OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pape Diouf: «Le football français discrimine» http://owni.fr/2011/05/24/pape-diouf-%c2%able-football-francais-discrimine%c2%bb/ http://owni.fr/2011/05/24/pape-diouf-%c2%able-football-francais-discrimine%c2%bb/#comments Tue, 24 May 2011 11:09:13 +0000 Sandrine Dionys http://owni.fr/?p=64252 Pape Diouf, né en 1951, est arrivé à Marseille à la fin des années 70. Il est le fils d’un militaire qui s’est battu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Après des Études à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, ce Franco-sénégalais passionné de football, devient journaliste puis, des années plus tard, agent de joueurs pour Basile Boli, Joseph-Antoine Bell, Marcel Desailly, Bernard Lama, Sylvain Armand, William Gallas, Grégory Coupet, Laurent Robert ou encore Didier Drogba. En 2004, il rejoint l’Olympique de Marseille comme manager général du club, chargé des affaires sportives puis est nommé président du directoire. En 2005, il devient président de l’Olympique de Marseille jusqu’en juin 2009. Aujourd’hui, il est, depuis 2010, actionnaire de l’European communication school et de l’Institut européen de journalisme à Marseille.

Ce lundi, il a assisté au Cabaret Sauvage à Paris, comme membre du jury, à la 3ème édition des Y’a Bon Awards organisée par l’association Les Indivisibles, une cérémonie parodique de remise de prix aux pires propos racistes tenus impunément dans les médias français par des personnalités publiques.

Quel regard portez-vous sur la polémique autour de l’affaire des quotas?

Pape Diouf : Le sentiment que j’ai a posteriori, c’est que le vrai débat a été escamoté. On l’a passé à la trappe puisque cela arrangeait tout le monde, à commencer par le monde du football. Le débat a été réduit en fin de compte à une double question, qui n’avait aucun sens, à savoir si Laurent Blanc d’un côté était raciste, et de l’autre, s’il fallait le maintenir à la tête de l’équipe de France. Or ce n’était pas ça le vrai débat. A mon avis, l’information sortie par le site Mediapart n’aurait valu fondamentalement que par le débat, qu’elle posait :

Est-ce que le football français est raciste ou est-ce qu’il discrimine ?

Je ne répondrai pas positivement en disant qu’il est raciste, mais en tous cas, il discrimine, c’est évident. Mais cette question-là n’a pas été débattue, on s’est contenté de répondre de manière très sommaire, en disant qu’il suffisait de regarder tous les samedis et dimanche sur les terrains, que c’était là où la diversité était la mieux partagée, que c’était là où on pouvait effectivement parler de diversité réelle… Pour moi, tout ça, c’est du pipeau car la diversité s’arrête avec la fin de la carrière des joueurs. On ne voit aucun ressortissant issu de la diversité à la tête d’ une organisation, à la tête d’une instance, à la tête d’une direction sportive, donc voilà, le vrai débat a été escamoté.

Cette polémique est-elle symptomatique de quelque chose dans notre société française ?

Évidemment, on ne peut pas isoler le football de la société française. La société française, elle est ce qu’elle est, c’est une société qui expulse, c’est une société qui, selon moi, discrimine. Il est extrêmement rare de voir quelqu’un issu de la diversité occuper un poste à responsabilité. Il n’y en a pas à la tête d’un ministère régalien, il n’y en a pas à la tête d’une société du CAC 40, à la tête d’un corps de l’armée. Certaines sociétés anglo-saxonnes ont, sur ce point-là, une petite longueur d’avance sur la société française. Elle discrimine et je vois mal comment le football peut être isolé de cette réalité-là. Aujourd’hui certains disent, non sans raison, que la société se lepénise, en tous cas dans les esprits. Beaucoup de choses sont dites plus facilement que des années en arrière. Aujourd’hui, afficher son extrémisme idéologique n’est plus rare : certains le font à la télévision, à la radio, dans la presse. Il y a des idéologues de la droite extrême qui s’affichent et tout ça montre que la société française a pris un virage, de mon point de vue, dangereux et ce dans toutes les couches de la société…

Équipe de France: match France-Brésil, coupe du monde 2006

Quel est votre avis sur la question des binationaux formés en France depuis tout jeunes et qui vont ensuite jouer dans le pays d’origine de leurs parents ?

