas Menget, grand reporter pour France24, est en Afghanistan. Il a dans ses bagages un des derniers nés de la gamme professionnelle de chez Canon : le 5D Mark II. Ce boîtier numérique embarque une fonction vidéo full HD qui fait déjà parler d’elle depuis quelques temps, notamment du côté du webdocumentaire, des clips, de la pub ou même du cinéma. Mais, à cette époque, son utilisation en reportage, notamment au sein des rédactions télé, reste très isolée.

Retour sur le terrain. Ce jour là, Lucas Menget et le journaliste reporter d’images (JRI) qui l’accompagne suivent les troupes françaises du RPIMA et se retrouvent au milieu d’un affrontement avec les talibans. Ils choisissent alors de tourner à deux caméras : le JRI avec la caméra habituelle et Lucas Menget avec le Canon 5D.

De retour à Paris, en salle de montage, gros problème : la qualité des images provenant du Canon 5D est largement supérieure à celle de la caméra traditionnelle utilisée par le JRI (une Panasonic P2). Impossible de monter les deux angles de caméra en l’état, la différence serait trop flagrante. Il ne reste qu’une solution : altérer les images provenant de l’appareil photo. Au final, il leur faudra dégrader quatre fois les rushs du boîtier Canon pour arriver à une relative homogénéité d’images dans le reportage. Un comble.

Une révolution à moitié prévue

Dans la foulée, la rédaction de France24 est l’une des première en France à s’équiper massivement avec ce type d’appareils (c’est déjà le cas sur certains médias étrangers comme CNN). L’idée n’est pas de remplacer du jour au lendemain les caméras traditionnelles mais plutôt de tenter diverses configurations. Des reportages en longueur mêlant prises de vues traditionnelles et images tournées en full HD permettant varier en fonction des angles éditoriaux abordés, mais aussi des reportages tournés exclusivement avec le 5D, plus léger donc plus pratique pour un reporter qui doit partir seul, se faire plus discret, sans compter l’énorme capacité de rendu de ce boîtier quand il s’agit de tourner de nuit (la sensibilité peut monter jusqu’à 6400 ISO).

L’engin est donc une bête de course et offre des possibilités vraiment révolutionnaires en matière de vidéo en particulier grâce à son capteur plein format qui a fait sa renommée. Sans compter qu’associé aux optiques Canon, le jeu sur la profondeur de champs, la netteté des différents plans et la mise en valeur d’un sujet par rapport à l’ensemble apporte une vision complètement différente du journalisme vidéo tel qu’il est pratiqué au sein des rédactions des chaînes de télévision.

La petite histoire de cette révolution est qu’elle n’a été qu’en partie prévue par les équipes de Canon. En partie seulement car, si l’ajout de cette fonction vidéo n’est pas un hasard, elle n’avait pas spécialement été pensée pour une utilisation broadcast. Lucas Menget raconte :

Canon vendait plutôt ça comme un développement des appareils photos pour en faire des utilisations web mais pas tellement pour en faire des utilisations broadcast. Ce que Canon n’avait pas du tout imaginé c’est l’utilisation professionnelle en reportage télé. Du coup pour nous ça pose pleins de petits problèmes. La simplicité et la rapidité d’accès à certains menus qui sont particulièrement pratiques en reportage font défaut, le son également n’est pas franchement prévu pour des conditions de reportage. Et puis le gros inconvénient du 5D en reportage, c’est qu’il est très fragile et qu’il résiste très mal à la poussière et à l’eau.

Un outil avant tout pensé pour les photographes donc, dixit Pascal Briard, responsable de la communication chez Canon :

Au départ ce boîtier était conçu pour les photographes, pour les photojournalistes. Donc on a mis tout ce qu’il était possible de faire dans ce boîtier en terme de qualité, le tout en full HD 1080p. Ça a débordé ensuite sur le broadcast mais au départ ce n’est pas fait pour eux, c’est clair.

