OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les jeunes égyptiens: des enfants terribles http://owni.fr/2011/05/06/les-jeunes-egyptiens-des-enfants-terribles/ http://owni.fr/2011/05/06/les-jeunes-egyptiens-des-enfants-terribles/#comments Fri, 06 May 2011 16:28:00 +0000 Marion Guénard http://owni.fr/?p=61436 Début février, au plus fort de la révolution égyptienne, des centaines de messages rebondissent comme des balles de ping-pong sur les profils Facebook et Twitter des jeunes révolutionnaires. « Arrête de demander à papa Moubarak de dégager ! Ce n’est pas très sympa ! Il est comme ton père ! » Ces nokta égyptiennes, des traits d’humour teintés d’ironie, fusent en réponse au discours du président, le 1er février, qui tente de faire vibrer la corde sensible.

Usant d’une rhétorique politique bien rodée, le vieux raïs se présente comme le « Père de la nation » et assure qu’il mourra « sur le sol égyptien ». Ses fidèles relaient le message. C’est le cas notamment de Mortda Mansour, avocat controversé, aujourd’hui en prison pour avoir incité les pro-Moubarak à attaquer les manifestants pacifistes de Tahrir.

Vous, les jeunes de la place Tahrir, si vous parlez de cette façon-là au président, cela signifie que vous pouvez parler de cette façon-là à votre père. Vous n’avez aucune éducation.

Ainsi vocifère Mortda Mansour sur le plateau d’une chaîne de télévision nationale. Pour Pacynthe, pharmacienne de 30 ans, c’était la déclaration de trop. « Il nous a insultés ! Je respecte mes aînés. Mais, à aucun moment, je n’aurais changé d’avis. Le sang a coulé, il y a eu des morts. À partir de là, il n’était pas question qu’il reste ! », se souvient la jeune femme, qui a arpenté à de nombreuses reprises la place Tahrir.

Désobéir au père

Le 11 février, Hosni Moubarak est finalement parti. En 18 jours, la jeunesse égyptienne a mis fin à trente ans de régime autoritaire et corrompu. Mais pas seulement. Elle a également bouleversé les valeurs d’une société encore traditionnelle, où les aînés incarnent l’autorité et où, par effet de vase communiquant, les plus jeunes se voient écartés de toute responsabilité, alors même que les deux tiers des 80 millions d’égyptiens ont moins de trente ans.

« Même si les mentalités évoluent, l’Égypte est encore aujourd’hui une société patriarcale. Le père y a une place centrale. C’est surtout vrai dans les campagnes où c’est lui qui détient l’autorité. Il donne les ordres et escompte être obéi. Il est responsable des finances du foyer », explique Ahmed Fayyed, psychiatre d’une trentaine d’années. Pour le médecin, la révolution du 25 janvier s’accompagne d’une révolution symbolique, dont l’onde de choc continue de secouer la société.

Ce n’est pas seulement un soulèvement contre Moubarak, mais contre tout ce système patriarcal. Pendant la révolution, de nombreux jeunes ont d’abord désobéi à leur père pour aller manifester contre le président. Malgré les injonctions paternelles, ils sont descendus dans la rue et, hommes et femmes, ils ont mis le régime à terre, poursuit le médecin.

Un jeune égyptien dans les rues du Caire - le 30 Janvier 2011

Ahmed Sélim est un des jeunes de la révolution. Originaire de la région de Charqeyya, au nord du Caire, il est arrivé place Tahrir le 29 janvier et ne l’a quittée que deux semaines plus tard. Il a dû batailler ferme avec sa famille. « Après le discours du 1er février, mon père, mes frères m’ont mis la pression pour que je rentre. Ils ont eu de l’empathie pour Moubarak et m’ont dit : “ça suffit ! Il a dit qu’il partirait dans six mois. Qu’est-ce que tu veux de plus ?” Moi, je savais qu’il avait déjà fait des promesses non tenues pendant trente ans. Alors, pourquoi croire celle-là ? », raconte ce professeur de 26 ans. Aujourd’hui Ahmed Sélim savoure sa victoire. Une double victoire en réalité.

Quand je suis rentré à la maison, mes parents m’ont dit : “tu n’as pas seulement fait une révolution contre le régime, mais contre nous également“. Nous pensions que vous étiez des petits jeunes qui ne savent rien. Or, vous avez tout compris. Vous nous avez ouvert les yeux !”

Un peuple jusque là infantilisé

Les jeunes égyptiens ont donc tué le père ? En tout cas, ils ont réussi à faire changer le cours des événements alors que leurs parents n’en rêvaient même plus. « Dans l’histoire de l’Égypte moderne, c’est Gamal Abd el Nasser le premier qui s’est posé en président paternaliste. Il a infantilisé le peuple. Les Égyptiens se sont alors représentés eux-mêmes comme dépendants et irresponsables. Cette idée est ancrée dans les mentalités depuis une soixantaine d’années », analyse Khalil Fadel, psychiatre.

C’est un sentiment que partage le père d’Ahmed Sélim:

Nous n’avons pas vécu la même situation. Après tant d’années d’oppression, nous nous sommes habitués à Moubarak. Nous n’avions plus d’espoir. La peur s’était inscrite trop profondément en nous, confie le père à son fils.

Depuis la révolution, de nombreux verrous ont sauté. La contestation, jusqu’alors muselée, s’est propagée partout. Après la figure tutélaire du chef, beaucoup d’égyptiens ont dénoncé toute forme d’autorité abusive. Des manifestations ont éclaté dans les entreprises, dans les universités, dans les organes de presse. Même la situation reste chaotique et l’attitude de l’armée, qui dirige désormais le pays, ambiguë, Pacynthe est résolument optimiste :

Il n’y aura pas de retour en arrière. Nous avons fait la révolution. Désormais, nous n’accepterons plus une autorité au-dessus de nos têtes, qui décide pour nous. Nous voulons un président qui nous représente, qui fasse bien son travail et en qui nous pouvons avoir confiance. Pas un héros, ni un papa.

Photos CC FlickR AttributionNoncommercialShare Alike Maggie Osama et AttributionNoncommercial darkroom productions

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Amnésie européenne http://owni.fr/2011/02/25/amnesie-europeenne-tunisie-egypte-revolution/ http://owni.fr/2011/02/25/amnesie-europeenne-tunisie-egypte-revolution/#comments Fri, 25 Feb 2011 11:00:12 +0000 Guillaume Mazeau http://owni.fr/?p=48271 Jamais la défiance envers les révolutions n’aura été si forte. En 1989, l’Occident avait salué l’émancipation des pays du bloc soviétique dans un concert de louanges. En France, où, par coïncidence, on commémorait le bicentenaire de la révolution locale, 1989 avait été, tout comme le « printemps des peuples » de 1848, salué à la lumière de 1789.

Aujourd’hui, la peur a succédé à la fête. Au-delà des éternels irréductibles, par principe favorables ou opposés à l’idée même de révolution, au-delà de ceux qui s’évertuent à voir dans les mouvements de 2011 la suite logique d’une « fin de l’histoire » commencée avec la révolution américaine de la fin du 18e siècle, beaucoup d’hommes politiques, d’intellectuels et d’experts occidentaux expriment leur malaise face aux révoltes et révolutions de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Pour beaucoup, la chute des régimes risque de libérer un islamisme jusqu’ici muselé, mais qui s’imposera tôt ou tard, instaurant des dictatures religieuses aux portes de l’Europe.

Le 11 septembre 2001 a irrémédiablement changé notre lecture de l’histoire. L’islamisme a remplacé le communisme comme principale force contrariant l’inévitable victoire planétaire de la démocratie libérale occidentale.

2011 est donc lu à travers le prisme de 1979… et de 1996, deux révolutions catastrophiques pour cette version occidentale de l’histoire mondiale. En 1978, la chute du Shah d’Iran avait, dès l’année suivante, laissé place à une violente contre-révolution islamiste. En 1996, à peine quatre ans après le départ des Soviétiques, les Taliban s’étaient imposé en Afghanistan, incarnant aussitôt l’ennemi numéro un de l’Occident.

Révolutions sans ou contre la religion ?

Il serait irresponsable de nier le risque de l’islamisme. Mais, comme le note Vincent Duclert, encore faut-il l’apprécier dans sa complexité et éviter les amalgames. Les risques ne sont pas les mêmes dans chaque pays. L’islam n’est évidemment pas incompatible avec la démocratie. Le précédent de l’AKP turc révèle combien l’islamisme modéré a changé. Pour le politologue Olivier Roy, l’Occident fait même un contresens total en voyant les peuples arabes comme autant de sociétés nécessairement promises à l’islamisme (« Comme solution politique, l’islamisme est fini », Rue89, 20 février 2011). En Égypte, la religion est une source de mobilisation politique : les plus grandes manifestations ont eu lieu les vendredis, jours de prière. En outre, comment oublier le rôle des Coptes dans les évènements de la place Tahrir, pourtant passé totalement inaperçu des Occidentaux ?

L’histoire aide en partie à expliquer que les révoltes et révolutions du Maghreb et Moyen-Orient soient ainsi amalgamées à des contre-révolutions islamistes. Dans les sociétés occidentales sécularisées, beaucoup sont convaincus qu’une vraie révolution se fait sans la religion, voire contre la religion. Prenant en exemple la Révolution française, certains pensent même que toute révolution réalisée avec la religion doit être disqualifiée ou niée dans sa réalité.

« Déchristianisation » imaginée

Ce gallocentrisme laïc n’est en réalité qu’une révision de l’histoire des révolutions occidentales de la fin du 18e siècle, dans lesquelles la religion fut toujours au cœur des débats. Dans les colonies américaines, nombre de patriotes étaient des puritains et des dissidents chassés d’Europe, se battant contre la tyrannie anglaise au nom de leurs convictions religieuses. En France, les réformateurs issus du jansénisme, des ordres mineurs, du bas clergé ou des protestants ont joué un rôle de premier plan dans la contestation de la monarchie absolue.

Contrairement aux assertions d’une partie des historiographies catholique ou républicaine laïque fustigeant ou célébrant la mémoire de la « déchristianisation », jamais la Première République française n’a combattu le catholicisme en tant que religion, mais plutôt comme force d’opposition politique. Dans les Pays-Bas autrichiens, l’activisme du séminaire de Louvain en 1786 et 1787, a quant à lui, joué un rôle bien connu dans la révolution brabançonne de 1789.

On pourrait multiplier les exemples : à la fin du 18e siècle, la démocratisation des sociétés occidentales, effectuée à l’occasion d’un cycle de révoltes et révolutions dont on aime à célébrer l’avant-gardisme séculier, ne s’est, à aucun moment, produite « contre » ni « sans » le christianisme, mais avec ses nombreuses réformes et déclinaisons, donnant naissance à des régimes plus (États-Unis) ou moins (France) influencés par lui.

