OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le Parlement européen s’oppose aux armes de surveillance http://owni.fr/2012/11/08/le-parlement-europeen-soppose-aux-armes-de-surveillance/ http://owni.fr/2012/11/08/le-parlement-europeen-soppose-aux-armes-de-surveillance/#comments Thu, 08 Nov 2012 14:11:14 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=124878 digital freedom strategy

“Vente d’armes électroniques : la fête est terminée”, se réjouissaient mercredi nos confrères de Reflets.info. Ils saluaient “l’adoption par le Parlement Européen d’amendements destinés à encadrer  plus strictement l’exportation d’armes électroniques. Ces amendements au règlement (CE) n° 428/2009 (Format PDF) sont le fruit des travaux de la parlementaire néerlandaise Marietje Schaake.”

Suite aux révélations sur la vente d’outils d’espionnage des communications aux dictatures syriennes et libyennes par des entreprises occidentales comme Amesys ou Siemens, l’Union européenne ne pouvait pas rester immobile : le Printemps arabe a fait souffler un vent d’auto-critique sur nos institutions. Citant Numerama, Reflets se félicite encore : “un règlement en droit européen est obligatoire et d’application immédiate.”

Le poids des lobbies

De là à sortir le champagne, il y a un pas, le mousseux est pour l’heure plus de circonstance, comme le signalait Félix Tréguer, de La Quadrature du Net. Il nuance :

Cette modification du règlement est le fruit de ce qui s’est passé à l’automne dernier. Cela interdit le principe d’une autorisation générale d’exportation, mais n’instaure pas non plus de contrôle a priori.

En septembre de l’année dernière, des eurodéputés ont en effet “obtenu l’accord du Conseil de l’UE pour modifier l’instrument communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage civil et militaire, afin d’y inclure les technologies d’interception et d’analyse des communications électroniques”, expliquait-il dans une tribune sur Le Monde.

Certes, un progrès puisqu’avant, les technologies duales n’étaient pas soumises à une autorisation, laissant les États-membres libres. Toutefois, la mesure est surtout cosmétique, soulignait-il :

Les pressions du gouvernement allemand ont amené les eurodéputés à renoncer à un système de contrôle a priori des technologies de censure. Les entreprises pourront ainsi déclarer leurs exportations jusqu’à trente jours après la livraison du matériel. En outre, il incombera aux seuls États membres de s’assurer du bon respect de ces règles, et il y a fort à parier que les considérations commerciales l’emporteront sur les engagements moraux.

Au pays de Candy

Au pays de Candy

Candy : c'est le nom de code de l'opération organisée depuis la France et consistant à aider le régime de Kadhafi à ...

De même, la “Strategy No disconnect”, initiée par la Commission européenne en décembre 2011, n’a pas de quoi faire vraiment trembler les entreprises visées. Il n’est pas question de contrainte. Dans son discours de présentation, la vice-présidente de la CE en charge de l’agenda numérique Neelie Kroes avait ainsi parlé de “stimuler les entreprises européennes pour qu’elles développent des approches d’autorégulation (ou d’en rejoindre des existantes, telles que la Global Network Initiative), de façon à ce que nous cessions de vendre aux dictateurs des armes de répression numériques”.

La CE travaille aussi sur un projet de surveillance de la censure sur Internet. L“European Capability for Situational Awareness” (ECSA), “essayera d’assembler, d’agréger et de visualiser des informations mises à jour sur l’état de l’Internet à travers le monde”.  Bref, pas grand chose d’innovant susceptible de faire bouger le dossier.

Vote en décembre

Le renforcement du contrôle dépend désormais de l’attention que portera la Commission européenne à un rapport [pdf] de la commission des affaires étrangères (AFET),  “sur une stratégie pour la liberté numérique dans la politique étrangère de l’UE”, conduit sous la houlette de Marietje Schaake de nouveau.

Ce texte est un appel du pied à la CE pour qu’elle modifie davantage encore la loi, dont elle a seule l’initiative. Mardi, le rapport a été adopté par l’AFET. Les points 12 à 19, dans la partie “commerce”, sont une incitation claire et forte à aller plus loin :

13 – se félicite de l’interdiction visant l’exportation à destination de la Syrie et de l’Iran de technologies et de services utilisés à des fins de répression ; estime que cette interdiction devrait constituer un précédent pour la mise en place de restrictions structurelles, telles qu’une clause “fourre-tout” applicable à l’échelle de l’Union ou l’établissement de listes spécifiques par pays dans le cadre réglementaire relatif aux biens à double usage ;

14 – souligne la nécessité de contrôles plus rigoureux de la chaîne d’approvisionnement et de régimes plus stricts de responsabilité des entreprises en ce qui concerne la commercialisation des produits – depuis les équipements jusqu’aux dispositifs mobiles – et des services pouvant être utilisés pour restreindre les droits de l’homme et la liberté numérique ;

15 – considère certains systèmes et services ciblés de brouillage, de surveillance, de contrôle et d’interception comme des biens à usage unique dont l’exportation doit être soumise à autorisation préalable ;

Le vote aura lieu en session plénière en décembre. Libre ensuite à la Commission européenne d’entendre cet appel. Ou de continuer de tendre une oreille attentive aux lobbies.


Photo par emonk [CC-byncsa]

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Le Liban grand maître censeur http://owni.fr/2012/09/12/le-liban-grand-maitre-censeur/ http://owni.fr/2012/09/12/le-liban-grand-maitre-censeur/#comments Wed, 12 Sep 2012 11:43:55 +0000 Emmanuel Haddad http://owni.fr/?p=119823

En marge de la conférence Share Beirut, qui débutera le 5 octobre dans la capitale libanaise, plusieurs ONG lanceront un festival pour la liberté d’expression destiné à dénoncer la censure en vigueur au Liban. Et elles déposeront à cette occasion un projet de loi au Parlement, largement inspiré par le travail de l’avocat Nizar Saghieh, coauteur d’un rapport de 152 pages sur le fonctionnement de la censure au Liban.

Devant son plat de sushis et derrière ses lunettes noires, le musicien Zeid Hamdan, clé de voûte de la scène underground libanaise avec son groupe Zeid & the Wings, désigne “un cancer qui gangrène la société libanaise” quand on parle de censure. Avant d’ajouter plus provoc : “En m’enfermant à cause de la chanson General Suleimane, ils m’ont fait un super coup de pub ! Tous les artistes jouent à flirter avec la censure à présent” .

Après quelques heures passées en garde à vue en juillet 2011, pour une chanson qui s’achève sur un “General Suleimane go home!” très peu du goût de l’entourage du président libanais, Zeid estime qu’il y a eu plus de bruit que de mal : “En Syrie, j’aurais fini égorgé, en Iran, emprisonné. C’est parce qu’il y a de la liberté au Liban qu’on peut jouer avec la censure”. Voire.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Son optimisme contagieux n’a pas atteint la cinéaste Danielle Arbid qui, après la censure de son dernier film Beyrouth Hôtel -dont Zeid Hamdan a composé la bande originale- a jeté l’éponge : “Rien ne marche dans ce pays, sauf le bureau de censure”, a-t-elle lâché en même temps que sa décision de ne plus travailler au Liban, non sans avoir lancé un procès contre la Sûreté générale.

Censurer la liste

Le bureau de censure, au sein de la toute-puissante Sûreté générale libanaise, délivre les indispensables autorisations de diffusion. Il fait planer une menace d’interdiction sur toute nouvelle production des artistes et médias libanais, mais n’a jamais cru nécessaire de justifier ses décisions.

“Depuis sa mise en œuvre dans les années 1950, le travail du bureau de la censure est lié à un cadre légal est assez flou. La loi sur la censure dispose qu’est interdit tout ce qui porte atteinte à la sécurité nationale, ce qui incite à la discorde confessionnelle, qui met en danger la relation entre le Liban et des pays amis et frères… Ce sont des formulations très floues et élastiques dont, l’interprétation change au gré de l’humeur politique du moment”, rappelle Ayman Mhanna, directeur de l’organisation Samir Kassir Eyes (SKeyes), sorte de Reporter Sans Frontières pour le Liban, la Jordanie, la Syrie et la Palestine.

