OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Fin de règne pour le Roi Soleil de la comédie musicale? http://owni.fr/2011/01/06/fin-de-regne-pour-le-roi-soleil-de-la-comedie-musicale/ http://owni.fr/2011/01/06/fin-de-regne-pour-le-roi-soleil-de-la-comedie-musicale/#comments Thu, 06 Jan 2011 16:43:32 +0000 Sarah Dahan http://owni.fr/?p=29361 Sarah Dahan est journaliste musicale et collabore à Metro, VoxPop, Brain Magazine et maintenant à OWNImusic.

John Lennon a un jour dit que « Le rock Français, c’est comme le vin Anglais », c’est tout dire…Qu’en est-il des comédies musicales «  à la française » ? Si les Frenchies sont bel et bien les inventeurs du genre, la place qu’ils lui réservent est réduite et quasi monopolistique. Mais depuis quelques années, on voit apparaître une poignée de passionnés qui se rebelle contre un système régit par quelques businessmen aguerris…Owni a dressé l’état des lieux de la comédie musicale en France aujourd’hui.

La comédie musicale, qui recouvre les champs de la comédie, de la danse et du chant n’est rien d’autre que la digne héritière de l’opérette. Un genre musical et théâtral qui fut popularisé au XIXème siècle par le Français Jacques Offenbach, grâce notamment à «La vie parisienne» en 1866.

L’opérette fut très populaire jusque dans son entrée au XXème siècle puis elle disparut à l’après guerre au profit d’autres formes de divertissement.
Plus récemment, au début des années 80, deux hommes répondant aux noms d’Alain Boublil et Claude-Michel Schonberg nous ont donné l’occasion de constater que les Français étaient plutôt doués dans l’exercice de la comédie musicale, en se chargeant de la titanesque adaptation théâtrale et musicale du roman «Les Misérables» de Victor Hugo.

A sa sortie en 1980, le spectacle ne fut joué que trois mois au Palais des Sports de Paris, on imagine le désespoir des producteurs lorsqu’il fut exporté à Londres cinq ans plus tard pour ne jamais en repartir. «Les Misérables» est d’ailleurs le spectacle détenteur de l’affiche la plus longue du West End !
Sachant la présence d’un tel talent à domicile pourquoi la France ne se retrouve-elle donc pas avec son Broadway ou son West End à elle ?

Pour Alain Perroux, conseiller artistique au festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, auteur de «La comédie musicale , mode d’emploi» (éditions Avant scène Opéra), dramaturge et auteur de l’adaptation Française de Sweeney Todd, la France a développé un rejet pour ce genre qu’elle trouvait «has been» :

Dès les années 60 les jeunes trouvaient démodé de dire qu’ils aimaient les comédies musicales, il fallait aimer le rock. Les gens trouvaient ça kitch. Aussi, il y a un problème très propre aux Français, qui ont un rapport particulier avec la confrontation dans une même œuvre entre le parlé et le chanté, c’est un sujet de friction. J’ai parlé à des personnes qui avaient vu « Les parapluies de Cherbourg» à l’époque, et qui virent ou qui eurent des réactions très violentes : des gens huaient, criaient ou riaient tellement ils étaient mal à l’aise.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Si «Starmania», crée en 1978 par le tandem Berger/ Plamondon a connu un grand succès, c’est grâce à la vente de l’album studio original qui s’est élevée à 2,2 millions d’exemplaires, et à la présence des stars de l’époque Daniel Balavoine et France Gall. Mais la véritable comédie musicale scénographiée «Starmania» ne s’est jouée qu’en 1993 au Théâtre Mogador à Paris. Avant et après cela : pas grand chose.

Il serait cependant dommage de passer sous silence le travail d’Alain Marcel, comédien et metteur en scène, qui fit ses armes dans l’opéra lyrique et l’opérette avant d’adapter des standards de Broadway tels que «La petite boutique des horreurs» en 1987 au théâtre Dejazet, «Peter Pan» au Casino de Paris en 1991 et «Kiss me Kate» au Théâtre Mogador en 1993.

