OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Livraison de trouille chez les éditeurs numériques http://owni.fr/2012/10/15/livraison-de-trouille-chez-les-editeurs-numeriques/ http://owni.fr/2012/10/15/livraison-de-trouille-chez-les-editeurs-numeriques/#comments Mon, 15 Oct 2012 10:33:59 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=122398

Les éditeurs français commencent à s’immiscer sur le marché du livre numérique. Petit pas après petit pas, les tentatives de mises à niveaux des uns et des autres sont fortement médiatisés. Et dans la réalité ? Owni a rencontré deux de ces acteurs, vers lesquels les projecteurs se tournent. Entretiens croisés.

”Des choix stratégiques à faire”

Du côté des éditeurs, coincés entre le désir de contenter le plus de lecteurs, de rentrer dans les cases des géants du Net et de subvenir à leurs besoins, l’édition numérique reste complexe.

C’est à eux de dessiner les contours d’une stratégie qui fonctionne, maison par maison. Pour Héloïse d’Ormesson, éditrice de la maison éponyme, le choix n’est pas tant cornélien : ”La maison est une petite maison indépendante et nos choix doivent être stratégiques. Laisser les grosses structures se placer, avancer et se positionner pour voir peut être aussi une manière d’y entrer.”

Se placer ensuite sur le marché tout en suivant de près ce que font les autres en somme. Malgré tout, l’intention est là et la numérisation chez EHO est en marche. Depuis un an et demi, la fille de Jean D’Ormesson – qui publie régulièrement des titres – planche sur leur façon d’appréhender un marché fait pour les grandes maisons, tout en précisant ”qu’avoir de l’ampleur n’est pour le moment pas nécessaire.”. Avec les moyens dont il faudrait disposer pour numériser un catalogue, on comprend qu’il faille suivre ce qui se passe tout en restant à l’écart.

Pourtant, le livre numérique – qui représente entre 1 et 2% des ventes dans le chiffre d’affaires des éditeurs ne fait peur à personne. Encore moins chez EHO pour qui :

Le numérique en soi, qu’on puisse lire sur des tablettes, c’est formidable. Plus on multiplie les modes de lecture et plus il y aura de gens qui liront. C’est souhaitable et c’est une merveilleuse découverte.

Enthousiasme donc chez Héloïse d’Ormesson qui fonctionne avec quelques auteurs phares : Jean D’Ormesson, Tatiana de Rosnay, Harold Cobert, Lucia Extebarria et Isabelle Alonso pour ne citer qu’eux. Pourtant, lorsqu’on prend connaissance des ventes en numérique du dernier best-seller de Tatiana de Rosnay – paru en 2011 -, on comprend que les éditeurs s’étranglent un peu. Rose c’est 70 000 versions papier vendues. 300 en numérique”, confie l’éditrice. Frappant.

Néanmoins le marché des livres étant en régression, autant essayer de suivre le numérique dont la progression n’est pas contestée, même si elle reste timide. Avec une projection à 6 ou 7% du chiffre d’affaires pour le numérique en 2015, autant effectivement essayer de miser sur le marché potentiellement explosif. Mais les prix, la pauvreté – relative – du catalogue et les DRM ne sont pas des arguments vendeurs. Une histoire de poule et d’oeufs. Si les éditeurs enrichissent le catalogue, il pourrait y avoir plus de lecteurs séduits par l’outil. Mais les éditeurs n’ont pas toujours envie de développer un catalogue avec ce risque que leur investissement ne rencontre jamais l’amortissement.

Héloïse d’Ormesson le confesse :

Ici le prix du livre numérique ne vaut pas qu’on l’achète comparé à l’objet livre papier. Le marché commence à devenir important mais balbutie, on ne se comporte pas comme les Anglais et les Américains. La vente de livre papier en ligne est minoritaire. La maison pourrait survivre si on ne faisait pas de vente papier sur le Net.

Petit-à-petit l’oiseau fera-t-il son nid ? À en croire les chiffres aux États-Unis et les 20% de part de marché pour le livre numérique, les éditeurs auraient tout à gagner à s’y insérer tôt ou tard. Mais le prix à payer est pour le moment trop lourd pour que les tarifs des livres numériques soient inférieurs aux prix actuels :

Le coût assez haut est un investissement et un surcroît de travail pour les équipes. En un an et demi, on a numérisé 4 livres. On perd du temps pour des ventes pas extraordinaires.

Le bouquin livré à son destin

Le bouquin livré à son destin

Le marché de l'édition numérique balbutie en France mais certains semblent se placer petit à petit sur l'échiquier. ...

Comprendre qu’il faut en interne à la fois former les services, trouver des prestataires en mesure de produire un livre numérique de qualité pour un marché qui n’est à l’heure actuelle rentable pour aucun des éditeurs. Trop frileux pour le risque ou simplement attachés à un objet papier avec la peur en filigrane de le voir disparaître ?

Responsable du développement chez Albin Michel, Alexis Esménard confiait au Labo de l’édition lors de la rencontre entre éditeurs et Google Play qu’il serait toujours éditeur papier.

Mais à ceux qui expliquent que le numérique n’est autre que celui qui tue les librairies, Héloïse d’Ormesson est catégorique :

Pour l’instant, la librairie en France est en crise, mais ce n’est pas à cause du numérique. Le numérique n’a pas tué l’édition. Par exemple aux États-Unis, ça ne fait qu’accélérer la polarisation sur un certain nombre de titres. 10% de titres pour 95% de chiffre d’affaires. Ça marginalise de plus en plus la littérature de diversification. C’est la diversité de l’édition qui est en jeu.

La diminution de la diversité des titres est un phénomène exacerbé par la présence de trois acteurs majeurs dans le paysage des librairies numérique. Apple, Google et Amazon se posent en prédateurs et distribuent leurs conditions et ils sont le talon d’Achille qui enserre parfois les éditeurs dans des clauses que ces derniers prétendent ne pas pouvoir négocier.

Ce n’est pas le livre numérique qui m’inquiète mais les revendeurs tels qu’Amazon [ainsi que l'Apple Store et le dernier né Google Play, ndlr]. Le numérique va renforcer la position de Google et Amazon sur le marché français. s’inquiète Héloïse d’Ormesson.

Ce n’est donc pas qu’une histoire de taille

Avec un chiffre d’affaires supérieur et un catalogue plus grand que les éditions Héloïse d’Ormesson, Albin Michel n’est pas moins embourbé dans les mêmes problématiques. Peu importe la maison à laquelle il appartient : le travail de l’éditeur reste celui de l’accompagnement du livre de la production à la diffusion. Ce qu’Amazon, Apple et Google provoquent dans le discours des éditeurs ressemble à une peur panique de perdre le contrôle de leurs titres – à tort ou à raison.

Alexis Esménard montre le rapport de force existant entre les éditeurs, qu’ils soient grands ou pas, et les trois multinationales :

Dans le monde des revendeurs, ce sont des acteurs qui ont des moyens sans commune mesure avec ceux des éditeurs. Quand on parle de la capitalisation de Google on parle de 350 milliards. Le marché du livre tourne autour des 3-4 milliards. C’est encore plus vrai quand les éditeurs sont petits. On [Albin Michel, ndlr] est une grosse maison mais on ne fait que 180 millions d’euros de chiffre d’affaires.

De ce point de vue-là, les éditeurs sont pris dans des filets économiques qu’ils ne maîtrisent pas. Et plus l’éditeur est petit, plus sa difficulté à s’insérer dans un marché en cours de mutation est grande. Alexis Esménard précise qu’”avant, quelque soit l’éditeur, il avait la chance d’arriver à faire un succès – quelle que soit sa taille. “ La nouveauté résiderait donc dans les entrées sur le marché de l’édition numérique.

Et une fois entré sur ce marché, l’éditeur n’aurait plus le pouvoir de décider de la diffusion de ses titres :

Aujourd’hui, on a 10 000 points de vente physique – à peu près – qui ont la possibilité de vendre du Albin Michel. Si je me retrouvais demain avec seulement trois acteurs ça changerait beaucoup de choses. Demain si Apple décide de ne pas vendre un de nos titres, il disparaît d’un point de vente mais d’un point de vente à forte force de frappe. Ça me choque et me gêne réellement en tant qu’éditeur.

La Justice met Apple à la page

La Justice met Apple à la page

Un accord qui vient d'être signé aux États-Unis sur le marché du livre numérique confirme les soupçons d'entente qui ...

Le risque de l’étau

Même si les cartes du jeu sont distribuées à priori équitablement entre les éditeurs et les distributeurs, les premiers ne sont pas de taille pour éviter la négociation de petites clauses de contrats avec les seconds. Par exemple, qu’un distributeur (Apple, Google ou Amazon, donc) propose une grosse subvention à un éditeur pour s’assurer de l’exclusivité du catalogue en échange d’avoir la liberté de fixer lui-même le prix de chaque livre. Ce qui est aujourd’hui impossible lorsque l’éditeur fait le choix de distribuer son livre sur les trois plateformes, qui sont obligées de pratiquer une vente à “prix unique“.

Et là, le distributeur ”pourrait décider de vendre les livres gratuitement ou à un euro et de subventionner l’éditeur pour l’ensemble de ses ventes.”, explique le chargé du développement numérique chez Albin Michel. Une fois le marché conquit avec ces livres bradés, le revendeur pourrait alors aussi retirer ses subventions. Et laisser les éditeurs à sec.

Et question négociations, Albin Michel (contrairement aux Éditions Héloïse d’Ormesson qui sont distribuées par Editis) étant à la fois injecté sur Apple, Amazon et Google, peut comparer la façon dont les avocats discutent et la longueur des discussions, option marchands de tapis :

Avec Apple, 2 semaines. Avec Amazon, 2 ans. Et avec Google 9 mois. Après il faut savoir que si la négociation avec Apple a été rapide c’est que dans leur business model, le livre n’a pas une grand part et c’est de vendre leur tablette qui les intéresse, en prenant une commission dessus. La finalité pour Amazon est différente : leur produit principal reste le livre, la culture. Google est un peu entre les deux et ce qui les intéresse c’est d’amener le plus de monde possible sur les moteurs de recherche, pour qu’ils vendent leur publicité.

