OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Facebook invite à la délation http://owni.fr/2012/07/17/facebook-invite-a-la-delation/ http://owni.fr/2012/07/17/facebook-invite-a-la-delation/#comments Tue, 17 Jul 2012 15:14:27 +0000 Maxime Vatteble http://owni.fr/?p=116289 social reporting – "signalement social" – pour le réaliser. Lancée en 2011, l’opération consiste à faire des membres de Facebook les petits rapporteurs des violations des conditions générales d’utilisation du réseau. Depuis quelques jours, ils doivent confirmer l'identité de leurs amis utilisant un pseudonyme. Une seule exigence affichée pour cette armée mexicaine : la transparence.]]>

Se reposer sur la bonne volonté des membres pour aider Facebook à rester transparent est une chose. Forcer les utilisateurs à dénoncer leurs petits camarades en est une autre. C’est pourtant ce que propose Facebook dans l’ une des ses nouvelles fonctionnalités récemment décriées en France : quelques personnes ont été sommées de confirmer l’identité de leurs amis utilisant un pseudonyme. Des cas isolés qui illustrent tout de même le manque de discernement de l’entreprise, mettant sur le même plan les dangers d’une publication d’informations dangereuses ou de contenus contraires aux bonnes moeurs et l’utilisation de pseudonymes.

On ne badine pas avec la sécurité chez Facebook. Le réseau traque les contenus haineux, pédophiles, racistes, et plus globalement, toute utilisation frauduleuse des profils, de l’usurpation d’identité au piratage de compte. Lorsque l’entreprise a présenté l’année dernière le signalement social, comme « un outil innovant permettant aux utilisateurs de signaler un abus non seulement à Facebook mais aussi directement à leurs amis, ces derniers pouvant aider à résoudre les problèmes », elle a officialisé un nouveau rôle pour ses membres : celui de chien de garde.

L’utilisateur est alors considéré comme l’un des piliers de la sécurité et se devra d’aider les équipes dans leur recherche. Qu’il se rassure, il pourra remplir les objectifs de sa mission en toute discrétion, puisque ” la personne signalée n’est pas informée de l’identité de l’utilisateur qui a fait le rapport “. Selon un porte-parole de Facebook France, le signalement social est un outil efficace et même nécessaire, qui complète pleinement le travail de l’entreprise :

Les internautes utilisent Facebook pour rester en contact avec leurs amis et leur famille, pour savoir ce qu’il se passe dans le monde et pour partager et exprimer ce qui importe à leurs yeux. Ils tireront le meilleur du site en utilisant leur véritable identité. Cela permet un environnement plus sécurisé et digne de confiance pour tous les utilisateurs.

C’est pourquoi Facebook essaie constamment d’améliorer la sécurité de ses utilisateurs, en mettant à jour certains outils ou en développant de nouvelles fonctionnalités. Afin de lutter contre les faux comptes, Facebook a mis en place un système de signalement social qui permet entre autre aux utilisateurs de signaler les faux comptes sur Facebook.

Pour gérer ces signalements, Facebook a une équipe dédiée qui s’occupe spécifiquement des questions de fausse identité. Cette équipe lit les remarques qui lui sont envoyées, vérifie les signalements d’éventuels faux profils et agit en conséquence.

En réalité, derrières ces louables intentions se cache une réalité beaucoup plus simple : le réseau, dépassé par sa popularité, cherche à faire des économies. En 2010, alors que Facebook ne comptait “que” 500 millions de membres (plus de 900 millions aujourd’hui), les plaintes pour contenus contraires aux politiques générales d’utilisation du site étaient enregistrées par seulement deux équipes, l’une basée en Californie, l’autre en Irlande. En 2012, deux nouvelles équipes au Texas et en Inde sont venues compléter l’effectif mais elles ne semblent pas suffisantes pour assurer une modération globale.

Les consommateurs abandonnés aux FAI

Les consommateurs abandonnés aux FAI

C'est aux consommateurs de garantir la neutralité du net. Pas aux institutions. Si les opérateurs limitent l'accès à ...

Done is better than perfect !

Ces méthodes sont pourtant typiques de Mark Zuckerberg qui applique une seule et même devise à l’ensemble de son travail « Done is better than perfect ». Le tâtonnement permanent du jeune milliardaire ne semble pas réjouir les utilisateurs de Facebook aux États-Unis, où les lois régulant la vie privée sont moins contraignantes que les textes européens : 25% d’entre eux avouent entrer de fausses informations sur leur profil afin de protéger leur identité contre 10% en 2010. Les dérives du social reporting n’inquiètent cependant pas encore les associations de défense des libertés numériques telle l’Electronic Frontier Foundation (EFF) car Facebook n’a pas encore officialisé cette fonctionnalité. Mais même les violations ponctuelles des libertés peuvent nuire aux utilisateurs.

Pire encore, cette obsession de la transparence pousse l’entreprise à employer des mesures radicales, peu efficaces mais permettant de mieux contrôler ses ouailles, comme la surveillance des messageries privées. La chasse aux pervers et aux profils dangereux devient une priorité qui prévaut sur le respect de la vie privée et des libertés.

Facebook va tenter de faire son mea culpa en intégrant le Global Network Initiative, un groupe de travail composé d’entreprises, d’investisseurs, d’associations de défense des libertés et de chercheurs et spécialisé dans la protection des libertés d’expression et de la vie privée dans le secteur des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, qui compte déjà dans ses rangs Google, Microsoft et Yahoo. Mais l’on ne sait toujours pas ce que Facebook compte y trouver et encore moins quelles seront les garanties pour les utilisateurs. Une opacité qui remet en cause la bonne volonté affichée de l’entreprise qui exige encore une fois de faire ce qu’elle dit mais pas ce qu’elle fait.


Photo par Camille Chenchai (CC-byncnd) via flickr

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A quoi ressemblerait Internet sans ses défenseurs? http://owni.fr/2011/04/04/a-quoi-ressemblerait-internet-sans-ses-defenseurs/ http://owni.fr/2011/04/04/a-quoi-ressemblerait-internet-sans-ses-defenseurs/#comments Mon, 04 Apr 2011 10:57:02 +0000 Olivier Tesquet et Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=55080 Cet article est une fiction basée sur l’extrapolation de faits réels. Disclaimer: Il fait suite aux appels au don de la Quadrature du Net.

