OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Quand on aime la liberté, on n’aime pas la centralisation http://owni.fr/2010/11/11/quand-on-aime-la-liberte-on-n%e2%80%99aime-pas-la-centralisation/ http://owni.fr/2010/11/11/quand-on-aime-la-liberte-on-n%e2%80%99aime-pas-la-centralisation/#comments Thu, 11 Nov 2010 09:00:38 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=35234 Cen­tra­li­ser, c’est intro­duire des pas­sages obli­gés au cours des­quels on affirme son contrôle, c’est créer des zones de pou­voir et même de toute-puissance, des espaces opaques et impé­né­trables pour le pro­fane. Il y a ceux qui passent et ceux qui contrôlent les pas­sants. Il y a ceux qui subissent les règles et ceux qui les imposent. Sou­vent, cette hié­rar­chie pri­maire à deux niveaux se com­plique, chaque niveau se sub­di­vise pour que la pyra­mide s’élève.

Cen­tra­li­sa­tion implique hié­rar­chi­sa­tion implique émer­gence de struc­tures de domi­na­tion et réciproquement.

L’anarchisme, du moins tel que je le com­prends […] est une ten­dance de la pen­sée et de l’action humaine qui cherche à iden­ti­fier les struc­tures d’autorité et de domi­na­tion, à les appe­ler à se jus­ti­fier, et, dès qu’elles s’en montrent inca­pables (ce qui arrive fré­quem­ment), à tra­vailler à les sur­mon­ter, écrit Chom­sky.

J’aime cette défi­ni­tion de l’anarchie. Elle situe comme anar­chistes ceux qui se sont oppo­sés à l’esclavage ou ceux qui se sont oppo­sés à la domi­na­tion des hommes sur les femmes. Nous avons non seule­ment pour devoir de per­pé­tuer ces luttes anciennes mais nous devons en entre­prendre de nou­velles car des hommes ima­ginent sans cesse de nou­velles struc­tures de dominations.

Le logi­ciel libre

Au début des années 1980, Xerox intro­duit un point de cen­tra­li­sa­tion au AI Lab du MIT. La société y ins­talle une impri­mante laser pro­to­type sans en four­nir le code du driver.

Xerox en ne révé­lant pas le code intro­duit un gou­let d’étranglement. Il faut pas­ser par Xerox au moindre pro­blème et subir la logique de fonc­tion­ne­ment déci­dée par Xerox.

Xerox a intro­duit de la rareté là où les pro­gram­meurs avaient tou­jours connu l’abondance. Xerox s’est placé au-dessus d’eux, les a mis en situa­tion de dépendance.

Alors âgé de 27 ans, Richard Stall­man se sent pris au piège. Il en déduit que la pri­va­ti­sa­tion du code infor­ma­tique est une atteinte à sa liberté de pro­gram­meur et d’usager des ordi­na­teurs et de leurs périphériques.

Xerox jus­ti­fie l’instauration de cette struc­ture de pou­voir au nom du droit com­mer­cial. Est-elle jus­ti­fiée ? Non pense Stall­man et il trouve une manière de l’abattre : créer des logi­ciels libres et ouverts pour que la culture infor­ma­tique puisse se déve­lop­per et que cha­cun de nous soit maître de ses ordi­na­teurs et de ses périphériques.

Depuis il passe sa vie à lut­ter contre la réduc­tion arti­fi­cielle de l’abondance du code infor­ma­tique, et plus géné­ra­le­ment de tous les codes culturels.

La mon­naie libre

Dans l’économie, l’argent rem­place les lignes de codes et nous nous trou­vons dans une situa­tion com­pa­rable. Cer­tains opé­ra­teurs ont le pou­voir d’injecter de l’argent sup­plé­men­taire, presque à volonté.

Beau­coup de gens croient que ce pou­voir est dévolu aux banques cen­trales et admettent leur légi­ti­mité, puisqu’elles émanent du peuple, bien que de manière très indirecte.

