OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La vidéosurveillance laissée en jachère http://owni.fr/2011/07/13/la-videosurveillance-laissee-en-jachere/ http://owni.fr/2011/07/13/la-videosurveillance-laissee-en-jachere/#comments Wed, 13 Jul 2011 09:56:50 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=56287

Un bon pourcentage du parc n’est pas connecté à un écran faute de moyens, sans compter les problèmes techniques, la mauvaise qualité des enregistrements. Et après l’installation, les moyens pour entretenir ne sont pas toujours présents.

Dans notre article sur les fausses caméras de vidéosurveillance, Étienne Drouard, ancien membre de la Cnil, membre du Comité d’éthique du plan de vidéoprotection pour Paris [pdf] et avocat spécialisé dans les technologies de l’information et la propriété intellectuelle, nous faisait remarquer que, de facto, une partie du parc français était en partie ou complètement factice. L’État promeut l’outil auprès des élus en leur apportant sa manne financière, via le Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD), qui lui consacre en 2011 30 millions sur une enveloppe totale de 51 millions. Toutefois, il a omis un détail d’importance : une fois installées, il faut assurer leur maintenance et avoir du personnel derrière les écrans si on veut que le système remplisse ses fonctions deux et trois, dans l’ordre chronologique.

Petit point théorique : l’efficacité de la vidéosurveillance se mesure sur trois aspects. Le premier, c’est la dissuasion : j’avais l’intention de casser une vitrine, je vois une caméra, du coup, je ne commets pas mon geste. Le deuxième, c’est la protection en temps réel : une personne se fait agresser dans la rue, la scène est filmée, un opérateur derrière son écran relié à la caméra alerte la police qui intervient et empêche que cela aille plus loin. Enfin, l’outil est utilisé pour élucider après coup un délit ou un crime, grâce au visionnage des bandes.

Pour être exact, l’État a bien vendu l’aspect qualitatif, mais a oublié son chapitre financement. Lors de l’installation de la Commission Nationale de la vidéosurveillance en 2007, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie a bien affirmé « souhaite[r] des installations modernes, avec la possibilité pour les policiers d’accéder aux images des municipalités et des grands gestionnaires d’espaces publics : transports, centres commerciaux, enceintes sportives… Cet objectif ambitieux est, j’en suis persuadée, parfaitement réalisable. J’en ai la ferme volonté. »

La volonté mais pas les sous. Dans la réalité, les élus se retrouvent grosjean comme devant. Ce d’autant plus que le Conseil constitutionnel a censuré la solution qui les séduisait, déléguer au privé l’exploitation et le visionnage des images. Bref, contrairement à ce que pensait le premier édile de Crépy (60), dans un faux éclair de génie gestionnaire, il ne serait pas « dommage de ne pas utiliser la vidéosurveillance, vu toutes les subventions possibles… »

« 10% du coût de l’investissement initial »

Le coût de fonctionnement comporte deux principaux postes de dépense : l’entretien et les opérateurs chargés de visionner les images en temps réel.

« L’entretien correspond à 10% du coût de l’investissement initial », avance Tanguy Le Goff, sociologue à l’IAURIF (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France). Obtenir une évaluation précise de son coût n’est pas chose facile. « C’est le flou, constate Émilie Therouin, adjointe EELV au maire d’Amiens (135.000 habitants, 48 caméras) en charge de la sécurité et de la prévention des risques urbains. C’est mélangé dans des lignes de comptabilité différentes. » Du coup, elle a demandé un audit à ce sujet. Elle souligne aussi l’aberration d’effectuer la maintenance en fin de journée « quand il se passe des choses dans les quartiers sensibles. » Une maintenance externalisée…

La pêche aux informations est hasardeuse. On tombe ainsi sur cet article de l’AISG (Agence d’information sécurité globale) [pdf] qui donne le chiffre de 310 000 euros pour la maintenance de la communauté urbaine de Strasbourg, pour un investissement de 6,5 millions d’euros depuis 2003 pour 336 caméras.

Pour expliquer ce manque d’information, un rapport de 2008 de l’IAURIF [pdf] avançait cette hypothèse :

La crainte des élus locaux de faire évaluer des dispositifs à l’installation coûteuse qui, bien souvent, ont été récemment installés (il est donc invoqué un manque de recul) et dont les résultats pourraient apparaître comme décevants. Sans doute faut-il ainsi expliquer la stratégie du “secret” qui entoure ces dispositifs. Une équipe de chercheurs grenoblois a ainsi récemment conduit une étude non pas tant sur l’impact de la vidéosurveillance que sur ses usages politiques et techniques. Or, de manière révélatrice, elle a rencontré de très sérieuses difficultés pour accéder aux données chiffrées et à certains interlocuteurs.