L’incrédulité d’une partie des Occidentaux, en particulier des Français, à l’égard de la capacité des pays de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à concilier la démocratie et l’islam, n’est donc pas seulement une nouvelle marque d’islamophobie. C’est aussi un curieux oubli de leur propre histoire.

Article initialement paru sur Lumières du Siècle, le blog de Guillaume Mazeau

Crédits Photo CC : Wikimedia Commons // FlickR Frédéric Poirot

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Ces photos de Sarkozy que l’Élysée voulait cacher http://owni.fr/2011/02/24/ces-photos-de-sarkozy-que-lelysee-voulait-cacher/ http://owni.fr/2011/02/24/ces-photos-de-sarkozy-que-lelysee-voulait-cacher/#comments Thu, 24 Feb 2011 15:32:11 +0000 Jean-Marc Manach et Paul Larrouturou http://owni.fr/?p=48150

Nota bene : placez la souris à droite ou à gauche
de la photo pour activer le diaporama


Je suis heureux d’être dans votre pays pour parler de l’avenir !
Nicolas Sarkozy

Dans la galerie photo consacrée, sur elysee.fr, à la visite officielle de Nicolas Sarkozy en Libye, en juillet 2007, on voit bien le président français serrer la main de Mouammar Kadhafi, puis signer un livre d’or.

Mais la photographie du petit mot écrit par Nicolas Sarkozy ne s’affiche pas dans le diaporama. Elle est pourtant bel et bien présente sur le site web de l’Élysée. Comme treize autres photographies, montrant à quel point Nicolas Sarkozy et Hosni Moubarak, l’ex-président dictateur de la République arabe d’Égypte, avaient pu faire “copain-copain” (voir, tout en haut, le diaporama que vous pouvez activer en plaçant la souris sur la photo) :

Entretien avec M. Mohamed Hosni MOUBARAK, Président de la République arabe d’Egypte, en août 2010

Point commun de toutes ces photos caviardées des diaporamas de l’Élysée, alors même qu’elles sont pourtant bel et bien hébergées sur leur site web : Nicolas Sarkozy y apparaît tout souriant, rayonnant, voire taquin, affectueux, rieur, la main sur le bras, l’épaule ou encore main dans la main, bras dessus bras dessous, avec le président dictateur déchu.

Autre particularité de ces photos : elles font toutes parties de diaporamas qui, datant pourtant de 2007, 2008, 2009 ou 2010, ont été modifiés le lundi 14 février 2011, entre 15 et 21h, soit le lundi suivant la fuite d’Hosni Moubarak, qui avait quitté précipitamment le Caire, et donc le pouvoir, le vendredi 11 février dans l’après-midi.

Censure ? Non : toilette…

Interrogé sur la disparition d’un certain nombre de photographies montrant Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy lors de la visite parisienne du gardien de la révolution lybienne à Paris, en décembre 2007, l’Élysée avait soutenu mordicus, dans les Inrocks, qu’elle n’avait procédé à aucune censure :

C’est totalement faux! Aucune photo de Kadhafi ou de qui que ce soit n’a jamais été enlevée du site de l’Élysée! C’est un mensonge. C’est une information fausse reprise sur Twitter.

OWNI, aidé en cela par une “Suprarédac” de journalistes sur Twitter, avait effectivement retrouvé les photographies de Kadhafi, toujours présentes sur le site de l’Élysée, mais cachées dans une galerie photo consacrée au sommet Union Européenne / Afrique à Lisbonne, qui s’était tenu juste avant la visite de Kadhafi à Paris.

Contacté par OWNI, l’Élysée nous fait aujourd’hui savoir que si le petit mot de Nicolas Sarkozy sur le livre d’or de Kadhafi a disparu de la galerie de son voyage en Libye, c’est probablement parce qu’il s’agissait d’un “message personnel” du président français à son homologue libyen qui, bien que photographié par les services de l’Élysée sous l’oeil de plusieurs journalistes et photographes, n’avait pas forcément vocation à être rendu public.

“Merci à OWNI, on les remet en ligne !”

La soudaine disparition, le 14 février dernier, des treize photographies montrant le président français et son homologue égyptien faisant “copain-copain” est d’un tout autre acabit. Comme l’atteste cette capture d’écran, elles étaient encore en ligne, le 12 février dernier, au lendemain de la fuite d’Hosni Moubarak :

Le 14, elles étaient prestement caviardées des diaporamas du site de l’Élysée. Sollicités à plusieurs reprises depuis mercredi soir, les services de l’Élysée n’ont pas été en mesure de répondre officiellement à nos questions.

Quelque peu embarrassé, un proche de l’Élysée, sous couvert d’anonymat, reconnaît néanmoins une “erreur“. Les services d’elysee.fr, qui nous ont demandé de leur faire suivre la liste des photographies caviardées, en ont d’ailleurs bien conscience, puisqu’ils les ont remis en ligne quelques heures plus tard :

Je sais, et tout le monde sait dans mon équipe, qu’on ne supprime pas des photos sur le Net. Il n’y a aucune volonté d’effacer les traces, on n’est pas suffisamment débile pour penser qu’on peut supprimer des photos, et si on avait vraiment eu l’intention de les supprimer, on aurait peut-être été meilleur.

Et merci à OWNI, on les remet en ligne.

Enième exemple d’”effet Streisand”

Ce n’est pas la première fois que les communicants du gouvernement se font prendre la main dans le sac à tenter de caviarder leurs sites web. L’Élysée, le ministère de l’intérieur ou encore Yves Jégo, notamment, avaient ainsi déjà tenté, en vain, de censurer l’encyclopédie Wikipedia.

En janvier dernier, Rue89 avait par ailleurs révélé que l’ambassade de Tunisie avait effacé de son site web une photo montrant Nicolas Sarkozy et Ben Ali se serrant la main, tout sourire :

Plus généralement, sur le Net, on parle d’effet Streisand pour qualifier de tels caviardages, généralement contre-productifs. En 2003, Barbara Streisand avait en effet tenté de censurer une photographie aérienne de l’une de ses propriétés en bord de mer, prise dans le cadre d’un reportage sur l’érosion du littoral. Résultat : la photographie fut dupliquée à l’envi.

Des dizaines d’autres exemples d’”effets Streisand” montrent que l’informatique laisse des traces, que l’internet n’oublie rien, et qu’il ne faut surtout pas tenter d’y censurer quoi que ce soit. Ce pour quoi, par exemple, Streisand.me a précisément été créé, afin de dupliquer les contenus censurés.

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Union pour la Méditerranée (UPM): le naufrage? http://owni.fr/2011/02/23/union-pour-la-mediterranee-upm-le-naufrage/ http://owni.fr/2011/02/23/union-pour-la-mediterranee-upm-le-naufrage/#comments Wed, 23 Feb 2011 13:38:19 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=45412 Au commencement, l’Union pour la Méditerranée (UPM) était un grand projet. Suggérée à Nicolas Sarkozy par Henri Guaino, son conseiller spécial, l’Union est l’une des promesses de campagne de 2007. L’idée initiale est de rassembler les États riverains de la Méditerranée. “C’est d’abord aux pays méditerranéens eux-mêmes de prendre en main la destinée que la géographie et l’histoire leur ont préparéedéclare Nicolas Sarkozy lors d’un discours à Toulon en février 2007. Le 13 juillet 2008, le sommet de Paris crée officiellement l’Union pour la Méditerranée, au terme d’âpres négociations entre partenaires européens.

Angela Merkel, la chancelière allemande, s’oppose à une Union des seuls pays riverains. Le Président français nouvellement élu revoit sa copie. L’UPM intègrera bien les 27 Etats membres de l’Union Européenne en plus des pays riverains. Elle remplace et entend relancer le processus de Barcelone, lancé en 1995. Le dialogue sur la sécurité et les questions économiques, sociales et culturelles sont au cœur de ce premier partenariat entre les deux rives. Son successeur, l’UPM se concentre sur “les dynamiques économiques” selon Jean-Baptiste Buffet, chercheur associé au think tank Thomas More.

En bleu, les Etats de l’UE. En jaune, les Etats de l’UPM. En jaune hachuré, le statut d’observateur

L’UPM se structure autour de six projets directifs, principalement liés à l’environnement, au développement économique et à l’éducation :

  • la dépollution de la Méditerranée
  • un plan solaire méditerranéen
  • un programme de prévention et de réaction aux catastrophes naturelles
  • l’amélioration des moyens de transport entre les deux rives et à l’intérieur de la rive sud, notamment par la construction d’une ligne grande vitesse “trans-Maghreb” entre Tripoli et Casablanca via Tunis et Alger
  • une université euro-méditerranéenne implantée en Slovénie
  • “l’assistance technique et des instruments financiers” aux micro, petites et moyennes entreprises

Le précédent de Barcelone

Et c’est tout ? La déclaration commune du sommet de Paris du 13 juillet 2008 affiche un autre objectif :

la volonté politique commune de relancer les efforts afin de transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité.

Quelques mois plus tôt, Nicolas Sarkozy faisait appel à la mémoire des fondateurs de l’UE pour justifier le contenu de l’Union pour la Méditerranée : “Il fallait apprendre à faire la paix, à se rassembler autour de projets comme l’avait fait en son temps Jean Monnet”. Avant de plaider pour “que l’on fasse de notre Méditerranée un espace de paix, alors que c’est un espace d’affrontement”.

C’est justement sur cet écueil que le processus de Barcelone s’était échoué. Incapable de dépasser les désaccords entre les États membres à propos de conflits larvés ou ouverts (Chypre, Palestine), le processus de Barcelone s’était essoufflé. Dans une tribune parue dans Le Monde daté du 23 février 2011, un groupe de diplomates dénonce, sous couvert d’anonymat, une “Union pour la Méditerranée, lancée sans préparation malgré les mises en garde du Quai d’Orsay qui souhaitait modifier l’objectif et la méthode”. De facto, l’UPM connait les mêmes difficultés que le processus de Barcelone. Pour Henri Guaino, qui a violemment dénoncé mercredi ce “tract politique” publié dans Le Monde, il fallait prendre la Méditerranée “telle qu’elle est”.

Faiblesses structurelles

Après l’opération Plomb Durci [en] menée par Israël dans la bande de Gaza en janvier 2009, les dirigeants arabes ont refusé de s’assoir aux côtés des dirigeants israéliens. Les activités de l’Union sont formellement suspendues à la demande de l’Egypte. Aucun sommet, pas même une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères, n’a eu lieu depuis. Dernière crise en date, la démission, le 26 janvier dernier, de son secrétaire général, le Jordanien Ahmad Massadeh. “Les conditions ont changé”, invoquait-il, énigmatique.

