OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Au camping de la bidouille http://owni.fr/2012/08/24/au-camping-diy-bidouille-hackers-utopie-decroissance-obsolescence-fab-lab/ http://owni.fr/2012/08/24/au-camping-diy-bidouille-hackers-utopie-decroissance-obsolescence-fab-lab/#comments Fri, 24 Aug 2012 10:39:26 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=118382 A Pado Loup, vue sur le potager et le garage.

L’arrivée se fait par un chemin arpenté et caillouteux, sous un soleil de plomb du 15 août, entouré de montagnes, de pins, de mélèzes et prairies en manque d’eau. Dans un virage, une petite pancarte de bois annonce en rouge : “A Pado Loup”. Le potager accueille le visiteur, puis le garage, et la bâtisse principale. Tout est en bois. Construit avec des matériaux locaux en mode DIY.

L’hôte du festival, Bilou, la cinquantaine est entouré d’une ribambelle d’enfants, cousins, frères, soeurs et amis venus participer et prêter main forte sur l’organisation du festival. Toilettes sèches, douches solaires, récolte d’eau de pluie, compost, utilisation de panneaux solaires et recyclage des déchets feront partie du quotidien des citadins venus se déconnecter.

Deux ans après les rencontres numériques Estives | Digital Peak, à Péone, hébérgées par Jean-Noël Montagné, fondateur d’Art Sensitif, les équipes du TMP/LAB, TETALAB, USINETTE et des volontaires relancent l’aventure : déplacer les énergies créatives du hackerspace en milieu rural et isolé. Le festival A Pado Loup se tenait du 12 au 22 août à quelques lieues du précédent, près de Beuil dans les Alpes Maritimes, au coeur du parc naturel du Mercantour. Une deuxième édition plus détendue que la précédente, sans la dimension internationale ni l’habituel enchaînement de conférences techniques propres aux rassemblements de hackers, mais avec les mêmes contraintes et objectifs.

Bidouille dans l'herbe sèche et serre transformée en hacklab - (cc) Ophelia Noor

Loin d’être une expérimentation utopique, les communautés numériques de hackers et autres bidouilleurs sont bien conscientes des enjeux liés aux crises globales : écologique, sociale, politique et énergétique. Le rapprochement avec d’autres milieux alternatifs tournés vers ces mêmes problématiques fait son chemin. En juillet dernier se tenait la deuxième édition du festival Electronic Pastorale en région Centre. Deux ans plus tôt à Péone, Philippe Langlois, fondateur du hackerspace TMP/LAB, posait déjà la question du devenir des hacklabs face à la révolution verte et développait à nouveau cette idée en juin dernier dans une conférence sur les hackerlands donnée au Toulouse Hacker Space Factory (THSF).

L’innovation dans la contrainte

Les bidouilleurs se retrouvent sous une petite serre aménagée en hacklab pour la durée du festival. Équipée de deux panneaux solaires reliés à une batterie de voiture pour faire fonctionner l’électronique, son équilibre est précaire. Mickaël et Alex du Tetalab, le hackerspace toulousain, ont pris en charge la gestion de l’alimentation électrique et de la connexion WiFi. Le petit hacklab doit rester autonome comme la maison principale.

Le WiFi libre dans les actes

Le WiFi libre dans les actes

Et si l'accès à l'internet, en mode sans fil, était un "bien commun" librement partagé par tous ? C'est ce que proposent ...

Le challenge ? Ne pas dépasser les 70 watts et garder de l’électricité pour la soirée. EDF ne vient pas jusqu’à Pado Loup, encore moins les fournisseurs d’accès à Internet. Le lieu est en “zone blanche”, ces régions difficiles d’accès et non desservies par les opérateurs nationaux par manque de rentabilité.

Pour assurer une connexion au réseau, une antenne WiFi sur le toit de la maison est reliée à celle d’un voisin quelques kilomètres plus loin. Le relai est ensuite assuré localement par le TETALAB de la maison à la serre des geeks.

Mickael vérifie toutes les heures les installations, tourne les panneaux solaires, et répare les pièces qui ne manquent pas de claquer fréquemment depuis quelques jours. Pendant ce temps, les fers à souder s’échauffent et on bidouille des postes radio FM, pour écouter l’émission quotidienne de 18 heures, point d’orgue de chaque journée. Chacun peut participer, annoncer ou proposer des activités pour la soirée et le lendemain, raconter ses expérimentations en cours. En lieu et place des conférences programmées des Estives, les discussions sont lancés sur la radio du campement.

Fabrication d'une éolienne avec Bilou, le maître des lieux et hôte du festival hack & DIY. - (cc) Ophelia Noor

Chaque jour, une partie du campement passe son temps à trouver des solutions pour améliorer des systèmes déjà en place, produire plus d’énergie avec la construction d’une éolienne, ou en dépenser moins en prenant en compte les atouts du terrain, avec par exemple la construction d’un four solaire. Les contraintes stimulent la créativité et l’expérimentation pour répondre aux besoins de l’homo numericus. Des ateliers sont proposés dans plusieurs domaines, électronique, écologie expérimentale, radio, live coding ou photographie argentique.

Les bactéries, libres et têtues

Sous un arbre avec balançoire, tout au fond de la prairie de Pado Loup, est installée la FFF, la Free Fermentology Foundation, clin d’oeil appuyé à la Free Software Foundation de Richard Stallman. Le hobby de deux chercheurs, Emmanuel Ferrand, maître de conférence en Mathématiques à Paris VII, et Adrienne Ressayre, chargée de recherche en biologie évolutive à l’INRA.

Sur des petits étals de bois, des bocaux où fermentent du kombucha, un thé chinois pétillant réputé pour ses bactéries digestives, des graines de kefir dans du lait ou dans de l’eau mélangée à du sucre et des figues sèches. Et enfin, une potée de riz en fermentation qui servira à fabriquer le makgeolli, un alcool de riz coréen proche de la bière.

(1) Atelier fermentation avec Emmanuel Ferrand et Adrienne Ressayre. (2) Fermentation du riz pour la préparation du magkeolli, (3) morceau de kombucha, (4) dans les pots, kéfir de fruit, de lait, kombucha. Aout 2012 au festival A Pado Loup, Alpes-Maritimes - (cc) Ophelia Noor

Les enjeux, selon Emmanuel Ferrand, sont similaires à ceux du logiciel libre sur la privatisation du vivant :

Les techniques de fermentation ont évolué au cours du temps, elles sont aujourd’hui accaparées par des entreprises qui veulent breveter ces produits déjà existants. La société moderne tend à normaliser les nourritures, et pour des raisons de santé publique en partie justifiées on impose des règles strictes de fabrication, on normalise les pratiques. Avec la FFF nous essayons de faire l’inventaire de ces techniques de fermentations et de préserver celles qui sont plus ou moins borderline ou en voie de disparition – parce que confrontées à des produits commerciaux normés – et de les reproduire.

Tous les matins à 11h, une petite foule se rassemble sous l’arbre à l’écoute des deux chercheurs. On prend le pouls des bactéries, le fromage de kefir, la bière de riz… Après l’atelier fermentation, la conversation dérive chaque fois sur des sujets connexes avec une confrontation stimulante entre Emmanuel le mathématicien, et Adrienne la biologiste : le génome, la pensée réductionniste, les OGM, les mathématiques, la physique, le cancer, les bactéries, le brevetage du vivant.

Des connaissances et des savoirs-faire précieux et ancestraux qui font partie de nos biens communs : “En plus de l’inventaire, nous reproduisons ces techniques ancestrales. Nous partageons nos expérimentations avec d’autres personnes sur le réseaux ou en atelier, comme aujourd’hui à Pado Loup, avec le magkeolli, le kéfir et le kombucha.”