Le bureau n’a pas non plus daigné rendre publique la liste des œuvres censurées. “Ils nous ont toujours dit une chose et fait l’autre, alors peu à peu, on a compris qu’ils s’en étaient toujours tirés comme ça, de manière opaque”, explique Léa Baroudi, membre de l’ONG March qui milite pour la suppression de la censure au Liban. Sur la page facebook de l’organisation, le résumé d’une conversation avec le général responsable de la censure, tenue en mars 2012, vaut toutes les descriptions :

-Nous n’avons pas honte de censurer. Tout ce qui est censuré l’est pour une raison valide, c’est dans l’intérêt de tout le monde.

-Ok, donc on pourrait avoir une lise du matériel censuré par votre bureau ?

-Bien sûr, envoyez une lettre officielle, nous sommes là pour aider

-Désolé mais en réalité, on ne peut pas vous envoyer cette liste.

-Donc vous censurez la liste du matériel censuré… Juste quand on pensait que ça ne pouvait pas être pire !

La liste en question est disponible depuis le 3 septembre sur le site du Musée virtuel de la censure . “Mais ce n’est pas le bureau qui nous l’a donné. Nous avons fouillé les archives du quotidien An-Nahar, bénéficié de la participation citoyenne depuis le site internet, de l’aide de libraires…” explique Léa Baroudi, ajoutant que “les gens sont très surpris et indignés de voir que de telles œuvres aient pu être censurées. Personne n’avait idée de l’ampleur du phénomène !”

Tout commence avec Le Dictateur de Charlie Chaplin dans les années 1940, et se poursuit sans ordre apparent, en forme d’inventaire à la Prévert, des Monty Python à Rabbi Jacob en passant par Woody Allen, les Pink Floyd, The Da Vinci Code, un article de Libération jugé critique envers Hafez el-Assad, tous les films de Danielle Arbid ou encore une caricature de Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, réalisée par Pierre Sadek. Après examen, Léa Baroudi décèle un ordre logique :

On retrouve quatre thèmes sujets à censure. La politique, notamment l’image des États amis, de la Syrie à l’Iran en passant par l’Arabie Saoudite. La religion, dont les institutions interfèrent sans aucune assise légale, Israël, et le sexe.

Les conséquences d’une telle censure sont clairs pour la jeune activiste : Beaucoup d’artistes s’en vont ou s’autocensurent pour éviter de passer par le bureau de censure. Le risque, c’est que la culture devienne de plus en plus conventionnelle…

Amnésie

Sous un portrait de Samir Kassir revisité en icône pop, faisant du journaliste assassiné le 2 juin 2005 un Che Guevara libanais, Ayman Mhanna met en évidence la perversion du système : “Avant même que ces films n’arrivent à la Sûreté générale, il y a une sorte de réflexe pavlovien des mecs de la censure qui en font un pré-visionnage : dès qu’ils sentent qu’une œuvre est lié de près ou de loin à la religion, ils l’envoient à l’autorité religieuse compétente, soit au centre catholique d’information, soit au Dar el-Fatwa sunnite, soit au grand conseil supérieur musulman chiite. Puis, ils acceptent sans rechigner les restrictions que ces derniers leurs réclament.”

Au Liban, religion et politique sont inextricablement liées au sein d’une architecture institutionnelle censée promouvoir l’équilibre entre 18 communautés confessionnelles coexistant dans un espace de 10 452 km² de superficie. Avec un Président de la République forcément chrétien, un Premier ministre toujours sunnite et un président du Parlement chiite. Une savante répartition qui a volé en éclats pendant les quinze années de guerre civile, 1975-1990, laissant 150 000 morts derrière elle autant d’horreurs provoqués par l’une ou l’autre des communautés. Ayman Mhanna soupçonne le bureau de censure de prendre la place du travail de mémoire :

La plupart des films qui ont été interdits depuis la fin de la guerre sont liés à la question de la mémoire de la guerre. Au lieu de faire un travail de mémoire pour une réconciliation pérenne, on a préféré l’amnésie et l’amnistie. On ne peut pas parler de la mémoire, ni écrire dessus et encore moins en faire des films, car on craint toujours que cela ne réveille de vieux démons. En réalité, cette censure enracine toutes les rancœurs à l’intérieur des gens ; ils ne peuvent pas faire leur deuil.

Robert Fisk, journaliste britannique qui a couvert et vécu la guerre civile libanaise, écrivait le 9 avril 2005 dans The Independent que “l’adage quoique tu fasses, ne mentionne pas la guerre” a acquis une place spéciale dans un pays dont les habitants s’entêtent à refuser de tirer des leçons de leur massacre fratricide.

Pendant au moins dix ans, mon propre livre sur la guerre civile a été interdit par les censeurs libanais” . Mais le reporter insiste aussi, quatre jours avant la commémoration des 40 ans du 13 avril 1975, date du début de la guerre civile, sur les raisons de l’amnésie libanaise : “Les Libanais s’apprêtent à se rappeler du plus terrible conflit de leurs vies, celui qui a tué 150 000 personnes et dont la commémoration la semaine prochaine était à l’origine entre les mains de l’ex-premier ministre Rafic Hariri, qui a été lui-même assassiné le 14 février”.

Malgré les accords de Taëf signant la fin de la guerre le 22 octobre 1989, les Libanais continuent de vivre un quotidien rythmé d’invasions territoriales israéliennes et syriennes et d’assassinats ciblés, de Samir Kassir à Rafic Hariri, laissant peu de place à un retour serein sur leur passé.

Trembler

“Interdit une fois, interdit toujours, la morale ne change pas avec le temps”, siffle une employée du bureau de censure, justifiant l’interdiction d’une chanson jugée sexuellement explicite, parce que “« trembler » ça a une connotation sexuelle, non ?”.

Fictive, cette réflexion est tirée du sixième épisode de la web-série Mamnou3 (Interdit en arabe), dirigée par Nadim Lahoud, lequel, “après avoir écouté mon discours sur l’opacité du bureau de la censure”, raconte Ayman, “est venu me proposer de faire quelque chose d’autre qu’une énième campagne de presse.

Comme il est britannique, inspiré par la série The Office, il a proposé de faire quelque chose sur internet, donc pas censuré, et comique. On a décidé de ne pas faire dans l’investigation : si le bureau de censure n’est pas transparent, libre à nous d’imaginer comment il fonctionne. En insistant sur le côté absurde et anachronique de la plupart de ces décisions”. Le résultat est diffusée sur YouTube au rythme d’un épisode par semaine depuis juin, chacun attirant près de 40 000 visiteurs.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Malgré la chape de plomb qui pèse encore sur la mémoire de la guerre et les autres tabous libanais, la nouvelle génération brandit de nouvelles armes : l’humour lol, l’accès gratuit, la diffusion en réseau et la liberté de ton octroyés par l’Internet. Entre Mamnou3 et le Musée de la censure, l’Internet libanais devient le réceptacle d’initiatives visant à rompre avec l’idée bien ancrée qu’il y a des choses plus urgentes à régler que l’accès à la culture.

“Tu entends souvent que, alors que beaucoup de gens meurent, s’occuper de la censure est secondaire. Pourtant, la liberté d’expression ne devrait pas passer avant ou après les autres problèmes politiques, mais en parallèle. C’est un droit fondamental !” , rappelle Léa Baroudi, dont l’ONG March participe à la rédaction d’un projet de loi qui vise à supprimer la censure a priori des œuvres audiovisuelles. Et de préciser :

Avec la fondation Maharat, l’avocat et activiste Nizar Saghieh et d’autres organisations, nous proposons dans ce projet de loi, qui sera porté devant le Parlement en octobre, de transformer le bureau de censure en un comité d’experts dont le rôle se limitera à définir des catégories d’âge pour avertir sur le contenu d’un film avant sa diffusion. Après, si un film pose problème, l’affaire doit passer en justice, selon des critères précis, comme dans tout pays qui se veut démocratique.

