OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Un égo très créatif http://owni.fr/2011/12/09/raphael-meltz-le-tigre/ http://owni.fr/2011/12/09/raphael-meltz-le-tigre/#comments Fri, 09 Dec 2011 15:29:54 +0000 Axel Orgeret Dechaume http://owni.fr/?p=89855
“Revue ravissante pour jeunes gens graciles”, Le Majeur / Badabing ! est une double revue culturelle de 80 pages. Les lecteurs du numéro 1 ont pu découvrir un portfolio sur les courbes des culturistes irakiens, une interview de l’avocat Jacques Vergès et de Marc-Edouard Nabe, et des conseils pour bien réussir un duel à l’épée. Le deuxième sera aussi surprenant, avec notamment la visite d’un abattoir, un dossier sur le socialisme à l’ancienne, l’épopée baseball des Mets et quelques appels au meurtre. Chic, ils lancent ça jeudi prochain.


Il y a beaucoup de choses que Raphaël Meltz ne veut pas faire. Il ne veut pas mettre de pubs dans son journal. Il ne veut pas y traiter de l’actualité culturelle. Il ne veut pas utiliser de logiciels qui ne sont pas libres. Il ne veut pas qu’on le mette dans une case : journaliste, écrivain, intellectuel. Il ne veut pas qu’une journaliste de Libération lui consacre la quatrième de couverture. Il ne veut pas être interviewé en personne. Il ne veut pas parler moins vite.

Michel Butel, prodigieux inventeur de L’Autre Journal voulait “mettre la presse à l’égal d’une œuvre”. Raphaël Meltz et Lætitia Bianchi l’ont pris au mot et ont fondé l’étonnante revue alphabétique R de Réel. Puis, après s’être entourés d’un essaim d’historiens, essayistes, illustrateurs, écrivains, ils ont lancé le journal Le Tigre (“curieux magazine curieux”). À mi-chemin entre une forme et une autre, le journal a mué, gonflé, il s’est même teinté de couleurs.

Tour à tour indigné et roublard, Le Tigre emmène ses lecteurs des confins de l’Orient aux frontières du web, de la cuisine de Gérard Schivardi aux ors des cabinets ministériels. Sujets et illustrations sont grattés par de belles plumes. Le reportage photo d’un compère parti très loin côtoie l’hommage, sobre et touchant, à un complice parti trop vite.

Au détour d’une page de son Voyez-vous (éd. Verticales), Lætitia Bianchi nous livre :

Je lis un quotidien d’informations : les dernières vingt-quatre heures sont couchées là, avant qu’on ne les enterre.

Le Tigre s’attelle à étirer ces vingt-quatre heures, à les passer au tamis de la poésie et du sensible. Arrogant, superbe, sévère et exigeant, il n’entend pas le monde, il l’écoute.


Dans l’un des articles, il y a une formule qui m’a marqué : “décidément, c’est agréable de ne pas être journaliste”. Comment définissez-vous votre travail au sein du Tigre : écrivain, journaliste, observateur ?

J’occupe plusieurs places au sein du Tigre : l’ayant co-fondé avec Lætitia Bianchi en 2006, j’ai longtemps joué un rôle de co-rédacteur en chef, alors que nous étions deux. Puis trois durant l’année 2010 (formule quinzomadaire) où Sylvain Prudhomme nous avait rejoints. Et seul durant les sept premiers numéros de 2011 (formule mensuelle), Sylvain étant parti, et Lætitia ayant choisi de prendre du recul. Je ne joue plus ce rôle depuis l’automne 2011, puisque c’est Lætitia qui a repris, seule, la fonction. Si je détaille cela, c’est parce qu’on n’écrit pas de la même façon dans un journal quand on en coordonne le sommaire ou non. Par ailleurs, je m’occupe également, par la force des choses et non par désir, de l’administration du journal.

Aucune étiquette

Pour revenir à votre question : évidemment qu’il n’y a aucune étiquette qui me convienne parfaitement. Observateur, certainement pas, parce que ça suppose de ne pas être acteur, or je suis toujours acteur lorsque j’écris un papier dans Le Tigre : je ne crois pas du tout à cette idée qu’ont les journalistes que l’actualité existe malgré eux. C’est toujours un, ou plusieurs êtres humains qui font le choix de parler de tel sujet plutôt que de tel autre (et l’effet boule de neige donne assez vite le sentiment qu’il s’agit d’une “actualité”).

Je ne suis pas journaliste, comme je le répète souvent dans Le Tigre : d’une part parce qu’officiellement je n’en ai pas le statut (pas de carte de presse), mais surtout parce que je n’ai jamais eu le désir de l’être, jamais eu l’idée que je ferais des études de journalisme ou que mon avenir serait d’être grand reporter au Nouvel Observateur.

Écrivain, je le suis en-dehors du Tigre, puisque j’écris des livres, principalement des fictions : mais, au sein du journal, on s’est toujours interdit la fiction, donc personne ne vient faire un travail d’écrivain (si tant est qu’on lie ce mot à celui de la fiction) au Tigre. Pour tout dire, devoir se définir ne me semble absolument pas nécessaire, ni pour moi, ni pour les autres auteurs du Tigre : il me semble plus intéressant de parler des textes que de leur auteur.

Il y a eu une période, qui n’a pas duré longtemps, où je me suis dit qu’on devrait revendiquer le titre de journalistes : qu’on devrait considérer qu’en réalité, nous (les auteurs du Tigre, mais pas seulement ; tous ceux qui ont à cœur de faire une autre presse) sommes vraiment les journalistes, et que les autres sont des rédacteurs d’info. Qu’on devrait réenchanter le journalisme en expliquant que certains résistants le pratiquent encore – et pas ceux qui remplissent les pages banales des titres sans âmes.

Et puis j’ai trouvé ça absurde de vouloir m’affubler d’une cape que je n’appréciais guère ; j’ai laissé tomber cette idée.

Au sein du Tigre, j’ai pratiqué plein de genres d’écritures, plein de formats différents : c’est ce qui me paraît intéressant, l’expérimentation sur les textes. J’ai écrit des papiers type « journalistes », d’autres nettement plus littéraires, la plupart dans un entre-deux. À propos d’un “auteur-type” du Tigre, j’avais écrit une formule un peu lapidaire, mais qui vaut ce qu’elle vaut, je la ressors plutôt que de la paraphraser : “Quelqu’un qui se prend pour un journaliste mais qui s’imagine écrivain. Quelqu’un qui veut la rigueur du sociologue et la beauté du poète.” Je pourrais ajouter : “qui veut la profondeur de l’historien et la légèreté du comique.”

Il est devenu un poncif de dire que la presse papier traditionnelle est en voie d’extinction. La raison pour laquelle nous avons monté le projet Le Majeur / Badabing !, est que nous pensons que la réponse est : faire plus beau, plus fouillé et moins ancré dans l’actualité. En gros, faire jouer une dernière fois l’orchestre pendant que le Titanic coule. Vous partagez cette opinion ?

Il est évident que le Titanic coule : mais ça dure, à mon sens, depuis une trentaine d’années. Et ce n’est pas Internet, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, ou laissent croire, qui coule la presse française : c’est son incapacité à, comme vous le dites, faire des journaux beaux, intelligents, subtils, drôles si possibles.

Et libres de toutes les mauvaises habitudes qui sont celles des journalistes : s’exciter sur les gros sujets dont tout le monde parle, et éviter de comprendre que la beauté d’une écriture, la subtilité d’un regard nous en apprennent beaucoup plus sur le monde que l’énième papier qu’il faut écrire à la suite des autres.

Que se passera-t-il lorsque le Titanic sera au fond des mers, c’est-à-dire que le système de diffusion de la presse française sera mort ? C’est une question sérieuse qu’il ne faut pas esquiver ; pour le moment, je n’en sais rien, mais je pense que la génération à venir (la vôtre) devrait l’affronter avec courage, parce que sinon tout se finira très vite sur des tablettes électroniques.

Qu’il s’agisse de supports papier ou web, la presse branchée ou indépendante consacre de nombreux papiers aux titres mythiques : Actuel, Hara-Kiri, L’Idiot International, L’Autre Journal. Ces titres ont-ils influencé Le Tigre ?

Il faut se méfier de ceux qui parlent toujours d’un passé mythique sans forcément se préoccuper du présent. On entend souvent parler de ces titres, en effet, mais c’est un peu comme le mot “socialiste” dans l’expression “parti socialiste” : c’est une façon de revendiquer quelque chose sans faire le moins du monde l’effort de s’interroger sur son sens. À quoi bon chanter les louanges d’une certaine presse alternative des dernières décennies quand on est soi-même un gigantesque publi-commercial dont l’unique but est de parler des livres, films et autres jeux vidéos que le lecteur doit se dépêcher d’aller consommer ?

Une création propre

Ce qui nous a influencés, c’est évidemment l’idée d’une forme de résistance aux habitudes de la presse que tous ces titres, d’une façon ou d’une autre, ont pratiquée. En ce qui me concerne, je n’ai été lecteur que de L’Autre journal parmi tous ces journaux, et il serait évidemment absurde de nier que Le Tigre en porte une trace. Je renvoie vos lecteurs au très beau texte de Michel Butel que nous avons publié en 2007, “La presse à l’égal d’une œuvre” (disponible sur notre site), où il explique parfaitement bien la différence entre un journal lambda et un journal conçu comme une création propre.

Dans un entretien accordé au site web Article 11, vous reprochiez à la presse “pure player” (Rue 89, Slate, Médiapart) de n’être qu’un agrégat de contenus. Ironiquement, le sous-titre du Tigre est une phrase d’Héraclite “un tas de gravats déversés au hasard : le plus bel ordre du monde”. Le travail que fournissent le site du Guardian ou bien OWNI, notamment sur le versant data-journalisme, peut-il trouver grâce à vos yeux parmi cet agrégat de gravats ?

Je n’avais pas pensé lire la phrase d’Héraclite comme une ode à la presse Internet, fragmentaire, parcellaire, où l’on arrive par communautés (réseaux sociaux) ou parce qu’on s’intéresse déjà à un sujet (fils RSS, recherche Google). Un tas, pour moi, c’est un tas, posé au sol, et qui reste là, et que je vais pouvoir inventorier ; ce n’est pas des poussières qui volent au vent, qui ne cessent de s’agiter devant mes yeux, ou que ne cessent de me projeter mes “amis” virtuels. Aucun site internet, OWNI moins qu’un autre, n’est un “journal”, ce sont des agglomérats, avec un énorme avantage (aucune limite de place ; aucun souci de diffusion), et, à mes yeux, un terrible inconvénient : l’absence d’une fabrication. D’une création. D’une imagination.

Je vois bien que, depuis quelques temps je suis passé du côté des vieux cons mais il me paraît essentiel de continuer à concevoir un journal comme un objet clos (fût-il sous forme numérique) et non pas comme une forme d’automate mettant à la queue-leu-leu des articles, aussi intéressants soient-ils (et, la plupart du temps, ils ne sont guère intéressants), puis les chassant pour les remplacer par d’autres. J’ai une vision encore très romantique de “l’honnête homme” qui s’intéresse à tout, qui aime la beauté des choses (et même l’odeur du papier).

Je ne nie pas l’intérêt d’Internet en général, évidemment, mais l’absence, pour le moment, de média existant en tant que tel sur internet.

L’exemple de Rue89 est très intéressant à observer. Lorsqu’ils ont lancé un magazine en papier (pour faire entrer de l’argent dans leurs caisses, ce qui en dit long sur l’absurdité qui voudrait que la presse papier coule à cause d’Internet), ils ont montré leur totale incapacité à créer un journal. Leur magazine est non seulement étonnamment laid, mais en plus il échoue totalement à avoir une âme propre (paradoxalement, il en a encore moins que le site Internet…). Ce qui veut dire que, parasités par leur expérience web, les créateurs de Rue89, pourtant issus de la presse papier, se sont montrés incapables de créer un vrai titre en papier : et plus le temps passera, moins les gens sauront faire. Sauf, bien entendu, les résistants.

Croire que le chemin de fer [l’organisation des sujets dans un journal, ndlr] est une idée dépassée est, à mon sens, tout aussi absurde que de penser que pour faire une maison, il suffit de murs extérieurs. On a encore besoin de cloisons ! Regardez comment les gens deviennent fous dans leurs lofts… (Et je ne plaisante qu’à moitié.)