L’écodesign militant

Chacun participe au bon fonctionnement du camp et les tâches ne manquent pas entre la préparation d’un des trois repas, couper du bois pour le feu, ou aller chercher de l’eau potable à la fontaine, deux kilomètres plus bas. Les déchets sont systématiquement recyclés et les restes des repas végétariens sont jetés dans une poubelle spéciale dédiée au compost. Toujours dans le même souci d’utiliser au maximum les ressources naturelles du lieu, Christophe André, ingénieur et designer, proposait deux ateliers d’ecodesign : la construction d’un four solaire et d’une petite maison, sur le principe de l’architecture bioclimatique.

Le jour où on lui a demandé de fabriquer un objet à duré de vie limité, Christophe André a abandonné sa carrière d’ingénieur. Confronté à la tyrannie de l’obsolescence programmée dans les modes de production industriels, il se lance dans des études de design et apprend pendant plusieurs années à fabriquer lui même tous ses objets du quotidien au lieu de les acheter. Il fonde l’association Entropie en 2008. L’idée, proposer un design d’objet sous licence libre à des entreprises, des particuliers ou des collectivités et de rédiger des notices, également sous licence libre, pour diffuser ces savoirs et surtout les fabriquer.

Le four solaire réalisé lors de l'atelier d'ecodesign avec Christophe André, fondateur de l'association Entropie - (cc) Ophelia Noor

La construction du four solaire a nécessité quatre heures de bricolage à une dizaine de participants. Le four suit le mouvement du soleil, tel un tournesol, grâce à une cellule photovoltaïque coupée en deux par une planche. Sur le principe du cadran solaire, lorsque qu’une partie s’assombrit, un petit moteur, sous une plaque tournante fait tourner le four dans la même direction que le soleil. Un gâteau aux pommes a mis plus de quatre heures à cuire.

Après le repas, lorsque la nuit sans lune recouvre A Pado Loup, un grand feu est allumé. La dizaine d’enfants et les adultes s’y retrouvent pour des jeux, des concerts improvisés. D’autres lancent une projection sonore avec de la musique expérimentale pendant que l’équipe du Graffiti Research Lab part à l’assaut des prairies du Mercantour pour des session de lightpainting.

La vie la nuit : dans la yourte, le développement photo argentique, les expériences de musique expérimentale, convivialité autour du feu, et atelier lightpainting avec le Graffiti Research Lab. - (cc) Ophelia Noor

De cette seconde expérience, Ursula Gastfall, membre du TMP/LAB, préfère ne pas y penser en termes de pérennisation : “Entre les Estives et APadoLoup, deux ans sont passés. Étant accueillis par des particuliers, nous préférons ne pas faire de plan et pourquoi pas, profiter d’un lieu encore différent la prochaine fois.” L’esprit du hacking, libre et nomade continue de se disséminer dans la nature.


Portfolio complet à découvrir ici : “Festival Hack & DIY A Pado Loup”
Photographies et sons par Ophelia Noor pour Owni /-)

**Si les players SoundCloud ont sauté, laissez un commentaire ou écoutez-les ici : http://soundcloud.com/ownison

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Les Fab Labs, ou le néo-artisanat http://owni.fr/2011/05/29/les-fab-labs-ou-le-neo-artisanat/ http://owni.fr/2011/05/29/les-fab-labs-ou-le-neo-artisanat/#comments Sun, 29 May 2011 15:43:00 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=65124 Dans Tintin et le lac aux requins, le professeur Tournesol invente un engin révolutionnaire : le photocopieur en trois dimensions. On met un objet d’un côté, un peu de pâte de l’autre et en un tournemain l’original est reproduit à l’identique. Une telle machine existe depuis quelques années sur un principe pas très éloigné de ce qu’avait imaginé Hergé.

On charge un modèle 3D dans la mémoire d’une imprimante qui, point par point, dépose des morceaux de colle, de plastique, de métal ou même de sucre selon les coordonnées spécifiées et recommence à l’étage suivant jusqu’à obtenir, par stratification, un objet en relief.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mais contrairement à la bande dessinée, aucun Rastapopoulos ne cherche à voler la RepRap (pour « réplication rapide ») parce que ses plans sont disponibles, librement, gratuitement, sous licence libre (GNU Public License), modifiables à volonté. Et que la machine sait même fabriquer ses propres pièces.

À vrai dire, il n’est pas absolument certain pourtant que le photocopieur de Tournesol, ou le synthétiseur de Star Trek ou un quelconque autre objet de science-fiction soit à l’origine des FabLabs. Il faut plutôt aller chercher du côté des obscurs cours d’éducation manuelle et technique où un professeur de collège en blouse bleue enseignait à utiliser la machine à coudre, la scie et la perceuse à des élèves qui n’en voulaient pas, persuadés que le savoir-faire les éloignait du savoir et que l’EMT les menait tout droit à l’enseignement professionnel.

Mais c’est un cours d’EMT deluxe, car il naît dans une grande université américaine, le Massachussetts Institute of Technology. Comme son nom l’indique, c’est la science appliquée qui est enseignée ici, et à un moment ou à un autre, l’étudiant doit réaliser le projet qu’il élabore. En 1998, le physicien Neil Gershenfeld prend donc la responsabilité d’un cours pratique de prototypage malicieusement intitulé « How to make (almost) anything » (Comment fabriquer (presque) n’importe quoi). On trouve dans son atelier de lourdes et coûteuses machines-outils capables de manipuler les gros volumes aussi bien que les atomes.

« Ils fabriquaient des objets pour un marché d’une personne »

Ses étudiants, apprentis ingénieurs mais sans bagage de technicien restent incrédules — « Ils demandaient: “Ça peut être enseigné au MIT ? Ça à l’air trop utile ?” », raconte Gerschenfeld. Mais très vite, il s’approprient le lieu, fabriquent un double des clés et reviennent nuitamment pour fabriquer « (presque) n’importe quoi », conformément à la promesse initiale. Beaucoup de petits objets à vocation plus artistique que technique. Une « scream buddy » [vidéo, en], par exemple, sorte de sac ventral qui étouffe le cri de colère lorsque celui-ci est inopportun, mais sait le libérer plus tard. Un réveil qui ne cesse de sonner que lorsqu’il s’est assuré que le dormeur est réellement réveillé… parce qu’il est capable de remporter un jeu contre lui… « Ils fabriquaient des objets pour un marché d’une personne », explique Gershenfeld.

Mais plutôt que de considérer ces réalisations comme de futiles broutilles, comme des errements potaches, l’universitaire s’aperçoit que ses étudiants ont réinventé l’échelon artisanal, celui qui se satisfait des matières premières locales et remplit des besoins particuliers que ne sait pas combler l’industrie, toute à son désir de s’adresser à une demande de masse, globale et indifférenciée.

En 2002, il ouvre le premier FabLab au MIT, doté d’un projet presque politique. D’abord, pose-t-il, « il s’agit de créer plutôt que de consommer » : la technologie est perçue comme un instrument d’émancipation. « La disparition des outils de notre horizon éducatif est le premier pas sur la voie de l’ignorance totale du monde d’artefacts dans lequel nous vivons, explique Matthew B. Crawford dans Éloge du carburateur (La Découverte). Ce que les gens ordinaires fabriquaient hier, aujourd’hui, ils l’achètent ; et ce qu’ils réparaient eux-mêmes, ils le remplacent intégralement. » Contre l’obsolescence programmé des biens de consommation, le savoir-faire ferait sortir de la dépendance :

Retour aux fondamentaux, donc. La caisse du moteur est fêlée, on voit le carburateur. Il est temps de tout démonter et de mettre les mains dans le cambouis…

Mais pourquoi faire soi-même ce que les professionnels fabriquent mieux et probablement pour moins cher ? Gerschenfeld rappelle la fameuse prédiction de Ken Olsen, fondateur de Digital Equipment, en 1977 : « There’s no need for a computer at home. » De la même façon, il n’y a aucune raison de disposer d’une usine à domicile, sauf si cela devient aussi anodin que l’informatique.

