OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La part d’ombre de Google Livres http://owni.fr/2012/06/13/la-part-dombre-de-google-livres/ http://owni.fr/2012/06/13/la-part-dombre-de-google-livres/#comments Wed, 13 Jun 2012 11:46:56 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=113175

Paix des braves pour Les Echoshache de guerre enterrée pour La Tribune ;  calumet de la paix partagé pour le Nouvel Observateur : la presse est unanime pour célébrer l’accord-cadre rendu public lundi entre Google, le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), sur la numérisation des livres indisponibles sous droits.

Il est vrai que l’évènement est d’importance, puisque cet arrangement met fin à plus de sept années de conflits entre le moteur de recherche et le monde de l’édition française, à propos du programme de numérisation Google Books, qui avait entendu renverser de fond en comble les règles du droit d’auteur pour progresser plus vite.

Pourtant derrière cette belle unanimité, de multiples signes, émanant notamment d’auteurs français méfiants ou remontés contre les instances prétendant les représenter, attestent qu’il reste comme “un caillou dans la chaussure“, pour reprendre les paroles de l’écrivain Nicolas Ancion…

Il faut d’abord mettre en lumière le côté clair de cet accord, pour mieux cerner ensuite son côté obscur, notamment en ce qui concerne ses liens avec la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du 20ème siècle, adoptée par le Parlement français en mars dernier.

Procès fleuve

L’essentiel du contentieux portait sur le recours par Google à l’opt-out – l’option de retrait – un procédé par lequel il demandait aux titulaires de droits de se manifester explicitement pour demander à sortir de son programme, ce qui lui permettait d’avancer dans la numérisation des ouvrages sans s’embarrasser a priori de la question chronophage de la gestion des droits.

Jugement Google/La Martinière : Alea jacta est ?

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Le verdict du procès Google/La Martinière est donc tombé vendredi, mettant fin plusieurs années d’incertitude en ...

Mais cette méthode a été condamnée par la justice française en décembre 2009, au terme d’un procès retentissant faisant suite à une plainte de l’éditeur La Martinière, soutenu par le SNE et la SGDL, qui a rappelé que l’opt-in – l’option d’adhésion – était seule compatible avec les règles du droit d’auteur français qui exigent que les titulaires de droits donnent un consentement explicite et préalable à l’utilisation de leurs œuvres.

L’impasse atteinte par Google en France a également trouvé écho aux États-Unis, où un autre procès fleuve l’oppose depuis plus longtemps encore aux auteurs et éditeurs américains. Saisi pendant plusieurs années d’une proposition de règlement entre les parties, qui aurait entériné le procédé de l’opt-out, le tribunal de New York en charge de l’affaire a lui aussi fini par estimer début 2011 que seule une solution à base d’opt-in pouvait être envisagée. Si un accord paraissait pouvoir être trouvé sur ce fondement avec les éditeurs américains, ce n’est visiblement pas le cas avec les auteurs réunis au sein de l’Author’s Guild, avec qui Google a repris une guerre de procédure acharnée. Et alors qu’on avait pu penser un moment que l’Author’s Guild allait être déboutée, le tribunal a fini à la fin du mois dernier par conforter sa position, ce qui place à présent Google dans une posture délicate aux Etats-Unis.

Cette situation d’échec dans le volet américain de l’affaire Google Livres contraste avec l’entente qui s’est installée peu à peu en France entre Google et les éditeurs, suite à sa condamnation en justice. Dès novembre 2010, Hachette Livres avait décidé de passer un protocole d’accord avec Google pour la numérisation de 50 000 oeuvres épuisées, sur la base de listes d’ouvrages établis par l’éditeur, ce qui consacrait un retour à l’opt-in. Il avait été suivi de manière emblématique par les éditions La Martinière, qui concluaient en août 2011 un accord paraissant suivre des principes similaires. Gallimard, Flammarion et Albin Michel annonçaient de leur côté en septembre 2011 un abandon des poursuites et l’ouverture de négociations.

L’accord-cadre conclu lundi s’inscrit donc dans une certaine logique et un mouvement graduel d’apaisement. Il consacre sans doute le basculement du groupe Editis, dont la position au sujet de Google Livres restait à ce jour incertaine, ainsi que l’abandon des poursuites par la SGDL, côté auteurs.

Réciprocité

Un internet raisonné où chaque partie se comprend” : les propos d’Antoine Gallimard lors de la conférence de presse mettent en avant l’esprit de réciprocité consacré par cet accord.

L’idée de base pour les éditeurs acceptant d’entrer dans l’accord consistera à travailler avec Google pour dresser une liste de titres figurant dans l’immense base de 20 millions d’ouvrages numérisés de Google, de vérifier qu’il en possède bien les droits et que les livres ne sont plus disponibles à la vente, que ce soit en papier ou en numérique.

L’éditeur aura alors la faculté de décider s’il souhaite que Google commercialise ses ouvrages via son propre dispositif de vente (Google Play), la “majorité des revenus”étant reversés à l’éditeur, d’après Philippe Colombet de Google France. Cet élément est décisif, car on imagine que c’est précisément ce taux de retour sur le produit des ventes de Google qui a satisfait les éditeurs français. Dans la première version du règlement américain, 63% des sommes étaient reversées aux titulaires de droits via le Book Right Registry. Ce règlement prévoyait également qu’au cas où les droits d’exploitation n’étaient pas retournés intégralement aux auteurs, le partage de ces revenus devait se faire à 65% pour l’auteur et à 35% pour l’éditeur. Gardez bien cela en tête, car il est fort probable que l’arithmétique soit beaucoup moins favorable aux auteurs avec l’accord-cadre français. Pour l’instant, il n’est cependant pas possible de connaître dans le détail le contenu de cet accord-cadre, qui ne sera transmis qu’aux éditeurs membres du SNE (et pas aux auteurs ? Tiens donc ? ;-).

En complément de ce partage des revenus, le SNE et la SGDL reçoivent eux aussi des sommes qui serviront pour les éditeurs à financer l’opération “Les petits champions de la lecture” et pour les auteurs à améliorer la base de données de la SGDL. Notons que le montant de ces sommes reste confidentiel côté français, alors qu’il était clairement annoncé en ce qui concerne le Règlement américain (125 millions de dollars). Autre pays, autres moeurs !

Mais l’argent n’est quand même pas tout et en matière de livre numérique, le nerf de la guerre, c’est d’abord la possession des fichiers. Or ici, les éditeurs obtiennent de pouvoir récupérer les fichiers numérisés par Google, assortis du droit d’en faire une exploitation commerciale, selon “plusieurs modalités proposées par Google” d’après le compte-rendu   de la conférence de presse dressé par Nicolas Gary d’Actualitté. Cette expression un brin sibylline renvoie visiblement à des possibilités de distribution, par les propres moyens de l’éditeur ou via des plateformes commerciales, étant entendu que, comme cela avait déjà plus ou moins filtré à propos des accords Hachette et Lamartinière, des exclusivités ont été consenties par les éditeurs français afin que les fichiers ne soient pas distribués par les concurrents les plus menaçants pour Google : Apple et Amazon. A ce sujet, il est sans doute assez cocasse de relever que les questions d’atteinte à la libre concurrence ont joué un rôle essentiel dans le rejet du règlement aux Etats-Unis et que l’Autorité de la Concurrence en France s’est déjà émue de l’évolution de Google vers une position dominante en matière dans le domaine du livre numérique.  Les éditeurs pourront par ailleurs également exploiter les fichiers sous forme d’impression à la demande.