« En permanence, 5% du parc ne fonctionne pas »

Un entretien qui a des conséquences sur l’état du parc. Là encore, trouver des informations claires n’est pas une sinécure. « On n’a pas de chiffre, explique Dominique Legrand, de l’Association nationale de la vidéoprotection (ex-Association nationale des villes vidéosurveillées, AN2V). Mais le parc fonctionne pour moi, je suis surpris par cette affirmation gratuite, je ne constate pas cela sur le terrain. » Pour lui, les collectivités mettraient donc encore suffisamment la main au portefeuille pour l’entretien.

Un propos à nuancer par ceux de Mayé Seck, de la FFSU (Forum Français pour la sécurité urbaine) :

Des villes ont du mal à assurer les frais de maintenance. Elles tardent à réparer ou ne réparent pas. Cela concerne aussi bien des petites villes que des grandes villes. Elles ont vu trop large ou pas pertinent, la phase d’étude en amont n’a pas été assez réfléchie.

« En permanence, 5% du parc ne fonctionne pas, complète Tanguy Le Goff. Il y a toujours des petits problèmes techniques. » Ce qui explique la facture salée de l’entretien : les sociétés de maintenance doivent intervenir très régulièrement.

C’est donc par chance que l’on tombe sur des exemples de dysfonctionnement, en l’occurrence en épluchant les sources de la carte sur la vidéosurveillance. Récemment, ce fut le cas d’une petite ville du Nord-Pas-de-Calais, Escaudoeuvres. La Voix du Nord relate : « Mardi, en fin de journée, un incendie… se déclarait aux abords de la salle Louis-Aragon. [...] l’incendie était circonscrit, et les policiers à pied d’œuvre pour débuter l’enquête. Le premier adjoint de la commune, Guy Lefebvre, se satisfaisait alors de la présence de trois caméras de vidéosurveillance installées autour du site. « Demain, on sait qui c’est », disait-il, confiant que le système devait permettre l’identification d’éventuels suspects… Las. Hier matin, la nouvelle est tombée telle un coup de massue : « les caméras n’étaient pas branchées », explique ce mercredi l’édile de la commune, Patrice Égo, un peu embêté.

« Il y a eu un problème électrique lors de la dernière utilisation de la salle » précise Jean-Pierre Groux, directeur général des services. Du coup, l’alimentation a été coupée. « C’est une salle qui n’est pas très souvent utilisée… », ajoute-t-il, comme pour justifier le fait que le dispositif n’ait pas été, entre temps, rétabli.

Ou encore à Antibes (06), en avril dernier :

Quelques semaines en arrière, une femme se faisait braquer alors qu’elle rentrait chez elle en voiture sur le vieux chemin de Saint-Bernard. [...] Au moment de ces faits, la caméra de vidéo surveillance n’était partiellement plus en fonction après avoir été vandalisée. Un état « hors service » que les auteurs des faits ne devaient probablement pas ignorer. Elle a aujourd’hui été remplacée.

Et en 2007, une élue écolo suresnoise narquoise avait pris en photo une caméra le nez en l’air.

Sans oublier qu’il faut aussi renouveler les caméras anciennes, au bout de cinq ou six ans. Si Levallois la riche pionnière a pu renouveler en 2008 son équipement, quid de toutes ces villes qui s’équipent, obéissant au vœu du gouvernement de tripler le parc entre 2009 et 2011 ?

Sollicité, Levallois a refusé de répondre à nos questions car « on a logé (sic) les personnes qui nous ont fait une farce, on n’a pas apprécié. » Les petits farceurs, c’est l’équipe de StreetPress, qui avait commis un papier fort drôle, repris par OWNI.  Interrogée, l’opposition n’a pas été d’une grande aide :

Il nous est difficile de définir le budget précis de l’entretien du système de vidéo-surveillance, qui est intégré dans les dépenses d’entretien de toute la ville. Je vais tenter de me le faire préciser lors d’une prochaine réunion de commission, qui aura lieu le 10 mai.

Nous n’avons pas été recontacté. Depuis dix ans, le sujet ne semble donc pas l’avoir turlupinée plus que cela.