Le lendemain, Bernard Valéro, porte-parole du Ministère des Affaires Étrangères français, appelait de ses voeux la Méditerranée à “cesser d’être un lieu de conflit, de violence, de tragédie, pour devenir un lieu de partage, de coopération, un grand espace de co-développement, de création, de culture, de paix”. À ce moment-là, la profonde crise politique qui touche le Sud de la Méditerranée a déjà fait tomber le régime de Ben Ali et commence à ébranler celui de Moubarak.

Un contexte qui révèle, selon Maxime des Gayets, directeur de cabinet du président (PS) de la région Ile-de-France, les faiblesses structurelles de l’UPM. “Cet étrange attelage mêlant démocraties occidentales et régimes autoritaires” qu’est l’UPM ne saurait faire face aux défis posés par les changements politiques en cours en Afrique du Nord. L’Union s’est mise “à revers des aspirations démocratiques croissantes des peuples de la Méditerranée” poursuit-t-il avant de pointer la composition de l’organisation.

Blocages diplomatiques, clivages internes

L’Union ne s’est pas appuyée sur des représentants des sociétés civiles mais sur les régimes en place. Ni les petits entrepreneurs, ni les élus ni le secteur associatif ne sont associés à la prise de décision. Lors du Conseil européen du 13 mars 2008 qui scelle la destinée de l’Union, Nicolas Sarkozy se félicite de l’accord des pays de la rive Sud. Kadhafi, Ben Ali et le roi du Maroc Mohammed VI sont “totalement mobilisés” autour de l’UPM. Moubarak est “très volontaire au service de cet objectif” et Bouteflika, le président algérien, “n’y est pas opposé”. En juin, le très sulfureux Kadhafi se rétracte, accusant cette fois l’UPM de vouloir “déchirer l’unité arabe et africain”. Moubarak devient co-président de l’Union.

L’UPM a été discrète depuis la chute des régimes tunisien et égyptien. Leur participation à l’Union était une évidence selon Henri Guaino:

Fallait-il faire l’UPM uniquement avec nous-mêmes ou avec les pays de la Méditerranée ?

Aux blocages diplomatiques et au climat peu propice à une relance s’ajoutent des clivages internes. Lors du départ du secrétaire général, certains diplomates assuraient [es] que les blocages les plus importants venaient des partenaires Européens et non des tensions issues du conflit israélo-palestinien.

Les États du Nord et du centre du continent regardent vers l’Est, les pays latins voudraient eux davantage d’investissement dans le Sud. La gouvernance politique et technique de l’Union est paralysée, à l’image de l’UE très silencieuse depuis le début des révoltes sur la rive Sud. Les tensions politiques persistent. Malgré les tractations initiales, l’Union pour la Méditerranée ne trouve pas son second souffle. Comme si, après des débuts incertains, la fin était maintenant annoncée.

>> Crédits Photo Flickr CC Marco Vossen / WikiMedia Commons / Tinette

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En Egypte, les Frères musulmans contestent sans effrayer http://owni.fr/2011/02/17/egypte-freres-musulmans-contestent-sans-effrayer/ http://owni.fr/2011/02/17/egypte-freres-musulmans-contestent-sans-effrayer/#comments Thu, 17 Feb 2011 14:00:47 +0000 Damien Spleeters http://owni.fr/?p=47162 Il y a un peu plus d’une semaine, un des révolutionnaires de Tahrir portait mon attention sur les slogans qui demandaient un gouvernement séculaire.

Si l’Occident entretient sa propre peur du vide, me disait-il, c’est parce que Moubarak a réussi à l’effrayer avec le point d’interrogation de ce qui viendra après lui.

C’est évidemment aux Frères musulmans qu’il faisait référence, affirmant que ceux-ci gonflaient volontairement les chiffres de leur effectif, tout comme Moubarak : eux pour prétendre avoir joué un grand rôle dans un soulèvement réussi, lui pour chercher des soutiens dans sa répression.

Ici, à Tahrir, on me disait que l’Egypte serait davantage comme une nouvelle Turquie que comme un autre Iran. Quelques jours auparavant, le vendredi 4 février, l’Ayatollah Khamenei avait déclaré que la vague de soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient était due au « tremblement de terre » de la Révolution Islamique de 1979 et avait appelé à une révolution semblable en Egypte. Cette déclaration et cet appel, les Frères musulmans les ont explicitement rejetés, considérant le soulèvement comme étant « la Révolution du Peuple Egyptien et non une Révolution Islamique, puisqu’elle inclut des musulmans et des chrétiens, de toutes sectes et de toutes tendances politiques. »

Les positions des Frères musulmans dans ce soulèvement étaient parfois assez confuses. Il est clair que le soulèvement égyptien ne leur est pas dû : ils s’en étaient d’abord distanciés, le 25 janvier, avant de le soutenir pleinement deux jours plus tard. Formant un puissant groupe d’opposition, ils refusent d’abord de négocier avec le régime mais finissent par accepter d’entrer en dialogue (infructueux) avec Omar Suleiman, alors Vice-Président. Certains voyaient dans cette invitation aux pourparlers une tentative du régime pour diviser l’opposition : une tentative qui tombe à plat puisque les Frères musulmans refusent de faire partie d’un quelconque gouvernement de transition et mettent en doute les « efforts » du régime.

“L’Occident n’a pas donné la chance aux musulmans modérés de s’exprimer publiquement.”

Je retourne sur la place Tahrir pour y trouver l’un de mes contacts, Islam. Il va me faire rencontrer un membre des Frères Musulmans, Alladin, et jouer les interprète. En quelques mots chuchotés, Islam lui explique qui je suis. Il accepte très simplement de répondre à mes questions. Alladin me dit que les Frères Musulmans veulent simplement vivre dans une atmosphère politique naturelle pour s’exprimer en tant que groupe, “avoir la chance de montrer leur programme, donner la possibilité aux égyptiens de vivre avec la véritable morale islamique, porter l’attention sur les valeurs islamiques dans le respect des autres, dans le pluralisme.” Islam réagit : “l’Occident n’a pas donné la chance aux musulmans modérés de s’exprimer politiquement. Les Frères Musulmans n’ont rien à voir avec l’Iran ou avec les Talibans.” Alladin reprend :

Les Frères Musulmans sont présents dans 83 pays qui n’ont jamais eu à s’en plaindre. Ça serait un problème seulement en Égypte, parce que le pays occupe une place stratégique.

Je lui demande pourquoi l’Occident aurait peur des Frères Musulmans.

Parce que pour les Frères Musulmans l’Islam n’est pas seulement une religion, c’est aussi un mode de vie. Et aussi parce que ça contredit le programme de certains pays qui tirent profit des dictateurs et de la corruption. Les Frères Musulmans menace ce programme parce qu’ils sont insensibles à la corruption.

Selon Islam, mon interprète, si les Frères Musulmans vivaient cachés jusqu’à présent, c’est parce que le régime procède à des arrestations en vertu de l’état d’urgence, ayant déclaré l’illegalité du groupe. Selon lui, les Frères Musulmans de rapprochent de l’Iran, du Hezbollah et du Hamas dans leur soutien au peuple palestinien, mais ils s’en différencient par les moyens : “Les Frères Musulmans sont modérés et ne veulent pas recourir à la violence.”

Ils ne pourraient pas dépasser un tiers des sièges au Parlement

Bien que les Frères musulmans représentent l’organisation religieuse égyptienne la plus importante, nombreux sont ceux qui leur réfutent l’appellation de parti politique, et eux en premier. De toute façon, l’Egypte n’autorise pas la formation de partis religieux. Ainsi, les candidats politiques des Frères musulmans ont rencontré un succès relatif lors d’élections parlementaires sous la bannière d’autres partis.

Comme le rappelle Juan Cole : il se pourrait que l’Egypte ne change pas sa position sur la formation de partis religieux. Dans ce cas, les Frères musulmans devraient continuer à recourir à la même méthode s’ils veulent être présents dans la vie politique égyptienne, et cela limiterait leur influence. En outre, pour Cole :

Le clergé n’est pas important dans la vie religieuse sunnite comme les ayatollahs chiites le sont en Iran. Les Frères musulmans, en tant qu’organisation largement laïque, ont beaucoup de soutiens, mais on ne peut pas dire qu’ils gagneraient plus d’un tiers des sièges s’ils se présentaient à des élections libres.

Certains analystes voient dans la religiosité égyptienne un soutien implicite pour les Frères musulmans. Selon Juan Cole, l’Egypte vit un renouveau religieux depuis une vingtaine d’années.

Que les gens aillent à la mosquée, dit-il, ou que les femmes portent le voile, ne veut pas forcément dire qu’ils voteraient pour un groupe comme les Frères musulmans. Beaucoup de musulmans pratiquants sont ouvriers d’usine et bien plus proches du mouvement du 6 Avril que des Frères musulmans.

S’il est vrai que l’organisation des Frères musulmans, fondée en 1928, développe une aile terroriste dans les année 1940, elle subit une répression sévère depuis les années 1950 et 1960, ce qui instigua des changements relativement profonds en son sein. Ainsi, dans les années 1990, selon le professeur Juan Cole, les Frères musulmans en viennent à s’opposer aux mouvements radicaux comme celui du Jihad islamique égyptien.

Pourtant, les Cassandres occidentales ont excusé leur « devoir de réserve » par le spectre d’une prise de pouvoir islamiste alors que cette stratégie de la peur n’a pas vraiment de fondation, comme le montre Christopher Azalone quand il décortique le mythe des Frères Musulmans. Ce faisant, elles ne sont que les émules d’un Hosni Moubarak qui excusait, de son côté, un état d’urgence permanent (et donc une répression légale) par ce même spectre.

Lire également le témoignage d’une française présente au Caire sur OWNI

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Les Frères musulmans vus d’Egypte http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-vus-egypte/ http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-vus-egypte/#comments Thu, 17 Feb 2011 13:22:33 +0000 novinha56 http://owni.fr/?p=47197 L’Égypte fait son grand nettoyage du siècle et l’Occident tremble. Visiblement, ces tremblements n’atteignent pas uniquement les plateaux télé et les éditos des éditocrates comme en témoignent, les appels et les mails que j’ai reçus. « Et les Frères Musulmans : t’as pas peur qu’ils prennent le pouvoir ? ». Apparemment, certains craindraient qu’une fois au pouvoir, les Frères Musulmans s’empresseraient d’attaquer l’Europe. Huntington est mort en 2008, mais sa théorie grotesque du « Choc des Civilisations » continue à alimenter les pires fantasmes. Voici quelques réflexions sur ce thème qui, je l’espère, désamorceront les inquiétudes.

Des prières dans les rues, et alors ?!

