OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 CETA craindre http://owni.fr/2012/10/15/ceta-craindre/ http://owni.fr/2012/10/15/ceta-craindre/#comments Mon, 15 Oct 2012 14:12:07 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=122614

En juillet dernier, lorsque le Canadien Michael Geist, professeur de droit engagé en faveur des libertés numériques, a alerté sur le danger de CETA ce traité commercial Canada-UE potentiellement cheval de Troie d’ACTA, l’accord commercial fraîchement rejeté par le Parlement européen, certains ont tempéré : le texte fuité date de février, il n’est plus d’actualité, les lobbies ont échoué dans leur tentative d’imposer leur vision maximaliste de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur.

Trois mois après, alors qu’un treizième round de négociations s’engage ce lundi, le scepticisme a fait place à l’inquiétude. Le Canada-European Union Trade Agreement (le CETA en question, donc), est en phase finale et l’embryon du brouillon laisserait augurer d’une sale bestiole.

Avant de poursuivre, arrêtons-nous un instant sur le terme “cheval de Troie” d’ACTA : on a pu croire que le document avait été mitonné exprès, devant la défaite annoncée du traité anti-contrefaçon. En réalité, la discussion a été entamée en 2009, dans un contexte général de libéralisation des échanges et de crispation des lobbies culturels, incapables de s’adapter aux mutations des usages engendrées par l’Internet.

Si CETA est venu sur le devant de la scène en plein ennui estival, c’est que la partie concernant la propriété intellectuelle et le droit d’auteur a fuité, “de façon opportune”, signale Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net (LQDN) et emblématique figure du combat contre ACTA. Un lobbyiste au taquet qui nous a redit ce que l’association martèle depuis cet été :

CETA, c’est comme ACTA.

Dubitatif naguère, le fondateur du Parti Pirate, le Suédois Rick Falkvinge tient désormais la même ligne :

Il apparait maintenant évident que les maux d’ACTA se retrouvent aussi pour l’essentiel dans CETA.

Il est donc devenu clair que les négociateurs essayent bien de passer outre les parlements en faisant leurs propres règles, un procédé qui est à la fois anti-démocratique et méprisable.

Les “maux” redoutés de nouveau, ce sont entre autres les atteintes aux libertés numériques, avec une plus grande responsabilisation des intermédiaires techniques qui porterait atteinte à la neutralité du Net, et un accès plus difficile et coûteux au médicaments. Avec, là encore, la possibilité de sanctions pénales pour les citoyens qui enfreindraient les dispositions. “Le texte parle ‘d’échelle commerciale’, c’est trop large alors qu’il faut considérer l’intention, si la personne agit avec un but lucratif ou non”, s’énerve Jérémie Zimmermann.

La Commission européenne rassurante

Après avoir refusé de communiquer au sujet de la fuite, la Commission européenne est finalement sortie du bois, pour démentir les accusations, et sans pour autant révéler le contenu entier de l’accord. Pour l’instant, il est entre les mains des négociateurs, de ce côté-ci la Commission européenne et la présidence de l’UE, assurée par Chypre, qui sont libres de le partager. Ou pas.

Sa position ? Les États-membres sont seuls décisionnaires sur le volet pénal, souveraineté oblige, elle ne peut que leur conseiller de ne pas appliquer les sanctions. Ce qui fait hurler la Quadrature, pour qui de toute façon “des sanctions pénales n’ont rien à voir dans un accord commercial.”

L’enjeu dans les jours qui viennent est donc de sensibiliser la tripotée de ministères concernés, Fleur Pellerin (PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique), Pierre Moscovici (Économie et des Finances), Aurélie Filippetti (Culture et de la Communication), Bernard Cazeneuve (Affaires européennes), Laurent Fabius (Affaires étrangères) et Nicole Bricq (Commerce extérieur). Ils ont reçu la semaine dernière une lettre ouverte les appelant à “protéger nos libertés”.

Dossier en dessous de la pile ou petit mensonge du lundi matin, le cabinet de Fleur Pellerin nous a répondu :

Nous ne sommes pas au courant. Je pense qu’on ne l’a même pas reçu.

Pour mémoire, les eurodéputés socialistes avaient voté contre ACTA et faute d’être bien informé, le gouvernement actuel pourrait se retrouver en porte-à-faux vis à vis de la position de ses homologues du dessus.

Tabernacle

Outre-Atlantique, les opposants sont mobilisés depuis bien plus longtemps contre CETA et mettent l’accent sur les particularités du Canada. Le gouvernement conservateur est favorable à l’accord, soucieux de la balance commerciale du pays, comme a rappelé Claude Vaillancourt, président d’ATTAC Québec dans une tribune :

Le négociateur a répété une fois de plus l’importance de conclure rapidement l’AÉCG (CETA en français, ndlr) [...]. Puisque nos exportations aux États-Unis diminuent, il faut chercher de nouveaux marchés. Pourtant, nous sommes bel et bien liés par un accord de libre-échange avec ce pays, mais celui-ci ne donne plus les résultats attendus. Pourquoi dans ce cas un accord avec l’Europe serait-il tellement avantageux ? [...]

Les relations commerciales entre le Canada et l’Europe sont déjà excellentes et en progression. Ce qui a d’ailleurs été confirmé dans une étude conjointe, commandée par le Canada et l’Europe avant les négociations.

Ils craignent aussi que des dispositions de l’ALENA, l’accord de libre-échange nord-américain entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, ne soient reproduites. Elles permettraient “de poursuivre des gouvernements par l’intermédiaire de tribunaux d’experts au fonctionnement non transparent”, met en garde Claude Vaillancourt. Et la possibilité d’ouvrir des marchés publics aux entreprises européennes fait redouter des services publics de moindre qualité.

Dans la ligne de mire du lobbying anti-CETA, les provinces, comme nous l’a détaillé Stuart Trew de Council of Canadians, une association militante citoyenne née lors des négociations de l’ALENA : “Les provinces ont un rôle important à jouer, similaire à celui des États-membres. Si le gouvernement fédéral a le dernier mot, elles ont toutefois un veto symbolique. Elles peuvent décider de ne pas le mettre en place. Ils font donc leur faire prendre conscience des dangers, car nous ne pensons plus pouvoir changer l’opinion du gouvernement.”

Optimisme #oupas

Le calendrier est serré, avec un vote au Parlement envisageable “dans les trois à six mois”, estime Jérémie Zimmermann. Guérilla de longue haleine, ACTA avait laissé ses adversaires victorieux mais épuisés. Un travail de lobbying qui porte ses fruits sur ce nouveau front : longs à la détente, les médias grand public sont désormais plus prompts à traiter ce sujet peu seyant, jargon numérico-juridico-institutionnel oblige. De même, le précédent dans l’engagement citoyen rassure. OpenMedia, une association canadienne militant pour un Internet ouvert, se montre optimiste,  évoquant l’évolution de la position sur le copyright :

Il y a des signes forts que l’engagement citoyen a un impact. La poussée contre ACTA venue de la communauté de l’Internet libre a mené à son rejet. [...] et Michael Geist a suggéré la semaine dernière qu’une pression continue mène les négociateurs à revoir l’inclusion des clauses d’ACTA sur le copyright dans CETA.

Rick Falvinge estime que la Commission européenne aura à cœur de ne pas commettre la même erreur :

Après la défaite d’ACTA au Parlement européen, la Commission serait sage d’écouter, à moins qu’elle ne souhaite une autre défaite humiliante.

Au final, c’est le Parlement qui la nomme. Un Parlement trop mécontent n’est pas souhaitable pour la Commission.

En dépit du compromis trouvé sur le copyright, Michael Geist nous a, au contraire, fait part de son pessimisme :

Le caractère secret de CETA  est un énorme problème et je crains que le gouvernement canadien cèdera à la pression de l’UE, simplement pour conclure un accord.

Et si les parties restent sur leurs positions, les opposants ont une carte dans leur manche aux relents de camembert bien de chez nous : les appellations géographiques sont en effet un enjeu majeur à régler, source potentiel de conflit avec les agriculteurs. Elles protègent des produits selon des critères plus ou moins stricts. Et l’UE tient à ses Appellations d’origine contrôlée. Sur ce point, il y a a priori désaccord :

L’Europe recherche fréquemment un changement du droit aux frontières et des droits étendus pour les appellations et la plupart des pays y sont opposés.

Des agriculteurs en colère, une perspective plus à même de réveiller les politiques français qu’une lettre ouverte. Mais il va falloir mettre vite les tracteurs dans la rue : les ministres des gouvernements entreront dans la danse en novembre.


Illustrations et couverture par Hiking Artist [CC-by-nc-nd]

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Washington chinoise sur le cyberespace http://owni.fr/2012/10/11/huawei-zte-nsa-cisco-intelligence-renseignement-espionnage-chine/ http://owni.fr/2012/10/11/huawei-zte-nsa-cisco-intelligence-renseignement-espionnage-chine/#comments Thu, 11 Oct 2012 06:48:05 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=122146 fair play.]]> Festival of lights, Photo CC by Rene Mensen

Festival of lights, Photo CC by Rene Mensen

En début de semaine, le Congrès américain frappait d’ostracisme les filiales américaines des groupes chinois Huawei et ZTE, en convoquant une conférence de presse pour inviter l’industrie américaine à ne plus travailler avec ces entreprises spécialisées dans les infrastructures de télécommunications. Huawei et ZTE équipent des data centers, des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ou vendent des composants de la téléphonie mobile. Des technologies considérées comme autant de menaces potentielles par le Congrès.

À l’appui de cette attaque en règle, un rapport émanant de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants. Dont les membres, depuis plusieurs mois, ne cachent pas tout le mal qu’ils pensent de la présence – encore modeste – de Huawei et ZTE sur le marché américain.

La version finale de leur document de 60 pages – que nous avons lu, ici en PDF – multiplie les affirmations quant à l’opacité de ces deux géants chinois des télécoms et du numérique, à la fois fabricants et prestataires de service. Sans toutefois apporter de preuves matérielles convaincantes.

Une absence regrettable dans la mesure où ces attaques contre Huawei et ZTE interviennent sur fonds de tensions économiques sur le marché des télécoms américains, en raison de la concurrence que ces groupes représentent. Peu après la conférence de presse du Congrès, la direction de Huawei a d’ailleurs répondu en laissant entendre qu’il s’agirait d’un mauvais procès motivé par la course vers de juteuses parts de marché.

