OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Jusqu’où hacker l’humain? http://owni.fr/2011/05/26/jusquou-hacker-lhumain/ http://owni.fr/2011/05/26/jusquou-hacker-lhumain/#comments Thu, 26 May 2011 14:10:05 +0000 Denis-Quentin Bruet http://owni.fr/?p=64695 Et si l’on pouvait pirater le corps humain ? Rêve de cyborg, le biohacking désigne les expérimentations biotechnologiques qui cherchent à manipuler le vivant. Aussi appelé biologie de garage, biopunk ou Do-it-yourself biology, le biohacking a pour objectif de se réapproprier la machine humaine et, peut-être, de percer le code universel du vivant. Alors, le biohacking : rêve ou réalité ?

C’est à cette question que tenteront de répondre les participants aux conférences et aux ateliers de Faire / Savoir le Web qui aura lieu le 26 mai à la Cantine : jusqu’où hacker l’individu ? A l’heure où les transhumanistes multiplient les prédictions parfois fantaisistes, le concept de la conférence consiste à confronter le «savoir», les grands discours sur l’avenir, et le «faire», les ingénieurs capables, aujourd’hui, de dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Silicon Maniacs apporte sa pierre à l’édifice en présentant les 3 cas pratiques du 26 mai.

Cas pratique #1 : parlez-vous dauphin ?

Rêve / Avec Un animal doué de raison, Robert Merle rêvait déjà de communiquer avec nos amis les dauphins. Années 1960 obligent, la solution qu’il avait alors entrevu était de leur apprendre l’anglais… Pas terrible. Aujourd’hui, les nouvelles problématiques du langage tournent davantage autour des secrets du codage de l’information : existe-t-il un code universel ? Des 0 et des 1 qui nous permettrait de dialoguer avec notre chien ? Dans le transhumanisme, sous la plume d’un Kurzweil par exemple, l’être humain est une machine biologique. Admettre cela revient ainsi à élargir le spectre du « post-humain » à d’autres espèces comme les mammifères les plus intelligents : robots et animaux. Imaginez une société où dauphins, singes, rats et animaux humains vivraient en harmonie ?

Réalité / Communiquer avec les dauphins, c’est déjà possible. Et oui : intelligents, ceux-ci peuvent être amenés à comprendre certains de nos gestes pour accomplir des pirouettes et impressionner les touristes. Mais si les dauphins sont suffisamment intelligent pour nous comprendre, l’inverse n’est pour l’instant pas tout à fait vrai… Cela fait des dizaine d’années que des scientifiques tentent de percer le secret de ce langage, en vain (voir ce dossier exhaustif) ! Aujourd’hui, aux Etats-Unis, des scientifiques américains du Wild Dolphin Project se sont plongés dans le langage de nos amis les dauphins avec une idée originale : au lieu de chercher à imposer notre langage, pourquoi ne pas co-créer un langage avec les dauphins ? Le Dr. Denise Herzing, fondatrice du WDP, et Thad Starner, chercheur en I.A, ont conçu un ordinateur sous-marin capable de reconnaitre et de localiser les «discussions» des dauphins. Utilisant des hydrophones pour repérer les sons, et des LED pour en indiquer la direction, la machine est ensuite utilisée pour rejouer certains sons et observer la réponse. L’idée : fournir aux dauphins l’un des huits mots créé par l’équipe pour désigner certains objets précis comme « algues » ou « poissons ». Les dauphins pourront-ils les répéter et les utiliser ? Cela permettrait ensuite au Dr. Denise Herzing de pouvoir cataloguer toutes les variables phonique du chant des dauphins et, peut-être, en percer la grammaire tant espérée. Finalement, c’est la machine qui jouera le rôle d’intermediaire entre nos deux espèces !

Cas pratique #2 : Jusqu’où hacker l’humain ?

Rêve / Pour les Transhumanistes, pas de doutes et, surtout, pas de limites, l’être humain doit se fondre dans la machine : il faut hacker le vivant pour créer des cyborgs à l’intelligence décuplée ou, alors, uploader son esprit dans le cyber-espace. Cette dernière possibilité est rendue possible par l’espoir presque millénariste de l’apparition de la Singularité. Selon les prédictions de Ray Kurzweil, la Singularité, qui doit apparaître aux environs de 2045, est à la fois une entité et un moment Historique lors duquel l’intelligence des ordinateurs dépassera celle du cerveau humain. Mais est-ce souhaitable ? Cela ne risque-t-il pas de décupler les inégalités ou, pire, de rendre l’être humain obsolète ? Selon Hugo de Garis, chercheur en I.A, l’apparition d’une intelligence artificielle divisera le monde et déclenchera une guerre, provoquant des milliards de morts, explique-t-il dans The Artilect War (2005). Et oui, toutes les prédictions transhumanistes ne sont pas positives ! Hugo de Baris poursuit en posant la question de la domination des espèces par des intelligences artificielles qu’il appelle artilects. Cela risquerait de déclencher la gigadeath, la troisième (et sans doute dernière) guerre mondiale. Dans ce cadre, on pourrait s’interroger : faut-il ouvrir la boite de Pandore du biohacking ?

Réalité / Mais, concrètement, le cyborg, on en est où ? « Pionnier », « aventurier », « guignol », les adjectifs ne manquent pas pour désigner Kevin Warwick, l’homme que les medias ont, dès 1998, baptisé : « le premier cyborg ». Après s’être implanté une puce RFID sous la peau, Kevin Warwick s’implanta une puce interfacée avec un nerf de l’avant-bras, ce qui lui permettait de contrôler, à distance, une main robotique. Mais, dès aujourd’hui, au-delà des figures les plus médiatiques – et polémiques – des chercheurs cherchent à créer de nouvelles interfaces entre le corps humain et les machines, en recréant le corps dans un but…. médical. Telle est l’idée du professeur Don Igber, Directeur de l’institut Wyss à Harvard, qui a conçu des simili-organes qui permettent de tester de nouveaux produits pharmaceutiques : ce sont de véritables cellules vivantes qui sont placées sur une puce biocompatible. Les cobayes de laboratoires apprécieront. Un hack peut-être, mais un hack thérapeutique !