Malgré cette peur de la mainmise des trois grandes plateformes, ça n’empêche en rien Alexis Esménard d’être “séduit” par le livre numérique et d’y voir tout un tas de possibilités. Tant en epub de littérature générale – même si le texte suffit au livre lui-même – qu’en “beaux livres”. L’une des craintes de l’éditeur, déjà formulée lors du débat au Labo de l’édition : le piratage des fichiers. Et ce, même si aucune étude sur le sujet ne démontre que le piratage sera pour le livre une conséquence désastreuse en terme de volume :

Ne pas mettre de DRM augmente le piratage. Mettre des DRM, n’est pas une bonne solution non plus mais c’est par défaut “la” solution. On peut évoluer : les titres qui peuvent devenir obsolètes avec le temps pourraient être sans DRM. Les livres scolaires par exemple. Les programmes changent donc il est pas impossible qu’on ne fasse plus de DRM sur ces livres-là. Mais nous n’avons pas encore fait cette démarche de voir titre à titre quels sont ceux qui pourraient se priver de DRM et les autres. Quant au piratage, nous avons des études sur la musique qui montrent bien l’évolution des chiffres d’affaire ! Même si la consommation est à la fois proche et différente.

Proche parce que le bien matériel laisse place dans le cas du livre à un bien immatériel, immatriculé “bien de création”. Différente parce que le temps de lecture d’un livre dépasse largement le temps d’écoute d’un album de musique dans la majorité des cas. Éloigné aussi par son public cible et l’attachement d’un lecteur à un livre. Pourtant Alexis Esménard n’en démord pas :

On donnera plus facilement un fichier numérique qu’un objet. Un fichier ça n’a pas d’âme. Un livre vous avez peur qu’on ne vous le rende pas en cas de prêt. Un CD c’est la même chose. Mais un fichier numérique ? “Tu ne me le rends jamais, j’ai ma propre copie”. Vous avez un epub, vous l’ouvrez, vous l’envoyez à un ami qui va l’ouvrir aussi, l’expérience sera la même.

Pour d’autres, la mayonnaise ne prend pas. En complément de la vision de deux éditeurs français, nous avons recueilli le point de vue de Jean-Louis Missika sur le marché de l’édition numérique en France. Le virage pris par l’édition hexagonale ne semble pas être aussi rapide que le montrent les enthousiasmes des éditeurs. Dans la pratique, pour l’adjoint au Maire de Paris chargé de l’innovation, ”les éditeurs tardent à faire de la numérisation homothétique et donc à offrir leur publication dans les deux formats papier et numérique” :

Les gens achèteront une liseuse quand le catalogue sera plus consistant et plus profond. Quand vous avez des outils de consommation culturelle qui réclament un nouveau format et qu’il faut adapter le contenu à ces formats, ça coûte de l’argent. Pour pouvoir rentabiliser cet investissement, il faut que les possesseurs de liseuses soient en nombre significatif. Il y a un moment de bascule où si vous avez 10 à 20% de gros consommateurs équipés de liseuses, les éditeurs seront obligés de faire une offre numérique.

Revoilà la poule et l’oeuf. Les consommateurs peuvent acheter plus de liseuses pour permettre aux éditeurs de rentabiliser leurs investissements ou les éditeurs peuvent étoffer leur catalogue de titres qui ne coûteraient “presque rien” pour séduire plus d’acheteurs de liseuses. Malgré tout, Jean-Louis Missika est confiant : “la cohabitation papier/numérique peut durer très longtemps, le maillon faible de ce dispositif étant les libraires.”

Le chemin est encore long mais le temps ne presse pas.


Illustration par Arnaud Kath [CC-by-nc-sa]

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Athlètes féminines à grosse bite http://owni.fr/2012/04/23/grosses-bites/ http://owni.fr/2012/04/23/grosses-bites/#comments Mon, 23 Apr 2012 12:20:56 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=106958 "Célébrités à grosse bite" ou "Athlètes féminines à gros seins"... Ce sont les titres vedettes d'un marché lancé par des sous-éditeurs, spécialisés dans le copié collé des contenus gratuits de Wikipedia pour les transformer en livres payants, vendus en nombre sur Amazon, grâce à des titres mi-provoc mi-ridicule.]]>

Des célébrités à grosse bite, comme Jay-Z, Liam Neeson, Colin Farrell, et plein d’autres. Qui n’a jamais rêvé de disposer d’un tel ouvrage dans sa bibliothèque ? C’est aujourd’hui possible, grâce aux efforts conjugués d’une start-up opportuniste et d’Amazon. Avec l’apport involontaire de Wikipédia.

Dans un récent article publié par Gawker, le journaliste Max Read dévoile les subtilités du phénomène. Il s’agit de profiter de la possibilité offerte par Amazon aux États-Unis d’imprimer des livres à la demande (print-on-demand). Et de compiler des articles issus principalement de Wikipédia sous des titres absurdes, mais susceptibles de faire l’objet de requêtes sur les moteurs de recherche. En l’occurrence, il s’agit des biographies de stars soupçonnées de bénéficier d’une nature avantageuse, précédées du long article que l’encyclopédie en ligne, dans sa version anglaise, consacre au pénis.

La couverture de l'un des livres issus du "projet Webster", disponible sur Amazon.

On peut ainsi se trouver nez à nez avec un ouvrage à la couverture étrange intitulé Les juifs névrosés qui deviendront des zombies. Tout un programme. A l’intérieur, on ne lira rien d’autre que des articles de Wikipédia compilés avec malice, et chapitrés. Sur Amazon comme dès les premières pages du livre, il est d’ailleurs bien précisé que le contenu “provient principalement d’articles disponibles sur Wikipédia”.

Interrogé sur la question, Rémi Mathis, président de Wikimédia France -fondation qui fait fonctionner Wikipédia-, nous confie :

Wikimédia France n’a pas de position officielle sur le sujet, puisque la pratique est légale : la licence est généralement respectée. Nous trouvons simplement qu’un tel ouvrage est un peu inutile. Et surtout que l’on perd tout ce qui fait le sel de Wikipédia : les liens hypertextes entre articles, les discussions, l’évolution constante et la mise à jour des articles.

A l’heure où l’on considère qu’une partie de l’avenir de l’édition se joue sur Internet, et où certains prédisent que le livre évoluera en partie en s’adaptant au réseau, ce reverse publishing peut en effet surprendre.

La section Kindle d’Amazon US est pourtant d’ores et déjà assaillie par ce type d’ouvrages, s’appuyant sur l’immensité des contenus libre de droit produits chaque jour par les internautes. Philip Parker, un professeur américain en science du management, a d’ailleurs déjà publié plus de 200 000 “livres” fonctionnant sur ce principe, aidé de quelques développeurs et de pas mal d’ordinateurs.

Couverture de "Les juifs névrosés qui deviendront des zombies." Un autre ouvrage issu du Projet Webster.

Revenons à nos célébrités bien membrées. Derrière le projet se trouve une start-up évoluant dans le milieu de l’édition numérique, BiblioLabs. Parmi plusieurs projets d’édition de contenus, elle a développé le “projet Webster”, dont l’objectif est d’utiliser des “curateurs” humains pour assembler des contenus issus de Wikipédia dans une nouvelle œuvre.

Les livres issus du projet Webster ont des auteurs, payés 5 dollars le livre. Parmi eux, Dana Rasmussen, à qui l’on doit les deux œuvres d’ores et déjà citées, mais aussi plus de 1000 “oeuvres”, parmi lesquelles Bateaux à moteur et athlètes féminines à gros seins, Guide Alphabétique des Groupes Chevelus, volume 5, Célébrités d’Internet et phénomènes comme Justin Bieber ou 2 Girls 1 cup ou encore Cultes de l’Apocalypse, se préparer à l’extase. Des morceaux de bravoure sur des sujets essentiels, vendus en moyenne 17$. Et qui n’apporteront peut-être pas toute la satisfaction escomptée à l’acheteur imprudent.

“On a tendance à reporter la responsabilité sur le lecteur lui-même : tant qu’il est clairement indiqué que le contenu provient de Wikipédia, c’est à l’acheteur de faire attention” , nous dit Rémi Mathis.

Ce n’est pas gagné : ces livres parviennent à faire quelques ventes, même si le contenu est disponible gratuitement ailleurs. Pour expliquer cet acte d’achat, le président de Wikimédia France évoque une autre hypothèse :

Cette affaire révèle aussi la puissance légitimante du papier. Même sur Internet, c’est plus facile de dire : ‘il y a des livres sur le sujet’ que de renvoyer vers des blogs ou des articles en ligne. On peut penser que les gens qui vendent ce genre de produit le prennent en compte.

Ainsi, en jouant sur l’image de sérieux renvoyé par tout ouvrage publié sur du bon vieux papier, les entrepreneurs malins de BiblioLabs induirait en erreur quelques inconséquents. Une pratique qui peut être vue comme le prolongement numérique de procédés ayant cours dans l’édition traditionnelle :

Si ce genre de livre existe, c’est qu’il y a une tradition, dans l’édition, de proposer des livres dont l’intérêt n’est pas toujours évident, y compris dans l’édition scientifique. Lorsque l’on compile plusieurs articles d’un même auteur publiés à différents endroits pour en faire un volume, ce n’est finalement rien de plus que du copié-collé.

En France, il n’est pas encore possible de faire imprimer des ouvrages à la demande via Amazon. En revanche, certains éditeurs proposent des ouvrages issus de Wikipédia. C’est le cas des “Petits bouquins du web“, dont la collection de petits livres à 5 euros existe depuis 2010. Sans s’aventurer, pour le moment, dans des thématiques absurdes.


Illustration et couverture par Ophelia Noor pour Owni /-) Détournement d’image via Betsythedevine/Flickr [CC-byncsa]. La troll face est une création originale de l’artiste Whynne via Deviant Art et adoptée par les interouèbes depuis 2008 #mème
Captures d’écran en CC des sublimes couvertures des livres cités via Amazon/Flickr/Wikipedia (CC).

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Lion, lynx, renard ou hyène: quel type de lecteur êtes-vous? http://owni.fr/2011/07/18/lion-lynx-renard-ou-hyene-quel-type-de-lecteur-etes-vous/ http://owni.fr/2011/07/18/lion-lynx-renard-ou-hyene-quel-type-de-lecteur-etes-vous/#comments Mon, 18 Jul 2011 11:18:24 +0000 Marc Jahjah http://owni.fr/?p=73972 La librairie italienne en ligne Book Republic [it], un an après sa sortie, vient de rendre public des données intéressantes sur ses clients (via La Stampa [it]) qui lui ont permis de dresser quatre profils de lecteurs (voir également ceux établis par l’entreprise Kobo) :

Le lion

C’est un dévoreur de livres. Insatiable, il se nourrit de tout ce qu’il trouve à sa portée : des classiques, des nouveautés, des titres rares ou des best-sellers. Il digère rapidement les livres qu’il lit et se montre toujours prêt pour un nouveau repas. La technologie, pour lui, est au service de la lecture.