On notera, au chapitre crédit, que les assureurs accorderaient des bonus aux villes qui s’équipent. Là encore, la difficulté pour avoir des chiffres est patente. « J’en ai entendu parler, je n’ai pas de chiffres, raconte Mayé Seck, cela dépend de la capacité des communes à négocier. »

Chers opérateurs, quand il y en a…

« L’avenir de la vidéoprotection, c’est peut-être plus le temps réel que le temps différé », annonçait naguère Dominique Legrand. L’avenir, en effet car pour l’heure, rares sont les villes à avoir les moyens de se payer un poste opérateur 24 heures/24. « Il faut sept salariés pour un poste, détaille Dominique Legrand, entre les 35 heures, les récupérations de nuit… » Le rapport de l’IAURIF va dans ce sens :

[L'Etat] laisse, en revanche, le soin aux collectivités locales d’en assurer le fonctionnement et d’en assumer la charge financière afférente (de l’ordre de 250 000 euros pour une équipe de 5 personnes). [...] Maintenance technique et gestion des images. Pour un système composé d’une vingtaine de caméras, fonctionnant 24h sur 24, cinq agents au moins sont nécessaires, il faut compter 26 000 à 28 000 euros par agent, soit un total de 140 000 euros par an d’exploitation au minimum.

Si les grandes villes de plus de 100.000 habitants peuvent se permettre d’investir, il n’en est pas de même pour les moyennes et petites communes. Du coup, c’est un poste fréquemment rogné, quitte à affirmer le contraire, comme à Ecully, commune près de Lyon de 18.000 habitants. Sur le site de la mairie, on peut lire l’assertion suivante : « Ce Centre superviseur urbain permet la surveillance du territoire communal 24 heures / 24 via un réseau de 12 caméras réparties essentiellement sur trois zones considérées comme prioritaires : le centre ville, le pôle sportif et culturel et le quartier des Sources. 6 caméras supplémentaires seront installées courant 2011. Des agents municipaux spécialement formés assurent la surveillance de la commune, sous le contrôle du chef de la police municipale. »

Interrogé sur la surveillance 24 heures / 24, le chef du service sécurité de la police municipale contredit ce point : « Il n’y a pas d’opérateur 24 heures sur 24. » Invité à donner plus de détail, l’homme reste discret. Pas fou : « Je ne vous donnerai pas les horaires, ni le nombre d’opérateur. Si on sait qu’il y a qu’une personne, par exemple, on peut déduire qu’elle ne peut regarder que quelques heures. »

D’autres collectivités ont carrément choisi de se passer d’opérateur. C’est le cas de Baudinard-sur-Verdon (83), qui avec 12 caméras pour 155 habitants (l’hiver, précise le site), détient le record français du ratio caméras/nombre d’habitants le plus élevés, 77/1000 habitants. Suite à des actes de vandalisme, la commune s’est équipée en numérique voilà quatre ans, pour 65.000 euros TTC. La commune a un contrat de maintenance de 800 euros par an. Le maire (UMP) Georges Pons est content de son matériel, du Bosch. Sa commune a eu plus de chance que Salernes, voisine de quelques kilomètres: « Leur marque était moins fiable, ils vont en changer. » Sur le choix de ne pas avoir d’opérateur, l’élu explique que cela serait revenu à… doubler les effectifs du personnel municipal :

C’est trop cher, on a deux employés de voirie, deux secrétaires et une femme de ménage. C’est la sécurité du pauvre, c’est dissuasif. Je sais que ce n’est pas le top mais en attendant les caméras fonctionnent 24 heure sur 24. Dans les petites communes, il n’y a pas d’autres solutions.

Angers, en dépit de sa taille – 148.400 habitants – a aussi fait le choix de se passer d’opérateur. La ville (PS) s’est équipée en 2008 de 24 caméras numériques, soit un ratio pour 1.000 de 0,16 très faible, pour un coût d’environ 350.000 euros. « Il fallait 14 personnes, à multiplier par 30.000 euros par an, justifie Jean-Pierre Chauvelon, délégué à la prévention et à la sécurité publique. Nous avons préféré investir dans la proximité. Nous ne développons pas la vidéosurveillance, car derrière, il n’y a pas de moyens. »

Même la très riche Levallois n’a pas mis tant que ça la main à la poche. À l’époque de l’article de StreetPress, en août 2010, la ville avait deux policiers pour 50 caméras, une en réalité, ce qui est insuffisant pour faire une surveillance 24 heures/24 : « Deux policiers municipaux – parmi les 80 agents de la ville – sont affectés aléatoirement “au PC” qui centralise les images. Ils scrutent le mur d’écran pendant des permanences de 9h en alternant : l’un s’occupe du standard tandis que l’autre observe la ville. »

Un métier pénible et pas encadré

Émilie Therouin note aussi que les opérateurs sont les parents pauvres :