Pour lire les autres articles de Silicon Maniacs sur le biohacking :

Autopsie de l’immortalité

i-résurrection : mode d’emploi

La mort vous web si bien

Cas pratique #3 : l’IP des objets ?

Rêve / L’IP est un service d’adressage pour l’ensemble des terminaux connectés à internet. Mais, avec l’extension du réseau wifi et la réalité augmentée, on peut s’interroger : et si les objets aussi se connectaient au web ? Pour qu’internet se prolonge dans le monde réel, l’internet des objets, IdO pour les intimes, doit leur associer un IP, comme une étiquette qui permet le lien entre les deux mondes. Mais si les objets ont leurs IP, les humains pourraient, un jour, avoir le leur, par le biais d’une puce intra-cutanée… Cela ne risque-t-il pas de mettre fin à l’anonymat sur internet ? Faut-il favoriser les IP dynamiques aux IP statiques ? Voila qui permettrait de continuer de surfer sur internet sans être aussi repérable que dans le monde réel !

Réalité / Les prédictions ne sont pas l’apanages des seuls transhumanistes, de nombreux experts ont prévenu depuis longtemps que le stock d’IP arrivait bientôt à son terme et… ça y est ! Les projections placent la panne sèche à la moitié de cette année. Principal responsable ? L’explosion de l’internet mobile qui a littéralement dévoré le stock d’IP. Première solution, l’IPv6 qui fournira pres de 667 millions de milliards d’adresses IP disponibles par mm2 de la surface de la Terre.

Pour lire les autres articles de Silicon Maniacs sur l’internet des objets :

Internet des objects : let’s get physical !

Arduino, le documentaire

Quand l’internet des objets touche à l’intime

Événement à la Cantine: Faire/Savoir le web

Pour en savoir plus sur les 3 cas pratiques, n’hésitez pas à venir le 26 mai. En partenariat avec Silicon Sentier, Owni, le Centre Pompidou, Internet Actu et Silicon Maniacs, l’atelier-conférence aura lieu à partir de 18h30 à la Cantine, en présence de Ariel Kyrou, Rémi Sussan, Guillaume Dumas, Olivier Nerot et Rand Hindi.

Toutes les infos et inscription à l’évènement à Paris, sur le site de La Cantine.

Illustrations Wikimedia Commons CC by-sa Aavindraa et Flickr CC by-nc-sa Florism

Initialement publié sur SiliconManiacs sous le titre BioHacking : Hacker le vivant

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Même pas mort dans ma deuxième vie numérique ! http://owni.fr/2011/02/14/meme-pas-mort-dans-ma-deuxieme-vie-numerique/ http://owni.fr/2011/02/14/meme-pas-mort-dans-ma-deuxieme-vie-numerique/#comments Mon, 14 Feb 2011 16:36:19 +0000 Capucine Cousin et Jean-Christophe Féraud http://owni.fr/?p=46636 Avez-vous déjà songé à ce que deviendront vos mails, vos tweets, votre page Facebook ou votre blog une fois passé à trépas ? Le fantôme de votre double numérique hantera-t-il pour toujours le cyberespace à coup de posts automatiques  et de “c’est votre anniversaire” sur le “Social Network”? Votre compte Twitter continuera-t-il à vivre alimenté par des posts en 140 signes robotisés ou sera-t-il usurpé par un proche ou un inconnu entretenant l’illusion pour vos 4000 followers ?

Sans y penser, vous semez chaque jour, à chaque heure, parfois à chaque minute les traces de votre existence et de vos pensées  sur les dizaines de milliers de serveurs qui font battre le coeur du Réseau. Et vous vous assurez ainsi une postérité numérique, une forme d’immortalité sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Demain, à partir de cet ADN digital, vos descendants pourront peut-être recréer votre personnalité sous la forme d’un avatar “3D” doté d’une intelligence artificielle avec qui ils pourront conserver : “Dis c’était comment cher Aïeul au début du XXIème siécle ? Et qui était cette femme que tu as tant aimé ?”… Encore plus fou, n’avez-vous jamais rêvé (ou cauchemardé) de renaître à la vie par la grâce d’une manipulation de votre ADN biologique, cette fois, cloné par quelque savant fou qui donnerait naissance à un Golem de chair, un deuxième vous-même ? Et si d’aventure il était possible un jour de “sauvegarder” votre conscience, ce pur esprit que les croyants appellent l’âme, pour la télécharger sur un disque dur et ressusciter des morts tel Lazare sous la forme d’un homme-machine que l’on appelle Cyborg ?

#JESUISMORT

Le sujet est troublant, dérangeant. Pourtant, il faudra bien se pencher dessus, alors qu’un business commence à émerger autour de la gestion de votre vie numérique, de l’archivage de votre vie numérique, avec notamment le projet Total Recallil en était question au cours de la soirée #jesuismort , organisée mardi à La Cantine par nos amis de L’Atelier des Médias de RFI, Silicon Maniacs et Owni (retrouverez la vidéo à la fin de ce billet). Une soirée-débat particulière, avec des invités étranges (entre autres un président de l’Association Française Transhumaniste, un membre de la Singularity University…) où l’on a beaucoup causé immortalité et transhumanisme, cette mouvance culturelle qui prône l’usage des sciences et des techniques pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. ourdi par un Docteur de Mabuse de Microsoft. Votre vie numérisée pour l’éternité, l’immortalité digitale, la transcendance de l’humanité et son “augmentation” par la machine…Justement,