Au final, les centres de fabrication seront comme les PC, simplement des technologies dont les gens disposent.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les FabLabs vont au-delà de l’artisanat par leur capacité à exploiter le réseau : les usagers peuvent confronter leurs idées, les partager sur place comme à distance, les adapter à de nouveaux besoins et les améliorer sur le modèle du logiciel libre. Fabien Eychenne, chef de projet à la Fondation Internet nouvelle génération (FING) raconte par exemple qu’il a rencontré des élèves designers, disposant d’outils plus perfectionnés dans leur école, qui se rendaient dans un FabLab parce qu’on n’y était pas qu’entre designers.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le deuxième atelier a été ouvert en Norvège au-delà du cercle polaire, où les éleveurs de rennes avaient besoin de puces GPS bon marché pour localiser leurs animaux. Ce genre de besoins avec des enjeux très locaux, ne sont couverts ni par l’artisanat parce que trop techniques, ni par l’industrie parce que trop ponctuels et probablement non rentables. Gershenfeld a d’ailleurs obtenu une bourse de la National Science Foundation (NSF) pour organiser un réseau de FabLabs dans les pays du Sud : au Ghana (vidéo, en), pour fabriquer des filtres à eau, en Afghanistan pour reconstituer un réseau de télécommunications après la guerre, en Inde pour des instrument de diagnostics pour les moteurs de tracteurs, etc.

Il ne s’agit pas que d’une industrie du pauvre ou d’un mouvement de contestation du consumérisme. Chaque FabLab créé depuis que le réseau est lancé oriente son projet, lui donne une coloration: l’un plus artistique – le remix, le détournement, le sample appliqué aux arts plastiques –, l’autre plus militant – la base se réapproprie les outils de production –, le troisième axé sur l’innovation ascendante – on abaisse la barrière à l’innovation, de la même façon que le Web a abaissé la barrière à l’expression publique – ou encore écologique – la récupération, le recyclage.

À lire la charte des FabLabs, le business n’est pas absent :

« Des activités commerciales peuvent être incubées dans les Fab Labs, mais elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent (…) bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès. » A côté des open days où ils laissent les machines à la disposition de tous contre la promesse de reverser les innovations et les modèles à la collectivité, certains FabLabs proposent des journées privées, où l’usage des machines est payant, mais qui permet de développer rapidement des prototypes brevetables et de trouver un modèle économique. Ce faisant, c’est le brevet et le copyright qui finance l’innovation ouverte.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

A l’occasion de Futur en Seine (du 17 au 26 juin), la FING monte un FabLab temporaire à la Cité des sciences (niveau -1, carrefour numérique) pour familiariser le grand public avec ce néo-artisanat. Pendant les week-ends, les membres de la Fondation proposeront des visites et feront tester la découpe laser. Le mercredi, ils organiseront un FabLab Kids pour les enfants du quartier (avec notamment des expériences de circuits bending, c’est-à-dire le détournement des circuits électroniques des jouets pour leur faire faire autre chose que ce pourquoi ils sont prévus. Ils accueilleront des « makers » résidents appelés à réaliser en public les projets qu’ils ont déposés pour le Unlimited Design Contest et mèneront des actions de sensibilisation pour les industriels et les pouvoirs publics.

À lire : Makers : Faire société et Makers : Refabriquer la société
À voir : la conférence TED de Neil Gershenfeld

Merci à Véronique Routin et Fabien Eychenne, pour leurs renseignements.

Billet initialement publié sur Le bac à sable de Vincent Truffy, sous le titre « Fabulous Fab(Labs) »

Image de RepRap Flickr CC Paternité illustir

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Obsolescence programmée : comment les entreprises entretiennent le cycle du jetable http://owni.fr/2011/05/01/obsolescence-programmee-comment-les-entreprises-entretiennent-le-cycle-du-jetable/ http://owni.fr/2011/05/01/obsolescence-programmee-comment-les-entreprises-entretiennent-le-cycle-du-jetable/#comments Sun, 01 May 2011 14:01:01 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=60399 Certains étudiants de la Sorbonne avaient pris l’habitude, comme leurs profs, d’aller faire recharger leurs cartouches d’encre dans cette petite boutique de la rue des Ecoles. Neutre, le magasin affichait des étalages de réservoirs « génériques » pour toutes les marques : Epson, Canon, HP, Brother… Mais la petite affaire a bien vite été confrontée à un problème de taille : parmi les nouveaux modèles, certains ne reconnaissaient QUE le matériel « propriétaire », reconnus par une signature matériel et une signature logicielle dans la puce. Quant aux petits malins qui voulaient réinjecter de l’encre avec une seringue dans les têtes d’impression, malheur à eux, la puce traquait le niveau. Mais, il faut comprendre les constructeurs : en obligeant leurs clients à revenir régulièrement acheter des cartouches, c’est 90% de leur chiffre d’affaires qu’elles garantissent ! Ce mécanisme qui enferme le consommateur dans un cycle perpétuel de renouvellement de matériel en lui fournissant des produits trop vite inutilisables ou irréparables a depuis quelques temps hérité d’une dénomination industrielle quasi mystique : l’obsolescence programmée.

Derrière ce terme abstrait se cache une somme de techniques industrielles et commerciales visant à un seul but : entretenir le cycle de consommation afin de faire tourner les usines et les flux de marchandises. Pour se faire, le plus simple reste encore de réduire le cycle de vie des objets par diverses options qui entretiennent des mécanismes nécessitant la recherche perpétuelle de la compression des coûts de mains d’oeuvre et un gaspillage considérable de ressources, que les actuelles tensions sur les matières premières accusent. Même si la méthode a devancé de beaucoup les « peaks » de prix sur les métaux rares et le cuivre.

Des ampoules jetables à l’iPad 2

Au lendemain de la Première guerre mondiale, c’est à la lumière du marché florissant des lampes à filaments que se conclut, avant même la signature du traité de Versailles, un accord entre les Alliés et l’Allemagne : le Hollandais Philips, l’Américain General Electric et l’Allemand Osram, ainsi que d’autres sociétés européennes et japonaises, s’accordent alors pour limiter la durée de vie de leurs ampoules et de maintenir leur prix élevé, sous l’égide du cartel Phoebus.

Mais c’est à la rencontre du taylorisme et de la crise que nait la possibilité (d’un point de vue technique) et la nécessité (d’un point de vue commercial) de stimuler le consommateur. Cité comme la première mention du terme « obsolescence programmée », un texte d’un certain Bernard London publié en 1932, évoqué dans le documentaire, pose ainsi le problème :

En un mot, les gens, pris d’un sentiment de peur ou d’hystérie, utilisent tout ce qu’ils possèdent plus qu’ils étaient habitués à le faire avant la dépression. Dans la période de prospérité qui précédait, le peuple américain ne continuait pas à utiliser chaque chose jusqu’à avoir totalement épuisé ses capacités. Ils remplaçaient les vieux objets par des neufs du fait de la mode ou de leur modernité. Ils se débarassaient de leurs vieilles maisons et de leurs vieilles automobiles bien avant qu’elles soient hors d’usage, se souciant à peine de savoir si elles étaient obsolète.

