OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [itw] Linux: 20 ans, manchot et toujours libre http://owni.fr/2011/08/30/interview-linus-torvalds-linux-20-ans-manchot-et-toujours-libre/ http://owni.fr/2011/08/30/interview-linus-torvalds-linux-20-ans-manchot-et-toujours-libre/#comments Tue, 30 Aug 2011 08:29:16 +0000 Patrick Guignot http://owni.fr/?p=77318 Lancé, il y a 20 ans sous forme de “hobby“, par un étudiant finlandais de 21 ans, Linux est aujourd’hui partout. Sans lui, les places boursières, tout comme 95% des superordinateurs, une bonne partie des principaux serveurs web, et de plus en plus de téléphone (avec Android), télévisions, box ADSL… ne pourraient tout simplement pas fonctionner.

Il est bien difficile de déterminer la date de naissance exacte du noyau Linux [en]. Est-ce qu’elle se situe en avril 1991, quand Linus Torvalds, cet étudiant finlandais, a réellement commencé à travailler sur son projet de nouveau noyau ? Est‐ce le 25 août 1991, quand il a posté son célèbre message (“just a hobby, won’t be big and professional like GNU”) sur le newsgroup comp.os.minix ? Est‐ce que nous devons retenir le mois de septembre 1991 quand la version 0.01 a été déposée sur le serveur FTP de l’Université de technologie d’Helsinki ?

Quelle que soit l’option retenue, l’année 2011 marque le vingtième anniversaire de ce prodigieux projet et, pour participer aux célébrations, LinuxFr a réalisé une interview de Linus Torvalds, dont nous republions de larges extraits, et que vous pourrez retrouver, dans son intégralité mais également dans sa version originale, en anglais, sur LinuxFr.org.

LinuxFr : Tu travailles sur le noyau Linux depuis 20 ans maintenant et c’est un boulot difficile. Est‐ce que c’est toujours aussi amusant [fun]?

Linus Torvalds : Oh absolument, c’est toujours amusant. Et en partie parce que je fais ça depuis 20 ans, je ne dirais pas que c’est difficile. Cela reste stimulant et intéressant, et je pense que je suis bon dans ce domaine.

LinuxFr : Pourquoi est‐ce que tu as choisi de passer le noyau sous licence GPL [qui fixe les conditions légales de distribution des logiciels libres tels que définis par Richard Stallman et Eben Moglen, NDLR], alors que ta première licence n’était pas la GPL ? Est‐ce que c’était un choix pratique ou bien un choix éthique ?

Linus Torvalds : Pratique. Je pense que ma première licence contenait les parties éthiques qui étaient importantes pour moi, mais il s’est avéré qu’elle était trop stricte en ce qui concerne la partie “non‐commerciale”, et en plus, elle n’était pas assez reconnue. Le passage sous licence GPL a corrigé les problèmes que les gens avaient avec ma première licence. En plus, cela nous a permis de rejoindre une licence connue qui avait bien plus de chance de tenir debout devant une cour de justice, par rapport au truc succinct que j’avais écrit à l’origine.

LinuxFr : Je sais que tu te considères comme une personne pragmatique et pas comme un prophète… Mais, est‐ce que tu serais d’accord pour dire qu’il y a un contenu de nature éthique dans la licence GPL ?

Linus Torvalds : Je vais répondre à ça de deux façons différentes, et je vais essayer d’expliquer pourquoi je réponds de deux façons différentes.

La première réponse, très négative, c’est que je méprise complètement les gens qui tentent de pousser la GPL comme étant de type « éthique ». Je pense que c’est de la pure connerie. Pourquoi ? Parce que l’éthique, pour moi, c’est quelque chose de privé. Chaque fois que vous l’utilisez dans un argument pour dire pourquoi quelqu’un d’autre devrait faire un truc, alors vous n’êtes plus éthique. Vous devenez juste une tête de con moralisatrice.

Mais la seconde réponse, c’est que personnellement je pense que la GPL (version 2) correspond à ce que je veux faire. J’aime vraiment programmer et je veux rendre disponible mon travail pour que les autres puissent en profiter. Mais je pense vraiment que tout le « vous pouvez faire ce que vous voulez, mais vos améliorations doivent être disponibles de la même manière que le code d’origine » est très juste, et que c’est un très bon moyen de faire du développement.