Mis à part ces réserves sur lesquelles je reviendrai plus loin, on peut donc considérer l’accord-cadre français comme un échange de bons procédés, relativement équilibrés même s’il parait globalement très favorable aux éditeurs français. Google de son côté pourra à présent se targuer de l’exemple français pour essayer de trouver un terrain d’entente aux Etats-Unis ou dans d’autres pays dans le monde.

Pur hasard

Pourtant la part d’ombre de l’arrangement n’a pas manqué d’apparaître dès la conférence de presse de lundi, notamment lorsque Antoine Gallimard a dû répondre à propos des rapports entre ce dispositif et la récente loi sur la numérisation des livres indisponibles du 20ème siècle. Pour le président du SNE, “la présentation de cet accord-cadre n’est que pur hasard avec le calendrier de la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles du XXe siècle”.

Mais les similitudes sont tout de même troublantes et le pur hasard a visiblement bien fait les choses. Car la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du 20ème siècle porte exactement sur le même objet que l’accord-cadre conclu avec Google, à savoir le corpus massif des oeuvres qui ne sont plus disponibles à la vente sous forme papier ou numérique, mais qui restent protégées par des droits. Or ce qui frappe immédiatement, c’est la différence de fonctionnement au niveau juridique des deux dispositifs envisagés.

En effet, alors que les éditeurs et les auteurs se sont visiblement battus avec opiniâtreté pour faire triompher l’opt-in dans l’accord-cadre, ils ont accepté avec la loi sur les livres indisponibles que soit introduit dans le Code de propriété intellectuelle français un opt-out !  J’ai déjà eu l’occasion de dire que cette loi était plus que critiquable dans la mesure où elle  portait très fortement atteinte aux principes du droit d’auteur français et que loin de constituer une alternative à Google Livres, elle ne faisait qu’en singer (maladroitement) les modalités.

La fin de l’hégémonie de Google Books ?

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Google serait contraint d'obtenir un accord explicite des auteurs avant la numérisation de leurs œuvres. Que faire pour la ...

Or la loi française, dans l’exposé même de ses motifs, explique qu’il n’était en quelque sorte pas possible de faire autrement que de passer par un opt-out pour introduire un système de gestion collective viable pour les oeuvres orphelines. L’accord-cadre intervenu lundi prouve que c’est absolument faux et que de l’aveu même des éditeurs du SNE et des auteurs de la SGDL, qui ont pourtant fait un lobbying d’enfer pour pousser cette loi, une autre approche était tout à fait possible, plus respectueuse des droits de tous - à commencer par ceux des auteurs –  !

Il est donc évident maintenant que cette loi a introduit dans le Code des adultérations majeures au droit d’auteur quasiment pour rien et pour bien mesurer la gravité de la chose, il faut relire ce qu’en dit par exemple le juriste spécialisé en propriété intellectuelle Franck Macrez dans le premier commentaire du texte paru au Dalloz :

En définitive, et à s’en tenir à la cohérence de la loi nouvelle avec les principes traditionnels du droit d’auteur, le bilan de ce texte voté en urgence est désastreux [...] Les auteurs se voient, par la force de la loi, obligés de partager les fruits de l’exploitation de leur création avec un exploitant dont la titularité des droits d’exploitation numérique est fortement sujette à caution. L’obligation d’exploitation permanente et suivie, qui participe de l’essence même de l’archétype des contrats d’exploitation du droit d’auteur, est anémiée. La présomption de titularité des droits d’exploitation sur l’œuvre au profit de son propriétaire naturel est réduite à néant. Que reste-t-il du droit d’auteur ?

Tactique

Quelle cohérence y a-t-il de la part des éditeurs du SNE et des auteurs de la SGDL a avoir tant poussé pour faire advenir cette loi, alors qu’un accord-cadre avec Google était en préparation ?

On peut penser que la première – et sans doute principale – raison était avant tout d’ordre tactique. Il est beaucoup plus simple de négocier avec un acteur redoutable comme Google si on peut assurer ses arrières en lui faisant remarquer qu’en cas d’échec des pourparlers, on pourra se tourner vers un dispositif national, financé à grands renforts d’argent de l’Emprunt national pour numériser et exploiter les ouvrages indisponibles, sans avoir besoin des services du moteur de recherche.

Mais une fois ce bénéfice tactique empoché, il y a de fortes raisons de penser que les éditeurs préféreront l’accord-cadre au dispositif mis en place par la loi française. Tout d’abord, l’accord-cadre a le mérite de rester secret, ce qui est toujours bien pratique, alors que la loi française, malgré beaucoup d’obscurités lors de son adoption, est lisible par tout un chacun. Comme le fait remarquer malicieusement @BlankTextfield sur Twitter, Google et le SNE pourraient commencer leur opération des “Petits champions de la lecture”… en permettant à tout le monde de lire cet accord ! Chiche ? Sachant que le Règlement Google Books avait lui aussi la vertu d’être complètement public…

L’autre avantage réside sans doute paradoxalement dans les fameuses “exclusivités” que comporte l’accord-cadre, qui empêchent des acteurs comme Apple et surtout Amazon d’exploiter les fichiers. Il faut sans doute moins y voir une condition imposée par Google qu’une entente passée entre tous les acteurs. Car il ne doit pas tant déplaire aux éditeurs français qu’Amazon par exemple soit ainsi mis sur la touche ; Mister Kindle et ses prix cassés étant considérés comme l’antéchrist numérique par beaucoup… En comparaison, il faut reconnaître que le dispositif de la loi sur les indisponibles est plus ouvert, puisque la société de gestion collective qui récupèrera la gestion des droits grâce à l’opt-out est tenue d’accorder des licences d’exploitation commerciales sur une base non-exclusive.

Notons enfin que contrairement à ce qu’a indiqué Antoine Gallimard lors de la conférence de presse, il y a fort peu de chances que la loi sur les indisponibles et l’accord-cadre s’avèrent “complémentaires”, et ce, pour une raison très simple. Si les ouvrages figurent sur des listes permettant à Google de les exploiter commercialement et si les éditeurs récupèrent les fichiers avec la possibilité de les exploiter, par définition, ces livres ne sont PLUS indisponibles. Ils ne peuvent donc plus être inscrits sur la base de données gérée par la BnF, qui constitue la première étape du processus d’opt-out.

Si les éditeurs principaux du SNE font le choix de signer l’accord-cadre avec Google, la loi française sur les indisponibles sera mécaniquement vidée de sa substance et il n’en restera en définitive que les vilaines scories juridiques qu’elle a introduit dans le Code…

Allez comprendre ! Mais vous allez voir qu’il y a d’autres éléments fort éclairants…

Serf

Le grand mérite de cette loi sur les indisponibles est peut-être d’avoir amené un grand nombre d’auteurs à se mobiliser, en marge de la SGDL, pour la défense de leurs droits dans l’environnement numérique.

Des livres libérés de licence

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Les licences libres ont permis l'émergence de succès dans les domaines de la musique et de la photographie. En revanche, la ...