Opérations militaires

Sur un plan matériel, le document s’appuie le plus souvent sur des informations déjà publiées dans la presse, même si une note de bas de page mentionne l’existence d’annexes classifiées, portant sur le travail des services américains de renseignement quant à la réalité de ce risque.

[Carte Interactive] La Chine investit l’Europe

[Carte Interactive] La Chine investit l’Europe

En pleine crise financière, les liquidités chinoises font craindre des vagues d'acquisitions en Europe. OWNI a recueilli et ...

Le rapport a été rédigé par deux élus suivant régulièrement “la communauté du renseignement” et ses enjeux, Dutch Ruppersberger et Mike Rogers.

Alors que ce dernier a fait une partie de sa carrière au FBI, Ruppersberger, pour sa part, passe pour un parlementaire très attentif aux questions de souveraineté nationale. Au Congrès, depuis plusieurs législatures, il représente le second district du Maryland, la circonscription où campe la National Security Agency (NSA), à Fort Meade, ainsi que la plupart des commandements américains impliqués dans les opérations militaires sur les réseaux numériques. En particulier le US Cyber Command. Dans ce second district du Maryland on compte ainsi près de 38 000 personnes travaillant pour l’appareil sécuritaire du gouvernement.

Et plusieurs dizaines de milliers d’autres employées dans des sociétés privées sous-traitantes. Tout un monde qui vit – à tort ou à raison – sur la base d’une économie du soupçon ciblant les acteurs chinois dans des technologies de l’information.

365 Day 256, Photo CC by Collin Harvey

365 Day 256, Photo CC by Collin Harvey

À défaut de preuves irréfutables à l’encontre de ces entreprises chinoises, la démarche des parlementaires américains peut paraître un rien étonnante. En effet, le géant américain Cisco semble entretenir les mêmes ambiguïtés que celles reprochées à Huawei et ZTE – contrats avec les militaires de leur pays d’origine et partenariats avec des agences de renseignement.

Espionnage

Avec des conséquences tout aussi préoccupantes pour le citoyen. Depuis le début des années 2000, à travers le monde, Internet se développe grâce à des routeurs fournis par Cisco ou par les cinq autres sociétés américaines ou franco-américaine (Alcatel-Lucent) qui maîtrisent ces technologies et travaillent parallèlement avec le complexe militaire de leur pays – jusqu’à l’arrivée d’Huawei qui les concurrence.

À ce titre, pour les observateurs américains, les accointances entre Cisco et la NSA sont légions. Selon l’enquêteur James Bamford, auteur de plusieurs livres qui font autorité sur la NSA et les technologies d’espionnage, cette proximité relève de l’essence même de la NSA, au regard de ses missions de surveillance globale des réseaux. Lors d’un entretien avec des journalistes de la chaîne PBS Bamford affirmait :

L’une des choses que la NSA fait c’est de recruter beaucoup de gens venant de l’industrie des télécoms, donc de gens qui connaissent comment Internet fonctionne, qui savent comment certains systèmes à l’intérieur d’Internet sont construits. Par exemple, ils pourraient recruter des gens de Cisco qui construisent divers routeurs, et les intégrer dans la NSA pour ensuite déconstruire le fonctionnement des routeurs.

Les routeurs de la discorde

Les routeurs de la discorde

Européens et Américains sont d'accord : les équipements chinois sont materia non grata, en particulier les routeurs - ...

Les enjeux financiers provoqués par le gonflement des budgets militaires après le 2001 ont accentué cette dynamique. De nos jours, le groupe Cisco, via un département spécialisé – dénommé Federal Intel Area -, propose des services de surveillance et de traitement du renseignement sur-mesure à l’ensemble des services secrets américains ; comme le montre cette brochure commerciale [pdf]. Une relation qui semble parfaitement assumée ; nous avons retrouvé sur LinkedIn le CV détaillé de l’un des responsables de ce programme actuellement en poste chez Cisco.

Finalement, ces relations entre entrepreneurs du numérique et appareil sécuritaire s’inscrivent dans la tendance naturelle de tous les États à contrôler et surveiller tous les réseaux de communication – depuis le télégraphe jusqu’à Internet. Le 14 août dernier près de Baltimore, lors d’une conférence réunissant des agences du département américain de la Défense impliquées dans le renseignement électronique, Keith Alexander, patron de la NSA, a rappelé cette évidence lors d’une intervention de près de 40 minutes consacrée aux opérations de la NSA dans le cyberespace.

S’exprimant sur quelques détails des missions de son agence sur le numérique, il a évoqué les 18 câbles sous-marins reliant les États-Unis au continent européen et permettant aux connexions Internet de traverser l’Atlantique grâce à de multiples relais technologiques… Et les partenariats avec des pays comme la Grande-Bretagne ou la France permettant de surveiller l’ensemble.

Ces acteurs technologiques étant les clients des appareils sécuritaires de leur pays d’origine, il est difficile des les imaginer ne bâtissant pas ces ponts qui facilitent leur tâche – au nom de l’idée qu’ils se font de leur propre sécurité nationale, et des intérêts qu’ils partagent.


Festival of lights, Photo CC by Rene Mensen | 365 Day 256, Photo CC by Collin Harvey.

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La Bavière monnaie comme elle veut http://owni.fr/2011/09/01/baviere-chiemgauer-monnaie-alternative/ http://owni.fr/2011/09/01/baviere-chiemgauer-monnaie-alternative/#comments Thu, 01 Sep 2011 06:30:30 +0000 Louise Culot http://owni.fr/?p=77613 Christophe Levannier dirige une entreprise à Traunstein, en Haute Bavière. Parmi ses clients, beaucoup de locaux. Par exemple, le meunier du coin. Il le connaît bien et, surtout, il peut le payer, non pas en euros, mais en Chiemgauers. Lui-même dispose de Chiemgauers puisque le boulanger de Traunstein achète maintenant sa farine chez lui, en Chiemgauers évidemment.

Depuis 2003, le boulanger accepte aussi que ses clients le paient avec cette monnaie locale. Dès lors, Levannier et d’autres habitants de Traunstein vont chercher leur pain chez lui et non plus au supermarché Lidl.

“Si la monnaie arrête de circuler, c’est la mort du système”

La monnaie est tellement enracinée dans nos vies, dans notre culture et dans notre histoire, que l’on ne s’interroge même plus sur son utilité. Pourtant, à l’heure de la crise financière et alors que l’avenir même de la monnaie européenne est incertain, il semble opportun de revenir sur la raison d’être de la matière première de l’économie. Selon Bernard Lietaer, économiste et spécialiste de la monnaie, la monnaie n’est rien de plus qu’un accord, au sein d’une communauté donnée, sur un moyen d’échange et de paiement.

Christophe Levannier, responsable du Chiemgauer dans la ville de Traunstein, en Bavière, préfère, pour sa part, filer la métaphore :

La monnaie dans notre système économique, c’est comme le sang dans le corps humain : si elle s’arrête de circuler, c’est la mort du système.

Quoi qu’il en soit, la masse monétaire mondiale n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Cette abondance contraste avec la pénurie constatée au jour le jour. On a l’impression que la monnaie ne circule plus et elle fait défaut à beaucoup : les jeunes, les retraités, les enfants, les mères de famille, les artistes, les ouvriers, la veuve de Carpentras… La liste est interminable.

Le Chiemgauer circule trois fois plus vite que l’euro

Alors, que faire? Les créateurs du Chiemgauer, monnaie alternative bavaroise, ont élaboré leur propre définition d’une monnaie régionale après 8 ans d’expérience :

Il s’agit d’un système monétaire valide dans une région définie, suffisamment étendue pour mettre en place un circuit économique qui subvient à 50 % des besoins de la population locale.

En Bavière, quelques personnes se sont mises d’accord en 2003 pour créer un nouveau système monétaire. Le problème de la parité a été vite résolu, explique Christophe Levannier:

1 Chimgauer vaut 1 euro. Nous avons choisi de nous baser sur la valeur de l’euro pour que les commerçants ne soient pas contraints de changer tous leur prix. Au marché, on peut donc acheter 1 kilo de prunes pour 3 euros ou pour 3 Chimgauers.

Le Chiemgauer, c’est aujourd’hui environ 2000 consommateurs réguliers et 600 entreprises et associations. La masse monétaire s’élève actuellement à 500 000 Chiemgauers. Particularité: la vitesse de circulation est trois fois plus élevée que pour l’euro.

Attention, le Chiemgauer ne remplace pas l’euro, mais le complète. Nous ne cherchons pas à cloisonner notre économie ou à promouvoir le protectionnisme, mais bien à redynamiser notre économie et notre emploi à niveau local.”

Une monnaie bien réelle

Il existe des coupures de 2, 5, 10, 20 et 50 Chiemgauers.

Chaque personne qui souscrit au système reçoit une carte de crédit Chiemgauer liée à son compte en banque traditionnel. Muni de sa carte, le consommateur peut retirer des billets dans un bureau de change muni du terminal ad hoc. Dès qu’il prélève des Chiemgauers au bureau de change, son compte est débité en euro.

A Traunstein, il existe plusieurs bureaux de change, la plupart sont des commerçants. “Pour nous, c’est une manière de fidéliser le client, parce qu’une fois qu’il sait qu’on accepte le Chiemgauer, il revient chez nous”, raconte l’un d’eux, vendeur de produits naturels. “Les Chiemgauers que je gagne en vendant, je les redépense à mon tour localement, tant pour ma consommation privée que pour payer mes fournisseurs.”

“Le Chiemgauer peut servir à des transactions plus importantes, à des paiements business to business”, ajoute Christophe Levannier. “S’ils le souhaitent, les gros utilisateurs peuvent ouvrir un compte en banque en Chiemgauer -même si sur les extraits, la devise indiquée reste l’euro- pour effectuer leurs échanges et paiements sans devoir manipuler trop de billets.”


Une “monnaie fondante”

Une chose essentielle distingue le Chiemgauer de l’euro : un taux d’intérêt négatif. Tous les trois mois, les billets de Chiemgauer perdent 2 % de leur valeur. Dans le jargon, ce mécanisme correspond au principe de “démurrage” des “monnaies fondantes”. En d’autres mots : le consommateur n’accumulera pas sa monnaie puisqu’elle perd de sa valeur dans le temps.

