OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mesure ta pollution http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/ http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/#comments Mon, 26 Nov 2012 12:06:38 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=126646

Citoyens capteurs - Photo CC bync Pierre Metivier

À peine arrivé à la table matinale de ce café parisien, Gabriel Dulac sort son tournevis pour offrir au regard le contenu du capteur citoyen de qualité de l’air. À l’intérieur de cette espèce de boîtier gris EDF, gros comme une boîte à sucre, le strict minimum vital : un mini ordinateur, deux capteurs, une batterie et une clef 3G pour transmettre les données. Le tout en “full open hardware”, terme que répète avec méthode Olivier Blondeau, docteur à Sciences Po : “présenter l’objet ouvert fait partie de notre démarche”. Né de la rencontre de ce duo de Labo citoyen et de l’association Respire, le projet Citoyens capteurs vise à rendre abordable pour 200 euros un système fiable de relevé de la qualité de l’air, avec plans et données en format open source.

L’idée de mesures à l’échelle citoyenne n’est pas inédite. Avec la catastrophe de Fukushima, la nécessité d’un réseau de capteurs complémentaire de celui des pouvoirs publics (dépassés par les besoins d’information sur l’étendue des dégâts radiologiques) a amené à la constitution de toute une infrastructure associative de recueil des taux de radioactivité, le réseau Safecast. Une idée qui avait déjà été celle de la Criirad en France et pour le même indicateur.

Expertise

Lancé sur le champ de la mesure de qualité de l’air, Labo citoyen et Respire ont également pu s’inspirer d’autres initiatives ayant défriché le terrain des capteurs à bas coût et de la mise à disposition de données, comme AirQualityEgg.

Mais si la mesure de radioactivité ne nécessite que le recueil d’une variable (le nombre de désintégrations de noyaux radioactifs, exprimé en Becquerel), celle de la qualité de l’air porte sur une quantité de composantes : ozone (O3), particules fines et dioxyde d’azote, pour ne citer que les seuils clés. Or, pour rendre les données recueillies comparables à celles des organismes reconnus, le capteur citoyen de qualité de l’air se devait de répondre aux normes admises et donc d’aligner une haute qualité de mesure. Une expertise disponible uniquement chez les organismes eux-mêmes, ce qui a amené Gabriel à discuter directement avec AirParif :

En deux heures de discussion, nous avons gagné cinq mois d’expertise. Au départ, nous mesurions les microparticules en volume, sauf que le seuil est en poids et que la densité peut varier du tout au tout au moindre changement de température.

Si AirParif refuse l’idée d’un “label”, l’association agréée de mesure de qualité de l’air parisien a ouvert ses labos aux prototypes de capteurs citoyens, suivant une démarche détaillée par sa directrice de la communication Karine Léger :

Cette initiative s’inscrit pour nous dans la continuité de notre mission : en complément de notre réseau de soixante capteurs en Île-de-France, placés dans des zones représentatives, nous souhaitons obtenir des mesures dans les zones d’exposition des gens. Depuis 2006, nous avons déjà fait des tests dans les habitacles des automobiles, dans les transports en commun (ou avec des tubes tests) sur des citoyens volontaires tout au long de la journée. À chaque fois, il s’agissait de versions réduites de nos capteurs principaux. Nous opérons un échange d’expertise scientifique sur les capteurs citoyens afin qu’ils puissent produire des données qui complètent les nôtres.

En pratique, les capteurs d’AirParif sont disposés dans des endroits représentatifs, permettant d’élargir la mesure par des outils de modélisation. Carrefour d’Alésia, dans le XIVe arrondissement, un capteur mesure ainsi les émission sur un “grand rond-point congestionné de Paris” tandis que, le long du boulevard périphérique, deux points de mesure évaluent la qualité de l’air à la frontière de la capitale.

Anti-Linky

La démarche des citoyens capteurs n’est cependant pas strictement scientifique. Derrière le concept de “full open hardware”, le projet tout entier s’inscrit dans une logique d’ouverture à la réappropriation et à la contribution citoyenne : chaque pièce (du mini ordinateur Rapsberry Pi aux outils de mesure) est listé sur le wiki [en], le code de la base de données recueillant les mesures est disponible sur le réseau social Github… Et le tout en licence ouverte et réutilisable. Une démarche d’ouverture totale du dispositif que Labo citoyen et Respire souhaitent accompagner mêlant formation technique, exposé médical sur les dangers de la pollution atmosphérique et initiation à la chimie de l’air urbain.

Nous sommes dans l’anti-Linky, ironise Olivier Blondeau. EDF nous propose un boîtier fermé, dans lequel personne ne sait ce qu’il y a et qui communique des informations qui vous concernent mais uniquement à EDF. Là, tout est ouvert et disponible pour l’amélioration et la réappropriation.

L’interprétation même des données est laissée à l’imagination et aux besoins des utilisateurs. Chercheuse à l’université Paris-III en Sciences de la communication et associée au projet, Laurence Allard inscrit cette démarche dans une réappropriation politique de l’objet à rebours du transhumanisme :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Chacun peut mettre en scène les données à sa guise : pour une manifestation, nous avions fixé un haut-parleur qui hurlait les résultats, pour une autre, un téléscripteur qui les crachait comme un sismographe… Nous ne sommes pas dans une machinisation des humains mais dans un outillage de l’homme par la machine. Il ne s’agit pas d’un objet mais d’une expertise embarquée qui vise à donner à chaque citoyen une capacité d’empowerment) politique grâce à l’Internet des objets.

Bottom-up

Dans la perspective d’un déploiement plus large, l’ingénieur de la bande a déjà prévu de permettre aux capteurs de communiquer entre eux, “qu’ils puissent s’étalonner, prévenir d’une panne, relayer une batterie faible…” énumère Gabriel Dulac.

Pour assurer l’accessibilité des capteurs aux associations, le coût reste une contrainte-clé et justifie, à lui seul, le recours au do-it-yourself : un seul boîtier AirParif, produit de qualité industrielle, est facturé 10 000 euros. Aux yeux de Sébastien Vray, président de l’association Respire, le potentiel d’empowerment est considérable :

Aujourd’hui, les associations de surveillance de la qualité de l’air (Asca) produisent des données fiables mais sur des échantillons très étroits : une batterie de station de fond, éloignée du trafic, et des batteries de proximité, plongées dans la circulation. Avec les capteurs citoyens, la possibilité serait offerte de produire une véritable information bottom-up sur la qualité de l’air : placer des capteurs dans des poussettes, simuler des trajets ou, tout simplement, mettre des capteurs chez les “pauvres” pour pouvoir établir le lien entre précarité sociale et précarité environnementale.

L’OMS évalue à deux millions par an le nombre de décès prématurés liés à la dégradation de la qualité de l’air (30 000 en France) . Avec les capteurs bon marché, Respire espère donner aux associations de défense du cadre de vie les moyens d’argumenter sur les nuisances liées à la pollution de l’air. Pour héberger les premières données, Sébastien Vray vient d’inaugurer PollutionDeLAir.info, une des premières extensions du projet Capteurs citoyens qui lance ses sondes en direction d’autres défis offerts par les données environnementales : pollution sonore, pollution visuelle et qualité de l’eau.


“Citoyens capteurs”Photo CC [bync] Pierre Metivier. L’autre photo (sur fond vert) est issue du wiki mentionné dans l’article.
Photo de une de Pierre Métivier, éditée par Owni.

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http://owni.fr/2012/11/26/mesure-ta-pollution/feed/ 17
Et si c’était la faim de l’Open Data http://owni.fr/2012/11/06/et-si-cetait-la-faim-de-l-open-data/ http://owni.fr/2012/11/06/et-si-cetait-la-faim-de-l-open-data/#comments Tue, 06 Nov 2012 16:24:35 +0000 libertic http://owni.fr/?p=125241

Nous assistons depuis quelques semaines à la fleuraison de nombreux articles venant orner avec anticipation la tombe de l’Open Data français. Entre le retour de la question de la tarification des données, la fermeture de services basés sur des informations santé, et le remaniement d’Etalab, les pythies prédisent déjà la fin de l’aventure Open Data.

Certaines questions n’ont pourtant pas lieu d’être tandis que d’autres signes, parfois passés inaperçus, semblent plus préoccupants pour l’avenir. Puisqu’il semble d’actualité en période d’Halloween de jouer à se faire peur, si on développait de vrais arguments de préoccupations après avoir fait tomber les faux ?

L’horreur de la gratuité

Le 17 octobre dernier, un article des Echos paraissait sous le titre : L’État pourrait renoncer à la gratuité des données publiques. Olivier Schrameck, membre de la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique s’y interrogeait sur la pertinence de proposer gratuitement des données publiques en temps de crise. Cet article largement cité a inauguré la saison d’écrits mortifères sur la future tarification des données, le conditionnel étant devenu affirmation par la force des reprises médiatiques.

Vol noir de corbeaux sur l’Open Data français

Vol noir de corbeaux sur l’Open Data français

Regards citoyens, association pionnière sur l'Open Data en France, réagit pour Owni aux deux articles très ...

La publication par Owni le jour même de l’écriture de ce billet nous épargne un fastidieux travail d’analyse des théories de développement des rumeurs avec les étapes de réduction et accentuation des propos. Owni pointe ainsi qu’Olivier Schrameck a soutenu en public la gratuité des données, ce qui laisse supposer la retranscription d’une phrase sortie de son contexte dans l’article à la base du florilège médiatique. Le gouvernement a par ailleurs répondu le 31 octobre par un communiqué affirmant le maintien du programme d’ouverture de données gratuites.

La question de la tarification des données ouvertes ne semble donc pas se poser, ce qui aurait pu être une bonne nouvelle si seulement ce débat n’avait déjà été tranché en 2011 par la circulaire du 26 mai instaurant le principe de gratuité par défaut des données publiques.

Pour irriguer le moulin des controverses, nous pouvons néanmoins ajouter qu’il n’y a toujours pas eu de positionnement du gouvernement sur la question de l’extension de la gratuité des données à celles encore facturées sans justification évidente. La stratégie Open Data française devrait être dévoilée en fin d’année.

Etalab, soluble dans la modernisation de l’action publique

Cette semaine a également été marquée par le départ de Séverin Naudet, jusque-là directeur de la mission Etalab en charge de l’ouverture des données interministérielles et de la plateforme nationale data.gouv.fr. Départ accompagné de l’abrogation de la mission Etalab par le Décret 2012-1198 du 30 octobre 2012 portant création du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.