Il se distingue également par ses productions originales, qu’il a écrit, composé et mis en scène, comme par exemple «L’Opéra de Sarah» où un seul comédien est présent sur scène et relate la tumultueuse vie de Sarah Bernhardt en dialogues et en chant. De même son dernier spectacle musical «Encore un tour de pédalos» qui évoque avec humour (et en chansons !) l’homosexualité aujourd’hui, fait de lui un véritable ovni dans le monde théâtral parisien… mais qui parvient tout de même à voler de ses propres ailes depuis plus de 25 ans.

A l’instar d’Alain Perroux, Grégory Antoine, le collaborateur artistique d’Alain Marcel depuis 18 ans, s’accorde à dire que le genre de la comédie musicale n’a pas pu prendre son envol en France à cause de l’image ringarde qu’ont dégagé les opérettes, mais pour lui le problème reste plus profond :

L’après guerre a tué le spectacle musical, l’opérette a été usé jusqu’à la corde, le mauvais goût, le manque d’argent, le manque d’envie de se renouveler a tué le genre  et par conséquent dégouté les Français. Au delà de ça je pense que les Français détestent ce qui cartonne ailleurs, et par esprit de chauvinisme et de contradiction ils n’aiment pas les shows made in Broadway ou West end.

Mais l’implantation en France en 2005 d’une filiale de Stage Entertainment, société spécialisée dans la création, la production et la commercialisation de spectacles vivant, qui reprend à Paris des grandes franchises de Broadway et du West End comme «Le Roi lion», «Cabaret» ou actuellement «Mamma mia !»  met à mal l’analyse de Grégory Antoine.

On ne peut cependant pas nier la création dès 1998 d’un genre de comédie musicale bien Franco-Française avec «Notre Dame de Paris». Tant et si bien que l’ appellation «comédie musicale», d’origine très contrôlée par les passionnés du genre, n’est peut être pas tout à fait appropriée.

En effet le propre de la comédie musicale est de se jouer dans un théâtre, de 1000 à 2000 places maximum, or les machines de guerre que furent «Notre Dame de Paris», «Le Roi Soleil» et aujourd’hui «Mozart l’opéra rock» sont faites pour êtres jouées dans des salles énormes, de type Palais des Sports, Palais des Congrès, ou encore Zénith.

Alain Perroux regrette que la dimension théâtrale doive être remise au second plan pour s’adapter à de telles structures :

Les productions de ces spectacles (Dove Attia et Albert Cohen en tête) s’inspirent du concert rock, car c’est une suite de chansons qui s’enchaînent grâce à un fil conducteur assez simpliste. Du coup cela donne lieu a des mises en scène très peu recherchées, avec des costumes qui sont faits pour être vus de loin, de gros micros , et une sono qui est faite pour des stades, à la place d’un orchestre.

Le producteur Serge Tapierman a dû, lui, user des coudes pour pouvoir se faire une place dans le circuit des comédies musicales parisiennes. Revêtant l’habit de David contre Goliath, il a réussi à tirer son épingle du jeu face aux superproductions avec sa propre version du «Violon sur le toit» de Stein et Harnick qui fut nominé aux Molières en 2006.

Il regrette que le monde de la comédie musicale en France se divise selon lui en deux mondes distincts : celui du marketing pur et celui, plus artisanal, à qui il dit appartenir :

L’une des bases les plus essentielles des comédies musicales est la présence d’un livret, d’une histoire, les chansons ne doivent pas être interchangeables, contrairement à celles de «Mozart l’opéra rock» qui sont écrites par des auteurs différents. Dans les comédies musicales Anglo-Saxonnes il y a une règle : les chansons participent a l’action. Donc vous ne dites pas : « maintenant je marche », vous vous contentez de marcher. En France il y a des redites.

Luc Plamondon avait-il oublié ces bases essentielles lorsqu’il a voulu évoquer le douloureux problème des rave party ?