Un défi à l’organisation traditionnelle

Cela dit, notre référence au tas de gravats doit s’entendre comme un défi à l’organisation traditionnelle de la presse écrite, qui, elle, a tendance à cloisonner le monde dans des rubriques closes (Politique, Société, International, etc.). Durant plusieurs vies du Tigre, nous tentions d’organiser ainsi ses pages ; puis nous avons voulu gagner en liberté, ne plus faire autre chose d’un déroulé, qu’une forme close dont l’ensemble soit la cohérence. La phrase d’Héraclite (qui utilise le terme « beau », ce n’est pas un hasard) s’est imposée.

De nombreux articles du Tigre se jouent des limites du discours publicitaire ou politique : les rendez-vous corporate, les canulars auprès de suivi-conso de grandes boîtes ou les détournements de pubs années 1970 par l’Hippopotable pour ne citer qu’eux. Et, de l’autre côté, il y a un soin particulier apporté à mettre en avant une parole libérée : graffitis à Haïti, murs peints en Afrique, interviews de concierges, croque-morts, éboueurs, flics etc. Avez-vous l’impression de mener un combat contre la novlangue ?

Même l’expression “novlangue” me dérange. Et, en général, Le Tigre préfère, par ses articles, par son existence propre, ce que vous appelez “mener un combat” plutôt que de commenter ce combat. Je veux dire par là que ce n’est pas à moi de faire l’exégèse de notre démarche politique. Politique, Le Tigre l’est assurément, mais il l’est d’une certaine façon : pas directement militant, mais dans sa pratique.

Que ce soit en refusant la publicité, en travaillant intégralement avec Linux (démontrant au passage que les logiciels libres sont des outils totalement professionnels), et en faisant le choix de sujets, de façons de les traiter. Évidemment, le rapport à la parole, à la langue, à l’écriture, est central : mais ne comptez pas sur moi pour donner ici des leçons ; c’est tout le sens du travail que nous menons que de ne pas imposer des idées toutes faites aux lecteurs.

Dans l’un des tout premiers numéros du Tigre, vous vous félicitiez d’avoir perdu cinq lecteurs, outrés par différentes choses, dont votre maquette et la longueur des articles (“5 de perdus”). Dans un numéro spécial, qui précédait le numéro 1 de la nouvelle version du Tigre, vous avez publié un long article d’explication et d’introspection portant sur Le Tigre (“Pourquoi faire un journal ?”) où vous reprochiez à vos lecteurs “de ne pas réagir, si ce n’est dans d’innombrables mails où ils feulent leur admiration et ils vous serrent la patte et ça, ça ne fait pas avancer le schmilblik” et rêviez à voix haute de “pouvoir choisir” ceux-ci. Comment conciliez-vous cette relative agressivité vis-à-vis de vos lecteurs avec l’idée du Tigre en tant qu’ “engagement humanitaire : c’est comme si je sacrifiais de mon temps au profit du monde” ?

Là, vous allez trop vite, et pour le lecteur qui ne connaît pas Le Tigre et les textes que vous citez, cela risque d’être incompréhensible. Une chose est certaine : Le Tigre n’a jamais eu pour but d’être consensuel. Que des lecteurs s’agacent ou s’ennuient en nous lisant, qu’ils restent insensibles à notre démarche me paraît très sain : on n’est pas complètement idiots, si on avait voulu faire Paris-Match, on l’aurait fait.

En revanche, ce qui est plus compliqué, c’est le rapport qu’on peut entretenir avec les lecteurs qui aiment Le Tigre et qui, parfois, oublient de nous rendre la monnaie de notre pièce : il y a une partie sacrificielle dans le temps qu’on investit pour faire ce journal avec, en effet, le sentiment de donner quelque chose au monde ; et, parfois, l’absence de réaction de ce monde-là (les lecteurs) peut sembler un peu injuste. Cela étant, après avoir écrit ce numéro-confession (“Pourquoi faire un journal”) à l’automne 2010, j’ai reçu plusieurs centaines de réponses, dont la plupart étaient belles ou intelligentes ou utiles ; depuis, je ne me plains plus de mes lecteurs.

Il y a deux ans, le magazine Chronic’art réalisait un numéro d’avril entièrement faux (fausses interviews, reportage sur “le jeu vidéo qui tue”, critiques de disques, films et livres n’existant pas etc.). En 2006, vous avez également effrayé une partie de vos lecteurs en leur faisant part d’une proposition de financement du journal par Esso. Vous écriviez, “Que faut-il préférer ? Un journal mort ou un journal qui s’adapte à la logique économique du monde dans lequel il vit ?”, avant de dévoiler le pot-aux-roses au numéro suivant. Ces moyens sont-ils, selon vous, pertinents ou suffisants pour effectuer une critique de l’état de la presse actuelle ?

“Nous sommes des farceurs”

C’est une forme comme une autre. Ce numéro en question de Chronic’art était en effet intéressant puisque c’est la seule fois dans leur existence qu’ils ont créé quelque chose (le reste du temps, ils ne font que chroniquer des produits culturels). Nous avons souvent fait des poissons d’avril (à chaque fois, les lecteurs tombent dans le panneau), tout simplement parce que nous sommes des farceurs. Je préfère votre question suivante (note pour le lecteur : il s’agit d’un entretien écrit, j’ai triché, j’ai lu toutes les questions avant de répondre).

L’une de vos illustrations représente un orgue mécanique du Victoria & Albert Museum, Tipoo Tigre, qui chante “Je préfèrerais vivre pendant (traduction plus précise je pense) deux jours comme un tigre que pendant deux siècles comme un mouton”. Dans le numéro mai/juin 2008, il y avait une double page satirique, avec un sommaire de journal (Le Mouton) qui égrenait tous les marronniers et sujets sans intérêt qu’on peut lire dans la presse actuelle : “le classement des meilleurs lycées franc-maçons des plus belles villes de France”, “le jour où j’ai accouché de quintuplés”, “Natalia et Veronika, le portofolio de Karl Lagerfeld” etc. J’ai été assez surpris d’y trouver une pique adressée à la revue XXI. Pourquoi ce coup de griffe ? Les considérez-vous comme un tigre qui a échoué, ou comme un mouton qui va durer deux siècles ?

On a souvent abusé de jeux de mots autour du mot “tigre”, c’était tentant. En ce qui concerne le Tipoo Tiger, il est évidemment question ici de la notion d’intensité : ce qui vaut pour la vie tout court vaut pour la vie professionnelle, donc également pour le journal qu’on fait. Donc, oui, on a toujours déclaré que Le Tigre vivrait le temps qu’il faudrait, et qu’il ne sera jamais question de le continuer parce qu’il marche (comme un mouton, donc). D’où, par ricochet, le besoin fréquent de changer de formule : pour éprouver que la vie continue.

En ce qui concerne XXI, mon sentiment est ambivalent : bien sûr qu’il y a quelque chose de réjouissant à voir le succès d’une aventure hors-norme, qui donne à lire de grands reportages écrits “à l’ancienne” (entendre : pas formatés comme on l’apprend dans les écoles de journalisme). Mais je suis gêné par pas mal de choses : le côté “empilement” des sujets, un aspect visuel que je trouve peu cohérent, le refus de “réenchanter” la presse (XXI n’est vendu qu’en librairies, affirmant ainsi que la presse en kiosque n’a plus vocation à croire en la qualité ; je pense au contraire qu’il est essentiel d’être présent à la fois en kiosques et en librairies : sinon la presse “différente” restera cantonnée dans ces lieux culturels relativement élitistes que sont, qu’on le veuille ou non, les librairies).

Par ailleurs, je suis assez amusé de leur façon de se proclamer indépendant (avec le groupe Gallimard et Charles-Henri Flammarion au capital) et sans publicité (en nouant des partenariats, logos à l’appui, avec la Fnac et France Info)… Bien entendu qu’il y a une part de jalousie derrière tout ça : le succès qu’ils ont obtenu, nous ne l’avons jamais eu avec Le Tigre, alors que, honnêtement, notre projet est beaucoup mieux que le leur… Mais ce que ça montre surtout, c’est la différence entre des gens qui conçoivent leur projet également dans sa portée commerciale, et des clowns dans notre genre qui ne s’intéressent qu’à la beauté du geste – ni à sa réussite, ni à sa longévité. Et des lignes qui précèdent le lecteur conclura aisément que je préfère la compagnie d’un clown à celle d’un cadre commercial.


PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par jamesjyu, PaternitéPas d'utilisation commerciale par estevenson, Paternité par NS Newsflash

]]>
http://owni.fr/2011/12/09/raphael-meltz-le-tigre/feed/ 9
La mort de Ben Laden, et des rédactions cloisonnées http://owni.fr/2011/05/10/la-mort-de-ben-laden-et-des-redactions-cloisonnees/ http://owni.fr/2011/05/10/la-mort-de-ben-laden-et-des-redactions-cloisonnees/#comments Tue, 10 May 2011 06:30:42 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=61962 Frédéric Filloux (Monday Note) et Felix Salmon de Reuters reviennent cette semaine sur la couverture de la mort de Ben Laden.

Ils notent deux choses :

  1. L’info vient de Twitter
  2. La plupart des journaux n’avaient pas l’info le lendemain



Voici le fil des publications :

Nous sommes le 1er mai 2011.

Au moment où les Américains entament leur raid sur le fief du leader d’Al Qaida, il se trouve un individu, Sohaib Athar, consultant, pour envoyer des messages sur Twitter via son téléphone portable. Il se trouve qu’il habite à côté… Il ne se rendra compte qu’après qu’il a en fait “couvert” en direct la mort d’Oussama. Symbole très fort de la puissance du mobile et de Twitter, et de comment l’explosion de l’usage des deux va continuer de bouleverser la couverture et le traitement de l’info. Notez bien : le tweet a été envoyé du fin fond du Pakistan…

Le traitement journalistique ensuite :

10h24 – Keith Urban, que personne ne connaissait jusqu’ici, annonce sur Twitter la mort d’Oussama Ben Laden, quelques heures après l’intervention des Navy Seals. En fait, Keith Urban est une source fiable : il est le responsable du staff de Donald Rumsfeld, l’ancien secrétaire d’État à la défense.

10h25 – le Tweet de Keith Urban est re-tweeté par un journaliste du New York Times, Brian Stelter.

Résultat :

Bizarrement, note Felix Salmon, quand Arthur Brisbane publie chronique dans le New York Times sur comment son journal a été le premier média à annoncer la mort d’Oussama Ben Laden, il omet de citer son confrère, pour lui préférer la journaliste qui a obtenu l’info de façon plus… traditionnelle disons, c’est à dire grâce à une “source”. Il écrit donc : à 10h34, une source prévient Ms Cooper de la mort de Ben Laden. L’info est sur le site à 10h40. Puis sur Twitter à 10h41. Il ne s’agit pas du tweet de Stelter, mais de celui de Zeleny, un autre confrère du journal. Schizophrénie, quand tu nous tiens…

La première leçon de cette histoire, c’est donc que sur cette info, Twitter a bien été le premier média. D’abord par un témoin, puis par une source semi-officielle, puis par les journalistes.

Le problème, c’est que les médias traditionnels ont encore du mal à le reconnaître, d’où l’exercice compliqué du chroniqueur du NYTimes, “oubliant” le tweet de son confrère parce que, sans doute, pour lui, “retweeter” ce n’est pas du journalisme. Si, M.Brisbane, retweeter c’est du journalisme ! Stelter n’a pas seulement retweeté, il a contextualisé son tweet et validé sa source. Bref, il a fait son métier de journaliste. Trop peu de rédactions savent faire une vraie veille sur Twitter, lui préférant l’AFP. Grave erreur.

Des Unes obsolètes

La deuxième leçon c’est que, évidemment, Ben Laden a eu la mauvaise idée de mourir après le bouclage de nombreux journaux, qui se sont retrouvés le lendemain avec une “Une” obsolète… Le quotidien papier, dans sa forme actuelle est un média dépassé. C’est la raison pour laquelle, notamment, les journalistes doivent tous travailler sur le numérique, pas pour le papier et un peu pour le web. Sur le numérique, d’abord, tout doit y être publié, en priorité. Puis re-mis en scène sur le papier. Le papier doit être un accessoire du numérique.