Certains ont voulu y voir la fin de la mission Open Data du gouvernement. Celui-ci a pourtant indiqué maintenir le programme d’ouverture des données en plaçant l’Open Data sous la tutelle du nouveau service de modernisation de l’action publique. Nous avons déjà expliqué que nous souhaitions ce changement, sur notre blog ici et . Ce remaniement était attendu et semble parfaitement opportun car pour envisager un développement ambitieux de l’Open Data en France :

• Il est nécessaire de développer l’harmonisation des pratiques et standards de données par la collaboration ;
• Il est donc nécessaire d’avoir une mission nationale enfin fédératrice ;
• Il est nécessaire d’organiser les espaces d’échanges et de mutualisations pour le développement des initiatives ;
• Il est donc nécessaire que la mission ne s’attache plus uniquement à sa propre ouverture mais également à une stratégie de développement national ;
• Il est nécessaire de sortir les démarches d’ouverture d’une seule logique de publication de données en ligne ;
• Il était donc nécessaire d’intégrer l’Open Data au sein d’une stratégie globale de modernisation de l’action publique en lien avec les systèmes d’information et de la communication.
Pourquoi l’avenir sera open(data)

Pourquoi l’avenir sera open(data)

A partir de quand les données publiques le sont-elles vraiment ? LiberTIC présente le panorama des villes en pointes sur ...

En rattachant l’Open Data, jusque-là élément expérimental isolé, à la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique, la France se donne les moyens de développer une stratégie globale, transversale et cohérente afin d’assurer la diffusion des pratiques.

L’objet du nouveau secrétariat général n’est pas sans rappeler les objectifs de la gouvernance ouverte avec ses notions d’évaluation et modernisation de l’action publique, ce qui procure l’avantage de proposer enfin une stratégie au-delà de la seule publication de données. Nous avions d’ailleurs appelé à ce repositionnement il y a presque un an.

Et malgré cet acte nécessaire à la pérennité de l’Open Data, des dérives politiques ont favorisé le relais de la fausse information sur la fin de l’Open Data en France, provoquant le déchaînement des réseaux. L’UMP publiait ainsi que “le gouvernement décide de diluer la politique de transparence et d’ouverture des données publiques (Open Data) engagée par Nicolas Sarkozy et François Fillon” invitant à considérer la fin de l’Open Data pour une actualité qui pourrait au contraire en marquer le début.

Les critiques récemment relayées semblent donc injustifiées et occultent les vraies questions. Il serait peu ambitieux de focaliser les débats sur la gratuité ou le statut d’Etalab et de s’estimer bienheureux d’en voir la continuité assurée. Aujourd’hui les attentes sont passées à un stade supérieur et parmi tous les enjeux (en terme de qualité, quantité, dispositifs autour des données, etc)… nous pouvons évoquer plus assurément un questionnement sur une volonté politique de l’extension des données ouvertes.

Le risque de tartufferie

Si ces derniers remaniements semblent de bon augure pour la pérennité des démarches, il serait encore prématuré d’y associer l’existence d’une réelle ambition pour faire de l’Open Data un levier de changement. Pour preuve, les conflits liés aux données fermées se multiplient et l’absence de soutien politique pour l’extension de l’ouverture à des données d’intérêt général, ou permettant réellement de rendre compte de l’action publique risque de confiner le mouvement français à une logique de publication de données gadgets.

Un premier sujet de déception porte sur la position du ministère de la Culture qui s’est récemment déclaré “favorable à l’ouverture des données culturelles dans un cadre d’exception“. Entendez : oui à l’Open Data, mais sans toucher au cadre juridique actuel qui confère aux données culturelles le pouvoir de se soustraire à l’obligation d’ouverture.

Dans cette réponse publique à l’Assemblée Nationale, le ministère de la Culture et de la Communication rappelle qu’il participe très activement aux négociations européennes sur la révision de la directive portant sur la réutilisation des informations publiques. Il s’y est même montré favorable à l’élargissement du champ de la réutilisation des données aux musées, archives et bibliothèques, “dans la mesure où un régime spécifique leur serait appliqué”. Ce qui, une fois traduit en Open Data, revient à confirmer un lobbying français en faveur de l’exclusion des données culturelles du champ du droit d’accès à l’information publique en Europe.

Dans le domaine de la culture, le nouveau gouvernement semble donc être aussi peu disposé que l’ancien à faire preuve de volontarisme.

Une police bien gardée

Courir après les policiers municipaux

Courir après les policiers municipaux

La transparence et l'ouverture des données (Open Data) sont des priorités pour nos administrations. À priori. Nous ...

Une autre source de questionnement quant à une volonté politique réelle sur l’extension de l’ouverture de données : une cartographie d’Owni qui identifie les préfectures ayant accepté de fournir aux journalistes l’effectif des polices municipales locales. Si la carte semble s’être enrichie depuis la parution de l’article, on y constate que de nombreuses préfectures refusent encore de fournir leurs informations publiques.

Les villes et régions engagées dans des procédures d’ouverture de données n’ont pas de préfectures plus collaboratives que les autres. La Préfecture de Paris, qui a le mérite d’être la seule engagée dans une démarche Open Data, se cantonne malheureusement à publier la localisation des fourrières et commissariats et n’aurait, selon la carte, pas transmis les informations sollicitées par Owni.

Même constat de rétention pour la Préfecture de Loire-Atlantique dont tous les niveaux de collectivités sont pourtant engagés dans l’ouverture de données avec un portage politique.

Tartufferie Open Data : posture de communication sur la transparence tout en faisant entrave au droit d’accès à l’information publique. Cette définition est probablement applicable à toutes les administrations engagées dans l’Open Data. Il va manquer quelques actes aux paroles pour convaincre d’un changement d’orientation.

L’accès aux soins pour les plus démunis d’information

D’autres domaines semblent également confirmer un manque de volonté politique sur l’Open Data. À quelques semaines d’intervalle, deux services se sont vus interdire l’usage d’informations liées à la santé. S’il s’agit parfois d’informations pouvant sortir du cadre du droit à la réutilisation, ces deux événements interpellent néanmoins sur la nécessité d’un questionnement des pratiques de services publics qui ne sont, de toute évidence, pas à l’avantage des usagers.

Fourmisanté, lauréate du concours Open Data national Dataconnexions, réutilisait des informations publiques disponibles sur le site Ameli, géré par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Salariés (Cnams). Le projet : développer un service permettant aux internautes de comparer les tarifs de consultation des médecins généralistes et des spécialistes sur une localité. Objectif : favoriser la diffusion d’information sur le coût de la santé afin de permettre à chacun de faire de meilleurs choix et des économies.

Le site a dû fermer son comparateur de tarifs médicaux après une mise en demeure de la Cnams.

Un cas similaire de demande d’accès à ces informations avait déjà été traité par la Cada qui confirme la nature publique des informations sollicitées, tout en précisant que la liste des médecins comporte des informations à caractère personnel qui ne sauraient entrer dans le cadre d’une communication sans anonymisation malgré le fait que l’information soit effectivement disponible en ligne.

Pour rappel, il est possible de réutiliser des données à caractère personnel (tels que le nom et numéro de téléphone d’un médecin ou autres professions libérales) s’il y a eu consentement de diffusion. Il serait possible de transposer ce droit aux usages externes mais ce n’est pas l’objectif de la Cnams qui s’offusque selon Rue89 que les données présentes sur le site Ameli-Direct, “résultat d’investissement financier, matériel et humain substantiels” (ceux des services de l’État, donc), soient utilisées par fourmisante.com

Les commentaires des internautes sur l’article en disent d’ailleurs long sur le chemin culturel qu’il reste à parcourir pour rendre présentable la notion de réutilisation d’informations publiques en France, pourtant créatrice d’emplois notamment sur le projet Fourmisanté. La médiatisation de l’affaire a finalement poussé Marisol Touraine, Ministre de la Santé, à s’exprimer sur le sujet en ces termes selon Politis : “Il revient aux pouvoirs publics de rassembler ces informations sur les hôpitaux, pour les rendre plus accessibles et plus transparentes”.

“Aux pouvoir publics.”

Entreprises-créatrices d’emploi, certes mais entreprises avant tout : non gratae. Ce qui remet en question l’argument avancé de développement de l’innovation sur des données publiques lorsque de toute évidence cela reste perçu comme un dommage collatéral. Pourtant à travers la charte de déontologie signée par les ministres, chacun d’entre-eux s’engageait à développer transparence mais également mise à disposition des données. Tant que les intentions ne seront pas suivies par des actes, tous les doutes restent permis sur l’existence d’une réelle volonté politique.

Ce différend est rendu public le jour même où démarrent des négociations entre l’assurance maladie, les syndicats de médecins libéraux et les mutuelles complémentaires santé, pour tenter d’encadrer les dépassements d’honoraires médicaux. On estime entre 300 et 400 le nombre de médecins qui pratiquent des honoraires “hors normes” soit jusqu’à dix fois le tarif sécu. Et plusieurs milliers de médecins ont des dépassements qui posent des problèmes concrets pour l’accès aux soins. Reste, dans cette jungle tarifaire, à comprendre pourquoi la Sécurité sociale ne fait pas tout pour faciliter l’accès des assurés à une comparaison des montants des honoraires. (Source)

Il semble que l’usage de données d’utilité publique comme moyen de pression et de négociation par certains corporatismes se fasse aujourd’hui avec le consentement des pouvoirs publics et au détriment des citoyens et usagers. Le constat est applicable à d’autres acteurs de la santé. Lire à ce sujet le pamphlet de la directrice de Fourmisanté qui dénonce un scandale français sur l’accès à l’information santé, devenu marronnier des médias par manque d’action politique.

Feu Dentistedegarde.net était un service santé basé sur des informations publiques devenues inaccessibles. Le service disponible pour la Loire-Atlantique proposait d’accéder aux coordonnées du dentiste de garde le plus proche en cas d’urgence. Il intégrait également les données ouvertes de Nantes Métropole pour offrir aux Nantais un calculateur d’itinéraire intégré. Le CHU de Nantes renvoyait vers ce service depuis son site internet et dentistedegarde.net a reçu plus de 18 000 visites en moins d’un an. Selon les développeurs, des dentistes allaient jusqu’à mettre à jour leurs coordonnées via le site, conduisant à l’enrichissement de la base.

Un partenariat entre l’ordre des chirurgiens-dentistes de Loire-Atlantique et les développeurs permettait à ces derniers d’obtenir les informations sur les gardes en amont de la mise en place (pour adapter leur service) et en échange ils enrichissaient la base fournie avec la liste des numéros de téléphones de dentistes qui n’étaient pas renseignés initialement. Chacun y trouvait donc son compte.

En octobre dernier, l’ordre de Loire-Atlantique a indiqué aux développeurs qu’ils devaient cesser de fournir la liste des gardes pour la fin d’année 2012. Dans un article de 20minutes, il est en effet rappelé que le remaniement dans la diffusion des gardes a été demandé au niveau national et par le ministère de la Santé afin d’organiser une redirection générale vers le Samu pour qu’il procède à l’orientation des patients auprès des praticiens ou hôpitaux selon les besoins.