Un truc de doux de dingues ? Pas si sûr quand Eric Schmidt de Google s’y met et déclare : “Ce que nous essayons de faire c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu’ils n’arrivent pas à faire bien”…

Au lendemain de la soirée #Jesuismort, nous avons donc décidé d’écrire ce billet à quatre mains avec ma collègue blogueuse et journaliste Capucine Cousin et de l’accueillir sur nos blogs respectifs (vive les billets co-brandés ;). Alors suivez le guide, continuons donc notre voyage dans les limbes de la post-humanité numérique…

Cimetière Virtuel

Nos traces numériques esquissent déjà des prémices à notre postérité digitale. Vous êtes peut-être déjà tombés, au gré de vos pérégrinations sur Facebook, sur des pages de personnes décédées. Capucine a déjà  atterri par hasard sur la page Facebook du frère d’un ami, disparu en mer. Son wall était resté ouvert, en accès libre, ses amis et sa famille continuaient à y déposer des messages d’hommage post-mortem. J’ai connu la même expérience suite à la mort soudaine d’un vieil ami journaliste…et lorsque la petite fille d’un autre ami a été emportée si jeune par la maladie. Sa famille, ses proches, ses amis d’école lui ont continué à lui parler pendant des mois comme à un ange présent derrière l’écran, lui érigeant un mausolée presque gai de photos, petits mots,  fleurs et dessins….Un besoin troublant, émouvant, déchirant d’entretenir la mémoire vieux comme l’humanité : Facebook est-il en train de devenir le premier cimetière virtuel global ?

La question est posée. Justement, mardi soir à #Jesuismort, Tristan-Mendès France, un temps assistant parlementaire, maintenant blogueur, documentariste et chargé de cours au Celsa, nous a longuement parlé de cela – ces rites funéraires qui commencent à se développer dans des mondes virtuels. La première fois, que cela s’est produit, dit-on, c’était dans le jeu en réseau “Word of Warcraft” en 2005 : suite au décès d’une gameuse, une véritable veillée a été organisé dans le monde de Warcraft pour lui rendre hommage…

Pour Tristan, c’est sûr, Facebook devient aussi un lieu de sépulture et de culte post-mortem qui compterait 5 millions de morts sur 600 millions de vivants: des profils de personnes décédées, laissés ouverts, volontairement ou pas, par les familles… Et de fait, c’est un peu affolant, mais rien n’a été prévu par les Facebook, Twitter, LinkedIn et les autres réseaux sociaux pour supprimer le profil d’une personne décédée ! Idem pour les plateformes de blogs, les moteurs de recherche…

Au niveau juridique, c’est la jungle. Au point que quelques sociétés imaginent déjà sûrement des solutions de marchandisation post-mortem. Imaginez : bientôt, à défaut d’être immortel physiquement, vous pourrez sans doute vous acheter une immortalité digitale, garder une présence en ligne, sous la forme d’une concession virtuelle éternelle ou réduite à 20, 30 ou 50 ans…

Parallèlement, des futurologues, gourous du transhumanisme, tels Raymond Kuzweil, Aubrey de Grey, et autres doux dingues le jurent: la mort est un phénomène dont on peut guérir. Certains prédisent l’immortalité dans 15 ou 20 ans grâce au séquençage du génome humain, entre autres évolutions technologiques. Lisez plutôt le Manifeste des Extropiens, une nouvelle religion conceptualisée par le bon docteur Max More http://www.maxmore.com/:

Nous mettons en question le caractère inévitable du vieillissement de la mort, nous cherchons à améliorer progressivement nos capacités intellectuelles et physiques, et à nous développer émotionnellement. Nous voyons l’humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous défendons l’usage de la science pour accélérer notre passage d’une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine. Comme l’a dit le physicien Freeman Dyson, ‘l’humanité me semble un magnifique commencement, mais pas le dernier mot

(Introduction à “Principes extropiens” 3.0).

Un délire de l’humain parfait flirtant dangereusement avec l’eugénisme et l’homme nouveau national socialiste qui a abondamment inspiré la Science-Fiction d’avant et d’après guerre, du “Big Brother” d’Orwell au “Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Et que l’on a vu recyclé dans plusieurs films, notamment « Bienvenue à Gattaca » où des  jeunes gens au patrimoine génétique parfaits étaient programmés pour partir à la conquête de l’espace…Pour mémoire, voyez plutôt ce petit extrait :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Etranges Concepts

C’est là, que défilent d’étranges concepts survolés lors de la soirée #Jesuismort. On a brièvement parlé de cryogénisation”uploading de l’esprit” ou comment transférer  le contenu d’un cerveau sur disque dur, en l’ayant préalablement numérisé. Un ordinateur pourrait alors reconstituer l’esprit par la simulation de son fonctionnement, sans que l’on ne puisse distinguer un cerveau biologique «réel » d’un cerveau simulé…Totalement naïf et délirant vous diront tous les neurologues vu la Terra Incognita que reste notre cortex pour la science. Le concept apparaît pourtant dans “Matrix” et ses suites, mais aussi dans “La Possibilité d’une Ile” de Michel Houellebecq, où le “mind uploading” est évoqué comme un composant de la technique permettant de vivre, jeune, plusieurs vies successives avec un corps et un esprit identiques. De vaincre enfin l’obsolescence de l’humanité

Les tenants du transhumanisme y croient dur comme fer: en plein débat sur la réforme de la loi sur la bioéthique (le texte est en débat au Parlement en ce moment), ils ne jurent que par les propositions « technoprogressistes ». Comme par exemple, « autoriser le libre choix de la gestion pour autrui, notamment dans le cas des mères porteuses », expliquait mardi soir Marc Roux, étrange président de l’Association Française Transhumaniste. Pour lui, c’est simple, « le législateur est très en retard sur ces sujets ».

