OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Tarnac Production http://owni.fr/2012/03/12/tarnac-production/ http://owni.fr/2012/03/12/tarnac-production/#comments Mon, 12 Mar 2012 08:22:19 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=101598

David Dufresne, auteur du livre "Tarnac, magasin général"

L’affaire de Tarnac, symptôme à un plus d’un titre. Pas seulement d’une nouvelle forme de militantisme dur sur-interprété par des services antiterroristes toujours soucieux de justifier leurs pouvoirs dérogatoires. L’affaire de Tarnac montre aussi des médias qui pendant plusieurs mois ne parviennent pas à reconstituer cette complexité-là sans parti pris. L’information selon laquelle des militants ont bien dégradé des voies ferrées, mais que leurs actes relèvent du vandalisme et non pas du terrorisme, appartient au domaine de l’indicible. Comme si elle ne plaisait à personne.

Comme si, dans les médias, les stratégies de communications des uns et des autres profitaient alternativement d’une chambre d’écho. Celles des services de renseignement, de la police, des avocats, de la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, et des militants politiques proches du groupe de Tarnac. Ce jeux des médias dans l’affaire de Tarnac apparaît tout au long du livre “Tarnac magasin général”, que vient de publier l’auteur et journaliste David Dufresne aux éditions Calman-Lévy. L’affaire judiciaire y passe au second plan et laisse la place à une comédie politico-médiatique. Piquante. Entretien.

L’affaire de Tarnac présente des médias versatiles, reprenant d’abord sans trop de discernement les affirmations policières, puis, dans un deuxième temps, cherchant à démontrer que les militants de Tarnac n’ont jamais dégradé de voies ferrées, avec le même entrain. Comment analysez-vous ce passage entre deux postures radicales ?

Effectivement, il existe un effet de balancier. Il s’est opéré en trois semaines. Dans un premier temps, le discours de Michèle Alliot-Marie se retrouve partout, comme dans ce journal de 13h de France 2 du 11 nov 2008, jour de l’arrestation, peut-être le plus caricatural. Toute la phraséologie policière transpire dans le commentaire. Le reportage dit « Ils avaient une épicerie tapie dans l’ombre » [une sentence aujourd’hui détournée par des cartes postales, en vente dans l’épicerie de Tarnac, NDLR]. Puis les mis en examen, les proches, et les comités de soutien s’organisent et développent leur discours, que certains ont qualifié d’innocentiste, et qui va supplanter le premier. Une raison à cela: dans les journaux, au Monde, à Libération comme à Mediapart, par exemple, c’est une question d’hommes, de journalistes, de rivalités. Comme ce sont des titres où la contestation interne peut s’exprimer, ça s’exprime aussi dans leurs pages.

Pourquoi de nombreux journalistes ont-ils immédiatement adhéré à la thèse policière ?

Il faut comprendre la propagande de départ. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie « travaille » alors les rédactions depuis longtemps pour les convaincre de l’existence d’une résurgence de la violence ayant pour origine une nouvelle extrême gauche, qui prendrait son origine dans les mouvements anti-CPE. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie a demandé à la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) puis à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de monter des dossiers sur ce thème.

Ceux-ci étaient présentés et débattus lors des fameuses réunions du jeudi soir de la place Beauvau [révélées par le livre de David Dufresne, NDLR], des réunions uniquement consacrées à l’anti terrorisme et réunissant les patrons de la police. Joël Bouchité, de la DCRG et Bernard Squarcini de la Direction de la surveillance du territoire (DST, bientôt transformée en DCRI, NDLR) y participent.

La ministre est présente, prend des notes, elle est très attentive et exigeante. J’ai rencontré un certain nombre de participants à ces réunions. Les chefs de la police étaient impressionnés par MAM. Sur le mode: on ne contredit pas un ministre! En outre, en matière d’antiterrorisme, la DCRI va alors être créée, chacun doit prendre un « créneau », c’est le terme employé par plusieurs policiers, devenir légitime dans une spécialité. Bouchité voudrait prendre l’extrême gauche et la contestation radicale tandis que Squarcini ne prendrait que les islamistes.

Ces enjeux de pouvoir et de légitimité créent des effets de loupe considérables sur les sujets qu’ils abordent. Comme par exemple le rapport de juin 2008 du ministère de l’Intérieur, brandissant quasiment le retour d’Action directe. Tout le scénario de l’affaire de Tarnac est préparé dans ce cadre. Et les contacts du ministère dans les médias font le reste. En entretien, Squarcini m’a confié : « pour nous le groupe de Tarnac c’était un pot de feu qu’on laissait mijoter ». Il y a aussi Alain Bauer, le consultant en sécurité de l’Élysée, qui vient d’acheter « L’insurrection qui vient » [un essai politique attribué au groupe de Tarnac, NDLR]. Il lui accorde beaucoup d’importance. Un tel homme d’influence, qui a l’oreille du président, en parle à des amis journalistes. Il en remet aussi un exemplaire à un Frédéric Pechenard, le directeur de la police nationale.

Au moment de l’interpellation du groupe de Tarnac, largement médiatisée, les esprits ont déjà été préparés, mais comment cette mise en condition s’exerce au moment ultime ?

L’enquête préliminaire est ouverte en avril 2008. Au mois de novembre, elle n’est pas encore bouclée. Mais arrive la nuit du 7 au 8 novembre durant laquelle des voies ferrées font l’objet d’actes de vandalisme. Ça fait l’ouverture dans les journaux de 20 heures. L’Élysée s’informe et appelle le Ministère de l’Intérieur, qui appelle les services de sécurité, comme toujours lorsqu’un sujet sécuritaire occupe l’espace médiatique. Certains, dans ces services, veulent attendre. Mais le pouvoir politique exige une réponse médiatique. La Sous direction antiterroriste chargée de l’enquête de terrain voudrait peaufiner ses investigations en prolongeant la surveillance.

Gérard Gachet, porte-parole du ministère de l’Intérieur évoque des SMS de journalistes: la place Beauvau craint alors les fuites. Le pouvoir exécutif choisit le 11 novembre pour bénéficier d’une caisse de résonance énorme, l’actualité étant essentiellement occupée par les commémorations ce jour-là: c’est une constance, en France, le 11 novembre, depuis 1918, il ne se passe rien! À 6h du matin, 150 policiers investissent Tarnac et débutent les perquisitions dans les différents corps de ferme. À 8h32, les perquisitions sont en cours mais déjà un communiqué du ministère de l’Intérieur annonce triomphalement l’opération. Vers 10h un journaliste de France 3 arrive de Limoges, passe les barrages et réalise des images, très fortes, violentes, avec des policiers en cagoule surarmés, alors que l’opération est toujours en cours.

