OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les éditeurs se couchent en ligne http://owni.fr/2011/10/03/amazon-gallimard-hachette-flammarion/ http://owni.fr/2011/10/03/amazon-gallimard-hachette-flammarion/#comments Mon, 03 Oct 2011 06:30:32 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=81705 Plusieurs cadres du groupe Hachette contactés par OWNI ont confirmé que l’éditeur vient de signer un accord avec Amazon pour la diffusion de ses livres numériques. De leur côté, Albin Michel et les éditions du Rocher jouent encore les pudiques et ne voudraient pas que leur mariage avec le site soit officialisé. Tandis que Gallimard est sur le point de s’entendre mais en entourant ses palabres d’une grande discrétion.

Selon notre enquête, après l’annonce, la semaine dernière, d’un partenariat entre Flammarion et Amazon, la plupart des éditeurs historiques de Saint-Germain-des-Prés affûtent leur communication pour expliquer leur passage massif au livre numérique sur Amazon. Non sans peine. Puisque jusque-là beaucoup vouaient une telle évolution aux gémonies.

Au sein du groupe Hachette, Laurent Laffont, directeur éditorial chez JC Lattès se rappelle que les premières positions de son groupe sur le numérique n’ont pas fait l’unanimité. En mai 2010, la maison dirigée par Arnaud Noury arrivait sur iPad et en novembre, il y a un an, elle était la première à s’accorder avec Google sur les conditions de numérisation de ses œuvres épuisées. Pour Laurent Laffont :

La position d’Hachette a été énormément critiquée par les spécialistes du secteur. Et là, revirement de situation, tout le monde a négocié avec Amazon. Mais tous savent que la part de marché réservée au numérique, avec l’arrivée du Kindle en France (NDLR : Amazon lancera à la fin de cette semaine ses premières opérations de communication auprès de quelques journalistes spécialisés) va augmenter.

Hachette ayant discuté de ses différents catalogues avec Amazon, toutes ses maisons d’éditions sont concernées par l’union avec le site. De Grasset à Fayard en passant par Calmann-Lévy et les multiples collections du groupe appartenant à Lagardère. Et notamment Stock et son très fervent défenseur des librairies du monde réel, Jean-Marc Roberts qui déclarait en août sur Europe1 :

Le lieu unique c’est la librairie, c’est pas la vente en ligne. La vente en ligne, moi je crois que c’est ça qui va peu à peu détourner le vrai lecteur de son libraire, et donc de la littérature.

Le goût des arrangements discrets

Du côté des éditeurs traditionnels, petit ou gros, une seule volonté, celle de ne pas reconnaître trop tôt qu’ils sont en cours de négociation voire qu’ils ont passé des accords. Au sein du groupe Gallimard (Denoël, Mercure de France, P.O.L. notamment) un cadre soucieux de son anonymat affirme :

Aucun accord n’est passé, mais évidemment, Amazon et Gallimard se parlent.

Compte tenu de la position de Gallimard vis-à-vis des libraires et les déclarations de son président Antoine Gallimard – auteur du rapport sur la librairie indépendante en 2007 et président du Syndicat national de l’édition (SNE) – inquiet de certains accords qu’Amazon passe avec les acteurs de l’édition, on comprend sa difficulté de communiquer sur le sujet sans risquer de se mettre à dos une bonne partie des libraires.

Alban Cerisier, secrétaire général de la maison d’édition, expliquait dans une rencontre entre acteurs du secteur animée par Pierre Haski en janvier 2011 :

Ce qui nous empêche de signer avec les grands acteurs du marché du numérique aujourd’hui que sont Amazon, Apple, Google [...] c’est uniquement la maitrise de nos politiques commerciales, notre indépendance

Chez Albin Michel, même son de cloche d’un porte-parole :

Nous ne souhaitons pas communiquer sur le sujet, rappelez d’ici quinze jours. Par contre, ce sera peut-être trop tard.

Difficile de croire que Francis Esménard, patron d’Albin Michel, puisse laisser négocier Hachette et Flammarion pour s’installer sur la plateforme Amazon sans que son catalogue y soit présent. Pourtant son aversion pour Amazon n’est pas nouvelle et il déclarait en mars dernier lors des perquisitions effectuées par la Commission européenne aux sièges de Gallimard, Flammarion, Hachette et Albin Michel que le groupe américain ne pourrait pas “mettre la main sur [leurs] fichiers”. Les perspectives de ventes affichées par Amazon ont balayé semble-t-il ces quelques réticences.


Illustrations et photos via Flickr: timtom [cc-by-nc-sa]

Retrouvez tous les articles de notre dossier sur OWNI. Image de Une: Marion Boucharlat.

- Amazon imprime ses droits
- Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent

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Apple à livre ouvert http://owni.fr/2011/08/24/nouvelle-bataille-dans-la-guerre-entre-apple-et-amazon-ebook-ipad/ http://owni.fr/2011/08/24/nouvelle-bataille-dans-la-guerre-entre-apple-et-amazon-ebook-ipad/#comments Wed, 24 Aug 2011 16:53:48 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=76827 Avant-hier, 23 personnes ont rejoint la class action lancée le 9 août contre Apple. Les plaignants reprochent à la firme de s’être concertée avec cinq des plus grands éditeurs du marché américain (dont le groupe Hachette) pour contrôler le commerce du livre numérique. À terme, leur plainte pourrait contraindre Apple à présenter à la justice l’ensemble de ses accords commerciaux avec les éditeurs.

En substance, deux particuliers, Anthony Petru et Marcus Mathis, reprochent à Steve Jobs d’avoir défini avec Harper Collins, Hachette, MacMillan, Penguin Group et Simon and Schuster, le prix de leurs livres numériques au lancement de l’iPad en avril 2010.

Les éditeurs américains se seraient associés à Apple pour faire augmenter le prix des ebooks les plus populaires et accroître leurs bénéfices [en], contraignant Amazon à abandonner sa politique “pro-consommateur” et ses prix cassés. Laisser les éditeurs fixer leur prix tout en leur interdisant de vendre moins cher ailleurs a de fait entrainé une hausse des prix chez Amazon. Aux alentours de 12 à 15 dollars soit presque le prix d’un livre papier.

Le préjudice s’élèverait à plusieurs dizaines de millions de dollars et les plaignants demandent réparation. Mais ils ne sont pas seuls à s’offusquer des manipulations soupçonnées d’Apple puisque le 22 août, 23 personnes les rejoignent pour les mêmes motifs.

La deuxième version de la plainte, datée du 22 août

“Apple ne sait pas vendre de livres”

Une grande première ? Dans le domaine peut-être, mais pas dans la guerre à laquelle ils se livrent. Car derrière cette suspicion d’entente se trouvent toutes les batailles des deux géants. Matthias Jambon-Puillet, expert dans les transformations du marché du livre à l’heure numérique et employé dans une grande entreprise du secteur, explique :

À l’époque, Amazon, c’était une librairie qui a imposé son prix unique à 9,99 dollars. C’était ça ou rien. Et quand Apple a ouvert son iBookStore en février 2010, ils ont proposé de laisser aux éditeurs la possibilité de fixer eux-même leurs prix. Qui immanquablement ont été supérieurs à ceux d’Amazon. Cette tactique avait pour but de ramener les éditeurs chez Apple. Amazon leur a précisé que s’ils voulaient partir, ils étaient libres. Avec l’entente entre Apple et les éditeurs US, nous sommes arrivés à des situations parfois ubuesques avec des prix de livres numériques supérieurs à leurs prix papier.

Pour se défendre contre la politique d’achat in-app d’Apple [en] qui condamne tout éditeur d’application à reverser à Apple 30% de l’addition, Amazon a développé sa propre application, des plus simples : pouvoir faire en sorte que l’ebook puisse être lu sur iPad à partir de son navigateur.

La bataille a lieu sur tous les fronts. Si Apple a de l’avance pour la musique avec iTunes, Amazon en a pour les livres. Lorsque ce dernier arrive sur le marché de l’achat de musique en ligne, tous les morceaux sur iTunes sont à un prix unique.

Pour se différencier, Amazon a proposé le 26 mai dernier l’album de Lady Gaga pour 1 dollar. Et une adhésion à l’Amazon Cloud, le service de stockage en ligne qui permet d‘écouter n’importe quoi, n’importe où et sur n’importe quel support. Contrairement à un morceau acheté sur iTunes qui… ne peut être lu qu’avec iTunes. Apple a été obligé de revoir sa politique tarifaire.

Pour Matthias Jambon-Puillet :

Apple ne sait pas vendre de livre, c’est un échec. Alors pour gagner du temps, ils essayent d’empêcher la concurrence d’exister. Et tente de trouver l’Idée du siècle. Le livre n’étant absolument pas leur cœur de métier. Amazon est disponible partout et tout le temps quand Apple refuse de vendre hors de son écosystème.

Mais la firme à la pomme n’obtient pas toujours gain de cause : au mois de mars, Amazon était trainé devant les tribunaux [en] par Apple pour avoir utilisé la marque AppStore sur leur site. Sans succès.