Share Beirut

Mais le bras de fer n’est pas terminé. Le 26 mai, à l’appel du Conseil spirituel druze, toutes les autorités religieuses du pays se sont réunies “pour créer un comité de vigilance de la vertu ou un truc avec un nom aussi libéral, où ils se sont mis d’accord pour se soutenir sur les demandes de censure des uns ou des autres”, raconte Ayman Mhanna. Depuis l’entrée en fonction du gouvernement de Najib Mikati en juin 2011, pas moins de quinze films ont été totalement ou partiellement censurés. Une recrudescence qui va au-delà du changement de majorité politique, selon le directeur de SKeyes :

Chaque fois que la situation politique au Liban est relativement stable, les décisions sur la censure sont rares. Dès qu’il y a des problèmes de sécurité régionale et des divisions profondes comme c’est le cas depuis juin dernier, la censure se fait plus forte.

L’enlisement de la guerre civile syrienne et les plaies qu’il réveille au Liban renforce les tabous d’une nation fragile. Alors certains fuient le pays pour ne pas étouffer, d’autres se tournent vers Internet et s’inspireront de la conférence Share Beirut organisée début octobre autour d’Internet et de la culture des hackers. Le bureau de la censure, lui, continue de scruter le moindre risque de subversion : “Trois minutes peuvent enflammer tout le pays”, s’inquiète le général de la série Mamnou3… devant un vidéo-clip de musique pop !


Photos via la vidéo General Suleiman, le musée de la censure.
Illustration de Une remixée par Ophelia Noor pour Owni à partir du Clip General Suleiman de Zeid Hamdan.

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La Syrie à la mine de plomb http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/ http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/#comments Mon, 06 Aug 2012 14:08:50 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=116681 L’Iran et la Syrie, une longue histoire. Dernier épisode de cet épopée, 48 Iraniens ont été enlevés par l’Armée Syrienne Libre, samedi sur la route de l’aéroport de Damas. Espions envoyés par Téhéran pour les uns, simples pèlerins chiites pour les autres. Avec ses traits noirs et acerbes, le dessinateur iranien Mana Neyestani chronique le conflit syrien sur sa page Facebook ou pour le site de la radio iranienne en exil Zamaneh. Il feint de s’interroger :

Comment être sauvé par un régime lui-même en perte de vitesse ?

Jusqu’ici, Bachar al-Assad a pu compter sur le soutien de la République islamique d’Iran. Mana Neyestani sourirait presque de cette alliance de deux dictatures. Lui vit en exil à Paris, après des aventures kafkaïennes racontées dans son ouvrage Une métamorphose iranienne. “Le seul langage que maîtrisent les dictateurs est la violence” explique-t-il.

Kafka à l’iranienne

Kafka à l’iranienne

Mana Neyestani, caricaturiste iranien, est l'auteur d'Une métamorphose iranienne, à paraître le 16 février. Un ...

Un alter ego syrien, le caricaturiste Ali Ferzat, a subi la répression du régime pour l’avoir trop vertement critiqué. Il y a un an, des hommes cagoulés l’enlevaient et le rouaient de coups ; ils lui brisaient les mains. Mana Neyestani lui rend hommage dans un dessin qui souligne le pouvoir du stylo contre la matraque.

“Je me demande comment Bachar peut dormir sans penser aux meurtres qu’il commet.” Sous le regard impuissant – dans le meilleur des cas – des organisations internationales. Deux dessins sont consacrés à l’ONU, que le dessinateur iranien n’épargne pas. Sur une image représentant un prisonnier sur le point de se faire exécuter, les Nations Unies choisissent de “cacher cette histoire”.

Pour le dessinateur, “c’est tellement douloureux de voir comment les Syriens se font si sauvagement massacrés par leur dictateur alors que l’ONU ne peut (ou ne veut) pas sauver les personnes innocentes.” Avec une question en suspens :

Une dictature et un massacre peuvent-ils être considérés comme des problèmes internes ?


Illustrations de Mana Neyestani, © tous droits réservés, publiées avec l’autorisation de l’auteur. Retrouvez le travail de Mana Neyestani sur sa page Facebook.

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Plainte contre un big brother français en Syrie http://owni.fr/2012/07/25/plainte-big-brothers-francais-syrie-qosmos-fidh-ldh/ http://owni.fr/2012/07/25/plainte-big-brothers-francais-syrie-qosmos-fidh-ldh/#comments Wed, 25 Jul 2012 05:56:24 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=116936

L’étau se resserre un peu plus autour des marchands d’armes de surveillance. Selon nos informations, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) doivent déposer ce mercredi une dénonciation au parquet de Paris. Ce signalement auprès du procureur vise des sociétés françaises, dont Qosmos, pour leurs activités en Syrie.

Dans ce document qu’Owni a consulté, les deux organisations ciblent la participation de Qosmos “aux opérations de répression réalisées par le régime de Bachar El Assad à l’encontre du peuple syrien”. La société a été “mise en cause pour avoir contribué à fournir au régime syrien le matériel de surveillance électronique nécessaire à la répression de la contestation”. Ce qui fait penser à la FIDH et à la LDH que Qosmos, à l’instar d’autres sociétés françaises, “[pourrait] être impliqu[é] dans la commission d’actes de tortures et de crimes contre l’Humanité.”

Surveillance massive

En novembre 2011, l’agence Bloomberg révélait que Qosmos fournissait du matériel à l’entreprise italienne Area SpA dans le cadre d’un projet de surveillance massive des réseaux syriens, baptisé Asfador. Depuis plusieurs mois, le site français Reflets.info se faisait l’écho de l’utilisation en Syrie du deep packet inspection, une technologie duale qui permet de mesurer la qualité du trafic ou d’espionner les échanges, y compris à grande échelle. Une technologie fournie par des fabricants occidentaux, notamment Qosmos.

Selon le directeur du service marketing de Qosmos, Erik Larsson, la technologie fournie permettait de “fouiller dans les mails et de reconstituer tout ce qui se passe sur l’ordinateur d’un internaute”. Le directeur, Thibaut Bechetoille, avait pour sa part reconnu qu’il n’était pas “convenable de continuer à soutenir ce régime”, précisant que la société s’était retirée quatre semaines auparavant conformément à une décision du conseil d’administration.

La carte d’un monde d’espions

La carte d’un monde d’espions

OWNI en partenariat avec Wikileaks vous propose cette carte interactive permettant d'identifier toutes les sociétés à ...

Une décision qui n’a pas convaincu les organisations de défense des droits humains. D’autant que des questions restent en suspens quant à l’effectivité de ce retrait et la date à laquelle il serait intervenu. Pour Me Clémence Bectarte, avocate à la FIDH, l’argument du retrait est d’autant plus fallacieux que “le régime de Bachar Al Assad n’était pas fréquentable, même avant le début de la révolte en mars 2011.”

Dans les pas d’Amesys

Il reviendra donc au parquet de Paris de décider d’ouvrir ou non une enquête. Amesys, filiale de Bull connue pour la vente de son système d’espionnage à grande échelle à la Libye de Kadhafi, fait désormais l’objet d’une information judiciaire après une plainte conjointe des deux organisations pour “complicité de crimes de tortures et traitements inhumains, cruels ou dégradants.” Les aventures syriennes de Qosmos pourraient lui faire suivre les pas libyens d’Amesys.

Avec cette interpellation formelle, les organisations ont une double intention, détaillée par Me Bectarte :

Le premier objectif est évidemment judiciaire, pour stopper ce commerce impuni d’armes de surveillance avec ces régimes. Mais nous voulons aussi alerter pour que la législation évolue.