Ces délires scientistes autour du transhumanisme se concrétisent déjà. Vous voulez  savoir si d’aventure vous n’avez pas quelques prédispositions pour avoir un cancer ou la maladie d’Alzheimer ? Si votre enfant potentiel à venir aura un QI de 150 et les yeux bleus ? Une kyrielle de start-ups pullulent sur le Net, et vous proposent déjà d’analyser votre ADN, telle 23AndMe (oh tiens donc, fondée par l’épouse de Sergey Brin, un des fondateurs de Google…on y reviendra), d’explorer votre patrimoine génétique, ou plus prosaïquement de faire un test de paternité. Quitte à conserver dans leurs bases de données ces précieuses données très intimes vous concernant… au risque de les revendre dans quelques années.

J’ai vu tant de chose que vous humains ne pourrez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannahauser.Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie…

déclamait Roy, le répliquant de “Blade Runner dans la scène finale du film de Ridley Scott.

Comme nous pauvres mortels, il avait peur de tirer sa révérence sans laisser trace de son existence terrestre. Il se trompait. Demain, rien ne se perdra totalement dans l’oubli. La mémoire du réseau est éternelle. Demain, une bonne partie de ce que nous avons été perdurera pour des siècles et des siécles sous une forme immatérielle ou une autre

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L’humain, à la vie, à la mort http://owni.fr/2011/02/07/lhumain-a-la-vie-a-la-mort/ http://owni.fr/2011/02/07/lhumain-a-la-vie-a-la-mort/#comments Mon, 07 Feb 2011 16:26:48 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=45549 Une ère sans vieillissement, sans maladie, voire même sans timidité, ni angoisse; une ère qui viendrait augmenter les capacités cérébrales de traitement de l’information, désespérement humaines, trop humaines. Telle est l’avenir prédit par le transhumanisme, mouvement enraciné dans la croyance d’une évolution nécessairement positive de l’humanité, sous l’effet des technologies. Pour Ray Kurzweil, prolifique inventeur, mécène de la Singularity University et pape mégalo du mouvement, nous pourrons très bientôt “transcender les limites de nos corps et cerveaux biologiques”.

Si l’immortalité est la partie visible de l’iceberg, les rêves transhumanistes affectent d’abord notre condition d’être vivant, en proclamant pour tout individu, le droit de compléter, enfin, son état “limité”. Une conception libérale qui vient questionner la définition même de l’humain, et de notre appartenance à l’espèce: peut-on faire ce que l’on veut avec ce qui nous fait Homme ou doit-on accepter d’être encadré au nom de la préservation d’un noyau dur d’humanité ?

Espérance de vie ? 1000 ans

Dans son livre The Singularity is Near (traduit en français sous le titre L’humanité 2.0), Ray Kurzweil explique que “nous gagnons rapidement la connaissance et les outils pour maintenir et étendre le ‘foyer’ que chacun d’entre nous appelle corps et cerveau”, reprenant ainsi à son compte une métaphore d’un autre gourou du mouvement, Aubrey De Grey. L’expansion des technologies suivant un rythme de croissance toujours plus fulgurant, son impact sur l’Homme, poursuit-il, devrait très rapidement se faire sentir et ce de façon irrémédiable, présidant à une nouvelle ère humaine. Ce basculement, c’est la Singularité.

L’espérance de vie croit elle-même progressivement et ce rythme accélérera rapidement, maintenant que nous sommes dans les premiers pas de l’ingénierie des processus d’information qui sous-tendent la vie et les maladies.

Robert Freitas estime qu’en éliminant une liste précise comprenant 50% des conditions médicalement évitables, on étendrait l’espérance de vie au-delà de 150 ans. En évitant 90 % de ces problèmes médicaux, elle dépasserait les 500 ans. A 99%, nous serions au-delà des 1000 ans.

Présentée comme une “maladie”, la mort doit disparaître du champ humain et l’espérance de vie tendre vers l’infini. L’objectif est fondamental, il se place dans le trio de tête des “to do” transhumanistes, précise Rémy Sussan, journaliste à InternetActu.net et auteur d’un livre consacré aux Utopies posthumaines.

Certains vont même plus loin, cherchant non seulement à abattre l’ultime mur de notre condition d’être fini, mais aussi à en renverser les effets. Anecdote familière à tous ceux qui se sont penchés sur son cas, Ray Kurzweil cherche à faire revenir son père, mort d’une crise cardiaque à 58 ans, parmi les vivants. Des cartons rassemblant des éléments de la vie paternelle constituent en grande partie l’information qui servira de base à “l’intelligence artificielle” qui, espère Kurzweil, “[lui] ressemblera beaucoup” (Extrait du documentaire Transcendent Man de Ray Kurzweil adapté de son livre sur la singularité) . Plus qu’un dépassement de la finitude, un véritable nananère à l’adresse de la Faucheuse.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le sens de l’Homme

Le transvasement d’un être perdu dans une intelligence artificielle ne fait néanmoins pas l’unanimité. Croyant en la possibilité de faire “un back-up de son cerveau”, Rand Hindi, spécialiste de bioinformatique passé par la Singularity University, pense en revanche que ranimer un individu dans son intégralité n’est pas envisageable:

Ressusciter un intellect sans ressusciter le corps est impossible: la plupart de l’information qui nous définit passe par notre corps, par l’interaction avec l’environnement. En ne prenant que la partie malléable du cerveau, oui, on pourrait transmettre une part d’informations dans un ordinateur.

Mais il n’aurait ni émotions, ni capacité de s’émerveiller sur le monde. Il n’aurait jamais la sensation de faim, ni ne serait énervé parce qu’il aurait mal dormi. Il ne comprendrait pas ce qu’est être humain, parce qu’il n’aurait pas cette interaction nécessaire avec l’environnement.