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans les comédies musicales à la Française l’intrigue a donc plutôt tendance à se cacher en coulisses pour pouvoir ainsi mettre toute la lumière sur des «tubes» qui pourront s’écouter en radio, avant et après la vue du spectacle. Allant ainsi complètement à l’encontre des préceptes d’Howard Ashman l’auteur de comédies musicales telles que «La petite boutique des horreurs», «La belle et la bête» ou encore «Aladdin» qui disait : « A stage song is not a pop song», signifiant qu’une chanson issue d’une comédie musicale se doit de servir une histoire.

Pour Serge Tapierman il ne s’agit pas de comédie musicale mais plus d’ «entertainment» où la production du spectacle est vue comme un projet de maison de disque :

Pour pouvoir monter ces projets il faut un triptyque : des producteurs plus ou moins connus, un grand groupe qui fait de l’édition musicale et une maison de disque associée au projet. Tous ensemble ils produisent le show comme s’il s’agissait d’un disque de variété, en traitant avec les radios en amont pour accoutumer les gens à ces « tubes ». Moi je me suis fait virer un nombre incalculable de fois de maisons d’éditions car je n’avais pas de tubes, mais une histoire.

A défaut de remplir les canons de Broadway, ces comédies musicales cartonnent : plus de 3,5 millions de spectateurs en 1998 pour «Notre Dame de Paris», 1,8 million de spectateurs en 2000 pour «Les Dix Commandements», 1, 6 million de spectateurs en 2005 pour «Le Roi Soleil» et plus de 800 000 spectateurs pour  ”Mozart l’opéra rock“.

Cela ne semble pas inquiéter Grégory Antoine qui voit là une opportunité pour se démarquer davantage d’un genre qu’il estime de toutes façons très différent des productions artisanales sur lesquelles il travaille :

Je ne pense pas qu’il faille opposer ces deux modèles. On fait juste deux métiers différents, nous on fait de la comédie musicale et eux du divertissement pur. Je ne connais pas une personne de 35 ans articulée et bien dans sa tête qui va sortir de « Mozart » en me disant que c’est magnifique, c’est formaté pour les jeunes ! Le but du jeu pour ces grosses productions est de sortir un single un an auparavant, d’en vendre 300 000 et de monter un spectacle derrière. Nous sommes de toutes petites choses à côté mais en même temps on ne part pas au combat, il faut chercher l’inspiration ailleurs, il faut trouver des thèmes novateurs. On aime les idées originales, moi je pense qu’on peut écrire une comédie musicale à partir de tout, même la ménopause !

On note d’ailleurs qu’avec le succès actuel de “Encore un tour de pédalos” qui passe du Théâtre du Rond point au Théâtre Marigny fin janvier, Paris est en train d’opérer un changement en profondeur, d’élargir son esprit et ses propositions sur les planches. L’équation est d’ailleurs bouleversée par l’attrait depuis quelques temps du Théâtre du Châtelet pour le genre. En effet le théâtre public connu pour la qualité de ses opéras, a opéré un virage depuis 2009 en introduisant des grands titres de Broadway et du West End, joués d’ailleurs à l’identique, tels que «La mélodie du bonheur», «Les Misérables» à l’été 2010, «Show Boat» à l’automne 2010 qui fut suivi par «My Fair Lady», et qui sera succédé par «Sweeney Todd» au printemps 2011.

Alex Jennings qui s’est illustré il y a quelques semaines sur les planches du Châtelet dans «My Fair Lady» vient du théâtre dit « classique » mais a brillamment démontré ses capacités vocales et musicales. Fait non négligeable : il eut la chance de suivre une formation britannique où le chant compte tout autant que l’aspect dramatique.

Inspirons nous donc de nos amis d’Albion pour pouvoir nous réapproprier un genre bel et bien Gaullois et étendre la «French Touch» à la comédie musicale !