1er avril 2011. Henry allume son ordinateur portable, confortablement installé dans son salon. Il ne vit pas dans une blague, et le monde qu’il connaît n’est pas différent du nôtre. La centrale nucléaire de Fukushima continue d’affoler les compteurs Geiger en même temps que les foules mondiales, et les pays arabes se soulèvent toujours pour chasser leurs potentats.

D’ailleurs, une fois connecté à Internet, Henry essaie de rejoindre un chan IRC pour suivre les actions des Anonymous en Libye, qui s’attellent à la mise en place de radios pirate pour faciliter la communication entre les dissidents. Henry n’est pas un “petit génie de l’informatique”, de ceux que les médias aiment monter en épingle. Il n’a jamais lancé une attaque par déni de service, mais est atteint d’un mal incurable: il aime le web. Le problème, c’est qu’il ne peut plus se connecter à certains de ses sites favoris. Pourquoi? Parce que le Net n’est plus aussi libre qu’avant. Pourquoi? Parce que ceux qui le défendent n’ont jamais existé. Pourquoi? Parce qu’ils n’en avaient plus les moyens.

“Ma conviction est que les règles qui s’imposent à toute la société et aux échanges classiques de biens et de services doivent également s’appliquer à Internet”, expliquait Nicolas Sarkozy dans un courrier adressé à son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, le 29 septembre 2010. L’objectif? “Bâtir un Internet civilisé”. Le pari a été tenu, puisque la France, un pays qui compte la bagatelle de 44 millions d’internautes, a été récemment placée dans la liste des pays sous surveillance par Reporters sans Frontières. Fierté nationale, c’est le seul pays européen du lot, siégeant aux côtés de la Libye, de la Russie ou de la Thaïlande.

Hadopi votée en première lecture

L’Internet sage et obséquieux dans lequel vit Henry n’est pas un futur dystopique digne de Brazil. Il a été phagocyté par une série de lois qui sont passées comme des lettres à la poste, sans qu’aucune voix ne soit suffisamment puissante pour arrêter le rouleau compresseur de la répression. Tout a commencé en février 2009, quand le gouvernement français a réussi à tempérer le rapport de l’eurodéputé grec Stavros Lambrinidis. Prévoyant initialement “un renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet”, celui-ci a fini par pencher dangereusement vers le premier terme de l’équation.

Quelques mois plus tard, en avril, la loi Hadopi a été votée sans débat digne de ce nom et en première lecture. Le Conseil Constitutionnel n’a rien trouvé à y redire: une autorité administrative “indépendante” peut donc, sans contrôle du juge, suspendre l’accès à Internet aux individus qui échangent des fichiers. Henry en a été particulière choqué. Pour lui, le droit d’accéder à Internet – tout l’Internet – est fondamental. Il a donc commencé, sous pseudonyme, à poster des commentaires argumentés, mais acides, sur les articles traitant de ces sujets. Malgré toute sa fougue, la loi Masson de mai 2010, criminalisant l’anonymat sur Internet, a mis un coup d’arrêt à ses velléités de résistance passive.

Le vote de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la fameuse Loppsi 2, a été plus fastidieux, mais là encore, les sages du Conseil Constitutionnel ont entériné cette nouvelle loi sécuritaire en mars 2011. Même s’ils ont censuré 13 passages sur les 142 articles du texte, les grandes dispositions, telles que le délit d’usurpation d’identité ou la légitimation des très opaques fichiers de police, ont été validées.

Un ACTA pour les contrôler tous

Vexé par l’échec de ses tentatives pour faire interdire l’hébergement de WikiLeaks sur des serveurs français, le ministre Eric Besson s’apprête à réclamer une révision de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui élargirait le champ des responsabilités des hébergeurs et des fournisseurs d’accès à Internet.

Comment a-t-il introduit une telle requête, qui aurait jadis fait bondir les défenseurs du web libre? Grâce à l’ACTA, l’accord anti-contrefaçon mondial si contesté. Pendant plusieurs mois, des parlementaires européens, soutenus par une poignée d’activistes (les derniers), ont essayé d’introduire la déclaration écrite n°12, qui aurait fait échec au texte. Au lieu de ça, celui-ci est en voie de finalisation, et attribue des prérogatives coercitives aux FAI, qui n’auront guère d’autre choix que de s’y plier. Avec eux, c’est toute l’industrie du divertissement qu’on encourage à contrôler l’activité des internautes.

Avec le vote de cette dernière loi, la plus controversée du lot, la plupart des initiatives citoyennes ont rendu les armes, acculées par les gouvernements. Avec leur disparition, le principe de neutralité du Net, le plus important et le plus structurel, s’apprête à disparaître. En effet, les opérateurs télécom sont désormais tenus de discriminer certains contenus sur la base d’une “liste blanche”, qui bannit les sites pédopornographiques autant qu’elle occasionne des dommages collatéraux. Les soutiens d’un Internet ouvert, eux, se sont définitivement tus. Parce que l’essentiel de leurs actions ne se voit pas, personne n’a su anticiper leur déclin.

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Crédits photo: Flickr CC Steve Rhode, Geoffrey Dorne

Les affiches réalisées pour la campagne de soutien à la Quadrature sont également disponibles sur Jaffiche.fr

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http://owni.fr/2011/04/04/a-quoi-ressemblerait-internet-sans-ses-defenseurs/feed/ 17
L’ouverture des données publiques, et après ? http://owni.fr/2011/01/18/louverture-des-donnees-publiques-et-apres/ http://owni.fr/2011/01/18/louverture-des-donnees-publiques-et-apres/#comments Tue, 18 Jan 2011 15:09:55 +0000 Daniel Kaplan http://owni.fr/?p=42301 Tous ceux qui, comme nous dans le cadre du programme Réutilisation des données publiques de la Fondation internet nouvelle génération, s’engagent en faveur de l’ouverture et de la réutilisation des données publiques, en espèrent des résultats féconds en termes de qualité de vie, de cohésion sociale, d’innovation et de croissance. Mais les choses pourraient se passer tout autrement. Nous devons commencer à penser aux conséquences de l’ouverture des données, pour nous assurer qu’elles soient majoritairement positives.