C’est un faux débat. Cette question de la binationalité, elle est déplacée. Laisser germer l’idée qu’on forme des jeunes pour qu’ils jouent en équipe de France, c’est faux. Souvent ils rendent ce pour quoi ils ont été formés en jouant pour les clubs et en participant activement et même de manière décisive, aux compétitions qui sont organisées. Déjà, c’est un faux débat de penser que ces jeunes-là n’ont été formés que pour l’équipe nationale car que fait-on du championnat, de la coupe de la ligue, de la coupe de France ? Sans ces jeunes issus de la diversité, ces compétitions-là ne vaudraient pas grand-chose, de la même manière que n’aurait pas valu beaucoup l’armée française sans les ressortissants venus des colonies (les tirailleurs), de la même manière que l’économie française n’aurait pas connu l’envol qu’elle a connu dans les années 60 sans l’apport de ces mains étrangères dont on a eu besoin… Donc, on a aujourd’hui besoin de ces jeunes issus de la diversité pour que la compétition soit animée.

Deuxième remarque : quand on dit « ces jeunes-là, ils s’en vont »… Moi personnellement, et par expérience, je ne connais pas de jeunes issus de la diversité qui aient privilégié d’aller jouer dans le pays d’origine de leurs parents par rapport à l’équipe de France. Généralement, ces joueurs qui sont nés en France ou qui sont arrivés ici très jeunes privilégient tous, d’abord, de jouer en équipe de France. Tout simplement parce que c’est l’équipe de France qu’ils connaissent le mieux, donc, c’est plus facile, et même sur le plan culturel, de jouer dans l’équipe de France, il y a moins d’incompréhensions qu’en jouant dans l’équipe du pays d’origine des parents. Et, l’équipe de France, c’est un tremplin pour leur carrière internationale, ça la booste, ils ont intérêt à rester ici et ils restent ici. Cela n’arrive qu’à l’âge de la vingtaine voire passé les 24-25 ans, pour certains, quand ils s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas intégrer la cellule de l’équipe de France A. Ils commencent alors à regarder peut-être ailleurs et répondent à des convocations qui peuvent leur permettre de découvrir des compétitions internationales comme la Coupe d’Afrique des nations ou la Coupe du monde. Voilà la vérité…

Lors de cette réunion dont le verbatim a été révélé par Mediapart, le problème qui occupait les participants était-il d’avoir des jeunes qui n’aillent pas jouer pour des sélections étrangères après avoir été formés en France, où était-ce plus un problème d’une équipe « pas assez blanche » ?

Peut-être que chez certains il y avait une ambivalence mais on ne peut pas toujours sonder les états d’esprit, donc, je ne peux pas avoir de préjugés… Mais en France, certains, très connus, ne se sont pas cachés pour dire que l’équipe de France n’était pas assez blanche. On a entendu Georges Frêche à l’époque le dire, Finkielkraut le dire, et les Le Pen aussi, et ça c’est moins étonnant, le dire aussi, plus d’autres le murmurer… Donc cette affaire-là a toujours été un problème en France aux yeux de certains. Ensuite, lors de cette réunion, il a été question plus de profils en disant que la formation devrait être orientée différemment au regard de ce qui se passe en Espagne, pour favoriser le recrutement de gens moins « armoire à glace », costauds, grands et forts mais plutôt de joueurs plus standards physiquement.

Et en disant ça, on sous-entendait que les grands, forts et costauds étaient toujours des Noirs, ce qui veut dire que des joueurs standards et plus techniques réfléchissent plus (la notion de réflexion n’est pas dite mais elle est sous-entendue…). C’est une manière effectivement de stigmatiser un certain type de physique, ce qui est de toutes façons faux, puisque l’on sait qu’une des meilleures et plus belles équipes d’Europe est l’Ajax d’Amsterdam. Or l’Ajax d’Amsterdam dans les années 70 était le prototype même de l’équipe composée de vrais athlètes, forts, grands et costauds, ce qui ne l’a pas empêchée d’avoir été une équipe intelligente, technique, réfléchie. Alors bon, il y a beaucoup d’arguments qui ont été avancés mais à chaque fois, c ’était des arguments qui ne résistaient pas face à une analyse sérieuse et rigoureuse.

Équipe de France: match France-Italie, Euro 2000

Quel jugement portez-vous sur Laurent Blanc ? Est-il raciste selon vous ?

Non. Le débat n’a jamais été ça de mon point de vue. Réduire le débat à savoir si Laurent Blanc était raciste ou pas, était déjà tomber dans le piège de ceux qui ne souhaitaient absolument pas que le débat se déroule. Laurent Blanc que je connais personnellement ne me paraît pas du tout être un gars raciste parce que j’ai eu à échanger avec lui, je le connais suffisamment. Et puis contrairement à beaucoup, je n’ai pas envie de m’ériger en « légitime » qui délivrerait des brevets de non racisme et de racisme, car dans cette affaire-là, beaucoup de gens se sont levés pour dire « un tel n’est pas raciste, on peut le dire » comme s’ils étaient habilités à dire qui est raciste et qui ne l’est pas. Non, je ne pense pas du tout que Laurent Blanc soit raciste et franchement, pour moi ce n’est pas le débat.