Une heure plus tard environ, vers la fin de matinée, Michèle Alliot-Marie organise une conférence de presse dans son bureau alors que la perquisition est toujours en cours. Mais à ce moment-là, les policiers savent qu’ils n’ont rien trouvé quant à d’éventuels préparatifs d’actes terroristes. Trop tard, la machine est lancée. MAM construit une image qui est celle de ces conférences de presse des années 80, au moment des affaires Action directe et du terrorisme en relation avec l’extrême gauche. Moins de deux heures plus tard, Claire Chazal invite Guillaume Pépy, le patron de la SNCF [victime des dégradations, NDLR] qui renchérit sur le plateau de TF1. Le point d’orgue, c’est la Une de Libération du lendemain qui annonce « L’ultra gauche déraille ». Alors que tous les experts s’accordent sur le fait que les dégradations des caténaires ne pouvaient pas provoquer le moindre déraillement. Toute cette construction médiatique de la place Beauveau a permis de convaincre de l’existence de cette menace terroriste là. Enfin, le lundi matin, l’Assemblée nationale acclame MAM d’une standing ovation. Le film parfait.

Comment cette croyance est-elle balayée puis remplacée par une autre ?

Les gens de Tarnac se sont mis à parler, ils ont signé des tribunes, produit un discours. Puisqu’ils ont été pointés par les médias, ils répondent par les médias. Dans notre époque, les deux vecteurs d’infamie ce sont le terrorisme et la pédophilie, deux accusations médiatiques a priori indiscutables et dont les personnes visées ne peuvent pas se remettre. C’est pour cette raison, d’ailleurs, précisément, qu’il faut les discuter. Et là, un mouvement de balancier s’opère. Les journalistes qui suivent l’affaire établissent une nouvelle narration: l’histoire devient, grosso modo, la bataille «des méchants flics contre les gentils épiciers». De leur côté, des policiers de base, loin des calculs politiques du début, veulent défendre leur travail. Ils se sentent seuls. Certains sont convaincus de la légitimité de leur travail d’autres doutent – notamment de la qualification de terrorisme des actes délictueux. Et puis une interview de Bernard Squarcini dans Le Point marque un tournant, où le ministère de l’Intérieur tente d’adapter sa narration. Il évoque la notion de « pré-terrorisme », affirme que les services « ne fabriquent pas de dossiers ».

Quelles leçons en tire l’appareil sécuritaire ?

Une gorge profonde m’a décrit avec beaucoup de détails comment fut décidé de lancer des « leurres médiatiques », dès que le vent s’était mis à tourné. Pour elle, ceux qui ont provoqué l’incendie ont subi un retour de flamme. Il fallait éteindre l’incendie en tentant de justifier a posteriori cette dérive. Par exemple en organisant diverses arrestations dans les mois suivant pour entretenir le doute, taire les critiques, alimenter les journalistes amis aussi.

À ce titre, j’ai mieux compris pourquoi Bernard Squarcini m’a longuement reçu pour ce livre. Nos rendez-vous faisaient partie des consignes pour tenter de dégonfler l’affaire. Aujourd’hui, beaucoup de policiers me disent que depuis ils ne veulent plus toucher à l’extrême gauche, car ses membres auraient trop de relais dans la presse. Les flics disent, à la fois tétanisés et rigolards: «les autonomes, c’est fini, on ne peut pas les fliquer tranquille.»


Photographies à l’Hipstamatic et portrait via David Dufresne, crédits (D.R)
Couverture réalisée par Ophelia Noor pour OWNI /-)

]]>
http://owni.fr/2012/03/12/tarnac-production/feed/ 0
Amesys écoutait aussi la banque de Ben Ali http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/ http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/#comments Wed, 07 Dec 2011 07:40:38 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=89270

La semaine passée, OWNI révélait en partenariat avec Wikileaks, dans le cadre de l’opération SpyFiles, que la société française Amesys avait contribué à espionner plus d’une dizaine de “figures historiques” de l’opposition libyenne, dont l’actuel ministre libyen de la culture, ainsi que l’ambassadeur de la Libye à Londres. Leurs noms ou adresses e-mails figurent en effet sur une capture d’écran, que nous avons désanonymisée, à l’intérieur d’un document décrivant le mode d’emploi d’Eagle, un système de surveillance “massif” de l’Internet vendu par Amesys à la Libye de Kadhafi.

Bruno Samtmann, directeur commercial d’Amesys, cherche aujourd’hui à se dédouaner en expliquant, à France TV que son système a été créé pour identifier les pédophiles, laissant entendre que le nouvel ambassadeur de la Libye à Londres serait peut-être un pédophile, voire un narco-trafiquant…

En outre, d’autres captures d’écran du système Eagle révèle que ses utilisateurs ont également cherché à identifier “tous les employés” d’une banque tunisienne, qu’on y trouve ainsi des dizaines d’adresses mail et de courriels échangés par plusieurs de ses employés (essentiellement des femmes), ainsi que des reçus envoyés automatiquement par les robots de la banque, ou encore par le système SWFIT de transferts interbancaires… que l’on pourrait difficilement suspecter de pédophilie.

La page 11 du manuel est censée expliquer comment le “superutilisateur” du système assigne des tâches aux opérateurs chargés de faire le tri dans les télécommunications interceptées. Or, on peut y lire  :

merci d’identifier tous les employés de cette banque

La BIAT est la Banque internationale arabe de Tunisie, l’une des plus importantes institutions financières en Afrique du Nord, et la première banque privée tunisienne.

Les pages qui suivent, dans le manuel, sont ainsi truffées d’adresses e-mail de type prénom.nom@biat.com.tn, mais également de nombreuses adresses en @yahoo.fr, @gmail.com, @hotmail.com, @voila.fr, @wanadoo.fr ou @laposte.net… sans que l’on sache trop s’il s’agit de clients, ou bien d’employés, ni s’il s’agit de Français ou bien de francophones :

On y trouve également un e-mail de confirmation (en français) d’un virement SWIFT envoyée par la BIAT à l’un de ses clients libyens :

Contactée, la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), qui fournit des services de messagerie standardisée de transfert interbancaire à plus de 9700 organismes bancaires, établissements financiers et clients d’entreprise dans 209 pays, confirme que “l’email envoyé par la banque BIAT fait bien référence à une transaction effectuée sur le réseau SWIFT” :

Il s’agit en fait d’une communication entre la banque et son client dont l’objet est la confirmation de l’exécution d’une opération demandée par le client. Il s’agit là d’une procédure classique : la banque opère pour le compte d’un client qui n’est pas lui-même connecté à SWIFT et lui envoie ensuite confirmation de la bonne réalisation de l’opération.