Le lynx

Élégant, raffiné et rapide, il déteste perdre son temps avec les bannières publicitaires qui le distraient. Même si son territoire est plus restreint que celui du lion, le lynx ratisse large et il aime une grande catégorie de livres. La lecture, autant que la technologie, lui procurent un grand plaisir.

Le renard

Tout le monde n’a pas l’appétit des grands félins. Le petit renard est rusé : il est à l’affût des bons plans et des réductions. Il lit de tout, pour peu qu’une bonne occasion se présente. Chasseur nocturne, le renard rentre dans une période de sommeil léthargique, une fois consommé son festin…

La hyène

La hyène reste une hyène : elle chaparde, ne se nourrit que de livres numériques gratuits. Affamée, dans l’ombre, la hyène n’a pas encore conquis son espace numérique…

Merci au Faucon – mon informateur italien – pour son aide à la traduction. ;)

Billet initialement publié sur SoBookOnline sous le titre “4 profils de lecteurs italiens : le lion, le lynx, le renard et la hyène”

Illustration CC FlickR Paternité par mape_s

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Le roman de demain, pas seulement une histoire d’e-paper http://owni.fr/2010/08/17/le-roman-de-demain-pas-seulement-une-histoire-d%e2%80%99e-paper/ http://owni.fr/2010/08/17/le-roman-de-demain-pas-seulement-une-histoire-d%e2%80%99e-paper/#comments Tue, 17 Aug 2010 09:16:55 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=24981 A suivre, cet été, l’expérience rafraichissante menée par deux auteurs américains: “My Darklyng” un roman feuilleton destiné à la génération Facebook, dont l’univers vit en parallèle sur les réseaux sociaux. Une démonstration plutôt convaincante de la façon dont Internet peut faire évoluer le roman.

A la demande du site internet Slate.com, Laura Moser et Lauren Mechling se sont lancées dans l’écriture d’un roman écrit spécifiquement pour une audience en ligne. L’histoire surfe sur la vague vampire, nouveau graal des romans pour jeunes adultes et adolescents, après le filon Harry Potter.


Au delà de la technique d’écriture, “My Darklyng” utilise les réseaux sociaux pour faire vivre son univers. Deux acteurs incarnent donc les personnages principaux sur une page Facebook dédiée, censée être mise à jour par l’héroïne. Nathalie Pollock, une adolescente de 16 ans, veut devenir mannequin, et est fascinée par les histoires de vampires. On y retrouve des vidéos des deux protagonistes filmées par les acteurs eux-mêmes, mais aussi des contenus glanés sur le Net qui nous en disent plus sur sa personnalité.

“Nathalie” (qui n’existe pas) tient également un compte Twitter. Tout comme Fiona Saint-Clair, auteur imaginaire et mystérieux d’une série de romans de vampires. Les auteurs ont essayé de lui créer une page Wikipédia, mais se sont vite faits démasquer par la communauté :

L’histoire se raconte et s’écrit donc à la fois dans le roman-feuilleton publié par Slate, mais aussi sur Twitter et Facebook.

“Si Andy Wahrol était encore vivant aujourd’hui, il passerait son été à écrire un roman qui se déroulerait en temps réel sur Facebook”, s’enthousiasme le New-York Times”. Voilà qui est fait.

Ce qui est intéressant ici, c’est que l’on utilise le réseau pour faire vivre l’écriture, tout en préservant le travail de l’écrivain, traditionnellement vertical: entraîner ses lecteurs dans son univers, sans leur demander leur avis, cela va de soi… Ce qui fait tout le délice de la lecture, depuis l’Odyssée d’Homère jusqu’à Harry Potter.

Internet et le roman -et plus généralement Internet et l’édition-, cela fait longtemps que l’on tourne autour du sujet. Depuis l’avènement d’Internet, on s’interroge sur l’impact du réseau sur l’édition et l’écriture des romans.

On s’est d’abord dit (ce qui n’était pas idiot) qu’Internet bouleversant les usages de lecture, il allait forcément modifier la façon dont les internautes liraient les romans. Restait à savoir comment.

Or, si l’évolution de la consommation d’infos est plus évidente à observer, ou à deviner, sur la consommation des infos, l’exercice est plus difficile dès que l’on aborde la lecture des romans. D’abord parce que la lecture d’un roman met en jeu une relation très particulière, intime, finalement très solitaire, entre un lecteur et un auteur ou son univers. Où l’on se laisse d’autant plus guider, de façon linéaire, que l’imaginaire n’est que rarement prisonnier de l’œuvre, parce qu’il peut l’interpréter et se l’approprier à sa guise.

On donc vu passer diverses expériences. Peu sont convaincantes au final, mais toujours intéressantes :

- La co-création, chacun participe à l’écriture d’un roman collectif, à la façon d’un wiki. Exercice théorique qui casse la personnalisation, et l’intériorisation de l’œuvre.

- Plus intéressant, les “fanfictions, des centaines de milliers de romans ou nouvelles écrits par des fans, adeptes d’une série télé, d’un film, d’un roman ou d’un comic. Ils élargissent les univers imaginaires déjà existants et inventent de nouvelles aventures pour leurs personnages favoris.

- Le twitt-roman: Twitter accélérant la lecture par l’installation d’une micro-écriture, on s’est dit que l’avenir était peut-être à la lecture snacking. Quelques expériences sur Twitter relevées par Francis Pisani, qui se sont vite essoufflées. Mais des exemples bien plus intéressants au Japon, avec les “cellphone novels” des romans écrits et lus par des millions de Japonais sur mobile.

- L’interactivité: l’auteur écrit sur un mode collaboratif, et se laisse guider par les suggestions de son audience. Ou alors, il propose plusieurs choix au lecteur, sur le modèle du jeu de rôle. Intéressant, mais finalement assez anecdotique. On demande à un auteur de nous emmener, pas forcément de se laisser emmener par son lecteur. Ce n’est pas le cas pour le jeu vidéo, qui est en train de réussir à bouleverser les codes de la narration au cinéma, dont il est très proche, avec des titres comme Heavy Rain du Français David Cage, ou encore Final Fantasy. Mais ce n’est sans doute pas sur ce terrain là qu’Internet révolutionnera le roman.

- Les blogs: laboratoire d’écriture, le blog a rapidement permis à des talents méconnus de partager leurs histoires, souvent sous la forme de témoignages. Le style est court, les histoires aussi. Le succès du blog débouche parfois sur un livre. Le blog, qui permet de fédérer une communauté autour de ses écrits, sans passer par un éditeur, a permis l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains, au style plus “parlé” et direct. C’est l’histoire de William Réjault (photo ci-dessus), anciennement “Ron l’infirmier“, l’infirmier blogueur qui est passé de la compilation sur papier de ses histoires initialement publiées sur son blog à l’écriture plus traditionnelle de romans. Le dernier vient de paraître chez Plon. Avec entre temps une expérience d’écriture d’un roman sur iPhone, où les internautes pouvaient suggérer des idées ou apporter des informations via un blog.

- Côté édition, l’arrivée des e-readers comme le Kindle, et demain les tablettes, devraient continuer de démocratiser la lecture en adaptant le support aux usages de la “génération mobile”. Et sans doute concourir à révolutionner l’édition en réduisant les coûts de production, permettant à chacun de devenir son propre éditeur.

L’initiative la plus convaincante dans ce domaine, est celle des créateurs de MyMajorCompany, qui permet aux internautes de produire des artistes (c’est de là que sont sortis Joyce Jonathan et Grégoire). Avec MyMajorCompany Books, la “foule” peut désormais se substituer aux éditeurs pour produire et faire émerger de jeunes écrivains inconnus et talentueux, comme Xavier Müller.

Ce n’est donc pas tant la lecture ou l’écriture du roman qui devrait être bouleversée, ni même menacée par Internet, que les modes de distribution, à travers les e-books, l’édition participative ou l’auto-promotion sur les blogs ou Facebook.

Mais avec la popularisation des réseaux sociaux, on peut imaginer une autre évolution, qui devrait accélérer la connectivité des e-books: des romans dont l’univers s’étendrait sur la toile grâce aux interactions et aux productions des fans, à l’entrelacement de l’imaginaire et du réel à travers des expériences de social-novels comme “My Darklyng”. Ou simplement grâce au fait que les auteurs utiliseront de plus en plus les réseaux sociaux pour interagir avec leurs lecteurs, se faire connaître d’eux, ou poursuivre la fiction.

Ce que fait déjà très bien l’auteure de best-sellers Tatiana de Rosnay, très présente sur Twitter et Facebook, où elle a même créé une page pour Angèle Rouvatier, l’un de personnages de son roman ‘Boomerang”.

(Illustration de tête: Erin Schrode and Hannah Grosman, les deux acteurs de la page Facebook de My Darkling)

Illustration CC FlickR Enokson

Article initialement publié sur http://benoitraphael.com/

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Grand Prix littéraire du web : nous avons les moyens de vous faire lire http://owni.fr/2009/11/18/grand-prix-litteraire-du-web/ http://owni.fr/2009/11/18/grand-prix-litteraire-du-web/#comments Wed, 18 Nov 2009 13:16:34 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=5565 Le 10 Novembre dernier, l’équipe de Chroniques de la rentrée littéraire.com , ses partenaires ( Ulike, Silicon Sentier, Owni , Chermedia , Le Post ) et surtout ses participants, les bloggeurs du livre, ont remis, le Grand Prix Littéraire du Web à quatre auteurs de cette rentrée 2009. L’intitulé du prix, inspiré d’un art connexe à la littérature, le cinéma, est un hommage à la diversité et à l’ampleur des participations des amoureux de la littérature sur le web. Lors de cette soirée, les rencontres se sont multipliées, croisant les auteurs et les éditeurs, et offrant un point de vue sur les attentes et envies de nos lecteurs.

Dans une ambiance festive et conviviale, nous avons pu récompenser les auteurs que nos participants ont lus, aimés et voulus distinguer, dans les trois catégories : premier roman, roman français , roman étranger.

Les auteurs récompensés par le Grand Prix Littéraire du Web.

La plus grande récompense pour les participants aura été de rencontrer les auteurs primés, qui se sont déplacés avec plaisir et se sont livrés, avec émotion et sincérité. Après tout, la seule réaction que nous voulions connaître et qui nous intéresse, est celle des auteurs… et peut être celle de leurs éditeurs, ceux qui ont travaillé pour nous offrir ce plaisir solitaire qu’est la lecture, et qui l’ont partagé avec notre communauté.  Nous sommes fiers de pouvoir offrir notre reconnaissance à ces quatre auteurs et pensons que la qualité de ce « palmarès » est représentative de celles de nos participants et de leur goût.