C’est au moment où Keith Urban lâche son tweet que l’on doit avoir toute la rédaction papier sur le pont pour une publication en temps réel. Pas seulement les journalistes du web. Les signatures sont essentiellement dans les rédactions papier, on le sait. Quand le monde apprend la mort de Ben Laden, les lecteurs ont besoin des journalistes des quotidiens tout de suite. Les analyses, les commentaires, les interviews doivent être publiés en temps réel. Maintenant, comme en radio ou en télé, mais avec cette capacité propre à Internet de s’étirer dans le temps et de proposer une sorte de viscosité du rythme : temps réel, puis approfondissement, sédimentation, archivage… Le web est une encyclopédie vivante et liquide de l’info.

C’est donc la rédaction entière qui doit faire le journal en ligne, pas une pauvre équipe web sous-staffée dépendante de l’AFP.

Je ne dis pas que le papier ne sert à rien, mais qu’il doit être remis à sa place, c’est un format parmi d’autres, et dans sa temporalité : il arrive après la fête. C’est d’ailleurs la grande force des magazines papier, habitués à traiter l’actualité avec le recul du rythme hebdomadaire. Ainsi le nouvel Observateur a-t-il pu publier trois jours après, 22 pages spéciales sur ce qu’il fallait comprendre de l’événement.

Après les révolutions arabes, et maintenant la mort de Ben Laden, 2011 a révélé la puissance des médias sociaux dans le traitement et la distribution de l’information. C’est loin d’être terminé.


Article initialement publié sur le site de Benoit Raphael, La Social Newsroom, sous le titre : “Mort de Ben Laden : pourquoi il faut fusionner les rédactions”.

Crédits Photo : FlickR by-nc-sa Pixel Form

]]>
http://owni.fr/2011/05/10/la-mort-de-ben-laden-et-des-redactions-cloisonnees/feed/ 4
[ITW] J-M Charon: “Les médias français n’ont pas de culture de recherche et développement” http://owni.fr/2011/05/03/itw-jean-marie-charon-medias-francais-innovation/ http://owni.fr/2011/05/03/itw-jean-marie-charon-medias-francais-innovation/#comments Tue, 03 May 2011 15:30:40 +0000 Céline Sawalski http://owni.fr/?p=60496 Le sociologue des médias Jean-Marie Charon a publié en mars La presse en ligne aux éditions La découverte. L’occasion pour OWNI de faire un état des lieux de l’évolution des sites de médias.

Vous critiquez l’approche trop “homogène” qu’avait Xavier Ternisien, journaliste spécialiste des médias au Monde, des rédactions web. Vous avez publié en mars une enquête sur la presse en ligne, quelles sont vos principales observations ?

Ma première enquête doit dater de 2009. J’en ai discuté avec Xavier Ternisien après son article. Sur le web, la typologie est plus riche en terme de formes éditoriales et de types de journalistes. Il n’y a pas seulement des journalistes de desk  mais aussi des journalistes qui font de l’information multimédia beaucoup plus évoluée et trouvent des nouveaux modes de traitement, comme Ternisien avait pu le décrire. Chez Rue89 et Mediapart, on retrouve aussi des fonctions journalistiques plus traditionnelles et intégrées dans l’univers du web, des enquêteurs, des éditorialistes, des intervieweurs, qui sont issus de la presse traditionnelle.

La presse régionale travaille très différemment. Les journalistes dédiés à de la production imprimée peuvent dans le même temps s’impliquer sur le web. Le journaliste devient un journaliste Shiva qui va sur le terrain et multiplie les compétences. Et enfin, les rédactions pure-players qui ne se sont pas positionnées sur le traitement de l’information chaude et qui ont plutôt recherché des lignes éditoriales complémentaires. Par exemple, Slate se présente comme un magazine et non comme un média d’info d’actualité.

Jean-Marie Charon

Les pure-players se multiplient. Atlantico.fr a été lancé le 28 février. Cette diversité vous semble t-elle viable étant donnée la difficulté des sites à trouver un modèle économique ?

Il faudra répondre au cas par cas. Ces sites ont une identité éditoriale forte et ne trouveront des ressources que s’ils ont un public suffisamment motivé pour participer soit sous forme d’abonnement (comme pour Mediapart), soit sous d’autres formes. Rue89 a travaillé sur le lancement d’une plateforme de don, J’aime l’info. Lorsque ces sites tentent de diversifier leurs activités en développant du service (e-commerce), il y a en face des concurrents très forts. Seule la motivation des lecteurs pour se rendre sur ces sites d’info participera de leur projet éditorial. Il faut qu’il y ait une motivation supplémentaire, c’est là que ça va se jouer.

On va voir apparaître des modèles moins présents dans la presse généraliste, avec des activités un peu hybrides.

Les rédactions se diversifient et développent des nouvelles activités: formation, organisation d’événements. C’est une pratique qui se fait beaucoup en presse professionnelle et technique où les chiffres d’affaires sont issus à 20, 30% d’activités annexes (salons, séminaires). C’est ce qu’indique le modèle développé par Rue89.

Pourquoi y a t-il autant de pure-players en France, ce qui n’est pas le cas du reste de l’Europe ?

Les sites d’actualité rattachés à des médias traditionnels ont été moins créatifs que des sites comme le Guardian ou le New York Times. Le Figaro.fr et Le Monde.fr ont des contenus qui se ressemblent et qui ne donnent pas l’image d’une recherche permanente d’innovation. Du coup, cela n’a-t-il pas créé des espaces de recherches d’innovation qui ont été couverts par des pure-players ? Autre facteur, la France a connu une énorme crise de l’emploi dans les médias, et en particulier dans la presse quotidienne. Des journalistes compétents, actifs, qui ont quitté leurs rédactions, ont tenté quelque chose.

Contrairement aux pays anglo-saxons où l’on débarque des dizaines de journalistes qui partent avec rien, en France, quelle que soit l’ancienneté, il est possible de partir avec des indemnités. Il va y avoir au Monde des nouvelles clauses de cession, je suis sûr que l’on va retrouver quelques-uns des journalistes dans les « pure-players », s’ils n’en créent pas eux-mêmes. Que ce soit Slate, Rue89, Mediapart ou Arrêt sur Images, dans les quatre cas ce sont des animateurs de projets issus de la presse écrite. Grâce à cette possibilité de partir avec beaucoup d’argent, certains se sont dit: profitons-en et créons des médias sur de nouveaux supports, c’est beaucoup moins cher.
Aussi, la presse magazine a montré qu’il était encore possible de créer des médias. Avec de petites équipes, des idées et quelques fonds, on peut encore lancer des projets. Ce n’est certainement pas un modèle évident en Allemagne ou en Grande-Bretagne, où la création de médias appelle des capitaux importants et des structures lourdes.

Deux pure-players ont échoué à l’étranger, même s’ils avaient des journalistes qualifiés, parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de mettre des fonds personnels. Ils dépendaient uniquement de fonds d’investissement, et quand ceux-ci ont eu l’impression que l’info n’était peut-être pas ce qu’il y a de plus rentable sur le web, ils ont laissé tombé. Ça a été le cas pour soitu.es en Espagne et Netzeitung.de en Allemagne.

Le site espagnol Soitu.es n'est pas parvenu à s'imposer comme un pure-player.

Pourquoi les sites d’info adossés à des médias n’ont-ils pas pris le même chemin que leurs équivalents anglo-saxons ?

Cela doit beaucoup au problème de faiblesse structurelle de la presse française. Elle n’a pas les moyens financiers pour des développements de cette envergure. Il n’y a pas de culture de recherche et développement, les médias français ne sont pas assez habitués à travailler sur des maquettes, sur des pilotes, dans des laboratoires. C’est Nicolas Voisin qui dit que OWNI sert de laboratoire pour la profession.

On aurait tout à fait pu imaginer qu’un groupe comme Lagardère ou Le Monde Interactif crée un vrai laboratoire. Le Monde Interactif a essayé, avec Le Post.fr, mais ça a tourné court. Cela n’a pas été maîtrisé, ils ont été incapables de l’assumer et d’en faire quelque chose. Bruno Patino avait essayé de faire passer ses idées dans une période où il y avait certainement un problème de management.

Nous sommes à un moment charnière dans l’établissement des modèles économiques, les sites diversifient beaucoup leurs activités. Quel avenir voyez-vous pour ces modèles hyper-diversifiés ?

La particularité du web, c’est que c’est un média plus flexible et maniable. Je pense qu’on peut avoir une approche de niche. On va voir cohabiter des projets avec des médias financés par des sociétés de services, comme c’est le cas pour OWNI, des projets éditoriaux soutenus par des activités annexes ou par l’abonnement (Mediapart), mais cela ne nous dira rien de la capacité à équilibrer Le Monde.fr ou Le Figaro.fr. La répartition des ressources n’est pas encore connue entre les éditeurs et ceux qui sont les intermédiaires entre l’info et les lecteurs: les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les fournisseurs d’accès à Internet.

Jusqu’à présent tous ces acteurs considèrent qu’ils font leur business dans leur coin et que, bien sûr, c’est mieux d’avoir des fournisseurs de contenu qui attirent les internautes. Mais ce n’est pas leur problème. Cette situation n’est pas éternelle, CNN se dit que sur le web ils ne gagneront jamais d’argent. Si des médias aussi importants que CNN ou le New York Times ne trouvent pas de modèle économique, par l’abonnement ou d’autres moyens, les portails ne pourront pas laisser ces entreprises s’effondrer et perdre en qualité et en fréquence de contenu.

Petit à petit on va certainement voir une division de la relation entre ceux qui ont accès aux publics et ceux qui fournissent le contenu.

Cette question se pose avec l’iPad, entre un fournisseur de matériel et les éditeurs de contenus. D’emblée, avec la répartition 70/30%, l’opérateur abandonne la vision de Google et des FAI. Ces derniers obtiennent des revenus publicitaires et plombent le modèle économique du fournisseur de contenus. On peut imaginer que certains FAI ou Google envisagent un partage des revenus. Cela reste hypothétique.
La presse en ligne perd l’accès direct à son lecteur et dépend de plus en plus des intermédiaires. Il y a les moteurs de recherche, les fournisseurs d’accès, les agrégateurs et maintenant les réseaux sociaux. 50% du trafic de Rue89 vient par exemple de Google ou des recommandations via les réseaux sociaux, 70% arrivent via les agrégateurs chez L’Express.fr. Il y a une perte de cet atout : pouvoir identifier ceux qui viennent chez vous, qui ils sont. Des infos que collectent les fabricants de matériels, les agrégateurs. Cela engendre une perte d’une partie de la recette publicitaire. Si un site comme Rue89 reste en déséquilibre à la fin de l’année, cela deviendra inquiétant.

Les sites qui utilisent un mur payant, tel que celui que vient de lancer le New York Times s’en sortent-ils mieux que les autres ?

Le quotidien anglais Times, qui est passé au tout payant, a perdu 90% de son audience. Eux disent qu’en perdant ce lectorat, mais en gagnant de nouvelles recettes, ils ont atteint un meilleur équilibre qu’avec le modèle précédent. Il y a une contradiction que posent les sites payants, et que posaient moins les sites gratuits: vous ne pouvez pas rendre un site payant sans apporter un contenu à valeur ajoutée. Le Monde.fr ou le New York Times sont confrontés à ce problème: le modèle du papier c’est de ne fournir que de l’information à valeur ajoutée. Faire du contenu à peu près similaire sur le web et espérer que vous allez faire décoller le quotidien est paradoxal.

Il y a un an tout le monde croyait au micro-paiement. Aujourd’hui ce n’est qu’une feuille de plus sur un mille-feuille.

Alors que les modes de ressources des médias traditionnels étaient simples : la publicité, les recettes des ventes; aujourd’hui on va rentrer dans des systèmes où l’on va cumuler des feuilles les unes sur les autres. Certains lecteurs sont très sensibles à des sites qui renvoient vers des sites de e-commerce et perdent confiance en un site d’information. Les régies publicitaires qui s’occupent de sites d’info le disent : le display (les pubs sur le site) ce n’est pas intéressant, tout le monde en fait on ne progressera plus. Les autres moyens sont le financement aux clics et il y a le “sur-mesure” qui consiste, pour une marque, à proposer à un site d’info de faire une Une autour de sa marque. Si un site faisait ça, il perdrait complètement sa crédibilité en terme d’information.

Les initiatives de financement par les dons, le mécénat, sont nombreuses (Propublica, J’aimelinfo.fr, Glifpix). Pensez-vous que c’est un développement nécessaire ?