Illustration Flickr Paternité par remiforall

Pour retrouver l’ensemble du dossier sur Apple :
Apple coupe le son et Où Apple planque ses tunes

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Que vont devenir les livres? http://owni.fr/2011/04/26/que-vont-devenir-les-livres/ http://owni.fr/2011/04/26/que-vont-devenir-les-livres/#comments Tue, 26 Apr 2011 06:24:06 +0000 Kevin Kelly http://owni.fr/?p=58426 Kevin Kelly [en] n’est pas le premier venu quand il s’agit de parler de cultures digitales. Ex rédacteur en chef de Wired, il vient de publier sur son blog “What books will become” (repris sur OWNI.eu), un essai passionnant sur les avenirs possibles du livre. Nous vous laissons découvrir l’intégralité de ce billet grâce à la traduction d’Hubert Guillaud.

Un livre est une histoire autonome, un argument, ou un corps de connaissances qui prend plus d’une heure à lire. Un livre est complet dans le sens où il contient son propre commencement, milieu et une fin.

Dans le passé, un livre a été défini comme toute chose imprimée entre deux couvertures. Une liste de numéros de téléphone a été appelée un livre, même si elle n’avait pas de logique de début, de milieu ou de fin. Un tas de pages vierges lié par le dos a été appelé un carnet de croquis. Il était complètement vide, mais il avait deux couvertures, et a donc été appelé un livre.

La structure conceptuelle du livre reste

Aujourd’hui, le papier des pages d’un livre disparaît. Ce qui reste à leur place est la structure conceptuelle d’un livre – un bouquet de texte uni par un thème en une expérience qui prend un certain temps.

Alors que la coquille traditionnelle du livre est en train de disparaître, il est important de se demander si son organisation est simplement un fossile. Est-ce que le conteneur intangible d’un livre offre de quelconques avantages sur les nombreuses autres formes de textes disponibles désormais ?

On peut passer des heures à lire des histoires bien écrites, des rapports, à méditer sur le web et ne rencontrer jamais quoi que ce soit de livresque. On obtient des fragments, des discussions, des aperçus. Et c’est la grande séduction du web : proposer des pièces diverses vaguement jointes.

Pourtant, il y a des livres sur le web. Beaucoup. J’ai publié un des premiers livres qui a été disponible sur le web en 1994. Mais parce qu’on ne passe aucune frontière pour atteindre ces pages, la matière livresque tend à se dissoudre dans un enchevêtrement indifférencié de mots. Sans confinement, l’attention d’un lecteur tend à s’écouler vers l’extérieur, vagabondant en dehors du récit ou de l’argument central. La vitesse de déplacement de l’attention crée une force centrifuge qui fait tournoyer les lecteurs loin des pages du livre.

Un dispositif de lecture séparée semble aider. C’est pourquoi jusqu’ici, nous avons des tablettes, des Pad et autres équipements de poches. L’appareil de poche est le plus surprenant. Les experts ont longtemps affirmé que personne ne voudrait lire un livre sur un petit écran lumineux de quelques pouces de large, mais ils avaient tort. Et de loin. Beaucoup de gens lisent avec facilité des livres sur les écrans de leurs smartphones. En fait, nous ne savons pas encore très bien comment les petits écrans de lecture de livres peuvent si bien convenir. Il existe une expérimentation de lecture qui utilise un écran qui n’affiche qu’un mot de large. Votre œil reste immobile, fixé sur un mot, qui se remplace par le mot suivant dans le texte, puis celui d’après, etc. Ainsi, vos yeux lisent une séquence de mots qui s’affichent les uns derrière les autres plutôt que côte à côte. L’écran n’a pas besoin d’être très grand.

D’autres nouveaux écrans façonnent une maison pour les livres. L’encre électronique réfléchissante renverse actuellement le vieux monde de l’édition. Cette technologie ressemble à une feuille de papier blanc réfléchissant la lumière ambiante autour de lui, couvert de texte sombre qui peut changer. Pour l’œil moyen, le texte sur ce “papier spécial” (en fait une feuille de plastique) se présente comme une encre traditionnelle forte et lisible sur du papier. La première génération de cette encre électronique en noir et blanc a fait du Kindle un succès de vente.

Dans cette démonstration de l’encre électronique, le “livre” est une tablette, une planche qui affiche une seule page. La page unique est “tournée” en cliquant sur un bouton de la planche, de sorte que l’on dissout la page précédente dans la page suivante. Une caractéristique clé du livre électronique sur papier électronique est que la taille de la police peut être réglée individuellement. Vous voulez une police plus grande ? Il suffit de l’appeler et votre livre entier se réajuste à la forme désirée.

La tablette n’est pas (forcement) l’avenir du livre

Une page d’encre électronique peut avoir la taille d’un livre de poche ou être plus grande. Le Kindle existe en deux tailles. Quand le programme s’installe, les livres électroniques sont livrés avec une recommandation : “Ce livre est optimisé pour une taille de X pouces”. Votre livre électronique favori peut-être recouvert d’un cuir usé et bien doux. (…)

Mais il n’y a aucune raison qu’un livre électronique soit une tablette. Demain, le papier à encre électronique sera fabriqué en feuilles souples bon marché. Une centaine de feuilles peuvent être liées en un faisceau, maintenu par un dos et enveloppé de deux belles couvertures. Ce livre électronique ressemble beaucoup à un livre à l’ancienne. On peut physiquement tourner ses pages, naviguer dedans en 3D, et revenir là où on en était juste en le sélectionnant. Pour changer de livre, il suffit de toucher son dos. Maintenant, les mêmes pages montrent un ouvrage différent. Utiliser un livre d’images 3D est si sensuel qu’il pourrait désormais valoir le coup d’en acheter un avec des feuilles plus minces, plus satinées…

Personnellement, j’aime les grandes pages. Je veux un lecteur de livre électronique qui se déroule, comme un origami, taillé dans une feuille au moins aussi grande qu’un journal d’aujourd’hui. Peut-être avec autant de pages. Cela ne me gêne pas de prendre quelques minutes pour le replier et le mettre dans ma poche quand j’ai terminé. J’apprécie de pouvoir regarder plusieurs colonnes de texte et sauter entre les gros titres sur un plan. Le Media Lab du MIT et d’autres laboratoires de recherche expérimentent des prototypes de livres projetés par des lasers à partir d’un appareil de poche sur une surface plane à proximité. L’écran, ou la page, est tout ce qui est à portée de main.

Le livre dont vous êtes vraiment le héros

Dans le même temps, un écran qu’on peut regarder peut aussi nous regarder. Les petits yeux intégrés dans la tablette, l’appareil photo qui vous fait face, peuvent lire votre visage. Des prototypes de logiciels de suivi de visages savent déjà reconnaître votre humeur, si vous êtes attentif, et surtout savoir ce qui attire votre attention à l’écran. Il peut savoir si un passage vous semble confus, s’il vous rend heureux ou s’il vous ennuie. Cela signifie que le texte pourrait s’adapter à la façon dont il est perçu. Peut-être qu’il se développera plus en détail, ou se rétractera selon votre vitesse de lecture, adaptera le vocabulaire à votre niveau, ou réagira de mille manières possibles. Il existe de nombreuses expérimentations qui jouent d’un texte qui s’adapte. Le livre peut vous proposer des résumés des différents personnages et de l’intrigue en fonction de ce que vous avez déjà lu…

Une telle souplesse rappelle le tant attendu, mais jamais réalisé, rêve d’histoires qui bifurquent. Les livres qui ont de multiples fins ou les scénarios alternatifs. Les précédentes tentatives d’hyper-littérature hyper ont rencontré un échec lamentable parmi les lecteurs. Les lecteurs ne semblaient pas intéressés pour décider de l’intrigue, ils voulaient que l’auteur décide. Mais ces dernières années des histoires complexes avec des voies alternatives ont rencontré énormément de succès dans le domaine du jeu vidéo (et en passant, il y a beaucoup de phases de lecture dans de nombreux jeux.) Certaines des techniques pionnières dans l’apprivoisement de la complexité des histoires axées sur l’utilisateur dans les jeux pourraient migrer vers les livres.

En particulier les livres avec des images en mouvement. Nous n’avons pas encore de mots pour ces objets. Nous appelons les livres avec beaucoup d’images fixes des livres d’images ou des beaux livres ou des livres d’art. Mais il n’y a aucune raison que les images dans les livres numériques demeurent statiques. Et aucune raison non plus qu’on pense pour autant qu’ils deviennent des films. Sur un écran, on peut marier texte et images vives, l’un informant l’autre. Que ce soit du texte à l’intérieur des images animées aussi bien que des images à l’intérieur du texte. Quelques schémas interactifs produits par le New York Times et le Washington Post se sont déjà approchés de ce mariage des mots et du mouvement.

