OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le grand oeuvre des mercenaires http://owni.fr/2012/02/10/grande-oeuvre-mercenaires/ http://owni.fr/2012/02/10/grande-oeuvre-mercenaires/#comments Fri, 10 Feb 2012 15:54:10 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=97980

Voulez-vous gagner de 50 000 à 200 000 dollars par an ou plus, travailler dans des lieux exotiques autour du monde ?
La Mercenary International Corporation a les meilleures propositions du marché pour les gens qui ont une expérience du combat et recherche des métiers à hauts risques dans des zones de guerre.

L’annonce a essaimé sur les réseaux à partir de juin 2011. Murs Facebook de l’armée américaine, de la société militaire privée (SMP) Black Water – renommée Xe puis Academi – et groupes liés à l’Afghanistan et l’Irak ont tous affichés un temps l’offre d’emploi, qui se poursuit :

Postulez et partez dans une des destinations de votre choix : Afghanistan, Soudan, Israël, Colombie, Liberia, Irak, Côte d’Ivoire, Somalie, le Pacifique sud et bien d’autres destinations à travers le monde !

Elle émane de la Mercenary International Corporation (MIC), une SMP créée en France en 2008. Au mépris de la loi de 2003, “relative à la répression de l’activité de mercenaire”,  qui l’interdit en France, elle s’affiche ouvertement “entreprise internationale de mercenariat”. Les candidatures ont abondé. D’abord anecdotiques, elles sont bien plus fréquentes à partir de juin 2011, une cinquantaine parviennent à son fondateur.

Son créateur plutôt. Emeric Lhuisset est un jeune artiste, pas un entrepreneur de la sécurité. La Mercenary International Corporation n’a d’existence qu’à travers un vrai-faux site Internet. La MIC est un projet, une construction artistique, une façon d’observer notre rapport à la sécurité par un prisme incongru, tout en restant profondément ancré dans le réel. Si bien que des candidats ont envoyé leur CV. Quelques uns d’abord, puis plusieurs dizaines quand l’annonce a été postée sur les réseaux.

CV de mercenaires

Emeric Lhuisset vient d’en publier une partie dans un ouvrage édité à 50 exemplaires. Les CV des candidats mercenaires sont anonymisés. Seuls quelques détails sur l’identité et le parcours des postulants apparaissent. Les Américains, les Croates et les Sud-Africains sont les plus nombreux. Quelques Français apparaissent aussi. Les parcours sont parfois étonnants, à l’instar de cet ancien de la police municipale passé dans le privé, aujourd’hui avide d’une expérience au sein de la MIC. Plusieurs Croates expliquent avoir suivi une formation à l’International security academy en Israël. Une même phrase revient à la fin de leur CV :

NOTE: I’m ready for any challenges and I have skills for do it in any part of the world.

(NOTE : Je suis prêt pour n’importe quel défi et j’ai les compétences pour les affronter dans n’importe quelle partie du monde).

Dans un anglais très approximatif, un autre met en avant son vécu personnel :

I have 5 years of foreign legion behind me I’m one level of strength and still feel like with my 25 years I was born in a country at war so the war never scared me so my problem is English

(J’ai 5 années à la légion étrangère derrière moi je suis fort (?) et me sens comme à mes 25 ans je suis né dans un pays en guerre donc la guerre ne m’a jamais fait peur donc mon problème est l’anglais)

Cette plongée soudaine dans un milieu très clos et, croyait-on, plutôt parano, a surpris Emeric Lhuisset  : “Jamais je n’aurai cru pouvoir tromper ces gens-là. Deux profils se distinguent parmi les candidats : les débutants et les barbouzes.”

Postuler pour une boite qui met en avant le mot mercenariat est loin d’être anodin. Sur la couverture du livre, on retrouve  l’annonce, en anglais et en français. Une annonce réelle, qu’une autre SMP utilisait pour son recrutement. A l’intérieur, les CV se succèdent, sans un mot de l’auteur, sans aucune intervention sur la forme, la police ou la mise en page. Emeric Lhuisset travaille sur cette accumulation brute, sur le modèle d’un Christian Boltanski, qui a été son professeur aux Beaux-Arts.