Le site Glifpix dont on a entendu parler au moment des Assises du journalisme à Strasbourg, propose ce service. Mais la plupart des projets d’articles ou de sites ne sont même pas financés au dixième, ça a l’air d’être un fiasco complet. Pour que ça ait du succès, il faut beaucoup en parler et avoir une communauté qui est motivée par l’info sur le web et sensible à ce média. Ce que je crains pour Jaimelinfo.fr, c’est que l’on n’ait pas du tout dans cette posture en France. Aux États-Unis, les financements par les fondations sont traditionnels pour de nombreux secteurs : les hôpitaux, les universités, les institutions. En France, cela reste cantonné aux ONG. Ça ne prendra pas l’ampleur que cela peut avoir aux États-Unis.

Il y a eu des fonds créés via un système de mécénat qui donne des avantages fiscaux si vous investissez dans des sociétés de financement pour la presse écrite. Cela ne mobilise pas beaucoup d’argent. Le SPEL [NDLR: fonds d’aide au développement des services de presse en ligne] ce ne sont pas des fonds pour équilibrer mais pour réaliser des investissements sur des projets. Mais si vous n’arrivez pas à développer des projets, il ne faudrait pas en arriver à la situation de la presse écrite qui est presque complètement dépendante des aides de l’État. 

L’élection présidentielle approche. On a vu cette année des affaires comme l’affaire Woerth, sorties d’abord sur le web. Pourquoi la classe politique a-t-elle été aussi virulente envers les sites d’infos ?

La classe politique est déphasée par rapport à une partie de la société. Quelques politiques s’y sont un peu mis, mais la classe politique reste vieille et a moins de familiarité avec ce média.

La pratique courante du cumul de mandats donne des emplois du temps assez encombrés. Et le web est un média chronophage. Si vous voulez suivre les réseaux sociaux, les sites d’info, comprendre comment fonctionne la logique éditoriale de Slate, Mediapart, Rue89, où les papiers sont plus longs et complexes, il faut du temps. Les politiques n’ont ni le temps, ni le goût, ni la compréhension, ils ne connaissent ce média qu’indirectement, par des tiers.

En plus, ces médias sont de plus en plus foisonnants, avec des formes plus anciennes du journalisme : l’investigation, l’édito, la satire, des formats beaucoup plus irrévérencieux. D’emblée il y a une très grande dégradation de l’image des journalistes. J’ai travaillé dans des cabinets ministériels et animé des réunions et de séminaires au Service d’Information du Gouvernement. C’est là que l’on entendait, à propos du web, les termes d’ “information poubelle”, d’”information caniveau”. Et personne ne s’est levé pour protester.

Photos Flickr CC-BY-NC-ND par matteopenzo et CC-BY-ND par kozumel.

]]>
http://owni.fr/2011/05/03/itw-jean-marie-charon-medias-francais-innovation/feed/ 6
Libération se casse les dents en région http://owni.fr/2011/04/02/liberation-se-casse-les-dents-en-region/ http://owni.fr/2011/04/02/liberation-se-casse-les-dents-en-region/#comments Sat, 02 Apr 2011 13:45:04 +0000 Erwann Gaucher http://owni.fr/?p=54834

Libération est-il vraiment un quotidien national ? La question est volontairement provocante, mais elle est pourtant d’actualité depuis que l’on a appris la décision du journal de mettre fin à quatre de ses sept blogs locaux : LibéRennes, LibéLille, LibéStrasbourg et LibéOrléans.

Un choix révélé le 17 mars par le Mensuel de Rennes et qui met donc fin à une expérience de trois années du blog rennais de Libé, tenu depuis 2008 par Pierre-Henri Allain, correspondant-pigiste du journal en Bretagne depuis 1987. Trois années durant lesquelles il a été seul à piloter cette édition numérique locale du journal et à publier “au moins une histoire par jour “.

La raison invoquée par la rédaction en chef de Libération pour expliquer cette fermeture : “c’est une expérience que nous avons mené pendant 3 ans, mais il est difficile d’atteindre la taille critique pour trouver le bon modèle économique. Nous en tirons les conséquences et arrêtons ces quatre Libévilles pour pouvoir nous recentrer sur ceux installés dans des villes où nous disposons de correspondants permanents, explique Ludovic Blecher. Cela ne retire rien de la volonté de Libération d’être présent dans toutes les régions. Internet est l’endroit où l’on peut essayer ce type d’expérience, nous l’avons menée pendant trois années, mais il n’y a pas de modèle publicitaire. Ça nous fait mal au cœur d’arrêter cela, car nous y tenions, mais il n’y a pas de modèle économique basé sur la publicité ou sur les partenariats.

Il est vrai qu’avec 3.360 pages vues pas jour, LibéRennes par exemple, ne s’est pas imposé comme un rendez-vous incontournable de l’info locale. Mais à qui la faute ? Comme l’explique Pierre-Henri Allain, le journaliste en charge du blog : “Libé n’a jamais levé le petit doigt pour chercher des sources de revenus et n’a même pas donné suite à des annonceurs qui se proposaient de publier des pubs. La direction, qui nous a averti par courrier à la mi-février, nous a répété que la qualité de notre travail n’était pas en cause mais qu’ils avaient sans doute vu trop grand en voulant lancer coup sur coup autant de Libévilles sans avoir véritablement les moyens humains et financiers de les accompagner et de les développer. D’où un constat d’échec au final les obligeant à faire machine arrière.”

L’info locale demande des investissements conséquents pour réussir

Si le résultat n’était pas la fin de cette expérience, on pourrait s’amuser du discours contradictoire du journal : Libé a donc vu trop grand en voulant s’implanter ainsi dans les capitales régionales. Trop grand ? En confiant son implantation bretonne à un rédacteur isolé, au statut de pigiste avec un forfait mensuel de 20 piges ? Au contraire, Libé, comme beaucoup de médias nationaux lorsqu’ils veulent s’implanter localement a peut-être vu “trop petit” dans son expérience.

Une véritable ambition sur l’information locale aurait pourtant un sens pour Libé, comme pour tous les quotidiens nationaux. Mais l’info locale, comme l’info internationale ou nationale, est un vrai métier, demande une véritable expertise et des investissements conséquents pour réussir.

Il ne faut pourtant pas être grand clerc pour deviner qu’il sera bien difficile de rendre rentable une présence régionale, quand bien même numérique et sous forme de blog avec un investissement si limité. On demande un papier quotidien à un journaliste pigiste et on espère que cela suffira pour que les presque 600.000 habitants de l’aire urbaine rennaise (pour ne parler que d’eux) se précipitent en masse sur le blog et que la publicité tombe toute seule.

Il n’y aurait donc pas besoin d’un commercial pour vendre, et le pigiste local est prié de se débrouiller seul, très seul comme l’explique Pierre-Henri Allain : “Les contacts avec la rédaction centrale se réduisent au minimum. Je les alerte lorsque j’estime qu’un de mes sujets mériterait une “remontée” en “home” sur libération.fr et ils me signalent de leur côté les “bonnes histoires” qui auraient pu m’échapper. Sinon aucune conf de rédac,  je suis entièrement libre de mes choix éditoriaux.”

Une liberté qui, si elle a ses bons côtés, peut aussi laisser penser que le journal ne suit qu’avec un intérêt très limité son blog local qui aura vécu sa vie seul pendant trois ans avant que le couperet tombe : fermeture. L’info régionale et locale, ce n’est pas de la magie, c’est un métier d’experts, comme les autres types d’infos, il ne suffit pas d’apposer une marque si prestigieuse soit elle pour que ça marche. Il faut aussi investir et s’investir pour avoir une chance de percer et les quotidiens nationaux se cassent régulièrement les dents sur cette problématique.

LibéRennes : en trois ans, “aucun sujet n’est passé sur Libé papier

Libération n’en est pourtant pas à sa première tentative pour s’implanter sérieusement “en région”, puisqu’ils avaient lancé Lyon Libération en 1986, expérience qui avait tenu jusqu’en 1993.

Car, du potentiel, les quotidiens nationaux en ont en dehors de Paris ! Les aires urbaines des quatre blogs que Libération s’apprête à fermer, représentent presque 2,8 millions d’habitants et des zones dans lesquelles le quotidien papier n’est vendu qu’à quelques (dizaines ?) de milliers d’exemplaires chaque jour. On voit la marge de progression et l’outil formidable qu’une édition numérique performante, innovante et soutenue peut représenter pour “installer” Libération dans les habitudes de consommation médias des lecteurs de ces zones.

À condition d’y investir de vrais moyens et de mettre en place une vraie synergie entre le quotidien national et ses blogs régionaux. Il est très révélateur de constater qu’en trois ans, sur les centaines d’articles rédigés par le journaliste local en charge de LibéRennes, “aucun sujet n’est passé sur Libé papier“. Dommage, cela aurait peut-être convaincu un peu plus de Rennais, d’Orléanais, de Strasbourgeois et de Lillois d’acheter cette édition papier qui, avec 118.717 exemplaires vendus chaque jour (OJD), se classe 16ème quotidien… régional de France seulement. Un coup de boost sur ses ventes “en région” ne serait donc pas de trop !

Une pétition à Orléans

La décision sera-t-elle maintenue ? Sans aucun doute, et elle laissera un goût amer à ceux qui y ont participé, mais aussi à tous ceux qui savent combien la demande d’info locale est forte et prête accueillir de vraies propositions alternatives.

A Orléans, une pétition a été mise en ligne pour demander à Nicolas Demorand, nouveau patron du titre, de ne pas fermer LibéOrléans. Elle a déjà recueilli un peu plus de 400 signatures. Les mauvaises langues diront que c’est sans doute plus que les ventes quotidiennes du journal dans la ville d’Orléans. Les optimistes répondront que cela permettra peut-être à Libé de changer d’avis et de prouver que le journal a plus d’ambition que d’être un quotidien parisien, réalisé par des Parisiens pour des Parisiens…

Billet initialement publié sur Cross Media Consulting sous le titre “Libération se casse les dents à Rennes, Orléans, Strasbourg et Lille”

Image Flickr AttributionNoncommercialShare Alike Chris Daniel

]]>
http://owni.fr/2011/04/02/liberation-se-casse-les-dents-en-region/feed/ 12
Newsosaures, une espèce (presque) éteinte http://owni.fr/2011/02/16/newsosaures-une-espece-presque-eteinte/ http://owni.fr/2011/02/16/newsosaures-une-espece-presque-eteinte/#comments Wed, 16 Feb 2011 11:00:08 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=46899 Ce n’est pas un scoop, les journalistes ont tendance à déprimer en ce moment devant le clavier gris sale et l’écran blafard de leur ordinateur. Adieu reportages et longs voyages, notes de frais somptuaires, déjeuners et bouclage bien arrosés… C’est la crise coco ! On compte les crayons, il faut produire de la news en série sur “tous les écrans de votre vie” comme disait le visionnaire Jean-Marie Messier. Sans oublier de sortir le journal papier. Car ces bonnes vieilles rotatives tournent encore pour des lecteurs qui se font rares.

Les rangs sont également de plus en plus clairsemés dans les open spaces des salles de rédaction. Et ces crève la faim de pigistes sont désormais persona non grata. Alors on s’organise de manière Tayloriste en attendant l’heure des robots-journalistes. C’est le printemps, il fait beau dehors ? Ah bon. Dans les quotidiens parisiens on bronze au néon… Pas moyen de prendre le soleil au prétexte de faire un micro-trottoir ou de couvrir une manif (sait-on jamais le joli mois de Mai approche). “On pisse de la copie comme des poulets en batterie”, me disait récemment un confrère entre deux cachetons de Guronsan et de Tranxène. Mauvaise mine le confrère. Pas comme les gars de la télé… Mais enlevez leur le maquillage aux hommes troncs et aux super bimbos des chaînes d’info. Et vous verrez : c’est l’Enfer des Zombies cathodiques, comme dans un film de Romero !

La faute à qui tout ça ? “A la crise de la presse et à la concurrence des nouveaux médias numériques”, ont répondu en substance 115 confrères exerçant dans 27 pays européens dans le cadre d’une enquête menée par Burson-Marsteller. Tu parles d’une nouvelle. Et d’un échantillon représentatif…Quant au fait que ce sondage soit mené par une agence de relations publiques et bien on dira que c’est assez symptomatique…C’est vrai, la profession n’a jamais été très douée pour l’introspection et l’auto-analyse objective. C’est bien connu : les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés. Mais bon regardons quand même de plus près les résultats de ce nouveau sondage Mediapocalyptique.