Le sens de l’humain, précisément : au-delà du dépassement de la mort, le Grand Oeuvre transhumaniste, qui déborde largement les limites de ce seul mouvement, interroge d’abord notre condition d’être vivant en lui conférant un sens bien particulier. Sans nécessairement se réclamer des hypothèses kurzweiliennes, ceux qui croient en un basculement prochain de l’Homme dans une évolution technologique, succédant à l’évolution biologique qui sous-tend l’espèce depuis son apparition, mobilisent une même notion : l’imperfection, en l’état, de l’Homme. Sa condition est qualifiée de “limitée” et de “non assistée”, tant au niveau de ses capacités intellectuelles que dans l’expression de ces émotions. Et ce sont les technologies qui vont venir combler cette incomplétude qui n’a que trop duré.

Dès lors, en “transcendant ses limites”, en “s’augmentant”, l’individu se promet non seulement à une vie sans destination finale, mais aussi et avant tout sans enveloppe contraignante, sans vecteur pour l’enfermer dans une expression étranglée de ses capacités. Au-delà du baroque de l’histoire, peu importent finalement les délires post-mortem d’un Kurzweil : s’il promet l’abolissement de la mort en fin de course, le transhumanisme prône d’abord le droit à une vie réparée et -forcément- meilleure. Ainsi la Déclaration Transhumaniste affirme vouloir favoriser “un large choix personnel aux individus sur la façon dont ils veulent favoriser leurs vies”.

Hisser cette liberté individuelle au rang d’impératif pose néanmoins plusieurs questions : le sens de cette “amélioration” de la vie humaine bien sûr, mais aussi celui de l’impact que pourraient avoir des altérations profondes, relevant du seul choix des individus, sur la définition déjà trouble de l’humain. Si des technologies le permettent, une fois les seuils biologiques franchis, pourquoi ne pas imaginer une humanité atomisée, multiple, défiant à l’envi sa sempiternelle symétrie, jouant les mécanos avec ses propres organes, enroulant son torse dans un châle d’entrailles, dont la tournure aurait pris, dans l’élan technologique, une allure esthétique ?

“On ne peut pas faire n’importe quoi avec l’humain”

Si l’on patauge en pleine anticipation barrée, envisager les conséquences d’un tel scénario ne semble cependant pas absurde à de nombreux comités éthiques européens. L’Irish Council for Bioethics a par exemple publié un livret très complet (.pdf) présentant en neuf questions les problématiques posées par “l’augmentation de l’humanité”.

Contactée par OWNI, Laurence Lwoff, chef de la Division de la Bioéthique et Secrétaire du Comité directeur pour la Bioéthique au Conseil de l’Europe, précise pour sa part que si le transhumanisme n’est pas à l’ordre du jour, dans la mesure où les comités réfléchissent au “développement scientifique” réel et non à des intentions, les questions que pose le mouvement se retrouvent dans des préoccupations qui n’ont rien de fictionnelles, notamment “dans la génétique, les neurosciences, le diagnostic pré-implantatoire.”

Si l’idéologie transhumaniste venait à s’actualiser, le Conseil de l’Europe devrait néanmoins s’en emparer, en particulier sur le volet d’un “droit à s’augmenter“. Bien trop lacunaire dans sa définition, il rentrerait alors en collusion avec les valeurs de dignité et d’intégrité humaines dont l’institution s’est faite gardienne :

L’idée véhiculée par les porteurs de cet accroissement des capacités est qu’on ne peut pas l’interdire à un individu, que cet acte doit être un droit. C’est par exemple le discours de Julian Savulescu, directeur de l’Oxford Uehiro Centre for Practical Ethics, qui en gros affirme que tout le monde aimerait voir le QI de sa population plus élevé. Ces affirmations seraient contradictoires avec les valeurs du Conseil de l’Europe, qui chercherait  à protéger la dignité et l’intégrite de l’humain face aux riques qu’une telle volonté implique : que veut dire s’augmenter ? Et où placer les limites de l’humain ?

Laurence Lwoff ajoute par ailleurs que si une innovation technologique venait déstabiliser la définition de l’humanité, il y aurait fort à parier que le Conseil de l’Europe s’en saisisse avec une rapidité surprenante, au vu de la lourdeur d’une telle institution. Preuve en est le précédent Dolly, du nom de la brebis clonée en 1996, qui a ébranlé toute la communauté scientifique:

C’est tout un dogme qui est tombé, tout un pan d’une certaine approche du développement humain qui a dû être remis en cause. Il y a eu un certain affolement, une inquiétude sur l’instrumentalisation possible de ces méthodes; le clonage reproductif n’est pas le seul enjeu sur la table. En six mois, un texte a été adopté, c’est au-delà du stupéfiant dans le cas du Conseil de l’Europe. C’est une urgence qui a fait consensus : il était important d’affirmer un ensemble de valeurs.

Au niveau étatique, indique encore Vincent Berger, jurisconsulte de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui protège et délimite les libertés fondamentales marquées dans la Convention Européenne des droits de l’homme, il est fort probable que les gouvernements “tentent d’une manière ou d’une autre d’intervenir”, et ce “même si les individus sont consentants”. “On ne peut pas faire n’importe quoi avec l’humain”, ajoute le magistrat.

Une assertion qui reste lettre morte face aux plus convaincus qui, s’ils reconnaissent et tentent de déconstruire les critiques – auxquelles Kurzweil consacre tout un chapitre dans son dernier livre-, “ne cherchent pas la confrontation”. “Ils sont sûrs que ce qu’ils prédisent arrivera”, souligne justement Xavier de la Porte. A leurs yeux, la contradiction ne se justifie que par une incompréhension fondamentale de ce basculement vers une nouvelle ère, prophétie auto-réalisatrice, qui doit se produire et s’appliquer à tous. L’approbation de l’humain n’y changeant rien.