Face à ce constat, les développeurs n’ont pas jugé utile de renouveler les domaines et hébergements du site qui devaient être reconduits en octobre. Le service n’est donc plus disponible en ligne.

Paradoxalement, Jérôme Mousseau, Président de l’ordre départemental, explique dans une interview sur Radio SUN que cette volonté de remaniement dans le traitement des informations répond à un manque d’informations sur le service de garde. “Beaucoup de gens ne savent pas qu’il y a un service de garde tous les dimanches matins et tous les matins des jours fériés”. On ne comprend pas bien comment supprimer l’information en ligne et la cantonner au 15 permettra au public de mieux prendre connaissance de l’existence de ces services.

Autre bémol à la stratégie : tout le monde n’appelle pas le 15 avant de se déplacer. Les infirmières du CHU de Nantes affirment que des patients qui auraient dû être orientés vers des praticiens finissent par engorger les urgences. Le système 15 focalise finalement l’effort sur le SAMU inondé d’appels de simple informations sur la localisation des gardes et sur les services hospitaliers tenus de gérer les cas des praticiens.

En 2009, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, disait vouloir mettre 10 millions d’euros sur la création d’une plate-forme internet et téléphonique visant à désengorger les centres 15. L’objectif du projet, qui n’a finalement pas été mis en œuvre, était de faciliter l’accès à l’information par un dispositif spécifique plutôt que de faciliter sa dissémination à moindre coût. La mode était et semble rester à une gestion centralisée et à l’information téléphonique.

Mathieu Le Gac-Olanié, créateur de dentistedegarde.net regrette :

La suppression de notre service va vers une plus grande concentration des appels vers le 15 ou un passage direct aux services hospitaliers sans orientation. Notre service gratuit et accessible à tous proposait pourtant d’offrir une première information en répondant aux questions telles que le numéro des gardes. Il était facilement possible de rajouter une mention invitant à appeler le 15 avant tout déplacement.

Dans l’interview sur Radio SUN, l’ordre des chirurgiens-dentistes justifie le contrôle de la diffusion de l’information par une question de sécurité des praticiens dans un domaine “très féminisé”. Cela semble paradoxal avec la volonté de promouvoir l’existence des gardes d’urgence auprès du grand public mais nous pourrions entendre l’argument sécuritaire s’il ne perdait de la crédibilité au constat que les services publics eux-mêmes ont parfois des difficultés à accéder à l’information des gardes (des dentistes comme des pharmaciens). Il y a donc un réel problème de diffusion et accès des informations aux services d’urgence, au détriment même des services publics et des usagers.

Son : Radio SUN (93.0 FM)

La mise à disposition d’informations en ligne reste une solution négligée et synonyme de perte d’un contrôle toujours plus illusoire lorsque l’on pourrait au contraire explorer les pistes des nouvelles pratiques numériques pour tenter de résoudre des problèmes d’utilité publique.

Serons-nous tartuffés ?

L’Open Data payant s’ouvre à la gratuité des débats

L’Open Data payant s’ouvre à la gratuité des débats

Monétiser les données publiques : le débat a ressurgi après l'annonce la semaine d'une réflexion menée dans ce sens. Un ...

S’il est encore trop tôt pour discuter de la stratégie Open Data du gouvernement, qui semble cependant se donner les moyens de pérenniser les actions, les quelques éléments de réponse et non-réponse des nouveaux dirigeants politiques sur les conflits d’accessibilité aux données pouvant provoquer débat ou interprétation semblent refléter une position résolument conservatrice. Il serait donc légitime de se demander si nous allons continuer d’assister à de l’Open Data gadget qui ne libère que les informations accessibles par ailleurs.

Toutes les données ne sont pas bonnes à ouvrir largement mais pour celles considérées publiques, la loi garantit devrait garantir qu’elles soient accessibles à tous. Pour certaines données essentielles parfois hors-cadre du droit d’accès à l’information, une réflexion s’impose sur leur requalification. Des données dans le domaine de la santé, de la sécurité, de la culture et des finances sont notamment concernées. Des données des administrations mais également d’entreprises, associations et autres organismes qui détiennent aujourd’hui des informations d’utilité publique. Cela implique l’affirmation politique d’une volonté d’extension de l’ouverture.

Dans un contexte de forte pression fiscale et d’efforts demandés aux Français, il paraît d’autant plus essentiel d’assurer la transparence de l’action publique et de garantir une action de qualité orientée vers l’usager. Une réflexion est donc indispensable pour définir le cadre de l’extension de l’ouverture et le délimiter.

Si l’Open Data ne devait libérer que des données consensuelles, sans remettre en question certaines pratiques, nous passerions à côté des objectifs et opportunités de ce projet social. Or cela requiert du volontarisme politique qui fait encore cruellement défaut.


Photos sous licences Creative Commons par Pulpolux, JFPhoto, Sharon Drummond et Kicki
Billet initialement publié sur LiberTIC en Creative Commons et reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.

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L’enfance de l’art en dataviz http://owni.fr/2012/10/25/enfance-art-dataviz/ http://owni.fr/2012/10/25/enfance-art-dataviz/#comments Thu, 25 Oct 2012 15:20:34 +0000 Julien Joly http://owni.fr/?p=123958

Neuf heures. Une douzaine d’enfants déferle sur le stand du collectif Open Data de Rennes. Des tables bricolées à partir de palettes, style DIY, à l’occasion du festival Viva-Cités.

Notre mission : sensibiliser des écoliers à l’art de récolter les données et de les mettre en forme de différentes façons : diagramme circulaire, colonnes… Dans ma tête, ce n’est pas gagné d’avance. Comment intéresser des enfants à un concept aussi abstrait (et, accessoirement, paraître aussi cools que le stand d’à-côté, dédié aux imprimantes 3D et aux robots) ?

Pour essayer de capter l’attention des chérubins, on avait pris quelques précautions :

1. Dédramatiser

L’Open Data, c’est utile et rigolo. Voilà le message que doit faire passer Benoît, un membre du collectif promu M. Loyal pour l’occasion :

C’est quoi, des données ? Eh bien, c’est un peu comme dans une recette de cuisine. On va prendre de la farine, des œufs, et ça va faire un gâteau. Chacun de ces ingrédients est une donnée : on sait ce que c’est et combien il y en a. Les données, c’est important pour un pays par exemple. Comme savoir combien il y a de garçons et de filles, quel âge ils ont…

Quant à l’Open Data, c’est des données qu’on peut réutiliser. Vous savez ce que ça veut dire, “open”?

Un enfant : On dirait une marque de voiture !

Bon, au moins, ils écoutent sagement.

2. Diviser pour mieux datavizer

On installe les élèves par petits groupes de trois ou quatre. Chacun est accompagné par un membre du collectif qui les guide dans leur “exercice”. C’est aussi plus facile à gérer, d’autant que, parfois, les feutres ont tendance à se transformer en missiles lancés dans le pull du voisin.

Eh oui : pendant une heure, nous n’allons utiliser ni ordinateur, ni logiciel d’infographie : uniquement du papier des feutres… et des LEGO !

Chaque enfant commence par récolter et manipuler des informations. Mais pas n’importe quelles informations : des informations sur lui-même.

Nous leur avons distribué des grandes feuilles A3 avec des pictos et des cases à remplir : “Es-tu une fille ou un garçon ? Colorie la pastille correspondante avec la bonne couleur. Combien de télés il y a chez toi ? Combien d’animaux possèdes-tu ? De quelle espèce ?”

3. La dataviz sans ordinateur, c’est possible

Les enfants colorient le nombre de cases correspondant et reçoivent l’équivalent en briques de LEGO, qui seront par la suite récoltées dans chaque groupe puis assemblées pour faire des diagrammes en colonnes. Plus fort que la réalité augmentée.

L’atelier ne se déroule pas trop mal compte tenu du fait que les enfants ne connaissent pas les pourcentages et les fractions… alors, quand on leur demande de remplir un diagramme représentant la répartition des sexes dans leur petit groupe, on leur dit d’imaginer que c’est une tarte aux pommes.

Une fois le coloriage terminé, je leur indique les feuilles du groupe voisin :

Regarde, dans leur “tarte aux pommes”, il y a plus de vert que de orange… pourquoi, à ton avis ?

C’est parce qu’il y a plus de filles que chez nous !

C’est dans la poche. Les diagrammes de Venn, par contre, ont un peu de mal à passer… Même si, à notre grande surprise, certains enfants ont compris leur fonctionnement instinctivement.

4. Prévoir de la place pour les cas particuliers

Au final, nous aussi on apprend des choses. Par exemple, les cases “famille” ne sont pas assez nombreuses pour certains qui vivent à sept ou huit sous le même toit. Idem pour le nombre de télés : certains ont presque un écran dans chaque pièce !

A la fin de l’atelier, on récolte les briques de LEGO de tous les petits groupes et on les assemble par thèmes. Ainsi, les enfants peuvent comparer leurs données personnelles à celles de toute la classe. Ils se rendent compte que le petit bout d’information qui les concerne fait partie d’un ensemble, qu’on peut quantifier et comparer.

Par exemple, la “tour de LEGO” verte est plus grande que l’orange. Ca veut dire que les filles sont plus nombreuses. Certains garçons s”offusquent : “Oh non, c’est pas vrai ?” Eh oui, les gars, c’est aussi ça, la dataviz : briser les idées reçues et voir le monde (bon, en l’occurrence, la salle de classe) avec un oeil nouveau.

Alors, mission réussie ? Certes, en une matinée, nous n’avons pas formé une petite brigade de datajournalistes juniors. Il reste aux enfants à apprendre à manipuler des concepts essentiels comme les fractions, la géométrie… ce sera pour plus tard. D’ici là, l’Education nationale aura peut-être inscrit une épreuve de #dataviz au bac, qui sait ?

En attendant, ces écoliers ont prouvé que la collecte et la visualisation de données pouvaient être étudiées à l’école. De façon ludique. Et, pourquoi pas, associées à d’autres matières comme les maths ou la géo.

Alors que l’atelier se termine, un petit garçon me demande s’il peut emporter un souvenir.

Bien sûr, tu peux garder la feuille !

Bof, moi, je voulais les LEGO !


À lire aussi How GM is saving cash using Legos as a data viz tool.
Photos via Open Data Rennes/VivaCités par Christophe Simonato.
Mise à jour 26 octobre : un problème technique nous a fait initialement attribuer cet article à Sabine Blanc et non à son véritable auteur Julien Joly. Voici qui est réparé.

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http://owni.fr/2012/10/25/enfance-art-dataviz/feed/ 10
Le bon mobile du chasseur de moustiques http://owni.fr/2012/10/23/bon-mobile-chasseur-moustiques/ http://owni.fr/2012/10/23/bon-mobile-chasseur-moustiques/#comments Tue, 23 Oct 2012 07:00:13 +0000 Nicolas Patte http://owni.fr/?p=123447

À ma connaissance, c’est la première fois qu’une telle masse de données, avec une telle précision, a été utilisée en prévalence de maladies infectieuses pour cartographier ces facteurs de risque et de mobilité. – Caroline Buckee

C’est sans doute, en effet, la première fois : la totalité des appels et des SMS générés par 15 millions de Kényans entre juin 2008 et juin 2009 a été analysée pour faire progresser la science. Quitte à semer le trouble sur l’épineuse question de la vie privée des utilisateurs.