Vendredi la ministre déléguée à l’économie numérique, Fleur Pellerin, s’est prononcée contre “l’exportation [par la France] de systèmes de surveillance d’Internet”.

[Mise à jour, 26 juillet 2012 : Selon l'AFP, le parquet de Paris a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire contre Qosmos. La section recherche de la gendarmerie sera en charge de l'enquête qui pourrait déboucher sur une l'ouverture d'information judiciaire, pilotée par un juge d'instruction, ou sur le classement de l'affaire.]


• A lire sur les affaires libyennes d’Amesys : Au pays de Candy, enquête sur les marchands d’armes de surveillances, de Jean-Marc Manach, paru chez Owni Editions.

• Illustration par Loguy pour Owni

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Les sales blagues de Bachar el-Assad http://owni.fr/2012/07/18/les-sales-blagues-de-bachar-el-assad/ http://owni.fr/2012/07/18/les-sales-blagues-de-bachar-el-assad/#comments Wed, 18 Jul 2012 11:05:08 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=116177

Le 26 février 2011, 15 jours après la fuite (et la démission) d’Hosni Moubarak, qui dirigeait l’Égypte depuis 1981, Bachar el-Assad envoie un mail intitulé “Un nouveau mot dans le dictionnaire” :

Moubarak (verbe) : accrocher, coller quelque chose. Exemple : “je vais te frapper et te moubaraker au mur”, ou “tu peux moubaraker les différentes pièces pour les faire tenir ensemble”.
Moubarak (adjectif) : long à apprendre ou comprendre. Ex : “Pourquoi avez-vous besoin d’être aussi moubarak ?”
Moubarak (nom) : ex-petite amie psychotique qui n’arrive pas à comprendre que c’est fini.

Sur les 2 434 899 mails des Syria Files révélés par WikiLeaks et auxquels Owni a eu accès, on trouve 538 e-mails envoyés par sam@alshahba.com, l’adresse e-mail utilisée par Bachar el-Assad. La majeure partie d’entre-eux ont été envoyés avant le début de la révolution en Syrie, et concernent la gestion d’affaires internes, ainsi que de nombreux échanges avec la traductrice personnelle d’el-Assad.

Le dir’ com américain de la Syrie

Le dir’ com américain de la Syrie

Bachar al-Assad avait recruté des "spin doctors" anglo-saxons. Ils avaient déclaré ne plus travailler pour le ...


On n’y trouve aucun secret d’État, pas de révélations sur la main-mise des services de sécurité syriens, non plus que sur le soutien de la Russie, de la Chine ou de l’Iran. Par contre, on y trouve des blagues, plusieurs dizaines, pour la plupart en anglais, que le président-dictateur syrien envoyait à ses proches collaborateurs, et notamment à sa traductrice.

Certaines sont plutôt drôles ou raffinées, la majeure partie graveleuses et misogynes. A mille lieues de l’image glamour que le régime syrien et ses communicants cherchaient à donner du couple el-Assad en mettant en avant la belle et jeune Asma, épouse de Bachar, ces blagues révèlent un homme adepte de ces blagues que s’échangent les hommes d’un certain âge au sujet de leurs femmes vieillissantes, et d’un humour peu respectueux de la femme, tout comme de l’islam. Florilège.

Une pastèque dans le c…

En février 2010, dans un email intitulé “Les femmes qui savent rester à leur place” il raconte comment la journaliste américaine Barbara Walters s’était étonnée de voir les femmes afghanes continuer à marcher plusieurs pas derrière leurs maris, comme du temps des Taliban :

Pourquoi semblez-vous si heureuse de perpétuer cette vieille coutume que vous cherchiez pourtant désespérément à abolir ?

La femme regarde Mme Walters droit dans les yeux et, sans hésitation, lui répond : “les mines antipersonnelles”.

Moralité de l’histoire : derrière chaque homme, il y a une femme intelligente !

Le 16 mars 2010, Bachar el-Assad envoie une série de blagues en arabe, se moquant notamment de Haifa Wehbe, laissant entendre que le jour où la diva d’origine libanaise mourra, elle saura enfin de ce que cela fait de se coucher toute seule… entre autres plaisanteries de bon goût.

On y trouve aussi l’histoire d’un homme qui ne parvient pas à se défaire des vers qui rongent ses viscères. Un médecin lui propose alors de couper une pastèque en deux et de s’asseoir dessus, afin que son nectar attire les vers. L’un d’entre-eux vient de fait goûter la pastèque qui, effectivement, a très bon goût. Mais plutôt que d’attirer les vers, ces derniers crient au premier : “ramène-nous la pastèque !

Cochon entier et petite saucisse

Le 8 août à 18h24, Bachar el-Assad faisait suivre une chaîne mail intitulée “Longue vie aux célibataires“, compilation de citations anti-mariage :

Je n’ai pas peur du terrorisme. J’ai été marié pendant deux ans.

J’emmène ma femme partout, mais elle arrive toujours à retrouver le chemin du retour.

Nous nous tenons toujours par la main. Si je la laisse aller, elle entre dans les magasins.

Quatre minutes plus tard, à 18h28, Bachar el-Assad envoie un autre e-mail, titré “femmes âgées“, évoquant le fait que “pour chaque femme magnifique, intelligente, bien coiffée et sexy de plus de 40 ans, il y a un chauve bedonnant qui porte des pantalons jaunes et autres reliques en guise de vêtements, et qui devient gaga devant des serveuses de 22 ans” :

Mesdames, je suis désolé. A tous ces hommes qui disent : “mais pourquoi acheter une vache quand on peut avoir du lait gratuitement ?” sachez qu’aujourd’hui, 80% des femmes sont contre le mariage. Pourquoi ? Parce qu’elles réalisent que ce n’est pas la peine d’acheter un cochon entier pour n’avoir qu’une petite saucisse !

Le 20 octobre 2010, il envoie à sa traductrice “quelques calculs mathématiques“, que l’on retrouve sur le web sous l’intitulé Romance Mathematics :

Homme intelligent + femme intelligente = Romance
Homme intelligent + femme bête = aventure
Homme stupide + femme intelligente = mariage
Homme stupide + femme bête = grossesse

Un homme qui réussit gagne plus d’argent que sa femme ne peut dépenser.
Une femme qui réussit est celle qui peut trouver un tel homme.

Le 23 décembre, il fait suivre une série de blagues “Mari vs Femme” elle aussi copiée-collée sur les interwebs :

La femme : j’aimerais être un journal, pour être dans tes mains tous les jours.
Le mari : moi aussi j’aimerais bien que tu sois un journal, histoire d’en avoir un nouveau chaque jour.

Le 5 novembre, il transmet un “guide hormonal à scotcher sur le réfrigérateur” que “les femmes comprendront (et que) les hommes devraient mémoriser“, dont la version poster est beaucoup plus explicite et qui, en résumé, explique que pour ne pas avoir de problèmes avec les femmes, le mieux est encore de les enivrer :

Le 15 décembre, Bachar el-Assad transfert un mail intitulé “générosité britannique” que lui avait envoyé Fawaz Akhras, son beau-père, et qui raille l’aide internationale apportée au Pakistan après un tremblement de terre (imaginaire) ayant fait 2 millions de mort :

Les USA envoient des troupes. L’Arabie Saoudite du pétrole. La Nouvelle-Zélande des moutons, des bovins et de la nourriture. Les pays d’Asie du sud est de la main d’œuvre pour rebâtir les infrastructures. L’Australie du matériel et des équipes médicales.

Pour ne pas être en reste, la Grande-Bretagne renvoie ses deux millions de Pakistanais. God Bless British generosity…

Le Guardian, qui a consacré un article au sujet des conseils donnés par Fawaz Akhras à son beau-fils pour minimiser la portée du nombre de morts civils en Syrie, évoque également le fait que Bachar lui avait envoyé plusieurs autres blagues depuis son iPhone, dont une portant sur la taille respective des pénis de Nicolas Sarkozy, Benyamin Netanyahu et Barack Obama.