L'équipe M.I.C à la FIAC

Un autre livre devrait être prochainement édité, avec les nouvelles candidatures reçues, mais le projet de la Mercenary International Corporation ne s’y limite pas. En 2008, lors de la Foire Internationale de l’Art Contemporain (FIAC) Emeric Lhuisset et son complice Yann Toma avaient déboulé entourés de gardes du corps appartenant officiellement à la MIC, suivis par une nuée de photographes et de caméras. Tous étaient complices de cette performance. Très vite, les curieux s’étaient rapprochés, créant une foule d’une centaine de personnes, agglutinée pour voir ceux qui faisaient l’objet de tant d’attention, une attention factice évidemment.

Un non-événement a créé un événement. Avec la MIC et les travaux autour, j’essaie de créer des ruptures pour l’observateur, des ruptures dans l’espace et le temps.

Et de prendre pour exemple le vigile dans un supermarché et des militaires dans une gare : “Si vous inversez les deux, si le militaire armé surveille le supermarché, les passants le remarqueront et s’interrogeront sur sa présence.” Une façon de questionner notre rapport à la sécurité. A peine a-t-il fini sa phrase, qu’une dizaine de militaires passent dans la rue sur laquelle donne le café dans lequel nous sommes installés. Sur la terrasse, tous les regards se tournent vers eux, en uniforme, fusil famas à la main.

A la croisée des sciences sociales et de l’art

L’idée de la MIC a germé au contact – impromptu – de gardes privés, des contractors, en Afghanistan, a ensuite grandi entre la Nouvelle-Orléans où Blackwater était intervenu après le passage de l’ouragan Katrina et les gated communities en Amérique latine. En 2004, Emeric Lhuisset se fait brièvement mais fermement interpeler par des contractors à Kaboul. Il n’est pas encore aux Beaux-Arts mais découvre l’existence des SMP. Intéressé par la rencontre de l’histoire, de la géographie et de l’art, il entame un travail sur les conflits armés tout en continuant à voyager.

Aux États-Unis, la culture de la peur et de la paranoïa est très forte. Or les SMP ont besoin de cette peur pour vendre leurs services !

C’est une sorte de business de la peur.

Des affaires si fructueuses que certains en oublient la loi, et postulent dans une entreprise dont le nom est sans ambiguïté. Les CV sont adressés à Emmanuel Goldstein, le directeur général fictif, du nom du faux résistant créé par Big Brother dans 1984 afin de renforcer le régime par la haine de l’ennemi commun.

En janvier, pour la première fois, un candidat s’est ému : “Est-ce vraiment légal ?” Une question que n’ont pas posée les sept candidats chinois, issus des forces spéciales, qui tiennent absolument à travailler ensemble.


Illustrations Emeric Lhuisset ©

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Les mercenaires filent à l’anglaise http://owni.fr/2011/06/13/les-mercenaires-filent-a-langlaise/ http://owni.fr/2011/06/13/les-mercenaires-filent-a-langlaise/#comments Mon, 13 Jun 2011 14:58:55 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=67655 Depuis quelques semaines, la filiale anglaise du groupe Géos, fleuron des sociétés militaires privées françaises, est au centre de plusieurs procédures ouvertes bien souvent après des plaintes de ses anciens employés. À Londres, OWNI a obtenu les procès-verbaux et les registres de cette curieuse structure, Geos International Consulting Limited (voir ci-dessous), montrant qu’elle relève directement du siège du groupe Géos, en région parisienne. De grands noms apparaissent dans ces registres britanniques. Ceux du général Jean Heinrich (ex patron du Service Action de la DGSE) ou de Guillaume Verspieren (l’héritier du groupe d’assurance et actionnaire majoritaire du groupe Géos en France). Installée au 81 Rivington Street à Londres, la société apparaît dans au moins quatre affaires sensibles.