Réunis sous la bannière du collectif “Le droit du serf“, ils ont fait valoir, notamment lors de discussions avec le Ministère de la Culture, que les oeuvres indisponibles doivent être assimilées à des oeuvres épuisées, ce qui dans l’esprit du droit d’auteur français, signifie que les droits devraient entièrement leur revenir. Un éditeur qui laisse un ouvrage s’épuiser manque vis-à-vis de l’auteur à une obligation essentielle du contrat d’édition. Dès lors que l’éditeur reconnaît, comme c’est le cas dans l’accord-cadre avec Google, que les oeuvres sont bien “indisponibles”, il n’est pas normal qu’il puisse continuer à revendiquer des droits numériques et une prétention à toucher une rémunération.

Cette rémunération de l’auteur a toutes chances d’ailleurs d’être réduite à la portion congrue. Souvenez-vous que dans le Règlement américain, il était prévu que 63% des revenus dégagés par Google iraient aux titulaires de droits, avec une répartition de 65% à l’auteur et de 35% à l’éditeur. Dans le dispositif de la loi sur les indisponibles, les sommes doivent être partagées à 50/50 entre l’éditeur et l’auteur (ce qui est déjà plus défavorable…). Avec l’accord-cadre, ce sera dans la plupart des cas sans doute bien pire encore. En effet, pour pouvoir être en mesure d’exploiter les livres sous forme numérique, les éditeurs font signer aux auteurs des avenants concernant les droits numériques. On sait par exemple que c’est ce qu’a dû faire Hachette [PDF] suite à la passation de l’accord en 2010 avec Google. Or il est notoire que les éditeurs dans ce cas font signer des avenants numériques qui maintiennent le taux de rémunération prévu pour le papier (entre 8 et 12% en moyenne). Et beaucoup d’auteurs hélas ont sans doute déjà accepté de tels avenants… ce qui signifie qu’à tout prendre l’accord-cadre avec Google est beaucoup plus rémunérateur pour les éditeurs que la loi sur les indisponibles. C’est plus clair comme ça ?

Soulignons enfin un point essentiel : il y a tout lieu de penser que l’opt-in imposé à Google s’applique en définitive beaucoup mieux pour les éditeurs que pour les auteurs. En effet, comme le fait très justement remarquer dans une tribune caustique l’auteur de SF et pilier du collectif “le droit du serf”, Yal Ayerdhal, la sortie du dispositif de l’accord-cadre va sans doute nécessiter pour les auteurs une action positive en direction de leur éditeur, et le site Actualitté pointe également ce problème :

“[...] que peut faire un auteur pour empêcher que son oeuvre soit numérisée en amont, et non plus en aval, avec cette simple possibilité de faire retirer le livre de la liste ? ” La démarche est complexe, voire laborieuse, et le président du SNE de nous répondre : « Mais en tout cas, il a le droit de la faire retirer. Son droit de retrait est inaliénable. » Le droit, certes, mais rien à faire en amont de la numérisation…

On est donc bien toujours dans l’opt-out… mais pour l’auteur seulement ! Ceci étant dit, ce travers majeur existait aussi dans la loi sur les oeuvres indisponibles, qui offre à l’éditeur des moyens beaucoup plus aisés de se retirer du dispositif que pour l’auteur

Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ?

Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ?

Quelle voie intermédiaire prendre, entre une logique libérable de la privatisation basée sur la publicité et visant ...

Au final, on peut comprendre que certains auteurs se posent des questions à propos du rôle de la SGDL dans cet arrangement, alors que des points de désaccords importants existaient entre le SNE et cette organisation à propos de la question de l’évolution des contrats d’édition numériqueL’organisation répond à ces critiques en mettant en avant le fait que l’accord qu’elle a signé avec Google est indépendant de celui conclu par le SNE.

Admettons… mais comment expliquer alors qu’en 2010, la SGDL ait si vivement réagi à l’annonce du partenariat conclu entre Google en Hachette, en appelant ses membres à la plus grande vigilance ? En dehors du chèque versé par Google, quelles garanties a-t-elle bien pu obtenir qui aient à présent calmé ses frayeurs, alors que les modalités de fonctionnement de l’accord-cadre de lundi semblent identiques à celles de l’accord Hachette ?

D’autres acteurs de la “chaîne du livre” peuvent sans doute nourrir quelques inquiétudes. Il n’est plus question des libraires par exemple, alors qu’en 2011, La Martinière les mettait encore en avant (mais 2011, c’était déjà il y a si longtemps…). Quant aux bibliothèques, elles sont littéralement rayées de la carte par cet accord, alors qu’elles avaient quand même reçu quelques miettes symboliques dans la loi sur les indisponibles. En ce qui concerne leurs propres accords, aussi bien Hachette que La Martinière avaient évoqué la possibilité que les fichiers remis par Google soient transférés à la Bibliothèque nationale de France. Qu’en est-il pour cet accord ? Mystère… Sans compter que la BnF n’est pas l’ensemble des bibliothèques françaises et que la question du déficit criant de l’offre de livres numériques prévue pour elles reste entière.

Trois scénarios

Vous l’aurez compris, la part d’ombre principale de cet accord-cadre réside pour moi dans son articulation avec la loi sur les indisponibles. L’explication la plus simple consiste sans doute à se dire que les éditeurs français ont habilement joué sur tous les tableaux à la fois et qu’ils l’ont finalement emporté partout.

Mais essayons de nous porter dans l’avenir et d’envisager trois scénarios d’évolution pour cette loi :

  1. Le scénario idyllique : Les deux dispositifs s’avèrent effectivement complémentaires, comme l’avait prophétisé Antoine Gallimard. Les éditeurs gardent ainsi le choix entre deux voies différentes pour faire renaître leurs livres indisponibles. Certains vont travailler avec Google, d’autres – en nombre suffisant – passent par la gestion collective de la loi sur les indisponibles. Certains encore distinguent plusieurs corpus et les orientent soit vers Google, soit vers le dispositif Indisponibles, sur une base cohérente. Il en résulte au final deux offres distinctes et intéressantes pour les consommateurs. La France gagne l’Euro 2012 de football et on découvre un nouveau carburant inépuisable sur la Lune. Hem…

  2. Le scénario pathétique : Les éditeurs font le choix massivement d’adopter l’accord-cadre et de marcher avec Google. Comme je l’ai expliqué plus haut, cela tarit à la source le réservoir des oeuvres qui peuvent intégrer le dispositif, faute d’être indisponibles. La gestion collective envisagée par la loi demeure une sorte de coquille quasi-vide. Les sommes considérables de l’Emprunt national dévolues à ce projet auront été mobilisées en vain. Le Code de Propriété Intellectuelle reste quant à lui défiguré. La France est éliminée piteusement de l’Euro de foot 2012 et on apprend que la Lune émet des particules cancérigènes sur la Terre. Hem…

  3. Le scénario machiavélique : Contrairement à ce que j’ai dit plus haut, il existe tout de même une façon de connecter le dispositif  de la loi sur les Indisponibles à l’accord Google. Mais cela me paraîtrait tellement tordu que je n’avance l’hypothèse… qu’en tremblant ! Imaginons que Google et les éditeurs s’accordent sur un délai pour que le moteur n’exploite pas les oeuvres. Celles-ci sont donc bien indisponibles au sens la loi et elles peuvent être inscrites dans la base, ce qui déclenche l’opt-out. Peut alors jouer à plein l’effet de “blanchiment des contrats d’édition”, qui garantit aux éditeurs de conserver les droits, même sur les oeuvres pour lesquelles cela aurait pu être douteux (notamment les oeuvres orphelines).  Google réalise alors en France, ce qu’il ne peut plus rêver d’atteindre aux Etats-Unis, en demandant in fine une licence d’exploitation à la société de gestion collective.  Alors que les français étaient en passe de gagner l’Euro 2012, la finale est interrompue par une pluie de criquets. On découvre sur la Lune une forme de vie cachée, hostile et bavante, qui débarque pour tout ravager. Hem…