Je me suis laissée entendre dire que les prières massives sur Tahrir auraient éveillé de bien terribles frayeurs chez mes concitoyens. Comment en est-on arrivé à ce point, en Occident, de considérer une foule en prosternation au Caire comme potentiellement dangereuse ? Ici, même les non-musulmans et les non-pratiquants ont été émus par ces mêmes scènes. Les Coptes (chrétiens égyptiens) n’ont visiblement pas été plus terrifiés, comme en témoigne les longues chaînes humaines qu’ils ont formées autour des orants afin de permettre à leurs concitoyens musulmans de prier en paix. Il faut rappeler que l’Égypte est un pays majoritairement musulman (environ 90%), dont une écrasante majorité est croyante et une très grande partie pratiquante. En cela, la société égyptienne est fondamentalement différente de la société française. Cela signifie-t-il que cette masse de musulmans pratiquants s’alignent derrière les positions des Frères Musulmans ? La réponse est claire et sans appel : NON. Parler des Frères Musulmans en filmant des hommes en prière, ou des femmes en foulard n’a aucun sens et frise la désinformation.

Mais où sont-ils, les frères musulmans ?

Interrogée par un journaliste, il y a quelques jours, qui voulait faire un article sur le sujet, je me suis mise à chercher un Frère Musulman dans mon entourage. Bien que vivant dans un milieu musulman pratiquant, je me suis rendu compte que je n’en connaissais pas. Je me suis alors tournée vers l’homme qui partage ma vie et lui ai posé la question. Il connait beaucoup plus de monde, dans des milieux différents. Il cherche, il ne trouve pas. Le soir sur Twitter, je discute avec un manifestant de la place qui aborde le même sujet. Avec ses amis, ils se rendent compte qu’ils ne connaissent pas de Frères Musulmans.

Cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas, cela signifie tout simplement qu’on leur accorde une importance démesurée.

Une force politique ? Oui et non

Il faut cependant reconnaître que lorsqu’ils se sont présentés aux élections en 2005 (sous l’étiquette « indépendants » la confrérie étant interdite de se présenter aux élections), ils ont fait un carton, 88 élus, soit 20% des sièges, et ce malgré plusieurs fraudes constatées. Ce bon succès explique surement le silence des puissances internationales face à la fraude massive des législatives de novembre 2010 qui ne laissera, cette fois, aucun Frère s’asseoir au Parlement.

Peut-on conclure qu’en cas d’élections libres : les Frères musulmans remporteraient haut la main le pouvoir ou tout au moins rafleraient une grosse partie des sièges au Parlement? Je ne le pense pas et ce pour plusieurs raisons.

La première raison est conjoncturelle, la confrérie, on l’a souvent souligné, est la seule force sérieuse d’opposition. Par conséquent, et lorsque cela est possible, se concentrent sur elles, toutes les voix dissidentes du régime. L’électeur serait d’avantage anti-PND (Parti National Démocratique = parti de Moubarak) que pro- Frères Musulmans sachant pertinemment que dans un système ultra-verrouillé par le PND, jamais les Frères musulmans n’auraient accès au pouvoir.

Dans un contexte d’élections libres, avec la disparition du PND et l’apparition de nombreux partis, il y a fort à parier que les Frères Musulmans perdraient les votes contestataires.

La seconde raison est structurelle. Les Frères musulmans ont réussi, jusque-là, à entretenir une certaine cohésion. Face à l’adversité, mieux vaut être unis. Malgré cela, ils n’ont pu empêcher les dissensions internes. Elles ont de tout temps existé, et ont, dans le passé, donné naissance à des groupes violents rejetés par la confrérie. Aujourd’hui, les dissensions se font davantage entre la vieille garde traditionaliste et la jeune garde, plus réformatrice, plus en phase avec les problèmes contemporains. En 1996, un petit groupe se sépare de la confrérie pour créer « le parti du milieu », parti qui ne verra jamais le jour : les autorités interdiront sa création. Très influencés par les modes de gouvernance à l’occidentale, ils prônaient la démocratie, l’alternance, le respect de toutes les libertés collectives et individuelles. Preuve d’ouverture : un Copte faisait partie du comité fondateur du parti. Dans un système d’élections libres, et si la Constitution est amendée (elle interdit pour l’instant la création de partis politiques sur des bases confessionnelles), ces jeunes créeront leur parti et fédéreront autour d’eux un certain nombre d’individus. Si on devait rapprocher ce mouvement d’autres mouvements religieux sur la scène politique internationale : on pourrait lui trouver des points communs avec l’AKP en Turquie.

Les Frères connaissent leurs faiblesses et c’est certainement la raison pour laquelle ils ont clairement dit qu’ils ne voulaient pas du pouvoir. Mais leur parole est remise en doute en Occident « peut-on les croire ? » Les Frères musulmans n’avaient pas prévu d’être au pouvoir à court terme. Ils n’ont pas de programme crédible. Au pouvoir, ils vont se faire griller et précipiteront par la même leur chute pour longtemps. La meilleure stratégie est donc pour eux, de rester dans l’opposition, d’entrer au Parlement et de faire pression pas ce biais, éventuellement au sein d’alliances de circonstances.

La confrérie : repoussoir efficace et utile

Je pense qu’une grande partie du succès des Frères musulmans tient en ce qu’ils étaient utiles à la fois au pouvoir en place et à l’étranger.

Pour le pouvoir, ils étaient la raison de sa légitimité : « c’est nous ou les Frères musulmans ». Le régime a toujours oscillé en leur direction entre le laisser-faire et la répression. Le jeu consistait à ne pas leur donner trop de pouvoirs tout en leur accordant un certain espace de liberté afin de montrer à quel point ils pouvaient être une force mobilisatrice importante. Les manifestations contre les caricatures danoises en sont la parfaite illustration. Dans un pays sous état d’urgence où toute manifestation est interdite, voilà que des milliers de personnes investissent les rues avec la bénédiction de l’État. Quel effet ont pu avoir de telles foules vociférantes contre les blasphémateurs Occidentaux ?

En Occident, le spectre des Frères Musulmans permet aux dirigeants de faire le grand écart entre la promotion de la démocratie dans le monde d’une part et le soutien aux dictatures policières d’autre part. Moubarak est certes un dictateur qui opprime son peuple, mais il est aussi un allié stratégique de poids dans cette région tourmentée. Un autre régime, même non-islamiste, sera-t-il aussi « conciliant » envers Israël ? La rue égyptienne est peu encline à la guerre avec Israël, mais elle est aussi très sensible au sort des Palestiniens. Aucun régime égyptien tenant sa légitimité de son peuple ne sera aussi conciliant avec Israël que ne le fut le régime de Moubarak. Par conséquent, le régime Moubarak aide au maintien du statu quo dans la région et l’épouvantail des Frères musulmans permet de justifier aux yeux des opinions publiques occidentales le soutien à la dictature.

En Occident, le discours est parfaitement relayé par les éditocrates, Bernard Henri Levy en donne une brillante illustration dans ses derniers éditos du Point. Dans le lot, il faut aussi rajouter Christophe Barbier déclarant « mieux vaut Ben Ali que les islamistes » ce qui vaut évidemment aussi pour l’Égypte, et l’imbattable Yves Calvi qui n’a visiblement plus besoin d’invités pour faire ses émissions.

En Égypte, ce discours est aussi relayé, preuve à mes yeux, que la propagande fonctionne. J’ai ainsi reçu par mail un texte écrit par le Père Boulad, un jésuite respecté et un journaliste égyptien.

« Mais, une fois mise au monde, celle-ci [La Révolution] n’a pas tardé à être arnaquée par les Frères Musulmans qui ont cherché à la récupérer, à en faire leur affaire, à la voler aux jeunes qui l’avaient créée et inventée. »

Aujourd’hui, les jeunes craignent de se voir confisquer leur Révolution par l’armée. Les Frères Musulmans, présents à Tahrir, n’ont jamais été perçus par les jeunes comme des « voleurs » de Révolution. Pour avoir suivi les tweets des activistes sur place, la menace Frères musulmans ne semblait pas les préoccuper : ils ont tout au plus été agacés par la présence des Frères musulmans.

Dans le même texte, un peu plus loin :

« La majorité des chrétiens – à part certains activistes ou intellectuels engagés –se tiennent plutôt à l’écart de ces bouleversements politiques et auraient, paraît-il, reçu des consignes en ce sens de leur hiérarchie. En fait, ils vivent dans la peur et envisagent le pire au cas où les Frères Musulmans prendraient le pouvoir. Pour l’instant, Dieu merci, aucun incident confessionnel ne s’est produit, bien que les églises et couvents ne soient plus protégés par la police. »

L’intégralité de la lettre : ici

Que les Coptes aient reçu des consignes de leur hiérarchie religieuse de ne pas prendre part aux manifestations ; c’est un fait. Le pape Shenouda a réaffirmé son soutien à Moubarak, tout comme le grand sheikh d’Al-Azhar. Mais à titre individuel, les Chrétiens sont bien présents dans le mouvement. La question des Frères Musulmans a été posée à un jeune responsable copte de Tahrir sur la BBC World. Il a répondu en substance, qu’il n’approuvait pas les positions des frères, mais qu’ils devaient entrer dans le jeu démocratique. Toute tentative visant à museler les Frères musulmans serait contraire au combat qu’il mène en faveur de la démocratie.

De son côté, un jeune leader des Frères Musulmans témoigne de cette expérience unique sur Tahrir. Il insiste sur le fait que l’expérience révolutionnaire a profondément marqué les jeunes Frères, il précise : « La Révolution égyptienne a rendu les jeunes Frères musulmans plus tolérants dans l’acceptation des autres. Sur la Place Tahrir, nous les avons vus sympathiser et manger avec des femmes, des Coptes et des gauchistes. Cette expérience va changer un bon nombre d’idées du groupe ». Source : Al-Masry Al-Youm

Article initialement publié sur Le blog à Becassine

>> photos flickr CC Takver ; kodak agfa ; Joseph Hill

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La chute d’Hosni Moubarak http://owni.fr/2011/02/13/la-chute-hosni-moubarak-egypte-revolution/ http://owni.fr/2011/02/13/la-chute-hosni-moubarak-egypte-revolution/#comments Sun, 13 Feb 2011 09:00:09 +0000 Paul Amar http://owni.fr/?p=46284 Traduction et adaptation d’un article de Paul Amar paru le 1er février sur Jadaliyya.com
Paul Amar
est professeur en relations internationales à l’Université de Californie, Santa-Barbara.

Le Président Hosni Moubarak a perdu son pouvoir politique le vendredi 28 janvier.
Cette nuit-là les soldats égyptiens ont laissé brûler le quartier général de son Parti National Démocratique et ont commandé aux brigades de police qui attaquaient les manifestants de réintégrer leurs casernes. Quand les appels à la prière du soir furent lancés et que personne ne comptait respecter le couvre-feu, il était clair que le vieux président était réduit à une autorité fantôme.
La « Million Man March » du 1er février marque l’émergence spectaculaire d’une société politique d’un genre nouveau en Egypte : unissant des éléments reconfigurés de la sûreté de l’Etat avec des hommes d’affaires, des leaders internationaux, des mouvements populaires relativement nouveaux de jeunes, de travailleurs, de femmes et des groupes religieux.