Donc, personnellement, je pense que la GPLv2 correspond d’assez près à ce que je pense être « la bonne manière de vivre ma vie ». Et par « bonne manière », je ne veux pas dire que ce soit la seule manière. J’ai fait aussi du développement sous licence commerciale et j’ai beaucoup aimé ça. Je pense que c’est aussi correct et approprié (Eh, ils m’ont payé pour le faire).

Donc, je pense que la GPLv2 est une bonne licence et je l’utilise pour mes propres raisons personnelles. Je pense que c’est aussi vrai pour de nombreuses autres personnes, mais je veux vraiment préciser que ce n’est pas la licence qui est éthique en elle‐même. Beaucoup d’autres personnes pensent que la licence BSD [qui, contrairement à la GPL, permet de réutiliser tout ou une partie du logiciel sans restriction, qu'il soit intégré dans un logiciel libre ou propriétaire, NDLR], avec ses libertés encore plus étendues, est une meilleure licence pour eux. Et d’autres préféreront utiliser une licence qui conserve tous les droits au propriétaire du copyright et qui ne donnera aucun droit sur les sources aux autres personnes. Et pour eux, c’est leur réponse. Et c’est bien, c’est leur choix. Essayer de promouvoir une licence particulière comme étant « le choix éthique » me rend malade. Vraiment.

LinuxFr : Pourquoi Linux sur les machines de bureau n’a pas été adopté par la majorité des utilisateurs ? Est‐ce qu’il est possible pour la communauté du noyau d’améliorer la situation, ou bien est‐ce qu’il s’agit surtout d’un problème qui se situe au niveau des applications ?

Linus Torvalds : Je ne crois pas qu’il y ait grand chose que nous puissions faire au niveau du noyau, à part continuer à améliorer les choses en général et faire en sorte que nous restions techniquement le meilleur choix.

Et ce n’est pas comme si nous n’avions pas d’utilisateurs dans le grand public. Android est un exemple d’utilisation grand public de Linux. Le problème, c’est que le desktop est un marché qu’il est difficile d’atteindre. Il y a un énorme “effet réseau” qui fait que lorsque vous avez beaucoup d’utilisateurs, c’est une bonne raison pour les retenir et pour en conquérir de nouveaux. Il y a aussi le fait que beaucoup de gens ne veulent vraiment, vraiment pas changer leur environnement ; et s’ils sautent le pas, alors ils veulent de l’aide et du support. Ici, « support » n’est pas nécessairement du support commercial, c’est aussi savoir que vous avez des gens autour de vous qui connaissent le système et qui peuvent vous donner des conseils, etc.

Passer ce cap est difficile. Et ce n’est pas quelque chose qui se fait en pointant des problèmes techniques spécifiques. C’est souvent un problème social.

LinuxFr : Tu es maintenant un citoyen américain. Qu’est‐ce que tu penses de la loi sur les brevets logiciels aux États‐Unis ? Est‐ce que ta voix est suffisamment écoutée pour que tu puisses aider à combattre cette loi dans ce pays ?

Linus Torvalds : Je dois admettre que, même si je n’aime pas les brevets, j’essaie également de me tenir à l’écart pour ne pas être trop impliqué dans des problèmes de cette nature. Je suis bon dans ce que je fais et je pense qu’il y a des gens qui sont meilleurs que moi pour combattre ce bordel des brevets. Et je pense que ça doit être combattu depuis l’intérieur du système — donc je m’attends à ce que la solution vienne en réalité des entreprises qui seront impactées par tout ce bazar.

LinuxFr : Est‐ce que tu penses que les experts en sécurité et les créateurs d’exploitations de failles de sécurité ont une mentalité différente, si on la compare aux autres développeurs du noyau ?

Linus Torvalds : Oh, oui. Certains des “exploits” les plus intéressants m’ont fait penser que “ça nécessite vraiment un esprit tordu pour arriver à ce truc”, et j’ai été carrément impressionné.