Ceux qui militent en faveur de l’ouverture des données publiques (ou non, d’ailleurs) et de leur réutilisation par les citoyens, les chercheurs et les entrepreneurs, espèrent qu’il en sortira quelque chose de bon. Ils ont sans doute une idée différente de ce qu’est ce “quelque chose”, et de ce que “bon” veut dire : je peux considérer qu’il est bon de créer de la valeur marchande à partir de données publiques gratuites, alors que d’autres ne le penseront pas. Je peux détester les “crime maps” qui se multiplient dans les pays anglo-saxons, parce qu’elles stigmatisent sans rien résoudre, mais d’autres espèrent qu’elles sauveront des vies. Jusqu’ici, tout va bien. C’est même une bonne raison de soutenir l’ouverture des données : parce qu’elle crée le terreau commun sur lequel différents acteurs, avec des motivations différentes, créeront des choses différentes – et Dieu (ou Darwin) reconnaîtra les siens au bout du compte.

CrimeMapping : le crime est partout !

Explorer les conséquences

Mais les choses ne s’avéreront pas forcément aussi simples. L’ouverture des données publiques est un processus vaste, complexe, sans fin, qui implique des milliers d’acteurs. Elle redistribue l’information, le pouvoir, les responsabilités, selon des lignes difficiles à anticiper. Ses conséquences se feront probablement sentir dans de très nombreux domaines : les métiers des opérateurs de services, les logiciels de gestion, la démocratie participative, les fiches de postes des fonctionnaires, le budget des organismes publics spécialisés dans la production de données (comme l’IGN ou l’Insee), l’économie et le contenu des médias, etc.

Et, selon la manière dont nous ouvrirons l’accès aux données, et selon ce que nous ferons après avoir ouvert cet accès, certaines de ces conséquences pourraient être moins positives que nous ne le souhaiterions.

Commençons donc à penser aux conséquences. Imaginons que nous avons gagné : une part très significative des “données de service public” sont désormais accessibles et réutilisables, brutes, en un format lisible par des machines, à un coût faible, voire (le plus souvent) nul. Avançons de quelques années : en quoi cela a-t-il changé la vie quotidienne des citoyens et des entreprises ? Et notre potentiel d’innovation et de croissance ? Et la capacité des acteurs publics à atteindre des objectifs collectifs (environnementaux ou sociaux, par exemple) ? Et la démocratie, l’esprit public ?

Un avenir radieux

Le récit dominant de l’ouverture des données publiques décrit un avenir radieux. Des groupes de citoyens mettent à jour les abus de pouvoir, et participent de manière active à des débats publics où l’échange d’avis informés permet d’aboutir à de meilleures décisions. Ils contribuent même à enrichir le stock des données publiques, comme ils le font déjà aujourd’hui sur Open Street Map. Des grandes entreprises comme des jeunes pousses créent toutes sortes de nouveaux services et contribuent à la croissance et à la qualité de la vie. Chercheurs et “data-journalistes” passent en revue des masses de données pour enrichir la compréhension, par exemple, des changements climatiques ou des dynamiques urbaines. Les institutions publiques collaborent entre elles pour éliminer des procédures redondantes et avec les entreprises et les associations pour produire de meilleurs services publics. Nourrie par un aller et retour constant d’informations, d’évaluations et d’échanges, la démocratie trouve une nouvelle jeunesse.

Nous pouvons bien sûr produire plusieurs exemples et quelques études à l’appui de ce récit. Mais si nous décidons au contraire de nous concentrer sur le côté sombre, il devient assez facile, à partir du même point de départ, de raconter une histoire tout à fait différente.

Un tour du côté sombre

Supposons, par exemple, que la plupart des services innovants fondés sur l’usage de données publiques sont proposés par des entreprises, et financés soit par leurs utilisateurs, soit par la publicité. Pour vivre, ces entreprises se focalisent sur les territoires et les populations les plus solvables. Après avoir montré que leurs services sont bien meilleurs que ceux des institutions, elles obtiennent que celles-ci n’aient plus le droit de leur faire concurrence. Le secteur public se retrouve cantonné à servir les populations délaissées par le marché, et les inégalités devant les services fondamentaux s’accroissent.

Supposons ensuite que les instituts publics dont le métier consiste à produire des données, géographiques ou statistiques par exemple, ne parviennent plus à tirer de revenus significatifs de la vente de ces données. Elles tentent, sans y parvenir, de concurrencer les cabinets d’étude ou les éditeurs professionnels. L’état des finances publiques ne permettant pas d’augmenter leur dotation budgétaire, elles doivent réduire leurs activités. Beaucoup de données cessent d’être produites, ou bien le sont par des entreprises. L’ouverture des données publiques réduirait ainsi le stock de données publiques…

La transparence peut également produire des conséquences problématiques. On peut imaginer qu’au lieu de s’engager dans des discussions ouvertes et constructives sur des sujets d’intérêt général, les groupes d’intérêt s’en servent pour contester la moindre décision, la moindre ligne de dépense publique. Au lieu d’aboutir à des décisions plus sages et plus largement soutenues, la transparence totale dresse les intérêts particuliers les uns contre les autres, inhibe la prise de décision et réduit la confiance. La nouvelle visibilité des données invite même à les trafiquer à la source, pour faire en sorte que même des analyses indépendantes, fondées sur des moyens informatiques massifs, produisent les conclusions qu’attendent les producteurs de données. L’ouverture des données publiques réduirait ainsi la fiabilité des données publiques…

Imaginons enfin que la capacité à extraire du sens à partir des masses de données disponibles demeure très inégalement distribuée – ce qui n’apparaît pas invraisemblable. Dans un article intitulé “Du pouvoir à ceux qui l’ont déjà ?” (“Empowering the empowered ?”), Mike Gurstein cite l’exemple d’une recherche sur la numérisation des registres fonciers de Bangalore (Inde) :

La mise en accès de l’information sur la propriété foncière à Bangalore a principalement permis aux personnes les plus aisées à quelques entreprises à évincer les populations pauvres et marginalisées de leurs terres.

