OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Microsoft programme l’école http://owni.fr/2012/08/27/microsoft-programme-lecole/ http://owni.fr/2012/08/27/microsoft-programme-lecole/#comments Mon, 27 Aug 2012 11:51:12 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=118473

Cette semaine, du 27 au 30 août, se déroule la 9e édition de Ludovia, une université d’été incontournable en France sur l’e-éducation. Elle réunit professeurs, chercheurs mais aussi politiques, jusqu’au ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon, qui participera à une conférence. Parmi les partenaires de l’événement, Microsoft, le géant américain du logiciel.

En France, la firme de Redmond mène une intense campagne d’influence en direction des acteurs de l’éducation nationale, que nous avons reconstituée dans une [infographie à découvrir au bas de cet article].

La présence de Microsoft à Ludovia résume parfaitement sa stratégie qui consiste à se construire une légitimité pédagogique pour vendre des produits pour le moins controversés – prix élevé, logique propriétaire, volonté hégémonique, qualité contestable. “C’est comme si EDF avait un discours pédagogique sur les sciences physiques”, fulmine Marc, une personne du monde du logiciel libre, la bête noire de Microsoft. Anne, une enseignante, détaille leur tactique :

Ce qui les intéresse, c’est les décisionnaires politiques qui se déplacent sur les événements : à Orléans en juin, au Forum des Enseignants Innovants et de l’Innovation éducative, il y avait tout le staff de Peillon.

IIs font du lobbying surtout auprès du ministère. Les responsables du ministère de l’Éducation nationale ont beaucoup d’invitations : formations, réunions pédagogiques, etc.

Jean-Roch Masson, l’instituteur qui a le premier utilisé Twitter en classe de CP, et fut invité par Microsoft à Washington au Global Forum – Partners in Learning, complète :

J’ai demandé Thierry de Vulpillières [directeur des partenariats éducation chez Microsoft France, ndlr], qui m’avait invité à Moscou, l’intérêt qu’avait une entreprise comme Microsoft à inviter un enseignant utilisateur de Twitter, et pas forcément client chez eux, et sa réponse m’a convaincu : il a pris l’image d’un camembert, représentant l’ensemble des usages des technologies dans la société ; le but des forums n’est pas de faire grossir la part “Microsoft”, mais de faire grossir l’ensemble du camembert (= développer les usages par nos échanges et nos actions dans l’éducation). Mécaniquement, leur part grossira en quantité d’usage, et non en pourcentage au profit de Microsoft.

C’est à l’aune de cette analyse qu’il faut apprécier ce commentaire que Thierry de Vulpillières nous a fait :

La véritable problématique est là : comment contribuer à apporter des solutions à l’usage si faible des TICE dans le système éducatif français (24e sur 27 en Europe) et, plus encore, comment aider, par les TICE, à réduire la désaffection croissante des élèves envers le système éducatif tel qu’il fonctionne aujourd’hui (45% des élèves s’ennuient à l’école selon les études PISA.

Le mot-clé pour mener cette campagne d’influence : innovation. Microsoft s’associe, sponsorise, voire initie des projets touchant à la pédagogie dès lors qu’ils qui se veulent innovants. Clé de voute de cette stratégie, le programme international Microsoft Partners in Learning (PIL), doté d’un budget de 500 millions de dollars sur dix ans. Car Microsoft a les moyens de son lobbying.

Partenariat public-privé

Microsoft cajole de tels chevaux de Troie pour mieux convaincre le seul acteur qui compte au final sur son chiffre d’affaires : le décisionnaire politique. Avec succès  puisque une convention de partenariat a été signée avec l’Éducation nationale en 2003 et reconduite depuis. Microsoft n’est d’ailleurs pas le seul : Apple, Dell, Hewlett Packard, etc, en ont aussi signé une.

Un tel accord, c’est un sésame pour vendre ses produits en offrant la caution et la visibilité de l’instance supérieure en France en matière d’éducation. Il assure des tarifs très préférentiels aux établissements de l’Éducation nationale et aux collectivités territoriales qui, en France, gèrent les écoles primaires (commune), les collèges (conseil général) et les lycées (région) : “plus de 50%”.

Ces réductions sont d’autant plus bienvenues que les finances locales font grise mine et Microsoft surfe dessus. L’heure est au partenariat public-privé, et l’éducation est également séduite par ces délégations au profit du secteur privé. Extrait du texte de présentation de la page “collectivités territoriales” de Microsoft éducation :

Ces projets soutiennent l’évolution de l’École destinée aux élèves nés au XXIe siècle mais s’inscrivent également dans une démarche de rationalisation des dépenses publiques notamment éducatives. Vous voulez initier un projet nouveau et porteur en termes d’usages et d’images, contactez-nous !

L’Éducation nationale tire aussi la langue et Microsoft joue le généreux oncle d’Amérique. Notre enseignante analyse :

Les journées de l’innovation à l’Unesco sont largement financées par Microsoft, par exemple. Le ministère de l’Éducation nationale n’a plus les moyens de faire ça, d’avoir cette vitrine, ça nous permet d’avoir des forums, des réunions, des formations, Microsoft s’engouffre dans la brèche. Tout le monde y trouve son compte, profs et ministère.

Pro Microsoft

Certains partisans du libre estiment que l’Éducation nationale est devenue “pro Microsoft”, ce dont elle se défend :

Le ministère a toujours veillé à conserver une grande neutralité dans ses diverses relations avec les acteurs industriels avec lesquels il a des échanges réguliers. Microsoft est un acteur économique de premier plan et un partenaire important de l’Éducation nationale ; il est donc, à ce titre, invité régulièrement sur les sujets du numérique, comme les autres grandes sociétés et les représentants des syndicats professionnels.
Pour leurs projets internes, les équipes du ministère procèdent de façon systématique à l’évaluation des outils et des solutions existantes. À cette fin, et dans une démarche de veille technologique, il est naturel qu’elles s’informent par tous les canaux possibles.

C’est par exemple sur le territoire neutre du siège de Microsoft à Issy-les-Moulineaux que les inspecteurs de l’Éducation nationale chargés de mission nouvelles technologies (IEN-TICE), conseillers techniques des inspecteurs d’académie, avaient été convoqués par l’Éducation nationale l’automne dernier, dans le cadre de leurs journées annuelles, comme s’en étaient émus l’April, une association de défense du logiciel libre, et Framasoft, un site dédié au libre. Une demi-journée de réunion au cours de laquelle leur ont été présentés des produits du fabricant.

Et contrairement à la Grande-Bretagne où le Becta, qui conseille le gouvernement en matière de TICE, avait déconseillé Windows Vista et Microsoft Office 2007, on n’entend pas de critiques de front. A contrario, le ministère souligne qu’il a mis en place Sialle, le “service d’information et d’analyse des logiciels libres éducatifs” et “favorise l’interopérabilité et l’ouverture des systèmes d’informations.”

Quant à Microsoft, il renvoie la balle au ministère :

Ni omniprésence, ni absence, mais contribution au débat. Ensuite, il appartient aux pouvoirs publics de tirer les enseignements des éclairages objectifs et rationnels apportés par une pluralité d’acteurs dont Microsoft parmi d’autres.

Et de souligner que l’entreprise est “très attachée à la transparence dans la façon dont cette information est communiquée. C’est notamment le cas du  programme Partners in Learning grâce auquel Microsoft contribue à nourrir un échange autour des différentes expériences TICE des gouvernements de plus de 110 pays. Notre stratégie est fondée sur l’interopérabilité, l’ouverture, la transparence et le respect des données personnelles.”

Soft à tous les étages

Dans son entreprise de drague, Microsoft a l’intelligence d’avancer avec des mocassins plutôt qu’avec des gros sabots. À l’image de Thierry de Vulpillières, qui a d’abord été professeur de lettres. “Ce n’est pas un commercial pur, analyse l’enseignante, il a réussi à ne pas se mettre trop les fans du libre et de Mac sur le dos.” Pas trop… Car si Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques et créateur de Framasoft, le juge “intelligent et avenant”, il n’en démonte pas moins la machine Microsoft régulièrement. Jugement que ne démentira pas cette petite phrase glissée par l’homme parmi ses réponses à nos questions : “Puisque vous évoquez Framasoft, j’en profite pour  saluer le travail formidable que fait cette communauté dans l’éducation et son engagement pour le logiciel libre.”

Mais pour notre enseignante, l’entreprise pourrait avoir l’omniprésence beaucoup plus bruyante :

Ils font du lobbying à mort et ils ont un peu de mal à l’assumer. En France, la stratégie est de ne pas se mettre en avant, alors que c’est positif les forums par exemple.

Il faut effectivement parfois fouiller tout en bas d’un à propos pour découvrir que la société soutient Le Café pédagogique, un site de référence pour la communauté éducative. Contrairement à l’Éducation nationale…

De même, les enseignants ne sont pas obligés de se transformer en VRP, comme se réjouit Jean-Roch Masson, l’institwitter :

À partir du moment où j’ai su que je n’étais pas là pour propager la “bonne parole Microsoft”, j’ai vécu mes journées avec beaucoup d’enthousiasme et des envies d’échanges.

Je suis beaucoup plus proche des initiatives “libres”, où coopération et accessibilité prennent le pas sur logiciels fermés et commercialisation.

À moins que ce ne soit pas voulu, comme le sous-entend sa consœur Anne :

Ils aimeraient que les enseignants deviennent des commerciaux de la boîte mais ça ne marche pas.

Certains estiment que participer, c’est de toute façon jouer le jeu de la firme, ce que d’autres refusent, comme Sésamath, une importante association de professeurs de mathématiques, qui avait décliné une invitation au Forum des enseignants innovants.

Chiffre d’affaires mystère

Le résultat commercial sonnant et trébuchant, on ne le connaîtra pas : Microsoft refuse de les divulguer en arguant de la concurrence. Concernant les tarifs, le flou est de mise. Si l’accord cadre parle de 50% de réduction, d’autres offres sont proposées. Par exemple Office professionnel pro 2010 est à 8 euros au lieu de… 499 euros. Version PC et pas Mac. Un sacrifice apparent : les enseignants sont autorisés à l’utiliser chez eux, ce qui peut les inciter à vouloir le même environnement de travail à l’école, ce qui se traduit en licences site annuelles juteuses.

Il est d’autant plus impossible de faire une estimation du chiffre d’affaires qu’on ne connait pas la répartition du parc, comme nous l’a expliqué l’Éducation nationale :

Du fait de cette répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, le ministère ne dispose pas aujourd’hui d’éléments sur les parts des divers systèmes d’exploitation dans le parc d’équipements des écoles et des établissements scolaires.

Il doit être confortable si l’on en juge par la domination de Microsoft. La seule partie où le libre règne, c’est côté face cachée de l’informatique : “la quasi totalité du parc de serveurs du ministère de l’Éducation nationale fonctionne sous logiciel libre”, nous a détaillé le ministère. En revanche, “pour ce qui est du parc de postes de travail des services centraux et déconcentrés, la plupart des postes de travail fonctionne sous Windows.” Concernant les postes utilisés par les élèves, si on n’a pas de chiffres, la plupart sont sous Windows.

Les logiciels de travail constituent une autre source de profit, et en particulier les suites bureautiques, avec l’emblématique Office. Pas de données là non plus. On peut juste avoir une idée de ce que cela représente : Office domine, il y a environ 11 300 collèges et lycées en France, le cœur de cible de Microsoft, et pour un collège moyen de 500 élèves avec 5 élèves par poste et 50 “administratifs”, le simulateur de Microsoft indique qu’il en coûte 1 650 euros par établissement scolaire et par an.

Lobbying de plus en plus dur

Toutefois, le temps de l’hégémonie s’éloigne. “Leur lobbying est de plus en plus dur depuis trois ans”, glisse l’enseignante. Car le libre est de plus en plus mature pour une utilisation par le grand public, à l’exemple d’Open Office qui grignote du terrain. La région Poitou-Charentes a opté pour l’OS Linux, pour des raisons d’économie.

Mais dans un futur proche, la grosse concurrence pourrait venir de deux autres rouleaux compresseurs américains : Google, avec son Apps for education, qui est gratuit ; et Apple, qui a fait une keynote marquante en janvier dernier sur l’éducation, annonçant un ensemble d’outils utilisables dans un écosystème Apple bien sûr.

Drapé dans sa cape de chevalier blanc des TICE, Microsoft évoque lui sa “responsabilité sociale d’entreprise” :

La question de l’éducation est un enjeu majeur pour notre pays et sa cohésion sociale ! La démarche de Microsoft est d’apporter le plus grand nombre d’éléments d’information et de comparaison en faveur de l’éducation et des TIC. C’est notre responsabilité sociale d’entreprise ancrée dans son environnement et son écosystème que de fournir des outils de compréhension pertinents pour l’action et les décisions des décideurs.

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Illustration et infographie par Cédric Audinot pour Owni /-)
Développement par Julien Kirch

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La Cnil dispense à la légère l’école http://owni.fr/2012/07/24/la-cnil-dispense-a-la-legere-lecole/ http://owni.fr/2012/07/24/la-cnil-dispense-a-la-legere-lecole/#comments Tue, 24 Jul 2012 14:10:55 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=116678

Le 13 juillet dernier, la Cnil a publié au Journal officiel une délibération dispensant de déclaration les fichiers locaux des établissements scolaires du secondaire du public et du privé. Il s’agit de la 17ème dispense délivrée par l’autorité administrative chargé de veiller à l’application de la loi Informatique et Libertés de 1978. Ces fichiers, aux jolis noms de SACOCHE, PRONOTE, OTM ou CERISE, contiennent un certain nombre de données personnelles sensibles :

nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, adresse, adresse électronique de l’élève fournie par l’établissement, nombre de frères et sœurs scolarisés, et, à titre facultatif et uniquement si l’intéressé y consent : la nationalité (uniquement en vue de l’établissement par le ministère de traitements statistiques anonymes), l’adresse électronique personnelle de l’élève, le numéro de téléphone portable de l’élève. [...]