Cet hybride de films et de livres nécessitera un ensemble d’outils que nous n’avons pas à notre disposition pour le moment. À l’heure actuelle, il est difficile de feuilleter des images en mouvement, ou d’analyser un film, ou d’annoter une image dans un film. Idéalement, nous aimerions manipuler des images cinétiques avec la même facilité et la même puissance que nous manipulons du texte – en l’indexant, le référençant, le coupant, le collant, le résumant, le citant, le liant et en paraphrasant son contenu. A mesure que nous acquérons ces outils (et ces compétences), nous allons créer une classe de livres très visuels, idéal pour la formation et l’éducation, que nous pourrons étudier, rembobiner et étudier à nouveau. Ils seront des livres que nous pourrons regarder ou une télévision que nous pourrons lire.

Quand le livre sera libéré, il sera plus facilement manipulable

Quand une table peut servir d’écran pour un livre et qu’un livre peut-être quelque chose que nous regardons, nous devons revenir à la question de ce qu’est un livre. Et de ce qui lui arrive quand il devient d’origine numérique.

L’effet immédiat des livres d’origine numérique est qu’ils peuvent circuler sur n’importe quel écran, n’importe quand. Un livre apparaît quand il est convoqué. Le besoin d’acheter ou de stocker un livre avant de lire s’en est allé. Un livre est moins un objet et plus un flot qui s’écoule sous vos yeux.

Les gardiens actuels des livres électroniques – Amazon, Google et les éditeurs – ont décidé de paralyser la liquidité des livres électroniques en empêchant les lecteurs d’un texte de le copier-coller facilement, de copier une grande partie d’un livre ou d’empêcher la manipulation sérieuse d’un texte. Mais à terme, les textes des livres électroniques seront libérés et la vraie nature des livres s’épanouira. Nous verrons que les livres n’ont jamais vraiment voulu être des annuaires téléphoniques ou des catalogues de matériel ou des listes gargantuesques. Ce sont des emplois que les sites remplissent de manière bien meilleure – notamment pour la mise à jour ou la recherche – et des tâches pour lesquelles le papier n’est pas adapté. Ce que les livres ont toujours voulu, c’est d’être annotés, marqués, soulignés, écornés, résumés, croisés, hyperliés, partagés, et discutés. Devenir numérique leur permet de faire tout cela et bien plus.

Nous pouvons avoir un aperçu de cette nouvelle liberté avec le dernier Kindle. Alors que je lis un livre, je peux (avec quelques difficultés encore) mettre en évidence un passage dont je tiens à me rappeler. Je peux extraire les faits saillants et relire ma sélection d’éléments les plus importants ou mémorables. Plus important encore, avec mon autorisation, mes surlignements peuvent être partagés avec d’autres lecteurs, et je peux lire les leurs. On peut même filtrer les plus populaires mis en lumière par tous les lecteurs, et de cette manière commencer à lire un livre d’une manière nouvelle. Je peux aussi lire les surlignements d’un ami, un érudit ou un critique. Cela donne une audience plus large aux précieuses marges, à la lecture attentive d’un autre auteur du livre, une aubaine qui était auparavant uniquement réservée aux collectionneurs de livres.

L’hyperliage dense des livres ferait de tout livre un évènement en réseau

Nous pouvons partager non seulement les titres des livres que nous lisons, mais nos réactions et les notes que nous avons prises à mesure que nous les lisons. Aujourd’hui, nous pouvons surligner un passage. Demain, nous serons en mesure de relier les passages. Nous pourrons ajouter un lien entre une phrase du livre que nous lisons et une phrase contrastée d’un autre livre que nous avons lu, nous pourrons ajouter un lien entre un mot dans un passage et un obscur dictionnaire, entre une scène dans un livre et une scène similaire dans un film (toutes ces astuces nécessitent des outils pour trouver des passages pertinents). Nous pourrons nous abonner au flux d’annotation de quelqu’un que nous respectons, et nous n’obtiendrons pas seulement leur liste de lecture, mais également leurs notes, leurs surlignements, leurs questions, leurs réflexions…

Ce type de discussions sous forme de club de lecteurs intelligents, comme il arrive désormais sur GoodReads, pourrait suivre le livre lui-même et devenir plus profondément ancré dans le livre au moyen d’hyperliens. A l’avenir quand une personne citera un passage particulier, un lien bidirectionnel pourra relier le commentaire au passage et le passage au commentaire. Même un ouvrage mineur pourrait ainsi accumuler un ensemble de commentaires critiques étroitement liés au texte.

L’hyperliage dense des livres ferait de tout livre un évènement en réseau. Pour le moment, le meilleur que peut faire un livre est de lier le titre d’un autre livre. Si un autre travail est mentionné en passant ou dans sa bibliographie, un livre électronique peut activement lier le livre en entier. Mais il vaudrait mieux lier vers un passage spécifique dans un autre travail, une prouesse technique qui n’est pas encore possible. Mais quand nous saurons lier profondément les documents au niveau de résolution d’une phrase, et avec des liens qui vont dans les deux sens, alors nous aurons construit des livres en réseaux (ce qui était, en passant, la vision originale de Ted Nelson quand il évoquait le “docuverse”).

Wikipedia, l’exemple du livre numérique participatif

Vous pouvez avoir une idée de ce que cela pourrait être en visitant Wikipedia. Pensez à Wikipedia comme un très grand livre – une encyclopédie unique – ce qu’elle est bien sûr. La plupart de ses 27 millions de pages sont bourrés de mots soulignés en bleu, indiquant des hyperliens se reliant à des concepts ailleurs dans l’encyclopédie. Wikipedia est le premier livre en réseau. Quand tous les livres deviendront entièrement numériques, chacun d’entre eux accumulera l’équivalent de ces passages soulignés de bleus, chaque référence littéraire sera mise en réseau dans le livre et dans tous les autres livres. Cet hyperliage profond et riche va tisser tous les livres en réseaux en un grand métalivre : la bibliothèque universelle. Au cours du prochain siècle, les savants et les amateurs, aidés par des algorithmes de calcul, vont tricoter ensemble les livres du monde en une seule littérature en réseau. Un lecteur sera capable de générer le graphe social d’une idée ou la chronologie d’un concept ou la carte d’influence d’une idée dans une bibliothèque… Nous en viendrons à comprendre que nul travail, nulle idée ne s’impose seule, mais que toutes les choses, bonnes, vraies et belles sont en réseaux, composent des écosystèmes pièces interreliées, d’entités liées et de travaux similaires.

Wikipedia est un livre qui n’est pas seulement lu socialement, mais également socialement écrit. On ignore encore combien de livres seront écrits collectivement. Il semble évident que de nombreux ouvrages scientifiques et techniques seront construits grâce à la collaboration décentralisée en raison de la nature profondément collaborative de la science. Mais le noyau central de la plupart des livres continuera probablement à être l’auteur isolé. Toutefois, les références auxiliaires en réseau, discussions, critiques, bibliographies et liens hypertextes entourant le livre seront probablement le fruit d’une collaboration. Les livres sans ce réseau se sentiront nus.

La bibliothèque complète universelle (tous les livres dans toutes les langues) sera bientôt disponible sur n’importe quel écran. Il y aura plusieurs façons d’accéder à un livre, mais pour la plupart des gens la plupart du temps, un livre particulier sera essentiellement libre (vous aurez à payer une redevance mensuelle pour “tout ce que vous pouvez lire”). L’accès sera facile, mais trouver un livre, ou obtenir de l’attention pour un livre sera difficile… d’où l’importance de l’accroissement du réseau de l’ouvrage, car c’est le réseau qui apportera les lecteurs.

“des flux de mots plutôt que des monuments”

Une bizarrerie des livres en réseau, c’est qu’ils ne sont jamais terminés, ou plutôt qu’ils deviennent des flux de mots plutôt que des monuments. Wikipedia est un flux de modifications, comme quelqu’un qui essaye d’en faire une citation le réalise. Les livres aussi sont en train de devenir des flux, des premières versions de l’ouvrage sont écrites en ligne, les versions antérieures publiées, les corrections apportées, les mises à jour ajoutées, les versions révisées approuvées en ligne. Un livre est en réseau dans le temps ainsi que dans l’espace.

Mais à quoi bon appeler ces choses des livres ? Un livre en réseau, par définition, n’a pas de centre ni de bords. Est-ce que l’unité de la bibliothèque universelle pourrait être la phrase ou le paragraphe, l’article ou le chapitre au lieu du livre ? Peut-être. Mais il y a un pouvoir dans la forme longue. Une histoire autonome, un récit unifié, un argument clos qui a une attraction étrange pour nous. Il y a une résonance naturelle qui attire un réseau autour de lui. Nous allons découper les livres en bits constitutifs et tricoter ces pièces dans le web, mais l’organisation de niveau supérieur de l’ouvrage va continuer à focaliser l’attention. Un livre est une unité d’attention. Un fait est intéressant, une idée est importante, mais seulement une histoire, un bon argument, un récit bien conçu sont étonnants et ne s’oublient jamais. Comme le disait Muriel Rukeyser (poète américaine) [en]: “L’univers est fait d’histoires, pas d’atomes.”