Pour changer ses Chiemgauers en euros, il faudra concéder 5 % du montant de la conversion à l’association Chiemgauer e.V. Donc pour terminer avec 20 euros, il faut changer 21 Chiemgauers.

Ce taux négatif nous garantit le maintien de la monnaie en circulation. C’est donc tout le contraire de l’euro qui ne perd pas de valeur et qui incite toujours à l’épargne“ remarque Christophe Levannier.

Le samedi matin, sur la place principale de Traunstein (18 000 habitants), le marché bat son plein. D’un stand à l’autre, les commerçants sont plutôt enthousiastes : environ la moitié accepte le Chiemgauer. Les autres ne sont pas du coin et ne pourraient pas redépenser l’argent assez vite.

La boulangère :

Pourquoi est-ce que j’accepte le Chiemgauer? Pour faire tourner notre économie locale. Avec cette monnaie, l’argent reste chez nous. Les gens achètent des produits de la région et non plus dans les grandes surfaces.”

“Les personnes qui refusent le Chiemgauer ont peur que le système soit compliqué et qu’ils ne s’y retrouvent plus. Mais ils ne l’ont pas essayé ! “ conclut Christophe Levannier.

Le Chielmgauer ne sert pas seulement à payer ou être payé. Son utilisation est aussi à la base d’un nouveau système de solidarité. L’argent généré par les taxes sur le Chiemgauer (les 2% de taux négatif et les 5% de conversion) va directement à des projets associatifs. À son inscription, chaque utilisateur désigne une association locale qui devient son bénéficiaire.

Cette dimension altruiste joue souvent le rôle de déclic. “Un parent d’élève souhaite soutenir le club de basketball de l’école : il souscrit au Chiemgauer et choisit le club de son fils comme association bénéficiaire. Petit à petit, d’autres parents emboîteront le pas et bientôt, le club peut s’acheter des équipements grâce au Chiemgauer !”

…”Und Geld bekommnt Sinn”. Littéralement : “Et l’argent prend tout son sens”, c’est le slogan de la banque GLS, la première banque allemande axée sur le social et l’écologique, partenaire de l’association Chiemgauer.

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Retrouvez la BD augmentée d’OWNI sur les monnaies alternatives

Billet initialement publié sous le titre “Une autre monnaie que l’Euro est possible” sur MyEurop

Illustrations: Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commerciale live w mcsPaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification _Teb / Paternité antwerpenR

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Le prix de transfert, arnaque légale http://owni.fr/2011/04/12/le-prix-de-transfert-arnaque-legale/ http://owni.fr/2011/04/12/le-prix-de-transfert-arnaque-legale/#comments Tue, 12 Apr 2011 15:47:34 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=56417 Les comptables seraient-ils devenus les plus grands blanchisseurs de la planète, loin devant les trafiquants en tout genre ? A lire l’analyse du rapport d’audit réalisé sur les mines zambiennes de Mopani, plusieurs méthodes financières appliquées par les actionnaires soulèvent en tous cas des questions sur la qualité de la régulation financière mondiale. Et ses limites.

En résumé, Glencore International AG et First Quantum Minerals Ltd utilisent les techniques comptables suivantes :

  • Surévaluation des coûts d’exploitation : sur la seule année 2007, les auditeurs évaluent à 381 millions de dollars (sur 804 millions) le montant de ce surcoût
  • Sous-évaluation des volumes de production : l’analyse des recettes montre que les mines de Mopani ont un taux d’exploitation de moitié inférieur aux autres exploitants de la région
  • Manipulation des prix de transfert : pour la période 2003-2008, les auditeurs évaluent à 700 millions de dollars la perte comptable affichée dans les bilans de la société, par rapport à un modèle traditionnel d’exploitation

Ces trois techniques ont un objectif unique : faire en sorte de payer le moins d’impôt possible, en jouant sur les variations des règles fiscales internationales. Cela fait maintenant quinze ans que l’OCDE tire la sonnette d’alarme sur les manœuvres effectuées par les multinationales autour de ces fameux prix de transfert. La règle est simple : si ces échanges sont conformes au prix du marché, alors ils sont légaux, s’ils sont sur ou sous-facturés, alors ils sont illégaux. L’OCDE l’appelle le principe de libre-concurrence.

60% du commerce mondial est réalisé intra groupe

Initialement, le prix de transfert est une technique comptable qui permet de facturer, entre filiales d’un même groupe, des marchandises fabriquées dans un pays A et vendues dans un pays B. Elle a pour finalité de calculer la taxation de ces marchandises et de répartir l’impôt pays par pays, en fonction des opérations réalisées sur ces dernières. Exemple :

Une balle (pays A, coût 1 euro, taxé à 30%) – Une balle vendue (pays B, coût 10 euros, taxés à 30%)

Résultat : impôt acquitté dans le pays A + impôt acquitté dans le pays B

Depuis une quinzaine d’années, les groupes internationaux ont pris l’habitude de faire transiter (par un artifice comptable) leurs marchandises par le biais d’un pays tiers, la plupart du temps un paradis fiscal au sens originel, c’est-à-dire où la fiscalité pour les entreprises est proche de zéro. L’intérêt est de pouvoir imputer l’essentiel de la plus-value dans ce territoire fiscalement attractif. Reprenons notre exemple :

Une balle (pays A, coût 1 euro, taxé à 30%) Vendue à 2 euros (pays X, 0% d’impôt sur les sociétés) Revendue à 10 euros (pays B, taxés à 30%)

Résultat : impôt acquitté en pays A + impôt en pays X + impôt en pays B

Sur les dix euros « taxables », 8 vont en réalité échapper à tout impôt, au détriment de l’assiette fiscale des deux autres pays, qui devront se contenter de deux euros « taxables ». Ce phénomène est devenu une tendance lourde du commerce mondial, puisque 60% des échanges réalisés seraient aujourd’hui du commerce intra-groupe, entre filiales.

Des ventes inférieures aux cotations de Londres

Dans le cas de Mopani, le mélange des genres est au cœur des manipulations soupçonnées par les auditeurs. Le consortium appartient très majoritairement (73%) à Glencore International AG, basé dans le fiscalement édénique canton de Zoug en Suisse. Or, ce géant du trading des matières premières (minerais, gaz et pétrole) est aussi le principal acheteur du cuivre extrait par Mopani.

Le « Copper Marketing and Off-take agreement » remonte à 2001. Selon Mopani, il fixe les règles des ventes entre la société et Glencore UK Ltd. Glencore y est reconnu comme le seul agent commercial de Mopani. Le référent de cotation est celui du London Metal Exchang. Or, selon les auditeurs, rien dans la comptabilité de Mopani ne fait apparaître le respect de cet accord.

Pire : un chiffre retient l’attention. Alors qu’en 2004, le cuivre zambien était à 10% exporté vers la Suisse, en 2008, la moitié de sa production (la deuxième mondiale derrière le Chili) aurait pris la direction des alpages helvétiques. Une donnée jugée tout à fait incohérente par l’audit, laissant penser que la Suisse est utilisée comme plaque-tournante des prix de transfert de cette industrie.

CAC 40: 10% d’impôts, PME: 30% !

A bien regarder le montage juridico-financier qui assure aux deux groupes le contrôle des mines zambiennes, il apparaît que l’évasion/optimisation fiscale est au cœur de leur démarche. Rien d’étonnant de la part de Glencore, dont la réputation sulfureuse et le culte du secret l’ont mené plus d’une fois à la barre des tribunaux. Mais cela relève aussi d’un subtil choix technique, car il est beaucoup plus complexe pour une administration de détecter une fraude ayant pour support les prix de transfert. Pascal Saint-Amans, expert fiscal de l’OCDE, le justifiait ainsi l’an dernier au journal Le Monde :

L’abus des prix de transfert est un sujet à haut risque. Ils peuvent aussi servir de levier pour délocaliser de la matière taxable. (…) Les administrations fiscales sont extrêmement attentives et dures lorsqu’elles découvrent des infractions.

Depuis le 1er janvier 2010, le ministère de l’Économie et des finances exige des entreprises qu’elles détaillent leur méthode de calcul des prix de transfert. Une vigilance nécessaire qui permettra peut-être d’expliquer pourquoi les grandes entreprises ont un taux d’impôt effectif sur les bénéfices d’environ 10% , là où les PME s’acquittent d’un taux de 30%. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un bon comptable.


Photo Credits: Flickr CC mtsofan
Posters par Elsa Secco

Image de Une par Elsa Secco @Owni /-)

Retrouvez les autres articles de notre dossier sur Owni.fr et Owni.eu

Cinq ONG accusent Glencore et First Quantum de frauder le Fisc zambien par Federica Cocco [EN : NGOs report mining giants Glencore and Quantum alleging fiscal crime in Zambia]

La nationalisation bâclée des mines zambiennes par David Mwanambuyu

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http://owni.fr/2011/04/12/le-prix-de-transfert-arnaque-legale/feed/ 22
Les mésaventures américaines du Rafale au Maroc http://owni.fr/2011/02/10/les-mesaventures-americaines-du-rafale-au-maroc/ http://owni.fr/2011/02/10/les-mesaventures-americaines-du-rafale-au-maroc/#comments Thu, 10 Feb 2011 10:55:15 +0000 Jean Guisnel http://owni.fr/?p=45864 Jean Guisnel est journaliste au Point, où il suit les questions de défense et de nouvelles technologies. Il publie aux éditions La Découverte une enquête intitulée Armes de corruption massive, secrets et combines des marchands de canon. OWNI l’a interviewé et publie trois extraits de son nouveau livre. Retrouvez également comment la France a, en 2007, échangé les infirmières bulgares contre des missiles à la Libye et la colère de Chirac contre François Léotard dans l’affaire Karachi.

Vingt-cinq ans après le lancement de son programme de fabrication, le Rafale n’a toujours pas été vendu à l’étranger. Dassault a beau multiplier les approches, rien n’y fait : le chasseur français reste synonyme d’échec chronique à l’export. Pour Jean Guisnel, le “cas d’école” est le revers subi en 2007 au Maroc, où Paris a dû affronter le rouleau compresseur américain et… ses propres dissensions.

Conséquence : cet extraordinaire ratage va déboucher sur la création d’une “war room” à l’Elysée, sorte de centrale de coordination des acteurs de l’armement. Dirigée par le secrétaire général de la Présidence, Claude Guéant, elle gère une centaine de dossiers, à l’image de ce qui se pratique, à la Maison Blanche, au Royaume-Uni ou en Allemagne. Si l’idée paraît bonne au départ, elle n’a pas encore donné tous les résultats escomptés comme le montre les vicissitudes des négociations avec le Brésil sur le Rafale. Extrait.