PS : merci @BlankTextField pour ses tweets #GBSfr sur cet accord, sans lesquels j’aurais eu bien du mal à démêler cet écheveau…


Images par Mike Licht [CC-by]

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Amazon imprime ses droits http://owni.fr/2011/10/03/amazon-imprime-ses-droits/ http://owni.fr/2011/10/03/amazon-imprime-ses-droits/#comments Mon, 03 Oct 2011 14:19:18 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=81872 Amazon est un libraire verni. Au terme des accords avec les grandes maisons parisiennes, le site prendra 30% du prix des livres électroniques vendus sur sa plateforme française. Mais surtout, il deviendra propriétaire du fichier source de chaque roman ou essai, contrôlant ainsi, de manière exclusive, la distribution des livres dont il aura reçu les droits. “Quand on voit la force de frappe d’Amazon, on sait que les éditeurs ont tout à y gagner” tente de se persuader une éditrice. Le ton est donné.

Stratégie rodée et anticipation du marché

Amazon et les maisons d’édition françaises souhaitent surtout conquérir un secteur en pleine expansion. Pour Amazon, il s’agit d’imposer une unique solution de lecture numérique : la leur, c’est-à-dire la liseuse Kindle. Pour Hervé Bienvault, consultant indépendant sur les stratégies de structuration de contenus et de distribution numérique :

Le but pour Amazon, c’est de reproduire ce qu’ils ont fait aux États-Unis : Amazon c’est 60% de la vente de livres numériques là-bas. Ici, leur stratégie d’expansion est identique et c’est le même principe qu’Apple. Soit proposer un appareil de lecture et un fichier ne pouvant se lire qu’avec une application spécifique, l’idéal pour un modèle vertical. Amazon va à la fois contrôler ce que vous lisez et à la fois contrôler ce que les éditeurs vendent. La situation est monopolistique et leur logique fermée.

Conséquence, un livre acheté ailleurs que sur la plateforme d’Amazon ne pourra pas être lu sur un Kindle. La manœuvre permet de s’assurer la présence du maximum de titres sur son catalogue en ligne, au moment de la sortie en France du nouveau Kindle. Selon le sénateur socialiste David Assouline, le marché du livre numérique aux États-Unis représente 10% des ventes contre 1% en France. Mais en 2010, les ventes ont augmenté sur le continent américain de 202 %, faisant naître en France un grand intérêt.

Contrôle des catalogues

Théoriquement, Amazon sera seulement limité par la législation sur le prix unique. Mais les décrets d’application sont toujours en attente. Pour Anne Chamaillard, directrice commerciale chez Place des Éditeurs, détenteurs notamment de Belfond, Lonely Planète et le Pré aux Clercs :

Des acteurs extérieurs à l’édition peuvent s’immiscer dans notre pricing et faire le forcing pour imposer des politiques de prix aux éditeurs.

Pour l’heure, plusieurs librairies en ligne sont en concurrence. Tel Numilog (50 000 titres) appartenant à Hachette, ou EdenLivre créée par Gallimard, Flammarion et La Martinière (5 000 titres). La Fnac est également de la partie et serait sur le point, selon le site Frenchweb de lancer une nouvelle liseuse. On imagine difficilement l’enseigne détenue par Alexandre Bompard ne pas réagir à l’arrivée du géant américain. Mais Amazon, en plus de pouvoir offrir à l’acheteur un catalogue plus fourni en ouvrages numériques, possède une visibilité que les autres n’ont pas. Son arrivée – bruyante – modifiera durablement les paysages de l’édition.

Retrouvez tous les articles de notre dossier sur OWNI. Image de Une: Marion Boucharlat.
- Les éditeurs se couchent en ligne
- Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent

Illustrations et photos via Flickr par ArnoKath [cc-by-nc-sa]

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Les éditeurs se couchent en ligne http://owni.fr/2011/10/03/amazon-gallimard-hachette-flammarion/ http://owni.fr/2011/10/03/amazon-gallimard-hachette-flammarion/#comments Mon, 03 Oct 2011 06:30:32 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=81705 Plusieurs cadres du groupe Hachette contactés par OWNI ont confirmé que l’éditeur vient de signer un accord avec Amazon pour la diffusion de ses livres numériques. De leur côté, Albin Michel et les éditions du Rocher jouent encore les pudiques et ne voudraient pas que leur mariage avec le site soit officialisé. Tandis que Gallimard est sur le point de s’entendre mais en entourant ses palabres d’une grande discrétion.

Selon notre enquête, après l’annonce, la semaine dernière, d’un partenariat entre Flammarion et Amazon, la plupart des éditeurs historiques de Saint-Germain-des-Prés affûtent leur communication pour expliquer leur passage massif au livre numérique sur Amazon. Non sans peine. Puisque jusque-là beaucoup vouaient une telle évolution aux gémonies.

Au sein du groupe Hachette, Laurent Laffont, directeur éditorial chez JC Lattès se rappelle que les premières positions de son groupe sur le numérique n’ont pas fait l’unanimité. En mai 2010, la maison dirigée par Arnaud Noury arrivait sur iPad et en novembre, il y a un an, elle était la première à s’accorder avec Google sur les conditions de numérisation de ses œuvres épuisées. Pour Laurent Laffont :

La position d’Hachette a été énormément critiquée par les spécialistes du secteur. Et là, revirement de situation, tout le monde a négocié avec Amazon. Mais tous savent que la part de marché réservée au numérique, avec l’arrivée du Kindle en France (NDLR : Amazon lancera à la fin de cette semaine ses premières opérations de communication auprès de quelques journalistes spécialisés) va augmenter.

Hachette ayant discuté de ses différents catalogues avec Amazon, toutes ses maisons d’éditions sont concernées par l’union avec le site. De Grasset à Fayard en passant par Calmann-Lévy et les multiples collections du groupe appartenant à Lagardère. Et notamment Stock et son très fervent défenseur des librairies du monde réel, Jean-Marc Roberts qui déclarait en août sur Europe1 :

Le lieu unique c’est la librairie, c’est pas la vente en ligne. La vente en ligne, moi je crois que c’est ça qui va peu à peu détourner le vrai lecteur de son libraire, et donc de la littérature.

Le goût des arrangements discrets

Du côté des éditeurs traditionnels, petit ou gros, une seule volonté, celle de ne pas reconnaître trop tôt qu’ils sont en cours de négociation voire qu’ils ont passé des accords. Au sein du groupe Gallimard (Denoël, Mercure de France, P.O.L. notamment) un cadre soucieux de son anonymat affirme :

Aucun accord n’est passé, mais évidemment, Amazon et Gallimard se parlent.

Compte tenu de la position de Gallimard vis-à-vis des libraires et les déclarations de son président Antoine Gallimard – auteur du rapport sur la librairie indépendante en 2007 et président du Syndicat national de l’édition (SNE) – inquiet de certains accords qu’Amazon passe avec les acteurs de l’édition, on comprend sa difficulté de communiquer sur le sujet sans risquer de se mettre à dos une bonne partie des libraires.