A lire aussi:
- Autopsie de l’immortalité
- La mort vous web si bien

Illustrations CC:  Marion Kotlarski, joamm tall

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Métamorphoses de l’évolution. Le récit d’une image http://owni.fr/2010/03/25/metamorphoses-de-l%e2%80%99evolution-le-recit-d%e2%80%99une-image/ http://owni.fr/2010/03/25/metamorphoses-de-l%e2%80%99evolution-le-recit-d%e2%80%99une-image/#comments Thu, 25 Mar 2010 10:56:11 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=10801 Illustration de couverture de la traduction hollandaise de louvrage de Stephen Jay Gould, Ever Since Darwin (Honderd jaar na Darwin, 1979).

Illustration de couverture de la traduction hollandaise de l'ouvrage de Stephen Jay Gould, Ever Since Darwin (Honderd jaar na Darwin, 1979).

Dans La Vie est belle, le paléontologue Stephen Jay Gould note que “l’iconographie au service de la persuasion frappe (…) au plus profond de notre être”. Pour introduire à une réflexion d’envergure sur l’histoire de la vie, le savant s’en prend à une illustration: la fameuse “marche du progrès”, dont il reproduit plusieurs parodies. La succession des hominidés en file indienne, “représentation archétypale de l’évolution – son image même, immédiatement saisie et instinctivement comprise par tout le monde”, propose une vision faussée d’un processus complexe.

“L’évolution de la vie à la surface de la planète est conforme au modèle du buisson touffu doté d’innombrables branches (…). Elle ne peut pas du tout être représentée par l’échelle d’un progrès inévitable.”

(Gould, 1991, p. 26-35, voir également Bredekamp, 2008).

Spécialiste de l’usage des modèles évolutionnistes, Gould est conscient que “bon nombre de nos illustrations matérialisent des concepts, tout en prétendant n’être que des descriptions neutres de la nature”. Ce problème qui caractérise l’imagerie scientifique trouve avec la “marche du progrès” un de ses plus célèbres exemples.

Mais au contraire des nombreuses références que mobilise habituellement le savant, celle-ci n’est ni datée ni attribuée. Quoiqu’il en critique l’esprit et en regrette l’influence, Gould ignore quelle est sa source. Comme beaucoup d’autres images issues de la culture populaire, celle-ci s’est dispersée dans une familiarité indistincte, et a perdu chemin faisant les attributs susceptibles de situer une origine.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il y a une bonne raison pour laquelle Stephen Jay Gould n’a pas été confronté à la source de l’illustration dont il traque les reprises. Lorsque celle-ci est publiée, en 1965, le jeune étudiant en géologie a 23 ans, et une formation déjà bien trop spécialisée pour avoir consulté ce livre destiné à l’éducation des enfants et des adolescents.

Rudolf Zallinger, The Road to Homo Sapiens, illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant fermé).

Rudolf Zallinger, "The Road to Homo Sapiens", illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant fermé).

Dessinée par Rudolph Zallinger (1919-1995) pour l’ouvrage de Francis Clark Howell (1925-2007), The Early Man, cette image prend place dans la plus ambitieuse collection de vulgarisation jamais publiée: celle des éditions Time-Life, qui s’étend sur 51 volumes entre 1961 et 1967 (collections “Young Readers Nature Library” et “Life Science Library”).

Traduite dans de nombreux pays, cette collection s’inscrit dans la longue tradition inaugurée par Les Merveilles de la Science de Louis Figuier (1867), qui fait reposer sur une illustration abondante le récit des “connaissances utiles” nécessaires à l’instruction de la jeunesse.

Volumes de la collection Time-Life (en traductions françaises).

Volumes de la collection Time-Life (en traductions françaises).

Elle se caractérise par la qualité des textes, confiés à des spécialistes, mais aussi par le soin sans précédent apporté à l’iconographie.

Inspirée des principes qui animent le magazine Life, la collection est le premier ouvrage de vulgarisation scientifique à pousser si loin le rôle de l’image. Les éditeurs ont voulu proposer une illustration haut de gamme, très largement en couleur, servie par une impression irréprochable, en faisant appel aux meilleurs dessinateurs et photographes.

Exemples diconographie de la collection Time-Life.

Exemples d'iconographie de la collection Time-Life.

L’iconographie est souvent spectaculaire. Elle offre une large variété de styles et témoigne d’une constante préoccupation pédagogique. L’image doit fournir une synthèse claire et lisible d’une information dense. La collection développe un savoir-faire élaboré en matière de schémas narratifs, combinaison de la représentation tabulaire des données scientifiques avec une mise en scène visuelle forte.

La contribution de Rudolph Zallinger fournit un exemple particulièrement abouti de ce genre. Anthropologue spécialiste de préhistoire, professeur à l’université de Chicago, Francis Clark Howell est également un vulgarisateur convaincu. C’est en connaissance de cause qu’il s’adresse à l’un des plus fameux illustrateurs de sciences naturelles, auteur de la fresque “L’Age des reptiles” pour l’université de Yale, exécutée entre 1943 et 1947, panorama chronologique de l’évolution des dinosaures du Devonien au Crétacé, longue de 33,5 sur 4,9 mètres.

Rudolph Zallinger, Lâge des reptiles, fresque murale, université de Yale (détail).

Rudolph Zallinger, "L'âge des reptiles", fresque murale, université de Yale (détail).

Zallinger sera contacté par Life en 1952 pour participer à l’illustration du feuilleton “The World We Live In”, aux côtés de Chesley Bonestell, Alfred Eisenstaedt ou Fritz Goro.

La composition de The Early Man s’inspire du précédent de Yale. Il s’agit de disposer sur un dépliant de 5 pages – la plus longue illustration de la collection – la série ordonnée des reconstitutions de fossiles de quinze espèces anthropoïdes sur une durée de 25 millions d’années. Les schémas chronologiques en haut de page sont dus à George V. Kelvin.