Scolarité de l’élève : établissement d’origine, classe, groupe, division fréquentés et options suivies pendant l’année scolaire en cours et l’année scolaire antérieure, année d’entrée dans l’établissement, diplômes obtenus, position (non-redoublant, redoublant, triplant), décision d’orientation et décision d’affectation, notes, acquis au sens du décret n° 2007-860 du 14 mai 2007 relatif au livret personnel de compétences, noms des enseignants, absences, sanctions disciplinaires, vœux d’orientation ;

“Une consultation rapide des autres dispenses fait apparaître le contraste entre le champ couvert par la 17ème dispense par rapport aux autres, note un membre du Collectif national de résistance à Base élèves (CNRB), qui s’oppose au fichage des élèves : le fichier électoral des communes, les listes de fournisseurs d’une entreprise, liste des abonnés à une revue, liste des chambre d’hôtes, etc. Tout ceci me semble anodin quant aux contenus donc aux atteintes possibles à la vie privée et aux libertés. Certes, tout ceci ne doit servir qu’en interne aux établissements mais quand même.”

Toutes ces données iront ensuite alimenter des fichiers nationaux dont le très polémique BE1D (base élèves premier degré). Interrogée par Owni, la Cnil a répondu qu’elle n’y voyait pas de problème :

Jusqu’à l’adoption de cette dispense, les établissements scolaires devaient adresser une déclaration à la CNIL qui donnait lieu à l’envoi d’un récépissé après vérification du caractère complet du dossier. Cela générait un flux important pour la CNIL sur des traitements connus par elle et soulevant peu de problématiques juridiques.
Dès lors, la CNIL a souhaité adopter une dispense actualisée et pédagogique, qui responsabilise davantage le responsable de traitement en cas de contrôle, pousse les chefs d’établissements à vérifier avec plus d’acuité s’ils entrent ou non dans le cadre de ladite dispense, que ce soit en termes de données traitées, de destinataires ou de sécurité.

5 contrôles sur 11 300 établissements

Pourtant, la sécurité des fichiers scolaires a récemment été remise sur en cause. On avait pu voir trainer sur Internet des données nominatives sensibles tirées des dossiers AFFELNET d’affectation dans les collèges et les lycées, extraits de SCONET et BE1D :

Une fuite qui devrait inciter la Cnil à une vigilance renforcée. Interrogée à ce sujet, elle réaffirme la responsabilité des chefs d’établissement :

Être dispensé de déclaration n’exonère les établissements d’aucune de leurs obligations au titre de la loi informatique et libertés. En particulier, ils sont tenus de garantir la sécurité des données. Une série de contrôles a été effectuée en début d’année 2012 auprès de 5 collèges et lycées en ce sens.

Une responsabilisation qui amuse bien le membre du CNRBE :

C’est peu de dire que la loi “Informatique et Libertés” est peu connue des directions d’établissement (et même des rectorats). Jusqu’à cette dispense, je serais curieux de savoir combien de déclarations ont été faites par des établissements ou des rectorats, elles doivent être très rares. Dans ce contexte, la lecture rapide de la 17 va les confirmer dans l’idée qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Par exemple, communiquer des listes d’élèves selon leur adresse et leur établissement et leur classe au Conseil général pour organiser le transport scolaire. Ce n’est qu’implicitement que la 17 dit qu’elle ne s’applique pas à une telle fourniture : qui va le voir ?

Nous avons demandé à la Cnil le résultat du contrôle des 5 établissements, sur les quelque 11 300 que compte la France dans le secondaire, et sa réponse semble corroborer ces craintes :

Les contrôles menés en début d’année auprès de plusieurs collèges et lycées ont conduit la Commission à constater certaines insuffisances concernant :

- les formalités préalables que ces établissements doivent accomplir auprès de la CNIL ;
- l’information des élèves et de leur représentant légaux sur le traitement de leurs données et les droits dont ils disposent ;
- les mesures mises en œuvre par ces établissements pour assurer la sécurité des données traitées.

Il est vrai que les fichiers scolaires ne semblent pas la priorité de la Cnil. Ainsi, Base élève premier degré avait fonctionné plus d’un an sans attendre la délivrance du récépissé de la déclaration auprès de la Cnil, de 2004 à 2006, comme l’avait détaillé le Conseil d’État dans sa décision du 19 juillet 2010, suite à sa saisine par le CNRBE. Et le conseil des sages avait jugé excessive la durée de conservation de 35 ans des données dans Base Nationale des Identifiants Elèves (BNIE), un base nationale qui rassemble les immatriculations uniques de chaque élève depuis son entrée dans le système scolaire. Initialement, le ministère de l’Éducation nationale (MEN) souhaitait qu’elle soit de 40 ans, la Cnil avait tiqué, le MEN avait donc proposé 35 ans. Cette fois-ci, la Cnil n’avait plus tiqué.


Photo par ubiquity-zh (CC-BY-NC)

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Jour de classe dans un lycée autogéré http://owni.fr/2012/06/14/jour-de-classe-dans-un-lycee-autogere/ http://owni.fr/2012/06/14/jour-de-classe-dans-un-lycee-autogere/#comments Thu, 14 Jun 2012 09:54:33 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=112266

Visiter le lycée autogéré de Paris c’est un peu comme revenir  dans ses souvenirs de  lycéen, où on aurait aimé évoluer dans un lieu où les idées d’émancipation épousent les actes et les réalités du quotidien. Passé un portail de fer rouge, on se retrouve dans un jardin dans lequel les espaces, habilement façonnés par la taille des arbres invitent à se rassembler, à discuter, à s’exprimer.

Ouvert en septembre 1982, le Lycée autogéré de Paris est né grâce à  Jean Lévi. Ce dernier, inspiré par le Lycée expérimental d’Oslo et l’expérience de l’école de Summerhill de Neill, voulait créer un lycée sortant du système  scolaire traditionnel et en rupture avec le conservatisme qu’il reprochait à l’Éducation nationale. Un lycée pour les lycéens géré par les lycéens. Qui fête ses 30 ans cette année.

Diversité

Il ne faut pas croire qu’on a que des élèves ultra politisés, bien sûr il y en a qui le sont, et évidemment à l’extrême gauche, d’autres qui ne le sont pas du tout, certains même qui sont à droite ! Comme on accepte tous ceux qui veulent venir étudier chez nous dans la limite du nombre de places possibles et qui sont considérés comme des « cas sociaux » par les autres établissements, on a une grande mixité sociale et des élèves très différents

C’est d’abord cette richesse qui fait du LAP un lieu rare, qui semble échapper à la sélection et à la compétition inhérente aux structures scolaires traditionnelles. La diversité des élèves, de leurs origines, de leurs expériences, permet de penser l’autogestion concrète.

Escalade

Le lycée autogéré n’est pas un lieu de consommation de savoir procuré du prof à l’élève. Ici, les lycéens qui savent ce qu’ils veulent faire apprennent à formuler et à préciser leurs demandes et cela aboutit à des activités ou à des projets concrets. Ceux qui ne savent pas, nous tentons de les guider et de leur laisser le temps nécessaire à murir leurs envies. Nous ne voulons pas que l’élève soit dans un choix du bac par défaut

Conformément à ce projet, les enseignements liés à la découverte de soi sont variés. Ils passent notamment par la construction de projets. Aussi bien parcourir la route 66 en van pendant trois semaines pour découvrir les États-Unis que partir faire le tour de Corse en randonnée ou monter un club d’escalade.

Si le but demeure la réalisation du projet, c’est dans la construction de ce dernier et dans les étapes pour parvenir à son accomplissement que résident les aspects les plus formateurs. Jérémie, élève en terminale S ayant participé en 2011 à ce projet de route 66 nous fait part de cette expérience:

C’est en construisant le projet que tu grandis. D’abord tu dois rassembler des gens qui sont motivés, tu dois en discuter pour qu’il convienne à tous, puis il y a toute la préparation et la recherche de fond. Lorsqu’on fait un projet au LAP, le lycée participe à hauteur d’un tiers, la famille à un tiers et c’est aux élèves de trouver le dernier tiers. Cela passe par l’organisation d’événements, de petits déjeuners, de soirées, de repas, etc. Finalement on a réussi, on est partis, et c’était le pied. Ce qui est formateur, c’est tout ce qu’on apprend en se confrontant aux problèmes d’organisation qui te barrent la route

Au LAP, un autre levier important de ce processus de connaissance et de découverte de soi passe par les OVNI (objets valorisants non identifiés). Chaque élève, s’il le désire, est invité à approfondir un sujet qui l’intéresse ou le passionne en faisant un dossier dont il doit rendre compte devant un jury de profs.

Les OVNI agissent comme un premier moyen pour les élèves de prendre conscience des sujets et activités qui les intéressent le plus  et de valoriser des connaissances qui ne sont pas directement liés aux enseignements qu’ils reçoivent.

Contraintes

Dans la cour du lycée, il suffit de s’attarder quelques instants pour rencontrer des élèves qui ne vont pas en cours mais passent le plus clair de leur temps dans l’enceinte de l’établissement.

La majorité d’entre eux est consciente de la réputation commune de l’absentéisme et de la flemmardise qu’on y associe souvent. Pourtant, ici, la flemmardise prend aussi tout son sens d’après Paul :

On sait que des gens peuvent dire qu’on ne fout rien et qu’on ne va que dans les cours qui nous intéresse. Mais tu vois, au moins on est là, ensemble, et ce lycée a du coup un statut particulier car c’est notre lieu. On n’a pas envie d’y foutre la merde. Il y a plein d’élèves ici qui ne vont pas en cours mais s’investissent énormément dans la vie du LAP parce qu’ils y trouvent leur compte. Ici, tu ne vas pas en cours juste parce que tu es obligé d’y aller au risque de te taper des heures de colle comme dans une structure traditionnelle. Quand tu vas dans un cours, c’est parce qu’il t’intéresse

Beaucoup soulignent aussi le fait que le lycée appartient réellement aux élèves qui le gèrent avec les enseignants. Il n’y a pas de femmes de ménage au LAP et si personne ne nettoie c’est sale. Si personne ne participe, ça ne fonctionne pas, etc. Dimitri élève en terminale S partage cette vision :

Moi je pense que ce lycée est un très bon moyen de faire une transition même si cela ne convient pas à tout le monde car il faut vraiment apprendre à gérer la liberté. Après, il y a pas mal d’élèves qui glandent un an ou deux parce qu’ils ont d’un coup beaucoup moins de pression, notamment des parents. C’est au contact des différents projets et de la vie collective que certains font le lien entre leurs centres d’intérêt et le monde réel.

Intelligence collective

En cours de maths, l’approche pédagogique est assez surprenante car l’enseignement s’apparente plus à une discussion permanente entre le prof et les différents élèves qu’à une transmission unilatérale du savoir. Au lieu de présenter une règle mathématique puis de la faire comprendre par le biais d’exercices, Pascal, le prof de math part de savoirs déjà acquis pour poser un nouveau problème.

Il questionne chaque élève sur la manière dont ils voudraient le résoudre pour éprouver les solutions de chacun. C’est en amenant les élèves à mettre leurs réflexions en commun et en prenant les meilleures idées que le problème est petit à petit résolu.

Dans la salle, le prof change  souvent de place en s’installant successivement à côté des différents élèves présents au profit  de la suppression du rapport de  hiérarchie, ne serait-ce que visuellement.

Ici, les élèves peuvent s’entraider lorsque l’un d’entre eux est au tableau et pas question d’empêcher les autres de souffler puisque c’est précisément la possibilité de se confronter à la diversité des raisonnements qui fait prendre conscience des failles du sien.

Cette stimulation de l’intelligence collective et de la logique propre à chacun rend le cours beaucoup moins ennuyeux et éprouvant qu’un cours « classique ». Plus besoin de jeu pour faire apprendre une logique puisque la logique elle-même devient ici un jeu. Comme l’explique un lycéen :

Moi j’adore cette pédagogie et c’est un peu con les programmes parce que c’est parfois un obstacle. Comme on est obligés d’aller vite, on peut pas tout le temps faire ce processus de découverte des choses par soi-même et c’est vrai que découvrir comme ça, ça prend du temps. L’autre élément intéressant, c’est qu’ici, en dehors de la terminale où on te prépare au bac, les notes sont l’exception et pas la règle. Bien sûr, n’importe qui peut demander à être noté mais globalement les profs essaient plutôt de donner des commentaires et de t’orienter de façon constructive. Après, tout n’est pas parfait et ça entraine parfois un peu de laxisme de la part de certains profs qui accordent tellement peu d’importance aux notes qu’ils mettent des mois à te rendre une copie !

Organisation

Les structures organisationnelles sont les garantes d’une autre vision de la démocratie. Plus complexe qu’une simple assemblée générale, l’organisation au Lycée autogéré de Paris s’échafaude ainsi autour de différentes instances ayant chacune leur propre rôle sans pour autant être hérmetiques entre elles, bien au contraire. Comme le commente Jérémie:

Tu sais, tout ça résulte de 30 ans d’expérience et ça se sent, c’est vachement construit. Ce que j’aime bien ici, c’est que contrairement à la société dans laquelle on vit, les règles sont évolutives. Au LAP, ce n’est pas parce qu’on a supprimé les relations de hiérarchies et d’autorité qu’on a pas de règles et ce n’est pas parce qu’on a des règles qu’on ne peut pas les remettre en cause, voir les supprimer. L’autre truc qui est marrant, c’est que malgré cette organisation très réfléchie tu te rends comptes qu’à force, la plupart des discussions et des problèmes tu les résous dans les couloirs, c’est ça, la plus grosse instance du lycée!

Outre le fait que le système de vote au LAP repose sur le principe de “une tête une voix” sans distinction de statut, c’est le mode de scrutin qui est intéressant. D’abord, parce que même si les décisions sont votées à la majorité absolue, une large place est accordée au consensus. Surtout si une décision recueille, à titre d’exemple, 51% des suffrages contre 49%. Dans ce cas, comme  l’explique un lycéen, les “lapiens” se posent des questions et essaient de reformuler la proposition au mieux, de manière à avoir une plus large majorité qui adhère.