Vidéos en plus : Les Misérables, Mozart L’opéra Rock

Crédits photos : FlickR CC jerryzz; labgab; deja-dew; kiddocone

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Et si les contenants étaient l’avenir de l’industrie musicale? http://owni.fr/2010/11/10/et-si-les-contenants-etaient-lavenir-de-lindustrie-musicale/ http://owni.fr/2010/11/10/et-si-les-contenants-etaient-lavenir-de-lindustrie-musicale/#comments Wed, 10 Nov 2010 19:01:31 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=35284 Retrouvez cet article et bien d’autres sur OWNImusic


Quelle que soit l’efficacité de la loi Création et internet pour endiguer le téléchargement illégal, ou la légitimité du message adressé par les ayants droit aux internautes par l’intermédiaire de cette nouvelle législation – tout créateur doit pouvoir prétendre à une rémunération équitable dès lors que ses œuvres sont mises à la disposition du public ou exploitées, la question d’une redéfinition radicale des modèles économiques de l’industrie musicale à l’heure d’internet reste entière.

Les conséquences de la rupture technologique liée à la révolution numérique et au développement d’Internet, John Perry Barlow, fondateur de l’Electronic Frontier Foundation et ancien parolier des légendaires Grateful Dead, les résumait déjà en des termes on ne peut plus clairs en 2003 :

L’énigme à résoudre est la suivante : si nos biens peuvent être reproduits à l’infini et distribués instantanément dans le monde entier sans le moindre coût, sans que nous en ayons connaissance, et sans même que nous en soyons dépossédés, comment pouvons-nous les protéger ? Comment allons-nous être rémunérés pour le travail de notre esprit? Et si nous ne pouvons être rémunérés, qu’est-ce qui va permettre de poursuivre la création et la distribution de ces biens ?

Le dispositif de riposte graduée mis en place par la loi Création et Internet tente d’apporter une réponse à ce dilemme, en essayant de limiter la manière dont les œuvres peuvent être reproduites et distribuées à l’infini sur Internet, sans l’autorisation de leurs auteurs. Mais ce dispositif souffre déjà de nombreuses failles avant même d’avoir été activé, et tout le monde en est bien conscient, y compris ses défenseurs les plus ardus.

Aux générations successives de réseaux peer-to-peer (P2P), de Napster à BitTorrent, succèdent désormais des systèmes d’échange plus privatifs – d’amis à amis ou friend-to-friend (F2F) -, comme le logiciel open source OneSwarm, qui fait appel à la cryptographie et préserve l’anonymat de ses utilisateurs.. « OneSwarm est capable de résister au monitoring systématique qui est devenu chose courante aujourd’hui sur les réseaux P2P publics », confirment ses créateurs, dont les travaux de recherche sont officiellement supportés par la National Science Foundation et l’Université de Washington aux États-Unis.

Les limites de la riposte graduée

Les canaux empruntés par les échanges de biens numériques entre particuliers se sont en outre largement diversifiés au cours des dernières années : des newsgroups ou forums de discussion du réseau Usenet aux Direct-to-download links (liens de téléchargement directs) vers des plateformes d’hébergement comme Rapidshare, en passant par les logiciels de messagerie instantanée. La liste des protocoles de communication qu’il serait nécessaire de surveiller pour exercer un contrôle efficace sur la circulation des œuvres sur Internet s’allonge de jour en jour.

La surenchère de moyens de surveillance à mettre en œuvre, outre le fait qu’elle est susceptible de soulever de manière récurrente de nombreuses questions relatives à la protection de la vie privée et au respect des libertés publiques, risque d’engendrer des coûts bien plus rédhibitoires à terme que le manque à gagner des ayant droit lié au piratage en ligne. Le seul coût de mise en œuvre de la riposte graduée française, évalué entre 70 M€ et 100 M€, est déjà nettement supérieur à toutes les aides dont bénéficie la filière musicale, qui n’est certes pas la seule concernée.

Pourtant, elle n’en attend pas un renversement miraculeux de la tendance qui a vu ses retours sur investissement se réduire comme peau de chagrin au cours de la décennie passée. « Ce serait irréaliste de penser que cette loi va nous permettre de réaliser + 20 % l’an prochain », nous confiait il y a quelques mois Vincent Frérebeau, président de l’Upfi (Union des producteurs français indépendants) et p-dg du label tôt Ou tard. Tout comme il serait illusoire d’imaginer qu’un retour au statu quo ante, à la situation qui prévalait à la fin des années 90, lorsque l’industrie du disque était florissante, soit encore possible. Car le ressort de cet âge d’or est définitivement cassé.