Faut-il changer des choses à la Fédération Française de Football (FFF) ? Si oui, quoi, qui ?

Oui, il y a toujours des choses à changer évidemment mais ce n’est pas seulement à la FFF mais dans l’ensemble de l’organisation du football. Maintenant, quoi et qui, je ne veux pas non plus m’ériger ici en donneur de leçons. Je sais simplement que pour voir progresser les choses, il faut que le football soit moins discriminant. C’est une chose essentielle pour qu’on ne retombe plus dans ce type d’errements… Puisque je suis certain que le jour, dans les instances administratives, techniques, financières, sportives, où on verra des gens issus de la diversité en nombre, en proportion de leur présence dans le milieu du football, ce genre de discours entendu et condamné ne se produira pas. On ne peut pas tenir ce genre de discours, si, dans une instance, il y a des Arabes par exemple et des Noirs… C’est parce qu’ils ne sont pas là que ces discours peuvent être tenus. Donc, il faut, de mon point de vue, moins discriminer et il faut amener le football à être vraiment exemplaire, ce qu’il n’est pas aujourd’hui contrairement à ce qu’on dit.

Le football a déjà démontré que Dugarry, le Français d’origine, peut être très ami avec Zidane, le Kabyle d’origine, que Desailly, le Ghanéen d’origine, peut être très ami avec Deschamps, le Français d’origine, et que, en étant amis comme ils le sont, ils font tomber des barrières. Ils démontrent qu’ils sont des êtres humains, chacun avec ses caractéristiques et sa capacité de réflexion, et qu’ensemble, ils peuvent réussir plein de choses comme en 1998. Alors pourquoi ne pas continuer ? Pourquoi ne pas faire de Desailly après sa carrière de sportif, un dirigeant ? Pourquoi ne pas faire de tel joueur arabe, un technicien ? Etc, etc. C’est ainsi qu’on va faire tomber certaines barrières et qu’on fera aussi avancer les choses.

Y a-t-il une forme de communautarisme dans le football français, des clans « ethniques » qui se forment ? La France devient-elle elle-même de plus en plus communautariste ?

Le communautarisme n’est pas trop mon point fort. Moi je n’aime pas trop le communautarisme car il amène à des idées, il amène à des choix que je ne partage pas forcément, comme la discrimination positive. Je pense que tout ça, c’est compliqué à mettre en place. Le communautarisme est toujours un réflexe de repli sur soi et ça ne me paraît pas être la meilleure des choses. Donc combattre ça et plutôt se battre pour le respect de la valeur humaine, se battre pour que la reconnaissance de la compétence soit faite là où elle est, et ce, quelle que soit l’origine de la personne compétente, quelles que soient aussi ses croyances ou ses convictions. Ce qui me paraît essentiel, c’est ça. La reconnaissance de l’être humain dans sa plénitude et sa vraie nature.

Vous avez été le seul dirigeant noir d’un club évoluant en première division dans toute l’Europe. Comment analysez-vous cette exception ?

Je ne sais pas, je n’ai pas d’analyse précise. Je pense que c’était un concours de circonstances assez exceptionnel. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que j’étais peut-être une sorte « d’anomalie ». C’est comme ça. Parler de moi comme le seul dans toute l’Europe, ça montre que pour qu’une règle soit vraie, il faut une exception. Moi j’étais un peu l’accident…

Le 23 mai vont se dérouler les Y’a Bons Awards ? Avez-vous été souvent victime de racisme ou de déclarations racistes ?

J’ai cette force de n’avoir jamais été soumis au complexe de persécution. Donc à partir de ce moment-là, je ne me suis jamais mis dans un coin à me dire :

On m’a pas donné ça parce que je suis noir.

Non, moi je me suis toujours battu contre tout ça, donc je n’ai pas eu le temps de m’arrêter pour dire qui était raciste, qui ne l’était pas, d’autant que pour moi, la définition du racisme n’est pas l’exclusif d’une race. Le racisme, c’est une connerie universelle, c’est une connerie humaine et donc, est libre d’être con qui veut. Moi, j’ai décidé de ne pas être con donc de ne pas être raciste. Après que certains le soient, oui, mais ce n’est pas le racisme ordinaire qui m’ébranlera.