Le ratage marocain de Dassault en 2007 : un cas d’école

Nous sommes le 11 septembre 2007 à Toulouse, lors des « universités d’été de la Défense ». Devant un parterre comptant tous les dirigeants français des armées et de l’industrie militaire, le ministre de la Défense Hervé Morin, en poste depuis moins de trois mois, a refusé qu’on lui prépare un discours et s’engage dans une improvisation sur le chasseur-bombardier Rafale. L’avion, tout le monde le sait, est emblématique des onéreux efforts français en matière de technologie, que la gauche, la droite, les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac, l’armée de l’air et des dizaines d’industriels sous-traitants soutiennent à bout de bras depuis un tiers de siècle. Un monument ? Non… Une vache sacrée ! Que la France a décidé de s’offrir et que le monde lui envie, bien sûr, mais ne lui achète pas… Hervé Morin est un transfuge du parti centriste de son ancien mentor François Bayrou, qu’il avait préféré lâcher quand ce dernier s’était lancé dans son aventure pour l’élection présidentielle de 2007. Rallié depuis au vainqueur, Nicolas Sarkozy, Morin n’a jamais prononcé, dans son domaine de compétence, un mot qui pourrait faire seulement froncer un sourcil au président. À l’instar des chevaux qu’il aime tant, le ministre possède un excellent flair. Dans son domaine ministériel, il sent le vent de l’Élysée et n’est pas du genre à souffler contre lui.

Or, devant les plus importants dirigeants de Dassault Aviation, dont le patron Charles Edelstenne en personne, et devant le patron de Thales (qui fournit l’électronique de l’avion) Denis Ranque, il envoie une ruade inattendue en s’en prenant à ces « programmes qui ont été pensés en pleine guerre froide ». Et de choisir un exemple, au hasard : « On le voit bien avec le Rafale, un avion sophistiqué, formidable. Quand les Américains emportent les contrats, c’est souvent avec des F-16 d’occasion . Je souhaite qu’on propose aux politiques la possibilité de choisir un équipement peut-être un peu moins sophistiqué à l’avenir. » Et d’ajouter : « Le Rafale est un avion absolument formidable, qu’on a beaucoup de mal à vendre. J’observe simplement que beaucoup de pays ne [raisonnent pas en termes] de combat à haute intensité, leur réflexion sur les équipements intègre bien entendu beaucoup plus la question du prix. » C’est clair : pour le ministre, mais aussi pour l’Élysée, c’est parce qu’il est trop cher que le Rafale ne se vend pas. Et ce que le ministre sait, mais ne dit pas, c’est que sa première vente à l’exportation, au Maroc, vient de capoter !

Quelques jours avant le discours d’Hervé Morin, la DGSE, qui avait fort bien travaillé au royaume chérifien, avait remis à Paris un document passionnant : l’offre commerciale concurrente de celle du Rafale, présentée par l’industriel américain Lockheed Martin : vingt-quatre F-16C/D Block 50/52 pour 2,4 milliards de dollars (1,6 milliard d’euros) . Alors que les Français proposent dix-huit Rafale pour 2,1 milliards d’euros. Et soudainement, en lisant ce document secret acquis de haute lutte, les Français ont compris que la partie était perdue. La fin d’une longue histoire…

C’est le 13 décembre 2005, lors d’une visite privée à Paris, que le roi du Maroc Mohammed VI évoque à l’Élysée, avec Jacques Chirac en personne, son intérêt pour des avions d’armes français. Il les veut adaptés à son armée de l’air et cite le monoréacteur Mirage 2000. Un an plus tard, quand le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, revient d’une visite officielle au Maroc les 11 et 12 décembre 2006, il confirme à Paris l’intérêt de ses interlocuteurs pour l’achat de ces avions. Pas si fortunés, les Marocains préfèreraient des modèles d’occasion, en vingt-quatre exemplaires. Demande assez logique, puisque les voisins algériens ont confirmé en mars 2006, à l’occasion d’une visite du président russe Vladimir Poutine, une commande de chasseurs russes dernier cri, déjà annoncée au printemps 2004 : vingt-huit SU-30 Flanker et trente Mig-29 Fulcrum.

Quand le projet de commande marocaine parvient à Dassault, transmis par les filières administratives habituelles, un problème apparaît aussitôt : l’arrêt de la production de Mirage 2000 neufs est programmé, la fermeture des chaînes étant prévue pour novembre 2007 avec la sortie du dernier appareil d’une commande grecque. Il est hors de question de les relancer chez l’industriel et ses sous-traitants, car la facture ne serait pas éloignée du milliard d’euros, affirme Dassault. Il faut dire qu’avant la décision d’arrêt de la production, le Mirage 2000 avait subi de sévères échecs au début des années 2000 : contre le F-16 américain en Pologne et au Chili, on l’a vu, mais également contre le Mig-29 russe en Inde (après une première victoire au début des années 1980), ou contre le Jas 39 Gripen de Saab en Afrique du Sud. Que dans ce dernier pays les Britanniques, auxquels les Suédois avaient confié la commercialisation de leur appareil, aient gagné à coups de pots-de-vin massifs ne change rien à l’affaire ! Dassault avait dès lors choisi de concentrer tous ses efforts sur son appareil le plus moderne, le Rafale.

En 2006, les trois industriels du GIE Team Rafale (Dassault Aviation, Thales et Snecma) proposent donc au Maroc une autre solution : dix-huit Rafale, pour le prix de vingt-quatre Mirage 2000. Les industriels français trouvent aussitôt des alliés dans la place, dont le général Ahmed Boutaleb. Inspecteur général des Forces royales Air (chef d’état-major de l’armée de l’air), cet aviateur a été le précepteur du roi Mohammed VI et se trouve crédité à ce titre d’une grande influence. Être la première force africaine à disposer d’un avion d’un tel niveau a tout pour l’enchanter… Le gouvernement français, en la personne de Jean-Paul Panié, directeur des affaires internationales de la DGA (Délégation générale pour l’armement), propose un marché à 1,5 milliard d’euros. Mais patatras ! Absolument furieux, les dirigeants du Team Rafale lèvent les bras au ciel, affirmant que le juste prix serait de 2,5 milliards d’euros.

Finalement, après des négociations franco-françaises au poignard, ce sera quelque 2,1 milliards d’euros tout compris (en principe), sauf l’armement. Le Team Rafale affirme-t-il que les équipements électroniques ne sauraient être identiques à ceux des appareils français, dont de nombreux composants sont d’origine américaine et soumis à la norme ITAR (International Traffic in Arms Regulations) ? Et que, pour cette raison, les capacités opérationnelles de l’avion doivent être dégradées, à un coût très élevé ? La DGA répond du tac au tac qu’il est parfaitement possible de vendre des avions strictement identiques à ceux du parc français et qu’il appartiendra aux Marocains de demander aux Américains les dérogations ITAR nécessaires. Les auraient-ils obtenues ? C’est peu probable : les Américains n’acceptent en règle générale de vendre ces équipements qu’avec leurs propres avions.

Pour que l’offre française permette une livraison rapide des avions aux Marocains, elle prévoit que les neuf premiers exemplaires de leur commande (Rafale F3 biplace) seraient prélevés sur les chaînes tournant pour l’armée de l’air française (cette dernière recevant plus tard les appareils lui étant destinés). Les aviateurs français assureraient sur place la maintenance et l’entraînement des pilotes, entre autres. Ce qui reviendrait, affirme l’un des négociateurs de cette affaire, à « installer un escadron français sur une base marocaine ».

Cette offre est formellement présentée à Rabat fin juin 2007. Six mois ont donc été nécessaires depuis la visite du général Georgelin à Rabat. Pourquoi ce délai ? Parce qu’avec une dette extérieure de quelque 18 milliards de dollars, le Maroc ne dispose pas des ressources nécessaires pour creuser davantage le déficit de sa balance commerciale en s’achetant de telles machines de guerre. Il fallait donc que Paris avance les fonds, même en le dissimulant par un pieux mensonge, maintes fois répété durant la campagne pour l’élection présidentielle française d’avril 2007 : certains émirs du Golfe honoreraient la facture pour le compte du royaume chérifien. Il existe également une explication politique, typiquement franco-française : le Premier ministre Dominique de Villepin, s’offusque un industriel, « aurait pesé sur la non-décision de Jacques Chirac, pour que son successeur, Nicolas Sarkozy, ne bénéficie pas du crédit de cette vente ».

Explication certes alambiquée, mais les faits sont là. C’est seulement en avril 2007, alors que la campagne présidentielle touchait à son terme, que les vraies négociations ont commencé à Matignon, avec deux autres acteurs principaux aux vues antagonistes : le ministère de la Défense de Michèle Alliot-Marie, très ardente, et celui des Finances de Thierry Breton, debout sur les freins. « Les gentils baratineurs chefs de bureau de Bercy n’ont répondu qu’en juillet à une demande présentée quatre mois plus tôt », s’indigne ainsi l’un des négociateurs militaires, oubliant sans doute qu’il n’était pas si aisé de prendre une telle décision alors que des élections présidentielle et législatives allaient survenir. Les vendeurs du Rafale, quant à eux, ne demandent qu’une chose : que l’administration française décide clairement, et dans les temps. Ils seront déçus !