D’un point de vue industriel, il s’agit là d’atteindre un véritable Graal commercial : comment alimenter un marché déjà saturé ? Comment vendre des frigidaires, des voitures, des chaussures, quand tous les clients potentiels en sont déjà équipés ? Trois réponses s’offrent dès lors aux industriels :

  • la technologie : construire moins fiable, moins durable et non réparable.
  • le design : créer artificiellement, par un effet de mode, un effet de vieillissement prématuré en « démodant » les produits.
  • la législation : obtenir l’instauration de nouvelles exigences légales obligeant la « mise aux normes » par le renouvellement du produit.

Les trois méthodes ne sont pas toujours utilisées par les mêmes industries. Il est plus courant de trouver une obsolescence programmée d’ordre technologique dans des produits « blancs » (gros et petit électroménager) tandis que le vieillissement par le design et l’accélération de la succession des générations est devenu une spécialité des produits « gris » (ordinateurs, électronique domestique, etc.). Au croisement de ces deux méthodes, l’entreprise Apple a atteint une finesse remarquable : totalement propriétaire, les produits Mac sont très difficilement démontables (s’ils ne sont pas remis entre les mains du SAV maison, la garanti des MacBook saute ainsi automatiquement), ne disposent d’aucune interopérabilité (très difficile de changer de disque dur, de carte graphique ou d’optimiser les performances de l’objet, les pièces ne pouvant être fournies que par le constructeur lui-même) et font l’objet de mises à jour système et hardware très rapprochées.

Appuyées par de monstrueuses campagnes, obligeant les consommateurs « accros » à renouveler à des prix prohibitifs leurs téléphones, lecteurs MP3, etc., les produits Mac sont pourtant inscrit dans les mêmes circuits de production à bas coût de main d’oeuvre et matières premières bas de gamme. Leur sous traitant principal, Foxconn, voit une partie de la production de ses usines affublés des marques concurrents, tel que HP, Sony, Intel ou Dell.

Le «cartel des ascensoristes», ou l’obsolescence par la norme

Parmi les cas de « consommation forcée », le cas des ascenseurs se pose en exemple. Plaidant leur cause auprès de l’AFNOR, l’Association française des normes, les principaux fabricants de cabine (Thyssenkrupp, Koné, Otis et Schindler) ont ainsi profité de deux accidents mortels à Amiens et Strasbourg pour souffler leurs inquiétudes au ministre Gilles de Robien, qui donna son nom à une loi imposant un renouvellement massif du parc d’ascenseur pour raisons de sécurité à l’horizon 2013 et 2018. Coût total de cette mise aux normes ? 4 à 8 milliards d’euros pour tout le pays.

Or, selon un rapport de Ian Brossat, élu communiste de Paris, publié par le site Marianne2 en 2010, ledit chantier ne risque guère d’être profitable aux usagers : ce sont moins l’Etat initial des cabines qui est en cause que les défauts de maintenance, causés par la surcharge de travail des réparateurs. Défauts de maintenance à l’origine des deux incidents ayant motivés la loi de Robien…

Combinés, les effets sont pourtant bien ceux espérés : selon une enquête des Amis de la Terre et du Centre national d’information indépendante sur les déchets, malgré la saturation du marché des biens manufacturés en France depuis les années 1980, l’achat d’équipement électrique et électronique a été multiplié par 6 depuis le début des années 1990. Dans le même temps, d’après une enquête Que Choisir citée par ce rapport, la durée de vie du matériel « blanc » serait aujourd’hui en moyenne de 6 à 8/9 ans, contre 10 à 12 ans avant 2000.

Un mouvement général de valorisation de la consommation

Dernière pierre de cette arche, la durée des garanties est, depuis le début des années 2000, en chute libre. « Au cours de l’année passée, écrivait la journaliste Jane Spencer, du Wall Street Journal, la garantie des produits Dell Computer s’est effondrée de trois à un an. » Au même moment, les premiers iPod d’Apple inaugurait des durées d’assurance casse et réparation de 90 jours. Trois mois seulement. Permettant la réduction des coûts de main d’oeuvre par l’accès à d’incroyables réservoirs de travailleurs pauvres en Asie et en Afrique du Sud, la chute du Mur du Berlin a également permis de rendre jetable jusqu’au dernier bijou de technologie, faisant de la réparation un loisir d’écolo, de geek ou de nostalgiques des fers à souder.

Mais, derrière toutes les techniques, la « propagande » dans son sens premier d’influence des foules, reste le mécanisme le plus profond qui entretient, et légitime, le recours à ces méthodes aux conséquences écologiques et sociales catastrophiques. Plus que Bernard London, c’est chez Edward Bernays, père du marketing et de la communication politique moderne, qu’il faut trouver les véritables racines du consumérisme comme fait social total, au sens où il structure désormais nos représentations, nos pratiques sociales… et nos interactions humaines en général.

Dans un ouvrage paru en 1928, republié sous le titre Propaganda, ce Viennois sollicité par le président américain Woodrow Wilson pour convaincre les Américains d’entrer en guerre en 1917, raconte notamment comment il réussit à convaincre les femmes de fumer, pour le compte de la marque de cigarettes Lucky Strike. Perçu comme une activité masculine, la tabagie n’a gagné avec fierté le coeur des Américaines que quand Bernays eut l’idée de confier à quelques suffragettes des clopes de la marque, les invitant à provoquer leurs homologues masculins en tirant sur ces « Torchs of Freedom », « torche de la liberté ». Un renversant la représentation sociale et en prêtant de manière artificielle une dimension politique à un simple produit de consommation, il expérimentait un concept plus tard décodé par Noam Chomsky : la « fabrique du consentement ».

Avant même de s’insinuer dans le design industriel, parachèvement de la prise de pouvoir du marketing sur l’ingénierie, l’économie du non-durable est d’abord une construction sociale dont Victor Lebow, spécialiste de la distribution, théorisait le principe dans un article de 1955 selon une formule notamment citée dans le documentaire The Story of Stuff :

Notre économie surproductive [...] exige que nous érigions la consommation au rang de mode de vie, que nous convertissions l’achat et l’utilisation de biens au rang de rituel, que nous cherchions notre satisfaction spirituel, égotique dans la consommation… Il nous faut des objets consommés, consumés, remplacés et jetés à un rythme toujours plus rapide.

Sacralisée comme la preuve d’une vie productive et heureuse, la consommation permanente donne aux individus comme seuls objectifs l’accumulation et le remplacement de choses, plus ou moins glorifiées, polies par le design, au rang desquels le téléphone portable, la montre et la voiture deviennent le rosaire, le missel et l’icône. Des mécanismes qui, liés au plaisir de la destruction évoqué par Bernays, font fort penser à la « pulsion de mort », théorisée par Freud, et retrouvée par Gilles Dostaller et Bernard Maris dans les écrits de John Maynard Keynes.

Sauf qu’à l’époque, les deux économistes voyaient dans cette thèse une explication de la part maudite qui avait poussé le système à son autodestruction. Mais, au fond, rien n’oblige à faire de différence : les financiers, chefs d’entreprise et de grandes banques, ne sont que des consommateurs à une autre échelle. Et, à cette échelle là, on ne parle plus d’obsolescence programmée, mais de crises systémiques. Des crises qui, nous dit-on, sont nécessaires, elles aussi, à maintenir ce sacro-saint système.


Crédits photo : FlickR CC Siadhal ; George Eastman House ; MT23 ; Nicholas Marchildon

Retrouvez les autres articles de notre dossier sur l’obsolescence programmée: Réinjecter de la durée de vie dans la société du jetable, et “Prêt à jeter”, quand la nostalgie industrielle devient complotisme.