Pour savoir où va l’Egypte, et la forme que pourrait y prendre la démocratie, nous avons besoin de remettre les mobilisations populaires dans leurs contextes militaires, économiques et sociaux. Quelles sont les autres forces derrière ce revirement? Et comment le gouvernement militaire de transition va-t-il coexister avec le mouvement de protestation fort de plusieurs millions de personnes ?

Le siège du NDP au 29 janvier

De nombreux commentateurs internationaux et quelques analystes politiques arrivent difficilement à comprendre la complexité des forces qui conduisent et répondent aux événements de la plus haute importance auxquels nous assistons. La confusion provient du fait qu’ils observent ceux-ci avec d’un point de vue manichéen. Ce genre de perspective obscurcit plus qu’elle n’éclaire.
Il y a trois modèles binaires proéminents ici, et chacun est porteur de sa propre valeur :

1. Le Peuple contre la Dictature : cette vision conduit à la naïveté libérale et à la confusion sur le rôle joué par les militaires et l’élite dans le soulèvement.

2. Les Séculaires contre les Islamistes : ce modèle mène à la stabilité appelée depuis les années 80 et à l’islamophobie.

3. La Vieille Garde contre la Jeunesse Frustrée : cette perspective est teintée d’une romance soixante-huitarde qui ne peut pas expliquer les dynamiques structurelles et institutionnelles conduisant au soulèvement, ni prendre en compte les rôles clés joués par beaucoup de septuagénaires de l’époque Nasser.

Pour commencer à cartographier une vision plus globale, il serait utile d’identifier les pièces en mouvement sur l’échiquier militaire et policier de la sûreté de l’Etat et de voir comment les affrontements au sein de et entre ces institutions coercitives sont liés à l’évolution des hiérarchies et aux formations de capitaux. Je vais aussi observer ces facteurs à la lumière de l’importance de nouveaux mouvements sociaux non-religieux et de l’identité internationale ou humanitaire de certaines figures qui émergent au centre de la nouvelle coalition d’opposition.

Les commentateurs occidentaux, qu’ils soient de droite ou de gauche, tendent à considérer toutes les forces de coercition des Etats non-démocratiques comme les marteaux de la dictature ou comme les expressions de la volonté d’un chef autoritaire. Mais chaque police, armée et appareil sécuritaire a sa propre histoire, sa culture, son appartenance de classe et, souvent, sa propre source de revenus et de soutiens.

Décrire tout cela en détail prendrait plusieurs ouvrages, mais tentons brièvement d’en faire le tour ici.

Les forces de police al-shurta

En Egypte, elles sont dirigées par le Ministre de l’Intérieur qui était très proche de Moubarak et qui en est devenu politiquement dépendant. Mais les postes de police ont gagné en autonomie au cours des dernières décennies. Parfois, cette autonomie s’exprime dans l’adoption d’une idéologie militante ou d’une mission morale ; certaines brigades des moeurs ont pris le trafic de drogue à leur compte, d’autres rackettent les petits commerces en échange de leur protection mafieuse.

Dans une perspective bottom-up, la dépendance politique de la police n’est pas grande. La police s’est développée pour devenir une espèce d’entreprise cherchant son propre intérêt. Dans les années 80, elle a du faire face à la croissance de gangs, appelés baltagiya en arabe égyptien. Ces organisations affirmaient leur pouvoir sur de nombreuses extensions et bidonvilles du Caire. Les étrangers et la bourgeoisie égyptienne les considèrent comme des islamistes mais ils sont pour la plupart tout à fait dénués d’appartenance idéologique.

Lazoughli Square : les manifestants en route pour le Ministère de l'Intérieur

Au début des années 90, le Ministère de l’Intérieur, voyant qu’il ne pouvait pas les combattre, a décidé de les acheter. Ainsi, le Ministère de l’Intérieur et les Services Centraux de Sécurité ont commencé à sous-traiter la coercition aux baltagiya, les payant bien et les entraînant à utiliser une brutalité sexualisée (des attouchements au viol) pour punir ou décourager les manifestantes ou les détenus masculins. C’est aussi à ce moment que le Ministère de l’Intérieur a transformé le Bureau d’Enquêtes de la Sécurité d’Etat (State Security Investigations, mabahith amn al-dawla) en une menace monstrueuse, arrêtant et torturant de nombreux dissidents politiques.

Les Services Centraux de Sécurité Amn al-Markazi

Ils ne dépendent pas du Ministère de l’Intérieur. Ce sont les hommes casqués à l’uniforme noir que les médias appellent « la police ». Les Services Centraux de Sécurité étaient censés agir comme l’armée privée de Moubarak. Ils n’ont rien à voir avec les gardes révolutionnaires ou les brigades morales comme les basiji qui ont joué un rôle dans la répression du Mouvement Vert en Iran. Les Amn al-Markazi sont sous-payés et n’ont pas d’appartenance idéologique.
En outre, à plusieurs reprises, ces brigades de la Sécurité Centrale se sont soulevés en masse contre Moubarak lui-même, pour demander une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail. La vue de ces Amn al-Markazi désarmés et embrassés par les manifestants est devenue l’une des icônes de la révolution égyptienne. La disparition de l’autorité de Moubarak pourrait remonter au moment exact où les manifestants déposèrent des baisers sur les joues des officiers Markazi avant que ceux-ci n’entrent dans les nuages de gaz lacrymogène pour ne plus revenir.

Membre des Service centraux de sécurité

Des Forces Armées divisées

Les Forces Armées de la République Arabe d’Egypte n’ont pas grand chose à voir avec les Markazi ou la police. On pourrait dire que l’Egypte est toujours une « dictature militaire » (si l’on veut utiliser le terme) puisque le régime est toujours celui qui fut installé par la Révolution des Officiers Libres dans les années 50. Mais l’armée a été marginalisée depuis la signature, par le président égyptien Anouar Sadate, des accords de Camp David avec Israël et les Etats-Unis.
Depuis 1977, l’armée n’est pas autorisée à combattre. Au lieu de ça, les généraux ont reçu énormément d’argent de la part des Etats-Unis. On leur a accordé des concessions sur des centres commerciaux égyptiens, on leur a permis de développer des gated communities dans le désert et des stations balnéaires à la côte. Et on les a encouragé à se réunir dans des clubs sociaux bon marché.

Tout cela a fait d’eux les hommes d’affaires d’un groupe d’intérêt incroyablement organisé. Ils sont attirés par l’investissement étranger mais leur loyauté est économiquement et symboliquement liée au territoire national. Comme nous pouvons le constater en examinant d’autres cas de la région (Pakistan, Irak, le Golfe), l’argent américain n’achète pas la loyauté envers l’Amérique, il n’achète que le ressentiment.

Ces dernières années, l’armée égyptienne est parcourue par un sentiment croissant de devoir national et a développé une honte amère par rapport à ce qu’elle considère comme sa « castration » : le sentiment qu’elle n’était pas là pour le peuple. Les Forces Armées veulent restaurer leur honneur et sont dégoutées par la corruption de la police et la brutalité des baltagiya.

Et il semblerait que les forces armées, en tant que « capitalistes nationalistes », se considèrent comme les ennemis jurés des « capitalistes complices » associés au fils d’Hosni Moubarak, Gamal, qui ont privatisé tout ce qu’ils ont pu et ont vendu le pays à la Chine, aux Etats-Unis et au Golfe Persique.

C’est donc pour cela qu’on a pu assister, dans les premiers jours de cette révolution, le vendredi 28 janvier, à un « coup » de l’armée contre la police et la Sécurité Centrale, et à la disparition de Gamal Mubarak et de Habib el-Adly, le Ministre de l’Intérieur honni. Pourtant, l’armée est aussi divisée par des contradictions internes. Au sein des Forces Armées, il y a deux branches d’élite : la Garde Présidentielle et l’Armée de l’Air. Ces deux branches sont restées proches de Moubarak alors que le gros de l’armée s’est tourné contre lui.

Ceci explique pourquoi vous pouviez voir le Général en Chef des Forces Armées, Muhammad Tantawi, se rendre sur Tahrir pour montrer son soutien aux manifestants alors que simultanément le chef des Forces Armées était nommé Premier Ministre et envoyait des avions de chasse aux mêmes manifestants. Ceci explique aussi pourquoi la Garde Présidentielle a protégé l’immeuble de la Radio/Télévision et a combattu les manifestants le 28 janvier au lieu de prendre leur défense.

Les Services de Renseignement

Le Vice Président, Omar Suleiman, nommé le 29 janvier, était auparavant le chef des Services de Renseignement (al-mukhabarat), qui font aussi partie de l’armée (et pas de la police).
Le renseignement est chargé des opérations secrètes dirigées vers l’extérieur, des détentions et des interrogatoires (et donc aussi de la torture et des « transferts » de non-Egyptiens). Les Services de Renseignement sont en mesure de faire pencher la balance de manière décisive lors des élections.
Comme je le comprends, les Services du Renseignement détestent Gamal Moubarak et la faction des « capitalistes complices », mais ils sont obsédés par la stabilité et entretiennent une longue relation intime avec la CIA et l’armée américaine. La montée de l’armée, et, en son sein, des Services de Renseignement, explique pourquoi tous ceux qui trempaient dans les affaires de Gamal Moubarak ont été purgé du cabinet le vendredi 28 janvier et pourquoi Suleiman a été fait Vice-Président par intérim (et agit en fait comme Président en fonction).

Cette révolution ou ce changement de régime pourrait être complet quand les tendances anti-Moubarak au sein de l’armée auront consolidé leur position et rassurer les Services de Renseignement et l’Armée de l’Air qu’ils peuvent s’ouvrir en toute confiance aux nouveaux mouvements populaires et à ceux coalisés autour du leader d’opposition El Baradei.

Ceci constitue la version optimiste de ce qu’on peut entendre lorsque Obama et Clinton parlent d’une « transition ordonnée ».

Le peuple veut ta chute

Business, nationalisme et naissance de la contestation

Le lundi 31 janvier, nous avons vu Naguib Sawiris, peut-être l’homme d’affaires égyptien le plus riche et le leader symbolique de la faction des « capitalistes nationalistes », se joindre aux manifestants et demander le départ de Moubarak. Au cours de la dernière décennie, Sawiris et ses alliés étaient menacés par le néolibéralisme extrême de Moubarak-et-fils et par leur préférence pour les investisseurs étrangers.

Parce que leurs investissements sont mêlés à ceux de l’armée, les intérêts de ces hommes d’affaires égyptiens sont liés au pays, à ses ressources, et à ses projets de développement. Ils sont exaspérés par la corruption du cercle intime de Moubarak.

