OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sans doigt ni droit http://owni.fr/2011/11/23/asile-ofpra-ministere-interieur/ http://owni.fr/2011/11/23/asile-ofpra-ministere-interieur/#comments Wed, 23 Nov 2011 17:22:48 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=87920 Dans une note interne dont OWNI a obtenu copie, le directeur de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) demande aux officiers d’opposer des refus à tous les demandeurs d’asile ayant “pris le parti d’altérer délibérément l’extrémité de leurs doigts”. Donc : de se brûler au feu ou à l’acide, ou de s’entailler au rasoir ou avec des morceaux de verre le bout des doigts. Jean-François Cordet, directeur général de l’Ofpra écrit :

Cette absence manifeste de coopération place en définitive l’Office dans l’impossibilité de se prononcer en toute connaissance de cause (…) Par conséquent, vous voudrez, bien, pour toutes les demandes d’asile en cours relevant de ce cas de figure, statuer sans tarder par la prise d’une décision de rejet.

La lettre type de refus est jointe au document (voir ci-dessous). Exit les demandeurs d’asile aux doigts “délibérément altér[és]“, que les associations appellent “les doigts brûlés”.

Auxiliaire de justice

“L’Ofpra adopte l’attitude de la préfecture. Il devient l’auxiliaire de la justice” réagit Jean-Pierre Alaux, le responsable du droit d’asile de l’ONG Gisti qui défend les droits des immigrés. A l’Ofpra, Pascal Baudouin, directeur de cabinet, se défend de restreindre les droits des demandeurs d’asile :

Ce n’est pas sur ce motif que le directeur a pris cette décision. Il s’est basé sur l’augmentation du nombre de cas de fraudes à l’identité (…) Depuis plusieurs mois, nous avons observé un phénomène nouveau des demandeurs d’asile qui s’altèrent les doigts pour que leurs empreintes ne soient pas exploitées dans Eurodac.

Eurodac est un fichier européen qui recense les empreintes digitales des demandeurs d’asile. En vertu de la procédure dite de Dublin II, les demandes d’asile doivent être déposées dans le premier pays qui a pris les empreintes du demandeur. Ces pays sont généralement à la périphérie de l’Union Européenne : la Grèce, mais de plus en plus la Slovénie et la Bulgarie, connaissent un très grand nombre de demandes d’asile dont très peu sont acceptées. En se mutilant les doigts, les demandeurs d’asile tentent d’échapper à ces mesures de renvoi dans le premier pays d’entrée, anti-chambre vers le pays d’origine.

Continuellement, un feu est gardé allumé. Il permet de chauffer l’eau, mais également d’y faire brûler des barres en fer avec lesquelles les migrants se mutilent le bout des doigts pour effacer leurs empreintes digitales.

Interrogé sur la nouveauté d’un phénomène dont la presse s’était fait l’écho dès septembre 2009, Pascal Baudouin reste évasif :

Des rapports de préfectures nous ont alerté de l’augmentation de cette pratique.

Sans être en mesure de nous préciser de quelles préfectures il s’agissait, hormis “la préfecture de Paris”, ni du nombre de cas observés.

Nouveaux droits

La note du directeur de l’Ofpra tombe à point nommé après d’importantes décisions juridiques depuis le début de l’année. Toutes ouvraient des droits aux demandeurs d’asile, dont certains sont aujourd’hui restreints par les nouvelles consignes de l’Ofpra. En janvier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait condamné la Grèce pour ne pas avoir hébergé un demandeur d’asile. Les magistrats avaient considéré qu’il s’agissait de “traitements inhumains et dégradants”, soit une violation de l’article trois de la Convention.

En France, la plus haute juridiction administrative s’est prononcée à deux reprises en juillet et août dernier sur l’hébergement et les allocations attribués aux demandeurs d’asile. Dans des arrêts du 21 juillet et 5 août 2011, le Conseil d’Etat affirme qu’ils doivent obtenir une allocation et un hébergement “quelle que soit la procédure d’examen de sa demande”. Une petite révolution que Jean-Pierre Alaux, du Gisti explique par la jurisprudence européenne et “la campagne de harcèlement juridique” lancée par plusieurs ONG et association.