Alban Cerisier, secrétaire général de la maison d’édition, expliquait dans une rencontre entre acteurs du secteur animée par Pierre Haski en janvier 2011 :

Ce qui nous empêche de signer avec les grands acteurs du marché du numérique aujourd’hui que sont Amazon, Apple, Google [...] c’est uniquement la maitrise de nos politiques commerciales, notre indépendance

Chez Albin Michel, même son de cloche d’un porte-parole :

Nous ne souhaitons pas communiquer sur le sujet, rappelez d’ici quinze jours. Par contre, ce sera peut-être trop tard.

Difficile de croire que Francis Esménard, patron d’Albin Michel, puisse laisser négocier Hachette et Flammarion pour s’installer sur la plateforme Amazon sans que son catalogue y soit présent. Pourtant son aversion pour Amazon n’est pas nouvelle et il déclarait en mars dernier lors des perquisitions effectuées par la Commission européenne aux sièges de Gallimard, Flammarion, Hachette et Albin Michel que le groupe américain ne pourrait pas “mettre la main sur [leurs] fichiers”. Les perspectives de ventes affichées par Amazon ont balayé semble-t-il ces quelques réticences.


Illustrations et photos via Flickr: timtom [cc-by-nc-sa]

Retrouvez tous les articles de notre dossier sur OWNI. Image de Une: Marion Boucharlat.

- Amazon imprime ses droits
- Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent

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Si Jean Giono avait connu les licences libres… http://owni.fr/2011/01/06/si-jean-giono-avait-connu-les-licences-libres/ http://owni.fr/2011/01/06/si-jean-giono-avait-connu-les-licences-libres/#comments Thu, 06 Jan 2011 13:49:20 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=41286 J’aime bien trouver des œuvres au destin juridique singulier. Cela avait été le cas pour Peter Pan, auquel j’ai consacré un billet cet été, mais l’histoire de la nouvelle « L’Homme qui plantait des arbres» de Jean Giono me semble encore plus riche d’enseignements.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il y a quelques jours, en lisant le billet le billet de Thierry Crouzet « eBook gratuit, ça marche », je tombais sur cette petite phrase au détour du premier paragraphe.

Cette année 2010, j’aurais au moins contribué à la propagation du merveilleux texte de Giono, L’homme qui plantait des arbres. Après avoir découvert que Giono avait renoncé à ses droits sur ce texte, je l’ai diffusé sur Apple iBookstore.

La volonté de Giono

Un auteur qui renonce à ses droits sur un de ses textes ? Une pratique inhabituelle, mais en creusant un peu, on se rend compte que cela a bien été la volonté de Giono.

En lisant l’article Wikipédia, on apprend que cette nouvelle été écrite en 1953 pour répondre à un concours lancé par le Reader’s Digest. Elle traite du thème de la reforestation d’une région désertique, grâce aux efforts persévérants d’un berger solitaire, nommé Elzéard Bouffier. Finalement rejetée parce que la rédaction doutait qu’elle s’appuyât sur des faits réels, la nouvelle fut reprise par le magazine Vogue, mais sans que Giono ne demande de droits d’auteur. Par la suite, le texte fut publié dans plusieurs revues  anglaises, allemandes, italiennes, puis françaises et à chaque fois, traduites dans les langues correspondantes, toujours sans que Giono demande à être rémunéré. Dans les années qui suivent l’œuvre a été publiée comme un livre par plusieurs éditeurs et traduite dans toujours davantage de langues.

Dans une lettre adressée en 1957 au Conservateur des Eaux et Forêts de Digne, Giono exprime de manière très claire sa volonté de renoncer à ses droits sur le texte pour favoriser sa diffusion et servir ainsi la cause des arbres :

« Cher Monsieur,

Navré de vous décevoir, mais Elzéard Bouffier est un personnage inventé. Le but était de faire aimer l’arbre ou plus exactement faire aimer à planter des arbres (ce qui est depuis toujours une de mes idées les plus chères). Or, si j’en juge par le résultat, le but a été atteint par ce personnage imaginaire. Le texte que vous avez lu dans Trees and Life a été traduit en Danois, Finlandais, Suédois, Norvégien, Anglais, Allemand, Russe, Tchécoslovaque, Hongrois, Espagnol, Italien, Yddisch, polonais. J’ai donné mes droits gratuitement pour toutes les reproductions. Un Américain est venu me voir dernièrement pour me demander l’autorisation de faire tirer ce texte à 100 000 exemplaires pour les répandre gratuitement en Amérique (ce que j’ai bien entendu accepté). L’Université de Zagreb en fait une traduction en Yougoslave. C’est un de mes textes dont je suis le plus fier. Il ne me rapporte pas un centime et c’est pourquoi il accomplit ce pour quoi il a été écrit.
J’aimerais vous rencontrer, s’il vous est possible, pour parler précisément de l’utilisation pratique de ce texte. Je crois qu’il est temps qu’on fasse une « politique de l’arbre » bien que le mot politique semble bien mal adapté. »

J’apprécie tout particulièrement la phrase « C’est un des textes dont je suis le plus fier. Il ne me rapporte pas un centime et c’est pourquoi il accomplit ce pour quoi il a été écrit ». Elle montre – n’en déplaise à certains ! – qu’un auteur, et non des moindres, peut vouloir renoncer à ses droits sur une œuvre et la destiner à d’autres fins qu’à l’exploitation commerciale. A vrai dire, Giono n’a pas empêché que des revues ou des éditeurs fassent un usage commercial de son texte, mais il a visiblement pris garde à ne pas céder ses droits à titre exclusif au bénéfice d’un seul éditeur, sans réclamer de contrepartie financière.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Quand les éditeurs compliquent les choses

L’histoire pourrait être très belle si elle s’arrêtait là, mais il y a hélas une suite navrante, qui montre à quel point le contrôle des auteurs sur leur création est une chose fragile et comment la volonté de Giono aurait certainement été mieux respectée s’il avait pu placer son œuvre sous licence libre.

En 1987, l’œuvre est adaptée par l’illustrateur canadien Frédéric Black sous la forme d’un film d’animation, aux dessins somptueux avec une narration par Philippe Noiret, qui rencontra un vif succès et remporta plus de 40 prix, dont l’Oscar du meilleur film d’animation (voyez les deux vidéos qui illustrent ce billet + ici et pour la suite).

On pourrait se réjouir de ce second souffle donné à cette œuvre, suite à l’adaptation sous forme de film d’animation, mais ce fut hélas au prix d’une atteinte à la volonté de Giono de placer son ouvrage dans le domaine public.

En cherchant un peu sur la Toile, on trouve trace d’une action intentée en 2005 par Direct Cinema Limited, le distributeur vidéo du film d’animation, pour faire retirer le texte de la nouvelle de Giono de Wikisource dans lequel il avait été chargé. Visiblement, la société affirmait être « titulaire des droits sur le texte » et elle en a demandé le retrait sur plusieurs sites outre Wikisource qui le diffusaient librement. On apprend en outre ici que c’est peut-être dans les années 80 à l’occasion d’une édition de la nouvelle aux États-Unis qu’une « chaîne des droits » s’est reconstituée autour d’un éditeur s’étant approprié le texte en dépit de la volonté de l’auteur.

Le même scénario s’est reproduit en début d’année, lorsque Gallimard a adressé à la Fondation Wikimedia une demande de retrait d’œuvres majeures de Wikisource, en s’appuyant sur un conflit de lois qui fait que ces textes sont déjà tombés dans le domaine public dans certains pays comme le Canada, mais pas en France où la durée de protection est plus longue. En arguant du fait que les contenus en français sont destinés à être vus par un public français, l’éditeur a exigé l’application de la loi française et imposé le retrait. Parmi la liste des œuvres visées figurait « L’homme qui plantait des arbres de Giono ».