Et ici, en Europe, des lobbies bien financés ne sauront-ils pas, aussi, faire un usage plus efficace des données que de petits groupes locaux ? Les chercheurs qui voudront traiter des données ne devront-ils pas chercher leurs financements chez des acteurs qui auront intérêt à leurs résultats ? Peut-être la “sagesse des foules” corrigera-t-elle ces déséquilibres, mais rien n’est moins sûr.

Data lassitude

Lorsque j’ai présenté ces deux premiers scénarios à l’équipe de la Fing, elle en a immédiatement produit un troisième, qui décrit une adoption modeste des données publiques, produisant des résultats anecdotiques ou décevants.

Les données publiques sont si nombreuses, complexes, hétérogènes, difficiles à interpréter, que très peu d’acteurs parviennent à réunir le courage ou les ressources pour les travailler sérieusement. Les premières applications que nous voyons aujourd’hui candidater à des concours tels qu’Apps for Democracy ou Show Us a Better Way en restent à l’état d’aujourd’hui, celui de prototypes, rarement exploitables par des citoyens ordinaires. La plupart ne se convertissent jamais en services opérationnels. De magnifiques visualisations font plus pour la célébrité de leurs concepteurs que pour créer une compréhension partagée de phénomènes complexes. Seuls quelques lobbies plongent dans les données, pour en ramener les résultats qu’ils savaient vouloir y trouver, et sans grand risque de trouver contradicteur. Après quelques contributions sur des sites comme FixMyStreet, les citoyens se fatiguent de faire le boulot qu’ils attendent de leurs municipalités, surtout quand celle-ci est plus indifférente que réactive. L’ouverture des données publiques ne fait pas beaucoup de mal, mais pas beaucoup de bien non plus.

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Bifurcations

Chacun pourra croire qu’un de ces scénarios (ou d’autres encore) a plus de chances de se réaliser que les autres. Mais sur quelles bases ? Quelles actions, décisions, conditions, ont le plus de chances de nous engager dans une voie plutôt que l’autre ? Peut-on avoir des conséquences positives sur certains plans, négatives ailleurs, nulles ailleurs encore ?

Nous commençons à peine à envisager ces questions. Et pourtant, il faut le faire, maintenant, ou courir le risque de graves déconvenues. Il y a plusieurs manières d’ouvrir les données publiques, et beaucoup de manières d’accompagner cette ouverture. Si, par exemple, on n’ouvre les données que dans l’espoir de réduire les dépenses publiques en transférant la fourniture de nombreux services au privé (voire au secteur associatif), alors la probabilité de voir s’engager les cercles vicieux décrits dans le scénario “sombre” devient très élevée.

Nous devons soulever quelques questions difficiles. Comment le rôle des acteurs publics doit-il évoluer si les entreprises et les citoyens gagnent en capacité d’action grâce aux données qu’ont produites ces mêmes institutions ? Que faudrait-il faire pour élever la capacité de tous de lire et exploiter des données, et qui doit-il le faire ? Quelles sont les limites de la transparence : la vie privée, la sécurité, la possibilité de peser tranquillement des décisions difficiles – ou bien n’y a-t-il pas de limite ? Comment financerons-nous demain la production de données du domaine public ? Comment développer une “culture des données” qui nous rendra même capables de discuter comment les données “brutes” elles-mêmes sont produites – puisque nous savons (au moins depuis Einstein) qu’une donnée est toujours construite par l’observateur.

Acteurs et leviers

La liste qui précède n’est pas close. Bien d’autres défis se feront jour à mesure que les Etats, les collectivités locales, les laboratoires et même des entreprises livreront leurs données, et que ces citoyens, des entreprises, des chercheurs, des activistes, des lobbyistes ou des artistes s’en empareront.

Pour commencer à identifier et à traiter ces questions, nous avons d’ailleurs intérêt à les penser à partir des acteurs : qui est concerné, qui a intérêt à la production, la circulation, la compréhension ou l’exploitation de quelles données ? Ouvertes ou non, les données n’existent pas toutes seules, elles ne circulent pas en apesanteur, mais au contraire dans un espace parcouru de courants, de champs de force, où des intérêts, des habitudes, des capacités, coopèrent ou luttent entre eux. Personne ne tire le même pouvoir des mêmes données, dans les mêmes circonstances.

Nous pouvons également penser en termes de leviers, c’est-à-dire des décisions, des structures et des actions qui peuvent influer sur les résultats de l’ouverture des données publiques.

Certains de ces leviers sont déjà connus, parce qu’ils émergent naturellement dès que l’on pense à ouvrir les données : les conditions d’accès (licences et tarifs), le financement des producteurs spécialisés de données, les manières de stimuler l’”écosystème” des réutilisateurs de données publiques… Tout le monde organise des concours afin de stimuler l’inventivité des entrepreneurs et développeurs, mais comment aller chercher d’autres groupes, moins motivés a priori ? Faut-il organiser des ateliers ou des sessions de formation à destination d’associations, de PME non numériques, de médias locaux ? Faut-il aider certains réutilisateurs plutôt que d’autres ? Faut-il, comme le propose Tim Davies, travailler sur des interfaces communes qui facilitent l’accès aux données de la part de non-spécialistes, sans trop influer sur l’interprétation possible de ces données ?

D’autres leviers ont un caractère plus politique, plus large. Comment diffuser une “culture des données” et éviter que la fracture sociale ne passe par la capacité à comprendre les données ? Cette “culture” doit-elle inclure une réflexion sur le bon niveau de transparence à obtenir des acteurs publics (et privés) ? Et d’ailleurs, certaines données produites par les acteurs privés doivent-elles devenir publiques ? – je pense à Adam Greenfield, s’étonnant que les données que produisent des capteurs privés installés dans l’espace public demeurent entièrement invisibles. Quel est, aussi, le statut des données produites par les citoyens ? En définitive, verrons-nous émerger une fonction de régulation du paysage des données ouvertes ?

A nouveau, la liste n’est pas close. Cet article a précisément pour but de l’ouvrir. Commençons dès aujourd’hui à explorer ensemble ce qu’il se passe après l’ouverture des données publiques. Pour pouvoir, dans quelques années, nous montrer fiers d’avoir contribué à engager ce mouvement.