« Le business du disque était parfait. C’était une industrie parfaite », explique le gourou du marketing en ligne américain Seth Godin dans la transcription, publiée sur le web, d’une conférence donné à l’occasion de la parution de son dernier essai, Tribes, sur les nouvelles tribus du Web. Et d’énoncer tous les ingrédients qui contribuaient à cette perfection : entre autres, un nombre limité de médias, dont toute une partie du spectre était consacrée à la promotion de ce que l’industrie du disque produisait ; quelques puissantes compagnies en situation d’oligopole, incontournables pour produire et distribuer un disque au niveau national comme international ; des chaînes de détaillants qu’elles ne possédaient pas entièrement dévouées à la vente et à la promotion de leurs produits…

Sans parler du florilège de magazines spécialisés dédiés à leur prescription ; d’un système de mise en avant du classement des meilleures ventes favorisant essentiellement le haut de la pyramide ; ou d’un support physique qui ne pouvait pas être copié et avait tous les attributs d’un bien rival, que l’on ne pouvait pas échanger sans en être dépossédé.

Les nouveaux rouages du marketing tribal

Mais la technologie du CD, dont le coût de reproduction était relativement marginal, portait en elle-même ce qui allait précipiter son déclin : le ver du numérique était dans son fruit. “Désormais, si je donne un enregistrement, je le détiens toujours, poursuit Seth Godin. Et ça change tout. Je ne dis pas que c’est mieux, je ne dis pas que c’est pire. Je ne dis pas que c’est moral ou immoral. Je dis seulement que ça change tout et que nous devons l’accepter.”

Pour Seth Godin:

la musique n’est pas en crise. De plus en plus de gens écoutent de plus en plus de musique, comme cela n’a jamais été le cas auparavant dans l’histoire de l’humanité. Probablement cinq fois plus que vingt ans en arrière. [...] Mais l’industrie de la musique est en difficulté. Parce qu’elle se trouve face à un nouveau paradigme.

Les nouveaux médias, comme les détaillants en ligne, prolifèrent sans aucune limite. Le marketing de masse cède le pas à un mode de communication de pair à pair beaucoup plus social. L’accent est mis de plus en plus sur les marchés de niche et de moins en moins sur les hits. Les frontières entre ceux qui produisent la musique et ceux qui la consomment sont de plus en plus perméables. Le cycle de vie des produits de cette industrie est beaucoup plus court. Ses lignes de produits elles-mêmes éclatent et ne sont plus limitées par des contraintes de fabrication mais par l’imagination. Et l’essentiel des investissements porte aujourd’hui sur l’innovation, plutôt que sur la promotion.

« Il n’y aucun moyen de passer de l’ancienne économie de la musique à la nouvelle avec un retour sur investissement garanti et des assurances écrites, ça n’existe pas », explique l’essayiste américain, qui invite les industriels à s’investir dans l’animation de « tribus » de fans, un mode d’organisation sociale hérité d’un lointain passé qui retrouve des lettres de noblesse sur Internet.

« J’ai tous les disques de Rickie Lee Jones, confie-t-il, y compris les bootlegs qu’elle vend. Je les ai presque tous achetés sur son site. Rickie Lee Jones devrait savoir qui je suis ! Ses agents, son équipe, devraient me connaître ! J’attends désespérément qu’elle m’envoie un message pour me dire qu’elle se produit en ville. Je veux qu’elle me demande : ‘Dois-je faire un album de duos avec Willie Nelson ou avec Bruce Springsteen ?’ Je veux avoir cette interaction avec elle. Et je veux qu’elle me dise : ‘J’envisage de sortir un autre bootleg, mais pas avant que 10 000 personnes l’aient acheté’. Parce que je signerais. J’en achèterais même cinq s’il le fallait. Mais elle ne sait pas qui je suis. Elle ne me parle jamais. Et quand son label essaie de me crier quelque chose, je n’écoute pas, parce qu’il pousse son cri dans un lieu [sur MTV, sur les radios du top 40, ndr] auquel je ne prête plus guère d’attention. »