Rudolf Zallinger, The Road to Homo Sapiens, illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant ouvert).

Rudolf Zallinger, "The Road to Homo Sapiens", illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant ouvert).

Sous le titre “The Road to Homo Sapiens”, la représentation synthétique de Zallinger innove par rapport aux formes existantes de figuration évolutionniste, le plus souvent disposées de façon tabulaire. Sa proposition peut être rapprochée de trois sources iconographiques. La première est une gravure due au grand peintre naturaliste Waterhouse Hawkins, publiée en frontispice de l’ouvrage de Thomas Henry Huxley, Evidence as to Man’s Place in Nature (1863), qui associe à fins de comparaison les squelettes du gibbon, de l’orang-outang, du chimpanzé, du gorille et de l’homme.

Waterhouse Hawkins, Skeletons of the Gibbon, Orang, Chimpanzee, Gorilla, man, frontispice de louvrage de Thomas Henry Huxley (1863).

Waterhouse Hawkins, "Skeletons of the Gibbon, Orang, Chimpanzee, Gorilla, man", frontispice de l'ouvrage de Thomas Henry Huxley (1863).

“L’homme descend du singe”. La fameuse formule de l’évêque d’Oxford symbolise la polémique issue de la publication de L’Origine des espèces (1859), dont la relecture biologique du destin humain fait scandale. Défenseur de Darwin, Thomas Huxley utilise l’œuvre de Hawkins dans le cadre d’un ouvrage qui propose la démonstration zoologique et anatomique de la proximité des différentes espèces hominoïdes. Quoiqu’elle n’ait aucun caractère paléontologique, cette illustration qui rapproche l’homme du singe prend bel et bien place dans l’histoire du débat évolutionniste.

Cet exercice comparatif n’offre encore qu’une simple juxtaposition. Pour trouver une articulation plus étroite, il faut remonter à une source plus ancienne: le thème des différents âges de l’homme, qui nourrit la peinture et la gravure depuis la Renaissance. Le ressort visuel sur lequel s’appuie cette iconographie, le principe de la métamorphose, en fait un motif séduisant pour les artistes, qui trouvent l’occasion d’y montrer leur virtuosité, comme pour le public, qui en apprécie la dimension curieuse et ludique.

Hans Baldung Grien, Les trois âges de la vie, v. 1510 (Vienne, Kunsthistorisches Museum); A. F. Hurez, Degrés des âges, Cambrai, 1817-1832 (Paris, musée des arts et traditions populaires).

Hans Baldung Grien, "Les trois âges de la vie", v. 1510 (Vienne, Kunsthistorisches Museum); A. F. Hurez, "Degrés des âges", Cambrai, 1817-1832 (Paris, musée des arts et traditions populaires).

Une version de ce thème, attestée dès le 16e siècle, sera notamment popularisée par François Georgin en 1826 pour l’imagerie d’Epinal, sous le titre de “Degrés des âges”. Celle-ci latéralise et ordonne le motif en paliers, facilitant le jeu des comparaisons. Gravure à succès durant tout le 19e siècle, celle-ci connaîtra d’innombrables reprises dans toute l’Europe (Day, 1992) .

Différentes versions des Degrés des âges.

Différentes versions des "Degrés des âges".

La transposition de ce thème dans l’univers paléontologique n’est pas que l’emprunt d’une forme. Dans les “Degrés des âges”, malgré les altérations qui affectent leurs avatars, ce sont les mêmes personnages que l’on retrouve du premier au dernier échelon. L’application de ce motif au schème évolutionniste constitue une simplification implicite, qui rapporte les transformations des espèces au développement de l’individu, rabat l’ontogenèse sur la phylogenèse. C’est cette opération iconographique qui créé la perception de l’évolution comme un développement unifié et linéaire, aussi homogène que s’il s’agissait de la vie d’un être humain.

Cette impression est encore renforcée par la troisième source de Zallinger: la chronophotographie de la marche d’Etienne-Jules Marey, qui a inspiré une imagerie abondante à partir de 1882 (Braun, 1992). A cette vision cinématographique, l’illustrateur emprunte le dynamisme de la déambulation, qui anime la fresque évolutionniste d’un pas décidé. Le motif de la marche unifie et fluidifie la succession des espèces, désormais métamorphosée en séquence. Plutôt que sous la forme de la juxtaposition tabulaire, le modèle chronophotographique suggère de lire l’image comme la décomposition d’un seul et unique mouvement.

Etienne-Jules Marey, locomotion de lhomme, chronophotographie sur plaque fixe, 1883, coll. Collège de France (détail).

Etienne-Jules Marey, locomotion de l'homme, chronophotographie sur plaque fixe, 1883, coll. Collège de France (détail)

Unification, latéralisation, dynamisation: les choix de l’illustration sont fondés sur l’intention pédagogique, qui veut produire une information synthétique, immédiatement lisible. Cette composition si efficace peut-elle l’être un peu trop? Le texte en regard apporte d’utiles précisions, qui contredisent son apparente homogénéité:

“Ces reconstitutions sont donc en partie hypothétiques, mais même si des découvertes ultérieures imposaient des changements, elles auraient atteint leur but en montrant ce que pouvait être l’aspect de ces primates disparus.” Ou encore: “Bien que les “ancêtres de singes anthropomorphes” aient été quadrupèdes, tous sont ici figurés debout, pour faciliter la comparaison”

(Howell, 1965, p. 41).

Couverture de louvrage de J. Wells, Icons of Evolution. Science or Myth?

Couverture de l'ouvrage de J. Wells, Icons of Evolution. Science or Myth?