Représentation de Linus et du manchot Tux

Mais il ne s’agit pas toujours d’être impressionné. Très souvent, je suis plutôt déprimé par le caractère sordide des milieux de la sécurité. C’est vraiment un cirque. Une grande partie de tout ça se réduit à des effets de manche et à des communiqués de presse (de tous les côtés : les vendeurs, les gens de la sécurité, les créateurs d’« exploits », etc.).

LinuxFr : Il y a un noyau Linux dans ma box ADSL envoyée par mon fournisseur d’accès à Internet. Il y a aussi un noyau Linux dans ma télévision Sony et dans mon imprimante. Pourtant, je ne suis pas libre de “hacker” le code de ma box ADSL, de ma télévision ou de mon imprimante [du fait des raisons légales ou du fait de la "tivoisation" - insertion de logiciels libres dans des systèmes utilisant du matériel électronique pour interdire aux utilisateurs d'y exécuter des versions modifiées, NDLR]. Qu’est‐ce que tu penses de cette situation ?

Linus Torvalds : Personnellement, je suis d’avis que les matériels flexibles sont plus intéressants que les matériels verrouillés, mais en même temps, pour moi, la notion “d’échange équitable” a toujours été une notion liée au code et aux idées, pas au matériel.

Donc, tout mon problème au sujet de Tivo et des autres entreprises de ce type, a toujours été “Eh, ils ont conçu et construit ce matériel, le fait qu’ils aient utilisé mon code dedans ne me donne aucun droit spécifique sur ce matériel”.

Comme ils utilisent Linux, j’attends d’eux qu’ils rendent disponibles leurs patches sur le code de Linux, comme la licence l’exige. Il y a évidemment des entreprises qui ne font même pas ça, mais c’est une exception plutôt que la règle.

Donc, vous pouvez récupérer le code de Linux avec leurs modifications, et vous pouvez concevoir et construire votre propre box ADSL ou votre télévision ou tout ce que vous voulez, et utiliser toutes les améliorations de Linux qu’ils ont pu faire. Ou bien, plus important, vous pouvez utiliser leurs améliorations de Linux même si vous ne construisez pas une box ADSL — vous pouvez utiliser leurs patches sur votre desktop ou sur une machine sans aucun rapport. C’est là où les améliorations deviennent vraiment intéressantes — quand vous les utilisez pour autre chose que ce qui était prévu à l’origine.

Maintenant, bien entendu, la plupart des entreprises qui utilisent Linux dans ce domaine n’ont pas besoin de faire tant de changements que ça dans le noyau, donc il n’y a peut être aucune amélioration. C’est bien comme ça aussi. Si Linux marche pour eux sans changements, alors tout va bien. De la même manière, il marchera pour vous sans changements si vous voulez créer un matériel identique.

Donc, j’ai toujours pensé que toute cette histoire de “tivoisation” était un truc stupide. Si vous voulez faire votre propre machine Tivo, alors faites-la. Ne pensez pas que juste parce qu’elle se base sur du code open source, vous devriez contrôler le matériel. C’est de l’open source. Si vous voulez faire de l’open hardware, alors faites de l’open hardware.

Ceci dit, je pense qu’il existe de sérieux problèmes au sein de l’industrie du contenu, quand les fournisseurs de contenu utilisent la loi ou des mesures techniques de protection (MTP / DRM) pour essayer en réalité d’entraver les gens et de se créer des situations de monopole. Je n’aime pas les MTP. Mais je pense que c’est un problème différent de celui des licences de logiciels, et je pense aussi que c’était une faute grave de la part de la FSF d’essayer d’utiliser la GPLv3 comme une manière de transformer les projets des autres en armes dans leur lutte contre les MTP.

Je suis très content d’avoir rendu clair le fait que Linux est un projet uniquement GPLv2, et cela des années avant que tout ceci n’arrive.

LinuxFr : Quelle est ton opinion au sujet d’Android ? Es‐tu surtout content qu’ils aient rendu les téléphones portables très utilisables, ou bien es‐tu triste, parce qu’il s’agit en fait d’un “fork” du noyau ?