La blague postée en date du 28 décembre est tout aussi courte, percutante, que déplacée. Une nonne va voir sa mère supérieure pour lui annoncer qu’elle a été violée :

- Que dois-je faire ?
- Buvez ce thé, amer et sans sucre
- Cela me rendra-t-il mon honneur et ma pureté ?
- Non, mais cela devrait effacer l’expression de bonheur qu’arbore votre visage.

Le 31, une histoire où un gars vient demander à Bush et Obama, qui sont assis dans un bar, ce qu’ils sont en train de préparer :

Bush : Nous préparons la 3ème guerre mondiale.
le gars : vraiment, mais qu’est-ce qui va se passer ?
Bush : cette fois, nous allons tuer 140 millions de gens, ainsi qu’Angelina Jolie.
le gars : Angelina Jolie ? Mais pourquoi Angelina Jolie ?
Bush se tourne alors vers Obama : tu vois ? Je te l’avais bien dit, tout le monde s’en fout de ces 140 millions de gens !!!!!!!!!

“Woo-hoo, quelle aventure !”

Le 20 janvier, ce n’est pas une blague, mais une vidéo en noir et blanc, et en pièce jointe, façon comédie italienne d’antan, que Bachar el-Assad envoie par mail un spot publicitaire de la société Belgacom incitant ses abonnés à ne pas la quitter. On y voit une femme en-dessous s’affoler de l’arrivée de son mari, et son amant se cacher dans une valise. Le mari, croyant que sa femme le quittait, prend la valise et la jette par la fenêtre.

Le 25, Bachar el-Assad envoie une autre vidéo en pièce jointe : Reopen911.wmv (4.1MiB), résumé de plusieurs des thèses conspirationnistes entourant les attentats du 11 septembre.

Le lendemain, Hasan Ali Akleh s’immole par le feu afin de protester contre le gouvernement syrien, évènement considéré comme annonciateur, et en tout cas emblématique, du printemps syrien.

Le 1er mars 2011, 15 jours après les premières manifestations en Libye, et une semaine après le fameux discours télévisé où Mouammar Kadhafi où il promettait de “nettoyer la Libye maison par maison” de tous ces “mercenaires, rats, bandes criminelles et drogués” manipulés par Al-Qaida et les Américains, Bachar el-Assad envoyait un nouvel e-mail :

Kadhafi a dit :
. hé, les gens, sans électricité, nous nous assiérons pour regarder la TV dans le noir
. je ne suis pas un dictateur qui bloque Facebook, mais j’arrêterais tous ceux qui s’y connecteront
. vous pouvez protester autant que vous le voulez, mais n’allez ni dans les rues ni dans les places
. je resterai en Libye jusqu’à ma mort, ou mon destin viendra à moi.

Le 2 mars 2011, Bachar el-Assad fait suivre les conseils d’un médecin qui préconise la sieste plutôt que l’exercice, conseille de boire de l’alcool (parce que le vin et la bière sont faits à partir de fruits et de céréales), de ne pas se restreindre sur les fritures et le chocolat (parce que faits à partir de légumes), déconseille la nage (“si la nage est bonne pour la ligne, expliquez-moi les baleines“) :

La vie ne doit pas être un long voyage destiné à arriver dans sa tombe avec une ligne et une condition physique excellente, mais plutôt une virée zigzaguante (du Chardonnay dans une main, du chocolat dans l’autre) où l’on crierait “woo-hoo, quelle aventure !” afin d’en finir complètement usé et épuisé.

Le 27 mars 2011, alors que le mouvement de libération prend de l’ampleur, et que l’AFP avance que plus d’une centaine de manifestants ont été tués par la police, un proche collaborateur de Bachar el-Assad lui envoie un mail particulièrement obséquieux lui expliquant qu’une étude aurait démontré que le cœur de la quasi-totalité des 24 millions de Syriens battrait pour Bachar el-Assad, et qu’il est impossible de geler ses avoirs puisqu’ils ne sont pas en Suisse, mais dans le cœur des Syriens…

Le 28, Bachar el-Assad fait suivre une image montrant comment la photo de gens manifestant avec le drapeau syrien en soutien au président syrien a été manipulée pour que l’on croit qu’ils réclament son départ.

Le 31, un autre collaborateur lui envoie un mail intitulé ‘J’ai aimé cette chanson” avec, en pièce jointe, une chanson (sirupeuse) attribuée (à tort) à Mick Jagger composée sur un vieux synthé et répétant (en anglais) “Bashar, We Love You“.

Le 25 juillet, il fait suivre la version traduite en arabe d’une vidéo, en français, intitulée “Sarkozy, combien d’enfants as-tu tué cette nuit ?“, l’accusant d’être responsable de la mort d’enfants tués lors d’un bombardement de l’OTAN en Libye, réalisée par Michel Collon, un journaliste belge considéré comme proche des réseaux français au service de la Syrie qui, après avoir publié un essai sur les “médiamensonges” de l’OTAN en Libye, a récemment préfacé un ouvrage similaire consacré, cette fois, au plan “Syriana” de remodelage du Moyen-Orient par la CIA.

Le 24 septembre, il envoie un lien vers une vidéo (en arabe) sur la proximité supposée entre Al Jazeera et la CIA. Censurée depuis, on la retrouve facilement en cherchant les mots-clefs “الجزيرة والمخابرات الأمريكية.. مين بيلعب فى دماغنا ؟؟“.

Le dernier e-mail de Bachar el-Assad présent dans les #SyriaFiles de WikiLeaks est un copié-collé d’un article de Wayne Madsen, un ancien militaire américain devenu journaliste spécialiste des services de renseignement, proche du Réseau Voltaire et conspirationniste.

Dans cet article, basé sur “plusieurs sources fiables“, Madsen affirme que l’ancien ambassadeur des États-Unis en Syrie a été chargé de recruter des “escadrons de la mort” auprès d’unités affiliées à Al-Qaida et de les envoyer se battre contre les soldats et policiers fidèles au régime syrien. Il affirme également que ces terroristes ne se sont pas contentés d’attaquer les forces loyalistes, mais également de massacrer des civils, afin d’accuser, avec l’aide du Mossad, le gouvernement syrien.

Et cette histoire de CIA qui recrute des terroristes d’Al-Qaida pour tuer des civils avec l’aide du Mossad, pour Bachar el-Assad, ce n’était pas une blague.


A noter que le Fonds de Défense de la Neutralité du Net, émanation du French Data Network, premier FAI indépendant français, vient de faire sauter le blocus financier de Wikileaks, et qu’il est donc de nouveau possible de lui faire un don par carte bancaire.

Merci à Salam Houssam Aldeen, pseudonyme d’un journaliste syrien en exil à Paris (qui cherche du travail : contactez presse AT OWNI.fr), ainsi qu’à Pierre Leibovici (@pierreleibo sur Twitter), qui m’ont beaucoup aidé à plonger dans ces #SyriaFiles.
Photo trouvée dans les mails de Bachar el-Assad, illustration et couverture par Loguy pour Owni /-)

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http://owni.fr/2012/07/18/les-sales-blagues-de-bachar-el-assad/feed/ 69
Le dir’ com américain de la Syrie http://owni.fr/2012/07/06/le-dir-com-americain-de-la-syrie/ http://owni.fr/2012/07/06/le-dir-com-americain-de-la-syrie/#comments Fri, 06 Jul 2012 16:19:37 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=115551 spin doctors" anglo-saxons. Ils avaient déclaré ne plus travailler pour le président-dictateur syrien. Or, les documents obtenus par WikiLeaks, et révélés par Owni, montrent qu'il n'en est rien et qu'ils ont continué pendant la répression.]]>

En plein printemps arabe, le magazine Vogue publiait, dans son édition de mars 2011, un portrait élogieux d’Asma al-Assad, la femme du dictateur syrien, sobrement intitulé “Une rose dans le désert“.