Car ce n’est que le 11 juillet 2007, après l’élection de Nicolas Sarkozy et sur sa décision personnelle, que la France proposera finalement de financer totalement (ou presque) l’achat des Rafale par le Maroc, avec des prêts remboursables sur de longues années à des conditions « amicales », qui n’ont pas été détaillées. L’offre repose classiquement sur des prêts bancaires cautionnés par la Coface, elle-même garantie par le Trésor public : en cas de défaillance du client, c’est le contribuable français qui paye… Dès lors que le crédit garanti par l’État est accordé, la Délégation générale pour l’armement (DGA) profite de l’aubaine pour charger la barque, faisant une fois de plus fulminer Dassault. Et d’ajouter une offre complémentaire portant sur des frégates et des hélicoptères EC725. La facture va grimper à 3 milliards d’euros, mais il est déjà bien tard…

Car sur le papier, c’est au Premier ministre François Fillon que revient la décision. Son cabinet exige une directive écrite de l’Élysée, qui n’arrive que le 21 juillet 2007. Visiblement très bien informés du processus décisionnel à Paris, les Américains ont présenté leur propre offre définitive à Rabat entre le 10 et le 14 juillet. L’acceptation française du crédit en faveur des Rafale est quant à elle annoncée fin juillet aux Marocains : il se monte à 100 % du contrat, 85 % garantis par la Coface et le reste négocié avec un pool de banques. C’est alors que le roi Mohammed VI tranche en faveur de la proposition américaine. Après cette date, les fils sont coupés : les interlocuteurs marocains des Français ne les prennent même plus au téléphone. Trop tard ! « C’est un fiasco majeur, une fuite du politique devant ses responsabilités », s’étrangle un industriel… Mohammed VI apprend simultanément que Nicolas Sarkozy souhaite effectuer une visite de travail à Rabat, à la fin d’un déplacement éclair le menant également à Alger et Tunis. Incident diplomatique : Mohammed VI exige un report de cette visite, au motif que le premier voyage d’un président français dans son pays ne saurait être qu’une visite d’État… Prétexte !


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Libye: échange infirmières contre missiles http://owni.fr/2011/02/10/libye-echange-infirmieres-contre-missiles/ http://owni.fr/2011/02/10/libye-echange-infirmieres-contre-missiles/#comments Thu, 10 Feb 2011 11:45:28 +0000 Jean Guisnel http://owni.fr/?p=45861 Jean Guisnel est journaliste au Point, où il suit les questions de défense et de nouvelles technologies. Il publie aux éditions La Découverte une enquête intitulée Armes de corruption massive, secrets et combines des marchands de canon. OWNI l’a interviewé et publie trois extraits de son nouveau livre. Retrouvez également les mésaventures américaines du Rafale au Maroc et la colère de Chirac contre François Léotard dans l’affaire Karachi.

Les marchés d’armes servent souvent les positions diplomatiques des grands acteurs. Les Etats-Unis s’en sont fait une spécialité, conditionnant leur soutien politique à l’achat des avions, missiles et autres roquettes proposés par le complexe militaro-industriel. Il arrive que la France use du même stratagème pour débloquer un dossier compliqué.

Le cas s’est présenté juste après l’élection présidentielle de 2007, lorsque Nicolas Sarkozy s’est penché sur la délicate négociation entourant le sort des infirmières bulgares retenues en Libye sous l’accusation fallacieuse d’avoir inoculé le virus du sida à des enfants. Pour se sortir de cet imbroglio, l’Elysée décide de mettre dans la balance la fourniture d’armes recherchées par le Guide Mouamar Kadhafi. Extrait.

Les infirmières bulgares contre les missiles français

À l’été 2007, quelques semaines après son arrivée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy s’active à dénouer un dossier symptomatique des agissements du chef de l’État libyen. Accusés sans preuve d’avoir inoculé le virus du sida à de jeunes enfants, cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien sont emprisonnés en Libye depuis février 1999 . L’affaire fait grand bruit. Dans les semaines suivant son élection, le président français envoie en Libye son épouse Cécilia Ciganer-Albéniz et le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant. Alors que le Premier ministre britannique Tony Blair et la commissaire européenne aux relations extérieures Benita Ferrero-Waldner avaient eux aussi puissamment agi en ce sens, c’est bien l’avion présidentiel français qui va chercher les détenus à Tripoli le 24 juillet 2007. Sans aucune contrepartie, assure la France.

Dès le lendemain, lors d’une visite de Nicolas Sarkozy à Tripoli, celui-ci annonce néanmoins avoir signé deux protocoles d’accord avec la Libye : l’un « dans le domaine militaire » et l’autre sur la fourniture d’un réacteur nucléaire civil pour dessaler l’eau de mer – alors que ce dernier avait déjà fait l’objet d’accords entre le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) français et le Bureau libyen de recherche et de développement en 2005 et 2006.

Moins d’une semaine plus tard, une agence de relations publiques new-yorkaise appelle le quotidien Le Monde à Paris, pour lui proposer un entretien à Nice avec Seif el-Islam Kadhafi, qui a des choses à dire. Et de fait ! Lors de l’interview, ce dernier se félicite : « Vous savez que c’est le premier accord de fourniture d’armes par un pays occidental à la Libye ? » Il évoque un contrat de 100 millions d’euros, mais c’est du triple qu’il s’agit : le missilier MBDA a signé pour la vente de missiles Milan pour 168 millions d’euros et EADS fournira un système Tetra de communication radio pour 128 millions d’euros ! La concomitance entre la libération des otages et la conclusion des contrats d’armements a rapidement relativisé la beauté du geste français. Et le fait que le président Sarkozy déclare qu’il n’y avait eu « aucune » contrepartie au geste humanitaire n’a pas vraiment dissipé le malaise.

Car en réalité, les conditions pour la signature du contrat étaient réunies bien avant la libération des infirmières bulgares. « Leur détention constituait un facteur bloquant et leur départ de Libye a levé cet obstacle. Tout serait plus simple si le père Kadhafi n’entretenait pas une certaine complication ! », m’a affirmé alors un haut fonctionnaire, opérateur discret des ventes d’armes françaises à la Libye. Et il ajoutait : « Il est très fréquent que les contrats de ventes d’armes ne soient annoncés que par le client, au moment qu’il juge utile. » Point de vue que ne partage pas un industriel de l’armement, selon lequel il serait injuste de faire à Nicolas Sarkozy le procès d’avoir obtenu les libérations en contrepartie de ventes d’armement : « À notre connaissance, le contrat des Milan n’était pas au programme de l’entretien entre le colonel Kadhafi et le président français. Même s’il est exact qu’il était dans le dossier qui lui avait été préparé. »

Tout serait donc transparent dans cette affaire ? Ce n’est pas certain… À entendre les déclarations officielles françaises, les négociations sur la vente de missiles Milan à la Libye auraient commencé début 2006, durant donc dix-huit mois. En réalité, elles ont été beaucoup plus longues, en pleine connaissance de l’autorité politique. Les premières autorisations de négocier la vente de Milan ont été accordées par la CIEEMG à MBDA au printemps 2004, avant même que l’embargo européen à l’égard de Tripoli ait été formellement levé. Au début des négociations franco-libyennes sur les missiles, mille engins étaient prévus, comprenant des postes de tir numériques de dernière génération, associés à des missiles Milan II de 1 900 mètres de portée. Le Milan ER de dernière génération, de 3 000 mètres de portée, n’est pas pour les Libyens ; enfin, pas tout de suite… La ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, on l’a vu, s’est rendue à Tripoli en février 2005. Au printemps, les négociations sur ce contrat obtiennent un feu vert définitif de la CIEEMG. Puis le ministère de la Défense demande à MBDA de réduire ses ambitions, de ne plus vendre que le tiers, puis le quart, des Milan initialement prévus. Car ce contrat de missiles n’est pas la priorité des responsables français, qui entendent plutôt favoriser les gros marchés à plusieurs milliards d’euros, quand celui des Milan ne représente « que » 168 millions d’euros… Petit business…

Pourtant, en février 2007, les Libyens remettent aux Français une lettre d’intention pour l’achat de trois cents postes de tir Milan. C’est ce préaccord qui a été dévoilé par Seif el-Islam en août 2007 . Et depuis la fin 2007, les Français espèrent signer de gros contrats d’armement en Libye. Les espoirs portent d’abord sur le Rafale de Dassault, dont le dossier a été finalement confié par l’Élysée à l’intermédiaire Alexandre Djouhri, nous explique en septembre 2010 une source française très liée aux ventes d’armes. À l’automne 2010, les ventes de cet avion à Tripoli semblaient toutefois assez compromises par plusieurs facteurs : la réticence des autorités françaises concernant la vente aux Libyens des missiles MICA à longue portée et la nécessité de leur fournir des équipements électroniques « ITAR free » – c’est-à-dire ne comportant aucun équipement d’origine américaine, donc soumis à la norme International Traffic in Arms Regulations, qui imposerait de solliciter l’accord de Washington. Or des adaptations de l’avion à ces équipements ITAR free coûtent cher et seraient logiquement à la charge du client, accroissant encore le prix élevé des avions français. Les Libyens ont donc entrepris de négocier simultanément avec les Russes la fourniture de Sukhoï 35 Flanker Plus et de Mig 29 Fulcrum, tractations qui auraient été très avancées, sinon déjà conclues, à l’automne 2010.

Pour le reste, les Français espèrent encore alors vendre plusieurs hélicoptères de la firme Eurocopter : dix AS550 Fennec, douze AS332 Super-Puma et trois EC665 Tigre ; le tout pour plus de 500 millions d’euros. Ils espèrent également vendre un système de radars de défense aérienne de Thales pour 1 milliard d’euros, un système de surveillance des frontières, la mise à niveau des vieilles vedettes Combattante des chantiers CMN (Constructions mécaniques de Normandie), ainsi que celle des chars T-72, un système de défense côtière, des bateaux du chantier OCEA pour les forces spéciales, etc. Cela alors même que les industriels italiens sont en train de tailler des croupières à leurs homologues français, assez en colère !

Car les transalpins seraient « pragmatiques », à entendre certains agents français : ils auraient repris les paiements de commissions directes, sans simagrées. Citant un cas très précis, l’un de mes interlocuteurs m’a confié au printemps 2010 que telle entreprise italienne « verse de 15 % à 20 % de commissions sur la Libye » : « Le système consiste à ce que le gouvernement italien accepte d’intégrer ces 15 % de pots-de-vin dans les frais généraux de l’entreprise. La subtilité, c’est que le ministère de l’Économie taxe ces pots-de-vin à 10 %. Il devient ainsi explicitement complice de l’opération illégale et prend le pari qu’aucun juge n’attaquera jamais le gouvernement de front. » Certaines sociétés étrangères ont parfois envisagé de s’associer à des entreprises italiennes tout aussi illégalement, mais ingénieusement protégées pour profiter de la combine ! Quelques-unes ont franchi le pas. Cela suffira-t-il ? C’est ce que l’avenir dira…

Gagner des contrats de ventes d’armes, spectaculaires et très rentables : tel est donc l’objectif de la France, y compris dans des pays qui ne souhaitent pas contracter avec elle, comme l’Arabie saoudite. Pour reconquérir les faveurs des wahhabites, Nicolas Sarkozy leur a offert des présents d’une rare valeur politique, que personne d’autre, et surtout pas les États-Unis, n’avait voulu leur remettre. C’est le Washington Post qui révèle l’affaire : en novembre 2009, les Saoudiens sont aux prises avec la rébellion chiite des zaïdites commandés par Abdel Malik Al-Houthi, qui opèrent depuis la région de Saada, au Yémen voisin, et lancent des incursions en Arabie. Dans cette mini-guerre commandée côté saoudien par le vice-ministre de la Défense Khaled ben Sultan, les Saoudiens ont mené des raids, mais sans succès notable, car ils ne disposent pas des renseignements nécessaires, notamment des images satellites qui leur permettraient de définir leurs frappes avec plus de précision. Ils les demandent à leurs alliés américains, qui refusent de les leur fournir. C’est alors qu’ils se tournent vers les Français et que ceux-ci commencent à leur livrer les images demandées. Dès lors, ils peuvent « repérer les caches des rebelles, leurs dépôts de matériel et leurs camps d’entraînement. L’aviation saoudienne a attaqué avec une efficacité redoutable. En quelques semaines, les rebelles demandaient une trêve et ce chapitre de la guerre frontalière était refermé en février 2010 ».