Les migrations humaines contribuent à la propagation du paludisme, bien au-delà du rayon d’action du moustique Anopheles, son principal agent de transmission. Il s’agit d’un véritable casse-tête, notamment sur de vastes zones géographiques lorsque les ressources sont limitées – tant pour les soins que pour le contrôle des insectes.

Partant de l’observation selon laquelle il est impossible de cerner la façon dont cette maladie se propage sans des informations précises sur l’endroit où vivent les populations, une équipe de chercheurs américano-kényans a donc démontré, à travers cette étude menée en Afrique sub-saharienne, que les données enregistrées sur des téléphones portables pouvaient être utilisées dans le but d’identifier les régions à cibler en priorité dans le combat contre la maladie. L’étude a été publiée dans la revue Science parue le 12 octobre dernier.

L’Afrique piquée au vif

Selon le Rapport 2011 sur le paludisme dans le monde publié par l’OMS, les décès associés en 2010 au paludisme – sont encore estimés à près de 700 000, soit l’équivalent, pour cette année, de la disparition des habitants des communes de Lyon et de Lille réunies. Plus de 90% des décès se situent en Afrique, et 86% des victimes à travers le monde sont des enfants de moins de 5 ans. En guise d’espoir, des réductions de plus de 50% des cas signalés ont été enregistrées dans la moitié des 99 pays touchés par la transmission au cours de la première décennie de ce siècle. Principale raison : le nombre de moustiquaires imprégnées d’insecticide livrées par les fabricants dans cette région de l’Afrique a considérablement augmenté et est passé, entre 2004 et 2010, de 5,6 millions à 145 millions d’unités.

Toutefois, ces mesures sanitaires sont loin d’être suffisantes. Raison pour laquelle la recherche se penche aujourd’hui sur des voies alternatives pour endiguer le fléau. “Les programmes de lutte contre le paludisme ont des outils très efficaces pour prévenir la transmission aujourd’hui, mais malheureusement, les ressources pour leur mise en oeuvre sont très limitées”, selon Justin Cohen, conseiller technique principal de l’équipe de contrôle du paludisme du Clinton Health Access Initiative. La technique utilisée dans cette étude nous donne un moyen d’optimiser l’impact de nos ressources limitées.

Plus de 30 pays à travers le monde ont déclaré un objectif national d’élimination du paludisme, mais il est difficile d’éliminer la maladie quand de nouveaux cas sont constamment importés. – Andy Tatem

Exploration à la carte

Andy Tatem est professeur agrégé de géographie à l’Institut des Pathogènes Emergents de l’Université de Floride et co-auteur de l’étude. Il a fourni des cartes de population indispensables grâce à son projet AfriPop, qui utilise de l’imagerie satellitaire, des données de recensement et des cartes d’occupation du sol pour créer une cartographie détaillée de la répartition de la population de l’Afrique sub-saharienne.

Représentation en 3D d'une résolution spatiale à 100 mètres, version alpha, population d'Afrique de l'Est 2009 - afripop.org

Représentation en 3D d'une résolution spatiale à 100 mètres, version alpha, population d'Afrique de l'Est 2009 - afripop.org

Son équipe a ensuite utilisé les données fournies par une compagnie kényane de téléphonie mobile pour identifier les itinéraires les plus empruntés entre les différents coeurs de population, données où figurait une année pleine d’informations sur la localisation, les déplacements, la destination ou même les transferts d’argent de 14 816 521 utilisateurs de téléphones portables à travers le Kenya.

Professeur assistante en épidémiologie à Harvard et co-auteur de l’étude, Caroline Buckee s’est évidemment réjouie des perspectives offertes par la réunion du “big data” et de la cartographie des populations :

Déterminer où les gens vivent peut paraître trivial, mais c’est en fait une chose très difficile à faire en Afrique sub-saharienne. Des chercheurs avaient utilisé des GPS, des sondages et des flux de circulation sur les routes principales pour essayer de comprendre comment les gens se déplaçaient, mais ça nous fournissait des informations sur quelques centaines de personnes, tout au plus. Notre utilisation des informations issues de téléphones portables a apporté des milliards de données.

Carte de la pression clinique du Plasmodium falciparum en 2007 au Kenya - Malaria Atlas Project

Carte de la pression clinique du Plasmodium falciparum en 2007 au Kenya - Malaria Atlas Project

Et c’est bien grâce à ces données et à son travail de cartographie que les chercheurs d’Afripop ont réalisé un modèle de transmission du paludisme qui, appliqué à la population et ses mouvements, prédit les risques d’infection grâce à l’utilisation de la théorie mathématique des probabilités. Les résultats ont clairement montré que l’éruption du paludisme durant la période d’étude avait eu lieu dans la région du Lac Victoria et que la maladie s’était étendue vers l’est, en direction de la mégapole de Nairobi. Une cartographie qui démontre comment le paludisme est susceptible de se déplacer entre les différentes régions du Kenya. Et quelles régions, précisément ciblées par les équipes de lutte contre la maladie, produiraient le meilleur résultat au niveau national.

La question qui fâche

Reste une question – sinon la question qui taraude y compris les professionnels du mHealth. L’opérateur kényan Safaricom – qui appartient pour 60% à l’Etat et pour 40% à Vodafone – a-t-il demandé l’autorisation à ses 15 millions de clients pour permettre aux chercheurs majoritairement américains de fouiller, scruter, analyser un si grand nombre de données les concernant ? Rien n’est moins sûr. Contactée par Owni, la Fédération des Consommateurs Kényans (Cofek) dit avoir approché Safaricom à ce sujet sans jamais avoir reçu de réponse. “Du point de vue de la loi kényane, de telles études – qu’elles soient à but commercial ou de charité – utilisant des données de possesseurs de téléphones mobiles, sont inacceptablement intrusives”, nous a déclaré Stephen Mutoro, son secrétaire général. En ajoutant, fermement :

Nous espérons que ceux qui ont conduit cette étude, s’ils souhaitent être pris au sérieux, ressentiront le besoin d’éclaircir certains points mystérieux concernant la méthodologie employée, notamment si une autorisation en bonne et due forme de Safaricom et de la Commission des Communications du Kenya a été délivrée. Si, comme on le redoute grandement, il existe une brèche sur les questions de vie privée, alors les coupables se feront certainement taper sur les doigts, avec une énorme compensation financière pour les consommateurs. Nous attendons également que la Commission des Communications du Kenya [CCK] agira de manière proactive et demandera les informations nécessaires au sujet de la méthodologie employée pour cette étude.

Au Kenya, où 84% de la population est couverte par les réseaux mobiles, la pénétration du téléphone portable atteignait 42% en 2008 (source ITU), et les abonnés étaient plus de 18,5 millions (selon la CCK) en 2009 pour une population totale de 40 millions – soit plus de 46%. Les prévisions de l’époque indiquaient que ces chiffres seraient susceptibles de doubler en cinq ans ; plus de 25 millions en 2011, comme le montre le graphique ci-dessous.

Le Kenya est l’un des pays d’Afrique pionnier en matière de téléphonie mobile, ce qui s’explique notamment par la pauvreté du réseau cuivré. À titre d’exemple, le pays s’est doté depuis 2007 d’un système de paiement électronique innovant, M-Pesa, prévu au départ pour les transferts d’argent depuis l’international et devenu en quelques années un véritable système monétaire quasi-privé aux allures de potentielle monnaie parallèle. Ce qui rend la question de l’analyse des données de Safaricom d’autant plus sensible, vu que ces transactions financières sécurisées faisaient partie du lot de la “big data” passée entre les mains des chercheurs.

Dans ce contexte de baisse des revenus et de part de marché drastique, nous avons interrogé Safaricom afin de savoir dans quelles conditions ce “big data” (une année des données de 15 millions d’utilisateurs) avait été cédé à l’étude. Contrepartie financière ? Open Data ? Les clients “cobayes” ont-ils été prévenus ? Nous n’avons pas reçu de réponse à ce jour. Et nous espérons que l’opérateur ne se soit pas tout simplement endormi sur ses principes.

Le bénéfice du doute

Au centre de la modélisation de cette masse colossale de données, Amy Wesolowski, jeune étudiante de l’Université Carnegie Mellon, travaille avec Caroline Buckee. Elle a déjà été interpellé sur cette question [pdf, page 15] de vie privée au sujet des données traitées au Kenya. Sa position de chercheur est sensée, polie, de bon aloi, mais pas forcément très claire sur la méthodologie employée par l’étude s’agissant de la récupération des données. Nous avons cherché à la joindre, elle est restée muette à nos questionnements, et nous en resterons donc à cette réponse de 2010 :

Ces données peuvent être utilisées pour de mauvaises choses, mais nous essayons de rester du côté du bien.

Professeur au département de médecine préventive de l’Université Vanderbilt, William Schaffner ne dit pas autre chose :

Je me doute bien que certains seront nerveux à l’idée d’un “big brother” qui nous suivrait partout. Pour ma part, je suis bien plus excité par les possibilités de nous prévenir d’une sérieuse affection.

Au vu des différents éléments que nous avons en notre possession et du mutisme appliqué de l’opérateur, il est donc probable que les 15 millions de clients de Safaricom aient été des cobayes à leur insu. Mais que ces innombrables données étudiées, manipulées pour la science, l’aient été dans un état d’esprit qui laisse peu de place à la paranoïa. Pour preuve, sans doute, ce document de travail “Du fair use de données comportementales, agrégées et anonymes” [pdf] réalisé par Nathan Eagle, doux-dingue ingénieur-informaticien passionné de béhaviorisme et de bien commun, PDG de txteagle qui pige de temps à autre pour le MIT et Harvard. Il a participé à la rédaction de l’étude parue dans Nature. Il est marié à la ville à… Caroline Buckee. Et qui, en évoquant son travail à Harvard, le résume ainsi :

En fin de compte, notre programme de recherche consiste à déterminer comment nous pouvons utiliser ces données pour améliorer activement la vie de milliards de personnes qui génèrent ces données et améliorer les sociétés dans lesquelles ils vivent.

C’est beau comme une keynote de Google.


Photos par Lukas Hofstetter [CC-byncsa] remixée en une par Ophelia Noor pour Owni ; et Aaron Knox [CC-byncsa].