« Il existe bien un “paramètre” de premier ordre passé sous silence. C’est le facteur humain. [...] Il existe potentiellement des milliers d’opérateurs vidéo en France. Pourtant, opérateur vidéo reste un métier de l’ombre, non reconnu par le législateur qui, pourtant, est friand de légiférer sur la sécurité et son dada, la vidéosurveillance. Mais le CNFPT est lui aussi très en retard sur les métiers de la sécurité. Ainsi, il n’existe pas de formation initiale commune, encore moins un plan de formation continue obligatoire pour les opérateurs vidéo. Chaque ville bricole dans son coin avec le recrutement, la formation, la déontologie. Seul le double agrément préfecture/procureur est exigé. L’opérateur peut être un ASVP, agent technique qui ne dépend pas de la filière sécurité, ou encore un agent administratif. A noter qu’un certain nombre de collectivités offrent cette possibilité à des agents à mobilité réduite ou en reclassement. Si l’opérateur est agent de police municipale, le code de déontologie de la police municipale s’appliquera en sus. »

On rajoutera aussi la pénibilité de ce travail : regarder des heures des écrans, dont les images n’ont pas la qualité d’un home cinema.

Pour que l’intervention en temps réel soit réellement effective, faudra-t-il donc multiplier les opérateurs ? Non, pour Dominique Legrand, la solution s’appelle la DAA, pour « détection automatique d’anormalité ». « Ce système mettra tout le monde d’accord sur la vidéosurveillance », s’enthousiasme-t-il. Elle consiste à « placer de l’intelligence dans les caméras », qui détectent les « accidents urbains ». Un opérateur est alors alerté, qui vérifie s’il y a bien un accident et le cas échéant contacte la police. Selon lui, le surcoût s’inscrit dans une fourchette de 5 à 20%, qu’il juge « pas très cher ». Seul problème : c’est encore à l’étude car c’est extrêmement compliqué. Et surtout, cela ne résout en aucun cas la question de l’état du parc.


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« Sinon, le village aurait quasiment été rayé de la carte »

La différence : deux réacteurs d’une puissance totale de 2.600 mégawatts dont la présence à Belleville se manifeste à des kilomètres à la ronde. Avec deux tours grises dont le panache de fumée barre le ciel, hiver comme été. Un effet papillon géant disgracieux mais lucratif – provoqué par le premier choc pétrolier de 1973. La France s’engage alors à fond dans le nucléaire pour assurer son indépendance énergétique. De cette politique naitront 58 réacteurs, dont ceux du Centre national de production d’électricité (CNPE) de Belleville, aux frontières du Loiret et de la Nièvre. « Sinon, le village aurait quasiment été rayé de la carte », résume Vincent Frégeai, maire de la commune depuis 1995.

Il parle en connaissance de cause du développement en mode champignon de ce bourg de 250 habitants,  « vieillissant, sans école, plein de maisons vides, qui se mourait doucement ». Son père était responsable de la construction de la centrale. Les travaux ont commencé en 1979. Moins de dix ans plus tard, les deux tranches étaient opérationnelles. Entre temps, le village était équipé pour accueillir une population qui avait plus que triplé. Les salariés de l’atome et leur famille comptent aujourd’hui pour environ un tiers des habitants de Belleville.

À l’époque, une procédure de grand chantier est mise en place : voies de communication, viabilisation – adduction d’eau potable, électricité, etc. – école, poste, salle des fêtes, cités EDF pour accueillir les nouveaux habitants, les travaux ont été menés au pas de charge, au grand bénéfice de l’économie locale. Pour éviter un déséquilibre trop grand, le choix est fait de saupoudrer les quelque 650 salariés dans une dizaine de communes alentours : Léré, Sury-près-Léré, Bonny-sur-Loire, Beaulieu, Chatillon, Gien, Cosne-sur-Loire, Briare… Il faut leur ajouter 200 salariés prestataires présents en permanence et les intérimaires : environ 1.500 prestataires sont employés tous les dix-huit mois lors des arrêts de tranche, voire 2.000 lors des arrêts décennaux-, et un camping a été construit à l’attention de ceux qui ne sont pas de la région, à Belleville.

Des équipement à foison

L'entrée du complexe sportif, qui a récemment été rénové.

En revanche, pour la troisième phase, celle de l’équipement en loisir, ce souci d’équilibre n’a pas prévalu : Belleville est aujourd’hui une ville sur-équipée pour sa taille. « Ce sont les autres communes qui sont sous-équipées », tacle Vincent Frégeai.
Quoi qu’on en pense, il est conseillé de retenir son souffle pour égrener la liste des équipements : centre aquatique donc, académie de musique, centre intergénérationnel, “jardins du savoir” ( = médiathèque), halte nautique sur le pont canal, complexe sportif, hôtel-restaurant 3 étoiles, Maison de Loire, une ancienne ferme qui servit durant la phase de construction d’ANPE avant d’être reconvertie, festival de jazz intercommunal d’envergure dont le siège est à Belleville… Bien au-delà des espérances d’Henri Foucher, maire jusqu’au début des travaux en 1979, qui « rêvait de feux tricolores »

Pour autant, les villages des environs n’ont pas été oubliés alors que leur voisine se gavait. Au total, EDF injecte via la fiscalité locale (taxe foncière, taxe professionnelle et arrêté de rejet de prise d’eau) un montant de près de 26 millions d’euros en 2010. Jusqu’à sa suppression en 2010, la taxe professionnelle était écrêtée, un système mis en place pour éviter des écarts trop importants.