Détail piquant : c’est le 17 novembre 2009, jour de la visite « privée », sans journaliste et de moins de vingt-quatre heures du président français en Arabie saoudite, que celui-ci a fait ouvrir par la Direction du renseignement militaire (DRM) le circuit de livraison des images électroniques fournies par le satellite-espion français Hélios. Les premières images sont arrivées sur les écrans saoudiens le soir même. Paris ne s’en est pas tenu au renseignement : des munitions pour avions de combat et des obus d’artillerie sol-sol ont été livrés dans la foulée. Que faudrait-il de plus pour que les Saoudiens considèrent les Français comme de vrais amis, à qui ils peuvent acheter du matériel de guerre en grandes quantités ? Depuis la visite présidentielle, Riyad cherche à acquérir un satellite-espion. Il sera temps de voir auprès de quel fournisseur le royaume wahhabite se le procurera… Quelles seront les règles du jeu ? Du côté saoudien, on sait qu’elles seront sévères. Mais quelle idée les Américains sortiront-ils de leur chapeau pour contrer une nouvelle fois l’industrie française ? Le chapitre suivant aborde quelques pistes. Car on ne s’en étonnera pas, le cadre international des compétitions en matière de ventes d’armes est défini aux États-Unis et nulle part ailleurs !


Photos Photos FlickR CC : Sebastià Giralt, Ammar Abd Rabbo

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Karachi: La colère de Chirac contre François Léotard http://owni.fr/2011/02/10/karachi-la-colere-de-chirac-contre-francois-leotard/ http://owni.fr/2011/02/10/karachi-la-colere-de-chirac-contre-francois-leotard/#comments Thu, 10 Feb 2011 11:35:36 +0000 Jean Guisnel http://owni.fr/?p=45854 Jean Guisnel est journaliste au Point, où il suit les questions de défense et de nouvelles technologies. Il publie aux éditions La Découverte une enquête intitulée Armes de corruption massive, secrets et combines des marchands de canon. OWNI l’a interviewé et publie trois extraits de son nouveau livre. Retrouvez également comment la France a, en 2007, échangé les infirmières bulgares contre des missiles à la Libye et les mésaventures américaines du Rafale au Maroc.

L’affaire Karachi occupe un long chapitre de l’ouvrage de Jean Guisnel. Présent dans la ville pakistanaise avec la nouvelle ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, au lendemain de l’attentat à la voiture piégée qui a fait 14 morts le 8 mai 2002, le journaliste détaille les différentes hypothèses susceptibles d’expliquer les raisons de cet acte. Sans trancher de manière définitive (il ne croit pas au lien entre l’arrêt du versement des commissions et l’attentat), il revient sur le ballet des intermédiaires qui a entouré le contrat Agosta (vente de trois sous-marins au Pakistan), mais aussi les contrats Sawari 2 et d’autres, moins connus.

Où se révèle le rôle de premier plan joué par François Léotard (Parti Républicain) alors ministre de la Défense, soupçonné d’avoir ainsi favorisé le financement de la campagne électorale d’Edouard Balladur en 1995.  Extrait.

L’activisme du ministre de la Défense François Léotard

Nous pouvons être un peu plus précis : en 1995, la colère chiraquienne contre François Léotard et les éventuels « retours de commissions » qui auraient été organisés par ses soins au profit d’Édouard Balladur, concerne au moins trois contrats, celui des sous-marins pakistanais n’étant que le premier.

Le deuxième est l’achat par la France de drones (petits avions d’espionnage télécommandés) de type RQ-5 Hunter auprès d’Israel Aircraft Industries (IAI). François Léotard s’était en effet personnellement et très fortement impliqué dans cette affaire, au grand dam de plusieurs industriels nationaux, dont Sagem, qui estimaient disposer d’un matériel répondant tout aussi bien aux besoins de l’armée française . Les drones Hunter étaient destinés à la toute nouvelle Direction du renseignement militaire (DRM), mais celle-ci se montrera pour le moins réticente en raison des très médiocres qualités de l’engin. Quatre appareils seront finalement acquis, par l’entremise d’un agent à la fois bien introduit en Israël et très en vue sur la place de Paris, où il exerce alors le noble métier d’éditeur. Les drones arriveront en France en 1999, sans jamais quitter leur affectation au Centre d’expériences aériennes militaires (CEAM) de Mont-de-Marsan, sinon pour effectuer quelques missions au-dessus du Kosovo, en 1999, et lors du G7 d’Évian en 2003.

Curieusement, au moment même où la France procédait à l’acquisition de ces engins israéliens, la société Sagem vendait des drones SDTI (Système de drone tactique intérimaire) aux Pays-Bas, sous la marque commerciale Sperwer. Une telle démarche, consistant à acheter des drones en Israël tout en exportant simultanément des engins de fabrication nationale, aux capacités certes différentes mais que les armées françaises n’avaient alors pas acquis, a beaucoup intrigué. Certaines sources militaires françaises évoquaient à l’époque des « intérêts commerciaux personnels de politiques » dans cette affaire. Sans plus de détails, comme souvent.

Le troisième dossier de ventes d’armes qui a fait naître les soupçons de Jacques Chirac et de son entourage est d’une tout autre ampleur. Il concerne la vente à l’Arabie saoudite, en novembre 1994, de deux grosses frégates de 3 550 tonnes de type F-3000-S, en fait des frégates La Fayette modifiées pour les besoins propres du royaume saoudien, construites à Lorient par la DCN, dans le cadre du contrat baptisé « Sawari 2 ». Il s’agissait déjà d’une vieille affaire, car ce contrat avait été signé une première fois en juin 1982. Il avait été principalement négocié par la Sofresa. Créée en 1974, nous l’avons vu, pour gérer les ventes d’armes de la France à l’Arabie saoudite, cette société est alors dirigée – depuis sa création – par l’ingénieur de l’armement Jean-Claude Sompairac. En 1992, ce dernier venait d’être reconduit pour trois ans à son poste et travaillait sans succès sur le contrat Sawari 2. Côté saoudien, où l’on souhaitait également relancer les discussions, le prince Sultan avait désigné en 1992 un intermédiaire à son goût, Ali Ben Mussalam.

Ce très riche commerçant d’origine yéménite est alors copropriétaire de l’hôtel Prince de Galles à Paris. Il commença par être associé à la remise en état de quatre frégates F-2000 (Madina, Hofouf, Haba et Taïf) et de deux pétroliers-ravitailleurs (Boraida et Yunbou) acquis auparavant dans le cadre du contrat Sawari 1 en octobre 1980, ces remises en état étant englobées dans le contrat « Mouette ». Celui-ci sera d’ailleurs un désastre économique pour la France : signé en février 1994 par François Léotard pour 3,1 milliards de francs, il avait déjà entraîné une perte de 1,2 milliard de francs en 1998, soit plus du tiers de sa valeur totale  ! Dans un rapport aux services des Douanes prétendant justifier le versement de commissions, les responsables de DCN avaient expliqué, selon Mediapart, que 600 millions de francs de commissions (soit plus de 19 % de la valeur du contrat) avaient été ainsi répartis à cette occasion : « 150 millions de francs pour le prince Fahd ben Abdallah, 240 millions de francs pour “SAR le prince Sultan” [ministre de la Défense], 210 millions de francs pour le “sheik Abusalem” [vraisemblablement Ali Ben Mussalam]. » Ce dernier connut un triste destin et mourut dans des circonstances inexpliquées au début des années 2000 à Genève, où son corps aurait été retrouvé flottant dans les eaux froides du lac Léman …

En 1992, Ali Ben Mussalam a beau être actif à Paris, il ne débloque rien du tout et le contrat de ces nouvelles frégates n’avance pas. Tout cela va changer ! Dès sa désignation au ministère de la Défense en mars 1993, l’une des premières décisions de François Léotard consiste à débarquer Jean-Claude Sompairac et à le remplacer par l’un de ses proches du Parti républicain (PR), Jacques Douffiagues. À l’époque, François Léotard et son plus proche conseiller politique, Renaud Donnedieu de Vabres, expliquent volontiers qu’il ne faut pas voir malice dans ce choix et que seul le souci de l’efficacité a été pris en considération. Efficacité ? Jacques Douffiagues, ancien maire d’Orléans, est magistrat de la Cour des comptes et fut ministre des Transports du gouvernement Chirac entre 1986 et 1988 : rien qui prédispose à un destin de marchand de canons. De surcroît, il déclare lui-même « être en survie depuis 1980  » après un grave infarctus survenu à l’âge de trente-neuf ans, qui lui vaudra d’être déclaré invalide à 100 %.

La vraie raison du choix de ce délégué général du Parti républicain, dès sa création en 1977, est évidemment sa longue intimité avec François Léotard. Car pour un poste aussi technique de gestionnaire de contrats d’armement sous étroit contrôle du politique, un fonctionnaire connaissant les arcanes du monde de l’armement aurait sans doute fait l’affaire. Toujours est-il que, dès sa nomination, Jacques Douffiagues part pour Riyad, afin d’y rencontrer le prince Sultan. C’est le premier rendez-vous d’un étrange ballet qui, dans les coulisses, va se mettre en place.