Linus Torvalds : Je pense que les forks ((logiciel dérivé du code source d’un autre logiciel, NDLR) sont une bonne chose, ils ne me rendent pas triste. Pas de mal de développement dans Linux s’est fait via des forks, et c’est la seule manière de continuer à avoir des développeurs intègres — la menace que quelqu’un d’autre puisse faire un meilleur travail et mieux satisfaire le marché en faisant les choses de façon différente. Le but même de l’open source, pour moi, est vraiment la possibilité de “forker” (mais aussi la possibilité pour toutes les parties de réintégrer le contenu qui a été « forké », s’il s’avère que c’était le « forkeur » qui avait eu raison !).

Donc je pense que le fork d’Android a obligé les développeurs de la branche principale à regarder sérieusement certains des problèmes que rencontrait Android. Je pense que nous avons résolu tout ça en mainline et j’espère (et je crois) qu’Android finira par réintégrer la branche principale. Mais cela prendra probablement un certain temps et nécessitera des efforts.

Interview placée sous licence Creative Commons CC-BY-SA permettant donc son partage, son remix, et son utilisation à des fins commerciales.

Photo CC Adobe of Chaos, Dunechaser.

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La religion de nos machines http://owni.fr/2010/03/03/la-religion-de-nos-machines/ http://owni.fr/2010/03/03/la-religion-de-nos-machines/#comments Wed, 03 Mar 2010 15:48:14 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=9365 180px-ratiostudiorum

Dans un texte mi-humoristique, mi-sérieux, Umberto Eco affirmait que le Mac était catholique et Window était protestant. Le Mac est “amical, conciliant, convivial”, il “explique la démarche à suivre” et se rapproche du “ratio studoriumW” des Jésuites. Le PC serait protestant parce qu’il nécessite “une libre interprétation des écritures”, c’est la machine des “décisions tourmentées” et de l’ “herméneutique subtile”. Le système d’exploitation des PC n’est rien d’autre qu’un “schisme anglican”. Il exhibe une riche interface graphique mais garde par devers lui l’austère MS-DOS.

Le “ratio studoriumW” établi à la toute fin du 16ième siècle est un guide systématisant les apprentissages que les jésuites donnaient dans leurs collèges. Après la leçon, venait pour l’élève le temps de la répétions (repetitio) au sens d’une reprise et d’une réappropriation de ce qui venait d’être transmis. Des disputationes permettaient aux étudiants de discuter ce qui est présenté. Ces disputes peuvent prendre la forme de concertationes au cours desquelles des parties se posent des questions l’une à l’autre. L’espace de l’enseignement est un espace de débat. L’acte de l’élève  est central : il doit s’exercer à la manipulation des connaissances.

Il est assez facile de voir que cette position est au cœur l’Internet qu’il s’agisse des communautés premières comme celles des linuxiens de celles qui fleurissent à l’ombre des dispositifs du Web 2.0. Dans un cas comme dans l’autre, en effet, la profusion des Foire aux Questions, des Conseils d’Utilisation, des Request for Comment et aux Tutoriaux sont autant des guides écrits pour faciliter la formation des utilisateurs. Ceux-ci sont encouragés à “s’exercer eux même” tout comme le professe l’ancien ratio studorium et dans les usages du web comme dans les collèges jésuites la figure du maître n’est plus centrale.  Dans un comme dans l’autre, le coté mica, convivial et conciliant est mis en avant. Dans un cas comme dans l’autre, l’oralité est privilégiée et les flames wars équivalents modernes des disputaniones d’antan. Enfin, dans un cas comme dans l’autre, ce qui fait autorité, c’est la maitrise que l’on acquiert peu à peu par l’usage des outils. Le “faire par soi-même”, et “l’exercice de soi” chers au jésuites se retrouvent dans les usages du réseau par lequel on encourage chacun à s’exercer en fonction de son niveau de connaissance.