Pour le moment, nous sommes dans une course pour trouver le bon conteneur des livres numériques. Libérés de leur coquille de papier, ils semblent avoir besoin de plus que de l’immensité ouverte du web. Ils aiment la compacité virale d’un PDF, mais pas son apparence rigide. L’iPad est sensuel et intime (comme le contenu des livres), mais actuellement lourd dans la main. Le Kindle a l’avantage de concentrer l’attention comme les livres l’aiment. Ces deux derniers conteneurs électrisent le public pour leur commodité et la qualité de leur interface. Les livres peuvent apparaître sur n’importe quel écran, et peuvent être lus partout où il est possible de les lire, mais je pense qu’ils se tourneront naturellement vers des formes qui optimiseront la lecture.

Dans le long terme (disons les prochains 10-20 ans), nous ne paierons plus pour des livres à l’unité, pas plus que nous ne paierons pour des chansons individuelles ou des films. Tout sera diffusé dans les services sur abonnement payant, vous pourrez juste “emprunter” ce que vous voulez. Voilà que devrait désamorcer l’angoisse actuelle de produire un conteneur pour les livres électroniques. Les livres électroniques ne seront pas possédés. Ils seront accessibles. Le véritable défi à venir est de trouver un dispositif d’affichage qui permettra l’attention dont les livres ont besoin. Une invention qui vous encourage à aller au paragraphe suivant avant la prochaine distraction. Je suppose que cela résultera d’une combinaison de logiciels incitatifs, d’interfaces lecteurs évoluées et de matériel optimisé pour la lecture. Et de livres écrits avec ces appareils à l’esprit.

Kevin Kelly
Traduction Hubert Guillaud

Photo Credits: Flickr CC doordoordoor, Remi Mathis, Phil Bradley, michaelrighi

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Reader d’ebook: ce que lecteur veut http://owni.fr/2011/03/28/reader-ce-que-lecteur-veut/ http://owni.fr/2011/03/28/reader-ce-que-lecteur-veut/#comments Mon, 28 Mar 2011 09:35:15 +0000 Hervé Bienvault http://owni.fr/?p=53524

Ce Salon qui vient de se terminer m’aura aussi permis de rencontrer plusieurs gros lecteurs/lectrices sur des modèles de toute sorte. Voire des très gros lecteurs/lectrices, certains dévorent, une véritable addiction, ils se reconnaîtront ! L’occasion de confronter à la fois les pratiques et les retours en tant que lecteurs assidus. Puisque même Arnaud Nourry nous parle d’une concurrence au livre de poche américain ! Confirmation aussi des profils communiqués récemment par Kobo.

Les personnes qui lisent beaucoup sont dans leur immense majorité sur les modèles en papier électronique : Sony, Cybook, PocketBook, FnaccBook, Kindle, etc. ; cela ne fait aucun doute dans les retours que j’ai. La Fnac, France-Loisirs ne se sont pas trompés de cible. La lecture sur les tablettes reste une lecture très largement occasionnelle, en aucun cas adoptée par les gros lecteurs. Sans doute pour la question du prix des modèles mais aussi pour les conditions de lecture en tant que telles : mobilité, rétro-éclairage, proximité d’Internet (et oui, cela revient souvent dans les commentaires !). Tous les lecteurs que j’ai rencontrés ont d’ailleurs des smartphones et jugent l’utilisation complètement différente, en aucun cas concurrente, c’est intéressant de le signaler.

Beaucoup d’anglophones ont déjà sauté le pas

J’ai été surpris que les modèles américains, notamment le Kindle, sont déjà bien plus présents en France qu’on ne le croit, beaucoup d’anglophones ont déjà sauté le pas. Difficile d’appréhender le phénomène (il n’y a qu’Amazon qui le sait exactement), mais le cas de cette dame qui déambulait au salon avec son Kindle n’est pas du tout le fait d’une extra-terrestre ! Les Kindle circulent déjà beaucoup en France parmi les anglophones, c’est certain.

Sur les retours, sur des questions liées aux différents débats tactile/non tactile, wifi/non wifi que l’on s’attendrait à trouver, chacun s’adapte plutôt bien au modèle qu’il a choisi. Ces éléments, même s’ils peuvent être décisifs au moment de l’achat, sont finalement peu importants après-coup. Même ceux qui ont opté pour des modèles non tactiles ne voient pas bien après coup à quoi cela leur servirait. Je ne constate pas de regrets particuliers des uns et des autres après plusieurs mois d’utilisation. Les gens prennent beaucoup de temps à comparer les modèles, les différentes technologies, ce n’est pas du tout un achat impulsif. Les choix faits au départ semblent complètement assumés dans la durée.

D’abord, confirmation que les lecteurs adhèrent maintenant très fortement à l’ePub. Si certains  voulaient encore des PDF pour la qualité des présentations, ils se rendent compte maintenant que lire de l’ePub est bien plus pratique et pérenne pour constituer des bibliothèques. D’autre part, c’est plus sur les façons dont les livres sont conçus que le débat se porte et c’est finalement rassurant que les lecteurs soient sensibles à la présentation de ce qu’on leur donne à lire. Et là, c’est vraiment pas bon pour certains éditeurs et lecteurs, il faut bien le dire.

Des préoccupations de lecteurs attachés à la présentation typographique des livres

Voici une petite synthèse que j’ai faite durant ces quelques jours et qui recoupe ma propre pratique. Si elle n’a pas de valeur statistique (je ne suis pas Ipsos !), elle présente des éléments suffisamment récurrents à chaque fois pour permettre d’appréhender ce que des lecteurs attendent, et sur le fond, ce sont des préoccupations de lecteurs de livres, de lecteurs attachés à la présentation typographique des livres :

  • texte justifié impérativement.
  • empagement avec 1.500/1.700 signes ; les gens veulent des mises en pages simples type livre de poche indiscutablement, quitte à grossir la police après coup par eux-mêmes s’ils le désirent.
  • marges suffisamment larges (5 à 10 mm) et égales ; certains éditeurs font le choix de décentrer en laissant une marge plus importante à droite pour un folio, beaucoup de retours contre.
  • blancs de tête et de pied (5 à 10 mm) également, il faut que ça respire !
  • césures seraient appréciées pour éviter les blancs typographiques.
  • éviter l’interlignage trop important.
  • éviter les alinéas trop importants, 4/7 mm maxi ; certains font plusieurs centimètres, extrêmement gênants.
  • polices à privilégier : des polices avec empâtements type Garamond/Plantin/ Minion par exemple côté propriétaires ; polices sans srif, Déjà Vu et Libération par exemple côté libres. Les gens réclament plus de choix de ce côté-là, type iBooks par exemple

On retrouve indiscutablement les caractéristiques des mises en page de livre de poche. C’est la réflexion de bon sens qui revient souvent d’ailleurs, mais pourquoi donc les éditeurs ne s’alignent pas sur les livres de poche ? C’est exprès ? Support papier ou électronique, peu importe, les gros lecteurs veulent retrouver leurs textes de la même façon. L’un et l’autre se superposent. On comprend le soin exemplaire d’Amazon et d’Apple pour la présentation typographique, c’est loin d’être de l’ordre du gadget. Quand vous passez des heures à lire, vous appréciez le soin qui a été fait par l’éditeur ou le fabricant du lecteur.

Je vous invite à me laisser vos impressions sur tel ou tel point important que j’aurais oublié, pour confirmer ou infirmer. Si vous êtes vous-même gros lecteurs, je serais ravi d’avoir vos commentaires. Ces premiers éléments pourraient servir d’ébauche à une étude plus générale. C’est vrai que je n’ai pas encore vu grand chose sur tous ces aspects. Peut-être l’objet d’un travail d’étudiant sur la question ? Je pense que tous ces retours de lecteurs pourraient être approfondis dans les bibliothèques et cela ne manière statistique, mais cela est peut-être déjà le cas, non ?

PS : Beaucoup d’échos négatifs du côté du logiciel Adobe Viewer qui ne permet absolument aucune latitude, on se retrouve face à des choix de l’éditeur qui ne nous conviennent pas forcément, engendrant finalement beaucoup de frustrations et de recherches sur des offres non-légales alternatives.

PS : un commentaire que je remonte dans ma note :

Pour être complet à propos de modèles qui ouvrent sur un choix de polices de caractères, comme FBReader embarqué sur les PocketBook, voici la liste des douze polices disponibles et leurs classifications Thibaudeau pour faire simple :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_Thibaudeau

- Cyrillic Old (Script)
- Menuet (Script)
- DejaVuSans (Antique)
- DejaVuSansMono (Antique)
- DroidSansMono (Antique)
- LiberationMono (Antique)
- LiberationSans (Antique)
- MyriadPro (Antique)
- Verdana (Antique)
- CaeciliaBoldSC (Egyptienne)
- DejaVuSerif (Didot)
- LiberationSerif (Elzévir)

Quelques polices qu’il me parait pertinent d’intégrer sans attendre ; les versions ttf sont à mettre dans le dossier, vous les trouverez payantes ou gratuites sur le Net :)
- Adobe Garamond Regular
- Baskerville Classico
- Minion Pro
- MPlantin
- Times (of the West) ou autre

Lire Proust en Garamond, c’est quand même autre chose !

N’hésitez pas à m’en donner d’autres que vous appréciez en tant que gros lecteurs et “amoureux de la typo”. Un “best of” des dix meilleures polices pour bientôt ?