La préfecture peut décider de placer un demandeur d’asile en procédure normale ou en procédure prioritaire. Avant les décisions du Conseil d’Etat, les demandeurs en procédure prioritaire ne recevaient ni hébergement, ni l’allocation temporaire d’attente d’un montant de 310 euros par mois. En cas de rejet, les demandeurs d’asile peuvent faire appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), mais l’appel n’est pas suspensif en procédure prioritaire. Le ministère de l’intérieur incitait d’ailleurs en avril dernier les préfectures à délivrer des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) :

Le demandeur d’asile placé en procédure prioritaire et débouté du droit d’asile après la décision de l’OFPRA n’ayant plus de droit à se maintenir sur le territoire, je vous encourage à notifier une mesure de refus de séjour et une OQTF immédiatement après la notification du rejet de la demande d’asile par l’Ofpra. [En gras et souligné dans la circulaire, ndlr]

Mais le rejet coupe surtout les demandeurs d’asile d’un hébergement et d’une allocation pendant l’examen de leur appel. Des rejets simplifiés avec ces nouvelles consignes données aux officiers de l’Ofpra.


Crédits photo CC Julie Rebouillat / Contre-Faits [by-nc-nd]

Infographie CC Marie Crochemore /-)

]]>
http://owni.fr/2011/11/23/asile-ofpra-ministere-interieur/feed/ 10
Imbroglio autour des migrants tunisiens http://owni.fr/2011/04/21/imbroglio-autour-des-migrants-tunisiens/ http://owni.fr/2011/04/21/imbroglio-autour-des-migrants-tunisiens/#comments Thu, 21 Apr 2011 06:30:29 +0000 Florian Tixier http://owni.fr/?p=58082 La France était bien dans la légalité quand elle a stoppé quelques heures le trafic ferroviaire avec l’Italie, dimanche dernier, sous prétexte de préserver l’ordre public. À bord du “train de la dignité” se trouvaient des migrants tunisiens accompagnés par des militants d’ONG et d’associations de défense des droits de l’Homme. Ils entendaient manifester du côté français – manifestation non autorisée.

Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur français, a donc pu justifier de la bonne foi des autorités françaises :

Nous faisons une application à la lettre et dans l’esprit des accords. Il y a une règle qui prévaut dans les accords de Schengen qui est que le premier pays d’entrée gère les populations migrantes.

De son côté, la Région PACA (gérée par les socialistes), visiblement furieuse de ne pas avoir été consultée par le préfet alors même qu’elle a la charge des transports régionaux depuis 2007, fustige une décision infondée :

Rien ne justifiait cette décision, contraire à la continuité du service public. Les migrants tunisiens concernés étaient munis des papiers provisoires leur permettant de circuler dans l’espace Schengen.

Et c’est bien là tout le problème : personne ne semble savoir dans quelle mesure les immigrés tunisiens en possession d’un permis de séjour délivré par l’Italie sont autorisés ou non à passer la frontière. Ni dans quelle mesure le gouvernement français a le droit de refouler ces immigrés.

À gauche la France, à droite l'Italie

La Commissaire européenne en charge des questions d’immigration, Cecilia Malmström, a donné raison à Paris dans la mesure où la fermeture de la frontière avait été ponctuelle et motivée par le maintien de l’ordre public :

Il semble que ça ne tombe pas sous le règlement de contrôle des frontières Schengen. Apparemment, ils ont le droit de le faire.

Elle reste cependant pour le moins sceptique quant à la pertinence d’une telle action. Elle a, par ailleurs, ajouté qu’il serait “très dangereux” de remettre en cause ces accords qui sont “un des fondamentaux de la libre circulation dans l’UE”.

Titres de séjour pour motifs humanitaires

Les cartes de séjour à titre dérogatoire délivrées à 22 000 migrants tunisiens par l’Italie sont, en fait, tout à fait légales, mais elles n’ouvrent pas un droit automatique à la libre circulation dans l’espace Schengen. Pour ce faire, les ressortissants tunisiens s’étant vu accorder des titres de séjour temporaires pour “motifs humanitaires” doivent, en effet, remplir certaines conditions précises :

  • Justifier de documents de voyage valides
  • Disposer de ressources suffisantes pour vivre (31 € par jour en cas d’hébergement, 62 € si tel n’est pas le cas).
  • Ne pas constituer de menace pour l’ordre public

Les cas échéant, ils sont alors autorisés à effectuer un séjour d’une durée maximum de 3 mois dans une autre pays de l’Union, avant d’être renvoyés dans leur pays.