Mais on retrouve également la position “protestante” : les guides sont là, disponibles et ouverts, mais ils peuvent aussi nécessiter une interprétation. Une maxime linuxienne l’illustre parfaitement : “si nous ne comprenez pas ce message, alors c’est que le problème auquel vous vous attaquez dépasse trop largement vos compétences. “ Le “lurk more” de anonymous peut également s’entendre dans ce sens. Les machines renvoient parfois des messages abscons dont nous devons deviner le sens. Il y aussi tous ces messages d’alertes qui nous promettent mille morts si nous ne faisons pas la bonne mise à jour ou si nous osons ouvrir ce fichier. Patrick Flichy avait remarqué cette éthique protestante à l’œuvre dans les communauté d’apprentissage dans l’Imaginaire d’Internet.

Billet initialement publié sur Psy et geek ;-)

Photo de une Dark roasted blend

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La guerre du Web, par Tim O’Reilly http://owni.fr/2009/11/20/la-guerre-du-web-par-tim-oreilly/ http://owni.fr/2009/11/20/la-guerre-du-web-par-tim-oreilly/#comments Fri, 20 Nov 2009 07:20:47 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=5599 Phault - CC by

Un article majeur de l’un des gourous de la Toile, qui met le doigt là où ça peut faire bientôt très mal.

Hubert Guillaud, nous le présente ainsi sur l’agrégateurAaaliens :

« Tim O’Reilly revient sur la guerre du Web : entre Facebook qui ne transforme par les liens en hyperliens, Apple qui rejette certaines applications menaçant son coeur de métier… Tim O’reilly répète depuis longtemps qu’il y a deux modèles de systèmes d’exploitation de l’Internet : celui de « l’anneau pour les gouverner tous » et celui des « petites pièces jointes de manières lâche », le modèle Microsoft et le modèle Linux.

Allons-nous vers le prolongement du modèle du Web interopérable ? Ou nous dirigeons-nous vers une guerre pour le contrôle du Web ? Une guerre des plateformes (Google, Apple, Facebook…) ? Il est temps pour les développeurs de prendre position : si l’on ne veut pas rejouer la guerre des PC ou celle des navigateurs, il faut prendre fait et cause maintenant pour les systèmes ouverts ! »

La guerre du Web aura-t-elle lieu ?[1] La réponse dépend aussi de la capacité qu’aura « la communauté du Libre » à diffuser et défendre ses valeurs et ses idées.

On notera au passage un étonnante prédiction finale sur Microsoft, notre futur allié de circonstance !

La guerre du Web

The War For the Web

Tim O’Reilly – 16 novembre 2009 – O’Reilly Radar
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler et Goofy)

Vendredi dernier, mon dernier message sur Twitter a également été publié automatiquement sur Facebook, comme d’habitude. À un détail près : le lien que contenait le message n’était plus actif,comme l’a remarqué Tom Scoville.

En fait, il est loin d’être le seul à l’avoir remarqué. Dès samedi matin, Mashable publiait un article à ce sujet : Facebook retire vos liens Twitter.

Si vous publiez des liens Web (Bit.ly, TinyURL) sur votre compte Twitter et que par le biais d’une application Twitter-Facebook vous les partagez également sur Facebook, ils perdent leur caractère d’hyperliens. Vos amis devront copier et coller l’adresse dans leur navigateur pour qu’ils fonctionnent.

Si Facebook tente d’améliorer son ergonomie, c’est une curieuse décision : il vaudrait mieux que ça soit juste un bogue, nous avons donc contacté Facebook pour en savoir plus. Toujours est-il que tout le site est affecté, et pas seulement vous.

Il se trouve que ce ne sont pas uniquement les liens postés depuis Twitter qui étaient affectés. Tous les liens externes ont été temporairement désactivés si les utilisateurs ne les avaient pas clairement ajoutés avec la fonction « Joindre ». Sur Facebook j’ai essayé de poster un lien direct vers ce blog dans mes nouveautés, mais le résultat est le même : les liens n’étaient plus automatiquement cliquables. Le premier lien de cet article renvoie à une image illustrant ma tentative.

Le problème a été rapidement résolu, les liens apparaissent à nouveau cliquables. On a dit que c’était un bogue, mais certains mettent évidemment cette explication en doute, surtout compte tenu des efforts de plus en plus visibles de Facebook pour prévenir les gens qu’ils quittent Facebook pour se rendre sur le grand méchant Internet.