Interrogée pour savoir si cela constituait une violation de la sécurité de SWIFT, le réseau interbancaire tient à préciser qu’”en aucun cas la sécurité et la confidentialité des informations qui transitent par le réseau SWIFT ne sont affectées“. A contrario, elle précise également que la banque gagnerait à sécuriser ses communications :

L’utilisation d’un canal d’échange de type mail non sécurisé pour effectuer cet échange ne dépend pas de SWIFT lui-même, mais relève du domaine de responsabilité de la banque BIAT. Toutefois, Il faut noter que celle-ci prend la précaution de n’envoyer à son client qu’une copie de l’acquittement technique de remise du message au réseau (d’où le nom du fichier en pièce jointe Ack6429108787 : Ack = Acknowledgement). Cet acquittement ne contient que des données techniques relatives à la transmission du message (horodatage, référence unique de transfert ..) mais ne contient pas le message en lui-même. Cet acquittement délivré par le réseau SWIFT donne la preuve au client de la bonne prise en compte de son opération et peut être utilisé en cas de litige avec la contrepartie.

Cet échange de mail ne remet donc pas en cause la confidentialité de l’opération réalisée par la banque sur le réseau SWIFT. Si cet échange est au-delà du domaine d’intervention et de responsabilité de SWIFT, ce dernier peut néanmoins conseiller à la banque BIAT d’utiliser un réseau sécurisé pour communiquer ce genre d’informations à ses clients.

Qui a espionné la banque de Ben Ali ?

Créée par Mansour Moalla, l’ancien ministre des finances de Bourguiba limogé par Ben Ali, la BIAT était passée sous le contrôle du groupe des frères Mabrouk (dont Marouane, marié à Cyrinne, l’une des filles de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali) qui, fort de leur trésorerie alimentée par les super et hypermarchés Monoprix, avait acquis 24% du capital, pour 47,5 millions d’euros cash, en 2006. En septembre 2007, elle ouvrait un bureau de représentation à Tripoli.

En octobre 2008, le groupe Mabrouk montait à hauteur de 30% ce qui, avec les 8% que détenait l’homme d’affaires Aziz Miled, lui aussi très proche de Ben Ali et du clan Trabelsi, leur donnait la minorité de blocage.

Les captures d’écran désanonymisées montrent que l’espionnage des mails de la BIAT a été effectué dans la foulée, d’octobre 2008 à début 2009.

Suite à la fuite de Ben Ali, en 2011, le Conseil du marché financier (CMF) tunisien a publié un communiqué de la BIAT révélant que la banque avait financé 26 sociétés et 10 groupes appartenant à des proches ou membres de la famille de Ben Ali, à concurrence de près de 350 millions de dinars, soit près de 180 millions d’euros, représentant 6,5% du total des engagements de la banque.

En réponse à notre enquête, la société Amesys a envoyé un communiqué interne à tous ses salariés, que Reflets.info s’est procuré, et qui cherche à se dédouaner :

Les copies d’écrans qui figurent dans le manuel d’utilisation ont été fournies exclusivement par le client.

Outre le caractère somme toute cocasse de cette tentative de justification (il est relativement rare qu’une entreprise demande à son client de l’aider à réaliser le mode d’emploi du produit qu’elle lui a vendu), cette explication ne tient pas pour les dizaines d’adresses e-mails des employés de la BIAT. Comment, en effet, le système Eagle de surveillance de l’Internet, installé en Libye, aurait-il pu intercepter des mails échangés entre employés d’une banque tunisienne ? Sauf à imaginer que le trafic Internet de la Tunisie transite par la Libye, on peine à comprendre comment les utilisateurs d’Eagle, à Tripoli, auraient pu espionner des Tunisiens écrivant à des Tunisiens, ce que reconnaît d’ailleurs la porte-parole d’Amesys qui, interrogée à ce sujet, reconnaît que cela aurait effectivement été “techniquement impossible“.

Amesys a certes vendu son système Eagle a plusieurs autres pays au Moyen-Orient, mais rien n’indique qu’il ait jamais été vendu à la Tunisie de Ben Ali. Et il est d’autant plus improbable que les captures d’écran aient été faites en Tunisie qu’au moment de la rédaction du manuel, entre la fin 2008 et le mois de mars 2009, Eagle venait tout juste d’être installé à Tripoli.

Des dizaines de Tunisiens, utilisant des adresses e-mails de prestataires tunisiens, français et américains, ont donc été espionnés, et le contenus de leurs e-mails, ainsi que leurs contenants (qui écrit à qui, quand, au sujet de quoi ?), ont été “analysés“, entre la fin 2008 et début 2009, au moment même où le groupe Mabrouk finalisait sa prise de contrôle de la BIAT, par un utilisateur non-identifié du logiciel d’Amesys. Reste donc à savoir par qui, et pour quoi la Libye, Amesys ou encore les services de renseignement français (Amesys se présente comme le principal fournisseur de solutions d’interception des communications des ministères de la Défense et de l’Intérieur) se seraient ainsi intéressés aux employés de la BIAT à ce moment-là.


Photo et illustration Loguy pour Owni /-) et Abode of Chaos [cc-by] via Flickr

]]>
http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/feed/ 8
Comment j’ai failli acheter l’avion d’Aziz Miled http://owni.fr/2011/05/27/avion-aziz-miled-mam-ollier-tunisie-oups/ http://owni.fr/2011/05/27/avion-aziz-miled-mam-ollier-tunisie-oups/#comments Fri, 27 May 2011 14:09:52 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=64942

A vendre : jet privé de marque Bombardier, modèle Challenger 604, 1819 heures de vol, bon état général.

L’offre est alléchante, elle a été récemment mise en ligne sur le site de la société Jetcraft, un broker américain basé à Raleigh, en Caroline du Nord et spécialisé dans l’aéronautique. OWNI s’est mis sur les rangs, car le vendeur est un VIP très introduit dans les milieux d’affaires franco-tunisiens.

Le propriétaire de cet avion d’affaires est un certain… Aziz Miled, homme d’affaires tunisien bien connu de Michèle Alliot-Marie et de son compagnon, Patrick Ollier. Pendant les vacances de Noël 2010, alors que Mohamed Bouazizi s’était déjà immolé par le feu à Sidi Bouzid, l’ancienne ministre des Affaires étrangères et le ministre chargé des relations avec le Parlement avaient directement profité de la générosité de leur ami en empruntant cet appareil à des fins personnelles. L’affaire, révélée par Le Canard Enchaîné, n’avait été que l’amorce du scandale débouchant sur la “non-reconduction” de MAM lors du remaniement de fin février.

Jusqu’à présent, l’avion appartenait à Karthago Airlines, une compagnie contrôlée par Belhassen Trabelsi, gendre de l’ex-président Ben Ali, et portait l’immatriculation TS-IBT. C’est grâce à JetPhotos.net, un site de férus d’aviation longeant les tarmacs, qu’on arrive à trouver le lien entre le numéro de série – 5628 – et cette identification, qui change selon le propriétaire de l’appareil.