Illustré de photographies de James Nachtwey et signé Joan Juliet Buck, ex-rédactrice en chef de la version française de Vogue, l’article a depuis été effacé du site web de Vogue (on peut le retrouver via archive.org).

Aux États-Unis, des dizaines d’articles avaient en effet dénoncé l’incongruité d’une telle publication, quelques jours seulement avant le déclenchement de la révolution syrienne, et la façon dont il cherchait à humaniser un dictateur en montrant à quel point sa femme était belle et raffinée.

Cet article n’aurait probablement jamais été rendu possible sans l’entregent de Mike Holtzman et de son employeur, le cabinet de relations publiques Brown Lloyd James.

Ex directeur des affaires publiques du Council on Foreign Relations, passé par le département d’Etat américain et le cabinet de Bill Clinton, désigné comme “officier de liaison” à Ground Zero en septembre 2001, Mike Holtzman s’illustra en aidant la Chine à remporter les jeux olympiques de 2008, ce qui lui valu d’être désigné comme la personnalité de l’année par PRWeek, le magazine des relations publiques, et d’être recruté dans la foulée par Brown Lloyd James.

Créé par Peter Brown, l’ancien assistant des Beatles, et Sir Nicholas Lloyd, un ancien journaliste du Daily Express, ce cabinet de relations publiques, qui a notamment aidé le Qatar à emporter la coupe du monde de football 2022, travaille tout aussi bien pour Russia Today que pour Disneyland Paris, la principauté de Monaco et Al Jazeera, avec un focus sur les pays arabo-musulmans.

En 2002, Mike Holztman faisait ainsi paraître une tribune libre appelant à la privatisation de la diplomatie, afin d’améliorer les rapports entre les États-Unis et le Moyen-Orient, puis une seconde, en 2003, fustigeant la propagande américaine dans les pays arabo-musulmans.

En 2009, Brown Lloyd James se faisait également remarquer en travaillant pour la Libye, afin de permettre à Kadhafi de publier une tribune libre dans le New York Times, de faciliter son célèbre voyage au siège des Nations-Unis (où il avait accusé le Conseil de sécurité d’être un “Conseil de la terreur car le terrorisme ce n’est pas seulement al-Qaida“), ou encore de favoriser une rencontre entre George Bush et le fils Kadhafi.

Brown Lloyd James a toujours refusé de répondre aux questions de la presse. Mais un mémo de la Justice américaine a révélé que le cabinet avait bien été sous contrat avec la Syrie, afin d’améliorer l’image de marque d’Asma al-Assad à l’étranger, la société tenant cela dit à préciser n’avoir “fourni aucun service à la famille Assad depuis décembre 2010“, date à laquelle elle avait organisé, selon The Guardian une interview avec Asma al-Assad.

Ce même mois de décembre 2010 Paris Match avait lui aussi rencontré la femme du dictateur syrien, à l’occasion d’une visite officielle des époux al-Assad à Paris, et publié une interview de 4 pages intitulée “Deux amoureux à Paris“. Contacté par Owni, Régis Le Sommier, le journaliste de Paris Match qui avait signé le papier, répond n’avoir jamais “été en contact avec Brown Lloyd James, ni avec Mike Holtzman“.

Pourtant, un des 2 434 899 emails obtenus par WikiLeaks dans le cadre de l’opération Syria Files, estampillé “classified“, révèle la présence de Mike Holtzman à Paris en compagnie d’Asma al-Assad en décembre 2010.

MaJ du 6/8/2012 : Régis Le Sommier, directeur adjoint de Paris Match à qui cette interview avait été accordée, me demande de préciser ce qui suit :

Cette interview a été réalisée à l’hôtel Bristol par l’intermédiaire de Fares Kallas, en présence de Leila Sibaey. En aucun cas, nous ne payons, ni n’utilisons d’agences de relations publiques pour décrocher des interviews. Le président El-Assad était reçu par Laurent Delahousse de France 2 et Paris Match avait obtenu d’interviewer la First Lady.

Surtout, d’autres e-mails et documents montrent que Mike Holtzman a bel et bien continué à conseiller le dictateur syrien, jusqu’en janvier 2012, et alors que la répression faisait des centaines, voire des milliers de morts.

Un “super-héros” musulman, et amputé

Plusieurs emails, révélés par les Syria Files et confirmés par un article du magazine Foreign Policy, montrent par ailleurs que Mike Holtzman, censé avoir cessé de travaillé pour la Syrie depuis décembre 2010, s’était rendu à l’Opéra Dar al Assad de Damas pour une conférence le 9 février 2011.

Dans un premier email, Rachel Walsh, qui travaille pour Brown Lloyd James au Qatar, écrit à Sondos Sosi, chargée des relations avec la presse au ministère syrien des Affaires Présidentielles, que sa “collègue Sheherazad Jaafari lui a conseillé d’envoyer des documents à propos de la conférence du 9 février“.

Sheherazad Jaafari n’est pas n’importe qui : fille de l’ambassadeur de Syrie aux Nations Unies et conseillère en communication de la famille al-Assad, elle avait effectué un stage chez Brown Lloyd James, et Mike Holtzman avait été son “chef“. Dans un message envoyé à Sondos Sosi dans la foulée, elle joint un tableau recensant les sièges réservés pour la conférence du 9 février. Aux premiers rangs, des places destinées aux membres du gouvernement syrien ainsi qu’à des ambassadeurs étrangers, mais également à Asma Al Assad, épouse de Bachar, à côté de laquelle est installé Mike Holtzman.

Quelques heures plus tard, Sondos Sosi fait parvenir par email le programme de la soirée à Luna Chebel, une autre conseillère en relations presse de Bachar al-Assad et ancienne journaliste à Al Jazeera. Mike Holtzman y est présenté comme le “maître de cérémonie de la soirée“, chargé d’introduire tous les invités.

Ironie de l’histoire, et alors que le soulèvement syrien allait débuter un mois plus tard, Mike Holtzman venait y présenter “Le Scorpion d’Argent“, une bande dessinée qui raconte l’histoire d’un jeune arabe amputé des deux jambes après avoir sauté sur une mine antipersonnel, écrite par de jeunes handicapés américains et syriens, et produite par l’ONG Open Hands Initiative -dont Mike Holtzman fait partie du comité consultatif- afin d’ouvrir “une nouvelle phase diplomatique” entre les États-Unis et les pays arabo-musulmans…

“Il n’est pas nécessaire de détruire le pays”

Les Syria Files révèlent un autre document, encore plus embarrassant : le 19 mai 2011, Mike Holtzman envoyait en effet à Fares Kallas, proche collaboratrice d’Asma al-Assad, un “Memorandum” intitulé “analyse de la communication de crise“, lui expliquant ce qu’il conviendrait de faire pour que l’image de la Syrie ne soit pas trop entachée par la répression, qui avait débuté deux mois plus tôt :

Il est clair, au vu des déclarations du gouvernement américain depuis le début des manifestations en Syrie, que l’administration Obama veut la survie du régime actuel. Contrairement à ses réactions aux manifestations dans d’autres pays de la région, il n’y a eu aucune demande de changement de régime, ni d’intervention militaire.

Le mémorandum n’en souligne pas moins que la position des États-Unis pourrait évoluer en fonction, notamment, de la couverture médiatique, tout en déplorant l’approche déséquilibrée de la communication” de la Syrie depuis le début de la “crise” :

S’il est nécessaire de se reposer sur un pouvoir fort afin de réprimer la rébellion, le soft power est nécessaire pour rassurer le peuple syrien ainsi que le public extérieur sur le fait que la réforme se poursuit rapidement, que les griefs légitimes sont pris en compte et au sérieux, et que les actions de la Syrie visent essentiellement à créer un environnement dans lequel le changement et le progrès peuvent avoir lieu.