Vous êtes arrivé dans les années 70 en France. Avez-vous l’impression que la France est plus raciste aujourd’hui ?

Évidemment que la France est devenue plus restrictive qu’elle ne l’a été. Ça a commencé je pense avec le premier choc pétrolier, puis au début des années 80, c’est là que la France a commencé à se fermer, à se replier sur elle-même, a vu se constituer une droite dure, une droite musclée. Et cette droite-là a d’abord concentré ses tirs contre l’immigration. Donc forcément la France est devenue beaucoup moins accueillante, loin de l’image que Malraux se faisait de la France. C’est sûr, on est très loin de la France de ces années d’avant…

Avez-vous quelque chose à ajouter avant la fin de notre entretien ?

Je dirais simplement que les Ya’Bons Awards, c’est plutôt une initiative qui me paraît assez intelligente, dont les initiateurs ont certainement beaucoup d’imagination. Les Ya’Bons Awards participe, d’une certaine manière, de la vie politico-intellectuelle-culturelle de la cité, et c’est pas mal…

Propos recueillis par Sandrine Dionys


Article initialement publié sur le Bondy Blog sous le titre : Pape Diouf : « Il faut amener le football à être vraiment exemplaire »

Crédits Photo wikimedia commons cc-by-sa PeeJay LasseG Frédéric Humbert

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La religion laïque http://owni.fr/2011/04/05/%c2%ab-hier-c%e2%80%99etait-l%e2%80%99etat-qui-etait-laique-et-non-la-societe-%c2%bb/ http://owni.fr/2011/04/05/%c2%ab-hier-c%e2%80%99etait-l%e2%80%99etat-qui-etait-laique-et-non-la-societe-%c2%bb/#comments Tue, 05 Apr 2011 12:10:15 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=55232

En 2011, les décideurs politiques tripotent la laïcité. Mais depuis longtemps le sujet intéresse aussi des universitaires de haut niveau, sommés de comprendre plutôt que de convaincre des électeurs. En matière de sciences sociales, la star vedette du genre s’appelle Philippe Portier. Professeur à Science-Po Paris, il dirige en outre le Groupe sociétés, religions, laïcités (oui laïcités avec un s), un laboratoire de recherche dépendant du CNRS. Et au sein de l’École pratique des hautes études, rattachée à la Sorbonne, il occupe la chaire Histoire et sociologie des laïcités. Ces derniers jours, alors que les caciques de l’UMP redéfinissaient leur laïcité à eux, nous avons demandé à Philippe Portier de se prononcer.

Le débat sur la laïcité parle-t-il vraiment de la laïcité ?

La laïcité peut se définir comme un mode d’agencement des relations entre l’État et les forces religieuses. Elle articule trois éléments constitutifs : la liberté de conscience (droit de croire et de ne pas croire), l’égalité des confessions et des opinions, l’autonomie réciproque des Églises et de l’État.

En ce sens, le débat actuel porte bien sur les questions relevant de la laïcité. Les problèmes évoqués par le pouvoir, et le parti majoritaire, renvoient bien à cette question de l’aménagement de la relation Églises/État. On évoque par exemple l’occupation de la voie publique par les manifestations religieuses, la place du religieux dans les services publics, l’organisation des cimetières avec la question des carrés musulmans, le respect des obligations alimentaires religieuses dans les restaurants publics.

Deux problèmes étroitement corrélés cependant, qui altèrent considérablement le débat :

D’une part, le débat vise à modifier assez substantiellement la laïcité traditionnelle, celle de 1905, qui était fondée sur un régime de liberté de conscience, permettant à l’opinion religieuse de s’exprimer partout sauf pour les agents du service public. Hier l’État était laïc, et non la société. On est en train de transformer ce modèle, en voulant bannir le signe religieux de la voie publique elle-même, ou transformer le statut de l’usager du service public, qu’on entend priver du droit d’exposer pacifiquement ses convictions dans l’enceinte des lieux d’État. Je pense là aux propos du ministre de l’Intérieur, en opposition absolue avec les contenus du régime français de laïcité.

D’autre part, le débat se trouve sous l’attraction du Front national. Votre question suppose qu’il est des arrière-pensées dans le débat actuel. C’est incontestablement le cas. Il s’agit, c’est une banalité que de le rappeler, de faire pièce au parti de Marine Le Pen en agitant le spectre d’un islam non maîtrisable. Il reste que la question de l’intégration, même agitée par les divers populismes, est une question européenne.

À en croire certains, il y aurait pourtant un problème sur la laïcité en France. Donc : simple artefact ou dysfonctionnement plus profond ?