A Chroniques de la rentrée littéraire, nous sommes très attachés à offrir la meilleure visibilité et les meilleurs lecteurs possibles à cette catégorie si sensible que sont les premiers romans. Ils sont même une des raisons pour laquelle nous avons créé cette plateforme.

Le Grand Prix Littéraire du Web du Premier Roman a été remis à Gilles Heuré, pour « l’homme de cinq heures » chez Viviane Hamy. Gilles Heuré nous a expliqué comment l’idée de cette narration loufoque et érudite lui est venue lors de ces études en hypokhâgne et comment ce premier roman est le travail obsessionnel de toute une vie d’historien.  (En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs)

L’une des vocations de notre site était aussi de mettre en valeur des auteurs confirmés, mais qui peut être ne bénéficiaient pas de l’exposition au public qui leur permettraient de partager leurs mots et émotions avec le plus grand nombre de lecteur, eu égard à la pléthore de romans sortant à la rentrée.

Le Grand Prix Littéraire du Web du Roman Français a été remis à Isabelle Condou, pour « la Perrita » chez Plon. Isabelle Condou, venue de son sud, nous a ému, et l’était visiblement elle aussi, en nous racontant la génèse si intime de cette narration inclue dans la grande histoire de l’Argentine. Elle nous a aussi transmis le plaisir pour un auteur de trouver un écho dans ses lecteurs de ce qu’il a si intimement porté en lui. (En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs)

Pas d’identité nationale en littérature, et surtout pas à Chroniques de la rentrée littéraire. Nous aimons les auteurs étrangers et leur traducteur ( voir chronique vengeance du traducteur).

Le Grand Prix Littéraire du Web du Roman Etranger a été remis à John Connolly pour « le livre des choses perdues » aux éditions de l’Archipel. Jérôme Pécheux, son éditeur, nous a lu  avec joie, le mail que celui-ci nous a fait parvenir

(En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs)

Notre site n’aurait pu exister sans des passionnés, des passeurs. Nous tenions à les remercier tous ici.

Le Prix de la meilleur chronique a été remis à la bloggeuse de «  Chaperlipopette » qui nous a écrit ce petit mot que vous trouverez dans les slides.

Comme à Cannes, nous avons voulu distinguer une œuvre remarquable, un talent exceptionnel. Par ce choix, nous avons honoré un styliste unique, une narration atypique qui manifestement est promis à une pérennité  par son originalité.

Le Grand Prix Littéraire du Web, Prix Spécial du Jury a été remis à Eric Vuillard, pour « Conquistadors » chez Léo Scheer. Tous nous avons voulu remettre ce prix à cet auteur, pour la rareté de sa voix au milieu de cette rentrée littéraire.  Dans la maison de la lecture, il y a bien des portes. Toutes les demeures ont des portes permettant de communiquer entre elles, d’une masure à une plus élevée, une fois que l’agilité du lecteur a été forgée par le plaisir des mots. Nous avons voulu inciter à lire ce livre exigeant, mais avant tout, nous avons voulu inciter à lire. (En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs).

Comment  le Grand Prix Littéraire du Web est né

Une véritable communauté, fondement de nos initiatives

« Dis moi Umbertino tu lis pour ce qu’il y a dans le livre que tu lis ou pour l’amour de lire ? » A cette question que la  grand-mère d’Umberto Eco posa,  tous les participants de Chroniques de la rentrée littéraire pourraient répondre d’abord  pour l’amour de lire, car ils considèrent la lecture comme un des biens précieux de la vie.  D’après les statistiques de la CNL, seulement 10,7% des lecteurs ont achetés plus de 12 livres dans l’année. Nos participants sont  tous inclus dans ce faible pourcentage.  Par la pratique du blog, ces amateurs se font prosélytes de ce vice solitaire et désirent le partager. Notre plateforme leur offre un espace libre pour ce faire.

Ce sont tous des amateurs éclairés. Et puisqu’élite et lire ont la même racine, ils forment une communauté élective de lecteurs.  Nous ne demandons pas leur parcours universitaire pour apprécier leurs avis, lorsque nous les contactons pour participer, comme nous ne demandons pas les diplômes qui justifient les critiques que nous lisons dans les journaux. Nous espérons faire un travail de démocratisation de la lecture et non de popularisation.  Ce que nous leur demandons c’est de faire le vrai travail d’accès à la connaissance, c’est-à-dire la transformation d’un savoir en une expérience de vie et c’est ce que font nos chroniqueurs, nous transmettre leur expérience.

Evidemment, nous n’avons pas contacté l’intégralité de la blogosphère littéraire, qui est si diverse et variée. Certains bloggeurs sont des journalistes, des critiques attitrés ou s’octroyant ce titre par leur plume prolixe et parfois talentueuse sur la littérature. Nous ne sommes pas sectaires et nous les invitons à nous rejoindre, nous les accueillerons avec plaisir. Nous notons toutefois que l’expertise n’est pas toujours bonne conseillère. Ce sont des experts qui en note d’édition à leur époque ont écrit sur Proust «  je suis peut être un peu limité mais je ne suis pas capable de comprendre pourquoi il faudrait consacrer 30 pages pour raconter comment quelqu’un se tourne et se retourne dans son lit sans trouver le sommeil »  ou à Flaubert sur Madame Bovary «  Monsieur vous avez enseveli votre roman dans un fatras de détails qui sont bien dessinés mais complètement superflus » ou sur Moby Dick «  Il y a peu de chance qu’un tel ouvrage trouve à intéresser un public jeune ». Ce sont aussi eux qui ont raté Céline pour le Goncourt. Et que dire de la cruauté des auteurs entre eux ? Flaubert disait bien : «  Quel homme aurait été Balzac s’il eût su écrire ». Nous ne prétendons à rien d’autre qu’à partager des avis éclairés. Nous raterions peut être aussi Céline mais nous l’aurions expliqué autant avec la tête qu’avec le coeur…

Un prix, un esprit

Ce prix est avant tout le reflet d’une communauté, il est représentatif des attentes de celle que nous avons constituée.  Le Goncourt représente le prix d’une société de gens de lettres héritiers d’un salon, nous, nous considérons comme un hall de bibliothèque, où tous  se rencontrent, tous les goûts se croisent et toutes les compétences s’enrichissent de la présence de l’autre.

Il est aussi un filtre. Face au 659 romans de la rentrée, nous avons choisi de ne pas parler des livres que nous n’avons pas lu. Notre plateforme a recueilli 300 chroniques. Ce prix est un exercice que la mémoire effectue naturellement, l’art de la synthèse. Car si la culture est un cimetière de livres disparus, nous voulions mettre en valeur ceux qui ont représentés les goûts du public.  Aucun livre n’est né chef d’œuvre, il le devient  tout au long des interprétations qu’il absorbe. Nous aurons livré nos interprétations.  Nous ne visons pas à déterrer des chefs d’œuvres inconnus des médias, et peut être que tel le vin, la littérature a plus de saveur dans sa contemporanéité, avec des saveurs impures.

Nous assumons ce tanin. Nous assumons le fait de prendre en compte l’avis de la majorité. Nous assumons le fait d’offrir un accès sur un support nouveau à la littérature.  Et peut être que grâce à notre recommandation, comme autrefois sur les fiches dans les bibliothèques, nous permettrons à des auteurs d’être lus, parce que de nombreux lecteurs auront déjà « empruntés » la voie de ce livre.

Des auteurs élus : le vote des lecteurs

Notre site ne s’est pas vanté d’avoir exhaustivement chroniquer la rentrée littéraire, mais la majorité de celle-ci : 300 romans sur 659 publiés. Nous avons voulu favoriser démocratiquement l’accès à ces livres, qui pourraient facilement passer pour des clandestins dans une rentrée littéraire. Emmanuel Leroy Ladurie, lorsqu’il était à la direction de la BNF, avait calculé que plus de 2 millions d’ouvrages n’avaient jamais été empruntés. En cette rentrée, les romans auront eu au moins un lecteur : notre chroniqueur.

Dans la présentation et le choix des chroniques, nous n’avons pas fait de hiérarchie, juste un classement : roman français, étranger, premier roman. Nous n’avons pas voulu nous interposer entre les recherches et les choix de lecture de nos visiteurs.  Notre site se veut tel que fut le bouche à oreille qui vous poussez chez votre libraire. Nous n’avons pas fait de déconseil surréaliste et péremptoire « Ne lisez pas Anatole France » . Nous avons recueilli les avis éclairés.

A partir de ceux-ci, les visiteurs du site ont pu voter pour mettre en valeur les auteurs qui leur ont plu, ou leurs envies de lecture, et un seul vote est pris en compte par chronique et par IP. Nous avons statistiquement extrait les votes pour créer la dernière sélection des 15 ouvrages que notre jury aurait à lire. Nous avons conscience que le système n’est pas parfait ( vote sans avoir lu l’ouvrage etc) mais d’une part nous faisons confiance à nos lecteurs pour user sagement de cette possibilité qui leur est offerte et d’autre part, bien que nous réfléchissons déjà à améliorer le système, nous sommes heureux d’avoir tenté de rapprocher web et littérature démocratiquement. Alors nous nous perfectionnerons, mais quoi ,  c’est une innovation, alors ne boudons pas notre plaisir en nous écriant que l’avenir aussi était mieux avant.

Les Grands lecteurs, parce qu’on ne peut pas dire gros !

Nous avons sélectionné un jury à l’intérieur de nos participants. Si nous avons fait ce choix pour élire les Grands Prix Littéraires du Web , c’est par une volonté d’extraire 3 ouvrages de façon ouverte, démocratique et compétente.  Les critères qui nous ont guidés dans ce choix pour les Grands lecteurs sont multiples, mais principalement, ce sont de « gros lecteurs », appliqués , capables d’  « avaler » cette quinzaine d’ouvrages, et tous réunis par leur amour des livres. Nous les avons sélectionné sur les critères suivants : leur absence de lien avec le monde de l’édition, leur capacité à transmettre leur pratique de la lecture, et malheureusement l’impératif d’être en région parisienne. Nous les avons choisi en prenant en compte la diversité de leur âge, de leur goût. Nous n’avons aucun doute sur leur compétence à apprécier un ouvrage, car si ils n’ont pas la formation universitaire ( 3 d’entre eux  pour le moins l’ont ) ils ont pour le moins « l’œil » et la capacité à faire un travail pour inciter à lire.  Et puis quoi, personne n’interroge la capacité du Goncourt des Lycéens ? Et bien nos jurés ont au moins le bac na !