Début mai, alors que Michael Hotzman rédigeait ce mémorandum, les ONG estimaient que plusieurs centaines de personnes avaient d’ores et déjà été tuées par l’armée, et que des milliers avaient été arrêtées. Hotzman se borne, lui, à alerter le président syrien sur les risques de dérive et d’instabilité si d’aventure les manifestants étaient renvoyés chez eux par la peur plutôt que par “la conviction que leur gouvernement est sensible à leurs préoccupations” :

La Syrie semble communiquer avec deux mains. Une qui propose la réforme, l’autre l’autorité de la loi. L’autorité de la loi est un poing. La réforme une main ouverte. A ce jour, le poing semble, pour l’opinion publique internationale, et probablement pour de nombreux Syriens, 10 fois plus fort que la main tendue. Elles doivent être mieux équilibrées.

Brown Lloyd James propose ainsi au président syrien de communiquer plus souvent, tout en estimant “nécessaire que la First Lady rentre dans le jeu : la clef est de montrer force et sympathie en même temps“, comme ce fut le cas avec les précédents papiers de “Vogue” et de “Paris Match“.

La société de conseil propose également de lancer une campagne de presse internationale expliquant les difficultés rencontrées par Bachar al-Assad dans sa volonté de réforme, mais également d’améliorer sa communication “sur le plan de la sécurité“, en le montrant prendre des sanctions publiques envers les forces de sécurité qui, ne respectant pas ses ordres, tirent sur des civils désarmés.

Cela permettrait de montrer sans équivoque possible que toute personne qui enfreint la loi – qu’il s’agisse de manifestants ou de soldats – devront faire face à leurs responsabilités.

Afin de contrer la mauvaise publicité faite par les “figures de l’opposition syrienne” vivant à l’étranger, mais également de contrecarrer le “torrent quotidien de rumeurs, de critiques et de mensonges“, Brown Lloyd James propose également de mettre en place une cellule de veille 24h/24 afin de surveiller les médias, voire de contre-attaquer :

Les réseaux sociaux devraient être surveillés et les faux sites poursuivis en justice et effacés.

En conclusion, Brown Lloyd James suggère d’en appeler au patriotisme des Syriens afin de mettre l’accent sur le fait qu’”il n’est pas nécessaire de détruire le pays pour atteindre l’objectif partagé par tous : vivre dans un pays libre et prospère“, et met l’accent sur deux recommandations :

. reconnaître que la violence qui a lieu en ce moment est regrettable. Mais ce ne sont pas les responsables syriens qui l’ont cherché. Ses dirigeants sont obligés de protéger la Syrie, afin de créer les conditions de calme nécessaire à la mise en place de la réforme.
. continuer à exprimer sa confiance dans l’avenir, et dans le fait que la crise est sur le déclin.

“On ne tue pas sa population”

Début janvier 2012, Fares Kallas, à qui avait été adressé le mémorandum de Mike Holtzman, faisait fermer 11 faux comptes Twitter usurpant l’identité du couple al-Assad (@FirstLadysyria, @Asma_AlAssad, @Bashar_alAssad, @SyrianPresident, etc.).

En mars 2012, le quotidien britannique The Guardian révélait des échanges d’e-mail entre Sheherazad Jaafari et Mike Holtzman, son “ancien chef” chez Brown Lloyd James.

Dans ces emails, datés du 11 janvier 2012, la fille de l’ambassadeur de Syrie aux Nations Unies, devenue conseillère en communication des époux al-Assad, évoque un meeting à Damas où Bachar al-Assad martela, devant des dizaines de milliers de supporters, qu’il voulait faire du rétablissement de la sécurité “la priorité absolue“, promettant de frapper les “terroristes” d’une main de fer :

Je suis venu pour puiser la force auprès de vous. Grâce à vous, je n’ai jamais ressenti la faiblesse. Nous allons triompher sans aucun doute du complot. Leur complot approche de sa fin, qui sera la leur aussi.

Dans cette série d’emails, Sheherazad écrit à Mike que “cet homme est aimé par son peuple“, ce à quoi le communiquant américain lui répond “je suis fier de toi. J’aimerais être là pour (vous) aider“, avant de préciser :

Nous avons besoin d’une nouvelle politique américaine. Quels idiots.

Ce jour-là, le journaliste Gilles Jacquier du magazine télévisé Envoyé spécial était tué à Homs pendant un tournage autorisé par les autorités syriennes. Et la répression avait d’ores et déjà fait plusieurs centaines de morts, et des milliers de Syriens avaient été arrêtés, et torturés.

Sheherazad Jaafari est depuis tombée en disgrâce, et retournée aux États-Unis, pour avoir tenté de mettre en pratique les conseils de son “ancien chef“.

D’autres emails, obtenus par Anonymous et publiés en février 2012 par Haaretz, révèlent en effet qu’elle avait expliqué à Bachar al-Assad que “la psyché américaine peut facilement être manipulée“, afin de le préparer à la désormais célèbre interview où il allait déclarer à la télévision américaine ABC qu’”il n’y a pas eu d’ordre demandant de tuer ou d’être violent“, et qu’il avait “fait de son mieux pour protéger la population“, contestant le chiffres de 4000 morts dressés par l’ONU, pour affirmer que “la majorité” des personnes tuées étaient “des partisans du régime et non l’inverse” :

«On ne tue pas sa population… Aucun gouvernement dans le monde ne tue son propre peuple, à moins d’être mené par un fou.»

L’affaire a rebondi début juin avec la publication dans le Telegraph d’autres e-mails échangés cette fois entre Sheherazad Jaafari et Barbara Walters, la journaliste qui avait interviewé Bachar al-Assad pour ABC, révélant comment cette dernière avait cherché à pistonner la jeune syrienne afin qu’elle soit embauchée par CNN, ou qu’elle intègre la Columbia School of Journalism… ce qui a poussé la vénérable journaliste, prise en flagrant délit de conflit d’intérêts, à présenter ses excuses.

Mike Holtzman, si prompt à aider ses clients, dictateurs compris, à manipuler la presse, a toujours refusé de répondre aux questions des journalistes.


Enquête réalisée avec Pierre Leibovici (@pierreleibo sur Twitter).

Voir aussi : Que devient Asma Al-Assad « une rose dans le désert » ? sur Bakchich, et la réponse de BLJ qui explique au WashingtonPost et à Foreign Policy ne pas avoir été payé pour ce mémo, qui constituait un “dernier effort (visant) à encourager une issue pacifique plutôt que violente“.

Voir, enfin, Comment Vogue s’est « fait avoir » par Asma el-Assad où Joan Juliet Buck, qui a depuis quitté Vogue, explique comment elle a été piégée par l’agence de com’, et la direction de Vogue…

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http://owni.fr/2012/07/06/le-dir-com-americain-de-la-syrie/feed/ 31
Damas à l’assaut de Facebook http://owni.fr/2012/04/13/bachar-assad-facebook-propagande-damas/ http://owni.fr/2012/04/13/bachar-assad-facebook-propagande-damas/#comments Thu, 12 Apr 2012 22:40:45 +0000 Elvire Camus http://owni.fr/?p=105808

Image de propagande du régime syrien

Simba, Bard Pitt et Jésus ont a priori très peu de points communs. Pourtant, leur image a été choisie par l’armée syrienne électronique pour réaliser des visuels de propagande pro-régime destinés à être diffusés sur Internet. Outils indispensables, Internet et les réseaux sociaux sont une source d’information primordiale pour les Syriens et les médias qui couvrent le soulèvement depuis l’extérieur du pays. Et ni les opposants ni les soutiens du président Assad ne peuvent se permettre d’être absents ou passifs sur la toile.

Depuis le mois de mai 2011, les designers et chercheurs du collectif Foundland, basé à Amsterdam, suit les activités de cette armée électronique sur Facebook et analyse le contenu qu’elle produit. Au mois de novembre dernier, lors du festival Impakt d’Utrecht (Pays-Bas) nous avions suivi l’avancement de leurs travaux. En particulier lors d’une exposition à la Academie Gallery.