La naissance de l’idée

Au passage, petit historique de la naissance de cette fonction vidéo dans l’esprit des ingénieurs de chez Canon. Tout commence lors de l’édition 2008 du festival Visa pour l’image, à Perpignan, dont Canon est partenaire. Ziv Koren, photojournaliste israélien et ambassadeur de la marque, fait un détour par le stand Canon et montre aux équipes comment il travaille depuis quelques temps. Pascal Briard :

Il avait un réflex et il avait mis en-dessous la barrette permettant de tenir un flash-torche mais à la place du flash, il avait vissé un caméscope. Quand il couvrait le conflit israelo-palestinien, il avait pris l’habitude de laisser tourner le caméscope en continu et il faisait ses photos. Du coup il proposait aux rédactions ses clichés d’un côté et les images animées de l’autre pour une diffusion sur le site internet du journal.

Le prix d’achat des photographies par les journaux ayant clairement baissé depuis quelques années, Ziv Koren avait trouvé sa propre parade en imaginant ce système permettant de livrer un autre type de contenu aux rédactions et ainsi retrouver une rémunération plus juste. Il était clair pour les ingénieurs de chez Canon qu’il fallait intégrer cette fonction dans le boîtier.


Revenons à l’utilisation du 5D MarkII non pas par des photographes mais par des vidéastes ou des JRI. Cette utilisation n’ayant pas été anticipée par Canon, il faut nécessairement l’accessoiriser pour en faire une véritable caméra ce qui fait le bonheur d’un petit nombre d’entreprises qui ont rapidement envahi le marché de l’accessoire. Viseur, moniteur de contrôle, stabilisateur, micro et bien d’autres, les possibilités ne manquent pas et passer d’une caméra traditionnelle à ce type d’outil ne s’improvise pas.

Au final, l’utilisation de ce boîtier uniquement sur le mode vidéo dans des conditions de reportage traditionnel oblige à repenser totalement la méthode de travail.

On est obligé de penser le reportage avant, de savoir ce que l’on va tourner, pourquoi, comment on va le tourner, quel type d’objectif on va utiliser. On ne peut pas tout faire, selon Lucas Menget.

Penser autrement le reportage

Ce ne sont malgré tout que des détails face à l’apport considérable de l’appareil de chez Canon dans le monde de la télévision. En matière de journalisme, cela modifie jusqu’au rapport aux autres, à ceux qui sont au centre d’un sujet : les interviewés. Lucas Menget utilise surtout le 5D avec un grand angle, c’est là qu’il prend tout son sens selon lui et ça implique nécessairement de se rapprocher de son sujet.

Je pense que l’on a un intérêt aujourd’hui à aller le plus près possible des gens. On crée des distances avec la caméra vidéo parce que on peut se mettre très loin, avec les appareils photos, la petitesse et la discrétion de l’outil font que l’on va se rapprocher beaucoup. La plupart des gens ne se rendent même pas compte qu’on les filme.
Moi ce qui m’intéresse, c’est de continuer à faire du reportage en racontant d’une manière un peu différente. Et le 5D introduit une nouvelle forme de récit par ce qu’on est obligé de construire très en avance. Ça donne envie de penser le reportage différemment.

L’apparition de ce nouvel outil semble donc questionner en profondeur le travail du journaliste vidéo. En offrant de nouvelles possibilités techniques, il ouvre surtout à un nouveau regard et une nouvelle marnière de raconter l’actualité. Son image se rapprochant clairement d’une image cinéma, l’esthétique du journalisme vidéo devrait changer dans les temps qui viennent. D’autres secteurs du petit écran on déjà franchi le pas, notamment du côté des séries. À l’heure où se pose la question de la fusion des écrans (tv, internet, portables…), celle de l’esthétique de l’info filmée se profile aussi à l’horizon.

Crédits photos cc FlickR visiophone, Tor Hakon, roboston.

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