En parallèle avec le retour d’un nationalisme organisé associé à l’armée et dirigé contre la police (un processus qui avait cours également durant la bataille contre le colonialisme anglais dans les années 30-50), il y a le retour de mouvements de travailleurs très organisés et puissants, principalement parmi les jeunes.
2009 et 2010 ont été marqués par de grandes grèves nationales, des sit-ins gigantesques et des manifestations de travailleurs sur les lieux-mêmes qui ont donné naissance au soulèvement de 2011. Et les zones rurales se sont soulevées contre les efforts gouvernementaux pour exproprier les petits fermiers de leur terre, s’opposant aux tentatives gouvernementales de re-créer les vastes fiefs qui définissaient la campagne pendant les périodes coloniales ottomane et britannique.

En 2008, nous avons vu émerger le Mouvement du 6 Avril, fort d’une centaine de milliers de personnes et conduisant à une grève générale nationale. Et en 2008 et décembre 2010 nous avons vu la création du premier syndicat indépendant du secteur public. Puis le 30 janvier 2011 des groupes de syndicats issus de la plupart des villes industrielles se sont regroupés pour former une Fédération Indépendante des Syndicats.

Travailleurs sur Tahrir Square

Ces mouvements sont organisés par de nouveaux partis politiques de gauche qui n’ont aucune relation avec les Frères Musulmans, et qui n’ont aucune connexion avec les générations passées du Nasserisme. Ils ne se positionnement pas contre l’Islam, évidemment, et ne se prononcent pas sur la division entre le séculaire et le religieux.

Leur intérêt est de protéger les fabriques nationales et les petits propriétaires terriens, ils demandent l’investissement des deniers publics dans des projets de développement économique nationaux, et cela concorde avec les intérêts de la nouvelle alliance capitaliste nationaliste.

Des mouvements sociaux coordonnés avec le Net

Nous voyons donc que derrière les ONG et les vagues de protestations conduites à partir de Facebook, il y a d’importantes forces structurelles et économiques et un réalignement institutionnel en cours. La population égyptienne se chiffre officiellement à 81 millions de personnes, mais en réalité elle va bien au-delà des 100 millions parce que certaines familles n’enregistrent pas tous leurs enfants pour leur épargner le service dans l’Amn Al-Markazi ou l’armée. À mesure que la jeune population s’organise, ces mouvements sociaux et coordonnés depuis l’Internet deviennent très importants.

On peut les regrouper en trois tendances :

1.Un groupe de nouveaux mouvements s’organise avec et autour des normes internationales, et pourrait donc tendre vers des perspectives et des discours séculaires et de mondialisation.

2.Un deuxième groupe s’organise à travers la culture légale très active et indépendante des institutions judiciaires égyptiennes. Cette culture légale forte n’est certainement pas une importation des « Droits de l’Homme occidentaux ». Des avocats, des juges et des millions de plaideurs – hommes et femmes, travailleurs, fermiers et élites – ont gardé le système judiciaire en vie et ont sans cesse résisté à l’autoritarisme et à la perte de leurs droits.

3.Un troisième groupe se trouve à l’intersection entre des ONG internationales, des groupes de défense des droits et de nouveaux mouvements de féministes, de ruraux, de travailleurs et de gauche. Ce dernier groupe critique l’universalisme des discours séculaires des Nations Unies et des ONG et s’appuie sur la force de l’activisme légal et travailleur égyptien. Mais il développe aussi ses propres solutions et innovations – bon nombre d’entre elles ont été montrées dans les rues ces derniers jours.

Nuit de camping à Tahrir Square

L’Egypte sur la scène internationale

Un dernier élément qu’il reste à examiner est le rôle critique et souvent négligé joué par l’Egypte au sein des Nations Unies et d’organisations humanitaires, et comment cette histoire revient pour animer la politique domestique et offrir une certaine légitimité et un certain leadership à Muhammad ElBaradei. L’ancien directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique semble avoir été choisi par le Front Démocratique Uni pour servir de président par intérim et pour diriger le pays pendant la période de transition et la rédaction d’une nouvelle constitution.

Au début des années 2000, ElBaradei a courageusement dirigé l’AIEA en affirmant qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak et que l’Iran ne développait pas l’arme nucléaire. Il a reçu le Prix Nobel pour avoir fait prévaloir la loi internationale sur l’agression et la guerre et pour avoir endigué la préparation d’une guerre contre l’Iran.
Ce n’est ni un radical ni un Gandhi égyptien, mais il n’est pas non plus une marionnette ou un fantoche américain. A ses côtés se tenait aussi l’acteur égyptien Khaled Abou Naga, ambassadeur auprès de l’UNICEF. Cela semble être davantage une révolution humanitaire qu’un soulèvement mené par les Frères Musulmans. C’est un changement de régime digne du 21e siècle – profondément local et simultanément international.

Mohmmed ElBaradei, 2009, Nations Unies

Il est important de se rappeler que la toute première force d’intervention humanitaire et armée des Nations Unies a été créée par les efforts conjoints de Gamal Abdel Nasser et du Président américain Eisenhower (deux soldats, bien sûr) en 1960 pour maintenir la paix à Gaza et pour empêcher les anciens pouvoirs colonialistes et Israël d’envahir l’Egypte pour reprendre le Canal de Suez.

Puis, dans les années 90, Boutros Boutros-Ghali fut le Secrétaire Général des Nations Unis. Aida Seif Ad-Dawla, quant à elle, est candidate au poste de Rapporteur des Nations Unis sur la torture. Les Egyptiens soutiennent depuis longtemps les lois internationales, les normes humanitaires et les droits humains. L’internationalisme égyptien insiste sur l’application des principes des Droits de l’Homme et des lois humanitaires en temps de guerre même contre les pressions des super-puissances.

Dans ce contexte, l’émergence d’ElBaradei comme leader est tout à fait compréhensible. Pourtant, la dimension internationaliste du soulèvement « local » égyptien est profondément ignorée par la plupart des commentateurs bien-pensants pour qui « international » signifie « l’Occident » et pour qui les manifestants égyptiens sont dirigés par une politique des tripes plutôt que par des principes.

Moubarak a perdu le pouvoir bien avant le 11 février.

Le nouveau cabinet est composé de chefs du Renseignement, de l’Armée de l’Air et de l’autorité pénitentiaire, ainsi que d’un dirigeant de l’Organisation Internationale du Travail. Ce groupe représente le coeur d’une « coalition pour la stabilité » qui va travailler pour réunir les intérêts d’une nouvelle armée et de la main d’oeuvre et du capital national tout en rassurant les Etats-Unis.
Oui, c’est un remaniement de cabinet, mais un remaniement qui reflète un important changement de direction politique. Mais rien de tout cela ne comptera comme transition démocratique tant qu’une vaste coalition de mouvements sociaux locaux et internationalistes égyptiens ne brisera pas ce cercle et n’imposera pas les termes et le programme d’une transition.

Je serais prêt à parier que les chefs du nouveau cabinet ne résisteront pas à la volonté des soulèvements populaires forts de cent millions d’Egyptiens.

A lire en complément :
> Moubarak est parti. Et après ?
> Tous les articles d’Owni sur l’Egypte
-
Traduction : Damien Spleeters
Titre original : Why Moubarak is out
-
Crédits photo, via Flickr : Par Guebara Graphics, [cc-by-nc-sa] : Affiche de Mubarak ; Par Hossam El-Hamalawy, [cc-by-nc-sa] : Camping place Tahrir, Siège du NDP, Tank sur Tahrir Sq. , Pancarte, Service Centraux de Sécurité , les travailleurs, Lazoughli Sq., ; Par United Nations Photo, [cc-by-nc-sa]Mohammed ElBaradei ,

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http://owni.fr/2011/02/13/la-chute-hosni-moubarak-egypte-revolution/feed/ 7
Moubarak est parti. Et après ? http://owni.fr/2011/02/12/moubarak-est-parti-et-apres/ http://owni.fr/2011/02/12/moubarak-est-parti-et-apres/#comments Sat, 12 Feb 2011 18:14:12 +0000 Damien Spleeters http://owni.fr/?p=46265

Mubarak has left the building

C’est ce que twittait le journaliste et bloggeur égyptien Wael Abbas, avant de se demander où le président déchu pouvait bien être à présent. Trente-deux ans jour pour jour après la Révolution iranienne, il semblerait que la Révolution égyptienne soit en marche. Mubarak has left the building, c’est en substance le message annoncé hier soir à la télévision égyptienne par le Vice Président Omar Souleiman, l’homme proche d’Israël et des USA qui était, comme le rappelle Paul Amar, le chef des mukhabarat, les Services de Renseignements, chargé de superviser les détentions, les interrogatoires, la torture et les transferts illégaux de prisonniers étrangers.

Le président déchu délègue ses pouvoirs au Conseil Suprême des Forces Armées. Les tentatives de polarisation de l’opinion publique domestique et étrangère, l’intimidation, les campagnes de peur et la propagande n’y auront finalement rien fait : la détermination du peuple égyptien, portée par une dynamique complexe de repositionnement politique, l’a emporté.

Tantawi, un autre Moubarak ?

Muhammad Tantawi, 75 ans, qui dirige officiellement l’Egypte. Malgré les soutiens américains – le Secrétaire à la Défense Gates ayant affirmé que l’armée égyptienne avait « contribué à l’évolution de la démocratie » – et les 1,3 milliards de dollars en aide militaire chaque année, les officiels américains ne semblent pas voir en Tantawi l’homme du changement.

Dans les câbles publiés par WikiLeaks, l’administration américaine le dit résistant au changement et inconfortable avec la guerre contre la terreur menée par les Etats-Unis.

Très impliqué dans la préservation de l’unité nationale, note l’un des télégrammes, il est opposé aux réformes économiques et politiques qui pourraient éroder le pouvoir du gouvernement central.

Selon la Qatar News Agency, le Conseil Suprême des Forces Armées formulera sa décision de former un nouveau gouvernement aujourd’hui. Ce gouvernement comptera des personnalités issues de l’armée et n’inclura aucun membre de partis politiques « afin de préparer le pays pour des élections parlementaire et présidentielle et pour la rédaction d’une nouvelle constitution ».

Quel positionnement pour l’armée ?

Il semblerait que l’Egypte fasse largement confiance à son armée pour tracer la voie vers la démocratie tant voulue. Pourtant, si l’armée a beaucoup de choses à gagner dans ce changement de régime, elle a certainement aussi beaucoup à perdre. Qu’elle serve uniquement de protectrice de liberté et de catalyseur de changement sans consolider ses propres intérêts au passage : rien n’est moins sûr. Dès lors, que les intérêts des chefs des forces armées et du peuple égyptien coïncident et l’on assistera à l’achèvement du soulèvement populaire.

Des sept revendications identifiées dans les voix des manifestants, seules deux semblent avoir été concédées (démission du président, dissolution du parlement). Moubarak, qui n’était plus qu’un président fantôme depuis quelques jours, restait l’icône d’un régime honni : la rue, avec le concours de l’armée, a obtenu son départ. Nombreux sont ceux qui refusaient de voir leur révolution compromise et récupérée par l’une ou l’autre faction, la vigilance est donc toujours de mise.