La question de la laïcité est très disputée. On peut repérer trois tendances. L’une ne voit pas de problème dans la pérennité du modèle mis en place en 1905. Son analyse repose sur l’idée qu’il faut faire une distinction entre la sphère de la puissance publique et la sphère de la société civile. Une seconde estime que l’on ne va pas assez loin dans la laïcité de reconnaissance et milite pour des accommodements raisonnables. Une troisième considère que face à la montée de comportements « incontrôlables », où l’on voit le spectre d’un islam radical, il faut étendre les interdits jusque dans la société civile. Pour les deux derniers courants, il y a un dysfonctionnement qui appelle en effet des rectifications au moins réglementaires.

La population française est-elle homogène quand elle pense la notion de laïcité ?

La réponse doit être nuancée. Les enquêtes sur la laïcité manifestent globalement une conception de la laïcité « ouverte » : la laïcité ne doit pas s’analyser pour la majorité des Français comme un régime de relégation du religieux. La tendance du petit père Combes n’a plus le vent en poupe. La laïcité s’identifie à un régime de respect du pluralisme.

Pour autant, la population manifeste des inquiétudes devant un religieux « incontrôlé », venant remettre en cause l’identité politique (droits de l’homme) et l’identité culturelle (habitudes traditionnelles) du pays. Ce qui explique son adhésion à la loi sur la burqa ou sa réticence devant la construction de minarets. Le sondage de janvier dernier dans Le Monde où plus de 40 % de la population interrogée rappelait que la population musulmane était mal intégrée relevait de ce tropisme.

Quel phénomène, ou quel fait social, constituerait à vos yeux une vraie menace pour la laïcité ?

Votre question suppose une définition préalable de la laïcité. Si on la définit comme un régime articulant la liberté (égalitaire) de conscience et la neutralité de l’État, deux types de comportement me semblent lui porter atteinte.
D’une part, le républicanisme ultra-laïciste qui confond neutralité de l’État et neutralité de la société. Les récents propos du ministre de l’Intérieur vont dans ce sens.

D’autre part, le communautarisme fermé qui entend faire prévaloir la loi religieuse sur la loi de l’État en remettant en cause le principe constitutionnel selon lequel tout être doit être considéré comme une « personne libre et égale ».

Image Flickr PaternitéPas d'utilisation commerciale Abby Cadaver

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Jacob et les Jacobins http://owni.fr/2011/02/16/christian-jacob-et-les-jacobins/ http://owni.fr/2011/02/16/christian-jacob-et-les-jacobins/#comments Wed, 16 Feb 2011 15:09:54 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=46981 Les faits : sur Radio J (une radio communautaires juive à Paris), le président du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, a déclaré à propos de la candidature de Dominique Strauss-Kahn :

Ce n’est pas l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien, celle à laquelle je suis attaché.

Un certain nombre de représentants socialistes sont alors tombés sur le râble du député, considérant que cette phrase cachait des arrières-pensées antisémites.

L’historien Serge Klarsfeld, pourtant généralement assez prudent dans les comparaisons historiques, s’est autorisé à rapprocher la phrase de Christian Jacob d’une réflexion faite par Xavier Vallat, futur commissaire général aux questions juives sous le gouvernement de Vichy, qui avait dit à Léon Blum en 1936 : « Votre arrivée au pouvoir marque incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain va être gouverné par un juif. » Christophe Cambadélis s’est permis la même comparaison et Pierre Moscovici a rappelé la devise pétainiste : « La terre ne ment pas. »
En l’absence de contexte particulier (on ne sait pas ce que Christian Jacob a dit avant ou après et, pour ma part, j’ignore si ce monsieur a un passif particulier dans le registre), il est difficile de comprendre comment tant de gens sont parvenus à imaginer que Christian Jacob ait pu sciemment chercher à faire de l’œil aux électeurs antisémites, ce qui serait infiniment plus coûteux que rémunérateur, politiquement parlant.

Dominique Strauss-Kahn, un haut-fonctionnaire international

Il me semble évident que, si Christian Jacob n’aime pas Dominique Strauss-Kahn, c’est surtout parce que ce dernier appartient au parti concurrent et qu’il est jugé crédible dans le domaine de l’économie, ce qui est rare pour les personnalités réputées de gauche. Il est bien possible que Christian Jacob voie surtout Dominique Strauss-Kahn comme un haut fonctionnaire international, ce qu’il est, et un Parisien, ce qu’il est aussi (tandis que Christian Jacob est un authentique paysan, enfin il l’a été), mais s’il n’aime pas DSK et qu’il ressent le besoin de le dire, c’est évidemment parce qu’il appartient à la concurrence. Du reste, rappeler que Strauss-Kahn est, de par ses fonctions, bien loin de la France, est la ligne actuelle de ses détracteurs et, notamment, de l’UMP.