Plume en plastique dans plaie en carton

Alors voilà : 81 % des journalistes interrogés confirment “subir des restrictions budgétaires”.

Ah okay okay c’est pour cela qu’il n’y a plus que des Bic orange, pas de stabilo, et plus du tout de carnet de notes aux fournitures… Si ça continue on va devoir piquer des ramettes de papier A4 à l’assistante de direction. C’est ça ou les cahiers de nos mômes… Et mes abonnements à “FHM”, aux “Inrocks” et à “Sport illustrated” ils sont passés où ? Finito, Niente, Kaputt… Maintenant il faut tout justifier : une note de frais ? Avec qui ? Pourquoi ? Où ? Le secret professionnel, la protection des sources… Il ne connaît pas le mec de la compta. Résultat on ne peut plus déjeuner tranquille avec ses potes ou sa copine aux frais du journal. Dur, dur la crise. Un reportage à Las Vegas ou Tokyo ? “Mmmm pourquoi pas…c’est qui la boite qui t’invite ?”, demande benoîtement le rédacteur en chef. Oui c’est sûr, pas évident dans ces conditions de “porter la plume dans la plaie”, d’aller voir “derrière le miroir” comme disait l’autre. Mais bon à la guerre comme à la guerre : dites madame l’entreprise, on sera en business class au moins ? Il est 4 étoiles l’hôtel j’espère ?

28% des journalistes s’attendent à des réductions d’effectifs.

C’est sûr il ne fait pas un temps à mettre un journaleux dehors. C’est pourtant très tendance en ce moment. Un plan social par là, une clause de cession par ici, ou à défaut un licenciement économique sur mesure… Si même les grands quotidiens du soir sont menacés de dépôt de bilan faute de trouver 50 millions d’euros sous le paillasson, plus personne n’est à l’abri. Prenez mon pote Pedro (appelons le Pedro, il cherche du boulot). Une vingtaine d’années de carte de presse, dix ans dans un grand journal de la presse parisienne, un poste de rédac chef adjoint en presse magazine, c’est lui qui fait tourner la boutique pendant que son boss se la coule douce. Et puis un beau jour :

Dis donc Pedro tu veux venir dans mon bureau ? T’as vraiment fais du super boulot… mais là je ne vois pas bien ta place dans le futur organigramme rapport à la réorganisation du travail qui se prépare.

Exit mon poteau, sur le marché aux esclaves à 45 ans passés. Trop vieux, trop cher, trop grande gueule… trop consciencieux aussi dans son travail (la vérification à plusieurs sources, la déontologie tout ça quoi…) quand il faut pisser à la seconde de la News numérisée sur tous les écrans fixe et mobile sans se poser trop de questions. Bref, pas le genre de profil qui se vend bien en ce moment chez les forçats de l’info.

C’est sûr confirme l’enquête Burson Marsteller, 47 % des journalistes estiment qu’ils “ne peuvent plus se contenter d’être simple rédacteur”.

Fini de se la couler douce à écrire un papier aux petits oignons : 41 % des sondés confirment “être devenus des multi-spécialistes et écrire plus d’un sujet par jour”, 20 % se plaignent d’avoir moins de temps pour rédiger un article, moins de temps aussi pour explorer de nouveaux angles… Et 20 % toujours, regrettent de “devoir espacer leurs rendez-vous avec leurs sources”. Au final, 27 % des sondés estiment que “le contexte actuel nuit à la qualité de leur travail”

Bande de feignasses va ! Ce que cherchent les entreprises à produire de l’information (appelons les comme cela, ce ne sont plus des journaux), ce sont des “journalistes Shiva” (comme la divinité avec plein de bras), des mutants capables de tweeter une info en direct live, puis d’envoyer un “Exclusif” pour le site web du journal, avant de faire un “trois questions vidéo”, puis de rentrer dare-dare à la rédaction pour faire un bon papier à valeur ajoutée, avec du recul et de l’analyse dedans. Tu as enfin fini ? C’est reparti pour un tour ! A ce rythme, si tu as plus de 50 ans et que tu clopes encore, tu es bon pour un aller direct chez le cardiologue avant de passer sur le billard comme mon copain Boris (appelons le Boris il cherche peut-être encore du travail le maso). Cela tombe bien : il faut faire de la place aux djeun’s qui n’en veulent !

Blogs : la menace fantôme

Il faut dire que certains plumitifs “old school” ne se sont pas franchement mis à l’heure du grand chambardement digital, confirme le sondage Burson-Marsteller. “Pour 17 % des journalistes, les médias digitaux sont la plus grande menace qui pèsent sur les médias traditionnels”.

La pire des menaces ? “Les blogs” pour 27 % des journalistes interrogés (les cons, ils n’ont rien compris), les nouvelles technologies de recherche de l’info (Google is Evil !) pour 14 % des sondés, Facebook et Twitter pour respectivement 13 % et 10 %. Hé oh les gars réveillez vous ! Gutenberg est mort il y a bientôt 600 ans et la Loi de Moore est passée par là. L’info se dématérialise et circule sur le réseau à la vitesse de la lumière pour atterrir sur des millions d’iPhone et bientôt d’iPad. Exit les rotatives, les bouclages à pas d’heure, l’encre qui tâche les doigts et le crissement du journal à l’heure du café… C’est comme ça. D’ailleurs ça ne fait ni chaud ni froid aux jeunes confrères qui produisent de la copie online comme à l’usine. Cela tombe bien, ce sont eux qui ont le profil pour la “newsroom” digitale de demain.

Vous avez plus de 40 ans ? Vous n’êtes pas “plug and play” avec le nouveau système éditorial qui permet de mettre en ligne vos papiers sur tous les supports ? L’info en temps réel sur Twitter vous fait flipper et vous n’avez pas de blog ? Mauvaise(s) réponse(s) cher confrère : vous êtes le maillon faible ! C’est Darwinien : soit vous évoluez et vous vous adaptez à la grande mutation numérique, soit vous disparaissez avec les autres “Newsosaures” de la vieille presse.

Heureusement qu’il y a Burson-Marsteller pour vous guider sur le chemin des nouvelles espèces ! Filiale du géant de la Pub WPP, notre agence de RP prend très au sérieux son rôle “d’accompagnement” des journalistes déboussolés par le grand chambardement digital :

Dans ce contexte, les agences doivent être encore plus vigilantes pour fournir aux journalistes des infos sur mesure, des angles originaux et pertinents, ainsi que toujours plus de contenus multimédias et digitaux (…) Chez Burson-Marsteller nous mettrons tout en œuvre pour développer plus intensément notre partenariat avec les journalistes et les aider à répondre au mieux à cette nouvelle donne

peut-on lire en conclusion logique de l’enquête maison.

Pas bégueules et toujours prêts à faire plaisir, 93 % des journalistes interrogés déclarent que “leur” agence de RP “joue un rôle clé dans leur quotidien”, 47 % indiquent même avoir “intensifié leurs contacts avec les professionnels de la communication” et 18 % leurs témoignent “une confiance accrue”

Bizarre moi quand j’étais petit, on m’a appris au contraire qu’il fallait rester polis avec les pro de la com mais toujours garder respectueusement ses distances… Rien de personnel mais on ne fait pas le même métier. C’est ainsi depuis la nuit des temps journalistiques.

Avènement de l’homo numericus

Que penseraient nos amis Albert Londres et Hunter S. Thompson (des habitués de ce blog) de la tournure des évènements numériques dans les rédactions ? Que du mal bien sûr. Mais il parait que ces vieux cons appartiennent à une branche quasi-éteinte, car non rentable, de l’espèce journalistique. D’ailleurs au train où vont les choses, les derniers représentants de ce Rat Pack qui portait haut et fort les couleurs du récit et de reportage ne devraient pas survivre à l’avènement de l’homo numericus. C’est Darwinien puisqu’on vous le dit. En forçant à peine le trait, voilà ce que je lis ici ou ces derniers temps chez mes jeunes confrères “digital native” qui ont tout compris au journalisme de demain et veulent du papier (passé) faire table rase :

Arrêtez de nous emmerder avec vos vieilles histoires, le lecteur veut de la “short news” et des “data” sur tous les écrans !…

Mais dites donc, le lecteur en question serait-il devenu totalement con, incapable de faire l’effort de lire plus de deux feuillets rapport à son “temps de cerveau disponible”?  Pour ma part, je pense au contraire que la presse est en train de mourir de son manque d’exigence, d’inventivité, de parti pris et de grain de folie journalistique ! Je l’ai déjà expliqué dans ce billet en forme de plaidoyer pour le journalisme de récit et dans cet hommage au gonzo-style de Doc Thompson. Bon il est vrai que j’agite un peu le chiffon rouge avec ce genre de pronunciamento nostalgico-réac non dépourvu de mauvaise foi ;-). Mais que voulez vous, j’ai horreur du conformisme ambiant et de l’eau tiède objectiviste dans lequel baigne aujourd’hui le business de l’info… le lecteur aussi je crois.

Une chose est sûre, avec mes quelques amis dinosaures rescapés de l’ère Gutenberg, nous n’avons pas encore démissionné du clavier et nous sommes loin, très loin, d’avoir signé notre dernier papier, notre dernier billet… Et vous voulez un vrai scoop ? Le numérique ne nous fait pas du tout peur, c’est au contraire une opportunité historique de réinventer le journalisme, plein cadre ou hors cadre, avec de belles histoires, de la chair et de l’humain dedans. Ici et ailleurs, ici et maintenant !

Article initialement publié sur le blog de JC Feraud, Sur Mon Ecran Radar

Crédits photo FlickR CC : inju / GiantsFanatic / goodwines

]]>
http://owni.fr/2011/02/16/newsosaures-une-espece-presque-eteinte/feed/ 1
Quel avenir pour les journalistes musicaux ? http://owni.fr/2010/10/05/quel-avenir-pour-les-journalistes-musicaux/ http://owni.fr/2010/10/05/quel-avenir-pour-les-journalistes-musicaux/#comments Tue, 05 Oct 2010 08:06:51 +0000 Florian Pittion-Rossillon http://owni.fr/?p=30431 Retrouvez cet article et bien d’autres sur OWNImusic, que nous lançons avec joie ces jours-ci !

__

La presse écrite souffre, les maisons de disques tanguent. Au rythme des annonces de baisse des volumes de vente, s’ajoute la mélopée des inquiétudes sectorielles. Et naturellement, les regards se tournent vers les victimes parmi les plus exposées de ces troubles industriels : les journalistes musicaux. Quelle place pour leur expertise quand celle-ci, diluée dans le flot de la prise de parole des amateurs, voit son impact sur l’image d’un disque considérablement amoindrie ? (On laisse ici de côté un débat bien plus ancien sur les conséquences des critiques sur les ventes).

Dans l’ancien temps, le journaliste musical avait un rôle défini par l’organisation de la vente de disques. Le label ou le distributeur concentrait sur cet interlocuteur les informations B2C relatives à la date de sortie et aux points de vente. Le journaliste signalait la disponibilité du disque au grand public, dans un système où l’information était rare, alors même qu’on achetait des disques sans les avoir écoutés. La possibilité d’annoncer l’existence d’un disque posait donc les fondations de la crédibilité journalistique, étayée par cet accès privilégié à l’information. Le journaliste bénéficiait du prestige « d’en être ». Le sens de son opinion autorisée venait en deuxième lieu.

L’échelle de l’évaluation des avis journalistiques

Dans nos époques troublées, le journaliste n’a plus le monopole de l’information et doit donc son statut à la seule teneur de ses avis. Comment en mesurer la valeur ? Quelle est l’échelle d’évaluation ? Est-ce la somme des mots-clés insérés dans une chronique ? Car on connaît l’obligation qu’ont les pigistes de Télérama d’écrire « clair-obscur » ou « bleus à l’âme » dans une chronique d’un album de chanson française. On sait la malédiction qui a frappé les Inrockuptibles pendant toute la décennie 2000, imposant à ses rédacteurs les termes « bidouilleur de génie » et « sorcier du son » dans toutes les chroniques de musique électronique. Et l’on n’ose évoquer sans frémir la domination brejnevienne du duo « décalé » & « déjanté », impitoyables équarisseurs bordant le moindre demi-feuillet du côté de chez Nova & Technikart.