La représentation en 3D d’une résolution spatiale à 100 mètres, version alpha, population d’Afrique de l’Est 2009 est issue du site afripop.org. Les régions zoomées sont celles de Bujumbura (a), Kigali (b), Kampala(c), Nairobi (d) et Dar Es Salaam (e) ; la carte de la pression clinique du Plasmodium falciparum (parasite qui cause le paludisme) en 2007 au Kenya est issue du site Malaria Atlas Project.

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http://owni.fr/2012/10/23/bon-mobile-chasseur-moustiques/feed/ 3
L’Open Data payant s’ouvre à la gratuité des débats http://owni.fr/2012/10/22/open-data-payant-ouvre-a-la-gratuite-des-debats/ http://owni.fr/2012/10/22/open-data-payant-ouvre-a-la-gratuite-des-debats/#comments Mon, 22 Oct 2012 15:12:28 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=123606

Pris dans l’étau des contraintes budgétaires, l’État français songe à monétiser les données publiques. L’annonce de la nouvelle, dans Les Échos la semaine dernière, a fait sauter plus d’un partisan de la gratuité des données. Comme toute pampa récemment foulée par une poignée (grossissante) d’acteurs, l’Open Data est un terrain d’expérimentation trop récent pour que l’on puisse trancher de façon définitive.

La prudence est d’autant plus de mise que la gratuité relève aussi de la position de principe. Les puristes prônant son strict respect, au nom de la transparence, conformément aux 10 principes de l’Open Data. Parmi les arguments avancés de part et d’autre, certains tiennent la route, d’autres semblent plus bancals ou incertains.

Mais vous allez les lâcher, de Dieu

Olivier Schrameck, conseiller d’État et membre de la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, a mis en avant l’effet stimulant auprès des (nombreuses) administrations récalcitrantes : “Si l’on veut vraiment faire avancer les choses, il faut faire sauter certains blocages. Or l’information a un prix. Si l’on veut inciter les administrations à participer au mouvement de libération des données, il faut certaines contreparties.”

Le Canadien David Eaves, conseiller auprès de plusieurs institutions pour l’ouverture des données, doute de l’efficacité de la carotte €€ :

Les administrations sont inquiètes de l’ouverture des données souvent parce qu’elles ne veulent pas que le public y accède. Dans certains cas, elles ne pensent pas que les gens comprendront les données, ou elles refusent qu’ils les analysent ou les utilisent pour évaluer sa performance, parfois elles estiment juste que ce n’est pas les oignons du public.

Très peu de gouvernements ont essayé de monétiser leurs données et les écrits académiques suggèrent fortement qu’ils n’ont jamais fait d’argent avec.

Gilles Babinet, fondateur de Captain Dash, une startup qui manipule la donnée au quotidien, avançait aussi le manque d’intérêt financier : “Aucun autre État n’a réussi jusqu’ici à vendre massivement des données. Les revenus se chiffrent en centaines d’euros.”

“C’est faux”, tranchent en cœur Claire Gallon, de LiberTIC, une association pionnière en France sur l’Open Data, et Simon Chignard, auteur de L’Open Data, comprendre l’ouverture des données publiques.

Depuis la circulaire Fillon du 27 mai 2011, la gratuité est un principe fondamental, mais un certain nombre d’établissements publics administratifs ne sont pas concernés.

55 bases de données soumises à redevance

Certains, comme l’IGN, Météo France ou l’INSEE  tirent une part de leur financement de la vente de leurs données. Ainsi, l’IGN  en obtient 16 millions d’euros, l’INSEE 9 millions. Certes cela représente une faible part de leurs budgets, respectivement 134 et 434,6 millions d’euros, mais on est loin des “centaines d’euros” de l’ancien président du Conseil National du Numérique. “Ces établissements qui ne sont pas concernées craignent une extension du périmètre”, souligne Claire Gallon, qui note au passage que les données vendues ne sont pas forcément de grandes qualité.

Dans son rapport 2011, l’IGN avait indiqué le coût de la gratuité de la donnée géographique publique, à laquelle l’établissement est désormais contraint : “les recettes tirées des ventes de licences d’accès aux données numériques passent de 37,82 M€ à 17,25 M€, soit un manque à gagner important de 20 M€. L’augmentation de la subvention de l’Etat (qui passe entre 2010 à 2011 de 79,38 M€ à 83,58 M€ (soit + 4,2 M€, + 5,2%) ne compense pas la baisse des recettes liée à l’ouverture de la politique de diffusion.” Alors que le gouvernement tire la langue pour boucler le budget, la modification du paramètre laisse augurer de joyeuses guérillas.

Courte vue et moyen terme

Interrogé par Owni sur son imprécision, Gilles Babinet a justifié : “C’est un fait avéré : l’État ne parvient pas à vendre des données. Ses agences y parviennent mieux, même si ce n’est pas la gloire. Les données géographiques (réseaux) et de météo se vendent effectivement mais à mon sens, c’est une aberration car cela limite le potentiel économique qu’elle recèlent.” En résumé, si l’information a effectivement un prix comme le mettait en avant Olivier Schrameck, il n’est pas sûr que la meilleure façon d’avoir un retour sur investissement soit de vendre directement les données. Regards citoyens, association qui milite pour la transparence en politique, notait ainsi :

Les données produites pour le bon fonctionnement des services publics et publiables en l’état n’ont aucune raison de pouvoir être soumises à redevance. Mais on peut comprendre que le formatage, le nettoyage, l’anonymisation ou la mise à jour régulière de certaines données puissent avoir un coût.

Vient ensuite la question de l’intérêt économique de ces redevances : ne vaudrait-il pas mieux stimuler gratuitement l’innovation et donc notre système économique par la mise à disposition libre des données ? [...]

Toutefois, il ne fait aucun doute qu’en ouvrant l’accès au plus grand nombre, l’État maximise le potentiel de réutilisations. Le manque à gagner viendrait plutôt du fait de restreindre les réutilisations à un petit nombre d’acteurs qui favoriserait des monopoles.

“L’Open Data a beaucoup été poussé sur le volet économique, et pas la démocratie et la transparence, poursuit Claire Gallon, mais alors que ces effets s’observent sur du moyen et du long terme.” Pour juger des retombées, il faut picorer des analyses à droite à gauche. Et de citer une étude de 2010 sur les bénéfices de l’ouverture des données officielles des adresses danoises, suite à un accord en 2002. Elle a permis de créer 48 entreprises et 90 emplois, le montant du bénéfice financier s’élève à 62 millions sur la période 2005-2009, et le bénéfice social à 14 millions en 2010.  Ou encore la Catalogne, où “l’ouverture a généré des économies de 500h mensuelles de travail et un retour sur investissement en 4 mois.”

Toutefois, pour David Eaves, les conséquences pour les entreprises ne sont pas noires ou blanches :

Si votre business est basé sur un set de données que vous payez et qu’il devient libre, alors il souffrira peut-être comme la barrière à l’entrée est abaissée. En revanche, monétiser les données nuirait aux consommateurs en élevant les coûts des services et en les rendant plus difficilement compétitifs.

Des businesses particuliers pourraient y perdre ou y gagner dans un tel scénario, mais les entreprises dans leur ensemble en bénéficieraient, car plus de données libres permettraient d’avoir plus d’opportunités d’améliorer les services, de fournir des analyses, etc.

Position intermédiaire

Simon Chignard, pour qui le “tout gratuit est impossible”, prône du coup une position intermédiaire :

Pour certaines données qui demandent une infrastructure de mise à disposition particulière, je pense notamment aux API des infos temps réel pour les transports, on peut imaginer des modèles mixtes. Gratuit pour les développeurs en dessous d’un certain nombre de requêtes, puis payant pour les plus gros utilisateurs. Après tout, c’est bien ce que Google lui-même a mis en place pour son service de cartographie. En procédant ainsi, on peut espérer faciliter l’innovation par de nouveaux entrants tout en faisant contribuer les plus gourmands …

En revanche nous a-t-il rappelé, opérer un distingo entre les usagers qui font une utilisation commerciale ou non n’est pas possible, depuis la transposition en 2005 d’une directive européenne. Elle précise que “les informations publiques, non nominatives, provenant d’organismes publics ou d’entreprises privées exploitant un service public doivent pouvoir être rendues accessibles et réutilisées à des fins commerciales ou non, d’une manière non discriminatoire et non exclusive, et à des coûts qui n’excèdent pas leur coût de production.”

On peut aussi envisager de privilégier la gratuité des données utiles pour le bon fonctionnement démocratique, mais comme le fait remarquer Gilles Babinet :“vu d’où nous partons, les limites ne sont pas prêtes d’être atteintes rapidement.” De plus, il faut être capable d’établir une hiérarchie a priori.

Complexe, soumis à un contexte économique fragile, le débat sur la gratuité (ou non) de l’Open Data en France devrait donc également ressurgir pour une raison de politique très basique : après la circulaire Fillon ayant officiellement lancé la mission d’ouverture de données publiques Etalab, l’Open Data est devenu un non-sujet au gouvernement. Comme le déplore Claire Gallon :

Il y a peu de portage politique en France, alors ça revient en force, la question est posée depuis la circulaire Fillon…


Photo par Gerard Van Der Leun [CC-byncnd]

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L’Inde (dé)connectée http://owni.fr/2012/10/19/inde-deconnectee/ http://owni.fr/2012/10/19/inde-deconnectee/#comments Fri, 19 Oct 2012 15:50:53 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=122952

Au départ, ce papier devait parler de train en Inde. Plus précisément, de l’initiative de la compagnie ferroviaire nationale indienne de publier une carte de temps réel du mouvement des trains à travers le sous-continent sous forme de Google Maps. Le tout agrémenté d’une évaluation en temps réel de la ponctualité sur le réseau.

Mais la question est vite venue au sein du Pôle “data” de savoir : à qui profite la carte ? Bien que dépouillée, l’application demande tout de même le chargement de Google Maps et des mises à jour en temps réel, sans compter les fenêtres d’info qui se déploient à chaque locomotive cliquée.

Portrait schizophrénique

Si l’Inde jouit sous nos climats d’une image de pays en plein boom technologique, les statistiques publiques reflètent une autre image. Par exemple, Les comptes de la Banque mondiale indiquent pour 2011 que 10,1% seulement des Indiens étaient des usagers d’Internet, contre 38,4% en Chine.

Data from World Bank

Le portail de la statistique publique indienne (Mospi) offre un aperçu bien plus fin de l’accès au web dans le pays. Une étude sur la consommation des Indiens portant sur les années 2009-2010 peint un portrait schizophrénique de ce pays : une face rutilante et équipée d’urbains et une majorité diffuse et déconnectée de ruraux.

Le recensement 2011 souligne l’importance de cette partition : à côté des zones fortement urbanisées comme Delhi (97,5% de ville), Chandigharh (97,25%) ou Lakshadweep (78,8%), la majeure partie de la population vit à la campagne. Avec 68,84% de ruraux, la dernière enquête répertoriait plus de 833 millions d’habitants hors les villes, coupés, pour la plupart, des infrastructures de communication modernes. Plus que la population totale de l’Europe – états hors Union européenne et Russie compris.