L’importance de la réaction contre Christian Jacob fait émerger des questions de civilisation intéressantes. La culture juive de France (mais pas celle de nombreux pays de l’Est ou d’Israël) est essentiellement urbaine, et inversement, les campagnes sont réputées chrétiennes et conservatrices. Je trouve amusant que le député pris à partie s’appelle Christian Jacob, puisque « Christian » est un prénom dérivé du christianisme, et que Jacob est le nom d’un patriarche de la Torah – Hugues Serraf, en commentaire à un article de Slate sur le sujet, parie d’ailleurs que beaucoup de gens pensent que Christian Jacob est juif.

Même si l’histoire justifie, et pour longtemps, une hyper-vigilance vis-à-vis des indices d’antisémitisme, je trouve la polémique ridicule, et pourtant, Zeus sait que je ne me sens pas particulièrement d’atomes crochus avec les personnalités haut-placées à l’UMP comme ce monsieur Jacob.

Ce qui m’intéresse, et que je trouve triste finalement, c’est la détestation des paysans qui transparait dans cette affaire. Serge Klarsfeld, par exemple, a dit ceci :

Dans une France qui n’est plus rurale, ni antisémite, nombreux sont les noms et les personnalités qui ne s’identifient pas à la France de Jean Giono et de Philippe Pétain, à commencer par le président de la République et le secrétaire général de l’UMP.

Je ne suis pas sûr de ce que veut dire Klarsfeld à propos de Sarkozy et Copé, mais l’association entre « rural » et « antisémite », présentée comme allant de soi, est plutôt désagréable à lire, surtout de la part de quelqu’un de valeur. Quand à prétendre que la France n’est « plus rurale » ? C’est curieux, c’est dérangeant, c’est faux, mais il est bien possible que des millions de Français urbains soient persuadés que la campagne est une affaire classée.

La France rurale : simplette, idiote, bigote, et donc antisémite…

J'aime pas les juifs.

Dans un article au second degré écrit sur Slate, Laurent Sagalovitsch affirme que Christian Jacob n’est pas antisémite et que « La France, ça se mérite. La France, ça se respire. Ça se hume. Un Français devant le postérieur d’une vache, ça pleure toutes les larmes de son cul. Un Français devant une église robuste comme un trois quarts gascon ça s’agenouille et ça remercie Le Seigneur Tout-Puissant, à s’en faire péter les cordes vocales, de l’avoir fait naître dans cette contrée bénie des dieux. » C’est du « second degré », comme on dit, mais il trahit chez son auteur une vision assez terrible de la France rurale : simplette, idiote, bigote, et donc antisémite… Ailleurs il se moque des vaches ahuries et des lignes de chemin de fer mal entretenues.

Mais voilà, la France rurale, si maltraitée, si méprisée du pouvoir jacobin, si délaissée (il ne reste que trois ou quatre gares SNCF pour tout le bucolique – et socialiste ! – département du Gers, par exemple), elle existe bien toujours. Elle produit ce que nous mangeons, ce qui nous fait vivre, elle construit le paysage, elle a fait la gastronomie française, qu’il n’est pas exagéré de présenter comme une des plus riches au monde, et pourtant elle crève à petit feu empoisonnée par les ententes entre distributeurs, par la concurrence des serres d’Almeria, par les pesticides et par le désespoir.

L’agriculture n’est pas un mauvais souvenir que l’on doit chasser, un fantôme à exorciser, c’est un des sujets les plus importants du siècle qui commence, c’est un trésor menacé que l’on doit absolument protéger. La première chose à faire serait peut-être de ne pas insulter l’intelligence des paysans : on peut aimer ses champs sans être pour autant nostalgique du pétainisme.

Images CC Flickr Cmic Blog, Photos de Daniel et Pouspous

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Vincent Peillon, le coup d’éclat (im)pertinent http://owni.fr/2010/01/18/vincent-peillon-le-coup-d%e2%80%99eclat-impertinent/ http://owni.fr/2010/01/18/vincent-peillon-le-coup-d%e2%80%99eclat-impertinent/#comments Mon, 18 Jan 2010 12:27:30 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=7054 Marine LePen a jugé Eric Besson impoli en ce jeudi soir de messe télévisuelle, après en bon rhéteur,  avoir fait rire d’un seul bon mot assimilant notre ministre de l’Identité Nationale à un produit deux en un «  socialiste et UMP à la fois. » A mes yeux,  sans doute sans en être consciente, l’euro député du Front National a posé la vraie question de fond de cette soirée : celle de la politesse dans le débat démocratique médiatisé, celle que Vincent Peillon lui aussi venait de façon fracassante de remettre en cause en transgressant les codes de conduite oratoire et refusant le débat et ses conditions, dans ce que l’on pourrait interpréter un peu facilement comme un geste outrecuidant de fuite ou du moins peu démocratique de refus du débat.