Image de une: CC Marion Boucharlat pour OWNI

[Mis à jour le jeudi 5 mai 2011 / 5è paragraphe]

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“Prêt à jeter”: quand la nostalgie industrielle devient complotisme http://owni.fr/2011/05/01/pret-a-jeter-quand-la-nostalgie-industrielle-devient-complotisme/ http://owni.fr/2011/05/01/pret-a-jeter-quand-la-nostalgie-industrielle-devient-complotisme/#comments Sun, 01 May 2011 12:00:13 +0000 Alexandre Delaigue (Econoclaste) http://owni.fr/?p=60260 Arte a récemment diffusé un documentaire intitulé « prêt à jeter », consacré à l’obsolescence programmée. Le documentaire a apparemment eu un grand succès public, et la critique l’a unanimement recommandé (Télérama-Le Monde-Le Figaro). Vous pouvez visionner le documentaire en vod en suivant ce lien, et pouvez (pour l’instant) le trouver sur youtube.

Comme il m’avait été recommandé par diverses personnes, je l’ai visionné. Ce documentaire est hélas d’une nullité intégrale. Parfois hilarant de bêtise, parfois nauséabond de complotisme, en tout cas, jamais informatif.

La durabilité, une qualité désirable… mais pas toujours prioritaire

« L’obsolescence programmée » est l’idée selon laquelle si les produits que vous achetez se dégradent rapidement (contrairement aux bons vieux produits inusables de nos grands-parents), ce n’est pas un hasard : c’est une machination ourdie par les entreprises industrielles, qui ont trouvé là un moyen de nous obliger à racheter régulièrement leurs produits. C’est une de ces idées qui tient une bonne place dans la conscience populaire, mais qui ne convainc guère les économistes, pour plusieurs raisons.

La première, c’est que l’idée du: « c’était mieux avant, tout était solide, maintenant on ne fait plus que des produits de mauvaise qualité qui s’usent vite » est tellement intemporelle qu’on se demande bien quel a été cet âge d’or durant lequel on faisait des produits durables.

(à l’époque de ma grand-mère bien entendu : sauf qu’à son époque, elle disait aussi que les produits de sa grand-mère étaient plus solides). Il y a là un biais de perception, le « biais de survie » : vous avez peut-être déjà vu un frigo des années 50 en état de fonctionnement (j’en connais un, pour ma part); vous n’avez certainement jamais vu les dizaines de milliers de frigos des années 50 qui sont tombés en panne et ont terminé à la décharge. Nous avons par ailleurs tendance à idéaliser le passé : je suis par exemple toujours très étonné par les fanatiques qui me racontent, des trémolos dans la voix, à quel point la 2CV Citroen était une voiture « increvable ». Dans celle de mes parents, il fallait changer les plaquettes de frein tous les 10 000 km, le pot d’échappement tous les 20 000, et elle était tellement attaquée par la corrosion (au bout de deux ans) que dès qu’il pleuvait, on avait le pantalon inondé par une eau noirâtre et gluante. Je préfère de très loin les voitures actuelles et leurs pannes d’électronique récurrentes.

Mais il n’y a pas que ces biais de survie et d’idéalisation du passé. Si les économistes sont sceptiques vis à vis de l’obsolescence programmée, c’est que cette stratégie apparemment subtile n’a en réalité aucun sens. Prenons un exemple utilisé dans le documentaire, celui des collants féminins qui filent très vite, au point qu’il faut les changer toutes les deux semaines. Si un collant coûte 4€ et dure deux semaines, à l’issue desquelles les clientes en rachètent un, elles montrent à l’entreprise qu’elles sont disposées à dépenser 104€ par an en collants. Or, fabriquer un collant très solide coûte peut-être un peu plus cher à l’entreprise, mais certainement pas autant que de fabriquer 26 collants vendus 104 euros. Elle pourrait donc réaliser un profit largement supérieur, en vendant par exemple un collant garanti un an (avec remplacement gratuit s’il se file entretemps, pour rassurer les clientes) pour une centaine d’euros.

Bien sûr les choses ne sont pas si simples, et en pratique, beaucoup des produits que nous achetons ne sont pas particulièrement durables. Il peut y avoir deux raisons à cela. La première tient aux contraintes de la production. La durabilité est une qualité désirable; mais il y a d’autres, nombreuses qualités désirables, comme un faible coût de production, ou des caractéristiques spécifiques. Pour rester sur l’exemple des collants, on a supposé au dessus que faire un collant de durée de vie d’un an ne coûte pas cher. Ce n’est pas certain : si faire 26 collants durant deux semaines coûte au total moins cher qu’un seul collant durant un an, alors, il est préférable de fabriquer les produits moins durables – et les consommatrices soucieuses de leur pouvoir d’achat pourront préférer ceux-ci. Si pour que les collants soient durables, il faut qu’ils aient l’apparence de bas de contention, je connais beaucoup de femmes qui préféreront d’autres modèles moins solides.

Un fer à vapeur sous pression est moins durable que le vénérable fer en fonte qui ornait la cuisinière de mon arrière-grand mère; faire passer de la vapeur sous pression dans des pièces métalliques provoque une usure bien plus rapide. Il est aussi nettement plus pratique à utiliser. Une poele recouverte de téflon est moins durable qu’une casserole en cuivre massif; elle est aussi moins coûteuse, et bien plus commode. Comme nous sommes des enfants gâtés par la société de consommation, nous voudrions que tout soit à la fois durable, esthétique, pratique, et peu cher. A la fin du 19ième siècle, les marines européennes avaient cherché à produire des bâtiments de guerre à la fois rapides, dotés d’une énorme puissance de feu, et d’un gros blindage. Mais qui dit blindage et armements dit poids élevé, ce qui nuit à la manoeuvrabilité et à la vitesse. Tout problème d’ingénierie nécessite d’optimiser entre différentes qualités incompatibles. Bien souvent, la réparabilité ou la durabilité passent au second plan, derrière d’autres qualités, comme le prix. Produire en grande série standardisée permet de réduire considérablement les coûts; réparer est un artisanat qui coûte très cher, parce que dans nos pays développés le travail coûte cher.

A côté de produits peu durables, il est également possible de trouver des produits très durables, mais chers. Un costume sur mesure fait chez un tailleur sera plus beau, conçu avec des tissus de bien meilleure qualité que le bas de gamme que vous trouverez dans le premier magasin venu: il sera aussi beaucoup plus cher. Certaines marques ont fait de la durée de vie élevée leur principal argument commercial (briquets Zippo garantis à vie, piles Duracell et leur lapin qui dure longtemps, voitures japonaises ou coréennes garanties 5 ans, chaussures Church qui durent toute une vie…) ce qui montre que faire des produits à longue durée de vie n’est certainement pas rédhibitoire pour les profits, bien au contraire. Simplement, la durée de vie n’est pas l’unique qualité désirable dans un produit.

Et cette optimisation entre des qualités concurrentes rencontre les aspirations, elles-mêmes variées, des consommateurs. Une observation modérée de mes semblables de sexe féminin m’a ainsi permis de constater que nombre d’entre elles changent très régulièrement de tenue vestimentaire, et qu’elles semblent y attacher beaucoup d’importance. Dès lors, il ne me semble pas absurde d’envisager qu’elles préfèrent acheter 26 paires de collants dans l’année – ce qui permet d’en avoir des différentes – plutôt que de porter toujours les mêmes à longueur d’année. Ce sont peut-être des dindes écervelées qui ont le cerveau lavé par la presse féminine et les diktats de la mode; plus probablement, elles font de leur tenue vestimentaire une façon de manifester leur goût et leur charme.