“Le reste ne nous regarde pas”

Des négociations ont été entamées depuis lundi 23 mai pour la vente, et selon un cabinet d’avocats suisse proche du dossier, un acheteur potentiel se serait déjà manifesté: il s’agirait d’une société autrichienne. En tout, elle devra débourser 15,3 millions de dollars (un peu moins de 11 millions d’euros) pour emporter la mise.

Si la vente était effective, le nouvel acquéreur pourrait se heurter à quelques difficultés. Après avoir vu ses avoirs gelés au début du mois de février par les nouvelles autorités tunisiennes, Aziz Miled a été retiré de la liste quelques jours plus tard, quand l’Union européenne a décidé de la circonscrire au seul clan Ben Ali/Trabelsi. Pourtant, deux ONG anticorruption, Sherpa et Transparence International, s’intéressent de près à ses biens.

Joint au téléphone par OWNI, Jahid Fazal-Karim, cogérant de Jetcraft basé à Genève, se montre peu loquace:

Nous ne sommes qu’une petite entreprise spécialisée dans la revente d’avions d’affaires. Nous ne pratiquons aucune discrimination vis-à-vis de nos clients et je ne peux faire aucun commentaire sur l’identité du propriétaire. Nous faisons notre business, le reste ne nous regarde pas.

En creux, cet ancien d’Airbus confirme “l’identité” du jet, mais refuse obstinément d’éclaircir la situation de l’individu qui l’a sollicité pour réaliser la vente.

Sur les photos du site du broker, un petit drapeau tunisien orne encore la dérive de la carlingue, qui arbore les lignes bleues et vertes déjà visibles sur les photos au moment de “l’affaire”.

Sur la fiche produit, directement disponible sur le site de Jetcraft, on peut apprécier la décoration intérieure de la cabine, toute en cuir beige et ronce de noyer. Comble du chic, les sièges du cockpit sont recouverts d’une épaisse fourrure, pour mieux supporter le court trajet entre Tunis et Genève, son lieu de stationnement.

En tout, ce Challenger peut accueillir jusqu’à 12 personnes, en leur offrant le couvert (il dispose d’un four à micro-ondes) et le café (une machine à expresso). Pour s’assurer du tarif, nous avons envoyé un email au revendeur, qui nous a rapidement répondu. On y apprend que:

Le propriétaire est motivé et étudiera toute offre raisonnable.

Pressé de vendre, Aziz Miled?


Crédits photo: Jetcraft, Flickr CC UggBoy♥UggGirl

]]>
http://owni.fr/2011/05/27/avion-aziz-miled-mam-ollier-tunisie-oups/feed/ 25
Tunisair détournée de ses vols http://owni.fr/2011/05/18/tunisair-detournes-de-ses-vols/ http://owni.fr/2011/05/18/tunisair-detournes-de-ses-vols/#comments Wed, 18 May 2011 16:58:26 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=63359 À Tunis, les comptes de la compagnie Tunisair occupent une bonne part des travaux menés par les 25 avocats tunisiens du Comité national de lutte contre la corruption ; qui se sont réunis lundi dernier, 16 mai. En marge de la conférence de presse qu’ils ont tenue à l’hôtel Golden Tulip de Tunis, plusieurs juristes proches du comité citaient en coulisses les multiples témoignages recueillis ces dernières semaines au sujet des opérations douteuses réalisées au préjudice de Tunisair. Certains de ces témoignages visent de grandes sociétés européennes, cocontractants habituels de Tunisair, comme OWNI a pu le constater sur place.

Dans un premier temps, les membres du comité préparent des dépôts de plainte contre les sociétés et les personnalités domiciliées en Tunisie. Ainsi, selon eux, plusieurs éléments montrent que la société privée Karthago Airlines aurait adopté une stratégie de prédation ; utilisant progressivement les actifs de la compagnie nationale pour développer ses propres affaires. Déjà soupçonnée d’avoir servi de vecteur pour l’enrichissement personnel des Ben Ali, Karthago Airlines est contrôlée par Belhassen Trabelsi, Aziz Miled, et par la compagnie Nouvelair ; comme le montre ce procès-verbal de trois pages (en arabe et en français) signé par les actionnaires.

-

Les responsables de Karthago Airlines sont soupçonnés d’avoir profité de contrats de location des appareils de Tunisair à des prix très inférieurs à ceux du marché. Peut-être pour assurer des rotations avec l’Europe, en concurrence des propres lignes de Tunisair. Et les avocats du Comité national de lutte contre la corruption suspectent la société mère, Nouvelair, actionnaire de Karthago, d’avoir fait croître ses activités en détournant elle aussi les moyens de Tunisair.

La présence éventuelle de Nouvelair dans ces dossiers leur donnerait une portée internationale. Deuxième compagnie aérienne tunisienne, Nouvelair revendique plus d’un tiers de parts de marché depuis l’intégration des activités de Karthago, réalisé à partir d’août 2006 sur les conseils de la Compagnie Edmond de Rothschild (comme le raconte la page facebook de Karthago). D’autant que Nouvelair appartient pour sa part à une holding familiale, Tunisian Travel Service (TTS), elle-même sous la tutelle d’Aziz Miled et de ses enfants.

-

Aziz Miled, proche de plusieurs industriels européens de l’énergie, de l’aéronautique et de la défense, demeure aux yeux de l’opinion française l’homme par qui le scandale est arrivé. Le 27 février dernier, Michèle Alliot-Marie avait été conduite à démissionner de son poste de ministre des Affaires Étrangères après les révélations du Canard Enchaîné au sujet des droits de construction sur des terrains, cédés aux parents de MAM par l’homme d’affaires tunisien. Qui fréquente depuis longtemps le gratin des décideurs français. Le 1er décembre 2009 par exemple, le patron de Tunisian Travel Service était reçu au siège de GDF Suez pour une réunion de travail…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

-
Les coordinateurs du comité des avocats annoncent que plusieurs plaintes devraient être déposées dans le cadre de ces diverses affaires en relation avec Tunisair, avant le mois de septembre. Contactés par OWNI, les dirigeants de Karthago Airlines et de Tunisian Travel Service n’ont pas répondu à nos sollicitations.

Photo  CC F. Pietro.