Non, la valeur de la parole du journaliste viendra plutôt de la reconnaissance de son positionnement par le grand public, pour continuer de se détacher du frère ennemi de toujours : le critique amateur, désormais sacralisé par la dictature populaire de « l’avis consommateur ». Il va s’agir de se distinguer, et par le haut. Hardi, guérillero, choisis ton camp : cinq nomenclatures de carrière sont possibles.

Me, Myself and Moi

Trempant sa plume dans le sang des vierges sacrifiées sur l’autel des mythes antiques, tartinant son érudition sur le clitoris de nos ignorances, ce dernier des braves investit la langue d’une mauvaise foi qui signale les meilleurs.

1. L’utra-défricheur. Dérivé de l’ancienne posture de l’initié. C’est celui qui continue d’être informé avant tout le monde. Aujourd’hui, il doit pour cela extrêmiser la démarche et déclarer adorer écouter des démos de Folk Progressif Tatare pendant l’orgasme, pour rester « preum’s ». Le risque : le syndrome de Charles-Edouard, l’érudit relou qui saoûle les meufs en soirée avec ses tirades très progressives elles aussi.

2. L’archiviste. Capitalise sur sa culture pour se poser en guide dans la touffeur de la musique moderne. C’est l’opposé de l’ultra-défricheur. Celui-ci la joue conservateur de musée et commissaire d’exposition, dont le jugement se pare de connaissance historique. Le risque : le syndrome de Tron, où quand malgré tous ses efforts on se fait avaler par la machine (les algorithmes de Google en l’occurrence, plus en phase avec les pratiques actuelles de consommation boulimique de la musique).

3. Le troubadour. A déserté le terrain du fond pour celui de l’entertainment. Rendu au rang de conteur, le journaliste légitime ainsi narrer ses versions toutes personnelles de la Grande Geste du Folk Progressif Tatare. Le risque : le syndrome du bouffon (dit aussi de la patrickeudelinisation). Réduit à sa caricature, le troubadour fourgue des pitreries qui fond oublier le sujet qui les motive.

4. Le post-journaliste. La valeur de ses avis vient de la charge narcissique qu’ils étalent. Déjà ricanant et satisfait comme un parfait réac, confit dans sa posture ultra-relativiste, il a pour modèle le journaliste de Technikart des années 2000 : chaque article étant un morceau de la grande prose auto-fictionnelle qu’il n’écrira jamais. Le risque : le syndrome de la SNCF, où quand la casquette de contrôleur finance les illusions perdues.

5. L’écrivain. Trempant sa plume dans le sang des vierges sacrifiées sur l’autel des mythes antiques, tartinant son érudition sur le clitoris de nos ignorances, ce dernier des braves investit la langue d’une mauvaise foi qui signale les meilleurs. Des grands anciens (Philippe Manœuvre, Lester Bangs) aux parrains discrets mais tenaces (Marc Zisman, Guido Minisky), en passant par la racaille sardonique (les auteurs des chroniques nihilistes de Vice Magazine), tous manient le beau geste. Le subjectif est leur destrier, le rire est leur épée, le style est la cape dont ils se drapent en piétinant les cadavres de médiocres.

Prescripteur de rien

Bon, est-ce que donner un sens veut dire devenir prescripteur ? Qu’est-ce qu’être prescripteur ? C’est avoir une fonction précise dans un process global visant à déclencher l’acte d’achat. Or un journaliste doit avoir un rôle (cf nomenclature ci-dessus), mais pas une fonction de catalogue parlant (bonjour tristesse). Un journaliste musical idéal aurait à se réjouir de n’être prescripteur de rien. Laissons aux algorithmes le soin de la prescription, et à l’humanité celui d’enjoliver l’aléatoire. Comme dit Jeff Bezos, PDG fondateur d’Amazon :

Content won’t be made by machines

Article également publié sur Culture DJ, un blog qui envoie la purée

Crédits photos CC FlickR par Mike Rohde, sunside

]]>
http://owni.fr/2010/10/05/quel-avenir-pour-les-journalistes-musicaux/feed/ 5
Le Monde: honni soit qui mal y reprenne http://owni.fr/2010/06/30/le-monde-honni-soit-qui-mal-y-reprenne/ http://owni.fr/2010/06/30/le-monde-honni-soit-qui-mal-y-reprenne/#comments Wed, 30 Jun 2010 10:29:20 +0000 Philippe Kieffer http://owni.fr/?p=20639

Il faut « sauver » le soldat Monde, déclarent en chœur les généreux candidats à la reprise d’un groupe et d’un quotidien au bord du dépôt de bilan… Soit (encore que), mais à quel prix ? Pour quel avenir ? Et pour quelles vraies-fausses bonnes raisons dans un paysage où la crise de la presse écrite évoque désormais ce qui fut celle de la sidérurgie ?

De tous les romans que se racontent, comme à la veillée, hommes politiques, investisseurs, journalistes et patrons de presse écrite pour croire, et tenter de faire croire, qu’il reste à celle-ci un avenir de papier, celui qui voudrait que ce radieux futur passe par le « sauvetage » du Monde, est probablement le plus médiocre. Le plus fantaisiste et le plus cher, aussi.

Grandiloquent à souhait, teinté du regret d’un prospère passé qui ne reviendra jamais, le microcosme ressasse jusqu’à l’auto-intoxication ses fantasmes favoris. Ainsi, peut-on lire et entendre un peu partout, de blogs en déclarations, d’éditos en tribunes, il en irait avec le cas du Monde de « l’avenir la démocratie » et d’une presse écrite décrétée « indispensable à son bon fonctionnement »… Raisonnement et clichés d’un autre siècle, qui furent vrais mais ne le sont plus que de moins en moins.

Quotidien engagé depuis des années, comme tant d’autres, dans ce que les nouvelles technologies ont transformé en impasse éditoriale et financière, Le Monde serait une cause nationale. Une sorte de paquebot France en perdition dans une mer d’encre. Un enjeu de « patrimoine » à conserver quel qu’en soit le prix… Émotion et gravité garanties. De gauche comme de droite. C’est beau comme de l’antique. Normal, c’est pleinement, furieusement, lugubrement… de l’antique !

Acharnement désespéré

Cet unanimisme a quelque chose de sidérant. Il interpelle dans ce qu’il révèle d’autisme crépusculaire et de cécité collective à l’égard de l’évolution des médias. Il exprime l’acharnement radical, désespéré et désespérant, des dirigeants d’un monde analogique ancien à ne pas voir que ce monde est en cours de dissolution accélérée dans la société numérique en devenir.

Il faut ne rien comprendre au sens de l’Histoire médiatique en cours, à la voie nouvelle où sont engagés Information et Journalisme (voie désormais résolument digitale), pour oser soutenir qu’il y a quelque urgence ou nécessité que ce soit, autres que clientélistes, à entretenir des donjons de papier fissurés. Il en ira, il en va déjà, de la presse écrite d’aujourd’hui comme de la sidérurgie d’hier. Partout, de « petits » journaux meurent lentement, et de « grands » journaux sont menacés de s’éteindre comme se sont éteints des hauts-fourneaux.

Il faut donc, au moins, en être réduit à nier d’anxiogènes évidences pour affirmer, alors que le système économique de la « vieille » presse (Impression, Distribution, Publicité) est entré dans une irréversible phase d’effondrement (au profit, si l’on peut dire, de sa recomposition immatérielle sur Internet), qu’il y aurait encore un avenir en kiosque pour les journaux existants. Car d’avenir, pour ces derniers, il n’y a pas -alors qu’il en est un, peut-être, pour de nouveaux titres qui se créeraient sur des bases de productions légères et rénovées.

Il n’y en a plus. Prétendre le contraire ne peut plus relever que de l’ignorance volontaire, du déni de réalité, ou de l’agitation manœuvrière sur fond de croyance vaudou en la survivance d’un pouvoir électoral inné des journaux… Ou bien des trois à la fois, comme c’est à l’évidence le cas dans le dossier de cette vente du Monde qu’un euphémisme comptable fait qualifier de « recapitalisation ».

Comme à Drouot…

À la veille de cette vente annoncée, on peut gloser tout à loisir sur les mérites ou inconvénients des « offres » (encore un bien joli mot ! ) respectives des deux trios de repreneurs en compétition. On peut bloguer des kilomètres d’analyses sur la maestria bancaire des uns, la compassion budgétaire des autres. On peut (on doit) se moquer de l’ambitieuse prophétie d’un ancien Observateur, Claude Perdriel, expert en indépendance ici épaulée dans sa démarche reprenante par l’élyséen mécénat de France Télécom, qui croit « voir » à l’horizon un Nouveau Monde qui se vendrait à 400 000 ou 500 000 exemplaires. Pas moins ! et pourquoi pas un million ?

Ce cas de figure, ignore ou néglige Claude Perdriel, n’aurait de chances de se produire que par ce qu’il faudrait bien appeler le miracle d’une vente forcée. Autrement dit, si l’abonnement au Monde était demain joint d’office à une offre de « forfait illimité » d’Orange. Sinon : non. Même pas en rêve.

On peut, on doit, railler le populisme haut-de-gamme des repreneurs d’en face où on ne compte plus les dizaines de millions d’euros gaillardement mis sur la table pour l’achat, comme d’une commode à Drouot, d’un Journal-Empire exsangue. Un quotidien d’Époque révolue, à la Société des rédacteurs duquel Pierre Bergé croit judicieux d’annoncer qu’il restituera, comme en offrande, ce hochet d’actionnaire désargenté qu’on appelle « minorité de blocage ». Hochet dont il n’est pas un seul exemple d’entreprise de presse où ce soit-disant verrou, cette artificielle ceinture de chasteté garantissant l’indépendance, ait jamais servi à quoi que ce soit d’autre que d’éterniser, dans les rédactions, d’accablantes professions de foi ou engueulades lors d’assemblées générales préfigurant l’abdication. Si l’inverse avait été vrai Le Monde n’en serait pas là où il est, et Libération serait encore la propriété de ceux qui le font chaque jour. Avec des si…

Fièvre et démence acheteuses

Mais, au-delà des contorsions séductrices de candidats, on doit s’interroger sur l’intrigante en même temps qu’inutile fringale de ces hommes pour Le Monde. Pour cet objet d’un désir aussi obscurément coûteux que sans espérance imprimée rentable. Estimé il y a encore quelques semaines à 50 ou 60 millions d’euros, le prix de cette affaire (il n’y a pas d’autre mot ! ) atteint ces derniers jours le provisoire et faramineux montant de 130 à 150 millions d’euros. Peut-être plus… C’est sans doute faire injure à l’intelligence supposée des repreneurs, mais c’est aussi un fait qu’il est temps de rappeler : il est des formes de démence commerciale, de fièvre et de furie acheteuses moins onéreuses.

Mais la surdité, choisie, est ici de règle. Bardés des certitudes de qui ne voit pas plus loin que le bout de son chéquier, ces généreux « recapitaliseurs » en sont à se dire que, même s’il est cher, ce jeu de dupes en vaut après tout la chandelle puisqu’ils achèteront là bien plus qu’un simple titre de presse. Ils prendront le contrôle d’une « Marque » ! D’un Logo-Héros de l’histoire de la Presse… Le tout sans considérer une seule seconde deux ou trois choses qui pourraient, ou devraient, au moins, les inciter à la prudence.

  • La première est que cette « marque » de presse, comme toutes les autres, est condamnée à se déprécier par la chute amorcée de son fonds de commerce « papier », et par les interminables conflits sociaux et autres « restructurations » qui accompagneront ce déclin. Dans l’histoire récente, s’il en fallait un, Libération se pose en amer exemple de ce simplisme hallucinogène : là où Édouard de Rothschild crut, lui aussi, avoir fait l’acquisition d’une « marque » prometteuse, cinq ans et quelques dizaines de millions d’euros plus tard le « retour sur investissement » se fait cruellement attendre…
  • La deuxième c’est qu’un prix aussi élevé pour empocher Le Monde n’aurait de sens que s’il avait pour fonction, en lieu et place de combler des trous, rembourser des banques, payer les factures d’une inévitable « clause de cession », que de servir à inverser la pyramide sur laquelle repose aujourd’hui (avec sa base de papier et son sommet numérique) la valeur de cette marque. En clair, s’il s’agissait de mettre au plus vite un terme aux coûts exorbitants de production d’un journal « papier » (qui ne peut plus générer que des pertes) pour donner toutes les chances à cette marque d’avoir une seconde vie numérique rentable sur Internet. Pour être plus précis encore, la seule et unique partie du groupe à vendre qui peut justifier effort et coup d’audace financiers, c’est LeMonde.fr. Le reste est bien mauvaise littérature.
  • La troisième chose, c’est que, compte tenu de la nouvelle donne technologique, et avec beaucoup moins que 130 millions d’euros, il serait aujourd’hui possible, en partant de rien, de créer sur Internet un nouveau groupe d’information de qualité (avec radio, télévision, et même, un jour, qui sait, un nouveau quotidien de papier qui, n’étant pas criblé de dettes à sa naissance, aurait quelques chances de survivre en kiosque). L’actuelle montée en puissance et notoriété, malgré des moyens très modestes, de nouveaux venus sur le terrain d’une information de qualité (Mediapart, Rue89, Slate.fr, pour ne citer qu’eux…) devrait donner à réfléchir aux candidats. Mais, c’est vrai, pourquoi réfléchir, faire sobre et novateur quand on a les immenses moyens de se précipiter, de faire bancal et passéiste ?