Cliquez sur l'image pour voir l'infographie

Ensuite, parce que le LAP reconnait trois types de scrutin dans ses votes. D’abord le vote blanc quand aucune proposition ne correspond aux attentes de l’individu, l’abstention quand il n’a pas d’opinion sur le sujet, et le refus de vote quand la personne considère le vote comme illégitime. Comme l’explique une lycéenne:

Si il y a énormément de refus de vote, on se pose des questions, même si dans le principe on devrait se poser la question à partir d’un seul refus dans le sens où c’est un acte fort qui réfute la légitimité même de l’existence du scrutin. Mais bon, il y a toujours un débat sur le vote au préalable. On discute toujours pour savoir si les propositions à voter nous conviennent, ce qui fait que les refus de vote sont relativement peu nombreux. Par contre, ce qui arrive assez régulièrement, c’est qu’un groupe de base entier refuse de voter parce qu’il estime que les propositions ne sont pas assez claires dans leur formulation ce qui peut parfois s’avérer problématique

Enfin, c’est la possibilité pour chaque élève de participer aux différentes structures du lycée qui est intéressante. Si un élève trouve que son idée, son projet ne sont  pas bien représentés au sein de l’organisation du LAP il peut participer à la réunion générale de gestion  ou convoquer une assemblée générale si une discussion collective est  vraiment nécessaire.

Limites

L’autogestion en tant qu’idéal a ses limites. Souvent celles que chaque esprit s’impose. Cette considération vaut aussi pour certains élèves dont les conceptions de l’idéal autogestionnaire diffèrent. Une des critiques les plus courantes attribuées à ce lieu par les lycéens est la diversité des élèves. Non la diversité en tant que valeur qu’aucun lycéen rencontré ne remet en cause, mais plutôt la diversité de conceptions et l’inertie qu’elle impose à l’organisation. Comme le reproche Paul, lycéen de première:

Le problème ici c’est que tout le monde ne rentre pas pour s’investir dans la structure. Moi par exemple, je suis venu ici parce que je milite et que je voulais expérimenter l’autogestion. Mais c’est vraiment loin d’être le cas de tout le monde. Le point positif que j’ai pu observer c’est que certains ne connaissent même pas le concept d’autogestion en arrivant ici mais l’appliquent naturellement. Ils participent aux réunions, sont actifs dans les débats, s’impliquent dans les projets ou les tâches, etc.

À la base de la création du lycée, il s’agissait notamment de préparer le bac autrement, en marge des processus de préparation classiques dispensés en lycée “conventionnel”. Si ce but demeure, une critique souvent adressée au LAP tient dans son faible taux de réussite au bac, qui plafonne à 25% (là où les moins bons lycées parisiens ne descendent guère en deçà des 80%).

Il s’explique par différentes raisons. Contrairement aux autre lycées, le LAP accepte l’inscription de tout individu souhaitant s’investir dans la structure, qu’il soit en échec scolaire, descolarisé depuis quelques années ou issu de filières techniques. Ensuite, parce que comme l’explique l’un des professeurs d’anglais du Lycée de manière volontairement caricaturale:

Sur les 80 terminales, 40 vont en cours et vont réussir, d’autres vont débarquer en terminale sans être passé chez nous pour la seconde et la première et vont souvent avoir quelques difficultés et les autres ne viennent pas. Si on ne prend en compte que ceux qui viennent en cours on a un taux de réussite honorable

Les défis du lycée autogéré de Paris sont multiples. Parvenir à donner la place à chacun de s’exprimer et y accorder de l’importance même s’il est minoritaire, provoquer la participation du plus grand nombre au fonctionnement de la structure sans pour autant avoir à l’imposer par l’autorité ou encore concilier les différentes visions de l’idéal autogestionnaire tout  en respectant ses objectifs pédagogiques.

Autant de problématiques auxquelles le LAP s’efforce de trouver des solutions depuis 30 ans. Avec ses défauts, ses tâtonnements et ses promesses le lycée autogéré a le mérite de s’assumer, d’exister et de demeurer un lieu de déconstruction et d’expérimentations  qui donne envie de croire à cette pensée de Victor Hugo issue des Misérables:

Et rien n’est tel que le rêve pour engendrer l’avenir. Utopie aujourd’hui, chair et os demain

Pour d’avantage d’informations sur le LAP:
Un livre retraçant ce combat de longue date paraitra fin Juin.
Par ailleurs, le lycée fête ses trente ans les vendredi 29, samedi 30 et dimanche 1er juillet 2012
Enfin, en partenariat avec la “Foire à l’autogestion” une soirée débat sur le thème de l’autogestion est organisée le vendredi 22 Juin au LAP

http://fr.wikipedia.org/wiki/Summerhill_School

Photos au mobile par Florian Cornu, édition et infographie par Ophelia Noor pour Owni

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http://owni.fr/2012/06/14/jour-de-classe-dans-un-lycee-autogere/feed/ 19
Hackons l’école ! http://owni.fr/2011/08/26/hackons-lecole/ http://owni.fr/2011/08/26/hackons-lecole/#comments Fri, 26 Aug 2011 13:46:00 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=76600 Les hackerspaces et les makerspaces, ces lieux physiques où se réunissent les hackers, « sont les écoles du futur ». Tel est le credo de James Carlson, fondateur de The School Factory [en] une association qui accompagne la création de ces endroits dédiés aux expérimentations électro-informatiques et au Do It Yourself (DIY, « fais-le toi-même »).

Et il parle d’un futur très proche : « Que voulons-nous dire par le terme “école” en 2020 ? ». Pas du tout iconoclaste, l’Américain ne fait que résumer ce que bon nombre de hackers pensent : le système éducatif actuel devrait être rebooté, réinitialisé. Alors cela donnerait quoi si un hacker prenait les rênes du ministère de l’Éducation ? Outre des sites un peu plus sécurisés, il introduirait des principes pédagogiques à rebrousse-poils de ceux qui gouvernent le système actuel.

Les honneurs du ratage

« Le premier qui a dix réponses justes reçoit un bon point. » Quel jeune élève n’a jamais entendu ce genre de promesses ? Un fonctionnement qui fait frétiller les forts en thème, mais pas le Hollandais Jaap Vermaas. L’homme a monté FabLab Truck [nl/en], « la fabrication numérique sur roues », un camion qui va dans les écoles animer des ateliers :

Le système actuel récompense les couards qui ne font pas d’erreurs.

Les hackers exaltent l’erreur comme processus primordial de l’apprentissage. « Si l’école et l’éducation pouvaient tirer profit de la valeur de l’échec et l’utiliser comme outil pédagogique, elles seraient plus efficaces, poursuit James Carlson. Les gens seraient capables de célébrer et d’honorer les erreurs qu’ils font et d’apprendre de leurs erreurs ensemble. »

La pratique contre la théorie

« Learning by doing », apprendre en faisant : exit les livres, place aux mains dans le cambouis : se salir les mains n’est pas moins noble que d’avaler des pages et des pages. « En Hollande, il y a une stricte séparation entre les enfants intelligents qui vont aller dans les filières intellectuelles et ne touchent pas les outils et les autres, qui apprendront à se servir des outils », déplore Jaap, un constat qui vaut aussi pour la France. Lui rêve de réconcilier les deux…

Une pratique qui décomplexe, comme le narre Emmanuelle Roux, chef d’entreprise qui enseigne à l’Université de Cergy et qui monte un FabLab au cœur de l’établissement pour la rentrée. Ses élèves sont en licence de développeur, c’est-à-dire qu’ils s’apprêtent à apprendre à coder. Deux MakerBot (des imprimantes 3D) vont rejoindre la faculté,  dont l’une sera mise à disposition de la promotion, quel que soit le cursus des élèves, communication, infographie, programmation. Le montage des machines, durant 5 jours, a été l’occasion d’observer une évolution réjouissante :

Le premier jour, ils nous ont regardés bizarrement, une élève est passée et nous a dit : “mon câble de console de jeu a été mangé par mon lapin, pourriez-vous me le réparer ?” ; le troisième jour, un élève s’est assis à côté de nous, il a attrapé des pinces et un fer à souder, et en a profité pour réparer un objet ; le quatrième jour, des élèves passaient pour voir où en étaient les premières impressions, et on n’a jamais autant discuté personnellement avec certains élèves auxquels on avait du mal à accéder, qu’à ce moment-là.
Ils sont spontanément venus à côté des machines, et c’est un très bel outil pour parler de ce qui nous entoure, et qui nous nous paraissait évident, et dont eux sont encore assez éloignés.

A l’heure où le coût de la vie étudiante augmente encore, un ministre aurait un intérêt tout cynique à encourager cette tendance : « Ce sont des étudiants, ils n’ont généralement pas un rond, note Emmanuelle, quand on leur dit qu’ils peuvent fabriquer des choses assez rapidement, en s’amusant et en lui donnant la forme qu’ils veulent, ça accroche plutôt bien. »

Mitch Altman : souder, souder et encore souder.

Le partage avec ses petits camarades de classe

Mitch Altman, hacker historique, s’emballait lors du dernier Chaos Communication Camp, le plus grand rassemblement européen de hackers, qui s’est tenu début août : « un hackerspace, c’est un endroit comme ici où les gens partagent leurs savoirs et leurs passions et s’inspirent les uns des autres. » Et il ne faisait pas que s’emballer en théorie : l’homme animait un atelier de soudure pour les enfants où, tous ensemble, sous la houlette des adultes, ont mené à bien un petit projet. Inventeur de la célèbre TV-B-Gone (une télécommande universelle dotée d’un seul bouton : le OFF) et co-fondateur de Noisebridge, célèbre hackerspace, Mitch Altman promène ainsi sa tignasse multicolore dans les hackerspaces du monde entier pour apprendre aux gens les charmes du DIY.

Un partage institutionnalisé qui va de pair avec un fonctionnement horizontal : « On n’apprend pas d’un professeur, devant une classe en “top down”, détaille Jaap, mais des autres qui travaillent là, le partage des connaissances se fait, y compris sur un événement comme le Chaos Communication Camp. » Du coup, au début des workshops (ateliers), les vieux réflexes ont la peau dure : « souvent cela prend un moment avant que les élèves ne commencent vraiment car ils sont habitués à recevoir des instructions, et souvent les profs commencent à leur donner des ordres dans un sens; l’idée, c’est que les enfants prennent le temps de développer leurs propres directions. »

Encourager la créativité

Lorsqu’on lui demande ce qu’il ferait s’il était ministre de l’Éducation, Jaap Vermaas estime qu’il faudrait tout d’abord « développer la créativité des gens » :

Actuellement, il y a une mise en avant du savoir livresque, la seule question à l’école, c’est : “as-tu lu le livre ou non ?” Il n’y a pas de stimulation à penser par soi-même et à créer de nouvelles choses.
Bien sûr, il faut des connaissances théoriques mais de nos jours, les connaissances évoluent si vite que je pense qu’il est plus important d’apprendre à trouver les choses sur Internet et apprendre par soi-même ; apprendre par cœur n’a pas d’intérêt, il vaut mieux jeter un œil rapide et trouver des experts spécialisés, tu n’as pas besoin de faire tout toi-même, tu peux outsourcer, même les enfants font ça !

Apprendre à tous les âges

Tous ces *spaces sont en quelque sorte des universités du temps libre du 21e siècle. Si la moyenne d’âge est assez jeune, -environ 30 ans-, c’est bien des adultes qui les fréquentent surtout, pour compléter leurs savoirs ou les élargir. Pour James Carlson, si « les hacker et les makerspaces sont les écoles du futur », c’est justement en raison de leur aspect intergénérationnel, entre autres : « des gens de tous âges s’instruisant ensemble sur des sujets qui les passionnent, et partageant leurs expériences et leurs erreurs. »

Et plutôt que d’attendre que les gens viennent au savoir, c’est le savoir qui vient à eux, en mode agile et sans se soucier des classes sociales : « Les hackbus (hacklabs mobiles, ou hack véhicules) sont une porte d’entrée facile pour apporter la culture du hacking aux gens », explique Johannes, de la plateforme hackbus.info [en], qui entend fédérer les initiatives du genre. « Ce sont des unités mobiles d’apprentissage et d’enseignement, qui apportent la culture du hack au peuple qui, sinon, ne serait peut-être pas conscient des possibilités mises à leur disposition. Prenons du bon temps ! Et allons dans les villages ! C’est important ! »

Nous reprenons une tradition ancienne : apporter l’autonomisation (self-empowerment, ndlr) aux gens via une approche nomade. Ces unités pourraient et devraient être partout.

Un hackbus au festival Mozilla Drumbeat, l'automne dernier à Barcelone.

Alors qu’est-ce qu’on attend ?

Tous ces principes qui vont globalement à l’encontre du système éducatif de nombreux pays occidentaux. Toutefois certains établissements affiliés aux circuits traditionnels s’en inspirent. L’un d’eux n’est pas le moindre ni le plus récent, puisqu’il s’agit du célèbre MIT, considérée comme la meilleure université occidentale en sciences et en technologies.

William Barton Rogers, qui l’a fondé en 1861, avait souhaité valoriser autant « l’enseignement des sciences et l’ingénierie que les activités concrètes, et la pratique autant que la théorie ». Plus loin, le résumé s’envole : « en fondant son nouvel Institut sur l’interaction vibrante de l’exploration et de la créativité, Rogers a donné au monde un modèle incontestable de “machine à innover”. » Une créativité que les étudiants sont invités à exprimer entre autres à travers les « student hacks » [en], des blagues visant à montrer l’intelligence et l’inventivité de leur auteur, une pratique élevée au rang d’institution.

Parmi les mille inventions nées au MIT, les FabLab (pour Fabrication Laboratory) : le concept est né grâce au physicien Neil Gershenfeld, qui avait un cours pratique de prototypage intitulé « How to make (almost) anything » (Comment fabriquer (presque) n’importe quoi). Depuis, le concept a essaimé dans le monde entier, à tel point que certains se demandent si, aux côtés des boulangeries, on ne trouvera pas d’ici quelques années des fablabs de quartier.

Toutefois, le MIT se veut au service de son pays, ce qui va à l’encontre de l’idée de partage universel avec un réseau transfrontière de communautés prônée par les hackers : « Bref, une fois de plus nous pouvons produire et produirons le genre de nouvelles idées dont notre nation a besoin. »

Sans aller si loin, ni si prestigieux, le lycée autogéré de Paris s’inscrit aussi dans cette veine pédagogique. Mais elle reste une expérimentation rare et menacée par les baisses de budget.

Passion et subversion

Alors qu’attend-on pour généraliser ces idées ? Déjà parce qu’elles ne prennent sens qu’autour d’une notion-clé chez les hackers, la passion, incompatible avec la mission de l’Éducation nationale : faire acquérir des connaissances et des compétences qui vont du fonctionnement de l’appareil reproductif aux guerres napoléoniennes en passant par l’expression écrite et le Power Point.