  • Enquête préliminaire du parquet de Nanterre pour des bizarreries comptables,
  • Dossiers aux prud’hommes de Versailles et de Boulogne-Billancourt ouverts par des anciens des forces spéciales expédiés en Algérie ou au Brésil qui reprochent au groupe de ne pas avoir payé leurs cotisations sociales,
  • Ou encore investigations policières après les missions d’un cadre de Géos pour le compte des services de sécurité de Renault à l’origine du plus gros scandale social connu par le groupe automobile.


Créée en 2001, cette société anglaise serait chargée de “la gestion des opérationnels, du support et de l’accompagnement des projets“, nous explique-t-on au siège parisien de l’entreprise. Cependant, les procès-verbaux de la filiale montrent qu’elle intervient dans le domaine de “l’investigation et de la sécurité“. Toujours selon ces papiers, Géos déclarait en Grande-Bretagne 114 personnels d’opération et 22 personnels administratifs et deux personnes chargées de la gestion, entre septembre 2008 et décembre 2009, pour un chiffre d’affaire de 20 984 000 euros. Mais des témoins, familiers des lieux, nous décrivent un bureau de 40 m2 où travaillent une secrétaire et un comptable.

Des anciens des forces spéciales relevant de la structure anglaise ont récemment porté plainte. Tel Roland Renaux, responsable de la sécurité en Algérie, officiellement employé via un contrat anglais, mais percevant un salaire net en euros, versé sur un compte en France. Cet ex-commando marine pilotait la sécurité sur un site d’Alstom Power, où sont déployées d’importantes équipes de gardes armés. Avant d’être licencié en août 2009, moment où il découvre que la société n’aurait jamais versé de cotisations sociales, ni en Grande-Bretagne ni en France. Roland Renaux a assigné le groupe Géos et Alstom devant le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, lequel pour l’heure s’est déclaré incompétent territorialement. Roland Renaux a fait appel de cette décision mais une conciliation serait en cours.


Les activités de Géos en Algérie intéressent la justice à plus d’un titre. Michel Luc, l’employé de Géos accusé d’avoir participé aux enquêtes à l’origine du scandale Renault a été débarqué début février par la direction du groupe, précisant qu’il aurait agi en dehors des consignes hiérarchiques. Une accusation étonnante au regard de ses responsabilités. Jusqu’à une période récente Michel Luc coordonnait l’ensemble des opérations de Géos en Algérie, en relation avec la filiale anglaise.

Une autre procédure aux prud’hommes visait Géos au début du mois. Celle introduite par Luis Barbosa, la quarantaine, ancien du 1er Régiment Parachutiste d’Infanterie Marine (RPIMA) de Bayonne et ancien chasseur alpin. Chef d’opération au Brésil jusqu’en décembre 2010, il y aurait passé six mois sans autorisation de travailler sur place, tandis qu’il coordonnait plusieurs opérations du groupe en Amérique latine, en relation avec la surveillance des réseaux de narcotrafiquants, et au terme d’un contrat avec la même filiale britannique.

Luis Barbosa réclamait ”le paiement de la totalité de ses indemnités de licenciement, ainsi que celui de diverses prestations sociales” selon la lettre Intelligence Online (sur abonnement). Il a assigné aux prud’hommes de Boulogne-Billancourt la filiale londonienne, mais aussi Géos SAS et Géos Brasil. Le conseil devait statuer le 6 juin dernier, mais en l’absence de Luis Barbosa une ordonnance de caducité a été prononcée. Selon ses proches, une transaction aurait eu lieu peu avant l’audience.

À terme, ces diverses affaires pourraient mettre en évidence les relais de Géos avec l’appareil sécuritaire français, et quelques-une de ses missions très particulières. Ainsi, selon des témoignages concordants recueillis auprès d’anciens contractuels de Géos, une centaine de soldats privés évoluaient en Afghanistan en 2010. Dont certains spécialisés dans des missions de renseignement.


Crédits Photo FlickR cc by Simon Goldenberg

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