Tel, par exemple, celui dont bénéficie la commune de Sury-près-Léré, recueillant cette année 505.000 euros, soit le quart de son budget annuel. Une manne qui lui a permis aussi d’améliorer l’ordinaire, nous raconte Pascal Viguier, maire de Sury-près-Léré :

Depuis 1990, nous avons refait le centre bourg, réhabilité l’ancienne école en salle des fêtes, construit un parking avec abribus pour les transports scolaires, construit une modeste bibliothèque, refait la toiture de l’église, acheté le dernier bar-restaurant en péril, aménagé trois logements sociaux, enfoui les réseaux électriques et éclairage public dans le bourg, installé l’éclairage public dans les hameaux, créé deux bassins de laminage de crues suite aux inondations de 2001, etc. L’installation des personnels de la centrale a redynamisé et rajeuni la commune et boosté le commerce local, les associations et l’emploi.

EDF s’empresse de rassurer sur quant à l’avenir des fonds apportés par la taxe professionnelle. Selon le groupe : « Les collectivités territoriales d’implantation des centrales électriques perçoivent des recettes d’un niveau comparable à celui d’avant la réforme. Ces nouvelles dispositions ne remettent nullement en cause le soutien qu’apporte la centrale de Belleville à son environnement local. »

De même les 16 millions de commandes annuelles passés en 2010 dans la région sont très répartis entre six départements. Avec « seulement » 1.454 008 d’euros, le Cher est loin de toucher le gros lot : l’Indre-et-Loire, le plus gros bénéficiaire, touche ainsi 11.165.828 euros, suivi par le Loiret, 2.965.226 euros.

Enfin, on rajoutera toute une série d’actions du CNPE qui, souci d’image oblige, privilégie « l’environnement, la solidarité et la culture ». En 2010, 26 projets ont ainsi été menés en partenariat avec des acteurs locaux, pour un montant de 26.500 euros ; des jeunes sont pris en alternance, des stagiaires des établissements du coin, etc.

Quant aux élus locaux, ils ont créé récemment la communauté de communes Haut Berry-Val de Loire, afin de cesser de « concentrer artificiellement sur le sol bellevillois des équipements à portée intercommunale au profit d’une distribution plus harmonieuse d’installations dites structurantes sur le territoire des 7 communes.» [pdf].

Si Belleville la désormais bien nommée a reçu plus d’argent que ses voisines, c’est grâce à la taxe sur le foncier bâti : la centrale étant bâti aux 4/5 sur Belleville, le 1/5 sur Sury. Un mécénat pour les coquetteries dont s’enorgueillit  le maire. À l’heure où nous publions, EDF n’a pas été en mesure de nous fournir ce chiffre.

Le fruit de cet argent ? Un village bien propre sur lui, qui dégage une impression d’aisance dans un contexte local plutôt morose. Il n’est que de voir la rangée de magnolia qui accueille le passant quand on entre côté campagne ou bien encore les allées bordées de pavillons. Une de ces curiosités urbanistiques françaises, que nos arrières-petits enfants visiteront peut-être, comme témoin d’une vision passée de la politique énergétique de leur pays.

Le maire y voit lui « un développement anarchique centrifuge », avec une « absence de centre-bourg », conséquence du « sous-dimensionnement intellectuel » des élus d’alors. Un rapport de la chambre régionale des comptes portant sur 1990-1995 [pdf] montre de fait que la gestion n’a pas des plus rigoureuses et que certains en ont profité. Alors il faut « recréer du lien » à grand coups d’espaces végétalisés.

Intégrer cette population

L’implantation des agents EDF sur place témoigne des disparités entretenues par l’industrie nucléaire pour plaire à chacun. Déboulant avec leur emploi fixe, une facture d’électricité réduite et une maison à loyer modéré, ils ont gagné un image de privilégiés.

C’est sur le long temps, les gens apprennent à se connaître, tempère le maire, ça va à peu près. Ce n’était pas évident, il y a eu une phase d’observation avec les autochtones, ils se regardaient un peu en chien de faïence. Le brassage s’est fait dans les écoles, les associations. Et puis il y a des idées reçues sur les salaires, on disait “les EDF”, à la sortie des écoles…

Objectivement, Belleville possède effectivement le salaire moyen net par actif le plus élevé, et on peut penser que ce n’est pas un hasard : il s’élève à 1.931 euros, contre 1.592 euros à Bonny-sur-Loire par exemple.