La mode : une obsolescence programmée… consentie par les consommateurs

Et c’est la seconde raison qui explique pourquoi les produits ne sont pas toujours très durables; soumis au choix entre des produits durables et des produits rapidement obsolètes, nous avons souvent tendance à préférer les seconds. Nous aimons la variété et la nouveauté. Consommer n’est pas seulement satisfaire un besoin utilitaire; c’est aussi une source de satisfaction, de démonstration de diverses qualités personnelles à notre entourage. On peut qualifier ces sentiments de frivoles, se moquer de ces gens qui vont se ruer sur un Ipad 2 dont ils n’ont rien à faire ; mais constater aussi que les sociétés qui ont voulu substituer à ces caractéristiques humaines la stricte austérité (ha, le col Mao pour tout le monde) n’étaient pas particulièrement respectueuses des libertés, ou de la vie humaine. Et noter que jamais personne ne vous a obligé à acheter quoi que ce soit. Il y a évidemment une pression sociale; et parce que le marché ne peut pas toujours satisfaire tout le monde, nous sommes obligés parfois de nous conformer aux modes de consommation de la majorité, à contrecœur.

Comme vous le voyez, il y aurait largement de quoi nourrir un excellent documentaire, instructif, autour de la question de la durée de vie des produits. Hélas, vous ne trouverez strictement rien de tout cela dans le documentaire d’Arte.

Le documentaire commence par un vieux canard qui ressort à intervalles réguliers : les ampoules électriques. Dans les années 20, un cartel entre producteurs d’ampoules aurait cyniquement établi une entente pour réduire la durée de vie des ampoules électriques à 1000 heures de fonctionnement, alors qu’auparavant, il n’était pas rare de fabriquer des ampoules de durée de vie largement supérieure. Un cartel, voilà qui éveille tout de suite l’attention de l’économiste. Comment fonctionnait-il? Comment empêchait-ils ses membres d’adopter un comportement opportuniste (par exemple, en vendant des ampoules de plus longue durée que les autres, ou des ampoules moins chères)? Le documentaire est muet sur cette question. Tout au plus est-il question d’amendes pour les membres fautifs et de « partage de technologies ». Et d’interminables minutes sur un bâtiment public au fin fond des USA dans lequel une ampoule brille sans discontinuer depuis un siècle, d’une lueur un peu pâlotte, mais qui fait l’admiration des habitants qui organisent des fêtes anniversaire de l’ampoule (on se distrait comme on peut).

Un commentateur chez Aliocha permet de trouver la clé du mystère. Concevoir une ampoule électrique est un problème d’optimisation entre diverses qualités : la luminosité, la consommation, la durée de vie, la couleur. On pourrait ajouter qu’il y a de nombreux problèmes de standardisation : les culots d’ampoule doivent être identiques pour pouvoir passer d’une marque à l’autre; les couleurs doivent être identiques (un lustre avec des ampoules de luminosité différente est très laid et inconfortable, comme chacun peut le constater depuis que le Grenelle de l’environnement nous impose des ampoules à basse consommation qui n’éclairent pas), etc. Il n’est donc pas absurde que les entreprises du secteur aient coopéré pour établir des normes.

Mais comme on le sait depuis Adam Smith, des gens du même métier se rencontrent rarement sans que cela ne se termine par une conversation sur les moyens d’augmenter les prix; et le cartel en question, en plus d’établir des normes, a aussi réparti les zones géographiques entre producteurs, afin de s’assurer à chacun de confortables rentes de monopoles. Le cartel en question a donc fait l’objet de sanctions des autorités antitrust; on peut noter que si le rapport sanctionne les accords sur les prix, il montre que la durée de vie de 1000 heures est un compromis technique entre diverses qualités, et pas une tentative pour escroquer les consommateurs. Une information que bien entendu, le documentaire n’évoque pas.

Complotisme et nostalgie soviétique…

Poussant vers les années 30, le documentaire nous fait le portrait d’un Américain, Bernard London, présenté comme le « père spirituel » de l’obsolescence programmée, pour avoir écrit un pamphlet en 1932 intitulé « sortir de la crise par l’obsolescence programmée ». La lecture de ce document, en fait, n’indique rien sur l’opportunité d’une stratégie des entreprises pour inciter les consommateurs à remplacer leurs produits; la préconisation de l’auteur est celle d’une vaste prime à la casse obligatoire, portant sur tous les produits manufacturés, l’Etat rachetant de façon obligatoire tous les produits à partir d’une certaine durée prévue à l’avance. Une idée économique stupide, mais dans le désarroi provoqué par la déflation et 25% de chômeurs en 1932, celles-ci étaient légion. Alors qu’un quart de la population américaine ne parvenait pas à se nourrir, le gouvernement américain payait les fermiers pour qu’ils abattent leurs troupeaux de vaches, afin de faire remonter le prix du lait. Nous savons aujourd’hui qu’il suffisait de sortir de l’étalon-or et d’appliquer une politique monétaire non-suicidaire pour se sortir de la crise; à l’époque, on ne le savait pas, et on assistait au grand concours des idées farfelues. Nous n’avons pas tellement changé, mais nous avons moins d’excuses.

Surtout, après de longues minutes à interviewer la fille de l’associé du Bernard London en question, le documentaire nous explique que ses brillantes idées n’ont jamais été appliquées, ce qui conduit à se demander pourquoi diable on nous en a parlé. Surtout, pourquoi le documentaire insiste aussi lourdement sur le fait que Bernard London était juif, pour conclure mystérieusement sur « nous ne saurons jamais s’il voulait aider les gens ou simplement faire du profit ». C’est vrai, quoi, les juifs, ils ont toujours des arrière-pensées; Et puis, une bonne théorie du complot qui n’a pas son juif de service ne sera jamais totalement satisfaisante. (22ème à la 25ème minute).

Poursuivant dans les années 50, le documentaire nous montre les débuts de la société de consommation, plaçant l’obsolescence programmée au coeur du système. Il montre une école de design dans laquelle on explique aux étudiants que les produits n’ont pas forcément vocation à être durables (ce qui, si vous avez lu ce qui précède, tombe sous le sens : c’est le métier de designer que de concevoir des produits qui optimisent les différentes caractéristiques) pour s’indigner de ce comportement « non éthique ». Les designers sont opposés aux ingénieurs, que l’on présente comme scandalisés parce qu’on les obligeait à concevoir des produits moins durables que ce qu’ils auraient pu faire.

Ce passage m’a irrésistiblement rappelé cette phrase de J.M. Folz, ancien PDG de Peugeot, qui a déclaré un jour “qu’il y a trois façons de se ruiner : le jeu, les femmes et les ingénieurs. Les deux premières sont les plus agréables, la troisième est la plus sûre”. Il entendait par là que ce que les ingénieurs aiment concevoir n’est pas toujours ce que les clients désirent, et qu’à trop suivre les ingénieurs, on finit par faire des produits hors de prix et qui n’intéressent pas les clients (ayant dirigé Citroen, il savait de quoi il parlait). Etant donnée la mentalité des ingénieurs dans les années 50, il est fort probable qu’ils n’ont pas apprécié de perdre une partie de leur pouvoir dans les grandes entreprises industrielles au profit des services de design et de marketing, et regretté de ne plus pouvoir fabriquer ce qui leur plaisait. Il est certain que tout le monde, consommateurs et entreprises, y a gagné.