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Billet publié intialement sur Internetactu
Captures d’écran : Internetactu
Crédits photo : Internetactu“>Suzannelong, cc-by-nc-sa

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ACTA, l’échec de la ligne dure? http://owni.fr/2010/10/07/acta-lechec-de-la-ligne-dure/ http://owni.fr/2010/10/07/acta-lechec-de-la-ligne-dure/#comments Thu, 07 Oct 2010 15:11:17 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=30849 Depuis plus de six mois, l’ACTA, l’accord anti-contrefaçon à visée mondiale, cristallise autour de son sigle les remontrances des militants du web ouvert, et même au-delà, puisque le Mexique, qui faisait partie des pays engagés, a préféré se retirer de la table des négociations.

Alors que le 11e et dernier cycle de négociations vient de s’achever à Tokyo, le texte tel qu’il devrait apparaître dans sa version finale a été mis en ligne (PDF) par la eurodéputée Sandrine Bélier (Europe-Ecologie), engagée de longue date dans le camp des opposants. D’autres organismes en pointe de la contestation s’en sont également chargés, au premier rang desquels la Quadrature du Net.

A la lecture de cet opus magnum du langage technocrate, on peut déjà tirer une première conclusion: le document exfiltré en mars (mais daté de janvier) par la Quadrature du Net (PDF), faisait 56 pages; celui du 25 août en comptait 29; celui-ci en recense 24, ce qui laisse à penser que les parties impliquées depuis deux ans dans ce chantier babylonien ont éliminé quelques scories.

Deuxième observation: malgré la fin officielle du round de discussions, certains passages ne font pas encore l’unanimité, ce qui laisse présager un niveau bonus dans ce jeu vidéo institutionnel aux conséquences encore floues. Ainsi, dans la section 5 (ex-section 4), qui concerne “l’application des droits de la propriété dans l’environnement digital” (auparavant “mesures spéciales liées aux moyens technologiques et à Internet”), le terme de “marque déposée” (“trademark” dans le texte) gêne aux entournures certains pays. Fermement réclamé par les États-Unis depuis de longs mois, le mot pourrait disparaître du texte final, remplacé par les notions de copyright et de droits voisins.

“ACTA ultra-light”

Au début de l’année déjà, le débat idéologique entre droit moral et droit patrimonial était saillant. Quelques centaines de pages noircies plus tard, les différents acteurs du dossier s’opposent encore sur un élément structurel, pour déterminer si l’ACTA défend un produit artistique, un droit d’auteur ou une marque.

Comme le remarque l’universitaire Michael Geist, l’un des meilleurs spécialistes du droit d’auteur, le texte tel qu’il est présenté aujourd’hui constate avant tout l’échec des Etats-Unis, qui cherchaient à imposer un intermédiaire entre les ayants-droits et les fournisseurs d’accès. Pour le chercheur canadien, cet “ACTA ultra-light” ne fait que “promouvoir la coopération, sans imposer de nouvelles lois”. En outre, l’article 2.18.2 de la page 15 laisse augurer d’un abandon du filtrage, sinon d’une négociation à l’échelle nationale:

Ces procédures doivent être implémentées de telle façon qu’elles ne créent pas d’obstacles pour les activités légitimes, notamment le commerce électronique, et que, en accord avec la législation de chaque pays, elles préservent les principes fondamentaux tels que la liberté d’expression, l’équité et la vie privée.

Certes, l’accord prévoit toujours sa dose de mesures coercitives, comme l’interdiction de contourner les clés DRM, qui régentent la gestion des droits numériques. A ce sujet, Numerama rappelle que la commercialisation d’appareils permettant un tel bypass “sera interdite”. Mais après avoir essayé de vendre à ses interlocuteurs une transposition du Digital Millennium Copyright Act, qui accorde l’immunité aux fournisseurs d’accès si ceux-ci acceptent de supprimer du contenu spoliant les ayants-droits, la délégation américaine a du revoir ses prétentions à la baisse.

Si le texte est “beaucoup moins problématique” maintenant qu’il est délesté de ses points les plus clivants, ce dont se félicite l’organisation Public Knowledge, la rancoeur subsiste au sujet de l’opacité des discussions. “Contrairement aux accords commerciaux qui concernent des biens et des services, l’ACTA se concentre exclusivement sur la propriété intellectuelle”, précise l’association américaine. “Or les justifications de secret qui peuvent s’appliquer à des accords commerciaux ne cadraient pas avec l’ACTA. Lui donner une coloration économique a permis une subversion du processus démocratique. L’accord aurait dû être négocié dans le cadre d’un forum ouvert et démocratique, tel que celui de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (sous l’égide des Nations unies, ndlr).”

Illustration CC par Geoffrey Dorne

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La Marais noire du web submerge la Hadopi http://owni.fr/2010/07/23/la-marais-noire-du-web-submerge-la-hadopi/ http://owni.fr/2010/07/23/la-marais-noire-du-web-submerge-la-hadopi/#comments Fri, 23 Jul 2010 14:17:52 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=22760 L’élection de Marie-Françoise Marais à la présidence de la Hadopi consacre une carrière rondement menée. Retour sur la carrière d’un bon petit soldat des ennemis de l’Internet.

L’affaire Estelle Halliday, qui déboucha sur la fermeture d’Altern.org, pionnier des défenseurs de la liberté d’expression sur le Net, et ses 45 000 sites web ? Marie-Françoise Marais. L’affaire Mulholland Drive, qui statua, par deux fois, que la copie privée n’était pas un droit ? Marie-Françoise Marais. Peu connue du grand public, cette magistrate spécialiste du droit de la propriété intellectuelle a longtemps combattu les droits et libertés des internautes. Mais paradoxalement, sa nomination à la présidence de la Hadopi pourrait être une bonne nouvelle.

Marie Françoise Marais

A pas peur internaute, c'est juste Marie-Francoise Marais. (DR Marc Rees)

1998. Le magazine Entrevue publie des photographies d’Estelle Halliday, nue, “trouvées sur Internet“. Le responsable du site web en question, Altern.org/Silversurfer, les avait en fait scannées dans un vieux numéro d’un autre magazine people, Voici, qui les avait lui-même achetées à un ancien petit ami de la mannequin -ce qui avait d’ailleurs valu à Voici d’être condamné.