Et surtout, ils laissent germer dans les esprits des graines subversives. Un papa geek expliquait ainsi dans un texte intitulé « Pourquoi je veux que ma fille soit un hacker » :

Les hackers évitent ce que j’appelle “le piège de la connaissance” – notre système éducatif consiste principalement à enseigner quoi penser, non pas comment penser. Ceci, de la maternelle au premier cycle.
Les hackers se concentrent sur les compétences plutôt que sur les connaissances, les gens ayant les compétences sont ceux qui survivent. Plus encore, c’est leur attitude qui rend les hackers efficaces. Les connaissances sont moins importantes car ils ont les compétences pour acquérir celle requise lorsque cela devient nécessaire. De plus, leur attitude indépendante les rend résistants au recours à l’autorité.

On commence par hacker ses LEGO, on finit par hacker la société.

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http://owni.fr/2011/08/26/hackons-lecole/feed/ 50
Établissements de réinsertion scolaire: silence dans les rangs http://owni.fr/2011/07/20/etablissements-de-reinsertion-scolaire-silence-dans-les-rangs/ http://owni.fr/2011/07/20/etablissements-de-reinsertion-scolaire-silence-dans-les-rangs/#comments Wed, 20 Jul 2011 13:00:41 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=71971

Décidément, les ERS (établissements de réinsertion scolaire) sont un sujet sensible. En novembre dernier, Rue89 titrait « Chut ! L’Education nationale ne communique pas sur les ERS ». Contacté par OWNI afin de faire un bilan chiffré précis, le ministère de l’Éducation nationale, en la personne d’une attachée de presse revêche mal réveillée, nous a répondu :

Apparemment, vous n’allez pas sur le site du ministère. Il y a une page avec toutes les informations, mise à jour en mars.

Opendata, qu’ils disaient. En guise de bilan, le ministère fournit à ce jour simplement la liste des établissements et un résumé de la circulaire. En se fendant au passage d’un petit mensonge : « La consultation et l’accord de l’élève et de sa famille sont nécessaires. » Ce qui contredit la circulaire encadrant le fonctionnement des ERS : l’accord est certes « nécessaire », mais s’il « ne peut être obtenu, une saisine du procureur peut être engagée par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale » pour décider du placement.

EducScol, le site du ministère pour les professionnels de l’éducation, n’est guère plus généreux :

La création d’une vingtaine d’ERS est demandée pour l’année scolaire 2010-2011. Les ERS accueillent pendant un an au moins un effectif global de 15 à 30 élèves, âgés de 13 à 16 ans, issus des classes de 5e, 4e et 3e.

Faire le bilan de cette première année d’expérimentation de classe pour élèves difficiles avec des informations parcellaires de mi-parcours, même Gérard Majax ne saurait résoudre ce tour de passe-passe. Et de nous renvoyer aux académies concernées.

Incidents à répétition

Les ERS, c’est l’histoire d’une expérimentation montée à la va-vite, sans concertation, dans la foulée des Etats généraux sur la violence à l’école de 2010. La circulaire a été publiée au JO au milieu de l’été, c’est dire… Le projet suscite d’emblée des critiques de la part du milieu éducatif. Au programme, des effectifs très réduits, un taux d’encadrement élevé, l’internat et un programme mixant cours le matin et activités diverses l’après-midi dont une bonne dose de sport. Le coût du programme, 15.000 euros par élève soit deux fois plus qu’un élève dans un cursus classique, et autant qu’un élève de classe préparatoire aux grandes écoles, fait aussi frémir, dans un contexte de réduction budgétaire : c’est déshabiller Paul pour habiller Pierre, reprochent certains en substance.

Le premier établissement ouvre dans le département des Alpes-Maritimes, présidé par un partisan de la droite sécuritaire, le député UMP Eric Ciotti. Dix autres suivront, et dans un certain nombre d’entre eux, on est loin des Jolies colonies de vacances.

Ainsi, des élèves de Seine-Saint-Denis sont envoyés à Craon dans la Mayenne. Croisant « à la suite d’une erreur d’organisation » des collégiens en route pour la cantine, raconte Le Parisien, ils sortent les poings. Ils seront exclus… Les professeurs demanderont même la fermeture de l’ERS. À Portbail, dans la Manche, une expérience similaire tourne aussi court. L’ensemble des huit pensionnaires, aussi venus du 93, sont exclus après avoir semé la pagaille dans le village. À Nanterre, les professeurs se mettent en grève pour protester contre la mise en place de l’ERS.

En novembre, Luc Chatel fait le point. S’il concède que le dispositif est perfectible, annonçant trois pistes d’amélioration, le dispositif en lui-même n’est pas remis en cause. La liste des établissements est fournie, chose naguère refusée, ainsi que les effectifs, avec un prévisionnel le cas échéant. Curieusement, le site de l’Education nationale n’affiche à l’heure actuelle que la liste des établissements, et non les effectifs…

Et au dernier rapport d’étape, en mars, donc, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, reportage à l’appui :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Puisqu’il n’est pas possible d’obtenir un bilan au terme de cette première année, OWNI s’en est chargé. Où l’on retient surtout que la communication reste aléatoire, en fonction de la réussite apparente de chaque établissement. Apparente, car, comme le rappelait Emmanuel Davidenkoff, il est prématuré de juger la réussite d’un projet de réinsertion scolaire à si court terme, qui arrive après d’autres dispositifs de ce type (classe-relais, SEGPA, etc) :

Réinsérer socialement oui, scolairement, c’est très rare. Toutes les études montrent que le retour dans le circuit scolaire reste l’exception.

Communication minimale

Dans un certain nombre d’ERS, nous n’avons pas eu de retour de l’inspection d’académie, et il a fallu faire avec les articles parus dans la presse locale le plus souvent pour se faire une idée, le cas échéant :

  • du collège Haute-Bruche à Schirmeck : pas de réponse aux sollicitations
  • du collège Paul Fort, rattaché au collège Pierre et Marie Curie à Dreux, où l’on a essuyé un « refus de communiquer à la presse ».
  • de l’internat scolaire Mauchamp à Verney : pas de réponse aux sollicitations.
  • des établissements rattachées à la Seine-Saint-Denis, collège Fenelon à Vaujours et ERS externalisés dans la Mayenne et la Manche, collège Volney à Craon (Mayenne) et centre PEP Elie Monboisse à Port-Bail (Manche) : pas de réponse aux sollicitations.

Concernant ce dernier, on apprend sur maville.com qu’il a été réouvert en décembre avec un taux d’encadrement renforcé et des effectifs réduits : « aujourd’hui l’effectif n’est plus que de 3 élèves, l’un des jeunes ayant été renvoyé, et le nombre d’adultes est passé à 11 : “2 enseignants, 4 assistants d’éducation, 3 volontaires service civique, 1 coordonnateur et le directeur”. » Et l’objectif était de « mettr[e] un élève supplémentaire chaque mois », « et en tout état de cause le nombre d’élèves “ne dépassera pas dix”. » Silence sur le coût de l’opération.

Sur les huit pensionnaires du collège Jean Monnet de Bagnères-de-Luchon, ouvert début novembre 2010, « deux d’entre eux sont aussitôt repartis. Le premier a été exclu pour avoir « perturbé » le groupe. Le second a demandé à quitter la structure », rapportait Rue89. « Ouvert comme 11 autres établissements de ce type en France après les vacances de la Toussaint de cette rentrée scolaire, l’établissement de réinsertion scolaire (ESR) de Luchon a eu un peu de mal à démarrer. Mais aujourd’hui, il fait référence », indiquait La Dépêche du Midi, sans donner davantage de détails.

Paradoxalement, quelques mois après ce commentaire laudatif du journal local, l’inspection d’académie nous a répondu ainsi :

L’académie de Toulouse a expérimenté le dispositif des établissements de réinsertion scolaire. Après quelques mois de fonctionnement (ouverture de l’établissement en cours d’année scolaire), il nous semble prématuré de tirer des conclusions. Chaque élève étant unique les équipes sont désormais tournées vers la rentrée scolaire 2011-2012 et la mise en place d’une pédagogie au service de la réussite et de la réinsertion des élèves de l’académie qui intègreront le collège. Nous ne souhaitons pas donner d’autre suite à votre demande.

Après la grève initiale, l’ERS du collège Jean Perrin de Nanterre a de nouveau un peu fait parler de lui dans la presse en mai. En cause, un stage militaire qui a tourné au fiasco. Un document de l’académie annonce que « tous les déplacements se feront au pas cadencé » (sic). Dans les faits, rapporte Le Parisien, « cette semaine placée sous le signe de l’autorité s’est finalement révélée très tendue. Au point que la hiérarchie militaire a décidé de ne pas la médiatiser plus que cela. Peu désireuse que cette opération soit considérée comme un fiasco, la Grande Muette s’est montrée peu loquace. Selon nos informations, le stage a été marqué par des altercations à répétition et une hostilité ouverte à l’égard des encadrants militaires. [...] Pas forcément formés à une pédagogie de pointe, les militaires se trouvaient donc limités dans leurs moyens de coercition. Impossible de leur imposer les traditionnelles séries de pompes en cas de manquement à l’autorité. “L’Éducation nationale a sans doute compté sur nous pour les mater…” résume un militaire avec amertume. Raté !»

Nous n’avons pas eu de retour de l’inspection d’académie. L’Humanité a eu plus de chance apparemment. Son état des lieux est éloquent : « Stage militaire qui vire au fiasco, absentéisme, mise à l’index des élèves décrocheurs… [...] Marianne Auxenfans, responsable du Snes-FSU des Hauts-de-Seine [...] regrette aussi que l’ERS ait achevé son année scolaire sans être doté d’une véritable équipe pédagogique. [...] Neuf mois après son ouverture, aucun projet pédagogique n’a été présenté au conseil d’administration du collège », etc.

Quant aux résultats qu’on nous a fournis, sous couvert d’anonymat, ils sont très mauvais : « Il y a eu une montée en puissance, avec quinze élèves inscrits cette année au final, mais quatre ne sont jamais venus. Sur les onze restants, cinq ou six étaient absents de façon perlée chaque jour. Concernant les résultats à l’examen, le brevet D.P.6, trois sont venus à une épreuve sur les trois qu’il compte, deux ont assisté à deux épreuves. De toute façon, il n’y a pas eu de contrôle continu. Il me semble qu’un élève redoublera dans une troisième générale, sinon, ils seront orientés en CFA. » Le dispositif devrait être reconduit.

Bilan a priori présentable

Le collège Jean-Baptiste Rusca à Saint-Dalmas-de-Tende s’est montré disert dans la presse locale, fort de son bilan a priori présentable. Nice-Matin détaille ainsi qu’«en grande difficulté à leur arrivée, 13 des 19 élèves ayant fréquenté l’ERS de Saint-Dalmas-de-Tende vont retrouver une scolarité “ordinaire”. [...] Le dispositif sera reconduit l’an prochain à l’identique. Il y a eu, bien sûr, des échecs. Des jeunes ont quitté très vite l’ERS pour ne pas avoir pu s’adapter aux conditions de l’internat. Ils ont depuis été réorientés vers d’autres filières. En tout cas, pas de quoi remettre en cause cette expérience. » On n’en saura pas pas plus sur le nombre de jeunes qui ont quitté l’établissement.

Contacté, l’inspection d’académie nous a transmis le numéro de téléphone de la proviseure de l’établissement… qui nous a envoyé baladé :

C’est au rectorat de donner l’autorisation de communiquer.

Bonne surprise en Lozère : nous avons eu un retour rapide et poli de l’inspecteur d’académie, M. François Lacan. Il dresse un bilan positif de cette première année. « Nous n’avons pas été pris de cours car nous avons déjà cette culture. Nous sommes un petit collège de campagne habitué à recevoir des élèves en difficulté issus de milieu urbain. » (( lire Témoignages et présentation de projets éducatifs )) Sur les 20 élèves, la majorité préfèrent rester dans cet environnement l’année prochaine. Le dispositif sera reconduit à la rentrée prochaine, avec 15 élèves au lieu de 12 cette année (on se demande d’où vient le chiffre de 20 annoncé en novembre).

Pas de réponse non plus dans le Val d’Oise. Le bilan semble bon si l’on s’en tient à cet article paru dans La Vie :

« le lycée Saint-Jean est placé sous tutelle des Apprentis d’Auteuil, une fondation spécialisée dans l’accueil d’élèves en difficulté. Surtout, le directeur a imposé deux conditions qui ne figuraient pas dans le cahier des charges du ministère : que les jeunes soient volontaires pour suivre ce programme, “afin d’accompagner au mieux leurs besoins et leurs projets”, et qu’ils partagent les mêmes lieux de vie que les autres lycéens, “cantine et internat compris”.

À Craon, au contraire, tout était fait pour que jeunes de l’ERS et collégiens ne se croisent pas : l’internat et les salles de classe de l’ERS étaient aménagés à l’étage d’un bâtiment, les jeunes n’en sortant que pour les repas, à des horaires décalés. “Le jour de leur arrivée, on les a fait passer par la porte de derrière, raconte Maryline Buggin. Il est évident qu’ils se sont sentis stigmatisés, exclus.” »

Tiens, tiens, la clé de la réussite serait-elle d’avoir un projet réfléchi, au sein de structures spécialisées, soit le contraire de ce qu’a fait le ministère ?