On peut se demander comment Gallimard peut valablement revendiquer un droit sur cette œuvre, en dépit de la volonté affichée par l’auteur de son vivant. En 1980, la nouvelle a fait l’objet d’une première édition chez Gallimard parmi les Œuvres romanesques complètes de Giono. Elle a fait par la suite l’objet d’éditions dans d’autres collections en 1983, 1996 et 2002. Gallimard aurait-il obtenu une cession des droits auprès des ayants droit de Giono (mort en 1980) ?

Les licences libres, une clarification de la volonté de l’auteur

C’est ici que l’on se dit que les choses auraient été infiniment plus simples si jean Giono avait connu les licences libres et avait pu placer sa nouvelle sous l’une d’entre elles de son vivant. Car à son époque, il n’existait aucun mécanisme juridique balisé permettant à un auteur de renoncer à ses droits sur une œuvre.

A vrai dire, Giono toute sa vie n’a fait que multiplier des autorisations ponctuelles d’usage à titre gratuit de son œuvre. Cette succession d’autorisations indique une volonté, mais elle ne fait pas naître de son propre fait un acte juridique valable exprimant le renoncement aux droits. Cela n’est pas la même chose que d’accorder une autorisation a priori de réutilisation par le biais d’un outil comme une licence Creative Commons par exemple et le cas de la nouvelle de Giono montre à quel point ces outils sont précieux pour rendre publique la volonté de l’auteur et la faire perdurer dans le temps.

En analysant la pratique de Giono, on peut constater qu’il permettait les usages à titre commercial (pas de clause NC) et qu’il a aussi autorisé de nombreuses traductions et adaptations (pas de clause ND). On peut penser qu’il aurait pu opter pour une licence CC-BY ou mieux CC-BY-SA, qui aurait empêché la réappropriation par des tiers. Plus vraisemblablement son intention était-elle d’aller encore plus loin et de verser son œuvre par anticipation dans le domaine public, auquel cas il aurait pu employer la licence Creative Commons Zéro.

Remarque importante : Je ne suis pas en train de dire qu’il faut placer « L’homme qui plantait des arbres » sous une licence libre ! Le dernier blogueur qui s’est cru autorisé à placer l’œuvre d’un romancier sous Creative Commons a fait pas mal parler de lui des derniers temps, mais seul le titulaire des droits sur une œuvre peut valablement choisir de la placer sous licence libre.

Voilà le destin juridique un peu triste de cette nouvelle. J’espère que son récit pourra convaincre que les licences libres, contrairement à ce qu’il est dit trop souvent, protègent la volonté des auteurs, tandis que les mécanismes de cession des droits à des intermédiaires peuvent conduire à rompre le lien entre le créateur et son œuvre. Il montre aussi l’importance du domaine public dans la dynamique de la création et de la diffusion des idées, ainsi que l’intérêt de reconnaître l’existence d’un domaine public « volontaire », à côté du domaine public classique.

Je termine en citant les premières lignes, absolument remarquables, de « L’homme qui plantait des arbres » :

Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable.

On peut y voir une mise en abîme, aussi bien applicable au héros de la nouvelle, qu’à l’auteur lui-même et à son geste généreux.

Avec une certaine émotion, je vous salue, Monsieur Giono.

>> Article initialement publié sur S.I.Lex

>> Illustration FlickR CC : Eleaf

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L’édition française est-elle encore soviétique ? http://owni.fr/2009/11/22/ledition-francaise-est-elle-encore-sovietique/ http://owni.fr/2009/11/22/ledition-francaise-est-elle-encore-sovietique/#comments Sun, 22 Nov 2009 16:44:37 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5625 statues_flamboyantes1Antoine Gallimard vient de donner lors du Forum d’Avignon une interview au Figaro (le buzz média – Orange – Le Figaro) sur l’avenir du livre numérique. Encore une, dira-t-on. Mais cette fois, les termes employés par le patron de la prestigieuse maison d’édition rejoignent presque complètement les propos du patron de la maison Hachette, Arnaud Nourry, qui s’était exprimé quelques jours auparavant lors d’un petit déjeuner INA-Odéon. Les deux hommes, séparés par une barrière conceptuelle apparemment irréductible, semblent étonnamment proches l’un de l’autre sur la question du livre numérique.

Tous deux s’insurgent contre la concurrence déloyale que viennent leur faire les géants  de la distribution en ligne, à la fois par une véritable guerre des prix (Amazon), et par un non-respect assez prononcé du droit d’auteur (Google). Tous deux redoutent les dangers du piratage tel qu’ils l’ont vu atomiser le marché physique de la musique. Tous deux s’inquiètent de l’actuel taux de TVA à 19,6% appliqué en France sur le livre numérique. Enfin ils semblent d’accord sur le fait de présenter un front uni, c’est-à-dire une plate-forme unique (ou des plate-formes interopérables) face à la concurrence anglo-saxonne.

Dans ce concert consensuel d’appels à la raison et à la défiance vis-à-vis de la révolution numérique, nos deux compères fustigent également le terrifiant Google Books et son accord américano-américain excluant le reste du monde (Le cas par cas étant plus facile à traiter quand on a la taille de Google plutôt que de devoir faire face à une fronde de tous côtés). Et en cela, Antoine Gallimard et Arnaud Nourry ont bien raison. Car Google est une machine de guerre bien entretenue et parfaitement équipée pour écraser n’importe quel concurrent sur son passage au jeu traditionnel de la confrontation juridique. Faute d’une véritable cohésion, l’édition française pourrait bien rapidement manger son pain noir et reculer sur tous les fronts à la fois.

Cette extraordinaire similitude entre les discours est inquiétante. Elle laisse entendre que les éditeurs-distributeurs français n’ont pas de discours propre, singulier, réfléchi sur la situation. Aucun n’a anticipé cette situation pourtant visible depuis plusieurs années. Enfin pas un seul des grands groupes d’édition française n’a daigné écouter les voix de ceux et celles qui prédisaient cette révolution en menant des expériences d’édition sur le terrain. D’où une étonnante incapacité à répondre de manière efficace aux problématiques actuelles et surtout de répliquer intelligemment à l’arrogance de Google et de sa filiale française.

La symétrie des discours pose un autre problème de taille, celui de la représentation que se font les grands de l’édition française de leur monde. Outre le paternalisme patent dans le discours des deux PDG vis-à-vis de l’édition indépendante, il y a cette agaçante collusion avec les appareils de l’Etat français qui seraient comme garants de la suprématie des français sur le péril étranger. Il y a là comme un soviétisme mou mais insurpassable qui lie l’institution et les éditeurs, et ce malgré la démolition progressive et discrète du CNL et de la DLL. La culture en France aurait un représentant officiel, le ministre. Et celui-ci défendrait les droits commerciaux des éditeurs (essentiellement les happy few qui tiennent le marché de la distribution). D’ailleurs, le ministre n’ a-t-il pas demandé sa part du gâteau du Grand Emprunt pour financer, à hauteur de plus de 750 millions d’euros, la numérisation du patrimoine culturel. N’est-ce pas là la réponse du berger à bergère ?