]]>
http://owni.fr/2011/05/18/tunisair-detournes-de-ses-vols/feed/ 4
Diplomatie française: sourds, aveugles et muets? http://owni.fr/2011/02/27/diplomatie-francaise-sourds-aveugles-et-muets/ http://owni.fr/2011/02/27/diplomatie-francaise-sourds-aveugles-et-muets/#comments Sun, 27 Feb 2011 18:20:57 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=48846 Trois tribunes en une semaine. Trois textes d’une singulière et rare violence, dans un milieu habitué à plus de réserve et de doigté. Trois libelles rédigés et signés par de hauts fonctionnaires dont le travail quotidien est de nous représenter. Dans l’ordre, si vous les avez raté :

1. Mardi, dans Le Monde, un mystérieux groupe Marly attaque la « voix de la France » désormais « disparue », exécution en règle de la politique sarkozyenne:

A l’encontre des annonces claironnées depuis trois ans, l’Europe est impuissante, l’Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! Dans le même temps, nos avions Rafale et notre industrie nucléaire, loin des triomphes annoncés, restent sur l’étagère. Plus grave, la voix de la France a disparu dans le monde. Notre suivisme à l’égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires.

2.  Jeudi, dans le Figaro, réplique d’un non moins mystérieux groupe Rostand qui fustige une « petite camarilla de frustrés » et défend les acquis de la « politique d’action » menée par le président:

Le traité de Lisbonne, la présidence française de l’Union européenne, les accords de défense avec l’Angleterre, la Géorgie sauvée de l’invasion et préservée dans son indépendance, les partenariats stratégiques avec l’Inde et le Brésil, les fondations d’un vaste espace commun avec la Russie, en Afrique la réconciliation avec le Rwanda, la refonte de nos accords de défense et le soutien déterminé à la démocratie ivoirienne, la fermeté lucide face à l’Iran, les initiatives à l’ONU sur le contrôle des armes ou les droits des homosexuels, pour ne citer que ceux-là.

3. Enfin, dimanche, dans Libération, l’énigmatique groupe Albert Camus livre une dernière salve, quelques heures avant l’annonce officielle du départ de Michèle Alliot-Marie du Quai d’Orsay, en tirant les leçons du naufrage arabe de la diplomatie française:

Nous constatons une nouvelle fois que notre pays, malgré ses références mécaniques aux droits de l’homme, éprouve les plus grandes difficultés à intégrer dans sa politique étrangère la défense de la démocratie, le soutien aux dissidents et à la transformation des régimes. Il semble paralysé par la peur du changement, obsédé par la volonté de maintenir le statu quo, la stabilité.

Sous-titrage : les premiers, proches du Parti socialiste, tirent à boulets rouges sur Nicolas Sarkozy. Les seconds, reprenant des éléments de langage entendus à l’Elysée, le défendent. Les derniers, se faisant l’écho des arguments d’un Dominique de Villepin, tentent une audacieuse passe-sautée pour préparer l’avenir. Avec la droite ou avec la gauche.

La diplomatie a perdu 20% de ses moyens en 25 ans

Au-delà des divergences de points de vue, ces trois interventions publiques ont ceci de particulier qu’elles dessinent précisément les forces et faiblesses de notre système actuel :

  • Hypercentralisation de la décision politique à l’Elysée au détriment de l’action de la diplomatie (ministre + administration)
  • Primauté à l’action de court terme sur les engagements à long terme
  • Absence de vision stratégique au profit d’alliances tactiques de circonstances
  • Pas de vraies différences droite/gauche sur les options à suivre en matière de politique étrangère (cf. crise tunisienne et suivantes)

Il est d’ailleurs révélateur que la dernière tribune marquante sur le sujet ait été co-signée, l’été dernier dans Le Monde (6 juillet 2010), par Hubert Védrine (ministre PS des Affaires étrangères 1997-2002) et… Alain Juppé (ministre RPR des Affaires étrangères 1993-1995). Que disaient-ils, ensemble ? Que la diplomatie française s’appauvrit. En 25 ans, elle a perdu « 20% de ses moyens financiers ainsi qu’en personnels » :

Les économies ainsi réalisées sont marginales. En revanche, l’effet est dévastateur : l’instrument est sur le point d’être cassé, cela se voit dans le monde entier. Tous nos partenaires s’en rendent compte.

Ils avaient raison : l’effet est dévastateur. Nous sommes en train de le mesurer chaque jour un peu plus dans la litanie des révolutions de l’hiver. Incapables de comprendre le monde actuel, les politiques n’ont même plus la possibilité de se reposer sur une administration performante, innovante et anticipatrice.

Pourquoi ? La RGPP (révision générale des politiques publiques), qui taille chaque année dans les budgets et réduit le nombre de postes, fait figure de grande accusée. Puis viennent les hommes et leurs défauts. Faire de Boris Boillon (actuel ambassadeur à Tunis) la prométhéenne icône de la nouvelle politique arabe de la France était aussi risquée que futile. Il n’est ni plus mauvais, ni meilleur qu’un autre. Juste un peu plus jeune (41 ans) et maladroit que ses collègues rompus à toutes les manœuvres de couloir. Un coup de poker dans une partie d’échecs.

Recul du soft power, défiance des élites du Sud

Alors l’espoir viendrait d’un Alain Juppé ou d’un Hubert Védrine, eux qui n’ont rien anticipé des mouvements actuels? Probablement pas. A moins que leur longue traversée du désert respective (canadien pour Juppé, dans un grand cabinet d’avocats d’affaires pour Védrine) n’ait eu pour effet de changer radicalement leur perception du monde et, du coup, de modifier leur grille d’analyse. Rien de tel dans leurs discours publics en tout cas.

Pourtant, le constat est clair :

  • La France manque d’idées originales, sa position recule chaque année sur le terrain du « soft power »
  • Les engagements de son armée (Afghanistan, Côte d’Ivoire) sont illisibles pour l’opinion et incompréhensibles pour les militaires
  • Les élites intellectuelles du monde entier, en particulier celles du Sud, s’en détournent lentement mais sûrement
  • Enfin, elle continue d’afficher des principes universels (droits de l’homme, égalité sociale…) en totale contradiction avec ses pratiques politiques (ventes d’armes, soutiens aux pires dictateurs)

Ce grand écart est en train d’exploser sous nos yeux. De Tunis jusqu’à Tripoli, chaque crise nous renvoie à nos paradoxes. Et nous restons muets, sourds et aveugles.

__

Crédits photo: Flickr CC Propaganda Times, Alain Bachellier, uhrmacher-nr.1

]]>
http://owni.fr/2011/02/27/diplomatie-francaise-sourds-aveugles-et-muets/feed/ 5
Patrick Ollier, le coureur de fonds libyens http://owni.fr/2011/02/23/patrick-ollier-libye-kadhafi-alliot-marie/ http://owni.fr/2011/02/23/patrick-ollier-libye-kadhafi-alliot-marie/#comments Wed, 23 Feb 2011 17:53:48 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=48129

Les Anglo-saxons savent mettre leur diplomatie au service de leurs entreprises. Nos fonctionnaires en sont loin.