C’est vers la 45ème minute que le reportage nous offre son plus beau moment surréaliste. C’est qu’il y avait une alternative à la consommation jetable caractéristique de nos sociétés modernes; elle se trouvait derrière le rideau de fer. Là bas, on trouvait des ingénieurs soucieux de produire de la qualité, des produits éternels. Une entreprise d’électricité est-allemande avait même conçu une ampoule électrique de bien plus longue durée que ce que l’on trouvait à l’Ouest; dans le bloc communiste, on produisait pour durer. J’ai eu du mal à réprimer mon hilarité, me souvenant des multiples blagues de la RDA, dont les habitants ne manquaient pas de moquer la piètre qualité de leur production nationale (vous savez comment doubler la valeur de revente d’une Trabant ? En faisant le plein). Je me souviens aussi que la meilleure façon de faire pleurer un habitant des pays de l’Est, à l’époque, était de lui faire visiter un supermarché occidental (expérience vécue). Etrangement d’ailleurs, lorsque le rideau de fer est tombé, la première chose que les allemands de l’Est ont faite a été de se ruer sur les biens de consommation fabriqués à l’Ouest; l’horrible société consumériste leur semblait manifestement plus attrayante que leurs propres produits. Quant aux usines Est-Allemandes, elles étaient tellement efficaces qu’elles ont toutes dû fermer. Le documentaire suggère à demi-mot que les industriels de l’Ouest ont voulu se débarrasser de ces compétiteurs redoutables, peu au fait du grand complot pour obliger les consommateurs à acheter sans cesse.

A ce stade, on se demande s’il faut rire ou pleurer face à ce spectacle lamentable. Le reportage se termine sur les problèmes de durée de vie des premiers Ipods, dont la batterie (impossible à changer) avait fâcheusement tendance à tomber en rade au bout de 18 mois de fonctionnement. Là encore, aucune autre explication qu’un sinistre complot pour exploiter le consommateur n’est fournie. Il est fort possible qu’Apple ait négligé la durée de vie au profit du design et de contraintes de fabrication; ils sont coutumiers du fait, mais les acheteurs de produits Apple semblent vouloir obstinément acheter leurs produits hors de prix, mais tellement jolis. Le principal plaignant, après qu’une avocate lui ait fait bénéficier d’un système judiciaire américain toujours prêt à faire payer des indemnités par les grandes entreprises pour tout et n’importe quoi, ne s’est d’ailleurs pas privé de se racheter un Macbook à 2000 dollars par la suite (son cerveau ayant été probablement lavé pour qu’il ne voie pas les ordinateurs portables concurrents, vendus deux fois moins cher et avec des batteries amovibles).

Convertir les mécréants plutôt qu’informer

Le fil rouge du reportage se termine – un Espagnol ayant essayé, très difficilement, de réparer son imprimante à jet d’encre parce qu’il ne voulait pas en changer, suivant les conseils des vendeurs lui suggérant plutôt d’en acheter une neuve pour une trentaine d’euros. Sa situation est mise en abîme avec celle du Ghana, qui reçoit par containers entiers du matériel informatique jeté dans les pays développés. Le documentaire insiste lourdement sur le parallèle entre ces Africains sages qui ne gaspillent pas, par opposition à ces Occidentaux gaspilleurs qui mettent leur matériel à la poubelle à la moindre occasion. Là encore, l’explication économique est simple. Comme le montre l’exemple de l’Espagnol essayant de réparer son imprimante, réparer certains matériels consomme énormément de temps; au Ghana, récupérer des choses utilisables dans le matériel informatique jeté prend aussi énormément de temps de travail, occupant des familles entières sur des décharges. cela ne représente aucune sagesse africaine particulière; dans nos pays développés, les produits fabriqués en grande série ne coûtent pas cher, parce que nous disposons d’un immense capital productif ; par contre, le travail est très cher. La situation est inverse dans les pays en développement. Résultat? Chez nous il est bien moins coûteux de racheter du matériel neuf que de consacrer du temps de travail à le réparer. Au Ghana, le travail est abondant et ne coûte (et ne rapporte) presque rien. Le documentaire se garde bien de demander à ces gens qui passent leurs journées à farfouiller dans des ordures quelle existence ils préféreraient : la réponse n’aurait pas cadré avec le ton général.

A la fin de ce document manipulateur, complotiste, qui n’explique rien, on se demande comment on en arrive à réaliser une chose pareille. L’explication est en filigrane dans le document, qui nous montre avec des trémolos dans la voix off des conférences sur la décroissance, et qui donne la part belle à Serge Latouche, le grand prêtre du mouvement. On comprend alors que nous ne sommes pas face à une entreprise d’information, mais à uneentreprise de morale, selon le concept défini par le sociologue Howard Becker. Le but du documentaire n’est pas d’informer, mais de convertir les mécréants. C’est ce qui conduit la réalisatrice à nous vanter les collants indestructibles, sans une seconde confronter son propre comportement de consommatrice à son discours.

Ce qui est plus étonnant, c’est de voir l’unanimité de la critique journalistique et des responsables d’Arte, qui ont gobé sans sourciller et applaudi à un documentaire qui est une énorme faute professionnelle. De journalistes, de documentaristes, on attend qu’ils nous informent de la façon la plus intègre possible. Que l’objectivité absolue soit impossible à atteindre, soit; mais elle est le standard d’éthique professionnelle qui devrait guider ceux qui nous informent. A préférer les entreprises de morale aux entreprises d’information, il est à craindre que la profession journalistique soit en bonne voie d’obsolescence programmée.

Article publié initialement sur le blog Econoclaste sour le titre “Le mythe de l’obsolescence programmée”


Crédits photo: Flickr CC Audric Leperdi, mamasuco, micmol, Mathieu Lacote, Serban Dumitrescu.

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Réinjecter de la durée de vie dans la société du jetable http://owni.fr/2011/05/01/reinjecter-de-la-duree-de-vie-dans-la-societe-du-jetable/ http://owni.fr/2011/05/01/reinjecter-de-la-duree-de-vie-dans-la-societe-du-jetable/#comments Sun, 01 May 2011 11:00:36 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=60364

Sans connaître le terme [d’obsolescence programmée], je me suis rendu compte à 16 ans que la qualité des produits régressait, et ce, dans tous les secteurs.

Se souvient Yohann Gouffé, un chargé de communication sur le développement durable à la mairie de Saint-Mandrier (Var). “Obsolescence programmée”, une expression barbare pas forcément évocatrice mais pourtant inhérente à notre vie quotidienne. L’idée est simple : concevoir des produits plus fragiles permet d’accélérer leur renouvellement, faisant ainsi augmenter les ventes. Le procédé n’est pas neuf mais a cependant connu une accélération au cours des deux dernières décennies avec la complexification de l’électronique dans les produits de tous les jours. Un mouvement contre lequel Yohann, parmi d’autres citoyens inquiets, cherche à trouver des parades.

Un forum pour partager des solutions pour étendre la durée de vie des objets

Si la logique de l’obsolescence programmée pouvait avoir sa pertinence dans l’Amérique sinistrée des années 1930, où elle a été popularisée, elle est devenue beaucoup plus problématique en ce début de XXIème siècle. Dans un monde aux capacités limitées, elle accapare des ressources considérables. Et la surconsommation qui en découle génère des montagnes de déchets qui iront s’accumuler sur des terrains vagues au Ghana, au Sénégal, en Inde,…

Après la visionnage de l’excellent documentaire Prêt à Jeter sur Arte en février dernier, Yohann se précipite sur Internet pour chercher des informations supplémentaires. Constatant la rareté de données sur l’obsolescence programmée, il décide de créer le premier forum sur le sujet. Dans cet espace, les utilisateurs sont invités à recenser les appareils douteux et à échanger les astuces pour les faire remarcher. Lave-vaisselle, onduleur, machine à pain…les produits y sont passés au crible.

La société, en quête d’une constante croissance économique, nous conditionne partout et à longueur de journée à consommer toujours plus, et l’obsolescence programmée des produits, que nous achetons sans réfléchir à l’impact environnemental, y contribue.

Avec l’aide des internautes, il catalogue d’ailleurs les produits avares d’énergie et aisément réparables, du fer à repasser démontable à la machine à expresso manuelle.