Le philosophe Vincent Peillon a en ce jeudi soir subordonné le Vincent Peillon politicien pour pouvoir convoquer en un geste violent Habermas, Chomsky , Cicéron et Foucault.  Les réactions a son refus « impoli » de se rendre sur un plateau pour débattre sur un sujet qu’il juge indigne prouvent en majorité par leur caractère offusqué cette forme de résorption de la pensée rhétorique dans le préjugé social, qui est devenu notre quotidien médiatique, avec pour ultime critère ce jugement de la foule.

Le spectacle du débat dévoilé

Dans sa justification a posteriori , Vincent Peillon a convoqué sans les nommer Chomsky et Debord : fabrique du consentement et société du spectacle. Sur l’occurrence du deuxième dans notre vie quotidienne, il n’est point besoin de discuter une évidence.  Mais qu’en est il du premier qui remet en cause la mission de service public au sens noble de ce terme à la télévision française ?

Les modalités ( le piège dit il ) du passage de Vincent Peillon dans A vous de juger ne sont pas pertinentes en l’occurrence. Plus pertinent est le contenu même de l’émission.  Le portrait effectué de M. Besson en début d’émission justifie à lui seul l’argumentaire de Vincent Peillon.  Dans ce « reportage », rien ne nous est épargné, rien n’est politique : apparition de l’intime, justification psychologisante, biographisme politique.  Son ex-femme vient nous donner le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy comme un leitmotiv de la vie de son ex-mari. Ses origines sont évoquées avec force musique, appuyant tant sur la méditerranéité d’Eric Besson que sur l’intime douloureux de la perte d’un père remplacé par  chance par la nation. Après avoir saacrifié à cette mode du témoignage de la maîtresse,  même les politiques socialistes interrogés se livrent à des explications  touchant au pathos , parlant d’humiliation. Rien de politique, rien des convictions, tout dans l’extime. Jusqu’au sacrifice suprême du père préférant son devoir envers la Nation et donc éducateur des valeurs républicaines, comme il lui a été transmis par sa mère à qui il fait « une spéciale dédicace »et restant ministre malgré les pleurs honteux de ses enfants. On l’aura compris M.Besson est humain, trop humain.  M.Besson est français, tout le prouve et tolérant, ce qui restait à prouver. Voilà qui est fait, son identité nationale est établie.

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Puis vint le débat avec Marine LePen qui pose l’identité électorale de ceux que sert M.Besson.  Marine LePen ( qui a hérité des qualités oratoires de son père apparement) fait un contresens lorsqu’elle pose que le FN est le seul  « véritable » opposant à l’UMP , face à l’annonce de la défection de M.Peillon. Elle n’a pas compris que le dispositif de l’émission servait au contraire la fin de convaincre son électorat tout en marquant courtoisement son désaccord avec la xénophobie du FN.  Elle n’est que le contre-exemple sur ce plateau. A l’heure de grande écoute, elle permet à Eric Besson d’être autre chose qu’un traître aux yeux du téléspectateur, mais un être convaincu, car socialiste ou UMP, il sera toujours anti-FN. Elle n’est qu’une stratégie de repoussoir.

S’il est une phrase de cette soirée qui prouve que Peillon a bien fait de convoquer Chomsky, elle vient d’Arlette Chabot qui s’adressant à Eric Besson dit : « vous aimez les effets médiatiques on ne peut pas vous en vouloir vous avez été journaliste ! ». C’est donc cela être journaliste, aimer les effets médiatiques ! Dire que certains pensaient que cela consistait à aimer les faits, les causes, les analyses,  rechercher une forme de vérité !

Ce soir là , l’audimat ne sera pas au rendez vous, mais l’effet médiatique se posera sur ce que l’on attendait pas : la défection « grossière » de Vincent Peillon.  C’est elle qui devient sujet  des interventions, non plus comme habituellement par la présence dans un média mais par l’absence, et plus encore par les modalités de cette absence.

Une polémique est-elle un débat ?