Billet initialement publié sur Aldus sous le titre “Lecture : retours des lecteurs”

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http://owni.fr/2011/03/28/reader-ce-que-lecteur-veut/feed/ 20
Les futurs du livre http://owni.fr/2010/09/17/les-futures-du-livre/ http://owni.fr/2010/09/17/les-futures-du-livre/#comments Fri, 17 Sep 2010 09:25:20 +0000 Esperluette (Café du Web) http://owni.fr/?p=28414 En dépit d’une moisson encore plus fructueuse qu’en 2009 (si on exclut les surplus qui iront au pilon), cette rentrée littéraire sera marquée par la mort annoncée du livre imprimé. On en parle depuis une bonne décennie mais les événements récents indiquent que la révolution est bien en marche. L’arrivée de nouveaux appareils contribue à démocratiser l’ebook et de nouvelles plateformes de téléchargement sont créées presque chaque jour. Les polémiques opposant les défenseurs de l’imprimerie aux aficionados du numérique s’essoufflent, tandis que se multiplient les débats sur l’ avenir des librairies traditionnelles et des bibliothèques, l’instauration d’un prix unique du livre ou d’un taux de TVA réduit, l’intégration de publicités dans les textes, la censure, le piratage, les droits d’auteurs, l’écologie électronique, etc.
Lors d’une conférence à Lake Tahoe (Californie) en août dernier, l’informaticien Nicholas Negroponte, professeur au MIT de Boston, a prédit la mort du livre papier pour 2015. Le professeur Peter Cochrane, un autre futurologue américain, prétend quant à lui que d’ici 20 à 30 ans, les ouvrages imprimés seront devenus de couteux objets de collection, que l’on exposera dans les musées, à l’instar des antiques machines à écrire mécaniques. Les chiffres qui paraissent régulièrement dans la presse semblent leur donner raison.

Néanmoins, une étude publiée sur le site du Sénat français envisage deux scénarios différents. En France 15% des lecteurs achètent 50% des livres. Dans l’hypothèse où ceux qui lisent le plus « basculeraient » et s’équiperaient progressivement (d’ici 2050) de tablettes de lecture numériques ou de smartphones, ce sont donc la moitié des livres papier publiés annuellement qui pourraient disparaître (scénario 2). Cependant, lors d’une conférence de presse en mai 2009, Jeff Bezos, le PDG d’Amazon, a déclaré que jusqu’à présent le Kindle n’avait pas suscité de diminution des ventes de livres papier. Les acheteurs de livres numériques continuent d’acheter des livres papier, auxquels viennent s’ajouter l’acquisition de 1,6 à 1,7 livres numériques par livre papier vendu (scénario 1).

Scénario 2 : cannibalisation du livre papier par le livre numérique


Le mois dernier, le Wall Street Journal a publié les résultats d’une étude sur les pratiques des lecteurs sur tablettes (Kindle, Sony Reader et autres iPad). On apprenait ainsi que 40% des utilisateurs lisent plus depuis qu’ils sont équipés d’un lecteur ebook, soit en moyenne 2,6 livres par mois contre 1,9 pour les fidèles des livres imprimés. Il faut noter qu’ils téléchargent 52% d’ouvrages libres de droits. Aux États-Unis, les ventes d’ebooks ont augmenté de 176% en 2009 tandis que les livres papiers diminuaient de 1.8%.

Dans un autre article, le Wall Street Journal révèle que le dernier polar de la romancière Laura Lippman, paru le 17 août, s’est vendu à 4.739 exemplaires en version numérique contre 4.000 en papier en cinq jours. Son éditeur, HarperCollins réalise actuellement 8% de son chiffre d’affaires sur les ebooks, avec une perspective à 20- 25% d’ici la fin 2012.

Le PC reste le support le plus utilisé par les Américains (44% des usagers en janvier 2010) mais il décline au profit des e-readers (36%). L’iPad, développé par Apple, propose le catalogue le plus vaste de téléchargement et domine actuellement le marché. Ces concurrents (Amazon, Barnes & Noble et Borders) se sont lancés dans une impitoyable guerre des prix. Le Kindle est passé de 259 $ à 189 $ et le Nook de 259 $ à 199 $. Les magasins Borders de leur coté soldent le Kobo à 100 € et lancent le modèle Aluratek à 99 $. En juillet, Amazon a annoncé que ses ventes avaient triplé depuis la baisse des prix. En trois mois, le géant américain aurait vendu 143 livres Kindle pour 100 Hardcovers (livres reliés en grand format). Ces chiffres ne tiennent donc pas compte des paperbacks (les livres à couvertures souples et les collections de poche). Sony réplique avec le lancement de deux nouvelles gammes d’appareils: le Reader Touch Edition et le Reader Pocket Edition.


Tous ces indicateurs sont impressionnants mais il faut les replacer dans leur cadre. Au Japon, le pays le plus avancé dans la transition vers le livre numérique, la part de l’ebook ne représentait pas plus de 3% à 6 % (selon les sources) du marché du livre en 2009. Les e-readers japonais utilisent encore essentiellement leurs téléphones portables et, en dépit d’une hausse de près de 24% en un an, le marché présente des symptômes d’essoufflement. Les ouvrages téléchargés ont généré 57,4 milliards de yens (522 millions d’euros) entre avril 2009 et mars 2010. Ce marché est largement dominé par les contenus pour adultes et les mangas (89 % des ouvrages numérisés). Les codes des livres graphiques diffèrent beaucoup de ceux de l’édition traditionnelle. Les keitai shousetsu (romans pour mobiles), qui connaissent un succès phénoménal (jusqu’à 10 millions de téléchargements), sont généralement écrits sur et pour des smarphones (Nokia, Blackberry, Apple…). Ils utilisent les abréviations, le style de l’écriture SMS et sont publiés sous forme de feuilletons. Des mangas sur mobiles ont été lancé en Grande-Bretagne et en France, à l’occasion du Japan Expo.
NTT Docomo, numéro 1 de la téléphonie mobile au Japon, a annoncé la mise en place d’un partenariat avec Dai Nippon Printing, le géant de l’édition, en vue de concevoir son propre lecteur numérique. À cela s’ajoute la création d’une librairie numérique proposant quelques 100 000 titres (mangas et romans) dès le mois octobre prochain. L’entreprise japonaise ambitionne de porter son catalogue à 300 000 titres, d’ici à la fin de l’année 2011, qui seront disponibles sur tous les supports existants.
Une autre étude a été réalisée en Chine, à l’occasion du salon du livre à Pékin (du 30 août au 3 septembre dernier). Sur les 150 milliards de dollars que représentent l’édition, près de 12 milliards sont générés par la vente de livres numériques.

Embryonnaire en France

En Belgique, en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne, le marché du livre numérique est encore embryonnaire et ne représente guère plus de 1% du chiffre d’affaires des éditeurs. Selon Arnaud Nourry, le P-DG d’Hachette Livre, le marché ne décollera pas avant 2012-2013 en France et en Grande Bretagne.
En mars dernier, le Figaro littéraire a publié les résultats d’une étude de l’institut OpinionWay sur les pratiques de lecture des Français. Une personne sur cinq pense passer au numérique dans un avenir proche, via un écran d’ordinateur (11%), un e-book (7%), un téléphone mobile (2%) ou l’écoute d’un CD lu par un comédien (2%). Une autre étude, menée par l’Observatoire de la BD numérique, en février et mars 2010, vient confirmer ces résultats puisque 70% des internautes favorisent le papier. Néanmoins, 45 % d’entre eux considèrent le smartphone comme un outil complémentaire pour la lecture de BD.


Au premier semestre 2009, le nombre de livres téléchargés était évalué à 65 000 volumes de l’autre coté du Rhin contre 25 000 livres numérisés hors domaine public en France. Ils ont rapporté 30 à 40 millions d’euros aux éditeurs de l’Hexagone, l’essentiel des supports physiques étant les CD et DVD. Pour cette rentrée littéraire 2010, les lecteurs se verront néanmoins proposer 80 nouveautés numériques contre 700 papiers. À l’heure actuelle trois plateformes de téléchargement couvrent 80% de l’offre numérique : Numilog, la filiale d’Hachette, e-Plateforme pour Editis et Média Participations, ainsi qu’Eden Livres pour Flammarion, Gallimard et La Martinière. Numilog a récemment conclu des partenariats avec Carrefour et Darty, qui ont désormais leur fast-food culturel. Média Participations, qui regroupe Dargaud, Lombard, Dupuis, Casterman, Fluide Glacial et Bamboo a ouvert son portail Iznéo, à l’occasion du Salon du livre, le 26 mars dernier. Il s’agit d’une plateforme entièrement dédié à la bande dessinée numérique. Les éditions Glénat, de leur coté, se sont associées à Ave!Comics Production pour propulser un catalogue numérique dont les titres sont également disponibles sur les boutiques en ligne Appstore, Relay et BDgest.