Image CC Fickr PaternitéPas d'utilisation commerciale Shattered Infinity et PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Stephen Poff

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http://owni.fr/2011/07/20/etablissements-de-reinsertion-scolaire-silence-dans-les-rangs/feed/ 37
La fabrique de citoyens – Fraternité http://owni.fr/2011/04/13/la-fabrique-de-citoyens-fraternite/ http://owni.fr/2011/04/13/la-fabrique-de-citoyens-fraternite/#comments Wed, 13 Apr 2011 06:30:50 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=52082

L’idée de fraternité renvoie à deux notions centrales : celle d’entraide, et celle d’absence de préjugés par rapport à l’autre – quel que soit son sexe, son âge, ou son origine socio-économique, ethnique ou religieuse. Or on le sait trop bien : ce n’est pas en mettant les individus d’horizons différents dans un même espace que l’on aboutit à la fraternité –cette recette peut aussi bien aboutir au racisme et à l’ostracisme. Selon Jeremy Rifkin [pdf, en], l’éducation joue un rôle crucial à ce niveau : notre système scolaire reste basé sur un modèle dépassé qui remonte au siècle des Lumières, dit-il : «  La classe est un microcosme du système industriel, des forces du marché et du mode de gouvernance propre à l’État-nation. On enseigne aux élèves à penser que « savoir = pouvoir » et à considérer l’apprentissage comme un bien que l’on acquiert pour servir son propre intérêt matériel. Le processus éducatif met l’accent sur l’apprentissage autonome – le partage des connaissances est considéré comme une forme de tricherie. »

Vrai : l’année dernière, un groupe d’étudiants en communication à l’Université d’Avignon  créent, pour s’entraider, un groupe  Facebook où ils discutent et échangent leurs notes de cours, les enrichissant de leurs lectures respectives. Ce n’est pas du goût du directeur de l’IUFR, qui décide de les sanctionner, taxant la situation de « consternante ».
Consternante, pourquoi ? Certains argueront que, l’évaluation étant une mesure de la capacité individuelle, celle-ci serait faussée par un travail fait en collaboration.
Soit, alors reportons la question : pourquoi l’évaluation scolaire ou universitaire est-elle typiquement une mesure de la capacité individuelle autonome ? N’a-t-on pas plus besoin d’individus qui donnent leur pleine mesure en groupe ?

De la collaboration à la coopération

Certes, l’idée de collaboration fait son chemin à l’école. Je l’observe par le biais de mes propres enfants, qui me racontent leur travail collaboratif en classe, et qui reviennent en outre deux à trois fois l’an, avec la nouvelle qu’ils ont « un projet autonome à faire en groupe » : créer une affiche, faire un exposé, réaliser une expérience,… Ce sont généralement les enseignants qui décident de la composition des groupes – assurant ainsi, j’imagine, leur hétérogénéité formative.
La date échéance avançant, les grincements de dents commencent : rendez-vous ratés entre les membres de groupe, mécontentement parce qu’untel n’a pas fait « sa partie » et que tous vont être pénalisés par son comportement irresponsable.
Tout ceci serait sans doute profitable s’il y avait retour sur l’expérience, « débriefing » du groupe médiatisé par l’enseignant. Mais, peut-être faute de temps, ce débriefing n’a pas lieu. C’est dommage : le travail de groupe, s’il n’est pas négocié avec l’aide de l’enseignant, conduit plus souvent à la frustration et à l’agressivité qu’à l’harmonie.
D’autre part, les projets de groupe à l’école sont quasi-exclusivement du « faire ensemble », pas du « apprendre ensemble ».  La différence est énorme : « faire ensemble » est plus ou moins ce que font des ouvriers sur une chaine de montage. Leur travail est morcelé en unités autonomes, et le bon fonctionnement du tout est basé sur la capacité de chacun à faire correctement son travail personnel.

Apprendre ensemble est une tout autre paire de manches : elle met en branle des mécanismes de coopération qui vont bien au-delà de la collaboration superficielle du « faire ensemble ». Ainsi l’illustre cette expérience d’ Elliot Aronson, un psychologue de l’éducation : dans les années 70, alors que la déségrégation des écoles américaines provoquait un climat de tension raciale dans les classes, Aronson imagina une méthode d’enseignement qu’il appela « jigsaw classroom »classe-puzzle dans le but avoué de favoriser l’intégration multiculturelle : l’idée est que chaque élève détient une partie exclusive de l’information sur laquelle l’ensemble de la classe sera notée plus tard.

Chacun doit donc communiquer aux autres son morceau d’information, devenant tour à tour « enseignant » des autres. Cette méthode donna des résultats stupéfiants : Aronson relate le cas du petit Carlos, récemment arrivé aux États-Unis, et dont l’incapacité à bien s’exprimer en anglais l’avait fait la risée de la classe. Lorsque, dans le contexte de la « classe puzzle », Carlos dut enseigner son morceau d’information aux autres, les quolibets ont, comme d’habitude, commencé à pleuvoir. Il a alors suffi à l’expérimentateur de dire :  « Vous pouvez vous moquer de lui, mais ça ne va pas vous aider à en savoir plus sur le sujet que Carlos a à vous enseigner. Et le test est dans une heure… »

Et Carlos, le petit immigré, fut intégré…

Après seulement quelques jours de ce régime, les enfants changèrent radicalement leur attitude envers Carlos : ils apprirent à lui poser des questions simples qu’il pouvait comprendre, se rendirent compte qu’il n’était pas « bête » ; Carlos prit de l’assurance, et commença enfin à aimer l’école, et à s’y intégrer.
La méthode de la classe-puzzle montre d’une façon saisissante que  la simple mise en place d’une logistique différente peut aboutir, quasi « mécaniquement »,  à la mise en place d’une dynamique coopérative. Et l’on ne parle pas ici d’une logistique qui demanderait à être implémentée à tout moment : la méthode reste efficace même si elle est employée seulement 20 % du temps que l’enfant passe en classe.
Efficace comment ? « Deux petites semaines d’”activités-puzzle” réussirent à réduire les écarts de performances entre anglophones et minorités de 17 % à 10 %. » (Aronson, traduction de l’auteur). Et pour ceux qui se poseraient la question : les meilleurs élèves bénéficièrent autant de la méthode que les élèves les moins bons.

Le mécanisme psychologique au centre de ce changement en matière de performance est l’empathie : comme le dit Aronson, se référant aux travaux de Bridgeman (1977 :  « (…) des individus travaillant ensemble de manière interdépendante développement leur capacité à prendre la perspective de l’autre. »

L’empathie est une qualité innée, intrinsèque à l’humain : les Hommes naissent empathiques [vidéo]. Mais force est de constater qu’ils ne le restent pas forcément.

De plus,  comme le dit Roy Sorensen de l’Université de New York, « stepping into the other guy’s shoes works best when you resemble him. » (« se mettre dans les chaussures de quelqu’un d’autre marche le mieux si vous lui ressemblez. »)

Cette citation pousse à une remarque : le mot « fraternité » porte en lui un petit paradoxe ; est-il le sentiment qui nous lie à ceux, et seulement ceux, qui nous ressemblent – renouant ainsi avec la tradition révolutionnaire qui n’étendit pas cette notion à la sororité - ? Ou alors, est-il possible d’envisager la fraternité comme la volonté d’appréhender l’autre dans sa diversité, sans la stigmatiser, mais sans non plus passer ces différences sous silence : l’indifférence aux différences n’est pas la fraternité. C’est de l’indifférence.

Envisager la fraternité comme une curiosité bienveillante à la différence est un art difficile : comment peut-on être fraternel envers celle ou celui que l’on ne comprend pas, ou pire : qu’on interprète mal ?
C’est le défi auquel fait face l’école française avec l’hétérogénéité culturelle croissante de sa population.

De la multiculturalité à l’interculturalité

Un récent rapport du Haut conseil à l’intégration, Les défis de l’intégration à l’école [pdf], questionne l’adéquation de certaines structures scolaires françaises destinées à l’origine à faciliter l’intégration des élèves nouveaux arrivants ou d’origine étrangère. Les rapport met ainsi en question, notamment,  l’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) : ce dispositif donne aux élèves la possibilité de suivre des cours d’histoire-géographie sur leur pays d’origine et de grammaire dans leur langue maternelle.


Dispensé en dehors du temps scolaire, cet enseignement est assuré par « un ressortissant du pays d’origine. En détachement administratif auprès de l’académie, placé sous l’autorité de l’inspecteur d’académie, il est cependant rémunéré par son ambassade, qui lui assure une formation ».
Les auteurs du rapport notent : « En six ans, les effectifs de l’ELCO algérienne ont pratiquement doublé alors qu’ils se stabilisent voire diminuent pour l’ELCO tunisienne. Faut-il s’autoriser à mettre ce constat en relation avec ce qui est observé localement dans le département des Bouches-du-Rhône : une intégration recherchée et quasiment réalisée par la population d’origine tunisienne alors que les jeunes de la troisième génération issus de familles algériennes se revendiquent de plus en plus d’une nation algérienne idéalisée ? L’inspection académique des Bouches-du-Rhône voit dans cet accroissement de la demande pour les ELCO algérienne et turque une volonté identitaire des communautés. » Ceci rejoint ce que CAMILLERI (1994) nomme les identités polémiques, c’est-à-dire « la sur-affirmation plus ou moins agressive d’une identité qui se construit/reconstruit contre l’autre ».

De plus, les auteurs du rapport s’interrogent sur la stigmatisation des cultures couvertes par l’ELCO, dont les langues sont mises en marge du temps scolaire, plutôt qu’intégrées dans l’enseignement des langues vivantes ; la recommandation des auteurs est donc de « mettre un terme aux ELCO dans leur forme actuelle et proposer l’apprentissage au collège comme au lycée des langues d’origine comme langue vivante étrangère. » Parallèlement la mise en place « d’un enseignement d’histoire des civilisations, incluant les références aux faits religieux, assuré par les enseignants de la République, doit permettre en outre d’apporter aux jeunes issus de l’immigration, les outils nécessaires à la connaissance de leur culture dans ses aspects contemporains et dans son universalité. »

S’il semble effectivement important de donner aux élèves des repères historiques, on peut cependant s’interroger sur la pertinence de le faire selon un cursus prédéfini et uniforme, à la « nos ancêtres les Gaulois » : ne serait-il pas plus bénéfique de le situer par rapport à une quête personnelle plus profonde, dans laquelle on amènerait le jeune à documenter, et à réfléchir sur le parcours de sa propre famille dans le but de l’amener à se forger une identité culturelle propre -l’« interculturalité » dont parlent Raynal et Ferguson ?

Imaginons ainsi un cours d’histoire « différencié », qui permettrait à un jeune de découvrir l’Histoire par l’histoire de sa propre famille. Il y retracerait le périple de ses parents, de ses grands-parents -en remontant encore plus loin au besoin ; il y rechercherait, au travers de l’histoire du pays d’origine et du pays d’accueil,  les circonstances économiques, politiques, sociales qui ont motivé l’immigration familiale: pourquoi a-t-on décidé de quitter le pays ? Comment le pays d’accueil a-t-il été choisi ? Pourquoi y est-on resté ? Qu’est-ce que l’immigration a apporté à la famille ? Qu’a-t-elle retiré ?
Un tel «  programme»  donnerait au jeune un espace où donner sens à sa trajectoire personnelle, le pousserait ultimement à prendre conscience des valeurs respectives des pays à laquelle son histoire est mêlée, et à se positionner consciemment par rapport à elles.


Un défi autant pour les autochtones que pour les immigrants

Il serait léger de considérer l’interculturalité comme le défi unilatéral des nouveaux arrivants : l’interculturalité est un défi autant pour les autochtones que pour les immigrants :
Dans les classes très « hétérogènes », les enseignants sont confrontés à des représentations du monde et à des comportements qu’ils ne comprennent pas. Il est important de percevoir que cette remise en question ne se joue pas seulement sur le terrain des idées : c’est dans ses interactions quotidiennes que l’enseignant entre en dissonance avec des réalités et des rythmes inconnus, susceptibles de disqualifier ses propres repères. (Crutzen D., Orban M., Sensi D., 2001)

Que faire, par exemple, si, enseignante, vous vous trouvez face à un jeune qui vous méprise parce que vous êtes une femme, donc impure,  et que de ce fait, il ne vous reconnaît ni intelligence, ni autorité ?

Des recherches comme celle, incroyablement riche, de la Cellule d’éducation interculturelle de l’université de Liège nous aide à prendre conscience de tels enjeux :

Cette réalité complexe demande à être intégrée dans la formation des professionnels de l’éducation : il s’agit d’acquérir suffisamment de sécurité intérieure pour entendre la différence de l’autre sans la stigmatiser ou la réduire, sans perdre non plus ses propres repères identitaires. Cela implique d’amener à la conscience une multitude de non-dits fondateurs de l’identité culturelle et psychique : à défaut, les non-dits dominants s’imposent aux dominés, sans autre forme de procès, c’est-à-dire sans qu’aucun sens ne puisse y être construit ou négocié. C’est une violence symbolique que subissent les minorités sociales et ethniques, mais aussi une violence que vivent quotidiennement des enseignants minorisés dans un contexte coalisé contre eux (ou le système qu’ils représentent) : ils peuvent s’y retrouver mis en échec, stigmatisés, voire niés en tant que personnes. Et quiconque subit sans la comprendre cette violence insidieuse est amené à développer des défenses identitaires, par exemple le rejet – plus ou moins violent – de l’autre, ou le repli – plus ou moins « intégriste » et victimaire – sur des valeurs et des attitudes rigides.
Pour construire une fraternité multiethnique, il s’agit de « transformer la multiculturalité en intraculturalité, et le communautarisme en intégration » (Raynal et Ferguson).

L’interculturalité n’est pas simplement une question d’ouverture d’esprit à l’altérité : l’autre, que l’on soit immigrant ou autochtone, remet en cause votre vision du monde et vos valeurs ; cette remise en cause est ressentie par chaque parti comme une très réelle violence symbolique.
Une école qui se veut intégratrice doit réfléchir à, et développer une pédagogie de la diversité visant à la fois les élèves, qu’ils soient immigrants ou autochtones, et les enseignants dans leur formation initiale et continue.
Dans le contexte scolaire actuel, exposer et mettre en œuvre les valeurs défendues par le pays d’accueil n’est certainement pas suffisant à les inculquer. Il faut, au-delà, prendre en compte les valeurs de ceux à qui l’on s’adresse pour guider et aider un changement profond.
Un changement dont le point d’équilibre ne sera pas forcément exactement les valeurs du pays d’accueil ; mais au moins, ce changement n’aboutira pas à la construction identitaire « contre l’autre » du communautarisme.
Au baromètre des récentes polémiques autour des « statistiques de la diversité », un questionnement [pdf, en] semble se créer, en France, autour de l’idée d’ « égalité par l’invisibilité » (l’expression est du démographe Patrick Simon).

Peut-il y avoir connaissance sans reconnaissance ?

A l’école comme ailleurs, c’est la prise en compte de l’altérité –pas sa négation- qui aboutira à la fraternité interculturelle, celle qui « a pour résultat de diminuer les inégalités tout en préservant ce qui est précieux dans la différence » (Albert Jacquard ).