Un talisman d’isoloir ?

Par certains aspects (stratégie erronée, foi infantile dans le pouvoir politique du média qu’on achète cher, défaillance des mécanismes d’alerte sur les dangers encourus) le comportement et l’avidité « Mondiale » des repreneurs en présence n’est pas sans rappeler la bouffée capitalistique délirante qui conduisit, en 1991, un capitaine d’industrie apparemment sain d’esprit, Jean-Luc Lagardère, se croyant lui aussi « sauveur », à racheter pour une fortune la totalité des pertes d’une chaîne de télévision condamnée à la faillite (La Cinq). On dira, pensant évacuer le problème, que c’était il y a vingt ans, que Lagardère, somme toute, était un illuminé… Peut-être, mais ce sont ici les mêmes logiques de fatuité absolue, d’orgueilleuse inconscience ou de chevaleresque naïveté qui sont à l’œuvre.

L’acquisition du Monde, à ce tarif-là, est davantage qu’une folie passagère. C’est un non-sens durable, qui ne sauvera rien, hormis les immédiates apparences de continuité d’une entreprise qui se sait en fin de vie. Car comme tous les quotidiens nationaux de France, Le Monde serait -est déjà, virtuellement- mort sans la morphine vitaminée des aides et subventions que perfuse l’État à une presse française sous haute dépendance économique.

Acheter le groupe Monde dans son entier, en l’état, c’est délibérément acheter une affaire où, à rebours de ce que psalmodient des conseilleurs qui ne seront jamais les payeurs, il n’y a à gagner que des pertes. C’est se bercer de l’extatique illusion qu’en possédant Le Monde on « fera » le prochain président de la République. Faut-il être à ce point déconnecté des réalités du pays, et des modalités nouvelles d’information et de formation des opinions, pour croire qu’un quotidien, demain modifiera d’un iota les intentions de vote des Français…

Que le microcosme de l’Élysée, mentalement captif d’un âge d’or médiatique évanoui (en gros : l’ORTF surcontrôlé) et celui des élus (souvent ignorants de l’économie des médias) continuent à y croire, passe encore… Mais que des hommes d’affaires réputés avisés s’imaginent acheter là un fatal talisman d’isoloir, voilà qui laisse pantois. Il en est pourtant ainsi.

Foudroyés par une compulsive envie de dépenser, envoûtés par un appât du gain électoral qui ne peut qu’être inversement proportionnel au gigantisme des sommes qu’il va leur coûter, ces valeureux « investisseurs » ont la faim du Monde au ventre et la rage d’en payer la fin matérielle à prix d’or.

Billet initialement publié sur Rue89 sous le titre Pourquoi cette rage à vouloir s’offrir un Monde finissant ?

Image CC Flickr just.Luc et martin_robinson

]]>
http://owni.fr/2010/06/30/le-monde-honni-soit-qui-mal-y-reprenne/feed/ 3
Le Bien public veut casser du lien http://owni.fr/2010/06/02/le-bien-public-veut-casser-du-lien/ http://owni.fr/2010/06/02/le-bien-public-veut-casser-du-lien/#comments Wed, 02 Jun 2010 09:45:47 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=17336 Le Bien public, journal publié à Dijon, et un autre journal du même groupe, font un procès  au site dijONscOpe,  à qui il est reproché  de reproduire dans sa « revue de presse » des extraits d’articles (ses premières lignes) et de faire des liens dits profonds [1].

Les mentions légales du Bien public sont effectivement très restrictives. Ses responsables « ne concèdent qu’une autorisation de visualisation de son contenu, à titre personnel et privé », « la création d’un lien hypertexte vers la page de d’accueil (…) » et  interdisent « d’utiliser ou d’extraire en tout ou en partie les bases de données utilisées par le Site Web ».

Revue de presse ou panorama de presse ? [ 2] Je ne peux pas m’empêcher de poser cette question. Certes, le travail est réalisé ici par des journalistes et non par des documentalistes. Mais effectuer un tri dans l’information pour mettre en valeur certains articles auprès de ses lecteurs par des liens ad hoc, tel est bien le travail réalisé par des centaines de documentalistes chaque jour. Loin de nous l’idée de fustiger le travail de DijONscOpe  [note 1] ! Il serait temps que l’on autorise la pratique qui, sur le web, consiste non pas  à reproduire l’intégralité d’un document mais, lorsque ce document est librement accessible, à en  proposer un lien ouvrant sur une nouvelle page [note 2] afin d’en favoriser sa consultation par le public.

On ne peut manquer d’évoquer un très vieux procès [5], celui qui opposait il y a plus de 25 ans  la société canadienne Microfor au Monde, et  la jurisprudence qui en a suivi, qui accordait à « l‘œuvre d’information » des droits particuliers, notamment le droit de reprendre des « phrases extraites de ces articles dont elle prétendait ainsi rendre compte ». On ne peut manquer non plus de s’élever contre cette pratique qui interdit d’établir des liens, lorsque cette interdiction est systématique, ce qui  nous semble abusif [3].

Après avoir parcouru les très nombreux commentaires et les articles accompagnant l’article annonçant le procès, on ne manquer de noter que Dijonscope fait concurrence à un nouveau site d’information créé par le groupe de presse,  à qui l’exclusivité des liens vers  les articles seraient sans doute réservée, et qu’il « bouleverse le monopole de la presse quotidienne régionale ». Je ne peux manquer non plus de relayer l’information diffusée ce 1er juin 2010 sur Le Monde. Les journalistes y présentaient  Facenews, agrégateur qui « permet de suivre les mises en ligne d’éditeurs comme Le Monde, Le Figaro, Libération, Mediapart ou la revue XXI » à partir des articles « plébiscités » par ses amis et non par des journalistes ou des documentalistes.

Accusés de “contrefaçon”, et de “concurrence déloyale », les responsables du site dijOnscOpe  vont devoir se  défendre devant le TGI de Nancy ce 1er juin 2010.

—-

[1] Mais, selon la jurisprudence, la revue de presse, exception au droit d’auteur, consiste « en un commentaire et une comparaison d’articles de différents journaux concernant un même thème ou un même événement ».

[2] Le cadrage – faisant croire à l’internaute qu’il est resté sur le même site –  sera assimilé à du parasitisme, une pratique que semble avoir adoptée  dijOnscOpe.

Références

[1] La pilule dijOnscOpe passerait-elle mal au Bien Public?, Sabine Torres, dijONscOpe, 31 mai 2010

[2]Le panorama de presse : aspects juridiques, Michèle Battisti, ADBS, 2006 (L’Essentiel)

[3]Interdire un lien : une pratique abusive, Actualités du droit de l’information, 23 octobre 2009

[4] Que valent vos amis comme rédac’chef, Le Monde, 1er juin 2010

[5]. Les conséquences de l’affaire Microfor / Le Monde, Didier Frochot, 16 mars 1988. Publié sur le site  Les infostratèges

[6] « Lier ou ne pas lier ». Pour un usage responsable de l’hyperlien, Michèle Battisti, 69e congrès de l’IFLA. Berlin, 2003. Sur le site de l’IFLA

Billet initialement publié sur Paralipomènes sous le titre “Inquiétant procès autour d’une revue de presse”

Image CC Flickr  just.Luc

]]>
http://owni.fr/2010/06/02/le-bien-public-veut-casser-du-lien/feed/ 8
Soutien de la presse: victoire au Parlement? http://owni.fr/2010/05/06/soutien-de-la-presse-victoire-au-parlement/ http://owni.fr/2010/05/06/soutien-de-la-presse-victoire-au-parlement/#comments Thu, 06 May 2010 09:03:20 +0000 Francois-Xavier Fringant http://owni.fr/?p=14583 La principale info des derniers jours a été la fin du soutien du tabloïd The Sun aux travaillistes britanniques en faveur des conservateurs. Au milieu d’une campagne à couteaux tirés, le retournement de veste du quotidien le plus vendu du pays ne pouvait que relancer les spéculations.

Le Sun, une dilettante anglaise.

Sans parler de causalité pour l’instant, les données montrent que le parti soutenu par le Sun a toujours remporté les élections depuis les années 1970. Cela ne fait rien, a répondu le vice-secrétaire général des travaillistes, Harriet Harman, qui ne croit pas à l’influence des journaux dans les urnes : « Nous ne nous laisserons pas intimider. Ce vieux perdant tente un retour en force. » Après tout, seul dans l’isoloir, l’électeur décide en son âme et conscience, sans le regard inquisiteur d’un rédacteur en chef.

Alors, les magnats des médias ont-ils réellement une influence sur le vote populaire ? Un journal peut-il modifier le cours d’une élection de manière significative ? Ou bien ne fait-il que suivre les opinions de ses lecteurs ? Cette question reste au centre de la compréhension de la politique et elle requiert une analyse profonde que ces visualisations ne prétendent pas atteindre. Nous avons simplement essayé de mettre côte à côte les quotidiens et les partis qu’ils ont soutenus.

Toutes les données ont été fournies par l’excellent Datablog du Guardian. Comme d’habitude, les données permettent d’éclairer de manière nouvelle un problème récurrent. La base de données est ici.

Cette année, la grande majorité des journaux soutient les conservateurs. À l’heure d’aujourd’hui, le seul quotidien à soutenir les travaillistes reste le Daily Mirror. Ce qui, vu sa circulation actuelle, ne risque pas de changer grand-chose.

Le Daily Mirror dans le rouge.

Dans le même temps, de nombreux quotidiens ont changé leur fusil d’épaule et soutiennent les conservateurs. Au premier rang desquels on trouve le Sun et le Times, qui appartiennent tous deux à la News Corp. Les titres de Murdoch ont abandonné leur soutien traditionnel aux travaillistes, permettant ainsi aux conservateurs d’augmenter considérablement leur exposition médiatique. Le soutien du Telegraph, de l’Express et du Daily Mail aux conservateurs est inchangé.

Le Telegraph et le Times ensemble pour les conservateurs

A la suite de la gaffe de Gordon Brown, qui a traité une sympathisante de ‘bigote’, le Guardian a également déserté le camp sortant. Dans son dernier éditorial, le journal affirmait que le moment du parti Libéral-Démocrate était venu, le soutenant du même coup.

Le parti de Nick Clegg bénéficie d’un soutient toujours plus grand de la part des médias. Le premier débat télévisé est largement considéré comme ayant donné aux Lib Dem une place de choix, empêchant ainsi les conservateurs de viser une large majorité. Dans le passé, le parti aux couleurs jaunes n’a que rarement été soutenu par les médias. Souvent mis à l’écart par les éditos des grands quotidiens, il était considéré comme le ‘parti invisible’, pour paraphraser l’éditorialiste du Guardian David Yelland. Le Lib Dem a obtenu plus de 22% des suffrages lors des élections de 2005, un score qui ne peut pas passer inaperçu. Pourtant, ils n’ont pas pu obtenir plus de 62 sièges sur les 646 que compte la Chambre des Communes. Au-delà d’un manque de soutien dans les médias, l’explication tient au système bipartite installé au Royaume-Uni. C’est pourquoi Clegg voit cette année une énorme opportunité de réformer le système en y introduisant une dose de proportionnelle.

Le Lib Dem intéresse enfin un journal.

En gardant ce problème à l’esprit, on s’aperçoit que seules six des dix-sept dernières élections (depuis 1945) ont été gagnées par un parti qui n’avait pas le soutient d’une majorité des journaux. Les données sont ici.