Si Tahrir se vide dans les prochains jours, quelles garanties aura le peuple égyptien d’obtenir sa véritable révolution ? Mais si la Place de la Libération est tenue, une polarisation bien plus forte encore entre ceux qui sont satisfaits et ceux qui veulent continuer la lutte ne risque-t-elle pas de fracturer l’opinion publique égyptienne et de faire vaciller son soutien au soulèvement ?

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A lire en complément :
[live] Embarqués au Caire par Damien Spleeters
Et retrouvez tous nos articles sur l’Egypte
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Crédits photo, via Flickr, Nebedaay cc-by-nc-sa ; via Wikimedia Commons [Domaine Public], commandant Tantawi

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Internet et l’Egypte: qui contrôle qui? http://owni.fr/2011/02/11/internet-et-legypte-qui-controle-qui/ http://owni.fr/2011/02/11/internet-et-legypte-qui-controle-qui/#comments Fri, 11 Feb 2011 10:47:10 +0000 Martin Lessard http://owni.fr/?p=46042 En écoutant ce matin (ndlr : 4 février) Thierry Garcin aux Enjeux internationaux sur France Culture parler avec son invité d’Internet comme «d’un instrument de puissance géopolitique» et du besoin de sa maîtrise par les puissances internationales, ça a titillé mon oreille au moment même où je lisais Christian Rioux dans le Devoir écrire sur les déboires de l’Égypte en minimisant, inversement, l’impact d’Internet. Je me suis dit que mon « multitasking » matinal sur les « médias trads » n’était pas si improductif finalement.

À la radio, on y disait que “le contrôle d’internet est aussi important que les guerres commerciales et coloniales du 19e siècle” (dixit l’invité, Laurent Bloch, directeur des Systèmes d’information de Paris-Dauphine).

Certains Etats trouvent ça insupportable, mais n’y peuvent rien (il cite une Europe impuissante devant les Américains qui fabriquent à la fois les logiciels et les matériels qui font marcher Internet). D’autres aussi trouvent ça insupportable, mais interviennent pour changer la situation (il cite la Chine qui s’est coupée carrément d’Internet avec un système parallèle de noms de domaines, un “annuaire” d’adresses internet «sinisé»).

La rivalité, maintenant au grand jour, entre la Chine et les États-Unis dans ce domaine, a été ensuite le sujet du reste de l’interview radiophonique (disponible en baladodiffusion pendant quelque temps, ici). Les attaques, organisées, secrètes ou mafieuses, ne sont pas différentes des actes de pirateries en haute mer sur les voies de communication au temps où l’Empire britannique contrôlait les océans.

Puissance à double tranchant

Internet est bel et bien une arme stratégique, et commerciale.  Récemment on en voit les traces notamment avec WikiLeaks et la révolution verte en Iran qui ont consacré Twitter comme arme politique de Washington. (Lire mes billets Ligne de démarcation pour comprendre l’assaut étatique contre WikiLeaks et Twitter entre dans l’armement stratégique américain, pour les implications politiques dans les médias sociaux).

Que l’Égypte ait coupé Internet il y a quelques jours pour contrecarrer les manifestations en cours démontre probablement la puissance, à double tranchant, d’Internet. Dans ce cas-ci, il s’agit d’une « affaire intérieure » et touche principalement la communication et le transfert d’information.

Est-ce que je me trompe, mais n’est-ce pas là la première fois de l’histoire qu’un gouvernement «débranche son peuple» ?

En ouvrant le journal ce matin (ndlr : 4 février), on peut être surpris (?) de lire de la plume de Christian Rioux, dans sa colonne au Devoir :

S’il fallait en croire certains, sans Facebook et Twitter, il n’y aurait jamais eu de soulèvement en Tunisie et en Égypte. En a-t-on assez lu de ces reportages jovialistes décrivant une jeunesse arabe mondialisée qui passerait ses longues journées à gazouiller sur ces nouveaux médias prétendument «sociaux»?

Non pas que les médias socionumériques soit au coeur de la révolution (à ce que je sache, il y a de vraies matraques qui cabossent des vraies têtes), mais, avec les autres canaux plus traditionnels, ces nouveaux médias participent à propager le «mème» de la révolution sur les terreaux fertiles.

Quand un média socionumérique peut transmettre un «mème» révolutionnaire, c’est qu’il y a une ligne de fracture déjà existante pour s’y infiltrer. Le filtrage social permet à petite dose de confirmer un sentiment que l’on a et que l’on ne pensait pas partager. Une vidéo, des écrits, un podcast, diffusent des visions du monde non filtrées (avec tout ce que cela peut aussi comporter comme risque), des contenus souvent alternatifs aux visions «officielles», ou, du moins, «dominantes» dans les canaux traditionnels. En général, ces messages proviennent de gens de confiance : des proches dans son réseau social.

Réseaux sociaux médiateurs

Le journaliste s’étonne: «C’est à se demander comment, malgré le black-out qui s’est abattu sur Internet pendant cinq jours, deux millions d’Égyptiens ont quand même trouvé le moyen de se donner rendez-vous sur la place Tahrir cette semaine», histoire de bien remettre à sa place Internet, comme il aime le faire régulièrement (lire mes billets sur ses épidémies blogueuses).

Mais voilà, c’est qu’on ne peut pas facilement éteindre internet: des solutions de contournement variées ont été mises en place (via ZDNet.fr). Mais si on voit plutôt Internet et les réseaux sociaux comme une étincelle qui met le feu aux poudres (comme je le pense), cette même étincelle ne peut plus grand-chose une fois l’incendie allumée.

Comme je l’écrivais cette semaine “Tunisie, Égypte, Algérie, Yémen, Jordanie, tout s’embrase, via les technologies de l’information. Télé, radio, internet”. Mais ce qui y circule c’est l’information. Or ce sont les hommes qui font la révolution dans la rue. Les réseaux sociaux sont comme un déclencheur (ou un «médiateur»). Les racines de toutes révolutions doivent être ancrées plus loin dans la chaire de la vie que sur le simple fait d’une émotion épidermique d’un acte de communication.

Vers le dépassement des nations ?

Il y a tout de même le besoin du pouvoir en place d’envoyer ces casseurs mater du jeune révolutionnaire dans la rue pour les disperser et même attaquer et effrayer les journalistes jusque dans leur voiture pour qu’ils ne soient plus témoins. Resteront probablement les réseaux sociaux pour garder un tant soit peu le contact avec l’extérieur, probablement pendant un certain temps. Et probablement ensuite noyés par de la contre-information et l’indifférence.

S’il faut rassurer M. Rioux, Internet ne fera pas la révolution à la place des gens (il a raison). Mais il est bon de souligner qu’un nouvel outil s’est rajouté dans les mains des peuples et ce qu’ils peuvent en faire pourrait potentiellement dépasser même les nations, pour reprendre le thème de mon billet récent. (D’ici là, cet outil nouveau peut servir de coordination décentralisée pour les manifestants…)

Tiens, en parlant de «dépassement des nations», l’invité de Thierry Garcin a écrit en janvier dernier

L’Internet [est] en rupture radicale avec la structure nationale moderne. Précisément parce qu’il est non pas une médiation entre la Nation et le citoyen, une gêne, mais quelque chose qui s’extrait complètement de la Nation pour renvoyer à autre chose que la Nation.

Le grand schisme de l’Internet.

À lire en complément :
Pour une critique sérieuse du cyber-activisme, Doctorow répond à Morozov. Essentiel.
Does Egypt need Twitter? Où Malcolm Gladwell, qui n’est pas soupçonné d’être réfractaire à Internet, écrit dans le sérieux New Yorker que les révolutions ont existé avant Facebook.
yes, malcolm gladwell, egypt does need twitter, une réponse au précédent lien en guise d’introduction à la possibilité enfin offerte de communiquer pour se mobiliser.

>> Article initialement publié sur le blog de Martin Lessard

>> Crédits photo Flickr CC : centralasian / omarroberthamilton

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http://owni.fr/2011/02/11/internet-et-legypte-qui-controle-qui/feed/ 8
Internet : Instrument de la contre-révolution Egyptienne ? http://owni.fr/2011/02/03/internet-instrument-de-la-contre-revolution-egyptienne/ http://owni.fr/2011/02/03/internet-instrument-de-la-contre-revolution-egyptienne/#comments Thu, 03 Feb 2011 07:30:56 +0000 François Hien http://owni.fr/?p=45040 Quand Internet est revenu ce matin au Caire, nous nous sommes dit :

Mais ils sont fous, pourquoi aujourd’hui ? On va tous se ruer pour poster en ligne ce qu’on a filmé cette semaine…

Le mouvement anti-Moubarak allait pouvoir de nouveau communiquer au monde la nature exacte des manifestations et des tentatives de répression. Al-Jazeera cesserait d’être le canal unique par où passerait les informations vers le monde. Les manifestants que j’ai croisés ce matin sur Tahrir Square me disaient : “Ils veulent qu’on rentre chez nous, devant notre écran. Ils ne veulent plus qu’on se réunisse ici.” Personne n’imaginait alors que le rétablissement d’internet, opportunément placé au lendemain du discours de Moubarak, aurait, au moins dans un premier temps, l’effet inverse de celui qu’a eu l’imposant activisme sur les réseaux sociaux avant la coupure. Tandis que les plus tenaces, les plus courageux des manifestants restaient en rue, les premiers statuts pro-Moubarak apparaissaient sur Facebook. Quand des amis français, pour la première fois joints depuis une semaine, m’apprennent que leurs contacts égyptiens affichent des éloges de Moubarak sur leur mur Facebook, je crois d’abord qu’ils plaisantent, ou que ces contacts se sont fait hacker leur compte. Malheureusement ce n’était pas le cas.

Ce matin j’ai marché dans plusieurs quartiers. Un homme est venu nous dire son amour pour Moubarak et à quel point l’intervention de la veille l’a satisfait : sa volonté de nous convaincre dissimulait mal son statut d’agent du gouvernement. Ils ont toujours été nombreux ici, en civil, à prendre part aux discussions comme de banals passants pour débiter la propagande officielle. Et ils ne trompent personne : pas un cairote qui ne les reconnaisse immédiatement. Pas de raison de s’inquiéter, donc.

Un peu plus tard je croise une première manifestation pro-Moubarak. Ils sont quinze, tous des hommes, à bloquer la circulation. J’en retrouve une petite dizaine, ça et là, de ces manifestations de soutien au dictateur, toujours clairsemées et composées de policiers en civil, immédiatement identifiables, qu’entourent quelques adolescents qu’on imagine payés. A distance des policiers en uniforme les protègent, ce qui semble de bonne augure. Si ces pitres isolés doivent être protégés par la police – pour la première fois redéployée massivement aujourd’hui – c’est qu’ils sont bien faibles. Je passe un peu plus tard sur Tahrir Square, la grande place centrale où depuis plus d’une semaine maintenant cette révolution a établi sa permanence.