Tout cela part d’un bon sentiment, je n’en doute pas. Après tout, Facebook met en place un meilleur contrôle de la vie privée, pour que les utilisateurs puissent mieux gérer la visibilité de leurs informations et la visibilité universelle qui fait loi sur le Web n’est pas forcément la mieux adaptée aux informations postées sur Facebook. Mais ne nous voilons pas la face : Facebook est un nouveau type de site Web (ou une ancienne version largement reliftée), un monde à part, avec ses propres règles.

Mais ça ne concerne pas que Facebook.

L’iPhone d’Apple est l’appareil connecté le plus à la mode et, comme Facebook, même s’il est connecté au Web, il joue avec ses propres règles. N’importe qui peut créer un site Web ou offrir une nouvelle application pour Windows, Mac OS X ou Linux, sans demander la permission à qui que ce soit. Vous voulez publier une application pour iPhone ? Il vous faudra obtenir l’approbation d’Apple.

Mais il y a une lacune flagrante : n’importe qui peut créer une application Web et les utilisateurs peuvent y accéder depuis leur téléphone. Mais ces applications connaissent des limitations : toutes les fonctionnalités du téléphone ne leur sont pas accessibles. HTML5 aura beau innover autant qu’il veut, les fonctionnalités principales du téléphone resteront hors de portée de ces applications sans la permission d’Apple. Et si l’on s’en réfère à l’interdiction de Google Voice sur iPhone il y a quelques temps, Apple n’hésite pas à interdire les applications qui menacent leur cœur d’activité et celui de ses partenaires.

Et ce n’est pas tout, une autre salve a été tirée contre les règles tacites d’interopérabilité du Web : Rupert Murdoch menace de retirer le Wall Street Journal de l’index de Google. Même si, de l’avis général, ce serait du suicide pour le journal, des voix contraires s’élèvent pour insister sur l’influence qu’à Murdoch. Pour Mark Cuban, Twitter a maintenant dépassé les moteurs de recherche pour ce qui est des informations en temps réel. Jason Calacanis va même plus loin, quelques semaines avant les menaces de Murdoch, il suggérait déjà que pour porter un gros coup à Google il faudrait que tous les groupes de radio/presse/télévision devraient bloquer Google et négocier un accord d’exclusivité avec Bing pour ne plus apparaître que dans l’index de Microsoft.

Évidemment, Google n’encaisserait pas sans broncher et signerait également des accords de son côté, on assisterait alors à une confrontation qui ferait passer la guerre des navigateurs des années 90 pour une petite bagarre de cours d’école.

Je ne suis pas en train de dire que News Corp et les autres groupes d’information devraient adopter la stratégie prônée par Jason, ni même qu’elle fonctionnerait, mais je vois une se profiler une période de concurrence meurtrière qui pourrait être très néfaste à l’interopérabilité du Web telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Si vous suivez mes commentaires sur le Web 2.0 depuis le début, vous savez que je pense que nous sommes engagés dans un projet à long terme dont la finalité est le système d’exploitation Internet (jetez un œil au programme de la O’Reilly Emerging Technology Conference de 2002 (pdf)). Je soutiens depuis des années qu’il y a deux modèles de systèmes d’exploitation, que je décris comme “Un anneau pour les gouverner tous” et “Des petits morceaux faiblement coordonnés”, ce dernier étant illustré par une carte d’Internet.

Dans le premier : malheur au vaincu, c’est le monde que nous avons connu avec Microsoft Windows et le PC, un monde où priment la simplicité et l’accessibilité, mais où le choix de l’utilisateur et du développeur sont réduits au bon vouloir du fournisseur de système d’exploitation.

Le second est une système d’exploitation qui fonctionne comme Internet lui-même, comme le Web et comme les systèmes d’exploitation Open Source comme Linux : un monde certes moins raffiné, moins contrôlé, mais un monde qui est par essence novateur car chacun peut apporter ses idées sans avoir à demander la permission à qui que ce soit.

J’ai déjà expliqué les tentatives des grands pontes comme Facebook, Apple et News Corp de grignoter le modèle « des petits morceaux faiblement coordonnés » de l’Internet. Mais peut-être que le plus grand danger réside dans les monopoles qu’a engendré l’effet réseau du Web 2.0.