Patrick Ollier – l’auteur de cette phrase – pourrait faire figure de transfuge dans la diplomatie rêvée par Nicolas Sarkozy, celle qui refuse les corps repliés sur eux-mêmes. Président de la commission des affaires économiques depuis 2002, le compagnon de Michèle Alliot-Marie est l’infatigable “Monsieur Libye” du gouvernement français. En une décennie, celui que Mouammar Kadhafi appelle “[son] frère” a joué les missi dominici entre Paris et Tripoli, visitant en privé le Guide de la révolution pour appuyer les entreprises françaises.

Mis en cause dans le sombre épisode tunisien impliquant MAM, POM (le petit surnom dont une partie de la presse l’a affublé) se fait discret depuis que la Libye s’est embrasée. Il y a quelques jours, Libération est revenu sur les carnets du général Rondot, le conseiller au renseignement et aux opérations spéciales (CROS) du ministère de la Défense impliqué dans l’affaire Clearstream. Dès 2004, le maître espion évoque la “compromission de POL [son autre diminutif, ndlr] et y adosse quelques démocraties régionales: “Irak, Libye, Syrie”. En creux, certaines sources suggèrent qu’un ancien de la DGSE, reconverti dans la sécurité de Thales, “serait à l’origine d’une campagne anti POL-MAM”.

L’ami encombrant

Aujourd’hui, sa relation quasi-intime avec le régime du “Guide” semble en gêner certains, jusque dans les rangs de l’UMP, y compris les plus proches. Nommé ministre des relations avec le Parlement en novembre 2010, il a dû abandonner son fauteuil de président du groupe d’étude à vocation internationale (GEVI) sur la Libye, un groupe d’amitié à l’intitulé moins enthousiaste, créé à son initiative. Vacant depuis plus de trois mois, le poste n’attirerait pas beaucoup de volontaires, et l’UMP ne se presse pas pour désigner un successeur potentiel. De nombreux membres présidant déjà d’autres groupes du même type (Jean Roatta pour le Maroc, Olivier Dassault pour les Émirats arabes unis), la liste des candidats se réduit, et l’exhumation des déclarations fracassantes de POM pourrait prolonger le statu quo.

Le 12 décembre 2007, deux jours après que le colonel Kadhafi a planté sa tente dans les jardins de l’Hôtel de Marigny, Patrick Ollier, qui était sous le grand chapiteau, vient plaider la cause de son ami sur Europe 1. En quinze minutes d’entretien, alors que même Jean-Pierre Elkabbach commence à montrer les dents, il évoque le dossier des infirmières bulgares, dont la libération est intervenue en juillet de la même année.

Il y a “beaucoup travaillé”, mais nie en bloc toute compensation en nature, et notamment en armes, et plus précisément en missiles Milan. A ses yeux, il n’y a “pas de prime, seulement une normalisation”. En tout, il concède s’être rendu une dizaine de fois sous la tente de Syrte entre 2003 et 2007, mais reste évasif sur son rôle. “Je ne suis pas qualifié pour parler des contrats”, soutient-il, en regrettant que la France ait été “trop timide vis-à-vis de la Libye”. “Les mentalités changent, les dictateurs sautent, la démocratie revient”, énonce-t-il en guise de conclusion, sans réaliser la prémonition.

Pour parcourir la Jamahiriya, Patrick Ollier peut déjà compter sur un avion d’Aziz Miled (l’homme d’affaires voyagiste). En 2002, comme le confirme à OWNI une source proche des milieux économiques locaux, l’homme d’affaires tunisien a mis un appareil  à disposition de Libyan Airlines, pour relier Tripoli, Benghazi et Syrte, équipage francophone compris (MàJ du 24 février: selon Mediapart, Miled se serait récemment essayé au transport de mercenaires vers la Libye). Le 6 mars 2003, Ollier s’entretient personnellement avec Kadhafi sur la coopération euro-méditerranéenne. Les 24 et 25 novembre 2004, lors de la visite officielle de Jacques Chirac en Libye, il joue les éclaireurs pour les entreprises d’armement qui veulent profiter de la levée de l’embargo. “Il est très actif sur ces dossiers”, confesse l’ancien cadre d’un poids lourd du secteur.

Quand Alliot-Marie était à la Défense [entre 2002 et 2007, ndlr], elle s’appuyait énormément sur lui pour préparer le terrain. Il fournissait des recommandations et prenait beaucoup de notes.

Nucléaire civil et contrats d’armement

Dans ces conditions, c’est “l’Africain” qu’apprécie tant Kadhafi qui élabore le voyage de MAM les 4 et 5 février 2005. La raison? Les militaires libyens passent en revue leurs équipements militaires, envisagent de nouveaux achats, et la France ne veut pas louper le coche, alors même que le Secrétaire d’État adjoint américain William Burns a pris un coup d’avance en mars 2004. Sur place, la ministre de la Défense est accompagnée de feu André Laronde, archéologue et fondateur de l’association France-Libye… dont Patrick Ollier est le vice-président.

En janvier 2006, il s’invite encore dans la petite délégation française emmenée par Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères de l’époque. De tous les entretiens, y compris ceux tenus en comité réduit, il consigne le moindre élément. Trois mois plus tard, il annonce lui-même un protocole d’accord franco-libyen dans le domaine du nucléaire civil. (le régime ayant renoncé à son programme de production d’armes de destruction massive, les autorités françaises l’auraient subitement trouvé fréquentable) “Tripoli veut retrouver sa place dans le concert des nations”, fait-il alors savoir, dans un vocable qui n’est pas sans rappeler celui d’Edmond Jouve, éminent spécialiste de la vie politique libyenne et directeur de thèse d’Aïcha, la fille de Mouammar Kadhafi. Soucieux de ne pas se mettre en danger tout seul, Ollier insiste sur un accord “négocié d’État à État”, mais ne nie pas les dividendes que pourraient en tirer Areva à court terme. Il portera le projet jusqu’à sa signature, en 2008.

La Commission interministérielle française d’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) étudie un dossier pour la vente d’hélicoptères Tigre en juillet 2006? Patrick Ollier est encore de la partie. “MAM a personnellement porté l’affaire, mais elle avait déjà été longuement briefée par son compagnon”, confie une source proche du dossier.

Le 23 octobre 2010, à quelques jours de son entrée au gouvernement, l’endurant “go-between” était encore à Tripoli pour signer une déclaration d’intention relative à un partenariat stratégique dans les domaines du nucléaire, de la formation et de la santé. POM est aujourd’hui un homme fragilisé. Ce mercredi 23 février, quelques heures après le discours erratique et halluciné de son ami colonel, le coureur de steeple a ralenti la cadence: il s’est discrètement éclipsé du Conseil des ministres.

* Contacté par OWNI.fr, le cabinet de Patrick Ollier n’a pas souhaité donner suite à notre requête. “On ne va pas faire comme au ministère des Affaires étrangères”, m’a-t-on expliqué.