« Je n’ai pas que des amis d’EDF », poursuit Delphine, chimiste à la centrale, épouse et fille d’un agent EDF et une maison flambante neuve de 140 m2, dotés de 2.000 m2 de terrain ornés de jeux pour ses deux enfants. Comme une partie des personnels installés définitivement, son couple a préféré acheter que de rester dans la cité EDF où ils ont logés à leur arrivée. Oui, c’est vrai « montrer deux fiches de paye EDF, cela aide pour avoir un emprunt de quinze ans à la banque », mais la jeune maman ne se sent pas plus privilégiée que cela. « Je suis resté en contact avec des amies de l’IUT, quand on compare nos salaires, certains sont moins bien payées, d’autres davantage, je suis dans la moyenne. » Et elle balaye en riant l’idée qu’il y aurait une « vocation EDF », l’envie de bénéficier à son tour du cocon. On ne rêve pas de bosser dans une centrale.

La très chic cité de Neuvy, longtemps réservée aux cadres locaux d'EDF.

Pour atténuer ce clivage, un quota de locaux a été instauré. Certains agents, originaire de la région, en ont aussi profité pour se faire muter. C’est ainsi que Claude a pu s’installer dans sa maison familiale à Neuvy-sur-Loire (58), avec sa femme, également retraitée de la centrale. Sa double casquette EDF/autochtones a facilité l’intégration, en l’occurrence la réintégration. Chanceux son couple ? Non pas particulièrement, « la région a eu de la chance », nuance-t-il. Il reconnait quand même que partir en retraite à 55 ans comme ils ont pu le faire n’est pas désagréable. Mais d’aller dans le sens de Delphine : si un de ces fils travaille aussi chez EDF, c’est parce qu’il n’a pas eu le choix, dans un département de la Nièvre célèbre pour ses plans sociaux.

Dans les hauteurs du village, on aperçoit ce qui fut « la cité des cadres », « une connerie », selon le maire. Mais maintenant, on y croise aussi des agents de maitrise, voire des extérieurs, puisque les maisons sont proposées à la vente aux nouveaux arrivants. “Mais c’est déjà cher pour nous, commente Jean-Paul, alors pour les autres…” Arrivé en 2009, il se sent plutôt bien intégré : être inscrit au club de chasse du village, cela aide. En revanche son collègue Jean-Philippe, installé en septembre 2010, quitte les lieux chaque week-end : « on est à 100 bornes de tout », explique-t-il. C’est sûr que ce grand fan de BD a un peu de mal à satisfaire sa passion dans les librairies locales ou les hypermarchés.

Mariage de long terme avec une épouse laide mais bien dotée

On ne peut pas vraiment dire que toutes ces personnes croisées se distinguent particulièrement : certes la stabilité de l’emploi dans une entreprise qui ne sous-paye pas ses salariés leur a épargné quelques angoisses courantes dans une région qui ne brille pas par l’attrait de son bassin d’emploi. Pourtant, à écouter Bruno, pas de doute : « ils ne sont pas trop intégrés. » Ce maçon qui loue ce qui fut un pavillon EDF dans une des cités de Belleville, assène tranquillement : « Vous mettez des gens EDF et des gens normaux (sic), ça se voit la différence. Ils montrent qu’ils ont plus de sous, ça se plaint que ça paye 300 euros d’électricité par an. Même quand il y a des fêtes, ils ne sont pas mélangés avec nous. Ils sont plus fiers, mieux habillés, pas en tenue de boulot comme nous », détaille-t-il en désignant son bleu de travail sale. « Je ne suis pas le seul à penser ça… » conclut-il.

En revanche, il n’a rien contre la centrale : « ça aurait même été mieux qu’il y ait quatre tours, ça fait du boulot », avance-t-il. Car telle est le sort de ce centre de production, épouse de raison, guère sexy mais à la dot solide. « Je suis pro-nucléaire par pragmatisme, qui aime le nucléaire par passion ? Il faudrait être maso », lance Vincent Frégeai. S’il a laissé de côté le lobbying pro EPR, un temps portée par l’association EPR Belleville Cap 2015, il caresse plutôt l’idée d’un troisième réacteur : « Les communes du coin ont été consultées pour l’installation d’une nouvelle cité EDF, les anciennes sont en fin de vie, on est peut-être pas loin d’avoir le troisième réacteur… » De quoi prolonger la vie du site, dont le démantèlement des deux premières unités ne devraient pas intervenir avant une bonne vingtaine d’année.
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Photo CC [by -nc - sa] Sabine Blanc, avec l’assistance de Ophelia