Rupture psychologique

Pour Seth Godin, l’essentiel n’est plus de vendre un disque à un consommateur – « Il peut l’acheter pour 10 balles sur Amazon ou se le procurer gratuitement » -, mais de le connecter à l’artiste et à sa tribu de fans : « Il y a un très grand nombre de gens qui veulent se connecter à cette tribu, et de là où vous vous trouvez, vous avez la possibilité de faire en sorte que cette connexion ait lieu. [...] C’est très important pour les gens de sentir qu’ils appartiennent à une tribu, d’en ressentir l’adrénaline. Nous sommes prêts à payer, à franchir de nombreux obstacles, à être piétinés par la foule, si nécessaire, pour nous retrouver à l’endroit où nous avons le sentiment que les choses se passent. [...] Le prochain modèle, c’est de gagner votre vie en gérant une tribu… des tribus… des silos entiers de tribus ».

Ce changement de paradigme, Terry McBride, le charismatique patron de Nettwerk Records, label indépendant canadien (The Barenaked Ladies, The Weepies, The Old Crow Medicine show, The Submarines…), qui réalise 80 % de son chiffre d’affaires dans le numérique et dans la synchro, avec une croissance annuelle de ses revenus de 25 % dans le numérique, l’a anticipé dès 2002.

« Ce fut quelque chose d’intuitif pour moi, explique-t-il dans une interview accordée au blog américain Rollo & Grady. De toute évidence, le numérique envahissait notre univers depuis trois ans et l’effet Napster se faisait sentir. Étant une petite compagnie, qui travaillait directement avec les artistes, nous avons pu sentir ce qui commençait à se passer. Essayer de l’empêcher n’aurait mené à rien ; il fallait le comprendre et être en mesure de l’accompagner. C’était une véritable rupture psychologique pour nous. Il a fallu plusieurs années pour que le reste de la compagnie et les analystes finissent par se concentrer là-dessus. »

Pour Terry McBride, c’est toujours la pénurie qui crée de la valeur, mais Internet est un photocopieur géant, et « dès qu’une chanson est sortie, elle perd de sa rareté et n’a plus beaucoup de valeur marchande ». Au sein même de l’industrie musicale, il existe cependant de nombreuses autres formes de rareté ou de pénurie à même de créer de la valeur.

L’accès à l’artiste est unique. Et tout ce que vous pouvez organiser autour de cet accès peut créer de nouvelles formes de rareté. Lorsqu’une chanson est sur le point de sortir, elle ne conserve sa rareté que pendant cinq minutes. Mais nous en contrôlons le premier point d’entrée sur le marché, nous pouvons l’introduire de la manière que nous souhaitons, [...] créer une expérience unique à l’occasion de sa sortie, qui peut attirer 10 millions de personnes dans un endroit unique – et essayer de monétiser cette attention. (T. McBride)

Laisser les gens partager

Le patron de Nettwerk, dont le label fêtera ses 25 ans d’existence cette année, rejoint Seth Godin et sa théorie des tribus : « Nous appartenons tous à des tribus, écrit-il sur son blog. Et les membres de votre tribu sont ceux qui vous influencent le plus. Grâce à Internet et à la téléphonie mobile, ces tribus sont plus importantes que jamais et permettent de partager ses passions. Ma conviction est la suivante : laissez les gens partager. Créez un site où il peuvent échanger entre eux, mettez de la pub autour – et désormais, vous pouvez monétiser leur comportement, plutôt que la musique elle-même. Même si c’est sur Youtube. [...] Si je peux amener Avril Lavigne à faire quelque chose sur Youtube qui va la faire passer de 200 millions de connexions à 500 millions, c’est comme vendre un million de disques. »

Un de ses crédos, largement argumenté dans un livre blanc qu’il a co-écrit pour le club de réflexion anglais Musictank (Meet The Millenials ; Fans, Brands and Cultural Communities) est le suivant : « Alors que les infrastructures des labels se rétrécissent, un nouveau paradigme est en train d’émerger, dans lequel ce sont les fans qui constituent leurs nouvelles équipes de marketing, de promotion et de vente ».