Cette étonnante ressemblance avec les dispositifs soviétiques de financement de la culture du défunt empire socialiste russe est frappante à la fois par les objectifs avoués (protéger la production nationale) et par le fonctionnement (conserver l’exclusivité et la supériorité nationales). Et c’est cet appareil déloyal du point de vue de la concurrence interne et externe qu’attaquent les tenants de l’économie globale de manière directe et indirecte.

Comme tous les appareils soviétiques, les dispositifs français se constituent en dehors de la demande et des attentes du public et surtout en marge de tout dialogue ou de toute possibilité d’intervention de ce même public. Les institutions et les grandes maisons jouent au jeu de la patate chaude, faisant des effets d’annonces pour démontrer leur bonne volonté commune, mais tout cela au détriment les acteurs sous-représentés de la profession (les éditeurs indépendants, les « petits ») et surtout au détriment des auteurs d’un côté et des lecteurs de l’autre.

En fait, plutôt que de mobiliser les quelques 3 000 maisons dites « indépendantes » au travers d’une politique plurielle, sectorielle et d’envergure menée par le SNE, les « grands » préfèrent la stratégie éculée du white washing. Ils montrent patte blanche, criant au loup, proposant chacun leur plate-forme de distribution, imitant à la perfection les modèles anglo-saxons et espérant que l’institution publique se chargera de verrouiller le marché et de tuer la concurrence étrangère. De cette manière, Google et les autres devront négocier avec un Etat souverain (et s’exposer à une extension de la confrontation aux relations internationales avec les Etats-unis). De leur côté, les « petits », les auteurs, les libraires et les lecteurs devront se résigner à la perpétuation du monopole de quelques uns sur un marché juteux.

statue_romaineLes risques d’une telle posture protectionniste, qu’elle soit française ou européenne, sont nombreux.

En tête, celui de voir la population des lecteurs migrer progressivement, sur une période de dix ans, vers des contenus gratuits en langue anglaise. Ce risque est d’autant plus grand que la France mène une politique de contraction et de coupes budgétaires sur les institutions culturelles à l’étranger (Centre culturels et Alliances françaises) qui ont fait son rayonnement pendant plus d’un siècle. L’invasion culturelle anglo-saxonne sera alors presque totale. Après les secteurs du cinéma, de la musique et de la télévision, le livre qui formait une sorte de dernière ligne de défense sera soumis à la dictature de la culture anglo-américaine. Dans un contexte européen, seuls les espagnols tireront leur épingle du jeu, car ils disposent d’une forte culture littéraire au niveau mondial et surtout d’une représentation déterminante sur le sol américain.

Le deuxième risque est de voir la guerre des prix et la balkanisation de l’offensive de Google complètement asphyxier les petites maisons d’édition et les librairies. Plus d’une sera tentée de rejoindre les géants et de s’écarter des modèles traditionnels français pour adopter les modèles parallèles dématérialisés. Si pour la plupart le gain en frais fixes sera une aubaine, ils seront cadenassés par les CGU de ces mastodontes qui ne s’encombrent ni du droit moral de l’auteur, ni d’une politique culturelle de prix unique du livre. Seules les grosses structures pourront résister aux chocs successifs qui s’accompagnent de l’inéluctable numérisation du monde scientifique, des publications scolaires, des parutions spécialisées en droit, en finance, en comptabilité, en informatique… Mais aussi tout le secteur pratique et touristique qui est salement mis en échec par l’arsenal des applications pour smart phones. Autant de niches qui disparaîtront définitivement des offres de l’édition classique.

La troisième menace sera, comme le craignent Antoine Gallimard et Arnaud Nourry, le piratage systématique et parfaitement incontrôlable par les dispositifs policiers voulus par les lobbies de la musique et du cinéma (HADOPI). Le piratage sera la solution première chaque fois que l’offre légale ne sera pas disponible, comme le démontre le rapport de Mathias Daval publié par le MOTif. Et dans l’incapacité de faire fi d’une chronologie des sorties de livres (d’abord en papier, puis en numérique), les maisons d’édition de tailles intermédiaires seront mises à mal sur les derniers pans de leurs métiers.

D’autres risques liés à la diversité des méthodes de référencement et d’archivage des publications, à la lenteur de la numérisation des fond patrimoniaux, à l’absence de politique cohérente et unifiée sur la gestion du patrimoine culturel, et au rôle des bibliothèques viendront aggraver les difficultés des maisons d’éditions et des groupes de distribution du livre. Seuls, des entités à niveaux multiples et à forte composante financière comme Hachette Livres et comme Editis-Planeta, disposant d’une réelle dimension internationale, pourront restructurer leurs actifs et prendre une part sur les marchés du livre numérique à un niveau mondial. Cela se fera dans la douleur de devoir couler quelques fleurons de l’édition française du vingtième siècle.

Antoine Gallimard et Arnaud Nourry ont raison de se méfier des hordes barbares numériques. La révolution numérique en marche comporte de nombreux périls. Mais ces derniers proviennent essentiellement de la marge de manœuvre laissée aux nouveaux entrants et surtout au manque de clairvoyance et d’anticipation dont font preuve les grosses maisons, persuadées comme les tribuns romains d’antan que l’Empire était inaltérable… Sic transit gloria mundi.

Il est temps pour les décideurs de se réveiller et de travailler, au delà des représentations et des clivages traditionnels, avec les acteurs du terrain. Ils sont ceux et celles qui effectuent le travail de fourmi et disposent de données et d’expériences propres à mettre en échec les tentatives hégémoniques des colosses aux pieds d’argile que sont les Google, les Amazon et autres du monde numérique. La révolution numérique change énormément de choses périphériques mais finalement peu de l’essentiel, et cela les patrons de grandes maisons, assis la-haut dans leurs perchoirs ont tendance à l’oublier…

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L’édition française contre le péril numérique… http://owni.fr/2009/11/02/ledition-francaise-contre-le-peril-numerique/ http://owni.fr/2009/11/02/ledition-francaise-contre-le-peril-numerique/#comments Mon, 02 Nov 2009 01:25:41 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5077 La fin de semaine étant rarement un moment de folle activité pour l’information régionale, Le Monde en profite pour sortir un volant d’opinions au titre accrocheur : le livre survivra-t-il à Internet ? Son casting est impressionnant : Arnaud Nourry [patron de Hachette Livre], Antoine Gallimard [héritier émérite et P-D.G. du groupe du même nom], Bruno Racine [patron de la BNF], Arash Derambarsh [Directeur de dépt. au Cherche-Midi], Rémy Toulouse [Directeur des éditions Les prairies ordinaires] qui font suite à Roger Chartier qui les a précédés de quelques jours.
L’édition française et les principaux représentants du livre sont là, en ordre de bataille, chacun avec ses arguments, pour lancer un bombardement massif contre Google et le péril numérique. Il y a cependant quelques absences notables comme celle de Editis, qui ne manque certainement pas de portes-paroles, ou celle de La Martinière, en procès avec le géant américain…

BNF sideDevant une telle mobilisation et une concentration inhabituelle, on serait en droit d’attendre du grand spectacle, un authentique blockbuster ! On espère des projets d’envergure, des partenariats inédits, des actions au niveau international et la forge d’un nouveau discours du livre. Et c’est ce que nous vend le titre, tel une bande annonce hollywoodienne : têtes d’affiches, pitch percutant, promesse de divertissement, succès assuré…
Mais voilà, comme beaucoup de productions cinématographiques d’outre-Atlantique, tout est dans le titre et rien n’est dans le film. Bien que la situation de l’édition française ne ressemble pas à la situation de l’édition musique et vidéo d’il y a cinq ans, la communication et les réflexes sont les mêmes. Les quelques points clés sont courus d’avance :
— l’édition ne se laissera pas spolier par l’ennemi étranger,
— les éditeurs sont les gardiens des droits des auteurs, les cerbères du patrimoine,
— le livre résistera au « tsunami » numérique,
— la garde meurt mais ne se rend pas…

Si Bruno Racine tempère les passions en bon énarque et que Rémy Toulouse relativise l’impact réel sur les petits éditeurs, le reste de la troupe mène une campagne napoléonienne. Faisant preuve d’une imagination très limitée, d’un discours convenu et d’une argumentation faible, voire fébrile, malgré des effets de manche, les « grands » de l’édition française peinent à démontrer des axes clairs et d’éventuelles actions solidaires. Tout le monde est d’accord pour désigner l’ennemi, mais personne ne propose de terrain commun, ni de politique conjointe.