Image Flickr AttributionNoncommercialNo Derivative WorksJeff Bauche._.·´¯) PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification [ d i e g o ]

Retrouvez le premier et le deuxième volet de cette réflexion.

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La fabrique de citoyens-Égalité http://owni.fr/2011/04/12/la-fabrique-de-citoyens-egalite/ http://owni.fr/2011/04/12/la-fabrique-de-citoyens-egalite/#comments Tue, 12 Apr 2011 06:28:40 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=51161

Il serait faux de croire que les inégalités sociales de réussite scolaire ne se forgent que dans les milieux familiaux, l’école se contentant d’entériner des différences qui se creuseraient indépendamment d’elle.

La remarque est de Pascal Bressoux, directeur du Laboratoire des Sciences de l’Education de l’Université Pierre Mendès France à Grenoble. Comment l’école creuse-t-elle les inégalités sociales de départ ? Bressoux repère l’effet de l’école à différents niveaux : celui de l’établissement, celui de la classe et celui du maître.

L’effet-établissement

Sans être considérable (il explique environ 4 % de la variance des acquis des élèves), l’effet-établissement existe ; là où il agit le plus fortement est sur l’orientation scolaire des élèves -mais pas n’importe lesquels : les élèves moyens à faibles. « Dans ce cas, on relève de fortes disparités entre les collèges ; certains opèrent une sélection sévère, tandis que d’autres sont beaucoup plus indulgents. »
Cette politique de sévérité ou d’indulgence dépend de la philosophie défendue par l’école : cherche-t-elle à être équitable, en visant à réduire les écarts initiaux de ses élèves ?  Cherche-t-elle à être efficace, en tentant d’élever le niveau moyen des apprenants ?
Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l’expression « nivellement par le bas », équité et efficacité ne sont pas les deux extrêmes d’un même continuum, mais plutôt deux dimensions sur lesquelles chaque école se positionne.
Une question vient à l’esprit : dans ce contexte, pourrait-on voir un intérêt aux groupes de niveaux ? Il réduiraient – certes artificiellement – les écarts initiaux, et laisseraient se concentrer sur le relèvement du niveau général du groupe.
Les études pourtant sur les groupes de niveau n’ont pas révélé de bénéfices significatifs pour ce type de gestion de classe.

Effet-classe et effet-maître

L’effet-classe explique entre 10 et 18 % de la variance des acquis des élèves. C’est énorme. En comparaison, la catégorie socio-professionnelle des parents ou leur niveau de diplôme explique rarement plus de 15 % de la variance des acquis. Mais contrairement à l’origine sociale, l’effet-classe ne dure généralement qu’une année.

Quel est l’impact de l’enseignant sur l’effet-classe ? Il est important : des études montrent qu’un enseignant efficace le restera de manière stable dans le temps, et indépendamment de la classe à laquelle il enseigne. De plus, « de nombreuses études expérimentales ont montré que, lorsque l’on demande aux enseignants de modifier certaines de leurs pratiques d’enseignement, cela se traduit par des effets significatifs sur les acquis des élèves (Good et Grouws, 1979) ».
Cela confirme donc ce dont se doutaient les ex-élèves que nous sommes : le prof a de l’importance, et les pratiques d’enseignement aussi. C’est d’ailleurs pour cela que ces pratiques font l’objet de directives de la part du ministère de l’Éducation – directives qui tendront à favoriser l’efficacité.
Soit. Mais qu’en est-il de l’équité ?
Selon Stéphane Bonnéry, l’école semble être faite « sur mesure » pour des enfants d’un certain milieu familial (devinez lequel ?). Ce chercheur de Paris VII argue que les cours, tels qu’ils sont dispensés quotidiennement en France –tels que le ministère de l’Éducation nationale les demande- sont pensés pour une certaine catégorie d’élèves : les élèves « connivents », c’est-à-dire ceux qui comprennent ce qui n’est pas dit.

Il conte l’anecdote ordinaire suivante, à laquelle il a assisté : lors d’une leçon sur les mots masculins et féminins en –té –tié et –ée, une enseignante distribue une feuille sur laquelle il y a :
-    Une liste de mots en –té –tié et –ée
-    Un tableau (terminaisons x genre) avec la consigne : « Place tous les mots dans le tableau. »
-    Des règles de grammaire à compléter sur les mots finissant en –té –tié et –ée selon leur genre. La consigne est : « Complète les énoncés suivants. »

Ce processus, par ailleurs tout à fait en accord avec les directives éducatives du ministère (on fait bien manipuler l’élève), est critiqué violemment par Bonnéry : la manipulation, dit-il, devient le focus, alors que le processus de construction du savoir –qui est la raison première de la manipulation- est passé sous silence.

En effet, reprenons ce qui est donné à l’élève : on ne lui dit nulle part la teneur de ce qu’il cherche à découvrir –un peu comme si vous réalisiez une recette de cuisine rien qu’avec les instructions, mais sans savoir si vous êtes en train de concocter un plat principal ou un dessert.
Et de fait, l’élève qui réussit l’exercice est celle qui va d’abord en chercher le but : elle regarde les énoncés à trous et comprend qu’elle est en fait à la recherche d’une règle de grammaire. De par ces textes à trous, elle infère qu’elle doit faire attention à regrouper les mots selon leurs terminaisons particulières, et pas simplement en vrac dans les cases.
Or, les élèves capables d’expliciter ainsi les sauts cognitifs sont des élèves venant de milieux où les parents ont fait des études.
La conclusion de Bonnéry est que quand, à l’école, « on évalue ce qui n’est pas enseigné, on évalue les familles », c’est à dire qu’on ne peut faire que reproduire les inégalités sociales.

Pour créer un environnement pédagogiquement égalitaire, il ne s’agit donc pas d’ « en donner moins »  à l’élève en difficulté, et de le lui donner par bouchées minuscules et prémâchées. Faire cela, c’est un peu l’équivalent de parler plus fort et plus lentement à quelqu’un qui ne comprend rien à notre langue.
Pour faire de l’école un environnement pédagogiquement égalitaire, il s’agit de mettre sa langue à la portée de tous : en repérant où se situent les inégalités d’entrée des élèves de milieu socio-économique défavorisé, et en développant une méthodologie qui pallie leurs faiblesses tout en conservant le niveau des contenus enseignés (équité et efficacité, plutôt que « nivellement par le bas »).

DEMOZ enseigne la démonstration mathématique aux élèves de ZEP

Il existe des initiatives basées sur cette prémisse : ainsi, le projet DEMOZ, sous la responsabilité de Giles Aldon de l’INRP et Janine Reynaud de l’Académie de Lyon. DEMOZ s’attache à enseigner la démonstration mathématique aux élèves de ZEP. Difficile à comprendre pour tous, la démonstration mathématique présente un défi particulier pour ces élèves qui maîtrisent mal le langage, et pour qui « la culture mathématique (…) est plus un jeu de l’école qui s’éloigne des préoccupations des élèves ».
« Un des outils permettant de faire entrer les élèves dans ce jeu mathématique est le concept de “narrations de recherche” : l’équipe a étudié le rôle de la narration de recherche pour la mise en place dans les classes de ZEP de ces notions clefs du programme. »
Qu’est-ce qu’une narration de recherche ? C’est une histoire mathématique vécue : l’élève relate, avec ses mots, l’histoire de ses pérégrinations pour résoudre un problème mathématique. Mireille Sauter, de l’IREM de Montpelier, décrit ainsi le processus pédagogique :

Un nouveau contrat est passé avec l’enseignant : l’élève s’engage à raconter du mieux possible toutes les étapes de sa recherche, à décrire ses erreurs, comment lui sont venues de nouvelles idées ; en échange, l’enseignant s’engage à faire porter son évaluation sur ces points précis sans privilégier la solution.


Un exemple ?
« Un château de cartes à un étage est composé de deux cartes.
Un château de cartes à deux étages est composé de sept cartes.
Pour réaliser trois étages, il faut quinze cartes.
Combien faut-il de cartes pour réaliser un château de sept étages ?
Trente étages ? Cent étages ? »

En utilisant la narration de recherche, un élève répond : « Avec les 7 cartes, j’ai fait le schéma. J’ai compté combien il y avait de triangles, puis je l’ai multiplié par 3 car dans un triangle il y a trois côtés. Puis j’ai compté combien il y avait de cartes dans le premier étage et je l’ai additionné avec le résultat de ma multiplication. »

Cet élève a donc compté les cartes par groupe de trois, puis ajouté les cartes de la base. Pour faciliter le comptage et clarifier leur explication, certains ont l’idée de définir des objets (deux cartes = un couple ; trois cartes en pyramide = un trio).
D’autres encore tentent de trouver une relation entre le nombre d’étages et le nombre de cartes, l’exprimant parfois par une formule.

(Pour ceux que la curiosité taraude, la réponse mathématique au problème est ici .)

En lui permettant d’utiliser un « langage naturel » pour exprimer son investigation, la narration de recherche donne à l’élève la possibilité de se concentrer sur le fond : l’acquisition des règles du débat mathématique, qui diffèrent souvent du type de raisonnement de la vie courante (comme par exemple : « des exemples qui vérifient un énoncé ne suffisent pas à prouver qu’il est vrai. ») –et dont on a vu qu’elle présente un véritable enjeu pour les jeunes de ZEP.
Quant à l’enseignant, la narration de recherche est une incroyable fenêtre sur les procédures des élèves –et de là une réelle opportunité pour personnaliser et différencier son enseignement.

Malgré tous ces points positifs, les narrations de recherche sont peu utilisées dans les classes et très marginalement dans les zones d’éducation prioritaire.

La percolation de telles idées et expériences pédagogiques jusqu’au « large public enseignant » est un enjeu indéniable. Leur formation initiale, et peut-être plus encore leur formation continue devrait tendre à promouvoir ces initiatives qui permettent de rééquilibrer les inégalités de départ entre élèves.
La quête pour l’égalité des chances à l’école doit réviser l’idée de mérite : le modèle méritocratique repose sur l’idée que chacun ne devrait ses performances scolaires qu’à soi-même.  Ce modèle n’atteindra l’objectif d’égalité des chances que lorsque l’école mettra en œuvre, à grande échelle, des pédagogies visant activement à réduire les inégalités de départ. Pour reprendre Stéphane Bonnéry :

Le modèle d’élève vers lequel l’école devrait tendre, c’est « celui qui n’a que l’école pour apprendre l’école. »

Image Flickr AttributionNoncommercial Dr Case et Paternité dylancantwell

Retrouvez le premier et le troisième volet de cette réflexion.

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La fabrique de citoyens – Liberté http://owni.fr/2011/04/11/la-fabrique-de-citoyens-liberte/ http://owni.fr/2011/04/11/la-fabrique-de-citoyens-liberte/#comments Mon, 11 Apr 2011 06:20:59 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=47060

« Imaginez que l’on vous bande les yeux et qu’on vous expédie dans un tout autre point du monde. Pour les besoins de la démonstration, imaginons que rien, dans l’apparence ni le langage des gens, ne vous permette de deviner où vous pourriez être.
On vous emmène dans une classe ; on retire le bandeau de vos yeux, et vous observez le déroulement de la leçon.
À partir de cette observation, seriez-vous en mesure de deviner si vous vous trouvez dans un pays démocratique, ou dans un pays totalitaire ? »

Cette réflexion de Joel Westheimer [vidéo, en], professeur à l’Université d’Ottawa, est percutante : elle suggère avec impudeur que les expériences éducatives dans une nation totalitaire ne seraient pas notoirement différentes de celles que nos enfants vivent à l’école de quartier. Cela nous renvoie face-à-face avec une question centrale pour l’orientation à donner à l’éducation :
Quel genre de citoyens voulons-nous former avec nos écoles ?
… question qui doit être immédiatement complétée de son pendant :
Quel genre de citoyens formons-nous avec nos écoles ?
Comment les notions fondatrices de liberté, d’égalité et de fraternité se concrétisent-elles dans l’univers scolaire ?

Liberté

La liberté commence avec la pensée. Être libre, c’est être capable de penser par soi-même, mais également de penser autrement -les situations personnelles, sociales, culturelles ou globales.

Westheimer [pdf, en] a analysé le contenu de programmes scolaires visant à enseigner la citoyenneté démocratique. Il a trouvé que selon leur but, ces programmes se rangent globalement selon trois profils de citoyens qu’ils cherchent à promouvoir :

-    Le citoyen personnellement responsable : il agit de manière responsable envers sa communauté. Il travaille, paie ses impôts, obéit aux lois,  et à l’occasion fait des dons à la banque alimentaire de sa ville. Il pense que « pour régler les problèmes sociaux et améliorer la société, on doit être honnête, responsable, et obéir aux lois. »
-    Le citoyen actif pense que « pour régler les problèmes sociaux et améliorer la société, les citoyens se doivent de participer activement et occuper des positions de leader dans les systèmes établis et les structures communautaires. » Ce type de citoyen s’implique directement, par exemple en faisant du bénévolat à la banque alimentaire de sa ville.
-    Le citoyen activiste : selon lui, « pour régler les problèmes sociaux et améliorer la société, les citoyens doivent remettre en question et changer les systèmes et structures, si ces derniers ne font que reproduire l’injustice sociale ». C’est pour cette raison que dans sa réflexion l’activiste explorera par exemple pourquoi dans notre société certains ne mangent pas à leur faim -et il tentera d’agir pour résoudre les causes premières.
De ces trois modèles de citoyen, seul l’activiste « pense autrement ». Seul ce troisième niveau serait inconcevable dans une dictature (pour reprendre la remarque de Westheimer). Seul ce niveau différencie un pays démocratique d’un pays totalitaire.

La citoyenneté comme contenu d’apprentissage

Où l’école française se situe-t-elle dans ce modèle ? Quel(s) profil(s) promeut-elle ? Les Actes du séminaire national  La citoyenneté par l’éducation [pdf] s’attachent à décrire la façon dont la citoyenneté est enseignée concrètement dans les établissements scolaires ; voici un extrait de ce qu’on peut y lire :

« L’observation nous montre que souvent les principes d’obligation ou d’obéissance, de dépassement de soi, voire de frustration sont prioritairement mis en avant.

