OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La police contre les écoutes http://owni.fr/2012/12/06/la-police-contre-les-ecoutes/ http://owni.fr/2012/12/06/la-police-contre-les-ecoutes/#comments Thu, 06 Dec 2012 16:07:41 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=127023

“C’est du délire, du délire !” Après les magistrats, les policiers haussent à nouveau le ton contre le futur système d’écoutes judiciaires. Dans leur ligne de mire : la main mise d’une entreprise privée, le géant Thales, sur des données extrêmement sensibles centralisées en un lieu.

La plateforme nationale des interceptions judiciaires (Pnij de son petit nom) devrait entrer en phase de test au premier semestre 2013, après plus de six ans dans des cartons scellés confidentiel-défense. Il est piloté par la délégation aux interceptions judiciaires, une structure du ministère de la Justice.

A l’Intérieur, tout le monde ne voit pas d’un bon œil une telle intrusion de la place Vendôme dans les enquêtes, comme l’a raconté Le Canard Enchaîné. Le géant français Thales a remporté l’appel d’offre en 2010, ce que les actuels prestataires ont contesté devant le tribunal administratif. Sans succès.

Dans le secret des écoutes

Dans le secret des écoutes

Une plateforme pour centraliser les écoutes, scruter le trafic Internet... Ce projet entouré de secret verra bientôt le ...

Des “réserves”

Dans quelques mois, le lien entre les officiers de police judiciaire et les opérateurs sera automatisé au sein de la PNIJ [Voir notre infographie]. Une réforme qui rassure fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs de téléphonie, sujets à de fausses demandes de réquisitions. Mais la PNIJ stockera aussi le contenu des réquisitions. Impensables de confier des données aussi sensibles à une entreprise privée estiment de concert policiers et responsables nationaux de la cybersécurité.

Dans un courrier au secrétaire général du ministère de la justice daté de décembre 2011 qu’Owni a consulté, le directeur général de la police national d’alors, Frédéric Péchenard, se faisait l’écho de ces critiques. M. Péchenard écrit :

L’ANSSI [L’agence nationale en charge de la cybersécurite, NDLR] a émis des réserves sur l’infogérance et l’hébergement de la PNIJ par la société Thales.

Cette “fragilité” est aussi soulignée par “les services utilisateurs”, les policiers donc. Ils “s’interrogent sur la confidentialité du site d’Elancourt proposé par Thales et sur les mesures de sécurité qui seront prises, sachant que la PNIJ est une cible potentielle, du fait même de la concentration de données sensibles” indique Frédéric Péchenard dans son courrier.

Thales, gardien des clefs du temple

Au même moment, à l’automne 2011, un autre service s’est également “étonné” qu’un tel trésor atterrisse entre les mains d’une entreprise privée. La raison est un peu différente. Ce service parisien traitant de la délinquance financière craint que le gardien des clefs du temple, Thales, puisse avoir accès au contenu, les réquisitions et interceptions, ces “données sensibles” qu’évoquait pudiquement Frédéric Péchenard dans son courrier.

En creux, les craintes concernent l’étendue du pouvoir des administrateurs du système, des salariés de Thales qui auront accès à l’ensemble du système. Le projet prévoit pourtant que toutes les données soient chiffrées. En septembre, la délégation aux interceptions judiciaires évoquait devant Owni “un bunker sécurisé en béton armé”, certifié par les superflics de la DCRI (le FBI à la française). Insuffisant pour ses détracteurs : celui qui a créé le chiffrement pourrait le déchiffrer.

Le ministère de la Justice a-t-il pris en compte ces “réserves” ? Aujourd’hui, la délégation aux interceptions judiciaires “ne souhaitent pas répondre à nos question” arguant que “la relation de confiance” a été rompue avec la publication d’un document confidentiel-défense. Même son de cloche à l’ANSSI :

– Pas de commentaire.
- Pour quelle raison ?
- Pas de commentaire.

Nouvelle salve

Le nouveau gouvernement est décidé à poursuivre le projet. Selon nos informations, le cabinet du ministre de Manuel Valls l’a expliqué fin octobre lors d’une réunion consacrée à la PNIJ. La place Beauvau serait convaincue qu’il s’agit de la meilleure solution. Quitte à désavouer les futurs utilisateurs, consultés par les nouveaux grands chefs policiers.