Les éditeurs de science-fiction ont à leur tour pris quelques initiatives, à l’occasion de cette rentrée littéraire 2010. On peut mentionner l’ouverture de la plateforme e-Bélial en août, la numérisation des Enfants de Hurin de Tolkien (aux éditions Bourgeois) ou d’épisode des Derniers hommes de Pierre Bordage (aux éditions au Diable Vauvert). Par ailleurs, quelques librairies indépendantes, telle Gibert Jeune à Paris, se sont d’ores et déjà préparées à négocier le tournant de la révolution numérique. Elles peuvent, par exemple, passer par des revendeurs spécialisés comme les librairies e-pagine ou Immatériel.fr.

En Suisse romande, l’OLF (l’Office du livre) s’est déjà donné les moyens de défendre les librairies indépendantes, grâce à la création du site e-readers.ch. Par l’intermédiaire de cette plateforme de téléchargement, les internautes peuvent sélectionner la librairie de leur choix qui perçoit environ 25% de commission sur la vente des livres numériques. Parmi elles, il y a également de grosses librairies comme Payot et la Fnac. Par ailleurs, deux maisons d’éditions françaises, Gallimard et de Seuil, participent à cette initiative. Actuellement, 30 000 livres à télécharger sont disponibles sur la plateforme e-readers.ch, dont 5000 ouvrages en français, 5000 en allemand et 20000 en anglais.
Au Québec, enfin, où le numérique représente environ 1% du chiffre d’affaire de l’édition, l’entrepôt numérique De Marque héberge les versions numériques de près de cinquante maisons d’édition. De Marque estime pouvoir rallier 85 % des éditeurs québécois à sa plateforme de distribution dans un avenir proche. Trois maisons dominent actuellement le secteur du livre numérique au Québec, avec plus de 1000 ventes chacune. Il s’agit des éditions Alire, des éditions Alto et des Guides de voyage Ulysse. Deux librairies en ligne, jelis.ca et livresquebecois.com, permettent également de se procurer des ouvrages téléchargeables.

Billet initialement publié sur le Café du Web

Images CC Flickr goXunuReviews

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http://owni.fr/2010/09/17/les-futures-du-livre/feed/ 5
Le roman de demain, pas seulement une histoire d’e-paper http://owni.fr/2010/08/17/le-roman-de-demain-pas-seulement-une-histoire-d%e2%80%99e-paper/ http://owni.fr/2010/08/17/le-roman-de-demain-pas-seulement-une-histoire-d%e2%80%99e-paper/#comments Tue, 17 Aug 2010 09:16:55 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=24981 A suivre, cet été, l’expérience rafraichissante menée par deux auteurs américains: “My Darklyng” un roman feuilleton destiné à la génération Facebook, dont l’univers vit en parallèle sur les réseaux sociaux. Une démonstration plutôt convaincante de la façon dont Internet peut faire évoluer le roman.

A la demande du site internet Slate.com, Laura Moser et Lauren Mechling se sont lancées dans l’écriture d’un roman écrit spécifiquement pour une audience en ligne. L’histoire surfe sur la vague vampire, nouveau graal des romans pour jeunes adultes et adolescents, après le filon Harry Potter.


Au delà de la technique d’écriture, “My Darklyng” utilise les réseaux sociaux pour faire vivre son univers. Deux acteurs incarnent donc les personnages principaux sur une page Facebook dédiée, censée être mise à jour par l’héroïne. Nathalie Pollock, une adolescente de 16 ans, veut devenir mannequin, et est fascinée par les histoires de vampires. On y retrouve des vidéos des deux protagonistes filmées par les acteurs eux-mêmes, mais aussi des contenus glanés sur le Net qui nous en disent plus sur sa personnalité.

“Nathalie” (qui n’existe pas) tient également un compte Twitter. Tout comme Fiona Saint-Clair, auteur imaginaire et mystérieux d’une série de romans de vampires. Les auteurs ont essayé de lui créer une page Wikipédia, mais se sont vite faits démasquer par la communauté :

L’histoire se raconte et s’écrit donc à la fois dans le roman-feuilleton publié par Slate, mais aussi sur Twitter et Facebook.

“Si Andy Wahrol était encore vivant aujourd’hui, il passerait son été à écrire un roman qui se déroulerait en temps réel sur Facebook”, s’enthousiasme le New-York Times”. Voilà qui est fait.

Ce qui est intéressant ici, c’est que l’on utilise le réseau pour faire vivre l’écriture, tout en préservant le travail de l’écrivain, traditionnellement vertical: entraîner ses lecteurs dans son univers, sans leur demander leur avis, cela va de soi… Ce qui fait tout le délice de la lecture, depuis l’Odyssée d’Homère jusqu’à Harry Potter.

Internet et le roman -et plus généralement Internet et l’édition-, cela fait longtemps que l’on tourne autour du sujet. Depuis l’avènement d’Internet, on s’interroge sur l’impact du réseau sur l’édition et l’écriture des romans.

On s’est d’abord dit (ce qui n’était pas idiot) qu’Internet bouleversant les usages de lecture, il allait forcément modifier la façon dont les internautes liraient les romans. Restait à savoir comment.

Or, si l’évolution de la consommation d’infos est plus évidente à observer, ou à deviner, sur la consommation des infos, l’exercice est plus difficile dès que l’on aborde la lecture des romans. D’abord parce que la lecture d’un roman met en jeu une relation très particulière, intime, finalement très solitaire, entre un lecteur et un auteur ou son univers. Où l’on se laisse d’autant plus guider, de façon linéaire, que l’imaginaire n’est que rarement prisonnier de l’œuvre, parce qu’il peut l’interpréter et se l’approprier à sa guise.

On donc vu passer diverses expériences. Peu sont convaincantes au final, mais toujours intéressantes :

- La co-création, chacun participe à l’écriture d’un roman collectif, à la façon d’un wiki. Exercice théorique qui casse la personnalisation, et l’intériorisation de l’œuvre.

- Plus intéressant, les “fanfictions, des centaines de milliers de romans ou nouvelles écrits par des fans, adeptes d’une série télé, d’un film, d’un roman ou d’un comic. Ils élargissent les univers imaginaires déjà existants et inventent de nouvelles aventures pour leurs personnages favoris.

- Le twitt-roman: Twitter accélérant la lecture par l’installation d’une micro-écriture, on s’est dit que l’avenir était peut-être à la lecture snacking. Quelques expériences sur Twitter relevées par Francis Pisani, qui se sont vite essoufflées. Mais des exemples bien plus intéressants au Japon, avec les “cellphone novels” des romans écrits et lus par des millions de Japonais sur mobile.

- L’interactivité: l’auteur écrit sur un mode collaboratif, et se laisse guider par les suggestions de son audience. Ou alors, il propose plusieurs choix au lecteur, sur le modèle du jeu de rôle. Intéressant, mais finalement assez anecdotique. On demande à un auteur de nous emmener, pas forcément de se laisser emmener par son lecteur. Ce n’est pas le cas pour le jeu vidéo, qui est en train de réussir à bouleverser les codes de la narration au cinéma, dont il est très proche, avec des titres comme Heavy Rain du Français David Cage, ou encore Final Fantasy. Mais ce n’est sans doute pas sur ce terrain là qu’Internet révolutionnera le roman.

- Les blogs: laboratoire d’écriture, le blog a rapidement permis à des talents méconnus de partager leurs histoires, souvent sous la forme de témoignages. Le style est court, les histoires aussi. Le succès du blog débouche parfois sur un livre. Le blog, qui permet de fédérer une communauté autour de ses écrits, sans passer par un éditeur, a permis l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains, au style plus “parlé” et direct. C’est l’histoire de William Réjault (photo ci-dessus), anciennement “Ron l’infirmier“, l’infirmier blogueur qui est passé de la compilation sur papier de ses histoires initialement publiées sur son blog à l’écriture plus traditionnelle de romans. Le dernier vient de paraître chez Plon. Avec entre temps une expérience d’écriture d’un roman sur iPhone, où les internautes pouvaient suggérer des idées ou apporter des informations via un blog.

- Côté édition, l’arrivée des e-readers comme le Kindle, et demain les tablettes, devraient continuer de démocratiser la lecture en adaptant le support aux usages de la “génération mobile”. Et sans doute concourir à révolutionner l’édition en réduisant les coûts de production, permettant à chacun de devenir son propre éditeur.

L’initiative la plus convaincante dans ce domaine, est celle des créateurs de MyMajorCompany, qui permet aux internautes de produire des artistes (c’est de là que sont sortis Joyce Jonathan et Grégoire). Avec MyMajorCompany Books, la “foule” peut désormais se substituer aux éditeurs pour produire et faire émerger de jeunes écrivains inconnus et talentueux, comme Xavier Müller.

Ce n’est donc pas tant la lecture ou l’écriture du roman qui devrait être bouleversée, ni même menacée par Internet, que les modes de distribution, à travers les e-books, l’édition participative ou l’auto-promotion sur les blogs ou Facebook.