Dans le processus d’obsolescence programmée, l’attitude du consommateur est cruciale.

Il faut arrêter de vivre et de consommer pour plaire ou se faire accepter d’autrui, analyse Yohann. Personnellement, je n’éprouve aucunement le besoin de suivre la mode ou de parader avec le dernier modèle sorti sur le marché.

L’obsolescence peut être technique certes mais également psychologique, c’est le constat que partage Marine Fabre, membre des Amis de la Terre et auteur d’un rapport sur le sujet. Pour ce dernier, elle est allée à la rencontre des distributeurs d’électroménager. Si leur première réaction a été de dénoncer “la théorie du complot”, ils ont fini par avancer que l’obsolescence “est surtout du fait des consommateurs qui poussent la consommation technologique et veulent toujours le produit dernier cri”. “La volonté d’avoir le dernier produit en date est en grosse partie suscitée par le marketing”, soutient cependant Marine.

Réemploi, durabilité et partage

Avec les Amis de la Terre, Marine a contribué à l’élaboration du site Produits Pour La Vie qui vise à informer les consommateurs et à leur proposer des alternatives. Avec une équipe de bénévoles, elle travaille actuellement à des “Guides du Réemploi” pour Paris et le Val-d’Oise. Le but : donner accès au citoyen à des bases de données lui indiquant où faire réparer quel type de produit, où faire du troc, où louer un objet pour un besoin ponctuel… “Ta perceuse tu en as besoin peut-être deux fois dans ta vie alors plutôt que d’en acheter une, pourquoi ne pas la louer ou la partager?”, explique-t-elle.

Réemployer plutôt que de jeter, un bon moyen de contourner le système mais généralement peu pratiqué. Selon une étude de l’ADEME, près d’un objet sur deux qui tombe en panne n’est pas réparé alors même que 83% des Français disent être sensibles à l’intérêt écologique de ce geste. « Il semble plus facile d’acheter que de faire réparer » avance Dieter Becker, coordinateur de la Recyclerie du Rouergue.

Située sur la route de la déchèterie de Villefranche (Aveyron), sa Recyclerie fait partie du réseau des Ressourceries, un ensemble de structures spécialisées dans le réemploi des déchets. “On reçoit pas mal de [l’électroménager] blanc, les gens veulent plus de technicité, plus de commodité. Certains appareils qu’on a sont jolis sauf qu’en termes de consommation…”, explique Dieter. Depuis 2006, sa Recyclerie collecte des produits usagés, les remet en état de marche et les valorise afin de les revendre derrière. “Avec trois machines, on peut en faire une”, assure le coordinateur. Le concept et les prix attractifs et semblent assurer un succès croissant à la Recyclerie : en 2010, 60 tonnes y ont été apportées, près de 30 en sont ressorties.

Il est aussi possible, plutôt que de faire l’acquisition d’un nouveau modèle, de se procurer un produit par des voies parallèles. “On ne jette rien, on redonne les choses, ainsi on n’a pas besoin de racheter systématiquement”, confie Mireille Legendre, la présidente d’un Système d’Échange Local (SEL) à Montreuil (Ile-de-France).

Développés dans les années 1980 en Amérique du Nord et arrivés en France en 1994, les SEL donnent une nouvelle vie aux produits dont on souhaite se séparer. Inscrits en marge de l’économie classique, ils permettent l’échange de produits ou de prestations entre les citoyens sans recourir à l’argent. Plus de quatre-vingt personnes, de Montreuil et ses environs, viennent apporter leur contribution au SEL créé par Mireille en 1999. Chacun y met ce qu’il peut : service, savoir ou bien. Ici la monnaie n’a pas cours, on calcule en ”unités”. Par exemple, une heure passée à aider pour le jardinage rapportera 60 unités, unités qui pourront être utilisées pour acquérir un objet mis à la disposition du SEL. Le “prix” d’un bien est laissé à la discrétion de son propriétaire d’origine. “Les biens qui sont mis ici sont variables : cela peut être de l’alimentation, du mobilier ou encore de l’électroménager”, explique la présidente. Près de 400 organisations similaires sont recensées sur le territoire français, et de nombreuses autres existent à l’étranger (Belgique, Canada, Suisse…).

Mettre en commun pour consommer moins

Aude Ménigoz-Kirchner a trouvé une autre alternative à la surconsommation : mettre en commun les biens. C’est la conclusion qu’a atteint, au fil des années, ce médecin scolaire de Besançon (Doubs) :

Chacun prend conscience à son rythme, la crise économique a peut-être aidé certains. Moi j’y suis arrivée progressivement, un peu par mon fils qui est dans la décroissance, un peu par des amis.

Depuis quelques années, au sein de l’association Habiter Autrement à Besançon, elle participe à l’établissement d’un habitat coopératif, un ensemble écologique et solidaire. Mais si l’habitat coopératif connaît un regain d’intérêt en France ces dernières années, en périphérie ou à l’extérieur des villes, la mutualisation des biens n’y est pas forcément mise en oeuvre et reste avant tout un choix au cas-par-cas. Avec 15 autres foyers, pour l’heure, Aude a choisi le terrain de construction et envisage l’emménagement dans les trois ans. “Pour nous, ce qui est important c’est la mutualisation des surfaces et des biens. Le but est le bien vivre-ensemble”, explique-t-elle.

Des pièces communes seraient ainsi prévues : buanderie, grande salle avec cuisine, chambres d’amis… “Ce qui sera mis en commun dépend un peu de chacun : ça peut aussi bien être des ateliers de bricolage que des livres ou encore des automobiles”, dit Aude. Elle compte bien mettre sa voiture, pourtant nécessaire à ses tournées, à la disposition de la communauté dès que possible afin de limiter le nombre de véhicules par foyer.

“L’obsolescence programmée est inhérente au système, c’est le bras armé de la croissance”, lâche Stéphane Madelaine avec un sourire. En tant que professeur de sciences industrielles pour l’ingénieur au Havre (Seine Maritime), il certifie l’existence de l’obsolescence programmée et regrette le manque de discussion autour : “Dans le cahier des charges de tout produit il faut mettre une durée de vie, il y a donc bien une décision qui est prise”. Pour ce membre du Parti pour la Décroissance, « la croissance pour la croissance” est un concept “complètement absurde ». Stéphane milite pour un tournant abrupt :

Il faut que le consommateur se réapproprie son mode de vie. Nous ne sommes pas des moutons qui subissons tout, il y a plein de moyens de s’exprimer ou de changer le monde.

“La crise amène à repenser certains modes de consommation. Elle a poussé beaucoup de gens à s’interroger pour savoir s’il n’y avait pas une autre voie”, explique Christophe Ondet, le secrétaire national du Parti pour la Décroissance. Selon lui, il est vital de sortir du paradigme de la croissance et du travail, réhabiliter l’humain derrière l’économie. “A quoi ça sert d’avoir un emploi derrière un guichet si c’est pour y être malheureux ?”, interroge-t-il. Mais le changement, dit-il, doit d’abord se manifester dans des comportements individuels, des regroupements de citoyens, une volonté provenant de la base. Et de marteler :

Ça partira du citoyen ou ça ne partira pas.

Même s’il confesse ne pas avoir de “programme clé en main” à proposer, il voit une solution simple à la surconsommation : la sobriété. À chaque citoyen de décider de la marche à suivre, de faire ses propres choix en matière de consommation. “Personnellement, confie Christophe, je ne consomme pas plus que ce dont j’ai besoin. Je ne rêve pas de passer le samedi dans les centres commerciaux.”

Photos: Flickr CC Toban Black / Chantel Williams / Andy Herd / Peter Blanchard.

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