Face à la mine grise de colère contenue d’Arlette Chabot, comment ne pas convenir que M. Peillon a dépasser les bornes de la convenance avec une violence peu commune au service politique de France 2 : un communiqué de presse et l’extinction de son portable ? Faut-il donc être un goujat d’une part et peu démocrate d’autre part pour refuser le débat dans ses conditions ?  Plus largement, quelle part de violence est acceptable dans la pratique du jeu politique médiatisé ?

Vincent Peillon l’a bien compris la polémique nait de la polarisation entre ami et ennemi , face à face constituant du politique et qui prend une dimension tragique avec Eric Besson, ancien compagnon de conviction.  Les procédés dans laquelle celle-ci doit s’exercer sont extrêmement codifiés : langage, présentation etc.  Les opposants rentrent en compétition au sein d’un même espace socio-institutionnel commun dans lequel le but n’est pas d’avoir raison mais de réduire l’autre au silence.  Dans cet espace, l’attention au convenable est essentielle. Pour reprendre Cicéron dans De Oratore, il faut faire preuve de retenues dans les saillies ( dicacitatis moderatio ) et préserver la gravité ( gravitas) en se contrôlant ( temperentia) et en faisant attention à la fréquence de ses traits d’esprit ( raritas dictorum). Ce qu’il ne faut pas, c’est rendre visible une agressivité impropre ( petulentia). Cette même agressivité ne relève pas du fond mais de la forme. On pourrait croire que Vincent Peillon a été «  pétulant » au moins envers  l’animatrice d’A vous de juger ce soir là.

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Mais ce serait méconnaître la nature de la polémique. L’aspect fondamental de celle-ci est de n’être astreinte à aucune condition ou raison, elle est transgressive des normes traditionnelles.  Pour nier l’existence d’un débat sur l’identité nationale, Vincent Peillon a polémiqué en niant l’existence même du dispositif de débat organisé par France 2.

Un risque politique, une identité

Par cette  transgression, Vincent Peillon s’est éprouvé. Il s’est mis en épreuve, c’est-à-dire qu’il traverse un moment destiné à requalifier  son entité, ce qu’il représente, par rapport à des questions saillantes, celle essentielle des modalités du débat démocratique. Ce faisant, et après avoir révoqué tout jugement moral qui fait passer la dissimulation ( agir stratégique ) pour du mensonge, il légitime la violence de son procédé par les graves conséquences sociales que le débat indigne sur l’identité nationale lui semble porter, et en cela, il prend un risque éminemment politique, d’une acuité et d’une profondeur rhétorique peu en cour actuellement.  Vincent Peillon a donc éprouvé son identité politique et éprouve la notre en mettant à jour la distorsion entre le réel de la politique politicienne et l’idéal de débat démocratique. En somme, il a donné sa pierre à l’édifice de débat national d’Eric Besson : être français, c’est être éminemment politique.

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Usines à contenus : pas une nouveauté http://owni.fr/2009/12/14/usines-a-contenus-pas-une-nouveaute/ http://owni.fr/2009/12/14/usines-a-contenus-pas-une-nouveaute/#comments Mon, 14 Dec 2009 14:47:42 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=6186 (www.briangetsresults.com)

Tout le monde s’affole et tombe des nues avec cette histoire. Je suis mort de rire, j’avais déjà beaucoup ri en lisant l’article de Wired.

Nous sommes des centaines a avoir gagné notre vie avec des usines à contenus, moi en tête, cela depuis dix ans. Je vous passe Wikio. Une farm-links c’était une usine à contenu simplissime pour coincer Google.

Google a rafiné son algorithme. Des petits malins ont cherché des astuces. Alors que nous créions des contenus avec des robots, ils les font créer par des esclaves humains payés au lance-pierre.

Google n’y voit que du feu. Jusqu’à ce qu’il décide à blacklister ces sites comme il l’a fait avec certaines farm-links historique ou a chasser leurs pages dans les bas-fonds de son index. Tout cela nous prouve simplement que Google perd en pertinence mais que tant qu’il sera dominateur, il faussera l’écosystème du Web puisque des gens chercheront à le baiser. C’est de bonne guerre.

Les usines à contenus ne sont pas une révolution mais une constante depuis qu’on peut gagner de l’argent sur le Web. C’est une martingale… C’est vrai que je la maîtrise plutôt bien… et comme il faudrait que je pense à gagner à nouveau un peu d’argent… pourquoi je reviendrais pas dans le jeu. C’est ça ou vous avez intérêt à acheter mes prochains livres.

PS : Que font les blogueurs qui veulent avoir du trafic ? Ils transforment leur blog en usine à contenus.

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