Mais avec la popularisation des réseaux sociaux, on peut imaginer une autre évolution, qui devrait accélérer la connectivité des e-books: des romans dont l’univers s’étendrait sur la toile grâce aux interactions et aux productions des fans, à l’entrelacement de l’imaginaire et du réel à travers des expériences de social-novels comme “My Darklyng”. Ou simplement grâce au fait que les auteurs utiliseront de plus en plus les réseaux sociaux pour interagir avec leurs lecteurs, se faire connaître d’eux, ou poursuivre la fiction.

Ce que fait déjà très bien l’auteure de best-sellers Tatiana de Rosnay, très présente sur Twitter et Facebook, où elle a même créé une page pour Angèle Rouvatier, l’un de personnages de son roman ‘Boomerang”.

(Illustration de tête: Erin Schrode and Hannah Grosman, les deux acteurs de la page Facebook de My Darkling)

Illustration CC FlickR Enokson

Article initialement publié sur http://benoitraphael.com/

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Livre numérique: on refait en France les mêmes erreurs qu’avec la musique http://owni.fr/2010/07/24/livre-numerique-on-refait-en-france-les-memes-erreurs-quavec-la-musique/ http://owni.fr/2010/07/24/livre-numerique-on-refait-en-france-les-memes-erreurs-quavec-la-musique/#comments Sat, 24 Jul 2010 10:06:48 +0000 Hervé Bienvault http://owni.fr/?p=22784 J’ai beaucoup de retours autour de moi sur les pratiques de lecture, l’adhésion à des lecteurs à la fois comme l’iPad et les lecteurs eInk. J’avais relayé il y a deux ans déjà le petit calcul qui avait été fait sur le Kindle, le nombre de livres à partir duquel on amortissait l’achat d’un lecteur. C’était dix-sept titres. Peut-être vous rappelez-vous ce billet ?

J’ai essayé de refaire cette petite étude (en toute subjectivité) avec quelques éléments chiffrés avec des prix moyens que j’ai pondérés à la fois grand format/poche/occasion/prêt/échange quand il s’agit de l’univers papier et légal/piratage/échange quand il s’agit de l’univers numérique. Le petit tableau ci-dessous synthétise l’ensemble. Il ne repose sur aucune études statistiques mais je pense qu’il n’est pas si éloigné que cela de la réalité. Merci de me donner votre sentiment.

À mon avis, un lecteur qui lit plus de deux livres par mois est aujourd’hui interpellé par l’offre du livre numérique, c’est indéniable. La pondération du côté du gratuit est maintenant forte. On a dépassé très largement le domaine des classiques à papa ! Un univers clandestin du livre s’organise. Près de 1.500 fans sur certains groupes Facebook… D’après mes estimations et quelques sondages réalisés, c’est entre trois cents et cinq cents titres parmi les best-sellers qui circulent déjà sur les réseaux avec une qualité excellente et un format ePub maintenant proposé plus de deux fois sur trois. À la fois scannés et craqués. Les livres scannés sont même souvent de meilleur qualité que ceux proposés par les éditeurs ! Un comble. L’offre est exponentielle depuis quelques mois seulement. Entre trente et quarante-cinq jours, c’est le délai où l’on voit apparaître une version pirate d’un best-seller qui vient de sortir. Confirmé d’ailleurs par un éditeur en début de semaine.

Un marché en retard

Le marché du livre numérique en retard en France ? Du côté des éditeurs, c’est indéniable. Du côté des consommateurs, les choses vont maintenant très vite. Je fais le pari que dans ce domaine comme dans d’autres, nous allons très bientôt rattraper les pays anglo-saxons, mieux les dépasser du côté de l’offre illégale, nous sommes au pays de Voltaire et de Balzac, non ?

La France championne mondiale du piratage, aucune raison que cela reste étanche aux livres ! Nous sommes bien en train d’attiser (avec un très gros soufflet) les charbons de l’offre illégale avec des réductions de prix d’éditeurs qui attendent une baisse de la TVA qui ne viendra sans doute jamais, des DRM qui nous empoisonnent la vie quand on change de lecteurs (tous les deux ans environ et aucune certitude sur des bibliothèques pérennes), l’absence totale de collections de poche et de pans entiers de l’édition populaire (fantasy, polars, fantastique, science-fiction, les plus piratées évidemment). J’ai même rencontré cette semaine un libraire qui vend du livre numérique et qui me dit qu’il n’en achètera jamais pour lui ! (il se reconnaîtra).

Bref, on n’a tiré absolument aucun enseignement de ce qui s’est passé dans la musique et on comprendra mieux l’ombre de la Bérézina des éditeurs, la route sera longue pour inverser les pratiques, croyez-moi…

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Billet initialement publié sur le blog Aldus sous le titre “Livre numérique: les pratiques françaises”

Crédit Photo CC Flickr : Brian J. Matis

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iPad jour zéro http://owni.fr/2010/04/05/ipad-jour-zero/ http://owni.fr/2010/04/05/ipad-jour-zero/#comments Mon, 05 Apr 2010 07:42:03 +0000 Martin Lessard http://owni.fr/?p=11599 Et le Saint IPad fut. Photo CC Flickr djcasti

Et le Saint iPad fut. Photo CC Flickr djcasti

On se réveille un jour et le monde a changé. L’iPad espère créer cette impression aujourd’hui, jour de son lancement. Réflexion autour d’un petit café pour ceux qui sont loin du centre du monde (c’est-à-dire un Apple Store américain).

iPad

L’iPad possède un avantage certain, relève Doc Searls sur son blogue hier : il arrive avec 100 000 applications prêtes à l’emploi. Bien sûr, dit-il, la première version, comme toutes les premières versions (voyez l’iPhone première génération), sera rapidement démodée et ressemblera à une antiquité dans un an.

Cela n’empêche pas les fans de faire la file pour s’en procurer, raconte Michel de Guilhermier, à 1 heure du matin ce matin, sur 5e Avenue à New York, près de soixante personnes étaient déjà en place devant l’Apple Store. Pour les réactions à chaud dans la file ou à l’ouverture des portes, une collection de canaux vidéo en direct saura vous combler, dont celui d’ubiquiste et ineffable Scoble.

Ceci est mon iPad, livré pour vous. iMen!

« iPad, c’est notre technologie la plus avancée dans un appareil magique et révolutionnaire, à un prix incroyable », avait déclaré Steve Jobs au dévoilement en début d’année.

Sera-elle la technologie miracle qui fera consommer le grand public le contenu numérique des médias traditionnels ? Son écran tactile, le WiFi, l’autonomie de la batterie et l’ergonomie de l’acquisition de contenu payant (aka l’App Store) et son bas coût (500 $ US pour le modèle d’entrée) sont autant d’arguments en sa faveur.

Le Kindle, maître incontesté du marché avant la sortie de l’iPad, est maintenant un artefact qui semble avoir appartenu à l’homme du Néandertal. Je crois qu’il y a un momentum sur le marché. Apple, en gonflant l’iPod Touch en iPad (c’est foncièrement le même appareil, mais en plus large), s’avance en terrain connu et décoiffe tous les concurrents actuels.

Est-ce le succès miracle donc ? Je n’ose pas m’avancer. Je crois que l’iPad a toutes les caractéristiques pour révolutionner l’industrie du contenu. Mais en cette matière, ce sont les consommateurs qui décident du marché. Que le produit soit révolutionnaire ou non. On verra avec l’adoption… et la réaction de la concurrence.

Les voies impénétrables d’Apple

Dans la file d’attente, à New York, il y aura Benoît Raphaël, qui pense que Steve Job aurait « peut-être encore mis le doigt sur le point de rupture d’une nouvelle révolution. Mais de quelle révolution parle-t-on ? »

Il a écrit cette semaine, à propos du « frisson irrationnel» qui parcoure l’industrie médiatique « J’ai même entendu (de mémoire) : le web, c’est fini. C’était un mauvais cauchemar. Nous allons pouvoir nous remettre au travail comme avant et vendre nos journaux. L’iPad, c’est le nouveau kiosque à journaux. » (source)

Mais il met un bémol.

Attention à la consanguinité

Avant toute chose, tout comme lui, je suis convaincu que le système de micropaiement offert par le système de l’App Store (déjà présent sur l’iPhone et ayant déjà quasiment avalé toute l’industrie de la musique avec l’iTunes) fera en sorte que les utilisateurs paieront pour du contenu numérique.
C’est en effet un kiosque unique global. L’App Store, qui prendra 30 % de commission au passage (comme c’est déjà le cas pour les applications iPhone), est le seul canal de distribution possible. Une ruée vers l’or ? Apple s’en frottera les mains.

Mais la vraie révolution de l’iPad, comme l’explique Benoît Raphaël, c’est l’interface, pas l’accès au contenu. « Nous sommes passés de l’ère du site web, à celle du portail, puis à celle de l’info liquide. Les supports nomades tactiles signent le retour de l’interface. Une interface qui ressemble à la “vraie vie”, qui nous rapproche des gestes quotidiens… [...] Ce n’est en effet pas tant le contenu que l’on va vendre, que l’usage appliqué à ce contenu facilité par l’interface. » (source)

Mais les médias traditionnels, presse papier et audiovisuel, qui s’empresseront de pousser leur contenu tel quel sur l’iPad seront fort déçus. Le packaging devra être revu sous peine de non-recevoir de la part des usagers. Une interface agréable, comme pour les magazines. C’est que les gens achèteront. Le contenu brut, sans valeur ajoutée, porté tel quel sur l’iPad, comme le contenu qui l’a été jadis sur le web, n’aura pas de valeur.