La direction générale de la police nationale a demandé des rapports à plusieurs services dont la DCRI, la PJ et la préfecture de police de Paris, qui ont tiré une nouvelle salve de critiques. Remis au début de l’automne, les enquêteurs rappellent à nouveau le risque de concentrer en un seul lieu les données sensibles, évoquant le précédent WikiLeaks. A nouveau, ils rappellent le risque de les confier à une entreprise privée.

Thalès terre les écoutes

Thalès terre les écoutes

C'est sur son site d'Elancourt que Thalès, le géant de la défense française, garde précieusement la Plateforme nationale ...

Les services de police relèvent aussi que la PNIJ devra fonctionner 24h sur 24, 7 jours sur 7, sans souffrir de la moindre exception. La France ne compte que cinq systèmes avec de telles contraintes : la dissuasion nucléaire, la bourse, les réseaux électriques, la SNCF et l’aviation civile. Un défi technique, soulignent les policiers, que le personnel actuel ne pourra relever dimensionner ainsi en terme d’effectifs. Sauf bien sûr à recruter davantage ce qui augmenterait sensiblement l’ardoise, déjà salée.

Et encore, les coûts cachés sont nombreux. Le matériel qu’utilisent aujourd’hui les OPJ appartient aux quatre prestataires privés sous contrat avec l’Intérieur. Du matériel qu’il faudra renouveler. La PNIJ nécessitera aussi “une refonte totale du réseau national de transmission” écrivait Le Canard Enchaîné, citant “de grand chefs policiers”. Difficile d’obtenir une estimation du montant nécessaire, mais le ministère de l’Intérieur s’est dit conscient des coûts supplémentaires lors de la réunion de fin octobre.

Calembour

Un syndicat de police, Synergie Officiers (classé à droite) a pris la tête de la fronde contre la PNIJ, en interpelant par écrit le ministre de l’Intérieur [PDF]. Francis Nebot, le secrétaire national, redoute aujourd’hui de n’avoir pas été entendu. “Nous n’avons aucune information et sommes pourtant les premiers utilisateurs de la PNIJ” déplore-t-il.

Le système actuel ne fait pourtant pas l’unanimité, y compris au sein de la police. Certains proposent de garder le principe de la PNIJ pour des tâches de gestion. L’envoi des réquisitions passerait par la plateforme, mais le contenu serait directement renvoyé à l’officier traitant.

La plateforme ne contiendrait alors plus les précieuses “données sensibles”, sur lesquelles les policiers veulent garder la main mise exclusive, craignant une intervention de Thales, voire de l’exécutif. Ce qui a donné naissance à un calembour dans les services de police : “La PNIJ, c’est la plateforme de négation de l’indépendance de la justice”.


Photo par Misterbisson (cc-byncnsa) remixée par Owni /-)

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Thalès terre les écoutes http://owni.fr/2012/09/26/thales-terre-les-ecoutes/ http://owni.fr/2012/09/26/thales-terre-les-ecoutes/#comments Wed, 26 Sep 2012 14:42:39 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=121006 Owni s'est rendu sur place et a constaté la chape opaque qui recouvre ce projet visant à rassembler les écoutes et réquisitions judiciaires. Au grand dam des syndicats de magistrats, toujours pas consultés.]]>

Lentement, l’opacité recule. Elle était pourtant dense : la Plateforme nationale d’interceptions judiciaires (la “Pnij” de son petit nom) est placée sous le sceau “confidentiel-défense”. Ce projet, lancé en 2006, devrait être mis en service progressivement au cours du premier semestre 2013.

Dans quelques mois donc, toutes les réquisitions judiciaires concernant l’identification d’un numéro, la géolocalisation et bien sûr les écoutes téléphoniques et l’interception du trafic Internet, seront rassemblées dans cette plateforme, dont la réalisation est confiée à l’entreprise Thalès (voir notre infographie). Le géant de l’industrie de défense et de sécurité l’abrite sur son site d’Elancourt, dans les Yvelines.

En juillet, une délégation du cabinet de la garde des Sceaux s’est rendu sur le site. Discrètement. Contacté, le cabinet refuse de donner des détails sur cette visite. De même Thalès invoque la localisation “confidentielle” de la PNIJ, en guise de réponse à nos questions :

Sur nos sites, certaines zones peuvent être classifiées sans que le site dans son intégralité le soit. Mais dans ces zones, mêmes les attachées de presse ne peuvent y accéder.

Dans le secret des écoutes

Dans le secret des écoutes

Une plateforme pour centraliser les écoutes, scruter le trafic Internet... Ce projet entouré de secret verra bientôt le ...