Image de Une par Marion Boucharlat @Owni /-)

Retrouvez les autres articles de notre dossier sur la Libye :

Un fidèle de Kadhafi a-t-il aider Sarkozy à initier la révolte libyenne ? par Sylvain Lapoix

L’ex-patron de la DST en Libye par Guillaume Dasquié

Crédits photo: Flickr CC elitatt, Abode of Chaos

]]>
http://owni.fr/2011/02/23/patrick-ollier-libye-kadhafi-alliot-marie/feed/ 17
Indécences franco-tunisiennes http://owni.fr/2011/01/28/indecences-franco-tunisiennes/ http://owni.fr/2011/01/28/indecences-franco-tunisiennes/#comments Fri, 28 Jan 2011 11:18:50 +0000 Jean-Francois Bayart http://owni.fr/?p=44227 Trois ans après avoir intitulé une chronique «Obscénité franco-tchadienne», je me vois obligé d’en titrer une autre «Indécences franco-tunisiennes», tant le bilan de l’hyper-président se situe décidément aux antipodes des promesses de l’hyper-candidat en faveur de la démocratie urbi et orbi et relève de la pornographie diplomatique. Certes, Nicolas Sarkozy n’a été que le dernier en date des chefs d’État français à prodiguer un soutien inconditionnel au régime de Ben Ali. Il ne fut pas le seul à avoir la berlue quand il voyait «progresser l’espace des libertés» en Tunisie, et son prédécesseur, Jacques Chirac, avait tenu des propos tout aussi scandaleux.

Quant à François Mitterrand, il n’avait pas montré plus de réticence à l’encontre de la restauration autoritaire dans laquelle n’avait pas tardé à s’engager l’homme du «Changement», deux ans après sa prise du pouvoir, le 7 novembre 1987, qu’à l’égard des processus similaires qui avaient prévalu en Afrique subsaharienne dans le sillage du grand mouvement de revendication démocratique de 1989-1990 ou qu’à celui de l’écrasement du Front islamique du salut par l’armée, en Algérie, en 1992.

Porte de France à Tunis

Incompétences et Hénormités !

Pourtant, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a pulvérisé les records de l’insanité et de la cécité politiques. A tout seigneur tout honneur, la palme de l’incompétence et de l’Hénormité revient sans doute à Michèle Alliot-Marie qui, ministre des Affaires étrangères, et à deux reprises, n’a su que proposer le «savoir-faire» français en matière de maintien de l’ordre, alors que les morts se comptaient déjà par dizaines. Drôle de conception de la diplomatie, singulière idée de la démocratie!

Le propos était d’autant plus surréaliste que «MAM», ancienne ministre de la Défense, puis de l’Intérieur, est mieux placée que quiconque pour savoir que la Place Beauvau a développé une coopération policière de grande ampleur avec la Tunisie de Ben Ali, depuis vingt-trois ans, avec les résultats que l’on voit. La France a vendu à celui-ci des moyens techniques surdimensionnés qui lui permettaient d’écouter deux fois l’ensemble de ses sujets. Elle lui a envoyé des officiers de liaison et des agents du SCTIP qui ont pu observer de près la manière dont le régime surveillait, emprisonnait, battait, torturait et condamnait à la mort sociale les opposants (et leur famille).

«bien connaître la situation»

Aussi faut-il prendre au mot la déclaration pontifiante du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, le 11 janvier, rappelant qu’«avant de juger un gouvernement étranger» il fallait «bien connaître la situation». La «situation», les autorités françaises la «connaissaient» fort bien, de l’intérieur, pour en être parties prenantes (et trébuchantes puisque cette coopération policière charriait son lot de contrats). Il leur était aussi loisible de lire les travaux de science politique que les chercheurs d’un CNRS dont elles sont promptes à railler l’improductivité avaient publiés: par exemple Le Syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali de Michel Camau et Vincent Geisser (Presses de Sciences Po, 2003), ou La Force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie de Béatrice Hibou (La Découverte, 2006).

Même la désespérance sociale de la jeunesse, à l’origine du soulèvement, était parfaitement documentée grâce aux remarquables analyses de Samy Elbaz . Et la fragilité de la réussite économique de la Tunisie avait bel et bien été annoncée dès la fin des années 1990 . Il n’y avait pas un pan du régime de Ben Ali qui restait ignoré.

L’illusion de la “stabilité”

Simplement, la plupart des politiques, des hauts fonctionnaires, des journalistes et des intellectuels français ont préféré prendre pour argent comptant son discours de légitimation et se persuader qu’il était un rempart nécessaire contre l’islamisme, l’ultime défenseur des droits de la femme, un «miracle», un havre de «stabilité» et d’«ouverture» à l’Occident. Nonobstant les évidences. La répression du parti islamique le plus modéré du monde arabe, Ennahda (Renaissance), a fait de la Tunisie l’une des principales pourvoyeuses de djihadistes convertis à la cause de Ben Laden et n’a pas empêché l’attentat contre la synagogue de Djerba en 2002, que le régime avait pitoyablement essayé de travestir en banal accident, à la grande fureur de l’Allemagne dont plusieurs ressortissants avaient péri dans l’explosion.

Le statut juridique des femmes est peut-être meilleur en Tunisie qu’au Maroc ou en Algérie, mais ces dernières n’y ont toujours pas les mêmes droits de succession que les hommes: la rente bourguibienne en la matière est depuis longtemps épuisée. Le «miracle économique» était pour l’essentiel un trompe l’œil, et l’aisance des classes moyennes reposait sur un surendettement toxique.

Enfin, l’effondrement subit de Ben Ali et les violences auxquelles il donne lieu nous rappellent de quoi était faite cette «stabilité» et confirme que les eaux dormantes sont les plus dangereuses. A laisser trop longtemps fermée la cocotte minute, elle explose, et le spectre de la guerre civile guette maintenant le mythique «pays du jasmin». La triste vérité est que les élites françaises, toutes professions confondues, se sont lourdement compromises et ont entraîné l’Union européenne dans leur illusion, voire leur veulerie (je mettrai à part Frédéric Mitterrand qui jusqu’au bout a soutenu Ben Ali, mais qui a des circonstances atténuantes s’il est vrai qu’il est citoyen tunisien: il était à la merci de la police du régime!)