Ce qui aura de la valeur, comme le suggère Benoît Raphaël, c’est l’hyperconnectivité, les réseaux sociaux et l’interconnexion des datas.

Exemples d’interface iPad, par industrie

- [vidéo] Magazine Wired
- [vidéo] Chaîne spéalisée : Sport Illustrated
- Comic book : Marvel
- [vidéo] Jeu de course : Real Racing HD
- [vidéo] Journal : Wall Street Journal
- [vidéo] Bourse : E*Trade Mobile Pro
- [vidéo] Jeu de table : Scrabble (avec le iTouch)
- [vidéo] Navigation web : Safari
- [vidéo] Courriels : Mail

Mais la rébellion se prépare

Aussi bon soit-il, l’iPad n’arrive pas seul sur un terrain vide : même si Apple contrôle toute la verticalité de son écosystème (de ce qui entre via les App Stores et jusqu’aux périphériques), des joueurs à l’horizontale, nous rappelle Doc Searl, entreront probablement dans le jeu très rapidement avec Android et Sebian (qui sont des OS qui peuvent rouler sur d’autres tablettes).

Ce qui se joue ici est la liberté d’accès au contenu. L’iPad sera sûrement fantastique, mais Apple ne me laissera pas jouer avec ce que je veux et de la façon que je le veux. C’est une prison dorée pour contenu riche.

Billet initialement publié sur Zéro seconde

D’autres points de vue sur l’iPad : Les mirages de l’iPad ; Trouver un jeu de mot avec “iPad”, en guise de titre ; Kind(le) of a(n I)pad : du passé faisons tablette rase ; Apple iPad : analyse d’une déception logique ; La presse court derrière la Tablette comme un canard numérique sans tête

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Médias:le web sert-il vraiment à quelque chose? http://owni.fr/2009/11/13/medias-le-web-sert-il-vraiment-a-quelque-chose/ http://owni.fr/2009/11/13/medias-le-web-sert-il-vraiment-a-quelque-chose/#comments Fri, 13 Nov 2009 08:45:02 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=5423
A entendre quelques patrons de médias au fil de mes rencontres ou interventions en conférence, c’est le sentiment qui domine. Puisqu’il semble acquis (sic) que le web ne servira pas à financer les budgets déficits des journaux ou les budgets des télés, ni même à remplacer le modèle, j’ai la nette impression que la tendance en France dans les médias est au repli. Et qui dit repli, dit pas d’investissement véritable. Pire: pas d’innovation. No future le web ?

Ce que j’entends :

1) “Il n’y a pas de modèle économique viable pour les médias sur Internet. Un visiteur unique rapporte dix fois moins qu’un lecteur. ”

2) Donc : “Ne perdons pas d’argent sur le web, il n’y aura pas de retour sur investissement. Le web reste un complément, mais n’a pas à être au coeur de la stratégie.”

3) Ce n’est pas nouveau mais ça revient très fort: “Tout ça c’est la faute à Google qui se fait de l’argent sur nos contenus. Google doit payer.” Ou: “On va bloquer Google qui ne pourra plus indexer nos infos”.

4) “Le Kindle d’Amazon c’est l’avenir de la presse écrite: Il faut juste attendre que ça se démocratise et on pourra à nouveau vendre nos journaux sur Internet.”

5) “Le mobile est un réseau beaucoup plus viable que le web: il y a de vrais espoirs de modèles économiques puisque l’on peut faire payer les gens sans douleur, comme sur iTunes”.

La réalité:

1) No pub ? Il y a plusieurs idées reçues et contre-vérités dans ce message.

- Oui, si l’on compte en visiteur unique, en passant du lecteur à l’internaute, la recette annuelle est divisée par 20.

- Non, si l’on compte en pages vues. Les calculs d’Olivier Bonsart de Ouest France montrent qu’une page sur le web rapporte plus qu’une page papier. Le problème c’est le trafic, pas assez important. Ce qui ne résout pas le problème, mais permet au moins de relativiser.

- La pub traditionnelle sur Internet est ringarde et inintéressante. Les agences et les régies pub bloquent sur ce modèle (le fameux “display”) depuis des années et n’ont pas fait leur révolution, alors que de plus en plus d’annonceurs sont aujourd’hui prêts à se bouger. Il y a encore énormément à expérimenter sur Internet: transformer les marques en média, jouer les médias sociaux, faire du participatif maîtrisé, faire du clef en main, inventer inventer inventer. Mais qui osera bousculer les toutes puissantes agences ?

2) No future ? Arrêtons de considérer Internet comme un média.

Internet est une manifestation du réseau digital, dans lequel nous devons aujourd’hui inclure le mobile. Les médias doivent se mettre en réseau, mettre la digitalisation des contenus et des process au coeur de leurs stratégies. Et envisager les modèles économiques comme un ensemble. Considérer le réseau comme un accessoire, c’est signer son arrêt de mort, son bannissement de la sphère du consommateur et de l’annonceur.

3) No Google ? En 2009, la presse se cherche encore des coupables. Au lieu de s’inspirer du modèle Google, elle en fait un bouc-émissaire.

Ce mois ci Ruppert Murdoch (Wall Street Journal, Fox…) a menacé Google de ne plus rendre les contenus de ses médias accessibles par le moteur de recherche, qu’il traite de pilleur. Réponse de Google : pas de problème!
Suicide mode d’emploi…

4) No free model ? Autre option, très “Murdoch Style” aussi: faire payer les contenus actuels. Aucun modèle grand public ne fonctionne réellement, mais tout le monde en parle. Tout le monde travaille dessus. C’est évidemment très compliqué. Même Murdoch temporise…

Ce n’est pas le principe du payant qui pose problème. On peut faire payer des tas de choses sur le web, à commencer par des services. Le problème, c’est de vouloir faire payer l’info: dans un environnement où toute info est publique et accessible gratuitement (chez l’émetteur de l’info ou ailleurs) en 30 secondes, quelle est la valeur de l’info ? Que faire payer ?

En France, j’ai vu passer des projets, parmi les sociétés de journalistes, qui me font hurler de rire frémir: “Les éditeurs de presse pourraient s’accorder, au sein des associations professionnelles nationales et internationales, pour renoncer collectivement à la gratuité de l’information en ligne.” Help !

La solution finale (si j’ose dire) ? Le e-paper. Là, c’est sûr, les gens vont enfin acheter le journal!
Pour preuve: le succès du Kindle d’Amazon (très relatif, aucun chiffre n’est disponible), lancé récemment en France.
Miracle en vue ?
Le problème est encore celui de la valeur de l’info, donc de son prix. La valeur d’une info, même présentée sous la forme d’un journal traditionnel sur un écran agréable, n’est pas comparable à celle d’un livre numérique dont le contenu reste (pour l’instant) difficilement soluble sur le réseau .

5) No web ? Ah, le iPhone! Le graal des patrons de médias ! D’abord parce qu’ils ont enfin entre les mains un objet qu’ils comprennent. Le iPhone est à l’Internet ce que la Wii a été au jeu-vidéo. C’est l’émergence d’une économie des “casual” internautes. Tout le monde comprend la Wii, même les séniors.

Le mobile va en effet bouleverser l’écosystème de l’info parce qu’il accélère les logiques du réseau, mais aussi parce que l’outil est beaucoup plus proche de l’utilisateur, beaucoup plus accessible que l’ordinateur.
Il est vrai que les mobinautes paient facilement les applications iPhone. Pour autant, ce n’est pas un modèle en soi, ni un modèle unique.
Et les usages mutent à vitesse Grand V sur le mobile. Pour l’instant, une appli par média. Demain: à nouveau les agrégateurs ?

Et vous, vous en pensez quoi ?


» Article initialement publié sur Demain, tous journalistes ?

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Le numérique pour faire aimer les livres http://owni.fr/2009/10/21/le-numerique-pour-faire-aimer-les-livres/ http://owni.fr/2009/10/21/le-numerique-pour-faire-aimer-les-livres/#comments Wed, 21 Oct 2009 11:54:19 +0000 Admin http://owni.fr/?p=4783 Sur son blog, Alexis Mons fait preuve d’optimisme quant à l’avenir du livre >

La crise a du bon. Elle oblige à repenser les choses, pour peu d’appliquer une grille de lecture renouvelée et en particulier de cesser de penser en segmentation de marché d’avant l’économie digitale. Celle-ci n’est pas une couche additionnelle de l’économie, ou un simple canal. C’est bien plus profond que ça. J’ai déjà longuement développé le phénomène de démonétisation, qui amène des segments entiers à se contracter sinon potentiellement disparaître. Quand, samedi dernier, j’écoutais Rue des Entrepreneur aborder l’idée de décroissance, cela me faisait sourire …

> La suite sur http://alexismons.owni.fr/

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