En croisant les deux données, nous avons cartographié la fracture numérique indienne (voir ci-dessous) : en rouge les états dont le taux d’accès en zone rurale est inférieur à dix pour mille foyer (soit inférieur à 1%), en jaune ceux dont l’accès est supérieur à 1% mais inférieur à 5% et en vert ceux dont l’accès est supérieur à 5% de la population. Sur les 35 états et districts de la fédération indienne, seuls six dépassent la zone rouge, pour une population totale de 44,5 millions d’Indiens. Les 29 autres comptent pour 1,165 milliards d’habitants. La moyenne nationale d’accès en zone rurale s’établissant pour 2009-2010 à 0,35% des foyers.

Prisme mobile déformant

Le potentiel commercial de ce milliard et quelques habitants pousse cependant de nombreuses sociétés à ignorer ce fossé numérique. L’une des méthodes utilisées consiste notamment à se concentrer non pas sur l’accès domestique mais sur l’accès mobile.

Une étude Ipsos commandée par Google et la Mobile Marketing Association assurait ainsi que les Indiens dépassaient les Américains dans l’Internet mobile. Le chiffre avancé de 76% d’usagers mobiles indiens utilisant les réseaux sociaux contre 56% des Américains ne portait cependant que sur les détenteurs de téléphone mobile.

Une première réserve porte sur le fait que l’accès fixe à l’Internet (comme le montre notre carte ci-dessus) reste marginale en Inde. L’étude consommation des ménages de l’institut de la statistique publique indienne relève néanmoins une consommation mobile très développée en zone rurale : l’achat de téléphone mobile concernait 69 foyers sur 1000 contre 1 sur 1000 pour les téléphones fixes et les recharges de mobile plus de la moitié des foyers interrogés (536 pour 1000) ! À titre de comparaison, l’achat de mobile concernait en zone urbaine 78 foyers pour 1000, soit moins de 1% de plus qu’à la campagne, et celle de recharges 818.

Une nuance de taille intervient cependant dans ces statistiques : celle de la dépense. En campagne, les dépenses mensuelles liées aux téléphones mobiles sont évaluées à 1,8 roupie par mois (1,4 centime d’euro) et 18,93 roupies (25 centimes) de recharge contre 55,58 roupies en ville pour les recharges (78 centimes) et 3,94 roupies en appareil (4,3 centimes).

Le site GeneratedContent.org se penchait récemment sur la façon dont la majeure partie du monde reçoit l’Internet mobile. Une étude datant de 2011 plaçait en tête des téléphones mobiles les plus utilisés dans le monde le Nokia 3150 Xpress Music, modeste dalle commercialisée depuis février 2009 par le constructeur finlandais. Avec ses 320 pixels de hauteur et 240 pixels de largeur connectés en WAP 2.0, cette antiquité aussi tactile qu’un Minitel reste à ce jour le téléphone le plus courant dans la plupart des pays d’Afrique (notamment en Egypte et en Afrique du Sud) ainsi qu’en Thaïlande et en Chine.

N’en déplaise à la ronflante étude Ipsos, l’Inde ne turbine pas la 3G à coup de Samsung Galaxy ou d’iPhone. Le téléphone le plus courant y est le Nokia X2 01 (également leader en Indonésie) dont les caractéristiques s’avèrent un peu meilleures que celle du 3150. Equipé en 3G (mais pas en Wi-Fi), le téléphone affiche sur un écran 320×240 pixels une densité de 167 pixels par image en QVGA pour une diagonale de 2,4 pouces. A titre de comparaison, l’iPhone 5 affiche en 4 pouces 1136×640 pixels.

Un commentaire au billet mentionné ci-dessus évoque une situation où la vision eurocentrée de l’accès à Internet a joué des tours aux meilleures volontés :

Il y a trois mois, j’ai déménagé en Afrique du Sud pour développer une application de réponse d’urgence. Dans un premier temps, j’ai pensé développer une application pour Android mais après quelques mois, j’ai réalisé que personne ne pouvait se payer ces téléphones. J’ai vite pris conscience de la popularité des Nokia et j’ai orienté mon application pour qu’elle soit compatible avec le X2-01.

Une réflexion valable pour les humanitaires comme pour les pouvoirs publics. Dans des pays dont l’accès mobile se résume à un écran de 2,4 pouces en 320×240, toute initiative d’Open Data inaccessible en Edge est vouée à rester un gadget dont ne se réjouiront que les pays où les appareils d’Apple et Samsung sont abordables jusque dans les zones rurales.

Le seul soulagement des pays mal équipés étant de fabriquer les téléphones mobiles haut de gamme à bas prix.


Photo par CGIARClimate [CC-byncsa]

La carte reprend les icones Rural designée par Evan Caughey et City designée par Inna Belenky, tous deux repérés en CC BY NC sur l’excellent site The Noun Project, recommandé par notre cher Cédric Audinot /-)


Nos données

Inde : accès à Internet des populations rurales et urbaines (Google Docs)

Sur le site officiel du ministère de la statistique du gouvernement fédéral indien (Mospi), les données sur les biens de consommation (dont les téléphones mobiles) sont à retrouver dans l’étude “Indicateurs clefs des dépenses des ménages indiens 2009-2010″ (PDF), publiée en juillet 2011 par le National Sample Survey Office du ministère Indien de la statistique.

Les données sur la connexion à Internet sont compilées dans l’étude “Niveau et schéma de consommation 2009-2010″ (PDF), publiée par le même organisme en décembre 2011.

Les données du recensement 2011 de l’Etat fédéral indien sont à télécharger en PDF ou en XLS sur le site dédié (interface Flash).

Les données de la Banque mondiale sur l’accès à Internet dans le monde sont à télécharger en XLS ou en XML sur l’excellent portail data de cette institution.

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http://owni.fr/2012/10/19/inde-deconnectee/feed/ 4
Guild Wars 2 en attendant l’Open Data http://owni.fr/2012/10/18/guildwars2-en-attendant-open-data-gw2-mmorpg/ http://owni.fr/2012/10/18/guildwars2-en-attendant-open-data-gw2-mmorpg/#comments Thu, 18 Oct 2012 10:12:07 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=123107 Image issue du tumblr Fabulous Quaggan

Image issue du tumblr Fabulous Quaggan

Malgré un nombre de joueurs approchant la population parisienne, le jeu de rôle heroic fantasy à univers persistant Guild Wars 2 n’avait jusqu’ici aucun institut de statistique valable.

Parité pièces d’or-gemme

Le 23 août dernier, ce manque a été partiellement comblé quand John Smith, membre de l’équipe du développeur ArenaNet, a publié un billet portant sur l’économie virtuelle dans la bêta sur le blog officiel de ce concurrent de World of Warcraft.

En évaluant notamment l’argent récolté selon les professions choisies par les joueurs pour leurs personnages, le développeur a ainsi pu opérer des corrections pour éviter de trop forts déséquilibres, notamment en faveur des bijoutiers. À cela, d’autres indicateurs ont été ajoutés afin de comparer l’économie du jeu à l’économie réelle (en l’occurrence à celle des États-Unis), comme la distribution des richesses par déciles de population aux Etats-Unis (en dollar) et dans le jeu (en pièce d’or) ou la parité pièces d’or-gemme dans le jeu rapporté au cours de l’action Facebook.

Cliquez sur l'infographie pour l'agrandir

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Fort de l’intérêt suscité par ces considérations économétriques, John Smith a ressorti ses tableaux Excel pour une deuxième fournée le 14 septembre, basée cette fois-ci sur les équilibres entre l’offre et la demande dans le commerce interne au jeu. En clôture de ce billet, ArenaNet offrait cette fois-ci un graphique sur la sociologie et la démographie des personnages créés par les joueurs, classant les préférences en matière de races, professions et compétences commerciales :

Discrimination raciale

Une publication qui s’est muée en polémique quand Peter Fries, un des scénaristes du jeu, a poussé un coup de gueule face à l’ostracisme dont les races des Asuras (lutins technophiles) et des Charrs (félidés béliqueux) se voyaient frappés :

AMHA, ceux qui évitent Charrs et Asuras passent à côté des éléments narratifs les plus puissants de ce jeu.

Les données elles-mêmes ont vite été récupérées par la communauté et notamment par un développeur californien Eric Hazard, qui a remixé les chiffres livrés par ArenaNet en une dataviz interactive.

Consultable sur le site Guildwars2viz, l’application est également décrite dans l’intégralité de son code sur le réseau social Github. A une grosse couche de Javascript, l’auteur a ajouté une bibliothèque de simplification, Coffeescript, et des touches de Python et de LESS (pour le CSS).

Pas forcément niché aux endroits où on l’attend, l’Open Data a également de l’avenir dans le jeu vidéo et les MMO !

Guild Wars 2 Visualization - Eric Hazard (extrait)

Guild Wars 2 Visualization - Eric Hazard (extrait)


Images issues du Tumblr Crossdressing Quaggan et des sites GuildWars2.com et GuildWars2viz.com.

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Une culture, mais à titre exceptionnel http://owni.fr/2012/10/15/une-culture-mais-a-titre-exceptionnel/ http://owni.fr/2012/10/15/une-culture-mais-a-titre-exceptionnel/#comments Mon, 15 Oct 2012 12:45:54 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=122654 Exception Culturelle il sort son pistolet. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Laurent Chemla n'a pas la plume dans sa poche et qu'il a des propositions plutôt radicales pour illuminer l'avenir.]]>

Art by Banksy

Il y a des idées, comme ça, qui deviennent des dogmes sans qu’on sache très bien pourquoi. A force de les entendre répéter comme des évidences, plus personne n’a même l’idée de les remettre en question.

Il en va ainsi de notre très chère Exception Culturelle.

Mise en place dès après la seconde guerre mondiale, dans un autre temps – presque un autre monde – pour garantir la survie de la culture nationale face à la menace du méchant impérialisme américain, cette restriction au principe intangible de la concurence-libre-et-non-faussée perdure dans un espace devenu mondialisé, dans un cadre de moins en moins national mais de plus en plus européen, au seul profit d’une industrie qui – elle – a très bien su devenir multinationale.

Notre industrie culturelle y a gagné. Notre culture, quant à elle, a gentiment été glissée sous le tapis. Est-il permis de douter de l’intérêt de déverser des tombereaux d’argent public dans les poches profondes de nos ayants droit expatriés sans passer illico pour un ultra-libéral qui souhaite la mort du pauvre chansonnier bien de chez nous ?

Osons. Ces jours-ci on mange de l’exception culturelle à toutes les sauces.