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«26% moins cher que Veolia et 6 fois plus d’investissement qu’avec le privé» http://owni.fr/2011/03/22/%c2%ab26-moins-cher-que-veolia-et-6-fois-plus-dinvestissement-quavec-le-prive%c2%bb/ http://owni.fr/2011/03/22/%c2%ab26-moins-cher-que-veolia-et-6-fois-plus-dinvestissement-quavec-le-prive%c2%bb/#comments Tue, 22 Mar 2011 15:43:10 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=52815 Conseiller municipal à Viry-Châtillon (91) pour le Parti de Gauche et président de la communauté d’agglomération des Lacs d’Essonne, Gabriel Amard a mis en place depuis le 1er janvier 2011 une régie publique de distribution d’eau sur sa commune. Après être sorti du syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif), regroupant 144 communes dans la région, il a du créer son propre réseau, embaucher ses experts et organiser la distribution. Un dispositif qui lui a permis, en économisant les 25 à 30% de frais excédentaires des entreprises titulaires des délégations de service public, de mettre en place des tarifs sociaux et une véritable pédagogie de l’usage de l’eau à Viry Châtillon. Une démarche politique dont il tente de faire un modèle de sortie du régime de privatisation généralisé.

D’où est venu votre projet de sortir du Sedif pour revenir à une régie publique de l’eau ?

Gabriel Amard : Il s’agit d’abord d’un parti pris politique : certains disent que l’eau n’est pas une marchandise comme les autres. Or, pour ma part, je considère que ce n’est pas une marchandise du tout. Ce qui doit être facturé dans le service public de l’eau, c’est sa potabilisation, son transport et sa distribution… Le reste, c’est l’accès à l’eau, c’est nécessaire à la vie, cela doit donc être gratuit.

Il m’a suffit de faire ce que n’importe quel comptable peut faire, à savoir regarder les factures que vous présentent les entreprises à qui sont délégués ces services. En plus des trois services réels dont j’ai parlé, vous voyez cinq lignes :
1. des frais de siège ;
2. des impôts sur les sociétés ;
3. des impôts locaux ;
4. une masse salariale qui ne correspond pas au personnel mobilisé sur le contrat ;
5. des résultats qu’on ne retrouve pas dans les comptes d’exploitation.

Et, une fois additionnées, ces cinq lignes représentent un surcoût de 25 à 30% ! Quand j’ai réalisé ça, j’ai décidé de mener une expertise, en partenariat avec la régie de Grenoble, sur la tuyauterie : alors que la durée de vie des tuyaux est de 100 ans, il n’y avait que 0,4% de renouvellement chaque année. L’opérateur agissait comme si les tuyaux devaient durer 250 ans !

« Veolia facturait 16% d’eau potabilisée qui n’arrivait jamais au robinet, contre 5% dans les régies publiques de Paris ou Grenoble »

Quant au rendement du réseau, il totalisait 16% de fuite. Or, ces 16% de fuites étaient au préalable potabilisés et donc facturés : les habitants de Viry-Châtillon payaient pour 16% d’eau qui n’arrivait jamais à leur robinet, là où les régies publiques, à Paris ou Grenoble, n’ont que 5% de perte. La décision a été prise en 2009 et, depuis le 1er janvier 2011, nous sommes en régie publique : nous sommes le 22 mars aujourd’hui et nous avons déjà inspecté les 2/3 du réseau.

Comment sort-on d’une régie privée ?

Gabriel Amard : Pour Viry Châtillon, il a suffit de sortir du syndicat d’eau, en l’occurrence le Sedif, mais il fallait préparer notre coup à l’avance ! Nous avons donc profité de la fin de la délégation de service public à Veolia pour ne pas renouveler le contrat car, si nous l’avions fait pendant, l’entreprise aurait pu nous demander un préjudice.

Dans le cas du Sedif, le contrat de délégation de service public de l’eau dure 12 ans : cela signifie qu’une commune ou une agglomération qui rate le créneau est condamnée à payer ou à attendre ?

Gabriel Amard : J’avais prévenu mes collègues mais, sur les 54 villes du Sedif qui se déclaraient favorables à une régie publique de l’eau, Viry a été la seule à agir. Pour une commune, il y a deux possibilités : soit on forme une communauté d’agglomération à laquelle on confie la gestion de l’eau, soit la compétence de gestion de l’eau est transférée à la communauté d’agglomération.