Aux abords de la place, plusieurs groupes semblent suspects, regardant de travers un étranger se rendant sur les lieux de la manifestation. On m’a dit souvent de faire attention : non pas pour ma sécurité, mais pour éviter que le mouvement apparaisse manipulé par des forces étrangères. L’arrestation d’un français par la police servirait au régime à communiquer sur l’influence étrangère. Il existe une vaste population sous-éduquée en Égypte dont l’unique source d’information consiste en la télévision nationale, avec laquelle ils ont un rapport dont l’ambiguïté ne lasse pas d’étonner : ils savent bien, évidemment, qu’elle leur ment ; mais tout de même, ils ont dit que les étrangers manipulaient les manifestants, et si c’était vrai ? Autant ne pas leur offrir sur un plateau la preuve qu’ils attendent et dont la télévision nationale ferait son beurre.

Je décide de passer tout de même rapidement à Tahrir Square ce matin, simplement pour jauger l’ambiance.

Les tanks entourent complètement la place depuis quelques jours, énorme masses inertes au cœur de toutes les interrogations : qui cette puissance de feu décidera-t-elle de servir ? Les soldats appartiennent au peuple. Jeunes garçons sympathiques, ils se font offrir des gâteaux et des bouteilles d’eau par les manifestants. Je les ai sentis gênés au début, appréhendant peut-être le rôle qu’on leur ferait jouer contre cette masse où ils ont sans doute de la famille ou des amis. Depuis qu’il y a deux jours le chef d’état-major a annoncé qu’en aucun cas il ne tirerait sur le peuple égyptien, les soldats semblent plus détendus. Ce matin, ils me saluent gentiment mais n’acceptent pas d’être filmés. Certaines rues sont totalement bloquées et ne permettent plus de rejoindre la place. On n’y accède que par des check-point où de simples citoyens vérifient nos pièces d’identité et nous fouillent. Là, comme dans les quartiers la nuit, l’armée venue faire respecter l’ordre collabore avec les comités de citoyens spontanément crées pour suppléer à la disparition subite de la police, il y a quelques jours.

Comme d’habitude, le regroupement sur la place est familial, bon enfant, très mélangé. J’arrive pendant la prière et le silence qui l’entoure, respecté par tous y compris ceux – majoritaires – qui ne la font pas, est impressionnant. Depuis l’installation des amplificateurs, la place s’est structurée en ses diverses tendances, sans pour autant que le sentiment d’unité ne s’estompe. Les Frères Musulmans ont à présent leur coin, relativement modeste, et m’accueillent comme d’habitude avec chaleur, jurant qu’ils ne veulent pas tirer la couverture à eux, qu’ils sont démocrates, qu’il n’y a qu’un seul peuple ici… Plusieurs personnes, ailleurs, me disent leur détermination : ils ne lâcheront pas, Moubarak n’a rien compris, ses gages de démocratie arrivent trop tard. Je signale à l’un d’eux les manifestations pro-Moubarak que j’ai vues ainsi que les types louches aux abords de la place. Avec le calme et la bonhommie qui caractérisent ces manifestants depuis le début, il me répond : “Si des pro-Moubarak viennent, on leur dira qu’ils ont le droit de penser ce qu’ils veulent mais que cette place est investie par ceux qui sont contre lui. On les raccompagnera à la sortie…” Il m’assure qu’il en a déjà repéré quelques uns, pour l’instant simples infiltrés. Plusieurs choses m’inquiètent cependant : des soldats armés au milieu de la place. D’ordinaire, ils ne s’y promènent que sans arme. Et trois longs camions militaires qui se garent sur un coin de la place sans que j’en comprenne la raison.

La contre-révolution a commencé.

Je rentre à l’appartement et les nouvelles tombent : les soi-disant manifestants pro-Moubarak ont surgi des rues adjacentes et ont investi la place. La contre-révolution a commencé. Des policiers sur des chameaux dispersent les manifestants. Nous voyons des projectiles fuser au-dessus de la foule. Les questions affluent : ces chameaux sur la place, comment ont-ils pu entrer ? L’armée a-t-elle sciemment laissé passer des éléments dont elle connaissait le rôle ? Comment a-t-elle pu convaincre les hommes qui l’assistent, profondément responsables et anti-Moubarak, de créer des exceptions à leurs drastiques consignes ? Je finis par douter de ce qui, jusqu’alors, me rassurait : les fouilles à l’entrée étaient censées garantir qu’aucune arme n’entrait sur la place. Peu à peu, la violence gagne en puissance. Le jour tombe, le feu envahit un bâtiment.
Nous sommes proches de la place Tahrir où les affrontements sont en train de faire des centaines de victimes. Au bout de la rue, des milliers de manifestants pro-Moubarak se dirigent vers la place. Les encerclés de Tahrir appellent le million de manifestants d’hier à les rejoindre. Mais ceux d’hier, je les connais pour les avoir longuement filmés : familles, enfants, pacifiques protestataires… Ils ne sont pas du genre à rejoindre une bataille dont la télévision leur révèle la violence. Par contre, ceux qu’on appelle les “baltagueya”, ces repris de justice employés par la police pour exécuter, en civil, les plus viles actions, affluent vers la bagarre, prêts à castagner. La révolution, pour un moment, revient à ce par quoi elle avait commencé : ceux qui restent sur la place, qui ont continué à manifester envers et contre tout, sont les mêmes qu’au premier jour quand il semblait impensable, tant c’était dangereux, de manifester sous Moubarak. Ils n’ont pas peur d’être frappés, ils y retournent. Ceux qui, on les comprend, ne peuvent pas s’offrir le luxe de mourir sous les balles du tyran, ayant une famille à nourrir, un commerce à faire tourner, ont été perdus entre temps. Bientôt, ne restera-t-il plus que les activistes du début que le régime n’aura qu’à cueillir, à enfermer, à faire taire, donnant ainsi le ton de la prétendue “période de transition” annoncée par Moubarak hier ?

Ils n’ont pas peur d’être frappés, ils y retournent.

La vermine est revenue. Pendant quatre jours la police avait disparu, interrompant momentanément la quotidienne mécanique de corruption et de répression par laquelle tient le régime. On se disait : certes les égyptiens ont besoin de police et elle doit revenir, mais jamais la population du pays n’acceptera qu’elle ait de nouveau recours à ses anciennes méthodes. Les policiers reviendront la tête basse pour assurer la circulation et une sécurité minimale. La société civile, parfaitement organisée, puissante et créative, a su prouver que les éléments de désordre lui étaient extérieurs. Livrée à elle-même dans une situation d’urgence, elle a fait jouer les obscurs rouages de son architecture sociale complexe, qui jamais ne s’est confondue avec la machine étatique, pour maintenir la société contre la police, la nation contre l’état.
Nous avions tort, malheureusement. La vermine policière n’a pas abdiqué sa capacité de nuisance.

S’il y a bien une chose claire dans cette situation, c’est la distribution de la violence : elle est exclusivement du côté du régime ou de ses divers supplétifs. On hésite à émettre une opinion aussi peu nuancée, on voudrait être sûr de ne pas angéliser un mouvement de protestation qui pourrait, lui aussi, faire usage de violence. Et pourtant c’est un fait : ce sont les policiers en uniforme qui ont attaqué des manifestants pacifistes dont la réaction consistait à prier face à leurs menaces ; ce sont des policiers en civil qui, se faisant passer pour des vandales afin d’accréditer l’alternative “Moubarak ou le chaos”, ont attaqué des quartiers que leurs habitants ont décidé de défendre eux-mêmes ; ce sont aujourd’hui des policiers en civil qui, se mêlant progressivement aux manifestants de Tahrir, ont commencé à attaquer.

Qu’ont-ils en face d’eux ?

Des manifestants d’une maturité politique ahurissante, extrêmement conscients de l’image qu’ils renvoient, nettoyant ce qui était devenu “leur”place, taisant pour un temps leurs désaccords ; des comités de quartier organisés spontanément le jour même des premiers vandalismes commis par la police en civil, armés de manches à balais et de couteaux de boucher et respectant scrupuleusement les instructions données par l’armée…

Moubarak a déclaré la guerre à sa propre société. Ne pouvant compter sur aucun soutien réel dans sa population, mis à part le très faible pourcentage de profiteurs du régime, il est forcé de s’en inventer, organisant des spectacles de rue prétendument favorables à lui et dont le moindre manifestant est payé. La dictature, depuis longtemps habituée à substituer au réel la fiction, paie les habitants qui la soutiennent, les manifestants qui se battent pour elle et les journalistes qui en écrivent l’histoire. Le plus grave n’est pas ça : qui pouvait attendre de ce régime qu’il change ses méthodes ? Ce qui est le plus inquiétant, c’est que le mouvement de protestation ne semble plus aujourd’hui véritablement soutenu par la population.

Le pacifisme qui caractérise cette société – et au nom duquel elle s’était déterminée à vouloir faire chuter Moubarak – l’incite maintenant à blâmer les derniers manifestants pour leur insistance – ceux-là mêmes qui se font tuer par les “baltagueya” en ce moment. Ne pourraient-ils se contenter des améliorations déjà acquises ? Le timing de la coupure d’internet a été parfait. Sur les réseaux sociaux, cet après-midi, les réactions sont de ce type : “les gens qui avaient de vraies demandes sont partis hier après le discours de Moubarak, ceux qui restent à Tahrir sont des voyous et des gens qui veulent devenir vizir à la place du vizir”… Aussi vite qu’il s’était engagé aux côtés des manifestants, le peuple s’est retourné et la rapidité de ce changement de situation est dûe, pour une grande part, à la réapparition des réseaux sociaux, substituant à la chaleur des rassemblements collectifs et transversaux les informations erronées infusées sur la toile par le gouvernement.

Internet est donc devenu l’instrument de la contre-révolution, au moins le temps d’une journée.

La fétichisation des réseaux sociaux par la presse française suite à la révolution tunisienne est problématique. On peut faire ce qu’on veut d’internet et force est de constater que les clivages d’opinion n’y sont pas transcendés. La dictature, tout autant que les manifestants, a su comprendre le profit à tirer des réseaux sociaux. Moubarak n’est pas Ben Ali, son intelligence tactique s’est adaptée aux réalités nouvelles de l’information virale. Si sa télévision nationale ressemble à ce que devait être la chaine unique sous Brejnev, la réalité qu’elle s’efforce de promouvoir est relayée de la façon la plus moderne. Plus efficace encore que les outils de propagande les plus éculés, secondée par une répression qui limite toute prise d’information directe, Internet sait transformer les héros en voyous.

François Hien,
le 02 Février à 14h

Crédit Photo Flickr CC : Mahmoud Saber / Gr33nData / Nasser Nouri

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