Open Data

L’ouverture des données publiques culturelles existe à peu près partout. Ma mémoire de vieux con me fait souvenir qu’un des tout premiers sites web fut celui de la bibliothèque du Congrès américain. A l’époque en France c’était un étudiant qui proposait des images de tableaux du Louvre numérisés, mais pour des raisons juridiques il avait dû changer le nom de son site. Déjà aux origines du réseau on pouvait voir à l’oeuvre notre volonté de mieux diffuser notre culture. Et aujourd’hui ?

L’université de Yale a récemment placé 250 000 images issues de sa collection privée dans le domaine public. La vieille bibliothèque du Congrès a mis en ligne un “jukebox” de plus de 10 000 enregistrements audio réalisés entre 1901 et 1925 (avec l’accord de Sony Music). L’Europe a suivi avec Europeana en rendant libres toutes les métadonnées qu’elle publie.

Et en France ?

En France, la ministre de la Culture vient de répondre à la question que les données publiques culturelles sont exclues de la politique de l’Open Data, au nom de leur potentiel économique. Et de l’exception culturelle. Diversité culturelle ? Meilleure diffusion de la culture nationale ? No way les gars: il y a du fric en jeu, contentez-vous de la culture américaine.

Fiscalité

Nos grandes fortunes nationales sont expertes au jeu de la niche fiscale, et quoi de mieux que de placer son argent dans l’art, puisque celui-ci ne semble jamais connaître la crise ? Cherchant à équilibrer ses finances, la nouvelle assemblée a voulu que l’impôt sur la fortune soit élargi au patrimoine artistique. Pas celui dont tu disposes, ami lecteur : il n’était question de ne tenir compte que des oeuvres estimées à plus de 5 000 euros.

Que nenni ! Malgré un amendement portant la limite à 50 000 euros, c’est le gouvernement qui s’y oppose. Et pourquoi ? Et notre ministre de répondre: “au nom de l’exception culturelle”, bien sûr. Imaginez que nos oeuvres nationales fuient à l’étranger pour échapper à l’impôt, ce serait risquer une bien trop large diffusion de notre culture. Oh. Wait.

Cinéma

Le budget du Centre National du Cinéma a été sous les feux de l’actualité : grâce à une taxe sur nos FAI, il est passé d’environ 500 millions par an à près de 800 millions. Ça fait jaser, d’autant que la commission européenne doit toujours rendre son verdict quant à la légalité de cette taxe. Alors faut-il le limiter, ou bien le reverser à l’État qui redistribuera la cagnotte en fonction des besoins réels du cinéma ? “Mais vous êtes fous” nous dit le président du Machin !

Extrait de Playtime de Jacques Tati

Si l’Europe s’oppose à notre taxe à nous qu’on a, c’est qu’elle n’a rien compris à l’exception culturelle. Oh bien sûr on a jamais été autant au cinéma que ces dernières années et le secteur se porte à merveille, mais on ne sait jamais, il vaut mieux conserver la cagnotte. Pas question de se contenter d’être en bonne santé si on peut en plus être riches.

Mais alors que faire si Bruxelles – comme on s’y attend – s’oppose finalement à cette taxe ? Facile ! Si on ne peut plus taxer les FAI sur leur offre triple-play, alors on taxera sans discrimination tous les accès à Internet, mobile comme fixe. Et tant pis si la Cour des Comptes pense que ce financement n’est “pas fondé sur des évaluations convaincantes de la place que les télécoms occupent dans la filière audiovisuelle”.

Ce qui compte, ce n’est pas la justice, c’est l’exception culturelle. Que serait en effet notre culture si on cessait de financer près d’un film par jour et par an ? Euh…

Et bientôt

Bientôt on nous vendra Hadopi comme protecteur de l’exception culturelle, la fusion CSA/Arcep comme seule garante de notre culture exceptionnelle, le DPI nous sera imposé pour garantir un pourcentage minimal de “culture” française par foyer accédant à YouTube et le domaine public sera taxé pour soutenir les artistes français morts. J’en fais ici le pari.

Osons encore.

Ne pourrait-on pas, je ne sais pas, envisager de conserver les mêmes modes de financement (qui ont fait leurs preuves) sans pour autant verser dans l’excès ? Sans pour autant imposer des quotas “exceptionnels” à des télévisions qui font face à la disparition d’une chronologie des médias mise à mal par l’existence même d’Internet et à la future concurrence des géants américains via la fameuse “télé connectée” ?

Je lis que cet ecosystème permet de financer 340 000 emplois. Excellent, mais alors on ne parle plus de défendre la culture, mais simplement les emplois. Si les mêmes étaient payés pour tourner des films en anglais (après tout pourquoi pas), que deviendrait cet argument ? Où serait passée notre si précaire culture ?

La musique alors ? Laissez-moi rire et relisez une des dernières interviews de Jean Ferrat pour rire avec moi. De nos jours je n’arrive que rarement à savoir dans quelle langue chantent nos stars hexagonales, qui comme tout le monde cherchent à exporter pour vendre d’avantage.

Qu’on me comprenne bien : dans un espace sans frontières tel qu’Internet, le principe de la défense de la diversité culturelle est forcément quelque chose d’important, et que je défends. Simplement j’ai du mal à voir en quoi, aujourd’hui, nos lois défendent autre chose que les poches de multinationales “majors” et de quelques rares artistes apatrides.

Dans une autre vie, à la lointaine époque des premiers procès contre les fournisseurs d’accès au nom de la lutte contre le racisme, j’avais défendu – face à la Licra – que la meilleure méthode pour lutter contre les premiers sites négationnistes était de s’impliquer davantage sur le réseau pour diffuser l’histoire et la culture. La volonté de pouvoir censurer me semblait déjà dangereuse pour la liberté d’expression (pas celle des Faurissons et assimilés, mais celle de toute la population).

Jean Ferrat vu par La demeure du chaos (cc)

Aujourd’hui je crois qu’il faut faire la même chose pour la culture. Plutôt que d’essayer à toute force de recréer des frontières disparues, et si l’objectif est réellement de promouvoir la diversité culturelle, alors il me semble que l’urgence n’est pas de persister dans des modèles établis au siècle dernier mais de revoir de fond en comble la façon dont le droit d’auteur est protégé.

Comment mieux favoriser la diffusion d’une culture qu’en garantissant le libre partage des oeuvres du domaine public (et surtout pas d’autoriser M.  Rogard à le soumettre à une redevance), en abaissant la durée de protection des oeuvres après la mort de leur auteur, et en libéralisant le partage non marchand du patrimoine qu’on souhaite promouvoir ? Qui aujourd’hui est coupable de créer des oeuvres orphelines, sinon nos ayants droit qui cherchent quel qu’en soit le prix social à protéger leurs rentes en recréant un droit d’auteur là où il avait disparu – au seul motif de l’application d’un procédé technique ?

La notion d’exception culturelle est née du constat que la culture d’un pays risquait de disparaître au profit de celle des pays plus puissants si aucun frein à l’importation n’était possible. C’est la définition originelle, et qui fut confirmée lors de l’Uruguay Round. Sa version française a imposé, en plus, des quotas de diffusion d’oeuvres françaises et européennes aux radios et télévisions.

Outre qu’avec l’avènement d’Internet il devient plus qu’illusoire de fermer nos frontières à la diffusion des cultures étrangères sur le territoire national, jamais, jamais il n’a été question ni d’empêcher nos oeuvres de sortir du territoire, ni d’en limiter la diffusion à l’extérieur pour protéger des intérêts privés. Or c’est semble-t-il ces aspects là qui ressortent des discours actuels que je pointe plus haut. La cause première est caduque, la dérive est patente, une fois encore on invente des principes sortis du néant pour protéger des lobbies du passé.

Si notre culture mérite une exception, alors que celle-ci soit appliquée au régime – devenu démentiel – du droit d’auteur plutôt qu’en en faisant une arme limitant au maximum sa diffusion au public. Ce ne serait que du bon sens et un juste retour à sa justification première.

Osons.


Laurent Chemla est le co-fondateur de Gandi et auteur des Confessions d’un voleur. Il publie une chronique régulière sur Owni.
Photos sous licences Creative Commons ; tableau de Banksy au Musée de Bristol par Jordi Martorell ; Extrait de Playtime de Jacques Tati par Stewf ; Jean Ferrat vu par la demeure du chaos (Abode of Chaos)

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Courir après les policiers municipaux http://owni.fr/2012/10/12/courir-apres-les-policiers-municipaux-open-data/ http://owni.fr/2012/10/12/courir-apres-les-policiers-municipaux-open-data/#comments Fri, 12 Oct 2012 11:40:53 +0000 Julien Kirch et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=121935 Interdit à la police municipale ? – Photo CC by C’était mieux demain

Interdit à la police municipale ? – Photo CC by C’était mieux demain

Légende de la carte
Balise blanche = données par ville
Balise bleue = données ou précisions concernant le département

Depuis février 2011, la mission gouvernementale Etalab est censée “apporter son appui aux établissements publics administratifs, pour la réutilisation la plus large possible de leurs informations publiques”. Encore faut-il que la notion d’Open Data soit arrivée aux oreilles desdites administrations. Car notre travail, ou plutôt notre ébauche de travail sur les polices municipales montre, une fois de plus, que l’Open Data est un sport d’endurance. Point d’étape, en espérant débloquer la situation.

La France entr’ouverte

La France entr’ouverte

L'État a lancé son site data.gouv.fr. La France, enthousiaste, ouvre donc ses données publiques comme les États-Unis. ...

Kafka dans la place

Au début de l’été, nous avons lancé avec nos amis de La Gazette des communes un projet commun : une carte de France des polices municipales. En effet, ce corps de métier prend une part de plus en plus importante pour assurer la sécurité intérieure. Ses effectifs ont doublé depuis une vingtaine d’années et elle représente la troisième force de police de France.  La doctrine d’emploi varie aussi d’une collectivité locale à l’autre, entre rôle préventif et véritable supplétif de son homologue national. Des différences de point de vue dont témoigne le débat sur le choix d’équiper les hommes avec des armes à feu.

Et au-delà des simples chiffres bruts, il y avait là une belle matière à analyser en rajoutant des couches de données :

- ratio effectif police municipale/police ou gendarmerie nationale
- type d’armement
- couleur politique
- revenu par habitant
- taux de délinquance
- service public comme La Poste
- la présence de caméras de vidéosurveillance

Ce projet était, sur le papier, facilement réalisable. En effet, une étude a été publiée en juin par le Centre national de la fonction publique et territoriale (CNFPT) avec des données agrégées. Les données brutes existent donc bien quelque part. L’organisme nous a répondu par la négative et notre relance étonnée n’a pas eu de retour.

Restait donc le ministère de l’Intérieur, qui nous a renvoyé fissa… aux préfectures. Pour mémoire, la France compte 100 départements, soit 100 adresses mails de service communication à lister dans un premier temps. Bien sûr, il aurait été trop simple que les coordonnées, à jour, fussent accessibles de façon claire sur chaque site de préfecture. Nenni, il a fallu aller les gratter sur Mediasig, avec un taux de courriels erronés non négligeable.