« Toutes les communes qui sont dans une régie privée ont le choix ! »

La loi de 1999 montre que, dans ces deux cas, les conditions sont réunies pour sortir du privé, ce qui est contesté notamment par André Santini (ancien président du Sedif). Mais toutes les communes ou communautés d’agglomération qui sont dans une régie privée ont ce choix !

En pratique, comment met-on en place une régie publique de l’eau moins coûteuse pour l’usager ?

Il suffit de prendre tous les métiers de la fourniture d’eau et de les mettre à prix coûtant ! Mais personne ne vous oblige à raser gratis tout de suite. A Viry, nous avons commencé par passer en régie publique la distribution, ce qui nous a permis de recruter un savoir-faire : certains de nos salariés viennent d’une régie publique, d’autres du privé. Notre directeur est un ancien du conseil général de la Nièvre où il a géré l’assistance technique de 45 communes et de plusieurs syndicats. De l’autre côté, nous avons recruté quatre anciens de Veolia, dont Jean-Yves Ratineau, un cadre qui avait 35 ans de maison. Tous ces gens vont nous aider à expertiser les étapes suivantes : la potabilisation, la distribution, etc.

Parmi les communes de la communauté d'agglomération, Grigny, connue pour son quartier de La Grande Borne pourrait un jour intégrer la régie publique mise en place à Viry Châtillon, sa voisine.

Par la suite, nous avons prévu de fédérer d’autres communes pour étendre la régie au traitement de l’eau, peut-être racheter une usine à Suez… Car cela fait partie des paradoxes de ce système : en Essonne, toutes les usines de potabilisation et les points de captage sont propriétés d’entreprises privées mais, comme le veut la loi, ce sont les élus qui sont responsables de la qualité de l’eau ! Pour l’instant, rien que sur la distribution, nous avons déjà économisé 25% par rapport à Veolia.

Comment répercutez-vous ces économies sur les usagers ?

Pour l’usage professionnel, l’eau est 4 centimes le mètre cube moins cher qu’avec Veolia, alors que les collectivités et les administrations l’ont à prix coûtant. Pour l’usage familial, c’est un peu plus compliqué : la loi nous interdisant de donner de l’eau gratuitement, nous avons calculé que les 3 litres d’eau par personne et par jour à la vie, représentaient pour notre ville 2,7% de la consommation totale. Nous avons donc rabaissé le coût d’accès à l’eau de 2,7% pour tous !

Ensuite, le système est simple : plus on consomme, plus le mètre cube d’eau est cher : jusqu’à 120 mètres cube (une consommation normale), l’accès à l’eau coûte 1,1 euros par mètre cube. Au-delà et jusqu’à 200 mètres cube, on passe à 1,35 euros. Au-delà de 200, c’est 1,5 euros par mètre cube de plus… L’usage de confort est plus cher et le luxe encore plus : c’est une sorte d’éducation populaire par le prix. Enfin, pour les résidences secondaires, les parts fixes sont payées en plus car c’est absurde que ceux qui vivent la toute l’année paient plus pour ceux qui ne sont là que quelques mois. Certes, nous ne sommes pas une cité balnéaire mais, le but de ce règlement, c’est qu’il puisse s’appliquer à n’importe quelle ville !

Quelles sont pour vous les perspectives de développement pour votre régie ou, de façon plus générale, pour le retour aux régies publiques en France ?

Nous allons déjà voir à l’usage, peut-être que Veolia ne nous a pas donné tous les détails sur la proportion d’usage industriel… Mais nous avons de la marge. À partir de juillet 2012, nous nous fournirons auprès de l’opérateur public Eau de Paris, ce qui nous permettra de passer de 0,7 euro par mètre cube avec Suez à 0,5 euro. Peut-être baisserons-nous la note, peut-être investirons-nous pour nous payer notre propre usine de potabilisation !

Au niveau national, une bonne perspective serait une loi de réappropriation publique de la gestion de l’eau qui réorganiserait le système localement. Les entreprises, pour un prix inférieur, financeraient la gratuité de l’eau par simple disparition des marges des entreprises privées ! Après, il y a plein de choses à imaginer, comme de meilleurs usages de l’eau : pas besoin d’eau potable pour les toilettes ou certains champs ! Dans les jardins ouvriers des cités de Viry, ce sont des pompes manuelles qui permettent aux usagers d’extraire de l’eau des couches superficielles. Pour le reste, il faut espérer que la tendance se poursuive : en 2000, il y avait 70% de régies gérées par le privée. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 61% : je suis presque le petit dernier !

Photos Sylvain Lapoix

Image de Une réalisée par Loguy /-)

Retrouvez l’application PRIX DE L’EAU: OPÉRATION TRANSPARENCE, une enquête collaborative réalisée par OWNI avec la fondation France Libertés et 60 millions de consommateurs.
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