Nous vous présentons les membres du jury : Tilly, notre doyenne si je peux me permettre, Alexandra, Stéphanie

, FabienneChristophe, notre ancien libraire, Mry qu’on ne présente plus, et nous-même créateurs de ce site Abeline et Raphaël.

Nous le répétons, nous ne sommes pas une société littéraire héritière d’un salon, mais un hall de bibliothèque.

Le Grand Prix Littéraire du web certes, et après ?

L’esprit qui anime l’équipe

Flaubert a dit que la bêtise , c’est de vouloir conclure. « L’imbécile veut parvenir de lui-même à des solutions péremptoires et définitives. »

A Chroniques de la rentrée littéraire, nous ne prétendons pas avoir trouvé la solution pour réconcilier le web et la littérature, ou pour amener en masse l’internaute en librairie. Mais, nous cherchons … Nous avons tenté, avec réussite à nos yeux, en cette rentrée de septembre, d’offrir un meilleur accès aux romans. Et si, nous pouvons avoir amené un lecteur à lire « Conquistadors » ou « La cinquième saison du Monde » et à partir de nos chroniques, d’accéder, pourquoi pas à « Ulysse » de Joyce, ou comme Raphaël le prône à acheter un volume de René Char, alors nous serons heureux.  Nous encourageons toutes les initiatives aussi diverses soit elles dans ce sens. Et nous  remettons déjà l’ouvrage sur le métier,  pour améliorer et innover et ce dès janvier, notre site.

Nous travaillons sur un support numérique, celui qui a « trusté » toutes les pages de cette rentrée avec les e-readers, celui qui fait interroger Umberto Eco par les journalistes sur la mort du livre, possible.  Nous, nous voulons expliquer aux auteurs et aux éditeurs ce que nous pensons qu’internet peut leur offrir :  des lecteurs, une agora, un outil de dialogue et de connaissance.

A nos participants, nous voulons offrir un meilleur service, une possibilité nouvelle de travailler, dans le respect de leur goût et de leur volonté de connaître, à découvrir des nouveaux ouvrages. Chroniques de la rentrée littéraire est comme une pratique de la lecture à haute voix et en public, et nous remercions nos courageux orateurs.

De nouveaux participants ?

Moins médiatisée mais toujours aussi prolixe, la rentrée de janvier se profile. L’année dernière nous avons eu le plaisir d’y lire Paul Auster, Richard Morgièvre ou John Berger. Qu’aurons nous en cette rentrée ?

Il est parvenu à nos oreilles que certains bloggeurs ont eu une réaction de dépit car nous n’avons pas réussi à réunir l’intégralité de la blogosphère littéraire, avec tous ces courants, et que donc nous ne les avions pas contacté. C’est une invitation officielle qui leur est faite ici. N’hésitez pas à nous rejoindre, venez disséquer avec nous , en admirateur cette rentrée de janvier.

Pour ce faire, nous redonnons les mêmes impératifs que précédemment aux bloggeurs :

-          Lire le livre reçu

-          Chroniquer en 3000 signes au minimum en dégageant la narration, les intérêts, le style , l’auteur et surtout en posant son opinion

-          Renvoyer la chronique à la date prévue

-          La publier sur son support personnel, seulement 3 jours après la publication sur Chroniques.

De notre côté, nous nous engageons à :

-          Leur faire parvenir un livre

-          Respecter leur écriture et leur opinion ( avec toutefois la possibilité de modération en cas d’insulte ou de propos diffamatoires, incitant au racisme à la haine etc)

-          Publier leur chronique avec le lien vers leur support personnel

-          Répondre à toutes leurs demandes le plus rapidement possible

-          Leur offrir une animation qui leur permettra rencontre, échange, et surtout plaisir

Comme une bibliothèque, Chroniques de la rentrée littéraire est ouvert à tous, dans la limite des places disponibles ;)

Les bonus et améliorations

Pour la prochaine saison, janvier vous l’aurez donc compris, nous travaillons à augmenter notre catalogue de choix pour les bloggeurs auprès des éditeurs et à leur fournir des opportunités supplémentaires d’amélioration de contenu ( avec des interviews d’auteurs) mais aussi de partage, avec l’organisation de rencontre.

Et surtout, nous travaillons déjà à une amélioration du site, notamment avec la possibilité de rechercher les chroniques par chroniqueurs, une meilleure ergonomie du site, améliorer la possibilité de converser sur le site et bien sur la mise à disposition de la bibliothèque de chroniques faites en septembre.

Nous espérons pouvoir poursuivre le dialogue entre nous tous, auteurs, éditeurs, lecteurs.  Bonne lecture à tous

Pour toute information complémentaire ou pour participer : chroniques @ chroniquesdelarentreelitteraire.com

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http://owni.fr/2009/11/18/grand-prix-litteraire-du-web/feed/ 2
Etude sur le piratage numérique du livre : idées reçues, résultats, perspectives http://owni.fr/2009/10/23/etude-sur-le-piratage-numerique-du-livre-idees-recues-resultats-perspectives/ http://owni.fr/2009/10/23/etude-sur-le-piratage-numerique-du-livre-idees-recues-resultats-perspectives/#comments Fri, 23 Oct 2009 06:00:48 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=4831 dark

[Billet initialement publié par Silvère Mercier sur Bibliobsession, le blog d'un bibliothécaire bibliobsédé des bibliothèques, retrouvez moi sur twitter : Silvae !]

Passionnante étude commanditée par le Motif et menée par Mathias Daval. Elle est disponible sur le site du Motif à cette adresse. Si le temps vous manque, vous pouvez lire la synthèse, mais je vous conseille de lire l’intégralité de l’étude déjà commentée sur La feuille, Ebouquin et reprise sur pas mal de sites, à en croire la revue de presse de Edysseus consulting, qui l’a menée. Elle est importante cette étude parce que c’est la toute première étude française sur le sujet.

A sa lecture on ne peut qu’être frappé par le fait qu’elle appelle, en creux, un modèle nouveau pour l’ensemble des acteurs de l’industrie du livre et pour les politiques publiques menées autour des contenus… dont font partie les bibliothèques.

La comparaison est tout a fait possible avec la musique et le cinéma et on pourrait citer nombre d’analyses proposées par Guillaume Champeau de Numerama par rapport aux processus qui ont conduits du piratage massif à la remise en cause des DRM et au développement d’offres légales de bonne qualité (et encore), en passant par le prétendu manque-à-gagner pour les industries culturelles. Pourtant, la comparaison s’arrête là, tant les volumes sont différents. Le piratage numérique du livre en 2009, c’est une poignée de gens qui scannent illégalement du papier et passetn beaucoup de temps à des corrections et de la mise en page pour mettre à disposition des fichiers d’oeuvres qui ne sont majoritairement pas disponibles ailleurs !

Le piratage du livre aujourd’hui est donc tout sauf de la contrefaçon mafieuse à grande échelle. Ce côté obscur de la force peut d’autant plus facilement être considéré comme une zone grise, où le fait d’enfreindre le droit d’auteur est partieprenante d’un objectif qui n’a rien de pécunier. Et l’auteur de l’étude de citer ce message publié sur un forum par une équipe de pirates :

« Nous sommes une équipe dédiée à la création d’ebooks distribués via les réseaux Peertopeer. Sur ce modeste portail, vous pourrez trouver un forum de discussion, une liste à jour de nos distributions mais aussi des informations sur les techniques employées pour créer nos ebooks. Notre mission : Communiquer l’amour de la lecture et de la langue française à tous, au delà de l’éloignement ou du manque de moyens ! Nous ne sommes pas particulièrement portés sur une certaine catégorie de livres, mais faisons plutôt le choix de convertir en ebooks nos coups de coeur. Certains livres copyrightés et récents font partie de nos distributions, comme ce sont souvent ceux qui intéressent le plus grand lectorat. Nous pensons qu’un ebook ne saurait remplacer le livre lui-même, mais simplement donner envie d’aller plus loin avec son auteur(e). Bien entendu, si un ayant droit se pensait réellement lésé par l’existence d’un ebook issu d’un livre de son catalogue, nous cesserons immédiatement de le partager. »

Lionel Maurel rapporte ainsi l’exemple d’Enro amené à enfreindre le droit pour traduire le titre d’un auteur dont il était amateur. Cette étude est intéressante parce qu’elle invite à s’écarter d’une conception étroite du droit d’auteur, sans pour autant cautionner l’aspect clairement illégal de ces pratiques. C’est au prix d’un examen attentif de cet écart qu’une offre légale publique et privée de qualité pourra voir le jour !

Commençons par remettre en cause deux idées reçues pour clarifier le débat sur le sujet.

Idée reçue numéro 1 : les fichiers illégaux sont de très mauvaise qualité. C’est faux indique l’étude : les fichiers qui circulent sont majoritairement de très bonne qualité, proposés par des équipes restreintes et très organisées. En ce sens, sans faire évidemment l’apologie de ces pratiques, les pirates numériques du livre d’aujourd’hui ne sont rien d’autre que des internautes qui se sentent investis d’une mission, celle de soigneusement scanner, corriger, mettre en forme et partager des fichiers de bonne qualité, en pratiquant même entre équipes une certaine émulation… Oserai-je dire que ces gens sont du côté obscur de la même force qui motive bien des bibliothécaires ? :-) (oups, je l’ai dit, trop tard)

Idée reçue numéro 2 : Les ventes de fichiers numériques vampirisent les ventes de l’imprimé. Les expériences menées tendent à montrer, en restant prudent, que ce n’est pas le cas, mais qu’au contraire, la circulation des fichiers permet à une offre éditoriale de bénéficier d’effets de réseaux lui permettant de “sortir de l’obscurité”.

Extrait à l’appui :

Présentées en février 2009 à l’occasion du Tool of Change for Publishing Conference organisée par l’éditeur américain O’Reilly, deux expériences menées en 2008 par le cabinet de conseil Magellan Media ont étudié l’impact direct de la diffusion de livres sur le web :

D’une part, l’éditeur Random House a mis à disposition quelques titres gratuitement sur son site web : les ventes papier de ces titres ont augmenté en moyenne de 19,1 % pendant la période promotionnelle (par rapport aux ventes pendant les 4 semaines qui la précèdent), puis de 6,5 % pendant la période suivante. Notre étude montre que, si l’on ne peut en tirer de causalité stricte quant à l’impact d’une diffusion gratuite sur les ventes (puisqu’on ne spéculer sur le montant des ventes si cette opération promotionnelle n’avait pas eu lieu), en revanche elle peut affirmer que cet impact n’est en aucune façon négatif.