Le comique volte-face français

L’exercice d’auto-justification et de rétro-clairvoyance auquel se livrent les uns et les autres depuis quelques jours n’en est que plus comique, la médaille d’or devant cette fois-ci être attribuée à l’amiral Jacques Lanxade, ambassadeur de France à Tunis de 1995 à 1999, dont la langue de bois était d’ébène lorsqu’il était en fonction, et qui assure aujourd’hui sans rire que «cette révolution était inéluctable», que «la dérive autoritaire de ce régime le condamnait» et qu’il en avait averti Paris «dès 1999». Les connaisseurs apprécieront à leur juste valeur ce plaidoyer pro domo –et rendront hommage à Yves Aubin de la Messuzière, en poste de 2002 à 2005, qui, de pair avec son équipe, en particulier son premier conseiller, Jean-Pierre Filiu, et son conseiller culturel, Jean Hannoyer, mit en œuvre une diplomatie aussi professionnelle que lucide et courageuse, étant enfin l’ambassadeur de France près la Tunisie, et non l’inverse.

Désormais, Nicolas Sarkozy entend se tenir aux côtés du peuple tunisien dans sa marche vers la démocratie. Mieux vaut tard que jamais. Sauf que le soutien de la France aux démocrates équivaut au baiser de la mort, si l’on en juge par la séquence tchadienne de 2007-2008 Pour une critique (de l’intérieur) de l’opposition « démocrate », voir Sadri Khiari, Tunisie : le délitement de la cité. Coercition, consentement, résistance, Paris, Karthala, 2003.. Sauf aussi que les erreurs d’hier ne prédisposent pas à la sagacité du lendemain.

Une révolution de palais

Jusqu’à preuve du contraire, il est moins question, à Tunis, de «transition démocratique» ou de «révolution politique», comme on l’entend dire, que de reproduction ou de restauration autoritaire. Bien sûr, c’est un vaste et remarquable mouvement social qui a ébranlé le régime, et l’on ne saluera jamais suffisamment le courage dont ont fait preuve les manifestants. Ces derniers, au demeurant, reprenaient le flambeau des protestataires des années précédentes qui avaient déjà exprimé leur colère, notamment à Gafsa, en 2008 et 2009, et à Benguerdane, en 2010, au péril de leur liberté, voire de leur vie.

Néanmoins, Ben Ali a été chassé vendredi par une révolution de palais plutôt que par la foule: soit par les hiérarques du parti unique, qui se sont débarrassés de leur fondé de pouvoir avant que celui-ci ne les entraîne dans sa chute ; soit par l’armée, dont l’un des chefs d’état-major, Rachid Ammar, venait d’être renvoyé, qui désapprouvait le bain de sang et qui n’était sans doute pas fâchée de prendre sa revanche sur la police. La Tunis de janvier 2011 fait plus penser à la Bucarest de décembre 1989 qu’à une situation réellement révolutionnaire. La chute a été trop rapide pour être honnête.

Juste un nouveau “Changement” ?

Le risque est donc grand de voir le régime se refermer comme une huître à la première occasion venue, comme il l’avait déjà fait après le «Changement» du 7 novembre 1987, ou à l’instar de la République algérienne après les émeutes d’octobre 1988 et l’intermède démocratique auquel avait mis fin l’armée à la suite de la victoire électorale du Front islamique du salut.

Quatre considérations le font redouter.

En premier lieu, le parti islamique Ennahda est sans doute la seule force politique organisée, disposant d’une véritable base sociale, en dépit de la terrible répression qu’il a subie et de l’exil de ses principaux leaders. S’il menace d’arriver au pouvoir, l’opinion tunisienne peut être tentée de se réfugier à nouveau derrière une dictature protectrice qui sans nul doute bénéficiera du soutien de l’Occident.

En deuxième lieu, ceux que l’on nomme les « démocrates », quelle que soit la détermination de certains d’entre eux, n’ont précisément pas hésité à cautionner l’écrasement policier de la mouvance islamique entre 1989 et 1994, leur libéralisme s’arrêtant là où commençait le militantisme d’Ennahda. Leur capacité à démocratiser le pays est sujette à caution et supposerait de toute manière qu’ils surmontent leurs divisions picrocholines .

En troisième lieu, le régime Ben Ali ne reposait pas seulement sur la coercition, mais aussi –comme l’a démontré Béatrice Hibou– sur de multiples transactions, en particulier économiques, qui forgeaient un consensus, en même temps qu’elles garantissaient le contrôle politique et social de la population. Le crédit bancaire a été un rouage central de cette économie politique et morale du «pacte de sécurité» que l’État avait octroyé à la société –une économie politique dont rien ne dit que le renversement de la «Famille» suffira à la mettre à bas. La dénonciation de la «corruption» d’une «mafia» prédatrice ne peut tenir lieu d’analyse et participe d’un certain infantilisme.

Enfin, le régime Ben Ali s’inscrit dans une longue tradition de réformisme étatique et autoritaire que le beylicat, province ottomane, avait héritée des Tanzimat, qu’il a consacrée avec le Pacte fondamental de 1857 –dit justement, en arabe, «Pacte de sécurité» (Ahd al-amar)– sous-jacent à la Constitution de 1861, que le Protectorat français a recomposée au service de ses intérêts impériaux, et dont le Néo-Destour a été l’apothéose nationaliste. Ben Ali n’a fait que prolonger cette tradition en la mettant au goût du jour, celui d’un néo-libéralisme de façade et d’un Partenariat euroméditerranéen de complaisance.

La crise politique actuelle intervient à la confluence de ces différents facteurs. Les tenants d’un pouvoir autoritaire –que l’on aimerait pouvoir qualifier de « sortant », mais il serait prématuré de ne voir dans les milices du RCD que de simples «nostalgiques» tant peut-être l’avenir leur appartient encore– cherchent précisément à faire regretter aux Tunisiens ce fameux «pacte de sécurité» en enclenchant une stratégie de la tension pour redonner au «consensus» sa légitimité. Le pari n’est pas aussi insensé qu’il y paraît. En effet, l’opposition «démocrate», voire islamiste, n’est pas étrangère à cette mythologie politique.

La «tunisianité» dont chacun se gargarise, de part et d’autre de la mer Méditerranée, n’est que l’expression idéologique de cette culture politique du pacte réformiste autoritaire . Dans un très bel essai, Hélé Béji avait décrypté dès 1982 le «désenchantement national» et expliqué comment «l’instance qui m’a libérée est bien celle qui me domine aujourd’hui», en un «dédale monstrueux» . Force est de reconnaître que la Tunisie reste un havre du nationalisme arabe, nonobstant sa légendaire «ouverture». L’ennemi qu’elle devra vaincre pour se démocratiser, avant même l’«amitié» intéressée et bornée de la France et de l’Union européenne, est son propre orgueil identitaire. Un orgueil que flatte son aura, trop vite décernée, d’avoir couvé la première révolution dans le monde arabe.

>> Article initialement publié sur le blog Mediapart de Jean-François Bayart

>> Photo FlickR CC : Ashley R. Good, damiandude

]]>
http://owni.fr/2011/01/28/indecences-franco-tunisiennes/feed/ 3