En fait, on est plus souvent là dans un apprentissage des structures et méthodes de la démocratie :
- Comment respecter la loi sinon en lui obéissant ?
- Comment développer l’esprit critique au contact de la réalité de la vie de l’établissement, de son contexte à l’aune de la confrontation de ses opinions et de celles des autres ?
- Comment élever à la compréhension de la loi en tant que règle de droit qui dit, interdit, régule et la loi comme obligation que l’on se donne ?

Si cette approche constitue un levier pour la réflexion de l’ensemble des acteurs de
l’établissement, elle est peut être beaucoup trop réductrice et porte en elle certains éléments de contradictions :

- très souvent proposée et animée par la vie scolaire, elle se limite à des propositions, des
échanges de vues qui sont considérés plus comme des espaces de consultation à l ’intérieur desquels la hiérarchie entre élèves, CPE et professeur est (à juste titre) maintenue et les pouvoirs de décisions réservés ;
- le ressenti des élèves, étant d’être quelque peu manipulés, alors qu’ils ont passé une très longue durée à travailler, à réfléchir sur des « actes de démocratie. »

Ce que cet extrait du séminaire montre, c’est que  l’école française a tendance à promouvoir une citoyenneté de « citoyen personnellement responsable » ; certaines initiatives visent parfois le niveau du « citoyen activiste », mais sans aller au bout de ses ambitions puisque les propositions des élèves ne débouchent généralement pas sur des actes.
Or, il y a possible incompatibilité entre ces deux modèles de citoyens, remarque Westheimer [pdf, en] :

« Le fait de se focaliser sur la loyauté et l’obéissance (…) gêne le type de réflexion critique et d’action que beaucoup considèrent comme essentiel dans une société démocratique. » (en, traduction de l’auteur)

Elèves manifestant leur soutien au mouvement 350.org, mobilisé contre le changement climatique.

L’école comme microcosme démocratique ?

J’avais parlé jusque-là spécifiquement de programmes scolaires repérés comme entrant dans le domaine « éducation civique ».  Mais l’extrait du séminaire nous fait mettre le doigt sur le fait que la structure même de l’univers scolaire –sa forme- ne représente pas un parfait microcosme démocratique : le fait que les propositions des élèves soient traitées comme un exercice sans retombées concrètes, la hiérarchie scolaire reprenant ses droits dans le processus de décision, paraît particulièrement anti-pédagogique lorsqu’on essaye d’inculquer que l’engagement activiste permet de faire avancer la démocratie pour le meilleur.

Le rôle des contenus d’apprentissage dans la « fabrication du citoyen »

Les contenus d’apprentissage constituent eux aussi des enjeux qui influent sur la « fabrication du citoyen » : ils privilégient certaines matières, et dans ces matières certaines approches, et certains acteurs.
Dans le remarquable ouvrage collectif  Les valeurs explicites et implicites dans la formation des enseignants, Serge Latouche, économiste français et père de la notion de décroissance économique, note que l’école participe à entretenir « l’orthodoxie économique » : les sciences économiques, telles qu’elles sont enseignées à l’heure actuelle, ne tentent pas de présenter aux élèves des modèles alternatifs à la croissance économique. Ni n’essaient de faire imaginer aux élèves des alternatives possibles au modèle dominant. Ni ne remettent en cause le lien implicite entre la croissance économique d’un pays et le bonheur de ses habitants.
Il existe, dans le choix des contenus, un consensus tacite que l’on ne pense pas toujours à questionner, ne serait-ce que pour s’assurer qu’ils sont toujours bien alignés avec les valeurs que notre société veut transmettre.

Ainsi, que penser, par exemple, de la place des femmes dans les manuels et programmes scolaires ?
Si dans nos cours de musique, nous avons certainement entendu parler de Malher, Mendelsshon ou Schuman, je doute qu’il s’agissait là d’Alma, de Fanny ou de Clara.

Sur la quatrième de couverture de l’ouvrage de Françoise et Claude Lelièvre L’histoire des femmes publiques contée aux enfants [pdf], on peut lire : « Alors que la France est parmi les premières nations de l’Union européenne pour le niveau scolaire des filles et pour le taux d’insertion professionnelle des femmes, elle est parmi les toutes dernières pour l’accès des femmes au pouvoir politique.
Étrange singularité. Françoise et Claude Lelièvre montrent, en analysant les manuels d’histoire de l’enseignement primaire en vigueur tout au long du XXe siècle, que les livres d’histoire de la communale ne sont pas pour rien dans cette curiosité.
Il faut attendre la génération des manuels de 1985 pour que l’on signale que les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, quarante ans après l’événement…(…)
Les femmes sont volontiers montrées dans des attitudes manifestement contraires à ce qui est attendu du pouvoir souverain : peureuses, pleureuses, implorantes, frivoles, facilement gagnées par les émotions ou les passions, excessives (…)
Il est plus que temps que ces stéréotypes disparaissent des manuels scolaires et des représentations dominantes si l’on veut éviter aux élections paritaires des lendemains qui déchantent. »

Vers une pédagogie citoyenne ?

Il est difficile de penser qu’on puisse développer un citoyen engagé en dissociant le fond de la forme. Ceci amène à se poser la question : quel genre de pédagogie est-elle la plus apte à transmettre les valeurs citoyennes ? Dès le premier coup d’œil, le  cours magistral ne frappe pas comme étant la meilleure « traduction pédagogique » de la démocratie.

« Certaines recherches se sont penchées sur les bénéfices cognitifs résultant directement d’interactions entre pairs. Elles ont permis de remarquer que ces interactions génèrent un processus appelé conflit socio-cognitif qui conduit l’apprenant à réorganiser ses conceptions antérieures et à intégrer de nouveaux éléments apportés par la situation.

Le conflit socio-cognitif résulte de la confrontation de représentations sur un sujet provenant de différents individus en interaction. Diverses études ont mis en avant que cette réorganisation des représentations pouvait provenir de deux types de déséquilibre : l’interindividuel, lorsqu’il y a opposition entre deux sujets ; l’intra-individuel, quant un sujet remet en question ses propres représentations. »

Christian Reynaud, de l’IUFM de Montpellier, développe plus avant la notion et parle de « débat » socio-cognitif : il identifie les conditions permettant aux apprenants de travailler ensemble, et d’apprendre de leur différences tout en les respectant. Le débat est étayé par trois règles :

« Chacun a de bonnes raisons de penser ce qu’il pense. » – impliquant que les opinions des autres sont cohérentes pour leur auteur.

« Ces arguments méritent d’être exposés à l’assistance. » – ce qui permet à la fois de donner une voix  à toutes les opinions, et en les exprimant, de les expliquer.

« Une personne ayant un avis différent est incité à reformulé au préalable les arguments auxquels il s’oppose, afin de vérifier qu’il les a bien compris. »

Un tel dispositif didactique, qui introduit directement dans son fonctionnement l’explicitation des valeurs, et les associe à un dialogue constructif respectueux, constitue un promoteur direct du développement de valeurs citoyennes ; « une citoyenneté moins basée sur le principe d’égalité que de tous que sur la reconnaissance d’un droit à la différence. »

De plus, ce type de débat s’accommoderait fort bien de contenus d’apprentissages du type de ce que suggère Serge Latouche : présenter le modèle économique dominant  en regard d’alternatives possibles constituerait les fondements d’un « débat socio-cognitif institutionnalisé » et permettrait, au-delà du débat d’idées,  d’imprimer fermement chez l’apprenant la notion qu’il n’existe pas de pensée unique.

Image Flickr AttributionNoncommercialShare Alike JaHoVil et 350.org

Retrouvez le deuxième et le troisième volet de cette réflexion.

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Des lacrymos contre les parents d’élèves http://owni.fr/2011/04/06/des-lacrymos-contre-les-parents-deleves/ http://owni.fr/2011/04/06/des-lacrymos-contre-les-parents-deleves/#comments Wed, 06 Apr 2011 14:09:15 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=55423 Ce devait être une manifestation bon enfant, bruyante, certes, mais sans volonté de nuire. Elle a fini avec du gaz lacrymo, utilisé pour repousser les manifestants, des parents d’élèves, des enseignants et des élèves du Doubs, mobilisés contre les fermetures d’écoles primaires prévues pour la rentrée dans leur département; 35 en tout.

Après l’occupation expresse de l’inspection d’académie lundi, les membres du collectif Écoles en danger 25 se sont retrouvés ce matin à Besançon, direction le rectorat. Ils étaient environ 500 à s’être donnés rendez-vous à 10 heures place de la Révolution, avec l’intention de faire un « boucan d’enfer », à grands coups de casseroles.

Arrivés devant le rectorat, le ton monte, comme le raconte le blogueur local Bison Teint, présent sur les lieux :

« Une fois sur place, vers 11 heures, ce petit monde poursuit son tintamarre en chantant « on lâche rien ! »… Un cordon de policiers défend l’accès au Rectorat.

Aux alentours de 11h30, certains tentent de s’approcher des portes du bâtiment et les policiers s’équipent de boucliers en plexiglas. Les familles avec enfants sont quelques mètres en arrière.
Quelques manifestants sont repoussés assez fermement par les policiers qui font usage de leurs matraques. L’un d’entre eux sort alors un pulvérisateur de gaz lacrymogène et arrose en direction des manifestants. Le jet touche directement les plus actifs qui se trouvent devant mais se répand également en direction des familles et des enfants qui se trouvent juste en arrière. »

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Du côté de la police, c’était un cas classique de légitime défense : « Il y a eu un mouvement de foule comprimant les policiers contre les portes du rectorat, explique le chef d’état major chargé de la communication à la direction départementale de la sécurité du Doubs. Du gaz lacrymogène a bien été utilisé pour les repousser, ils n’avaient pas le choix pour défendre l’édifice. Nous comptons quatre blessés légers, qui présentent des coupures au niveau des mains, provoquées par le heurt contre les portes, des griffures, des morsures. » Certains manifestants mettent en doute ces blessures. Recontacté, le chef d’état-major a simplement indiqué que des certificats médicaux avaient été établis.

« Certaines personnes poussaient devant en effet mais les repousser avec les boucliers me semblait suffisant. Le lacrymo, c’était abusé, vraiment. Surtout qu’il y en a eu une quantité démesurée, il ne s’agissait pas de ne toucher que les premières personnes qui poussaient. Là toutes les personnes présentes dans les 7 à 8 mètres autour pleuraient et toussaient », rétorque le blogueur Bison Teint.

« L’usage de la force par la police ne pouvait absolument pas être justifié »

La version de L’Est républicain va dans le sens de ce témoignage :

C’est alors que sous les ordres du commandant de police Mairet, une dizaine de policiers a distribué des coups de matraque pour récupérer cet espace, aspergeant les manifestants de gaz lacrymogène. Il n’en a pas fallu davantage pour qu’une échauffourée de plusieurs minutes s’en suive. Un face à face tendu a suivi pendant une demi-heure avant que les manifestants lèvent le camp.
L’usage de la force par la police ne pouvait absolument pas être justifié par une quelconque menace ou pression des manifestants sur le portail du rectorat. Tout était calme avant les coups de matraque dans les jambes, les bousculades et l’utilisation du gaz.

Un tel fait divers provoqué par des fermetures d’école témoigne des angoisses autour de l’avenir du service public de l’éducation nationale. À la rentrée 2011, 16.000 postes doivent être supprimés dans l’enseignement, dont plus de la moitié touche le primaire. Une manifestation nationale doit avoir lieu le 18 mai, à l’appel du SNUIpp-FSU, premier syndicat des enseignants du primaire.

Suite à cet événement, le maire de Besançon Jean-Louis Fousseret (PS) a exprimé son soutien aux manifestants dans un communiqué [pdf] :

« Si c’est ainsi que l’Éducation Nationale et l’État entendent répondre aux revendications des parents, des enseignants et des élus, cela ne peut que conduire à une impasse. [...]

Le Recteur et l’Inspectrice d’Académie doivent prendre la mesure de la mobilisation des dernières semaines à Besançon et dans le Doubs.
Cette carte scolaire, en l’état, a des accents d’abandon du service public d’éducation qui n’est plus, visiblement, une priorité nationale pour ce gouvernement.»

Photos : Bison Teint

MAJ : à 19h10, pour compléter le passage sur les blessures des policiers ; à 20h12 : une nouvelle vidéo, montrant explicitement l’utilisation de gaz lacrymogènes, a remplacé la première ; le 7 avril à 11h 53 : rajout du communiqué du maire.

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Education au numérique: quand une société privée fait la leçon http://owni.fr/2011/03/28/education-numerique-menage-des-salles-meme-combat-prive/ http://owni.fr/2011/03/28/education-numerique-menage-des-salles-meme-combat-prive/#comments Mon, 28 Mar 2011 15:00:41 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=50652

Toute cette conférence n’amorce aucune réflexion, ne construit aucune démarche pédagogique et s’enfonce elle-même dans ses propres contradictions à force d’avoir recours à la rhétorique du fait-divers. On a le sentiment d’un grand gâchis.

C’est par ce jugement sans appel qu’un expert académique du numérique concluait son compte-rendu d’une intervention sur les « dangers de l’Internet »  effectuée par la  société Calysto en 2009 dans un collège. Il n’est pas le seul à remettre en cause le travail de Calysto : LeMonde.fr en 2005 et plus récemment Framasoft l’avait aussi critiqué.

Pourtant, Calysto a signé depuis 2004 une convention de coopération avec le ministère de l’Éducation nationale, soit un an après sa création, ce qui en fait un partenaire privilégié pour intervenir sur ce sujet dans les établissements scolaires. La société s’est positionnée sur ce créneau en 2004, comme nous l’explique au cours d’un premier entretien Thomas Rohmer, co-fondateur de Calysto :

Nous organisions des cycles de conférence sur la fracture numérique, plutôt pour des adultes, entre autres avec des associations de parents d’élèves. Elles nous ont suggéré de faire la même chose mais pour les jeunes. Nous sommes alors allé voir le ministère de l’Education nationale.

Une simple circulaire créé un marché

En 2004, Xavier Darcos, alors à la tête de ce ministère, a en effet fait passer une circulaire stipulant :

Le développement de l’usage de l’internet est une priorité nationale. Il doit s’accompagner des mesures de formation et de contrôle permettant d’assurer la sécurité des citoyens et notamment des mineurs.