D’autre part O’Reilly a suivi certains de ses best‐sellers, vendus sans DRM* sur son site. Il a
observé la courbe de diffusion illégale de 8 titres piratés, et a constaté que leurs ventes
numériques ont augmenté globalement de 6,5 % dans les 4 semaines qui ont suivi la première apparition de seeds* (sources de fichiers illégaux) sur Internet
. Par ailleurs, l’éditeur a été surpris de constater le temps de latence existant entre la publication officielle et la diffusion pirate : 20 semaines en moyenne (avec un écart allant de 4 à 43 semaines selon les titres).

(…)

Une expérience similaire a été menée par un autre éditeur américain d’ouvrages informatiques, No Starch, en mars 2008. Un an plus tard, il n’est parvenu à aucune conclusion précise quant au lien entre la mise à disposition gratuite de leurs livres sur le web et l’évolution de leurs ventes. Ils sont en tout cas incapables d’y trouver un lien de causalité négatif, et ils demeurent partisans de cette méthode qui, selon eux, est efficace pour contrer le «bruit » généré par les milliers d’ouvrages qui sortent chaque année en librairie. L’idée est qu’un éditeur a tout à gagner à se faire connaître ainsi par le bouche à oreille sur Internet.

(…)

C’est aussi ce que souligne l’éditeur américain Tim O’Reilly en considérant que, du point de vue des éditeurs comme des auteurs, le véritable problème n’est pas le piratage, mais l’obscurité : comment faire sortir un ouvrage de la masse sans cesse grandissante des productions éditoriales ? Cory Doctorow, essayiste, auteur de science‐fiction et co‐créateur du blog Boing Boing, apporte un argument supplémentaire : « J’ai commencé à distribuer gratuitement mes livres lorsque j’ai été témoin des débuts de la scène « bookwarez ». (…) [Les] fans passaient facilement 80 heures pour pirater leurs livres favoris (…) J’ai considéré que c’était plutôt une bonne chose d’avoir à ma disposition 80 heures d’effort promotionnel gratuit. »

Ainsi, le numérique appelle un développement communautaire autour des contenus et permet d’autres usages de lecture, comme le rappelle Hubert Guillaud dans ce billet d’Internet Actu :

Les premières études sur les usages des livres électroniques montrent bien qu’on ne les utilise pas de la même façon que les livres papier. On pioche plus facilement des passages ou des chapitres plutôt que d’avoir une lecture linéaire. Sans compter qu’on n’a pas les mêmes usages selon les types de contenus qu’on consulte : on a plutôt tendance à télécharger certaines formes littéraires et à accéder en ligne à d’autres, comme l’expliquaient certains des spécialistes du secteur à la conférence TOC 2009.

Ces deux idées reçues montrent bien que le numérique a des complémentarités à trouver avec l’imprimé. Avant d’envisager les perspectives ouvertes, voici la synthèse des résultats de cette étude proposée par ses auteurs. Mes commentaires sont entre crochets :

Le téléchargement illégal des livres sur Internet n’est pas nouveau, mais il semble décoller depuis le milieu de l’année 2008 à travers le monde. Il reste toutefois un phénomène particulièrement mineur au regard des autres formes de piratage en ligne.

L’évaluation du nombre de livres disponibles en téléchargement illégal reste complexe. Mais on peut l’estimer, à l’été 2009, de 4 000 à 6 000 titres différents, dont 3 000 à 4 500 bandes dessinées. Soit moins de 1 % des titres disponibles légalement au format papier.

Pirater un livre en le scannant depuis sa version papier représente un travail fastidieux de 6 à 10 heures minimum pour un résultat de bonne qualité. Pourtant, 77 % des ouvrages atteignent ce niveau de qualité. 1 ouvrage piraté sur 7 l’est par l’une des deux principales équipes de pirates, qui privilégient la qualité à la quantité. [autrement dit, il s'agit d'un travail d'équipe mettant en oeuvre un workflow bien plus complexe que ceux qui copient et partagent des films ou même des séries auxquelles ont été ajoutés des sous-titres...]

La taille moyenne d’un livre piraté est de 29,7 Mo. Ce poids assez élevé traduit l’importance du nombre d’ouvrages illustrés, notamment scolaires et pratiques, en téléchargement illégal.

Le réseau peer to peer eDonkey ainsi que le direct download sont les circuits de diffusion les plus utilisés pour les livrels. Mais, contrairement à la musique, à la vidéo et aux logiciels, la faible quantité de fichiers disponibles et d’utilisateurs pour les partager rend leur accès relativement difficile.

Gilles Deleuze, Bernard Werber et Amélie Nothomb sont les auteurs ayant le plus de titres disponibles en téléchargement illégal. [Cherchez l'intru ! Hypothèse : la complexité des écrits de cet auteur appelle une nécessaire appropriation des textes : recherches, surlignages, notes, usages de lecture non linéaire qui sont bien plus faciles à avoir à partir d'un fichier, ce qui explique que d'autres philosophes figurent dans le reste du classement : Michel Foucault ou Paul Ricoeur par exemple.]

Les livres les plus souvent indexés et partagés dans les différents réseaux illégaux sont Le Sexe pour les nuls, la série Harry Potter de J.K. Rowling, le Grand Livre de cuisine d’Alain Ducasse et la série Twilight de Stephenie Meyer. [Sexe, Magie, Cuisine, les mauvaises langues diront qu'il s'agit là du reflet des principales préoccupations de nos contemporains, rappelez vous qu'il s'agit d'un très petit volume, non représentatif ;-)]

Les trois éditeurs ayant le plus de titres piratés sont Gallimard, Dunod et Hachette. [Ce sont aussi des éditeurs qui proposent une offre légale inadapté pour l'heure, trop chère, avec DRM. Ajoutons qu'Hachette paie une société capable de détecter les copies pirates d'un titre sur des réseaux p2p, voir page 31 de la version intégrale de cette étude]

Le manque de disponibilité des ouvrages en offre légale ne semble être qu’une cause partielle du piratage : 3 livres piratés sur 4 sont disponible à la vente papier. Mais 94,9 % des livres piratés ne disposent pas d’une offre numérique légale.

Le piratage concerne les parutions contemporaines : 2 ouvrages piratés sur 3 ont été publiés il y a moins de 10 ans, mais pas les nouveautés en rayon : seul 1 ouvrage piraté sur 4 a été publié il y a moins de 4 ans. [hypothèse : voilà un indicateur du fait que les usages sont différents sur le papier que sur écran, en tout cas qui laisse entrevoir d'intéressantes possibilités de médiation autour d'une longue traîne d'ouvrages récents disponibles en version numérique]

Les catégories « essais », « romans » et « livres pratiques » représentent chacune un peu plus de 25 % des livres piratés. Seuls 8 % des livres du top 50 des ventes papier en librairie sont disponibles en téléchargement illégal.

Concernant les thèmes, on constate une très forte présence des STM*, de la philosophie, de la cuisine, de la littérature de science-fiction et fantastique et de l’informatique.

Ce qui ne figure pas dans la synthèse en deux pages de l’étude mais que vous trouverez dans la version intégrale c’est un véritable appel à l’innovation en huit points précis, à mettre en rapport, du côté légal de la Force, avec les 10 commandements de Couperin pour le livre numérique.

Autrement dit, que veulent les internautes ? Là encore, on est proches de ce qui se passe pour la musique : l’accessibilité des fichiers est une base, mais un modèle économique n’existe que par une valeur ajoutée à développer.

Kevin Kelly, consultant spécialisé en nouvelles technologies et ancien rédacteur en chef de Wired Magazine, la gratuité des contenus culturels numériques ne fait pas tout. Il y a selon lui 8 autres facteurs dont les internautes tiennent compte et qui peuvent jouer en la faveur des offres légales : l’immédiateté, la personnalisation, l’interprétation, l’authenticité, l’accessibilité, l’incarnation, le mécénat, la trouvabilité. Ces 8 caractéristiques, contrairement à un simple fichier, ne peuvent pas être copiées. Comment ces caractéristiques s’appliquent‐elles au téléchargement de livrels ?


‐ L’immédiateté (immediacy) : télécharger un ouvrage illégal est encore une pratique réservée à des internautes avertis. Et, même si la maturité des usages va atténuer cette difficulté, il n’en restera pas moins que l’internaute est prêt à payer pour la facilité et la rapidité d’utilisation des sites légaux : le temps de recherche d’un fichier pirate est aussi un coût non négligeable.

‐ La personnalisation (personnalization) : l’exemple de la musique montre qu’un consommateur télécharge peut‐être gratuitement un morceau de musique, mais sera prêt à payer cher pour obtenir ce même morceau s’il est de très bonne qualité. C’est aujourd’hui déjà le cas pour certains types de musique comme la musique classique, pour laquelle la différence de qualité liée à la compression des mp3 est évidente : le véritable amateur ne peut se contenter d’un fichier mal compressé et se tournera plus facilement vers l’offre légale. Dans le cas du livre, il peut s’agir de proposer une offre personnalisée en fonction des goûts du lecteur (par exemple dans le cadre de réseaux sociaux sur le web).

L’interprétation (interpretation) : c’est une logique qui provient du monde informatique où l’on dit souvent en plaisantant que le logiciel est gratuit mais que son mode d’emploi coûte 10 000 dollars. Il est possible d’imaginer une logique similaire dans le monde du livre technique ou pratique par exemple, où ce qui sera valorisé ne sera pas le livre lui‐même mais ses applications : par exemple des cours de jardinage en ligne donnés par l’auteur d’un livre sur la botanique, etc.

‐ L’authenticité (authenticity) : le lecteur a besoin d’être sûr que le livre qu’il est en train de consulter est bien l’ouvrage authentique tel qu’il a été créé par son auteur. Qu’il n’y a pas d’erreurs typographiques ou orthographiques liées à une mauvaise saisie lors du scannage du livre, ou que des morceaux entiers n’ont pas été supprimés lors de la numérisation, ce qui arrive parfois. Et le risque de déformation ou de manipulation est véritable : autant le risque était compliqué et coûteux en vidéo, presque inutile en musique, autant pour le livre c’est extrêmement facile. Imaginons une secte modifier un texte religieux ou un même un roman
pour y glisser ses messages. Idem pour les traductions non autorisées : on pense ici à celle d’Harry Potter, truffée d’erreurs et d’approximations.