Je ne cesse de répéter, à propos du Web 2.0, qu’il s’appuie sur un système auto-entretenu : plus il y a d’utilisateurs, plus l’expérience est intéressante. C’est un système qui tend naturellement vers des monopoles.

Nous nous sommes donc habitués à un monde où un seul moteur de recherche domine, où une seule encyclopédie en ligne domine, un seul cyber-marchand, un seul site d’enchères, un seul site de petites annonces dominent, et nous avons été préparés à un monde où un seul réseau social dominera.

Mais qu’advient-il lorsqu’une de ces entreprises, profitant de son monopole naturel, tente de dominer une activité connexe ? C’est avec admiration et inquiétude que j’ai observé Google utiliser sa mainmise sur la recherche pour tenter d’étendre son emprise sur d’autres activités concentrées sur les données. Le service qui m’a mis la puce à l’oreille était la reconnaissance vocale, mais c’est vraiment les services de géolocalisation qui ont eu le plus gros impact.

Il y a de cela quelques semaines, Google a lancé une application de navigation GPS gratuite pour les téléphones Android. Pour les clients c’est génial puisque auparavant ils devaient opter pour un GPS dédié ou des applications pour iPhone hors de prix. Mais il faut aussi y voir la compétitivité que le Web a acquise et la puissance que Google a gagnée en comprenant que les données sont le nouveau “Intel Inside” de la nouvelle génération d’applications pour ordinateurs.

Nokia a allongé 8 milliards de dollars pour NavTeq, leader de la navigation routière. Le fabricant de GPS TomTom a quant à lui payé 3,7 milliards de dollars pour TeleAtlas, numéro deux du secteur. Google développe un service équivalent dans son coin pour finalement l’offrir gratuitement… mais à ses seuls partenaires. Tous les autres doivent encore payer de lourdes redevances à NavTeq et TeleAtlas. Google va même plus loin puisqu’il y ajoute ses propres services, comme Street View.

Mais surtout, les camps sont maintenant bien établis entre Apple et Google (ne ratez pas l’analyse de Bill Gurley à ce sujet). Apple domine l’accès au Web mobile avec son appareil, Google contrôle l’accès à l’une des applications mobiles les plus importantes et limite son accès gratuit aux seuls terminaux Android pour l’instant. Google ne fait pas des merveilles que dans le domaine de la recherche, mais aussi en cartographie, en reconnaissance vocale, en traduction automatique et dans d’autres domaines adossés à des bases de données intelligentes phénoménales que seuls quelques fournisseurs peuvent s’offrir. Microsoft et Nokia disposent également de ces atouts, mais eux aussi sont en concurrence directe avec Apple et, contrairement à Google, leur économie repose sur la monétisation de ces atouts, pas sur la gratuité du service.

Il se peut qu’ils trouvent un moyen de co-exister pacifiquement, et dans ce cas nous pourrions continuer à jouir du Web interopérable que nous connaissons depuis deux décennies. Mais je parierais plutôt sur l’effusion de sang. Nous sommes à la veille d’une guerre pour le contrôle du Web. Au fond, c’est même plus que ça, c’est une guerre contre le Web en tant que plateforme interopérable. Nous nous dirigeons plutôt vers la plateforme Facebook, la plateforme Apple, la plateforme Google, la plateforme Amazon, les grandes entreprises s’étripant jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une.

C’est maintenant au développeur de s’affirmer. Si vous ne voulez pas voir l’histoire se répéter comme pour les PC, pariez sur les systèmes ouverts. N’attendez pas qu’il soit trop tard.

PS : Une prédiction : Microsoft sera le grand défenseur du Web ouvert, encourageant l’interopérabilité des services Web, tout comme IBM est devenu l’entreprise soutenant le plus Linux.

Je parlerai de ce sujet lors de mon discours d’introduction à la Web 2.0 Expo à New York mardi. J’espère vous y rencontrer.

Notes

[1] Crédit photo : Phault (Creative Commons By)

» Article initialement publié sur Framablog

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