Sur les trente dernières années, la corrélation entre le soutien du principal quotidien et le résultat d’une élection s’est renforcée. Les données sont .

Malgré tout, ce qui est écrit dans les colonnes d’un journal ne peut pas être comparé avec ce qui se passe dans l’isoloir. Le vote est l’affaire des citoyens, pas des journaux, je l’admets. C’est pourquoi il nous faut analyser la répartition du vote des lecteurs selon la ligne éditoriale adoptée par leurs journaux. Heureusement, il apparait que les lecteurs sont capables de développer leur propre esprit critique et qu’ils ne suivent pas toujours l’avis de leur journal en allant voter.

Retrouvez les données ici.

Epilogue.

Cher Datablog du Guardian,

Nous avons répondu à ton invitation et essayé de créer la visualisation la plus complète de la base de données que vous avez fournie. Les journaux reflètent-ils où déterminent-ils les choix politiques de leurs lecteurs ? La question reste ouverte.

Dans ce cas particulier, les données empiriques les plus fines ne pourraient pas expliquer la complexité des interactions sociologiques à l’origine du soutien politique. Dans cette perspective, il serait fascinant d’analyser les changements d’opinion des journaux en fonction du taux de chômage ou de l’inflation. En d’autres termes, donne-nous plus de données, qu’on puisse continuer à jouer !

Billet initialement publié en anglais sur le blog Datanamics sous le titre It’s the media wot swung it, officer, traduction Nicolas Kayser-Bril

Image CC Flickr by Mylor ; image de grande une themattharris

Sur ce sujet, on se permet de vous recommander le site 10 Downing Tweets

]]>
http://owni.fr/2010/05/06/soutien-de-la-presse-victoire-au-parlement/feed/ 5
Les journaux tels que nous les connaissons: un “accident historique” ? http://owni.fr/2010/04/15/les-journaux-tels-que-nous-les-connaissons-un-accident-historique/ http://owni.fr/2010/04/15/les-journaux-tels-que-nous-les-connaissons-un-accident-historique/#comments Thu, 15 Apr 2010 10:00:58 +0000 Marie-Claude Ducas http://owni.fr/?p=12378 Le business model de la presse traditionnelle s’est construit dans un contexte qui ne se reproduira plus explique Clay Shirky. Il se montre du coup très pessimiste sur l’avenir du journalisme “chien de garde”.

Je m’étais déjà promis de relayer ce point de vue, mis de l’avant récemment sur Six Pixels of Separation, le célèbre blogue du non moins célèbre Mitch Joel, président de Twist Image. Et, alors que l’on vient d’apprendre de CanWest Global, qui possède entre autres le réseau de télévision Global, The National Post, et plusieurs autres quotidiens dont The Gazette à Montréal, vient de placer certaines de ses divisions sous la protection de la loi de la faillite, cela tombe (hélas) d’autant plus à point nommé. The Gazette ne fait pas partie des divisions incluse dans cet arrangement, mais, comme les autres quotidiens de la chaîne, il est en difficulté, et a évité une grève il y a quelques mois.

Pour contexte, rappelons que, ici, Le Journal de Montréal, propriété de Quebecor, est en lock-out depuis dix mois ; que la direction de La Presse (Gesca) a récemment brandi une menace de fermeture si aucune entente avec ses employés quant à des coupures n’était conclue d’ici le premier décembre ; que les autres quotidiens de Gesca doivent aussi faire face à des restrictions, de même que d’autres entreprises de média ici. Et, ailleurs au Canada et en Amérique du Nord, les exemples du genre se multiplient.

Et, c’est maintenant clair pour tout le monde, la récente récession est loin de tout expliquer : c’est tout le modèle d’affaires des médias traditionnels qui est remis en question. Et, en ce qui concerne les journaux, la remise en question touche directement la question de l’information : qui elle intéresse, qui elle rejoint… et surtout ce qu’il en coûte pour la produire, et qui est prêt à financer cela. Pour les journaux, en effet c’est l’information qui compose l’essentiel du contenu.

Le point de vue relayé par Mitch Joel est celui de Clay Shirky, énoncé, récemment lors d’une conférence du Shorenstein Center on the Press, Politics and Public Policy, un organisme lié à l’université Harvard. J’avoue que je ne connaissais pas Clay Shirky, auteur d’un best-seller intitulé Here Comes Everybody: The Power of Organizing Without Organizations. Mais je me promets bien d’aller lire davantage ce qu’il a écrit.

Clay Shirky :

Photo CC Flickr chéggy

En ce qui concerne les journaux, on pourrait résumer ainsi un des principaux points mis de l’avant par Shirky dans sa conférence : le présent modèle d’affaires des journaux, où des entités commerciales financent massivement la production de quelque chose qui, finalement, s’apparente davantage à un service public, est une sorte d’accident historique, maintenant voué à disparaître. Je vais tenter de résumer le mieux possible ce qui émerge de son point de vue, et faire ressortir les implications que je vois pour ce qui se passe ici. Mais j’incite fortement quiconque est le moindrement intéressé par ces questions à aller lire les propos de Clay Shirky, qui ont été reproduits intégralement sur le blogue du Nieman Journalisme Lab, un autre organisme lié à Harvard (d’ailleurs, pour ceux qui sont davantage « auditifs », il y a aussi un lien vers la version audio). Croyez-moi quand je vous dis que c’est du temps que vous n’aurez pas gaspillé… quoique, si vous êtes moindrement concernés par l’avenir des journaux, ou par tout ce qui touche à l’information et au rôle du journalisme, c’est un point de vue qui risque de vous déranger.

Voici déjà une citation : « Some time between the rise of the penny press and the end of the Second World War, we had a very unusual circumstance — and I think especially in the United States — where we had commercial entities producing critical public goods. We had ad-supported newspapers producing accountability journalism. Now, it’s unusual to have that degree of focus on essentially both missions – both making a profit and producing this kind of public value. But that was the historic circumstance, and it lasted for decades. But it was an accident. There was a set of forces that made that possible. And they weren’t deep truths – the commercial success of newspapers and their linking of that to accountability journalism wasn’t a deep truth about reality. Best Buy was not willing to support the Baghdad bureau because Best Buy cared about news from Baghdad. They just didn’t have any other good choices. »

[« Quelque part entre l’avènement de la presse de masse et la fin de la Seconde Guerre mondiale, on était face à des circonstances très particulières, surtout aux États-Unis, où des acteurs privés produisaient des biens publics indispensables. On avait des journalistes financés par la publicité qui jouaient un rôle de chien de garde. De nos jours, il est rare de voir une organisation qui se concentre autant sur ces deux problèmes : dégager un profit et produire ce genre de bien public. Ce furent des circonstances exceptionnelles et elles durèrent plusieurs décennies. Mais c’était un accident. Il y avait un ensemble de forces qui ont rendu ça possible. Cela n’avait rien à voir avec une réalité profonde – le modèle d’affaires du journalisme ‘chien de garde’ n’était pas lié à une réalité du marché. Wal Mart ne payait pas pour un correspondant à Bagdad parce qu’ils en avaient envie. Ils n’avaient tout simplement aucune autre option. »]

Ce qui a permis aux journaux de pouvoir de maintenir une politique d’indépendance rédactionnelle face aux annonceurs, soutient Shirky, c’est qu’ils étaient, en quelque sorte, en situation de monopole : « The advertisers were not only overcharged, they were underserved. Not only did they have to deliver more money to the newspapers than they would have wanted, they didn’t even get to say: “And don’t report on my industry, please.” There was a time when Ford went to The New York Times during the rollover stories and said, “You know, if you keep going on this, we may just pull all Ford ads in The New York Times.” To which the Times said, “Okay.” And the ability to do that — to say essentially to the advertiser, “Where else are you going to go?” — was a big part of what kept newspapers from suffering from commercial capture. »

« Non seulement les annonceurs payaient trop cher, mais ils étaient aussi très mal servis. Non seulement devaient-ils payer plus qu’ils auraient voulu, ils n’avaient pas non plus le droit de dire ‘Et pas un mot sur mon entreprise, s’il vous plait’. Une fois, Ford est allé voir le New York Times pendant une crise liée au renversement des 4×4 et dit ‘Vous savez, si vous continuez comme ça, on retire les pubs Ford du NYT’. Le Times répondit simplement : ‘OK’. La possibilité de faire ça, de dire à l’annonceur ‘Vous allez aller où ?’ a joué un grand rôle dans la santé financière des journaux. »]

Photo CC Flickr chéggy

Mais cette époque est bel et bien terminée : « The institutions harrying newspapers — Monster and Match and Craigslist — all have the logic that if you want to list a job or sell a bike, you don’t go to the place that’s printing news from Antananarivo and the crossword puzzle. You go to the place that’s good for listing jobs and selling bikes. And so if you had a good idea for a business, you wouldn’t launch it in order to give the profits to the newsroom. You’d launch it in order to give the profits to the shareholders. »
[« Les institutions qui harcèlent les journaux – les Monster, Meetic et Craigslist – fonctionnent tous de la même manière. Si vous voulez passer une annonce emploi ou vendre un vélo, vous n’avez pas besoin d’aller voir ceux qui impriment les dernières actus sur Tananarive ou les mots croisés. Vous allez là où on passe les annonces emplois ou là où on vend des vélos. Et si vous avez une bonne idée de plan d’affaires, vous n’allez pas partager les profits avec une rédaction. Vous allez donner les profits à vos actionnaires. »]

Alors voilà. Il y a d’autres aspects, à commencer par la pertinence, ou non, de faire payer pour du contenu, sur lesquels je reviendrai certainement. Mais voici, pour finir, ce qu’il a à dire en ce qui concerne le journalisme tel qu’on s’est habitués à le connaître : « I think a bad thing is going to happen, right? And it’s amazing to me how much, in a conversation conducted by adults, the possibility that maybe things are just going to get a lot worse for a while does not seem to be something people are taking seriously. But I think this falling into relative corruption of moderate-sized cities and towns — I think that’s baked into the current environment. I don’t think there’s any way we can get out of that kind of thing. So I think we are headed into a long trough of decline in accountability journalism, because the old models are breaking faster than the new models can be put into place. »

[« Je pense que quelque chose de terrible va arriver. Et ça me semble incroyable à quel point, dans une conversation entre adultes, les gens ne prennent pas au sérieux la possibilité que les choses vont sérieusement empirer pendant un certain temps. J’ai l’impression que cette descente vers plus de corruption dans les petites et moyennes villes est en gestation dans l’environnement actuel. Je vois pas comment on pourrait y échapper. C’est pourquoi j’ai le sentiment que l’on se dirige vers un long déclin du journalisme ‘chien de garde’, étant donné que les anciens modèles s’écroulent plus vite que les nouveaux se construisent. »]

À ma lecture, lundi soir dernier, ce dernier passage m’avait particulièrement frappée : je n’avais jamais vu, auparavant, remettre en question de façon aussi limpide – on pourrait même dire aussi crue – la survie du journalisme tel qu’on le connaît, et de la fonction qu’il remplit.

Et voilà que je lis, aujourd’hui dans la section « Forum » du journal La Presse (page A20), une opinion, signée par un ex-conseiller municipal de la ville de Trois-Rivières. Il y est question de favoritisme en ce qui concerne l’attribution de contrats d’architecture ; et l’auteur plaide pour l’instauration d’une fonction de commissaire à l’éthique pour les villes. Mais c’est le passage suivant qui m’intéresse : « Qu’en est-il dans ces villes qui n’ont pas toujours de partis de l’opposition structurés, de journalistes d’enquête ou de médias indépendants, qui peuvent dénoncer des situations sans craindre de perdre LE gros contrat de publicité ou la publication des avis publics avec la Ville ? » Et de quoi parlait Clay Shirky, déjà ? « … this falling into relative corruption of moderate-sized cities and towns… » Ouch.

Billet initialement publié sur le blog de Marie-Claude Ducas sous le titre L’avenir des journaux: un point de vue brillant… mais dérangeant ; traduction des citations : Nicolas Kayser-Bril

Sur la renaissance du journalisme d’investigation grâce à des médias non-profit : ProPublica remporte un Pulitzer: la fin de l’hypocrisie d’une information “for profit”?

Photo CC nc-by noodlepie

]]>
http://owni.fr/2010/04/15/les-journaux-tels-que-nous-les-connaissons-un-accident-historique/feed/ 4