Terrry Mc Bride n’en élude pas pour autant le problème posé par les échanges sauvages entre particuliers sur les réseaux peer-to-peer :

Ma conviction est qu’on ne peut pas légiférer pour aller à l’encontre de comportements sociaux, écrit-il dans un autre de ses billets. Le seul endroit où l’on puisse exercer une pression légale ou législative, c’est dans les relations business-to-business. Je pense que les câblo-opérateurs et les fournisseurs d’accès devraient payer une taxe pour rémunérer les contenus qui circulent dans leurs tuyaux. Je ne pense pas que l’on doive couper l’accès à Internet des jeunes, ils ne devraient pas être poursuivis parce qu’ils partagent leur passion pour la musique, même si je considère qu’ils devraient payer pour consommer le contenu produit par d’autres.

Payer sous quelle forme ? Celle d’un montant mensuel forfaitaire, estime-t-il, d’un abonnement aux plateformes des opérateurs ouvrant l’accès à un catalogue étendu. Un modèle auquel se rangent de plus en plus d’industriels de la musique, observe-t-il. « A l’heure où l’industrie se concentre sur 5 % du marché (la part légale du gâteau numérique), l’opportunité de monétiser les 95 % restant se présente. » Mais dans son esprit, fournir un accès étendu aux catalogues pour un montant forfaitaire n’est qu’un premier pas vers l’avenir du business de la musique.

Car une autre rupture technologique est à l’œuvre, qui deviendra selon lui réalité dans les 18 à 24 mois qui viennent. Dès demain, les AppStores d’Apple, de Nokia, de Blakberry, de Google, vont regorger d’agents musicaux intelligents conçus par des développeurs tiers, qui connaîtront les goûts musicaux de chacun et que l’on pourra installer sur les nouvelles générations de smartphones ou de baladeurs wi-fi. Nous pourrons utiliser leurs services d’accès personnalisé aux catalogues pour quelques euros par mois, et ils vont transformer en profondeur le comportement des consommateurs de musique.

Le contexte devient roi

« Il ne sera plus nécessaire de télécharger la musique, ce sera devenu une contrainte, explique Terry Mc Bride. Quantité d’applications vont vous permettre, pour quelques dollars par mois, d’accéder à toute la musique que vous voulez, comme vous voulez, quand vous voulez, à partir de n’importe quel périphérique. Dès lors, pourquoi voudriez-vous télécharger ? Pourquoi iriez-vous sur Internet pour chercher à télécharger cette musique gratuitement ? D’autant que ce que vous allez télécharger gratuitement ne fonctionnera pas nécessairement avec les applications que vous aurez sur votre smartphone. Quelques dollars, ce n’est pas cher payé pour un accès illimité. C’est dans cette direction que vont les choses. »

Pour que toutes ces applications puissent fonctionner correctement, il faudra qu’elles disposent de bonnes métadonnées, avertit le fondateur de Nettwerk Records, à la production desquelles il invite les industriels de la musique à se consacrer.

La valeur ajoutée d’un service de musique, celle que le consommateur sera disposé à payer, résidera dans sa capacité à délivrer un contenu en parfaite adéquation avec un contexte, qui pourra être une émotion ou une circonstance particulière.

Et plus les métadonnées qui accompagneront une chanson ou un morceau de musique seront riches et pertinentes, plus ils auront d’opportunités de ressortir dans un contexte particulier et d’être écoutés.

« A l’heure qu’il est, l’industrie de la musique n’est payée que pour 5 % de la consommation de musique dans l’environnement numérique. Il y a là une formidable opportunité d’augmenter ce pourcentage de manière significative, avance Terry Mc Bride. Ce n’est pas une opportunité d’augmenter le prix de la musique, mais d’augmenter sa valeur. » Un nouveau paradigme dans lequel ce n’est plus le contenu qui est roi, mais le contexte dans lequel il est délivré.

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Cet article a été initialement publié sur Musique Info.

Crédits photo CC flickr : Pieter Baert, virtualmusictv, mathias poujol rost, roberto

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