Calysto a donc saisi la balle au bond. M. Rohmer précise que sa société n’est pas arrivée en terrain inconnu : « Nous avions déjà un bagage important avec les enfants : j’ai été animateur bénévole dans une radio associative pour intégrer les médias dans le processus éducatif. Et nous avons travaillé en amont avec des associations et des psychologues. »

Depuis 2005, elle mène donc, entre autres, l’opération le Tour de France des Établissements scolaires, qui vise à « sensibiliser les élèves (écoliers, collégiens, lycéens) et les membres de la communauté éducative (parents et enseignants) aux bons usages de l’Internet et du téléphone mobile ». En 2010, c’est ainsi environ 1.200 interventions qui ont été effectuées dans ce cadre, d’une demi-journée à plusieurs jours, en fonction de la demande des établissements. Pour une journée en collège, cela donne le programme suivant :

« La journée d’information et de sensibilisation que nous vous proposons vous apporte des réponses concrètes fondées sur notre expertise et l’expérience que nous avons acquise sur le terrain.

Objectifs des rencontres collégiens

  • Aiguiser leur sens critique vis-à-vis de ce média et de ses contenus,
  • Éveiller leur curiosité afin de diversifier leurs pratiques de l’Internet et des outils numériques,
  • Les sensibiliser aux risques encourus et les aider à développer une démarche « morale et citoyenne ».

Objectifs des rencontres parents/enseignants

  • Leur présenter les usages des collégiens,
  • Les accompagner, les rassurer et les informer sur les enjeux et les risques liés à l’utilisation de l’Internet et des outils numériques,
  • Leur présenter les usages des collégiens dans leur établissement mais aussi ceux pratiqués chez eux.

Ces journées d’information expliquent les règles de comportement relatives à l’utilisation de l’Internet et des outils numériques ainsi que les risques encourus par le non-respect de ces règles. »

Le web : anxiogène ou pas anxiogène ?

Assurées par des personnes au profil d’animateur socio-culturel formé en interne à la thématique, elles dérangent certains. Ces formations seraient d’une part trop anxiogènes, mettant l’accent sur les aspects négatifs : « Internet est un territoire fréquenté par des prédateurs pédophiles : “Ne laissez jamais vos coordonnées à un inconnu. Ne vous rendez jamais seul à un rendez-vous pris sur le réseau.” » donné en exemple par LeMonde.fr. « Tu ne téléchargeras pas ! (sinon, c’est la prison) [...] Tu ne regarderas pas les vidéos en ligne (sinon, tu meurs !) [...] N’ouvre pas tes emails [...] Débranche ta webcam [...] », déroulait le rapport cité plus haut.

Thomas Rohmer se défend, en indiquant à juste titre :

On responsabilise sans diaboliser. On se bat par exemple contre l’image de l’internaute-pédophile, on sait bien que les pédophiles sont surtout dans l’entourage. Si montrer des images de sites pro-ana, c’est être anxiogène, alors j’assume !

Quant au volet législatif, en particulier sur le chapitre délicat du téléchargement illégal, Thomas Rohmer justifie :

On leur explique les risques, ils font ce qu’ils veulent. Notre rôle, c’est d’évoquer le droit à l’image,  la diffamation, etc. On évoque aussi les alternatives légales. Hadopi est un sujet délicat, nous sommes pointilleux et neutre. Si je dis qu’il y a un débat sur Hadopi, je tronque le débat.

Il assure que la convention n’implique pas l’obligation tacite de se faire le messager du gouvernement. « Lors de la loi Dadvsi ((loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information)), nous avons été convoqués par le ministère de la Culture, pour nous demander de diffuser un guide prenant le parti des majors du disque, nous avons refusé. » En guise de pédagogie, Cyril de Palma,  co-fondateur de Calysto, expliquait :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Soit, pour reprendre le résumé de Touspourlamusique, cette curieuse pédagogie :

Cyril Di Palma, co-fondateur de l’agence Calysto résume six années de Tour de France des Collèges, réalisé en partenariat avec TPLM, ou comment expliquer aux élèves et aux enseignants les bons usages de l’Internet et notamment, le respect de la propriété intellectuelle.  Pas si facile… Finalement, le peur du virus et le risque de voir ses enfants confrontés à des images pornographiques sont des arguments plus convaincants que la défense d’une filière de la création musicale. Mais avec l’Hadopi et sa réponse graduée, ça peut changer…

Et tout en niant être anxiogène, la maigre revue de presse liste des articles qui semblent plutôt accréditer le contraire. Ainsi cet article de presse régionale qui se conclut ainsi : « D’autres encore ont décidé de supprimer  leur compte Facebook (ce qui n’est pas aisé).
Ils se sentent complètement concernés par ce thème, et seront sûrement plus méfiants sur la toile.
»

Et cet autre, titré « Sur internet, les collégiens sont des cibles » :

Hier, les élèves de 4e du collège Brizeux ont suivi une formation sur la pratique du web. Données privées détournées, intentions malveillantes… La génération numérique est vulnérable.

Linda est un joli brin de fille de 16 ans. Comme de nombreux ados, elle aime discuter en ligne, grâce à internet. Elle y rencontre des garçons de toute la France. Comme Denis, 14 ans, qui n’a pas hésité, il y a quelques mois à lui envoyer sa photo, son numéro de portable et son adresse mail, dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous.

Le problème, c’est que Linda s’appelle en fait Fabien Le Louédec. Ce dernier est un formateur de la société Calysto. Hier, il intervenait auprès des élèves de quatrième du collège Brizeux pour une session de sensibilisation à la pratique d’internet. « J’ai créé Linda pour vous montrer qu’il ne faut jamais se fier aveuglément à une personne rencontrée sur internet », explique le formateur, en affichant l’historique des conversations avec Denis.

Des informations erronées

Plus gênant encore, les informations données ne seraient pas toujours justes comme le notait Framasoft. Le dialogue suivant rapporte un échange entre un professeur (moi) et un formateur (lui) :

« Exemple 2 : L’HADOPI

Lui – L’Hadopi a faim, ils veulent rentrer dans leurs frais ça coûte cher, elle a condamné 75 000 internautes depuis le mois d’août.
Moi – Personne n’a été condamné, des mails d’avertissements ont été envoyés mais à ce jour aucun accès internet n’a été coupé !
Lui – Si il y a eu 75 000 condamnations et pas plus tard que …. il y a avait un jeune de 19 ans qui s’est fait couper son accès.
Moi – Il y a eu 75 000 mails envoyés je vous l’accorde mais aucune coupure.
Lui – Nous avons les chiffres, mon collègue de Calysto va à l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) tout le temps alors… »

Explication de Thomas Rohmer :

Je ne dis pas qu’on est tout beau, tout joli, on envoie des êtres humains dans les écoles, imparfaits par définition.

Certes, mais pour des professionnels payés pour ce travail, c’est gênant. Nous avons contacté le ministère de l’Éducation nationale pour savoir ce qu’il pensait de ces propos, nous attendons encore la réponse.

Une politique de partenariat avec le privé

Il est possible que les dirigeants de Calysto aient peu de sympathie pour Hadopi, comme Thomas Rohmer l’a laissé entendre dans la conversation que nous avons eu et qu’ils ne pensent pas vraiment que l’Internet soit un territoire miné. En réalité, cette société ne fait que surfer sur une double vague.

La première, c’est une tendance de fond de partenariats avec le privé, a fortiori dans un contexte de réduction budgétaire. Ainsi, une dizaine d’entreprises/associations figurent aux côtés de Calysto dans la rubrique « protection des mineurs » sur la page listant les conventions de coopération d’Educnet, le portail gouvernemental dédié aux Tice.

Interrogé sur le bien-fondé de ce choix, M. Rohmer refuse de prendre position :

Est-ce que l’école peut tout assurer alors qu’il y a des restrictions budgétaires ?

L’interrogation n’a rien de rhétorique.

Historiquement, il a été décide d’avoir recours au privé car les personnels éducatifs étaient désemparés face aux nouvelles technologies et à Internet en particulier, alors que l’Éducation nationale demandait à l’école de prendre en charge aussi cet aspect. « C’était un moyen de décharger les professeurs et les chefs d’établissements d’une tâche dont ils ne voyaient pas le bout, se souvient un ancien chargé de mission sur ces questions. La politique de l’époque, c’était le dialogue public/privé. Calysto a rendu et continue de rendre des services. L’Éducation nationale est un dinosaure qui met un temps fou à répandre les innovations. Il y a des résistances y compris du côté des professeurs. » Pour lui, il n’est pas choquant de faire appel au privé : « Qu’est-ce que cela a de gênant ? Le ménage est bien géré par des sociétés extérieures. » Ménage des salles et éducation numérique, même combat. Il reconnait « qu’il fallait faire un gros effort initial qui n’a pas été très bien répercuté en formation continue. »

Et c’est ainsi que les collectivités locales, en charge des établissements, ont été incitées à faire appel à Calysto. Si elles prennent bien en charge une partie des frais, 350 euros en moyenne la journée, c’est bien in fine le contribuable qui finance une société privée. Le ministère de l’Éducation nationale ne nous a pas non plus répondu sur la question des partenariats public/privé.

« Tout est bon pour vendre de la peur et du fantasme »

Pour Jean-François Clair, responsable des Tice (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education) au SNES, le syndicat majoritaire des enseignants du second degré.

Ce type de société profite de choix politiques et budgétaires. Les chefs d’établissements n’y connaissent pas grand chose en général, ils s’inquiètent, ils veulent protéger les élèves, et aucun espace n’est dédié à la réflexion au collège dans le cadre du B2i (brevet informatique et Internet). Alors quand ils se font démarcher, ils acceptent pour se faire bien voir des parents d’élèves, des élèves, du rectorat… Les enseignants et les documentalistes aussi ne sont pas toujours au courant. De même, les collectivités locales se donnent ainsi un vernis de respectabilité. Mais éduquer, ce n’est pas enseigner. Et le but d’une société privée, c’est de faire du business.

Il y a quelques années, la FCPE s’était opposée au tour de France des établissements, refusant cette concurrence non légitime.

Un expert du numérique à l’école anonyme parle de « lobbying actif auprès des écoles et des collèges, dans les collectivités territoriales (communes, collèges), auprès des fédérations de parents d’élèves… Tout est bon pour vendre de la peur et du fantasme. » Sollicitée une seconde fois à ce sujet, Calysto a refusé de répondre si nous ne leur faisions pas relire notre article avant. Nous n’avons pas accepté leur demande.

Le deuxième aspect, comme le souligne dans un article très pertinent Odile Chenevez, coordinatrice CLEMI dans l’académie d’Aix-Marseille, c’est la tendance à traiter l’Internet comme le sida. Il est en partie le corollaire de cette lacune en matière de formation continue :

Ce phénomène, qui consiste pour l’école à se décharger sur des intervenants associatifs de certaines questions vives de la société, touche également le problème des risques liés aux usages d’Internet. Certaines officines ont trouvé là une véritable mission alimentée par la pléthore de peurs qui entourent le sujet. L’association la plus en vue actuellement sur cette question se nomme Calysto et a entrepris un Tour de France des collèges et des écoles pour y délivrer une théorie de bons comportements sur Internet aux élèves comme à leurs enseignants et leurs parents. L’intention est louable et les retours des participants très positifs si l’on en croit les multiples témoignages de satisfaction de chefs d’établissement sur le site web de l’opération.

Un choix dont Odile Chenevez pose les limites : « Si donc une intervention du Tour de France peut être intégrée à cette approche, elle ne peut en aucun cas libérer l’école de son obligation d’un enseignement construit de ces questions, jour après jour au cœur des disciplines. [...] En une heure ou deux, avec des élèves qu’il ne reverra jamais, qu’est-ce que peut faire d’autre un intervenant que de prendre la posture du « sachant » face à des « non-sachants » qui recevront des réponses calibrées à des questions calibrées, au statut de vérité universelle, quelle que soit la qualité du contact qu’il établit avec les élèves ou l’originalité de sa prestation ? »

Et si on formait en interne en prenant son temps ?

Réduit à l’état de coquille vide, le B2i n’est pas en mesure d’assurer cette formation. Pour pallier cette situation, certains prennent les devants en interne, s’ils en ont les moyens. 

« Calysto joue un peu sur la peur et c’est payant, ça nous choque, la maitrise de l’Internet est inscrite dans le socle commun des compétences, explique Isabelle Martin, coordonnatrice académique du CLEMI dans l’académie de Bordeaux. Dans le cadre du plan de développement des usages du numérique à l’école qui sera mis en place à la rentrée prochaine, j’ai proposé au niveau académique un volet “éducation aux médias numériques” qui inclut la formation des enseignants et des élèves. Le groupe de pilotage académique l’a validé. L’objectif est de dépasser la simple intervention ponctuelle qui a peu d’effet à mon avis. Il est préférable d’aider les enseignants à intégrer ce travail dans leurs pratiques pédagogiques disciplinaires, en lien avec la validation des compétences du socle. » Des formateurs du CLEMI, du Catice (Centre académique aux TICE) et du CDDP (Centre de Documentation Pédagogique) pourront intervenir dans tous les départements.

« Sur notre zone, nous avons conçu un dispositif de formation qu’on propose systématiquement aux chefs d’établissement pour les accompagner, détaille Michel Guillou, adjoint au conseiller Tice, et coordinateur académique du Clemi, à l’académie de Versailles. Il s’appuie pour l’essentiel sur nos valeurs, qui sont celles de l’éducation, et les documents de ctoutnet.fr et notamment ce diaporama. Au contraire de bien d’autres, nous souhaitons valoriser au maximum les usages positifs de l’Internet, promouvoir la liberté des élèves à s’exprimer, s’attarder sur leur responsabilité et réfléchir avec eux aux dérives possibles sans pour cela diaboliser. »

Des initiatives locales trop ponctuelles pour mettre un coup de frein à ce marché lucratif. Lucratif, le doute nous saisit en entendant la réaction de M. Rohmer lorsqu’on aborde ce point : « On perd de l’argent en envoyant des animateurs », annonce-t-il. La petite entreprise serait-elle à deux doigts de mettre la clé sous la porte en dépit de toutes ces formations ? On s’enquiert alors de sa santé financière générale : « la société se porte bien mais nous n’avons pas vocation à être millionnaire, tempère-t-il alors, sinon on ferait autre chose. »

Crédits photos Flickr wandrerstefan, fireflythegreat

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