‐ L’accessibilité (accessibility) : avec la multitude des fichiers et des terminaux à notre disposition, leur accessibilité devient de plus en plus complexe. Il est indispensable qu’il y ait de nouveaux services et outils. Ce qui va être valorisé finalement n’est pas tant la gratuité des fichiers que la possibilité de les stocker, de les sauvegarder, de les organiser de façon optimale, et tout cela a une valeur marchande.‐ L’incarnation (embodiment) : avoir un produit virtuel gratuit, c’est bien, mais sa version « réelle » sera toujours mieux valorisée par le consommateur. Kevin Kelly donne l’exemple du fan qui va à un concert des Rolling Stones plutôt que de télécharger un de leurs mp3. Dans le secteur du livre, cela peut passer par une multitude d’actions qui ne peuvent avoir lieu que sur le territoire local, et qui sont extrêmement valorisées par le lecteur : « the book is free, the bodily talk is expensive » (lire un livre est gratuit mais écouter quelqu’un parler vaut cher).

‐ Le mécénat (patronage) : d’après Kevin Kelly, les lecteurs ont souvent envie de soutenir les créateurs. On peut imaginer mettre à disposition gratuitement un livre numérique avec la possibilité de donner en ligne la somme que l’on veut. Bien sûr le lecteur veut être certain que l’argent ira bien à l’auteur. Ce n’est pas un modèle économique suffisant en tant que tel, mais une alternative ou un complément.

- La trouvabilité (findability) : dans un environnement où des milliers (et bientôt des millions) de livres sont disponibles gratuitement, le lecteur veut qu’on lui propose des choix, que l’on opère des sélections pour lui. Le rôle des prescripteurs reste essentiel, qu’on les appelle des éditeurs, des agrégateurs, des diffuseurs ou des distributeurs.

L’ensemble de ces caractéristiques tend à faire valoir le fait que l’on passe d’une industrie de produits culturels (les livres) à une industrie de services culturels (les services liés aux livres).

En tant que bibliothécaire je me sens véritablement interpellé par une telle étude, alors même que vient de paraitre l’enquête décennale sur les “pratiques culturelles des français” montrant une appétence importante des moins de 35 ans pour l’écran et l’audiovisuel en général. Je partage l’interrogation d’Hubert qui questionne les impacts du numérique en terme de démocratisation. Car, au fond, l’enjeu est bien celui-là. Ces dernières décennies on été le théâtre du transfert opportun des enjeux d’une démocratisation sociologique portées par des équipements culturels vers une logique d’accessibilité moins ambitieuse en termes politiques. L’objectif politique n’est plus, par exemple, de favoriser l’égalité des chances, mais d’élargir les horaires d’ouverture des bibliothèques (donc de faire passer un moyen pour une fin, sachant qu’il est évident qu’il faut ouvrir plus).

Cette situation va-t-elle se reproduire sur le web ? Autrement dit, sera-t-on capables de mettre en œuvre des politiques publiques d’accès aux savoirs qui dépassent l’écran de fumée de l’accessibilité des contenus numériques pour agir sur leur trouvabilité et jouer sur des sérendipités capables de contribuer à leurs appropriations à des fins culturelles, pédagogiques, démocratiques ?

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Pas de SMIC pour les écriveurs numériques http://owni.fr/2009/10/21/pas-de-smic-pour-les-ecrivain-numeriques-auteurs-remuneration/ http://owni.fr/2009/10/21/pas-de-smic-pour-les-ecrivain-numeriques-auteurs-remuneration/#comments Wed, 21 Oct 2009 09:56:08 +0000 Admin http://owni.fr/?p=4777 Pierre-Alexandre Xavier continue à nous tenir au courant de l’actualité de l’édition numérique. Aujourd’hui, il nous parle de rémunération pour les auteurs, sujet tabou dans le “petit monde de l’édition >

La SGDL (Société des Gens De Lettres) organise ces jours-ci un forum sur la révolution numérique de l’auteur. Une brochette d’invités compétents et experts, des thématiques d’envergure, l’événement a tout ce qu’il faut pour être intéressant. Une centaine d’auditeurs sont venus entendre ce que les acteurs ont à déclarer ou à raconter et espèrent, pour certains, participer à un débat sur les questions brûlantes qui émergent dans le petit monde de l’édition.

> La suite sur http://tempsfuturs.owni.fr

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Le lecteur s’impose : de l’avenir pour l’édition numérique… [2] http://owni.fr/2009/10/06/le-lecteur-simpose-de-lavenir-pour-ledition-numerique-2/ http://owni.fr/2009/10/06/le-lecteur-simpose-de-lavenir-pour-ledition-numerique-2/#comments Mon, 05 Oct 2009 22:35:01 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=4250 Ce billet est le deuxième d’une série consacrée aux transformations des métiers du livre. Ce deuxième volet s’intéresse à la montée en puissance du lecteur et au déclin du comptable.

La diffusion massive des outils de communauté(s), ou social media, transforme la nature des rapports que nous entretenons avec l’information et avec le savoir. D’une société de la connaissance relativement verticale, nous passons à une société de l’information très horizontale. D’une méthode de transmission et de diffusion décidée par un centre, nous passons à des méthodes de transmission et de diffusion multiples élaborées par le chevauchement de ces mêmes méthodes et par les usages qu’en font les utilisateurs. Cette transition a parfaitement été identifiée et intégrée par une firme comme Google qui joue sur ces leviers multiples permettant aux utilisateurs de faire triompher leurs désirs.

ecritoiresDans ce nouveau paysage de la dissémination et de l’échange des informations, la place centrale détenue hier par l’économie est très fortement restreinte, mais sans pour autant disparaître. Elle devient progressivement invisible et n’occupe plus la place déterminante de base comme le prouvent l’émergence de projets d’envergure mondiale dont le modèle de rentabilité économique reste encore à déterminer. Certains projets passent même l’essentiel de leurs temps de vie dans cet état de work in progress opérationnel, de version Beta perpétuelle, pour finalement devenir la propriété d’une compagnie ou d’une autre qui dépense sans compter pour ce qu’elle pense être la poule aux œufs d’or. Parmi les cas d’école : MySpace, dont le succès a été énorme, puis son rachat par Rupert Murdoch et puis son déclin rapide face à la montée en puissance d’un autre projet d’envergure : Facebook. L’économie ne règne pas sur le monde numérique, ou du moins pas comme elle le voudrait, comme dans le temps, de manière impériale et univoque.

Tous ces outils de mises en relation entre les individus, qui secondaient hier le téléphone et qui le supplante désormais totalement,
représentent une menace bien réelle pour les groupes financiers qui fondent leur économie sur la propriété culturelle. La fluidité et l’horizontalité des relations qu’ils imposent minent et contreviennent à toutes les règles verticales et hiérarchiques imposées par les méthodes traditionnelles d’exploitation des œuvres culturelles. Cela a été fulgurant et évident pour la musique. C’est également vrai pour le cinéma et la photographie. Pour des arts plus adaptés à une interaction dans l’espace comme la peinture, la sculpture, les spectacles vivants, la danse, le théâtre… les outils communautaires, et plus généralement le Web, offrent une porte d’entrée par cooptations, par relations, par affinités et parfois même par un travail pédagogique de proximité entre les connaisseurs et les curieux. Si la télévision et le divertissement restent les sujets de prédilection dans les échanges sociaux, les arts n’en sont pas absents, loin de là et sont aussi un signe de reconnaissance entre individus d’une même tribu.

Pour la musique, le cinéma et la photographie, les technologies de l’information ont également permis un partage total des ressources,
sans aucune limite physique de support ou d’espace. Cette capacité de partage a été complètement diabolisée par les détenteurs de droits qui l’ont immédiatement assimilée à du vol, à du piratage, tout en admettant qu’il pouvait y avoir des similitudes avec le prêt et l’échange qui préexistaient dans le monde de la distribution traditionnelle d’œuvres culturelles. Dans ces conditions quand est-il du livre ? Ce dernier est-il condamné à devenir également un objet immatériel qui pourra être disséminé dans le flux incessant des échanges numériques qui saturent le Réseau ? La réponse est évidente et il n’est pas besoin de s’interroger sur le support de lecture final pour formuler une conclusion. Le livre numérique sera lui aussi et de manière massive l’objet d’échanges, de partages et donc de piratages. Il l’est déjà aux Etats-unis où les ouvrages techniques et universitaires sont disponibles de manière systématique en version électronique peu de temps après leur parution papier, si ce n’est avant la sortie de cette dernière.

On peut polémiquer encore longtemps sur la nature du support final de lecture du livre numérique.
Ces querelles rejoindront celles des inconditionnels de la photographie argentique contre les adeptes des appareils numériques, ou bien des cinéastes de pellicule contre les utilisateurs de caméras numériques, etc. Ces débats parfois intéressants mais souvent stériles renvoient à des différents encore plus anciens sur d’autres innovations de l’histoire. Que ce soit sur papier (par impression à la demande, impression privée) ou sur un appareil électronique (ordinateur, tablette, netbook, lecteur électronique), cela ne changera rien à la volatilité acquise des livres numériques.

Ce qui change également et de manière radicale, c’est la place de chacun dans le dispositif du livre.
La chaîne de fabrication traditionnelle fortement Taylorisée (découpée en segments performants et les plus rentables possibles) a donné, et donne encore, une place très importante à l’économie et à ses experts. Mais l’irruption des technologies de l’information, un moment apprivoisée par l’industrie du livre, va débarquer les contrôleurs de gestion et les comptables pour rendre la place aux lecteurs. Ce phénomène gagne de l’ampleur à mesure que ces mêmes lecteurs s’engouffrent allègrement dans la brèche créée par les « médias sociaux ». Affranchi de l’engeance du plan média et des canaux traditionnels de diffusion et de partage de l’information, le lecteur tisse ses propres relations avec les œuvres qui lui sont présentées tantôt par affinité, recommandation, ou bouche à oreille électronique. Il/elle tisse également ses propres liens avec d’autres lecteurs dont il/elle partage les goûts et les lectures.

Demain, au cœur de l’économie numérique du livre, le lecteur s’impose comme le pivot de l’ensemble du secteur de l’édition.
Il se manifeste sous la forme de trois « avatars » :
— l’éditeur,
— l’auteur,
— le libraire.
Ces trois types de lecteurs seront les grands vainqueurs de la métamorphose numérique du livre. Dans un paysage technologique permettant la publication à des coûts marginaux et en offrant une personnalisation accrue, les lecteurs disposent de tous les outils nécessaires pour numériser l’œuvre, la conditionner, la diffuser en mode libre ou restreint, lui faire de la publicité localisée, massive ou confidentielle, l’intégrer dans un univers créatif et imaginaire, ou dans un univers technique et référencé. Le lecteur devient roi, et l’univers du livre lui est rendu dans toute sa dimension littéraire.