Plutôt que de porter plainte contre Entrevue, ou contre le webmaster du site qui avait remis les photos en ligne, Estelle Halliday porta plainte contre l’hébergeur du site web, Valentin Lacambre, pour avoir “gravement porté atteinte à son droit à l’image et à l’intimité de sa vie privée“, lui réclamant 700.000 francs de dommages et 100.000 francs d’astreinte par jour.

Étrangement, jamais la justice ne tenta d’identifier le responsable du site web en question, préférant s’en prendre à la personnalité de son hébergeur. De fait, Valentin Lacambre n’est pas un prestataire comme les autres. Pionnier du Net, il avait fait fortune en créant le 36 15 Internet.

Alors que d’autres faisaient de l’argent avec le minitel rose, Valentin, lui, abhorrait le porno. De fait, il avait coupé l’accès au site de Silversurfer lorsqu’il découvrit le pic de trafic que les photos nues d’Estelle Halliday engendrait.

Pour lui, l’enjeu de l’Internetest ni plus ni moins que la liberté d’expression au XXIe siècle” :

“Qui aura le droit de publier et à quelles conditions (anonymat,…), qui aura le droit de consulter des documents et à quelle conditions (censure,…) ?

Pour ce qui est d’aujourd’hui, je place ce site sous la responsabilité et le contrôle de l’Organisation des Nations Unies.”

D’un point de vue économique, il estime également que l’Internet permettra d’en finir avec l’esclavage” :

“Dans une société ou le travail est mécanisé, il n’y a pas de sens à rémunérer l’homme selon son travail, sauf à le laisser mourir de faim.

Quand 300 hommes sont renvoyés pour laisser la place à 300 robots, je dis que les hommes doivent percevoir leur part de l’argent généré par les robots.”

Ce pour quoi, n’ayant pas besoin, pour vivre, de tout l’argent que son 36 15 Internet engendrait, il avait décidé de créer l’un des tous premiers services d’hébergement gratuit mais aussi et surtout sans publicité, Altern.org, qui hébergeait à l’époque plus de 45.000 sites web, dont un grand nombre de sites politiques et d’opinion, comme Valentin Lacambre s’en expliquait au moment de l’affaire Estelle Halliday :

“Altern.org est le seul service qui réponde à la fois à ces deux conditions : gratuit, sans la moindre contrepartie (y compris publicitaire), et ouvert à tous sans aucune discrimination, qui sont pour ceux qui l’ont choisi la garantie d’une totale indépendance, idéologique et commerciale, donc d’une totale liberté d’expression.”

“Veiller à la bonne moralité”

En référé, le juge Jean-Jacques Gomez estima “nécessaire de préciser que le fournisseur d’hébergement a l’obligation de veiller à la bonne moralité de ceux qu’il héberge (…) et au respect par eux des lois et des règlements et des droits des tiers“, enjoignant Valentin Lacambre, sous astreinte de 100.000 francs par jour, à empêcher toute diffusion ultérieure des photographies d’Estelle Hallyday.

Soulignant qu’il était “matériellement impossible de vérifier le contenu de tous les (45.000) sites hébergés à tout instant“, Valentin Lacambre fit appel, laissant entendre qu’en cas de condamnation, il n’aurait d’autre choix que de “fermer boutique“, et les 45.000 sites web d’Altern avec.

Alors que la Commission européenne, s’inspirant directement d’une législation américaine récente relative au droit d’auteur sur ce qu’on appelait à l’époque “les autoroutes de l’information” défendait le principe de l’exonération de responsabilité des fournisseurs d’accès et d’hébergement, Marie-Françoise Marais, qui jugea l’affaire en appel, opta pour l’option responsabilisation.

Elle estima en effet que dans la mesure où Valentin Lacambre avait permis aux internautes de s’exprimer, il “excédait manifestement le rôle technique d’un simple transmetteur d’informations“, et devait donc être tenu pour responsable des propos tenus sur les sites web qu’il hébergeait. Ce pour quoi elle le condamna à 300.000 francs de dommages et intérêts, plus 105.000 francs de frais judiciaires, quand bien même il avait coupé l’accès au site en question.

Valentin Lacambre n’eut d’autre choix que de fermer l’ensemble des sites hébergés sur Altern.org, et ce d’autant que d’autres plaignants avaient décidé, dans la foulée, de s’attaquer à celui qui, à l’époque, incarnait la défense de la liberté d’expression. Les ayant-droits (italiens) de Calimero lui réclamaient en effet 2,53 millions de francs de dommages et intérêts pour usurpation de la marque “c’est vraiment trop injuste“…

De fait, l’affaire Altern ne s’arrêta pas là. Si Valentin Lacambre trouva finalement un accord avec Estelle Halliday (sur la base de 70.000 francs au lieu des 405.000 accordés par Marie-Françoise Marais), le webmaster de Calimero.org (un site sadomasochiste amateur) fut quant à lui condamné, en mars 2000, à 300.000 francs de dommages et intérêts, Valentin Lacambre, en tant qu’hébergeur, écopant quant à lui de 180.000 francs d’amendes et frais de justice, jugement assorti de cette mention qui restera dans les annales de l’histoire de la liberté d’expression :

“Interdit a Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”

Dans la foulée, le député (PS) Patrick Bloche proposa, en l’an 2000, d’amender la loi de 1986 relative à la liberté de communication afin de garantir la liberté d’expression, cantonner le rôle des hébergeurs à celui de simple prestataire technique, et donc éviter de nouvelles affaires Altern.

Dans les faits, et au cours de la navette parlementaire, l’amendement Bloche fut détourné de sa finalité première. D’une part parce qu’il obligea ceux qui veulent s’exprimer sur le web à décliner leur identité (noms, prénoms et adresse) à leurs hébergeurs.

D’autre part parce que ces derniers devinrent des auxiliaires de justice, sinon des indic’, tenus de procéder à des diligences appropriées en cas de mise en demeure par des tiers, autrement dit de censurer tout contenu accusé (à tort, ou à raison) de ne pas respecter la loi, ouvrant la voie à la très longue saga de la responsabilité des hébergeurs.