Dans un premier temps, Ali Ben Mussalam va se rapprocher pour cette affaire de deux associés, le très mondain Franco-Libanais Ziad Takieddine, qui fut le directeur de la station de ski Isola 2000, et le Syrien Abdul Rahman El-Assir, qui fut un temps le beau-frère du bien connu Adnan Khashoggi. Très vite, les réunions se multiplient. Le 23 décembre 1993, Ali Ben Mussalam rencontre François Léotard – première de dix rencontres successives – et les deux hommes organisent le voyage d’Édouard Balladur à Riyad, qui doit être l’occasion de la signature du contrat. Ce déplacement aura bien lieu en janvier 1994, mais sans signature à la clé, pour le plus grand déplaisir du Premier ministre… Par la suite, le conseiller politique de François Léotard, Renaud Donnedieu de Vabres, se rendra lui aussi à plusieurs reprises en Arabie saoudite, parfois dans l’avion personnel d’Ali Ben Mussalam. Étonnamment, ces rencontres se poursuivront bien après la signature du contrat des deux frégates saoudiennes , enfin intervenue le 19 novembre 1994 au Maroc, François Léotard et le prince Sultan ben Abdelaziz tenant la plume.


Extrait de l’ouvrage Armes de corruption massive, secrets et combines des marchands de canons, éditions La Découverte, 391 pages, 22 €.

>> Illustrations CC FlickR : poncнo☭penguιn , ZardozSpeaks

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[ITW] La corruption comme garantie http://owni.fr/2011/02/10/ventes-armes-corruption-garantie-guisnel/ http://owni.fr/2011/02/10/ventes-armes-corruption-garantie-guisnel/#comments Thu, 10 Feb 2011 11:23:17 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=45847 Jean Guisnel, 59 ans, est journaliste au Point, où il suit les questions de défense et de nouvelles technologies. Il publie aux éditions La Découverte une enquête intitulée Armes de corruption massive, secrets et combines des marchands de canons, cheminement pédagogique dans l’univers opaque de ce “commerce de souveraineté”.

Dressant la chronique des plus gros “deals” d’armes de ces trente dernières années, l’auteur parvient à bien décortiquer le rôle joué par la corruption (parfois énorme) sur des contrats à neuf zéros, pour un marché annuel évalué à 60 milliards de dollars en 2009. En dehors des considérations morales (Guisnel réprouve de telles pratiques), il montre aussi comment cette corruption sert de “garantie” aux bonnes pratiques commerciales, en liant de manière indéfectible l’acheteur et le vendeur.

L’autre facette des armes se dessine dans les fortunes rapidement accumulées par les intermédiaires de tout ordre. Des intermédiaires baroques et de plus en plus indispensables, au fur et à mesure que les lois internationales tentent de juguler le phénomène de la corruption.

Dans ce maelström, la place de la France comme quatrième vendeur d’armes de la planète est à la fois logique et chaotique. Souvent en porte-à-faux avec son discours, elle cumule les échecs retentissants ces dernières années, malgré la “war room” mise en place à l’Elysée par son locataire actuel. Entretien.

Jean Guisnel (Photo Louis Monier)

Pourquoi la France est-elle le quatrième vendeur mondial d’armes dans le monde ?

On peut voir le problème de deux façons. Ou bien c’est une petite performance, ou bien c’est pas si mal. Je serais tenté de pencher pour la seconde option. Pour deux raisons : plus de la moitié des armes vendues dans le monde le sont par les Etats-Unis, qui sont hors-catégorie. Le deuxième exportateur, le Royaume-Uni, a une longue tradition d’excellence comme les Français, mais ils sont beaucoup plus agressifs commercialement. Ils chassent en meute entre l’Etat et les industriels, pas comme les français. Et puis, ils n’ont jamais hésité à corrompre massivement leurs clients. Cela leur donne un avantage compétitif. La France corrompt aussi, mais avec moins de savoir-faire que les Britanniques. Le contrat sur les chasseurs Tornado vendus à l’Arabie Saoudite a dégagé des commissions de 33% !

Le troisième livreur est la Russie : ils vendent des armes peu sophistiquées et peu cher. Ils peuvent donc inonder les pays du Sud. Les Français vendent chers et sophistiqués. Enfin, les Russes ne sont pas adhérents à la convention de l’OCDE qui prohibe la corruption.

Source : Rapport 2009 du parlement sur les ventes d'armes

Comment fonctionne la domination américaine ?

Pour les Etats-Unis, les ventes d’armes sont un élément primordial de la politique extérieure. Par exemple, ils vendent pour 1,3 milliards de dollars d’armement par an à l’Egypte, mais les égyptiens ne les paient pas, c’est une aide. Pareil pour Israël. C’est une vraie force diplomatico-industrielle. Quand les Français ratent la vente du Rafale au Maroc, c’est parce les Américains mettent le paquet du point de vue politique. Sur le Sahara occidental… notamment.

Le deuxième élément pour les Américains, c’est de pouvoir titrer des prix bien meilleurs : le F16, ils en ont vendu 4000, le Rafale lui a été acheté à quelques dizaines d’exemplaires par l’armée française. L’effet d’échelle ça compte. Lorsqu’ils sont en compétition contre les Français, les Américains disent « Si vous choisissez les Français, oubliez notre appui et notre solidarité ». Plus de liaisons radio, plus d’appuis… ce sont sur des critères comme ça qu’ils gagnent. La qualité est équivalente, mais l’achat d’armes américaines comporte aussi le soutien politique.

Quelle place occupe les Israéliens, qui figurent parmi les premiers vendeurs dans le monde ?

Les Israéliens sont très présents sur le premier marché du monde qu’est aujourd’hui l’Inde, ils talonnent les Français. Ils vendent des armes particulières : des systèmes électroniques et de missiles, parmi les meilleurs au monde. Mais ils n’adhéraient pas à la convention de l’OCDE, jusqu’à une date récente. Ils arrivent aussi que les Américains vendent des matériels incluant des armes israéliennes. Enfin, les mauvaises langues prétendent que les Israéliens sont des sous-traitants de la corruption des Américains. Mais il n’y a pas eu d’affaire judiciaire permettant d’étayer cette hypothèse.

Vous expliquez que la corruption joue un rôle de « garantie » dans ces transactions ?

C’est un effet étonnant. Quand un vendeur livre ses commandes d’armes, voici comment ça se passe sur le plan financier : l’acheteur règle un acompte à la commande, de 20 à 30%, puis il livre le matériel avec des échéances. Or, les pots de vin sont liés au règlement des factures. Comme cela concerne les décideurs au plus haut niveau, cela rend le paiement des échéances régulier et garanti. Cela ne va pas contre le bon fonctionnement des pratiques commerciales.

Maintenant, à titre personnel, je trouve que la corruption est un facteur tragique d’aggravation de la pauvreté dans les pays du Sud. Le pays acheteur paie 10 à 20% en plus du prix de façade. Cela ne veut pas dire qu’elle peut être éradiquée. Il faut continuer à faire pression par toute sorte de dispositif.

Qui a vraiment le pouvoir : les acheteurs ou les vendeurs ?

Le commerce des armes est un marché monopsone : un acheteur se voit proposer de la marchandise par plusieurs vendeurs. Dans ce cas, l’acheteur est le chef de l’Etat. Cela vaut pour les armes, comme pour toutes les technologies de souveraineté : l’énergie nucléaire, l’aéronautique, les hydrocarbures, les télécoms, la télédiffusion… c’est sur ces marchés que l’on voit les cas les plus flagrants de corruption.

Sur l’affaire de Karachi, vous rappelez que François Léotard, ministre de la Défense au moment de la signature du contrat Agosta, est intervenu sur plusieurs marchés au même moment…

Dès 2002, après l’attentat de Karachi qui a fait 14 morts, j’ai écrit qu’il y avait des rumeurs de pots de vin sur le contrat Agosta. On le disait dans les milieux militaires et de l’armement à propos de responsables politiques français et que cela atteignait des proportions inadmissibles. J’entendais cela sur plusieurs marchés : les sous-marins Agosta au Pakistan, les drones en Israël, le contrat Sawari 2 de vente de Frégates à l’Arabie Saoudite… sans que mes sources ne donnent d’éléments précis.

Sur cette affaire des sous-marins Agosta, il y a eu un premier versement de pots de vin, de 6%, relativement clair. C’étaient des frais commerciaux extérieurs classiques pour arroser la partie pakistanaise. Ce qui est étonnant, ce sont les 4% suivants avec l’intervention de Ziad Takkiedine, un intermédiaire arrivant par Renaud Donnedieu de Vabres [Ndlr : conseiller au cabinet du ministre de la Défense, François Léotard], soi-disant pour payer des Pakistanais… En réalité, pourquoi ? Selon toute vraisemblance, pour générer des rétro-commissions. A qui ont-elles été destinées ? Elles sont passées par Takkiedine, le réseau K, mais ensuite, dans quelles poches ont-elles finies ? C’est la justice qui permettra de le déterminer. Il y a des destinataires politiques français, c’est certain. Quand le président Chirac fait couper les dernières échéances des versements de commissions après son élection en 1995, on voudrait savoir combien il restait de rétro-commissions à distribuer, ce qu’il était advenu des sommes déjà versées au réseau K, et à qui tous ces juteux paquets d’argent étaient destinés.

Ce contrat Agosta a généré des pertes équivalentes aux pertes générées par des pots de vin. C’est un vrai problème. En revanche, pour ce que j’en sais, je ne pense pas qu’il y ait une relation entre l’attentat de Karachi et le versement des pots de vin.

L’Elysée a mis au point une « war room » pour mieux vendre à l’étranger. C’est quoi cette war room ?

C’est une salle d’état-major. L’idée est bonne : en 2007, constatant que tout foire, après l’échec de la vente du Rafale au Maroc, Nicolas Sarkozy décide de changer de méthode. Tout le monde tire dans des sens différents, entre la DGA, les industriels, le ministère de la Défense… il y a 3 ou 4 voix différentes. Le président dit : « On va fédérer tout ça, pour les faire parler d’une seule voix ». Comme observateur, je trouve que c’est une bonne idée, conforme d’ailleurs à ce qui se fait dans d’autres pays, à la Maison Blanche, en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Sauf que… patatras, depuis que cette war room existe, il y a eu beaucoup d’échecs.

Pourquoi ?

L’exemple le plus intéressant, c’est l’échec des centrales nucléaires aux Emirats. On a proposé un produit que les Emiratis ne voulaient pas, dès le départ.