Il ne s’agit pas de condam­ner en bloc toutes les struc­tures de pou­voir. Cer­taines peuvent être néces­saires, d’autant quand la grande majo­rité d’entre nous les accepte. Par exemple, la police.

En revanche, quand les banques créent l’essentiel de la masse moné­taire selon le méca­nisme de l’argent dette, le peuple ne le leur a pas concédé ce droit. Elles se le sont approprié.

Ces points d’émergence de l’argent frais sont peu nom­breux, pri­vés et fer­més aux yeux de la plu­part d’entre nous. Nous avons donc bien des struc­tures de pou­voir qui font la pluie et le beau temps dans l’économie.

Ces points cen­tra­li­sés de créa­tion moné­taire peuvent-ils se jus­ti­fier ? Est-il pos­sible de s’en pas­ser ? Oui, par exemple en fai­sant de cha­cun de nous des émet­teurs de mon­naie, selon de prin­cipe du divi­dende uni­ver­sel, en accord avec les méca­nismes théo­ri­sés, par exemple, par Sté­phane Laborde dans sa Théo­rie rela­tive de la mon­naie.

Il est inté­res­sant de remar­quer qu’une telle créa­tion moné­taire dis­tri­buée, selon un code moné­taire ouvert, n’est pos­sible qu’en s’appuyant sur les logi­ciels eux-mêmes ouverts. Stall­man a lancé un mou­ve­ment qui dépasse de loin le seul cadre informatique.

L’homme libre

Dès que nous nous trou­vons face à une struc­ture pyra­mi­dale nous devons nous inter­ro­ger au sujet de sa néces­sité. Chaque fois que nous pou­vons lui trou­ver un sub­sti­tut, nous sommes en passe de gagner en liberté (comme les esclaves, les femmes, les programmeurs…).

En trou­vant un moyen d’éviter le point d’étranglement que consti­tue une pyra­mide, nous gagnons en flui­dité. L’information ne monte plus avant de redes­cendre, elle cir­cule trans­ver­sa­le­ment. Nous n’attendons plus l’aval d’un supé­rieur, et du supé­rieur du supé­rieur, avant d’agir mais juste celui de nos pairs.

Encore une fois, l’informatique a son rôle à jouer. En nous aidant à nous inter­con­nec­ter, à tra­cer des réseaux sociaux de plus en plus dense, elle favo­rise la créa­tion d’organisations réti­cu­laires qui peu à peu cassent les hié­rar­chies : cir­cu­la­tion trans­ver­sale de l’information, auto-organisation, accrois­se­ment de l’intelligence collective…

Plus cette com­plexité sociale aug­mente, plus le mana­ge­ment top-down devient dif­fi­cile comme je le montre dans L’alternative nomade. Il coûte de plus en plus cher, passe sou­vent par le déve­lop­pe­ment de l’antipathie, devient dif­fi­cile à sup­por­ter pour la plu­part des gens.

Dans un monde com­plexe, les pyra­mides ont ainsi de plus en plus de mal à se jus­ti­fier… et leur main­tient n’est pos­sible qu’avec une dépense d’énergie pro­hi­bi­tive. Pro­gres­si­ve­ment, avec le déve­lop­pe­ment de la com­plexité sociale, les pyra­mides ne peuvent que se déli­ter. Chaque fois qu’elles abdiquent, nous gagnons en liberté.

Le com­bat pour le logi­ciel libre et pour la mon­naie libre se situe dans ce cadre plus géné­ral du pas­sage des orga­ni­sa­tions cen­tra­li­sées aux orga­ni­sa­tions réti­cu­laires. Il est en train de se répandre par­tout. Par exemple, quand les pay­sans vendent en direct leur pro­duc­tion ils s’attaquent à la pyra­mide de la grande distribution.

Crédit photos cc FlickR : argo_72, - FrOsT-, jirotrom.

Article initialement publié sur le blog de Thierry Crouzet.

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