Serge Slama, auteur du blog Combats pour les droits de l’Homme et membre du GISTI, souligne une incohérence entre des deux textes de Schengen, la Convention d’application et le Code frontières.

Les gouvernements français et italiens ont tous les deux raison : l’Italie de donner des titres de séjours temporaires à titre humanitaire en dérogeant aux conditions normalement requises pour l’entrée sur le territoire de l’UE ; la France en exigeant des vérifications de ces conditions. C’est là toute l’incohérence du droit européen, alors même que le principe de solidarité devrait s’appliquer.

Pour ce spécialiste du droit des migrants, l’arrêt du trafic ferroviaire avec l’Italie dimanche n’était pas illégal en soit. Une telle mesure lui semble cependant disproportionnée, mettant en avant la possible instrumentalisation de l’événement.

Pour lui, ce sont les contrôles aux frontières qui posent véritablement problème du point de vue juridique, niant par là même tout “l’esprit de Schengen”, cher à Claude Guéant. En juin 2010, la Cour européenne avait en effet rappelé la France à l’ordre à ce sujet, toute reconduite à la frontière devant de plus être motivée. Serge Salma :

Les contrôles systématiques sont complètement illégaux. Hors en ce moment même, la police quadrille la région frontalière et procède à des interpellations dans les gares du littoral. La France joue la stratégie des accords de réadmission signés avec l’Italie en 1997, une solution qui permet de contourner l’avis du Conseil d’Etat sur la Directive Retour qui rend très difficile le renvoi des sans-papiers dans leur pays d’origine.

Tensions récurrentes

Le différend entre la France et l’Italie ne date pas de dimanche. Dès la réunion des ministres de l’Intérieur de l’Union le 12 avril à Luxembourg, des tensions étaient apparues. Le ministre italien Roberto Maroni, du parti d’extrême droite de la Ligue du Nord, avait en effet évoqué un “partage du fardeau” (sic), c’est-à-dire une répartition plus équilibrée des immigrés arrivés massivement sur la petite île de Lampedusa entre les pays membres. Il avait alors évoqué l’octroi de ces titres de séjour temporaires.

La France avait immédiatement répliqué, arguant que les migrants seraient toujours illégaux sur son territoire. L’Allemagne et l’Autriche avait également menacé de rétablir les contrôles aux frontières si une telle mesure était prise. Au lendemain de la régularisation temporaire des 22 000 migrants tunisiens, le Ministère de l’Intérieur publiait une circulaire très claire sur les conditions de non-admission.

Comme le soulignaient les éditorialistes italiens lundi, on assiste à l’affrontement de deux populismes. Dans La Republica, Bernardo Valli dénonce ainsi une situation “grotesque”. Côté italien, ce ne sont pas pour des raisons humanitaires que les titres de séjour ont été donnés, mais plutôt pour que les immigrés partent plus vite vers les autres pays de l’Union. Côté français, pour la presse italienne, Nicolas Sarkozy drague les électeurs de l’extrême-droite sur fond de mauvais sondages alors que l’ouverture politique n’est plus d’actualité.

Les migrants ne pèsent pas lourd dans ce contexte où les enjeux électoraux purement nationaux prévalent. Les dirigeants européens paraissent, une fois encore, plus soucieux de tenter de se faire réélire que du drame humanitaire. En vain. Seuls les xénophobes et autres populistes gagnent des points auprès d’électeurs désormais persuadés que l’Europe est sur le point d’être submergée par une vague d’immigrants hors contrôle.

Article initialement publié sur MyEurop.info sous le titre “Immigrés tunisiens : les faux-semblants franco-italiens”

Crédits Photo FlickR CC : mpd06105 / Lili

]]>
http://owni.fr/2011/04/21/imbroglio-autour-des-migrants-tunisiens/feed/ 0