Au final, du pire au mieux, voici ce que les préfectures nous ont envoyé. De maigres résultats rageants, sachant que les préfectures ont ces données, comme l’une d’elles nous l’a confirmée :

Dans la mesure où les policiers municipaux font l’objet d’un double agrément préfet-procureur, toute préfecture est en mesure de sortir le nombre de policiers municipaux qu’elle a agréé. De plus le ministère demande des stats tous les ans.

Du néant au Graal du .xls

☠☠☠☠☠ : aucun retour. C’est le cas des 3/4 des préfectures environ.

☠☠☠☠ : un retour négatif, doublé d’un échange kafkaiën, comme celui que nous avons eu avec le service de communication du Morbihan, fort empressé au demeurant. Au moins sait-on pourquoi notre demande est refusée et vite, avec un humain au bout du fil :

- On ne les donne pas, voyez avec les communes, cela relève de leur responsabilité.

- Mais vous avez ces chiffres, puisque d’autres préfectures me les ont passés.

- Si d’autres préfectures ont pris la responsabilité de vous les passer, c’est leur choix. C’est du domaine des communes, adressez-vous à elles.

- Mais où est la prise de risque de me donner une information publique, les citoyens sont bien informés quand leur conseil municipal décide ?

- etc.

Le datajournalisme appliqué à la police

Le datajournalisme appliqué à la police

Sur un sujet par nature difficile à appréhender, car entouré d'une relative discrétion, le datajournalisme permet de ...

Fin du coup de fil, le point Godwin a été réfréné. Trop facile.

Variante en Haute-Savoie

- “Voyez avec les mairies, voici le mail de l’association des maires.”

Mail dans ce sens, réponse 15 jours plus tard :

- “Nous avons bien reçu votre demande mais nous ne pouvons malheureusement pas y répondre favorablement dans la mesure où n’avons absolument pas à notre disposition de telles listes. Je ne comprends pas pourquoi la Préfecture vous a renvoyé vers nous…”

Rebelote vers la préfecture. Nous attendons toujours leur réponse.

☠☠☠ : on nous passe des données mais ce sont des effectifs globaux pour le département, comme par exemple dans l’Hérault. À noter qu’en dépit d’un mail initial assez clair, la Moselle a d’abord envoyé ce type d’information. En insistant un peu, on a fini par récupérer le détail. Certes un pdf qu’il a fallu retaper, mais quand même (cf ☠☠).

☠☠ : un pdf imbitable est envoyé, ou pire un xls qui fait des caprices après vous avoir bercé de fausses illusions. Au final, ça va plus vite en recopiant.

: le document consent, au prix de quelques contorsions, à rentrer dans notre feuille de calcul. Comme dans la chanson, “mon indocile, mon difficile, et puis docile…”. On a aussi eu le cas de données envoyées dans le corps du mail.

coeur : un merveilleux tableau Excel ou un pdf qui se laisse copier-coller sans les petites bizarreries de mise en page habituelles avec ce format pourri dont les charmes nous échappent parfois. Ces cas-là se comptent malheureusement sur les doigts de la main d’un menuisier en fin de carrière.

Texte : Sabine Blanc
Carte : Julien Kirch


Interdit à la police municipale ? – Photo CC by C’était mieux demain / repimpée ici et sur la une par Owni /-)

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L’Uruguay tente l’Open Data à la demande http://owni.fr/2012/10/12/uruguay-tente-open-data-a-la-demande-quesabes/ http://owni.fr/2012/10/12/uruguay-tente-open-data-a-la-demande-quesabes/#comments Fri, 12 Oct 2012 07:00:26 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=122312 à la demande des citoyens. Lancé par une ONG militant pour l'accès démocratique aux données, QueSabes.org expérimente le concept en Uruguay. Interview d'un des initiateurs du projet, qui espère responsabiliser les politiques à coups de données ouvertes.]]> Lock in Hand - Photo CC by-nd Matt Dringenberg

Lock in Hand - Photo CC by-nd Matt Dringenberg

Quand nous sommes tombés sur QueSabes.org, nous avons cru quelques jours que l’Uruguay se positionnait en pointe du mouvement Open Data en Amérique du Sud. Ce n’est qu’après avoir discuté avec l’un des fondateurs de cette plate-forme que nous avons compris qu’il s’agissait là d’une initiative citoyenne  : demander aux Uruguayens les données qu’ils souhaitaient voir publier pour relayer ces doléances aux pouvoirs publics. Avocat de formation, enseignant-chercheur à la London School of Economics, le natif de Montevideo Fabrizzio Scrollini nous a exposé le projet qui l’anime depuis qu’il a découvert l’Open Data à l’anglaise.

Owni : comment est née l’idée du projet”Que Sabes.org” ?

Fabrizzio Scrollini : En m’installant à Londres, j’ai découvert les projets d’Open Data comme My Society et la Open Knowledge Foundation, qui impliquaient les citoyens dans le mouvement Open Data. De retour en Uruguay, j’ai réalisé qu’il y avait un terreau favorable pour ce type d’initiative : des programmeurs de la communauté du logiciel libre, des avocats et des chercheurs en sciences humaines s’intéressaient à l’impact de l’Open Data et voulaient en faire profiter le pays. Nous avons ainsi lancé DATA, une sorte d’ONG sous forme associative, composée de 35 bénévoles, une moitié de développeurs et une autre de scientifiques et de juristes. Le plus vieux à 35 ans ! Certains sont restés au pays, d’autres travaillent en Europe ou aux Etats-Unis : tout s’est monté par Skype et Google Chat ! Que Sabes.org est notre premier gros projet.

Tout s’est monté par Skype et Google Chat !

Pourquoi avoir choisi l’Uruguay pour lancer cette première initiative ?

Pour commencer, une partie des membres fondateurs de DATA sont originaires de ce pays (même s’il y a aussi des Anglais et des Américains, notamment). Ensuite, le pays a des caractéristiques intéressantes pour un tel projet : l’accès au web est supérieur à la moyenne (56%), il y existe une tradition forte de défense des droits de l’homme et elle constitue un bon terrain d’expérimentation à petite échelle avant de s’attaquer à de plus grandes zones géographiques.

Comment fonctionne Que Sabes ?

Le portail propose à chacun de déposer des demandes de données et de consulter celles qui ont déjà été déposées et transmises aux autorités. Le fait de pouvoir consulter les demandes déjà déposées est en soi une révolution car, du côté des pouvoirs publics, il n’y a aucun moyen de connaître le nombre de demandes et leur nature. Nous ne censurons rien mais nous excluons de la recherche les messages insultants pour l’Etat, ce n’est pas notre propos. En une semaine, nous avons reçu une centaine de demandes mais, au vu des statistiques, nous pensons que la cadence doublera assez vite. Une vingtaine portait sur la criminalité, beaucoup également sur la santé et le logement. D’autres sont plus “piquantes”, comme les questions portant sur le salaire des fonctionnaires. Mais nous ne jugeons pas les demandes, nous les prenons telles quelles.

Nous ne jugeons pas les demandes, nous les prenons telles quelles.

Quelle lien entretenez-vous avec les autorités ?

Nous avons des contacts informels avec des agents qui sont plutôt favorables à l’Open Data. En revanche, quand nous faisons des demandes aux administrations, les attitudes sont très variables. La mairie de Montevideo est très réticente malgré sa politique d’Open Data : les avocats de la ville réclament que chaque demande passe par un formulaire à télécharger en PDF sur leur site à déposer aux heures d’ouvertures de leurs bureaux. Pour ceux qui habitent à plus de 200 kilomètres de la capitale, c’est un peu compliqué ! Le National Service Office qui est chargé de la rémunération des fonctionnaires est tout aussi procédurier. A l’inverse, la présidence de la République s’avère particulièrement coopérante. Nous devons donc jouer avec son champ de compétences pour trouver les données que nous cherchons : nous avons pu récupérer grâce à elle des données sur la sécurité routière, l’environnement ou la criminalité. Il faut se frayer un chemin dans les prérogatives de chaque administration et ça rend la recherche et l’obtention des données parfois délicate. Mais il est essentiel d’être en contact avec les autorités car ce sont elles qui fixent les standards techniques et les formats des données dont nous relayons les demandes.

Les avocats de la ville réclament que chaque demande passe par un formulaire à télécharger en PDF sur leur site à déposer aux heures d’ouvertures de leurs bureaux.

L’Uruguay dispose-t-il d’une législation pour favoriser l’Open Data ?

La loi 18-381 d’octobre 2008, ou ley de acceso a la informacion publica, garantit théoriquement l’accès libre des citoyens aux données publiques. Sauf qu’en pratique, la tournure juridique uruguayenne a tendance à dénigrer les citoyens et leurs exigences. L’agence de e-gouvernement qui est chargée de son application est favorable à notre initiative  : elle nous a même prêté ses locaux pour le lancement officiel ! Mais le reste de l’administration n’est pas forcément au même niveau.

Quelle relation avez-vous avec le tissu des ONG sud-américaines  ?

Il y a une rupture très nette entre organisations à l’ancienne et organisations nées de l’essor des communautés numériques. Nous espérions pouvoir combler l’écart car les dissonances que provoque cette rupture ne sont pas favorables à des projets à l’échelle du continent. L’ONG uruguayenne Centre d’archivage et d’accès à l’information public (ou CAinfo) nous soutient depuis le début et nous avons également reçu les encouragements de l’Unesco.

Il y a une rupture très nette entre organisations à l’ancienne et organisations nées de l’essor des communautés numériques.

Quelles sont vos sources de financement  ?

Nous sommes tous bénévoles et nous mettons de notre poche pour les frais que génère le projet. Notre seule dépense réelle pour le moment a consisté à faire venir à Montevideo des activistes du Brésil, du Chili et d’Espagne pour le lancement de QueSabes.org. Quant au logiciel, il s’agit de Alaveteli, un programme open source développé par Francis Irving en Angleterre et qui fait tourner d’autres plates-formes du même type, comme What do they know. Nous avons pour projet de nous constituer en coopérative afin de garantir notre indépendance financière, ce qui est crucial au regard de notre projet.

Quels développements prévoyez-vous pour QueSabes.org ?

Que Sabes vise un projet de sensibilisation civique. Nous voudrions pouvoir offrir des stages aux jeunes pour leur apprendre à demander et trouver les informations qu’ils cherchent, en s’appuyant sur le programme One laptop per child, qui leur offre l’outil de base de leur recherche : un accès à Internet. Si nous réussissons notre expérience en Uruguay, nous envisageons de le répliquer au Paraguay voire dans des états d’Argentine… Toujours dans une démarche ouverte et coopérative. Il y a énormément de place pour les projets collaboratifs en Amérique latine.


Lock in Hand – Photo CC [by-nd] Matt Dringenberg

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