Personne, sauf Hachette, qui fort de sa mainmise sur la distribution papier, n’hésite pas à ouvrir la porte de sa tour d’ivoire à qui voudra bien en passer le seuil. Arnaud Nourry n’y va pas par quatre chemins et écrit : « Habitués à tort à se méfier d’Hachette, mes confrères sauront-ils percevoir le danger que les bouleversements en cours font peser sur toute la profession ? Ma porte leur est grande ouverte. » Si l’intelligence se mesure à l’aune du chiffre d’affaire, évidemment les confrères de Hachette Livres sont particulièrement bêtes. Mais sa stratégie ne se limite pas à la politique de la main tendue, comme si sa position dominante ne pouvait être remise en question.
Arnaud Nourry va plus loin, faisant la liste des dangers qui menacent : la guerre des prix, la concurrence déloyale de Google (qui méprise le droit d’auteur) et d’Amazon (qui emprisonne les lecteurs dans son Kindle), le diktat de la politique de distribution… Hachette ne craint pas ce péril numérique car il est le leader français du stockage et de la commercialisation des livres numériques. Et qui plus est, Hachette n’est plus un groupe français mais international, un acteur majeur du marché américain. Il ne craint personne depuis qu’il a, à l’instar de Google, signé son propre accord avec Lightning source, filiale du géant Ingram, leader incontesté de la distribution américaine et grand rival de Amazon sur le livre.

Le discours de la grande braderie est le même chez Gallimard, qui convoque aussi bien les antiques que les classiques pour défendre l’honneur et l’intégrité des œuvres. Car chez Gallimard, les œuvres ont connaît. Et elles n’ont rien à craindre de Twitter et autres médias sociaux pour illettrés : « Sans craindre que les cent quarante caractères imposés par Twitter ne viennent inhiber le lecteur d’une “Pléiade” de 2 500 000 signes, on peut s’interroger sur les conséquences de l’absence d’une véritable pratique de l’écriture, sur la disparition des correspondances et du temps de lecture qui leur est consacré. » nous dit-il. Ça fera plaisir à Thierry Crouzet et c’est occulter les résultats les plus récents qui démontrent que les possesseurs de Kindle achètent (et lisent) plus de livres que les lecteurs conventionnels.
En tous cas, pas question de pactiser avec le diable (Google) ou avec la pieuvre verte (Hachette) : « Ces temps-ci, on reproche aux éditeurs d’arriver dans le désordre, en multipliant le nombre de plates-formes de distribution. Mais on se trompe de cible : il s’agit, au contraire, d’une précaution élémentaire, légitimée par un siècle et demi de pratiques éditoriales. L’alternative, en matière de distribution, est salutaire, même au plan national. » déclare Antoine Gallimard, qui comme son homologue n’en est pas un paradoxe près. C’est ainsi que l’auguste maison compte, avec ces alliés (Flammarion et La Martinière/Seuil), combattre elle aussi le péril numérique. Ici ce ne sont pas les millions qui seront décisifs mais la volonté.

tour_belemArash Derambarsh, directeur du département politique et personnalités publiques au Cherche Midi, fait sobrement l’état des lieux. Mais en tentant de se faire le médiateur diplomate entre les positions conservatrices des uns et l’inévitable virage numérique, il ne fait qu’amplifier le décalage qui existe entre les deux mondes : celui du papier et celui des réseaux numériques. A mesure qu’il avance dans son propos, Arash Derambarsh nous dit d’une manière presque naïve que la mutation est inéluctable, qu’il faut s’y préparer, et qu’une offre légale payante est la seule issue. C’est l’aveu de l’impuissance de l’industrie toute entière.

En seulement cinq papiers et une tribune offerte par Le Monde, la pensée unique et obsessionnelle de l’édition française (et même européenne) apparaît clairement : c’est à l’Etat d’intervenir et de mettre en coupe réglée toutes ces hordes barbares débarquées depuis l’autre rive de l’océan. Ce réflexe de déresponsabilisation du secteur privé devient une mode aussi coûteuse qu’intolérable. Quand les banques jouent aux apprentis sorciers dans la finance, c’est l’Etat qui trinque et les contribuables qui payent. Quand les majors de la musique détruisent leur réseau de détaillants avec des politiques sanguinaires et cannibales, et au moment de l’addition, c’est à l’Etat de bricoler des lois liberticides pour sauver leur business. Cette fois, ce sont les groupes d’édition (et dans la foulée les titres de presse) qui n’ont rien anticiper de ce qui se déroulait devant leurs nez, et c’est à l’Etat de trouver des solutions. C’est ahurissant de voir des groupes financiers de taille respectable démontrer leur incapacité totale et faire peser sur la collectivité (c’est-à-dire leurs clients !) le poids de leur incompétence.

Remy Toulouse donne une piste de travail : « …cela passe aujourd’hui sans aucun doute par la défense du livre papier, ainsi que par une vigilance critique renouvelée face à une industrie du livre dont les dysfonctionnements sont légion. » N’est-ce pas à ce niveau que l’Etat devrait intervenir et édicter des règles ? Il s’agit alors d’imposer à la grande distribution des contraintes dures sur la vente des livres. Il s’agit aussi d’appliquer les principes de base de la concurrence dans la distribution du livre et protéger les libraires de la mainmise des uns et des procédés de requins des autres. Enfin il s’agit d’instituer de nouvelles dispositions pour le droit des auteurs et de redonner à ces derniers le pouvoir de bénéficier pleinement et de contrôler les œuvres qu’ils et elles ont produites. Mais tout porte à croire que ce n’est pas de ce genre de dispositions dont veulent les groupes d’édition français.

Récemment, Mark Coker, pionnier de l’édition numérique, se fendait d’un billet dans le Huffington post portant un titre évocateur : Do Authors Still Need Publishers? [Les auteurs ont-ils encore besoin des éditeurs ?]. Il y expliquait par le menu pourquoi les “publishers” (qui n’ont pas d’équivalent en France tant l’éditeur et le diffuseur sont enchaînés l’un à l’autre) devaient passer d’une culture d’entreprise tournée vers les actionnaires et les marchés à une culture d’entreprise tournée vers les auteurs et les lecteurs, sous peine de disparaître purement et simplement de l’équation. Il n’est pas le seul à penser ainsi, loin de là. Mais apparemment, cette pensée là ne parvient pas à pénétrer les bureaux feutrés de nombre de groupes d’édition européens. Le réveil sera difficile et la chute promet d’être vertigineuse.

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