Mais pour Marie-Françoise Marais, cette loi, destinée à protéger les hébergeurs, et donc la liberté d’expression, allait encore trop loin. Ce pour quoi, 10 ans après, elle remit le couvert, à l’occasion de l’affaire Tiscali qui, en janvier 2010, vit la Cour de Cassation, dont la rapporteure et conseillère était Mme Marais souligner que “la société Tiscali média a offert à l’internaute de créer ses pages personnelles à partir de son site et aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion“.

Dès lors, et “par ces seules constatations souveraines faisant ressortir que les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage“, Tiscali ne pouvait pas bénéficier du régime protecteur des hébergeurs adopté par la loi de l’an 2000 suite à l’affaire Estelle Halliday dont cette même Marie-Françoise Marais avait été l’instigatrice à l’insu de son plein gré…

Image CC Geoffrey Dorne /-)

“Ne laissez pas l’argent détruire la musique”

Après avoir ainsi contribué à faire fermer 45.000 sites web, à l’identification préalable de ceux qui veulent s’exprimer sur le web, et à la privatisation de la justice par des opérateurs privés, invités à servir d’indic’, Marie-Françoise Marais décida de s’attaquer à ceux qui, sur leurs sites web, se permettent de faire des liens vers d’autres sites web, démarche qualifiée de “délibérée et malicieuse“.

NRJ accusait en effet sa concurrente Europe 2 de contrefaçon et de concurrence déloyale, et lui réclamaient 500.000 francs de dommages et intérêts. Le motif du courroux” de la radio de Jean-Paul Baudecroux ? Europe 2 “présentait sur son site Internet une rubrique intitulée ‘Anti-NRJ’, donnant directement accès, au moyen d’un lien hypertexte, à une page d’un site suédois reproduisant la marque susdite au milieu d’un panneau d’interdiction de stationner et comportant, sous l’intitulé “The (un)official NRJ-Hatepage” (“La page (non)officielle de haine à l’égard de NRJ”) un texte en langue anglaise contenant des propos suivants” qui préfiguraient bien le désamour grandissant des internautes envers l’industrie musicale auquel nous assistons depuis l’apparition du .mp3 :

“Cette page est créée pour faire réfléchir les stations de radio comme NRJ à ce qu’elles font. La musique est quelque chose de personnel et, comme nous le savons tous, nous sommes tous des individus avec des opinions et des pensées différentes.

Le problème principal que j’entrevois est que presque toutes les stations de radio ou les chaînes musicales comme MTV n’en ont cure et se foutent des minorités musicales ou de la musique que, simplement, elles n’aiment pas et qui ne leur rapportent pas assez d’argent.

Comme vous le voyez, l’argent et le mercantilisme sont les grandes plaies et constituent la raison pour laquelle de nombreuses personnes manquent aujourd’hui d’intelligence musicale parce qu’elles écoutent de la musique commerciale de merde. Oui, j’appelle ça de la musique de merde parce que ce n’est pas artistique et en tout cas pas créatif et personnel. Je pourrais en écrire bien plus long sur cette corruption musicale, mais je pense que c’est suffisant pour que vous vous rendiez compte des dégâts que l’argent peut faire dans la scène musicale.

Ce que j’exige de vous qui êtes impliqués dans cette corruption, c’est plus de professionnalisme et de respect à l’égard des musiciens véritablement talentueux au lieu de soutenir des musiciens commerciaux, manipulés et qui ne sont pas des artistes.

Haine est un mot fort et c’est rarement une solution à un quelconque problème, mais quand des stations de radio commerciales et corrompues comme NRJ ne font que passer de la musique qui ne stimule pas le cerveau humain, la haine grandit à l’intérieur et on réalise que quelque chose doit être fait pour préserver les éléments artistiques de la musique.

Alors pourquoi ne pas mettre votre nom sur la liste qui suit pour montrer que vous vous souciez de l’avenir de la musique et que vous détestez l’attitude musicale de l’une des plus grandes stations de radio commerciales d’aujourd’hui : NRJ.

Ne laissez pas l’argent détruire la musique.

Soutenez la campagne.”

En première instance, le tribunal avait estimé que la mention”anti-NRJ” constituait bien un “acte de contrefaçon de marque“, qu’il ne relevait pas pour autant de la “concurrence déloyale” mais qu’il constituait tout de même un “élément dénigrant“, et avait condamné Europe 2 à 1 franc d’indemnité symbolique, estimant qu’elle “ne pouvait être tenue pour responsable du contenu du site (suédois) auquel elle a permis un acte direct par un lien de connexion hypertexte“.

En septembre 2001, Marie-Françoise Marais condamna, en appel, Europe 2 à 500.000 francs de dommages et intérêts, plus 100.000 francs pour l’insertion de sa décision dans deux journaux, au motif que “la mention “anti-NRJ” reproduite par la société Europe 2 Communication sur son site constituait un acte de contrefaçon de marque (et) de concurrence déloyale” dans la mesure où “la création de ce lien procède d’une démarche délibérée et malicieuse, entreprise en toute connaissance de cause“.

D’aucuns commencèrent alors à expliquer que “le lien hypertexte, même s’il participe de l’essence même du web, peut se révéler un instrument dangereux dont l’utilisation abusive doit être sanctionnée” dans la mesure où il serait une “arme redoutable“. Fear…

Les menottes sont la règle, la liberté l’exception

Vice-présidente du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, membre de l’Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT) créée par la loi DADVSI et, en tant que “personnalité qualifiée” et à “titre personnel“, au Comité National Anti-Contrefaçon (CNAC), Marie-Françoise Marais ne pouvait pas ne pas se pencher sur le droit à la copie privée.

Ce qu’elle fit dans la célèbre affaire “Mulholland Drive“, du nom du film de David Lynch dont le DVD avait été protégé par un DRM (Digital Rights Management), ou MTP (“Mesures Techniques de Protection”), qualifiées, par leurs opposants, de “menottes numériques” destinées à limiter nos libertés.

Un cinéphile, frustré de ne pas pouvoir réaliser de copie privée de son DVD, avait attaqué l’éditeur et réclamait l’annulation de la vente. Maître Eolas a longuement commenté cette saga qui vit Marie-Françoise Marais, en tant que rapporteure à la Cour de cassation, s’illustrer par deux fois en cassant un précédent arrêt plus favorable aux consommateurs.