Qui composent cette war room ?

Le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, le chef de l’état-major particulier, le conseiller diplomatique, Jean-David Levitte, les spécialistes de chaque zone de la cellule diplomatique, les services de l’Etat (les finances, la défense…) et les industriels. Avec une centaine de dossiers en cours à gérer.

Les conflits actuels ont-ils une incidence sur le marché de l’armement ?

C’est marginal. L’Irak n’a pas d’argent pour payer des armes. L’Afghanistan non plus. Les armes achetées par la France ou d’autres pays intervenant sur ces terrains sont marginales. Ces conflits sont significatifs sur le plan stratégique, mais pas sur les marchés d’armement.

>> Retrouvez des extraits du livre Armes de corruption massive de Jean Guisnel dans le dossier spécial d’OWNI :

>> Karachi : la colère de Chirac contre François Léotard

>> Libye: échange infirmières contre missiles

>> Les mésaventures américaines du Rafale au Maroc


>> Illustration FlickR CC : Dunechaser

>> Illustration et Une CC : Loguy pour OWNI

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Conclusion: la décennie réalité augmentée 5/5 http://owni.fr/2010/04/22/conclusion-la-decennie-realite-augmentee-55/ http://owni.fr/2010/04/22/conclusion-la-decennie-realite-augmentee-55/#comments Thu, 22 Apr 2010 16:38:58 +0000 Martin Lessard http://owni.fr/?p=12706

Image CC Flickr Jamais Cascio

Est-ce que 2010 sera l’année de la réalité augmentée ? C’est aller un peu vite en affaires. Elle est surtout cantonnée à des expériences marketing pour l’instant, premier contact pour le grand public. Le vecteur de propagation mainstream sera probablement les applications touchant le « local augmenté », où on pourra s’informer sur un lieu «just-in-time». Conclusion de ma série sur la réalité augmentée.


La réalité augmentée, en reliant un objet à du data en ligne, permet quelque chose de diamétralement opposé au web : naviguer sur le web, c’est encore aujourd’hui, être physiquement en un endroit (devant son écran d’ordi) et vagabonder ailleurs dans le monde virtuel de la connaissance, à des lieux d’où l’on est. Il y a une dichotomie entre où se trouve sa tête et où se trouve son corps. La réalité augmentée est profondément ancrée dans l’« ici et maintenant ».

On est/doit être présent dans un lieu pour expérimenter cette réalité augmentée. Les « objets qui parlent » ont physiquement des coordonnées spatiales et non pas seulement un URL.

C’est un peu sens du « locative media », nouveau concept pour exprimer le « média » attaché à un lieu et permet des interactions sociales (asynchrones ou non).

Les applications « hyperlocales » sont les têtes de pont entre le virtuel (les datas en ligne) et le réel (les « immeubles » qui ont des coordonnées), et vu le véritable avantage de posséder des informations sur un lieu, il ne serait pas étonnant que ce soit par ce vecteur que se démocratisera l’usage des la réalité virtuelle.

Certains peuvent dire que la réalité augmentée distrait du réel, mais il faut y voir a priori plutôt une chance de transporter avec soi un savoir tacite qui nous permet d’intégrer un nouvel environnement plus rapidement.

Les commerçants veulent vous augmenter la réalité pour diminuer votre portefeuille

Les commerçants ont rapidement vu le potentiel et ils sont les premiers à vouloir « augmenter notre réalité ». Par exemple :

- Les « pages jaunes » immersives : on peut repérer les commerçants et les services autour de vous.

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- Les marques de céréales, en manque de traits distinctifs, chercheront à se distinguer de leurs concurrents (le genre d’expérimentation qui réduit le phénomène à un gadget inutile)

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- Les Legos augmentés : offrir de voir le produit final avant d’acheter

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Comprendre le monde qui nous entoure

Parfois l’idée n’est pas de vous faire acheter quelque chose, mais de vous aider à comprendre comment marche le monde.

Pour les aveugles, par exemple, la réalité augmentée peut leur permettre d’interpréter les objets : la valeur d’une note de banque par exemple. Ou, comme dans le prochain exemple, offrir une « interaction encyclopédique » avec des réalités biologiques difficiles à expérimenter : quelle grandeur a le foetus dans le ventre de la mère ? L’expérience, pour être « virtuelle » n’en est pas moins très près du réel.

- How big is the baby ?

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- Relier le papier au numérique

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Dans l’exemple au-dessus, Ricoh propose « icandy » qui identifie du contenu non pas à partir de codes barres, mais à partir de la signature visuelle du texte : les caractéristiques naturelles de la page forment le code (ou plutôt le pattern) qui est reconnu par une base de données et permet de recevoir de l’information supplémentaire sur un magazine, ou un livre. Amazon a fait l’acquisition l’an passé de SnapTell qui fait à peu près la même chose (avec la différence que l’application permet de trouver l’endroit le moins cher pour acheter le livre).

Les deux exemples suivants le font avec des objets.

- Google Goggles – reconnaissance d’objets

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- Nokia Point & Find – reconnaissance d’objets

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les interfaces naturelles

Fred Cavazza a écrit un bon billet sur les nouvelles interfaces naturelles, « bientôt dans notre quotidien », et qui s’interroge sur la pertinence du modèle « écran/clavier/souris ». La réalité augmentée fait partie de ces interfaces de l’avenir.

Actuellement la recherche d’informations demande une recherche procédurale (ouvrir son navigateur, aller dans un engin de recherche, taper les mots clefs), alors que les interfaces naturelles, la réalité augmentée et les objets parlants devraient rendre tout ça beaucoup plus « naturel ».

- et comme dessert :

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Demo of Augmented Reality Cookies from Tellart on Vimeo.

Un début, pas une fin

Que le succès arrive cette année, je serais surpris, mais on peut parier que « réalité augmentée » a un avenir radieux au courant de cette décennie : l’omniprésence des téléphones dits « intelligents » est le cheval de Troie pour envahir l’espace public et s’incruster dans les habitudes des gens.

Actuellement la réalité augmentée offre de nombreuses possibilités dans une dizaine de secteurs :

- Le tourisme et marché locatif : guide assistée
- Le secteur manufacturier et industriel : instruction assistée, réparation
- La vente au détail : catalogue augmenté
- Les publications : extra interactif
- La publicité directe : dépliants augmentés
- L’ éducation et la médecine : apprentissage et assistance opérationnelle
- Le secteur militaire : examen de scénario
- L’art, décoration et architecture: prévisualisation in situ
- Les jeux: apparition d’hybride jeu de plateau et vidéo

On quittera bientôt le niveau anecdotique pour aller une intégration encore plus essentiel. Cette décennie sera celle de la réalité augmentée…

Billet initialement publié sur Zéro seconde

Notre dossier sur la Réalité Augmentée :

> Appréhender le monde en réalité augmentée 1/5

> Réalité augmentée: la 3D virtuelle 2/5

> Réalité augmentée: du virtuel dans le réel 3/5

> Réalité augmentée: objets communicants 4/5

> La vision augmentée et la décennie de l’ubiquité , par Robert Rice

> L’AR, une tendance de fond du marketing

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http://owni.fr/2010/04/22/conclusion-la-decennie-realite-augmentee-55/feed/ 2
Foursquare, nouvelle coqueluche du web social http://owni.fr/2010/03/16/foursquare-nouvelle-coqueluche-du-web-social/ http://owni.fr/2010/03/16/foursquare-nouvelle-coqueluche-du-web-social/#comments Tue, 16 Mar 2010 18:30:08 +0000 Philippe Martin http://owni.fr/?p=10191 foursquare

Les badges : des récompenses à débloquer en accomplissant certaines activités.

Dans un de mes derniers billets de l’année 2009, je vous parlais de cette forte tendance à l’émergence d’un e-commerce bâti sur le mobile et la géolocalisation. Le petit dernier arrivé dans la cour de récréation est en train d’affoler pas mal de monde au point que de nombreux commerces entrevoient rapidement tous les bénéfices qu’ils peuvent retirer de ce service, je parle de Foursquare. Wikipédia parle de « Hyperlocal marketing », le copain Olivier Mermet parle de « nouvelle carte de fidelité » et Grégory Pouy parle d’un « service qui associe réseau social, mobile et géolocalisation ».

Bon j’en vois déjà certains bailler au fond de la classe de dire, encore une perte de temps. Là je dis minute et surtout quand je lis cet article du New York Times qui nous indique  qu’un véritable tableau de bord de statistiques et d’analyses sera prochainement mis à disposition des commerces : « With the new tool, businesses will be able to see a range of real-time data about Foursquare usage, including who has “checked in” to the place via Foursquare, when they arrived, the male-to-female customer ratio and which times of day are more active for certain customers. Business owners will also be able to offer instant promotions to try to engage new customers and keep current ones ». Vous voyez ou je veux en venir ? D’un côté des efforts importants déployés pour les usagers, la partie en amont ; Foursquare a procédé deux fois de suite à des mises à jour de son application Iphone la semaine passée. De l’autre en aval, soit les commerces, des outils statistiques très puissants dont rêvent probablement depuis toujours les exploitants de bars, cafés, restos, hotels, boutiques etc.. Comme une sorte de sondage en ligne permanent en temps réel.

D’ailleurs certains ont déjà compris la nouvelle donne, entre autre Starbucks qui a mis en place un badge spécial pour ces clients, première étape d’une stratégie de fidélité, monitoring et de conversation.

Bref, si je tenais commerce pignon sur rue, je regarderai ça attentivement. Ça rejoins d’ailleurs mon billet précédent : Listen = monitoring et Identify your best fans.

Pour terminer voici la présentation de Grégory Pouy. C’est quoi Foursquare

Foursquare : présentation et utilisation business

View more presentations from Gregory Pouy.

Pistes: C’est quoi Foursquare : tentative de présentation en 51 slides chez Grégory Pouy
Foursquare Introduces New Tools for Businesses chez Bits NYT
Foursquare : la nouvelle carte de fidélité ? chez Olivier Mermet
Foursquare and Starbucks Team Up to Offer Customer Rewards chez Mashable
Foursquare sur Wikipédia

Billet initialement publié sur N’ayez pas peur !!

Photo nanpalmero sur Flickr

À lire aussi sur la soucoupe, ce billet de Capucine Cousin : Foursquare : vers les (vrais) débuts du Web social mobile ?

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