Mais résistons un instant à l’idéalisme technophile de cette approche visionnaire et revenons à des contingences plus immédiates.
On pourrait croire que les trois formes sont trois fonctions que le lecteur peut occuper tour à tour et devenir ainsi homme-orchestre du livre. Mais c’est oublier que ces formes ne sont pas que des rôles, elles sont aussi des passions et par extension des métiers. Il est probable que nous verrons dans l’économie numérique du livre apparaître des prodiges capables à la fois de produire une littérature de qualité, éditer par goût et avec intelligence la littérature des autres et ajouter à cela une grande capacité à organiser la vente numérique et/ou physique des ouvrages auprès du plus grand nombre. Ces prodiges seront fort heureusement rares. Mais il sera moins rare de rencontrer des auteurs-éditeurs ou des éditeur-libraires, ou même des auteurs-libraires. Pour rester pragmatique disons que l’édition est une affaire de collaboration(s). Car ce qui relient les trois facettes du lecteur, c’est la capacité imaginative et c’est aussi là dessus que s’articule le sens de toute entreprise. Se pose alors la question des moyens dont disposent les lecteurs pour construire cette économie nouvelle ?

Les équipements d’impression à la demande existent et sont développés depuis plus de dix ans par les plus grandes enseignes de la reprographie.
Nombre de prestataires d’impression proposent depuis plusieurs années déjà des services à des tarifs très compétitifs des impressions en petits tirages, voire en tirages uniques. Le Web 2.0 offre une panoplie d’outils intégrés (CMS) pouvant servir aussi bien de plate-forme de vente, de site de divulgation, de blog(s) et/ou de vitrine. Et les médias sociaux ouvrent des possibilités incontestées pour générer du bruit, des effets d’annonce, des communications virales et toutes sortes d’initiatives qu’il est déjà impossible de les consigner toutes. C’est à ces possibilités que s’attaquent aujourd’hui les lecteurs, c’est-à-dire une foule d’éditeurs indépendants, de libraires atypiques, d’auteurs visionnaires et d’excentriques en tous genres… Et les groupes financiers ne seront pas absents de cette recomposition à condition de calibrer autrement leur offre à la fois dans sa nature et dans sa complémentarité avec le travail des lecteurs.

Cette révolution n’ira pas sans résistances. Nous connaissons déjà celle des détenteurs de droits.
J’en ai parlé dans le premier billet de cette série. Et d’autres résistances sont à prévoir. Elles viendront à la fois de la nature conservatrice des institutions publiques en charge de valoriser et de défendre le patrimoine culturel. Elles viendront également des sociétés et syndicats civils ayant pour mission d’agréger les composantes professionnelles du secteur qui ne pourront que se cristalliser sur les méthodes traditionnelles et sur les codes en vigueur.
En même temps qu’ils devront s’approprier les outils et les espaces de travail, les lecteurs devront également convertir les institutions et les associations professionnelles. Par cette conversion à l’économie numérique du livre, il sera possible d’envisager une transformation des dispositifs de subventions, des mécanismes d’aide et des conventions de conservation et  de dépôt. Le plus difficile sera naturellement un chantier âpre concernant les droits de propriété intellectuelle.

Le processus que je décris ici n’est pas de l’ordre de la prospective. Il est déjà à l’œuvre partout. Les réactions françaises tant de la part des maisons d’édition que des institutions sont la preuve manifeste que la transformation a débuté. Mais pour l’instant, la mutation se fait un peu dans la douleur et le bébé a bien l’air de se présenter assez mal. Rien n’est perdu et les agitations et manœuvres guerrières des mastodontes de l’informatique et du Réseau ne peuvent absolument rien contre la barrière naturelle de tous les patrimoines culturels : celle de la langue. Il y a donc encore du temps pour mettre en place les articulations nécessaires à une révolution en douceur et profitable pour tous.

Le livre est une affaire de lecteur(s).
Pendant une courte période (moins d’un siècle), les marchands ont crû pouvoir s’approprier le livre comme objet d’une économie de masse. Les avantages notables et bénéfiques ont été de permettre une éducation et une information de masse. Mais les effets pervers ont été nombreux et indésirables. Avec l’explosion numérique, le livre cesse de nouveau d’être une affaire de comptables et de commerçants pour redevenir une affaire de lecteur(s). Il n’y a rien à déplorer dans ces mutations successives. Elles apportent toutes leur lot de bénéfices. Il faut en revanche, le moment venu, les accepter sans se crisper, ni tenter de s’enchaîner au passé. Comme lors d’un deuil, il faudra lâcher prise et tourner la page.


N.B. : Dans ce billet, j’ai employé très (trop) souvent le masculin pour désigner le lecteur et ses avatars. Cela n’est pas la marque d’un caractère sexiste, mais la triste réalité d’une langue et d’une culture. Je reconnais volontiers le rôle majeur des femmes dans l’univers du livre, dans toutes les formes de la lectrice et dans toutes les langues que j’ai la chance de comprendre. Je compte sur leur bienveillance et leur indulgence.

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Edition numérique : la tentation de l’open source http://owni.fr/2009/08/28/edition-numerique-la-tentation-de-l%e2%80%99open-source/ http://owni.fr/2009/08/28/edition-numerique-la-tentation-de-l%e2%80%99open-source/#comments Fri, 28 Aug 2009 10:41:55 +0000 Admin http://owni.fr/?p=2879 Licence globale et open source offrent des modèles économiques éminemment intéressants pour le développement de propriété intellectuelle. Quoi de plus normal de les voir portés sur le devant de la scène comme modèles économiques potentiels pour l’édition de livres numériques.

La licence globale est un concept simple et particulièrement attractif. Tous les auteurs sont rémunérés sur un prélèvement direct sur les recettes des diffuseurs et des opérateurs. Le système est juste puisqu’il dit clairement une réalité souvent occultée : le contenu détermine la qualité du service. Mieux, le contenu est la seule qualité du service. Sans contenu, le service devient donc inutile. Il est logique d’attribuer une part des bénéfices du service à ceux et celles qui ont produit le contenu. C’est théoriquement le système adopté par des organismes de gestion de droits comme la SACEM. En pratique, les dérives sont nombreuses et la licence globale a cela de pervers qu’elle bénéficie essentiellement aux entités juridiques mandatées et à la frange minoritaire des auteurs ayant la meilleure notoriété, amplifiant d’autant leur influence.

La suite sur Temps Futurs, le blog de Pierre-Alexandre Xavier

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Nouveau business model de l’édition http://owni.fr/2009/08/27/nouveau-business-model-de-l%e2%80%99edition/ http://owni.fr/2009/08/27/nouveau-business-model-de-l%e2%80%99edition/#comments Thu, 27 Aug 2009 11:35:54 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=2850 Ou l’économie des propulseurs…

fleuve

Le fleuve coule. Les gens qui vivent au bord du fleuve puisent de l’eau. L’eau restante finit à la mer. Elle s’évapore, puis pleut sur la montagne où le fleuve prend sa source.

Imaginez un autre scénario. Un immense barrage à la source. Quand quelqu’un veut boire, il paye et on lui envoie une bouteille ou on ouvre le barrage, laisse couler assez d’eau pour qu’elle arrive à l’assoiffé. Sur le cours d’eau, des riverains de plus en plus déshydratés se transforment en pillards (je pense aux Somaliens qui arraisonnent les navires). Il faut donc toujours lâcher de plus en plus d’eau pour satisfaire les consommateurs. Gaspillage, guerres, rareté de l’offre et engraissement au passage des maîtres du barrage. Leur business : maintenir la rareté.

Cette seconde fable est une métaphore du monde capitaliste, plus particulièrement du monde de l’édition numérique qui se cherche un modèle. Dans la logique des flux, ne vaudrait-il pas mieux s’inspirer des fleuves naturels ?

  1. Si le propulseur verrouille son missile par un prix de mise à feu, le missile risque d’exploser dans le silo de lancement (cas des ebooks vendus pour quelques euros).
  2. Il faut laisser fuser le missile, le laisser voguer, traverser le monde, c’est à l’arrivée, au moment de son explosion aux yeux du lecteur qu’il faut essayer d’être récompensé du travail fourni.
  3. Comment savoir que le missile arrive ? Pas nécessairement besoin de technologie. C’est au lecteur de se manifester. Plus il clique, plus il aime et donc plus il avance dans le livre.
  4. Avec les readers Wifi et GSM, il sera facile de savoir jusqu’où les gens lisent et donc de leur indiquer combien les autres lecteurs arrivés au même stade ont donné et combien idéalement l’auteur/éditeur aimerait recevoir (espérons au passage que nous n’allons pas devenir des lecteurs sous écoute).
  5. Le flux long implique un rapport fort et durable avec l’auteur, une forme d’intimité, qui peut-être facilitera le déclenchement du don par rapport à d’autres relations plus volatiles.
  6. L’éditeur aura un double rôle, celui de propulseur, celui d’accompagnement du lecteur. Il devra nouer avec lui une relation presque intime comme l’ont dans l’imaginaire l’auteur et le lecteur. Il devra se placer en début et en fin de la chaîne.
  7. C’est un véritable partenariat éditeur/auteur/lecteur qui s’installera car le lecteur devient aussi un propulseur. Il l’a toujours été avec le bouche-à-oreille toutefois il ne s’agira plus de faire vendre des livres mais de faire déclencher des dons pour les livres qu’on a fait aimés et poussé soi-même sur le réseau.
  8. Beaucoup disent que ce système n’a aucun intérêt pour le livre qui coûte peu par rapport au temps que nous passons à le lire. Vrai sans doute quand on achète un livre connu mais faux quand on batifole et qu’on explore la longue traîne à la recherche de pépites.

Je reste persuadé que remplacer « Payer puis voir » par « Voir puis payer si j’aime » est la véritable révolution en cours, initiée par le mouvement open source.

Quand un ami me présente un autre ami, je commence par discuter avec lui avant de l’inviter à passer les vacances avec lui1. Notre monde marchand a nié cette logique de la vie, mettant au même niveau les produits que nous avons déjà vus avec ceux que nous ne pouvons déjà avoir vus parce qu’ils sont nouveaux (ne peuvant que l’être dans le cas des biens culturels).

Pour être en accord avec ce que je pense, j’ai décidé de ne plus laisser mes livres publiés sur le papier. Comme beaucoup d’autres l’ont déjà fait, je les diffuserai sans doute au format ePub et PDF. Me reste à trouver le temps et le courage d’effectuer la conversion.

1 En juillet 1999, je suis parti au Mexique avec une inconnue dans le seul but d’écrire le journal de ce qui se passerait. Résultat : un livre appelé Turista qui dort dans mon disque dur.

Article initialement publié sur le Peuple des connecteurs

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