En 2006, elle rappelait que la copie privée n’est pas un droit, mais une exception au principe de l’interdiction de toute copie de l’œuvre et, comme le soulignait alors maître Eolas, commençait donc à appliquer la loi DADVSI, “avant même qu’elle ne soit votée” :

“L’exception de copie privée s’apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d’auteur et de l’importance économique que l’exploitation de l’œuvre, sous forme de DVD, représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique”

En clair, comme le résumait Marc Rees sur PCInpact, “avant de copier un DVD, un individu doit faire une thèse en économie pour savoir si la copie de ce DVD qu’il envisage va générer des risques ou un préjudice injustifié au marché“.

Une décision confirmée par cette même cour de cassation, dont Marie Françoise Marais était encore la rapporteure, en 2008, au motif que “que l’impossibilité de réaliser une copie privée d’un disque DVD sur lequel est reproduite l’œuvre ne constituait pas une caractéristique essentielle“.

En clair : le fait d’être traité comme un “voleur” parce qu’on ne peut pas lire le CD ou le DVD (qu’on a pourtant acheté) sur son ordinateur est tout à fait conforme à la loi. Les internautes n’ont que le droit d’utiliser des systèmes Windows, voire Mac, mais surtout pas GNU/Linux, pas plus qu’ils n’ont le droit de pouvoir lire les films ou chansons qu’ils ont pourtant acheté sur leurs baladeurs numériques, auto-radio ou PC de bureau…

“Vive l’Hadopi !”

Chevalier de la légion d’honneur depuis 2001, officier de l’ordre national du Mérite depuis 2008, Marie-Françoise Ouvray, épouse Marais, âgée de 65 ans, a été mise à la retraite le 20 mai 2010, le décret précisant que sa date de “fin de maintien en activité en surnombre” était portée au 19 mai 2013.

Le décret relatif à l’organisation de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet précise, lui, que la durée du mandat de son président est de six ans. Nombreux sont ceux qui pensent que l’Hadopi aura autant de succès que l’épouvantail à moineaux que fut la DADVSI, et que l’efficacité de cette usine à gaz sera inversement proportionnelle à l’argent qu’elle aura coûté.

En attendant de savoir ce qu’il adviendra de Marie-Françoise Marais après le 19 mai 2013, son élection à la tête de l’Hadopi est peut-être et paradoxalement une bonne nouvelle. C’est en tout cas ce que pense Valentin Lacambre :

“Marais est en croisade depuis longtemps. C’est pas un juge, c’est un soldat !

Au moins, depuis qu’elle est à l’Hadopi, elle ne peut plus juger les affaires Internet, et comme c’était le dernière juge viscéralement contre Internet au TGI de paris, vive Hadopi, parce que grâce à l’Hadopi, on aura de meilleurs jugements, sans Marais…

En fait, vu que l’Hadopi ne sert à rien, Marais ne sert plus à rien, et elle s’est annulée toute seule :)”

En guise de conclusion, ce petit extrait son, où Marie-Françoise Marais s’était curieusement mise en colère au sujet des conditions de rémunération (180.000 euros brut annuel) de son secrétaire général, qui permet d’apprécier sa façon condescendante de répondre aux questions, de mesurer la solennité avec laquelle elle aborde la très importante mission de son usine à gaz administration :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Merci à Marc Rees pour la photo de Marie-Françoise Marais. Photos CC de Calimero de Andi y su desvan, Spiegelneuronen et Acid Zebra.

Allez également jeter un oeil sur l’édito de ce dossier, “3615 Internet“, ainsi que l’article “Quatorze ans après, ils n’ont rien appris“.

Image de Minitel CC Flickr nicolasnova.

Et n’oubliez pas de télécharger l’affiche de une format poster réalisée par Geoffrey Dorne /-)

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http://owni.fr/2010/07/23/la-marais-noire-du-web-submerge-la-hadopi/feed/ 29
Les candidats aux Européennes ont répondu au questionnaire d’Europe Numérique http://owni.fr/2009/06/04/les-candidats-aux-europeennes-ont-repondu-au-questionnaire-deurope-numerique/ http://owni.fr/2009/06/04/les-candidats-aux-europeennes-ont-repondu-au-questionnaire-deurope-numerique/#comments Thu, 04 Jun 2009 16:12:36 +0000 Epelboin http://owni.fr/?p=1425 Les candidats aux européennes ont presque tous répondu au questionnaire d’Europe Numérique. Leurs réponses publiées ce jour aux questions brûlantes de filtrage du Net, de droit d’auteur, et des enjeux du numérique dans nos sociétés, permettront aux citoyens de voter en conscience lors du scrutin du 7 juin.

Avec les lois HADOPI, LOPPSI et le Paquet Telecom européen, les questions de filtrage du Net, de droit d’auteur, de partage d’oeuvres et de neutralité du réseau se sont révélé être de véritables enjeux de société. L’initiative Europe Numérique a interpellé les candidats aux élections européennes sur ces questions. Les réponses, parfois surprenantes, prouvent que ces problématiques sont réellement trans-partisanes.

Les réponses nous sont parvenues d’horizons divers : Debout la République, Mouvement Démocrate, Alternative Libérale, Europe Écologie, Front de Gauche, Parti Socialiste… Aucune réponse ne nous est cependant parvenue de l’UMP, seul parti d’envergure à manquer à l’appel. Chaque citoyen épris de liberté et convaincu du rôle déterminant d’Internet dans nos sociétés futures dispose désormais d’un élément supplémentaire afin de voter en conscience le 7 juin 2009 prochain.

« Les réponses au questionnaire d’Europe Numérique ont permis aux candidats de prendre des positions claires sur les enjeux du numérique. L’examen des réponses montre clairement l’existence d’une alternative au tout-sécuritaire représenté par la « riposte graduée », le flicage et le filtrage du Net. Au delà des promesses de campagne, les réponses permettront aux citoyens d’aller à la rencontre des eurodéputés, une fois élus, pour leur rappeler leurs engagements. » conclut Julien Rabier, porte-parole de l’initiative Europe Numérique.

Europe Numérique publiera dans les 24h une analyse détaillée des résultats.

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