Peu importent ces nuances. L’image de Zallinger est si forte qu’elle balaie toute incertitude. La généalogie idéalement linéaire qu’elle figure s’impose à l’esprit avec l’évidence d’un fait objectif. En fournissant un support visuel au rapprochement de l’homme et du singe, l’illustration de Life ravive le scandale de L’Origine des espèces et s’attire les foudres des créationnistes:

“Malgré l’absence de preuves, la vision darwinienne des origines humaines s’est trouvée bientôt enclose dans des dessins montrant l’évolution d’un singe qui, marchant sur ses phalanges, se redresse par paliers pour devenir un être humain debout. Ces dessins ont ensuite été reproduits dans d’innombrables livres, expositions, articles et même dessins animés. Ils forment l’icône ultime de l’évolution, parce qu’ils symbolisent la signification profonde de la théorie de Darwin pour l’existence humaine”

(Wells, 2002, p. 211).

Le succès de l’icône, dont une recherche sur internet permet aujourd’hui de prendre la mesure, se vérifie en effet par ses copies et ses parodies. Ces reprises sans nombre témoignent de ce que cette image est d’abord un récit. Comme le montrent les altérations qui, en modifiant le dernier stade ou en inversant la logique de la progression, jouent à changer le sens de la série, elle fonctionne comme une structure narrative autonome, immédiatement compréhensible. Elle incarne exemplairement cette connaissance par l’image favorisée par les ouvrages illustrés.

Graffiti, Vali-ye-Asr Avenue, Téhéran, photo Paul Keller, 2007 (licence CC).

Graffiti, Vali-ye-Asr Avenue, Téhéran, photo Paul Keller, 2007 (licence CC).

Les reprises constituent également la seule trace accessible de la réception de l’illustration. Elle apportent la preuve de sa fécondité imaginaire, en même temps qu’elles en entretiennent les progrès. Elles montrent que l’icône est partie prenante de la culture visuelle, au sens où son exposition universelle garantit à l’auteur de la reprise un haut degré de connivence et d’interprétabilité.

Diverses parodies de The Road to Homo Sapiens.

Diverses parodies de "The Road to Homo Sapiens".

La discussion sur l’efficacité de l’image prend parfois des aspects tortueux. Pourtant, son agency n’a rien de mystérieux. Dans le cas de “The Road to Homo Sapiens”, les facteurs de son influence sont: 1) l’importance de la diffusion, qui assure une exposition maximale au contenu; 2) la puissance du contexte de l’instruction populaire, qui légitime la connaissance par l’image; 3) l’empreinte du débat évolutionniste, qui structure notre compréhension du monde; 4) l’élégance de la formule graphique inventée par un illustrateur, qui est l’auteur d’une œuvre.

Mis à part une page sur Wikipédia, et sauf erreur de ma part, cet article est le premier consacré à l’analyse iconographique d’une des plus célèbres images de la seconde moitié du 20e siècle. Une icône si profondément intégrée à notre culture visuelle que sa répétition avait fini par effacer le souvenir de son auteur et de son origine. Il s’agit pourtant d’une œuvre, au sens strict du terme, dont on a pu retrouver les sources, expliquer le contexte et les intentions, suggérer l’influence et la fortune critique. En d’autres termes, on a démontré ici qu’on peut faire sur une image issue de la culture populaire un travail d’interprétation qui ne diffère en rien, dans les outils et les méthodes qu’il mobilise, de celui de l’histoire de l’art. Un pas de plus pour l’histoire visuelle.

Couverture du disque de Encino pour le film California Man, (Les Mayfield, 1992); publicité pour le JT de M6, septembre 2009; page du groupe Flickr "March from Monkey to Man" .

Et en bonus spéciale soucoupe, ce magnifique clip réalisé pour le morceau “Do the Evolution”, par Pearl Jam.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Références: sources

> Charles Darwin, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle(1859, éd. D. Becquemont, trad. de l’anglais par E. Barbier), Paris, Flammarion, 1992.
> Louis Figuier, Les merveilles de la science, ou Description populaire des inventions modernes, éd. Furne et Jouvet, 6 vol., 1867-1869.
> Thomas Henry Huxley, Evidence as to Man’s Place in Nature, New York, Appleton & Co, 1863.
> Francis Clark Howell, The Early Man, Time-Life, 1e éd., 1965 (trad. française: L’Homme préhistorique, 1966).

Références: études

> Horst Bredekamp, Les Coraux de Darwin. Premiers modèles de l’évolution et tradition de l’histoire naturelle (trad. de l’allemand par Ch. Joschke), Dijon, Les Presses du réel, 2008.
> Marta Braun, “Marey, Modern Art and Modernism”, Picturing Time. The Work of Etienne-Jules Marey, 1830-1904, Chicago, University of Chicago Press, 1992, p. 264-318.
> Barbara Ann Day, “Representing Aging and Death in French Culture”, French Historical Studies, Vol. 17, n° 3, printemps, 1992, p. 688-724.

> Stephen Jay Gould, La Vie est belle. Les surprises de l’évolution (trad. de l’américain par M. Blanc), Paris, Seuil, 1991.

> Jonathan Wells, Icons of Evolution. Science or Myth? Why Much of What We Teach about Evolution is Wrong, Washington, Regnery Publishing, 2002.

Iconographiehttp://www.flickr.com/…

Intervention présentée dans le cadre du séminaire “Mythes, images, monstres“, le 26 novembre 2009, INHA.

> Article initialement publié sur Culture Visuelle (lisez les commentaires!) /-)
> photo de Lego Kaptain Kobold


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Der Mensch als Industriepalast http://owni.fr/2009/11/04/der-mensch-als-industriepalast/ http://owni.fr/2009/11/04/der-mensch-als-industriepalast/#comments Wed, 04 Nov 2009 07:40:21 +0000 Media Hacker http://owni.fr/?p=5137 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une vidéo qui nous vient d’outre-Rhin, pour changer un peu. Elle consiste en l’animation d’un tableau de Fritz Kahn datant de 1926. Ce dernier représente les processus à l’œuvre dans le corps humain comme une métaphore de la vie industrielle.

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