La niveau de classification du site diverge selon les sources. Selon la délégation aux interceptions judiciaires (DIJ), en charge du projet au sein du ministère de la justice, les lieux sont confidentiel-défense, certifiés par la Direction centrale du renseignement intérieur. D’autres précisent que seuls les dispositifs de sécurité le seraient, ainsi que les moyens techniques, la documentation qui les détaillent et les capacités techniques de la plateforme.

“Du pipeau”

Rue Blaise Pascal, à Elancourt, l’entrée du site Euclide 1 de Thalès ne laisse rien entrevoir qui ressemble au “bunker sécurisé en béton armé”, décrit par la DIJ. Les grilles sont jalonnées de pancarte “Zone protégée, interdiction de pénétrer sans autorisation”. Derrière la barrière, à l’accueil un homme ouvre de grands yeux ronds à l’évocation de la PNIJ :

Je n’ai jamais entendu parler de la PNIJ, alors là vous m’apprenez un truc.

Et de scruter minutieusement la carte de presse qui lui est présentée pour vérifier que “ce n’est pas une fausse”. Son verdict est définitif, il est impossible de parler à qui que ce soit, ou d’entrer, avec d’étranges justifications :

Ici c’est du pipeau.
- Du pipeau ?
- Oui, enfin, ce sont des bureaux.

Un refus catégorique nous est aussi opposé avenue Gay Lussac, à l’entrée du site Guynemer. Kévin, à l’entrée du parking, refuse d’appeler l’accueil invoquant des arguments plus ou moins heureux : “Vous travaillez sur Internet, vous n’êtes pas journaliste alors vous êtes un blogueur.” Venu en renfort de l’intérieur des bâtiments, un homme en costume invoque les restrictions légales d’accès au site :

Vous êtes sur une zone protégée, vous ne pouvez pas entrer.

La PNIJ reste entourée du plus grand secret, entre les barrières, les grilles et les gardes des sites d’Elancourt de Thalès. Une opacité qu’a dénoncée par voie de communiqué le Syndicat de la Magistrature – classé à gauche. Joint par Owni, le président du syndicat, Matthieu Bonduelle, interpelle le ministère de la Justice :

Nous aimerions avoir un exposé complet sur l’étendu du confidentiel-défense, le modèle retenu et les garanties apportées.

Dans son communiqué, le Syndicat de la Magistrature reconnaissait qu’une “telle classification [était] compréhensible pour la technologie employée, [mais l’était] beaucoup moins pour les modes d’utilisation et de consultation de ce système.” Matthieu Bonduelle dit être “circonspect sur la façon dont ce projet [était] mené”, pointant du doigt l’absence de débat public et de concertation avec les magistrats.

Suspicion

Seul “un entrefilet dans l’intranet du secrétariat général [du ministère de la Justice, NDLR]” faisait allusion à la nouvelle plateforme, présentée comme ”un travail en cours pour aboutir à la centralisation des réquisitions” explique Matthieu Bonduelle. Même son de cloche à l’Union syndicale des magistrats (majoritaire). Virginie Duval, secrétaire général, regrette l’absence de concertation :

Nous n’avons pas été consultés sur ce dossier par le nouveau gouvernement – ni par le précédent mais nous y étions habitués. Nous regrettons que le nouveau gouvernement ne l’ait pas abordé contrairement à son souhait de d’agir en concertation avec les syndicats. L’absence de concertation fait naître la suspicion.

Les deux syndicats reconnaissent l’impérieuse nécessité de changer le système actuel, “lourd et très coûteux”. Plusieurs entreprises sont aujourd’hui chargées des réquisitions judiciaires, réalisées par plus de 350 postes hébergés dans des commissariats ou gendarmeries partout en France. Un système perméable, entre autres, aux “écoutes taxis”, des services illégaux rendus par des agents peu scrupuleux ou des opérateurs trompés par de fausses demandes.

Matthieu Bonduelle s’interroge sur le choix de confier un tel projet à Thalès :

Pourquoi faire appel à un opérateur privé ? Certes, le fonctionnement actuel – qu’il fallait changer – repose aussi sur des opérateurs privés, mais l’Etat ne pourrait-il pas assurer ces prestations ?

Et de conclure : “La concentration dans le privé augmente les risques de corruption.” Contre lesquels la PNIJ entendait, précisément, se prémunir.



Crédits photos CC Pierre Alonso/Ophelia Noor/Owni

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