Cette semaine, alors que le régime continue de bombarder sa population, OWNI a rencontré Ghalia Elsrabki, membre syrienne de ce collectif, pour tirer un bilan des opérations de propagande lancées depuis le début des affrontements. Elle décrypte le travail de l’armée syrienne électronique qui mêle espionnage, détournement de visuels, création de nouvelles réalités et Walt Disney.

Depuis quand l’armée syrienne électronique produit-elle ces images ?

Depuis le mois de mai dernier, un groupe de volontaires qui se fait appeler l’armée syrienne électronique espionne les internautes, hackent des sites Internet et des fan pages en lien avec l’opposition et créent leur propre propagande pro-régime. Ils produisent des images et les postent sur Facebook, sur leurs profils civils et leurs fan pages. Même si l’armée électronique n’a pas de lien officiel avec le gouvernement, des enquêtes ont montré qu’elle bénéficie d’un soutien technique et financier de sa part. Ce qui est intéressant c’est que la propagande a toujours existé, les images ont toujours été utilisées mais de façon moins subtile qu’aujourd’hui, sous la forme d’immenses affiches dans les rues par exemple. Depuis quelque temps, le régime apprend l’importance d’Internet, il a compris comment s’en servir.

Exposition à la Academie Gallery à Utrecht

Quel rôle joue Internet dans la révolution en Syrie ?

Une grande partie de la révolution se passe sur les réseaux sociaux. Les deux côtés – pro-Assad et opposition – essayent de diffuser leurs images via les réseaux sociaux parce que c’est accessible, peu coûteux et qu’il est facile de toucher l’opinion publique. Pour ce qui est des opposants en particulier, étant donné qu’il n’ont pas de liberté d’expression ils ont l’habitude d’utiliser des métaphores pour exprimer de quel côté ils sont.

Avez-vous remarqué une évolution significative de ce qui se passe sur les réseaux sociaux – Facebook en particulier – depuis le début du soulèvement en Syrie en février dernier ?

Oui. Au début du soulèvement, le peuple était plus uni. Beaucoup de gens ont par exemple utilisé le drapeau syrien comme photo de profil. Mais ensuite, les choses ont commencé à mal se passer et des gens ont commencé à mourir, c’était un choc énorme pour beaucoup que Bachar al-Assad soit si violent, personne n’aurait pensé qu’il se comporterait ainsi. Les utilisateurs ont donc commencé à se diviser : une partie a utilisé un carré noir comme photo de profil, en signe de deuil et de tristesse et une autre partie a continué à soutenir Bachar al-Assad et à condamner les crimes des “terroristes”. On a donc vu énormément de portraits de héros coloniaux ressurgir, ceux qui ont libéré la Syrie de l’occupation française. Personne ne connaissait ces personnages historiques avant mais les utilisateurs ont utilisé leur image massivement. Ensuite, l’une et l’autre partie ont commencé à créer leurs propres images, et la guerre des visuels a commencé.

Facebook n’a pas été bloqué en Syrie avec le début des manifestations ?

Non, au contraire. Facebook était interdit depuis 2008 en Syrie mais après la révolution en Egypte et la chute d’Hosni Moubarak, le gouvernement a ouvert Facebook. Les gens étaient un peu perdus, certains se sont dit que c’était une façon de montrer que le gouvernement était prêt à s’engager dans un processus plus démocratique, d’autres étaient plus sceptiques et ils avaient raison parce que le régime a utilisé le réseau social pour espionner sa population et contrôler les activités des certains utilisateurs, ce qui a conduit à des arrestations. Facebook a également commencé à être infiltré par des espions pour se rapprocher de membres de l’opposition : connaître leurs projets, d’où proviennent leurs financements. C’est ça qui est très dangereux, les espions peuvent êtres n’importe qui et c’est pour cela qu’il n’est pas sûr d’utiliser Facebook.

C’est-à-dire ?

Par exemple, peu après avoir ouvert un compte, j’ai reçu des messages de menace me disant de le fermer ou quelque chose allait m’arriver. Il faut savoir se servir de Facebook et se construire des “cercles de confiance” : si vous avez confiance en quelqu’un vous allez l’ajouter et c’est comme ça que votre cercle grandi, mais plus il grandi plus il y de risques qu’il soit infiltré. Quand vous apprenez qu’il y a eu une série d’arrestations en un laps de temps très court et que le coup de filet concerne essentiellement des membres de votre cercle, cela veut dire qu’il y a une fuite quelque part, une taupe. Il faut donc reconstruire votre cercle de confiance.

Image de propagande du régime syrien

Que vouliez-vous faire avec les images de propagande que vous aviez repéré sur Internet ?

Ce qui nous intéresse c’est la façon dont les visuels sont utilisés : pourquoi telle ou telle image, est-ce que ceux qui l’exploitent connaissent sa signification historique et symbolique ? Parce que ces images montrent comment le régime est perçu. Cette famille possède le pays en réalité, Bachar al-Assad n’est pas juste un président, ça va plus loin, il est vraiment vu comme un messie, c’est incroyable. Certains groupes sont complètement endoctrinés, ils pensent que les victimes méritent leur sort, ils appellent même à tuer plus de gens. C’est allé très loin…

En quoi consiste votre travail ?

Nous avons commencé par rassembler toutes les images vues sur Facebook qui nous paraissaient intéressantes. L’armée électronique produit énormément et certains visuels ont peu d’intérêt, nous n’avons sélectionné que des images susceptibles de raconter une histoire. On a ensuite cherché l’original de chaque visuel, ce qui a été très facile avec Google : on peut trouver la source et la première utilisation. Et nous avons trouvé des choses très intéressantes. Par exemple, un visuel utilisé pour soutenir l’armée syrienne, pour la faire apparaître comme la protectrice de la population et non un comme assassin a été créé. Le message véhiculé est : l’armée syrienne nous protège des complots et de l’Occident. Dessus, vous pouvez voir Bachar al-Assad souriant, derrière des soldats. Nos recherches nous ont appris que cette image provient directement du site Internet de l’armée américaine. Les soldats sur la photo sont en fait des Américains. Et elle appartient au ministère de défense américain ! C’est amusant de voir qu’une image créée par “l’ennemi” peut-être utilisée pour faire la propagande de son propre camp. C’est peut-être une coïncidence, mais c’est aussi une erreur. Ces deux images – l’originale et la détournée – nous montrent à quel point un visuel peut-être facilement complètement vidé de son sens. Des images de jeux vidéos, de dessins animés ont également été utilisées. Le lion de Narnia a pas mal été exploité.

Image de propagande du régime syrien

Comment a-t-il été utilisé ?

Assad veut dire Lion en arabe, c’est donc assez logique que cette image ait été utilisée même si du temps de son père, il était interdit de l’associer à un animal, c’était considéré comme irrespectueux. Mais maintenant cette vision a évolué parce que cet animal a été beaucoup représenté dans les films de Walt Disney ou dans les médias comme le roi de la forêt, le roi d’un lieu magique. Dans Narnia, le lion est carrément une sorte de Jésus qui s’offre a son peuple, le Roi Lion est aussi l’histoire d’un père lion qui apprend à son fils à devenir un leader, ces symboles sont exploités.

Le “Monde de Narnia” est connu en Syrie ?

Je crois que ça a eu beaucoup de succès, mais tout le monde ne connaît pas. L’image en question a été réalisée par des habitants de Damas mais les gens qui habitent les villages ne voient pas la référence au personnage du Monde de Narnia.

L’image de Jésus a également été utilisée pour plusieurs posters…

Depuis quelque temps, le régime s’adresse particulièrement aux minorités. Une image de propagande vise notamment les chrétiens : elle représente Jésus et Bachar al-Assad dans le même cadre et affiche la phrase suivante : “Jésus vous protège” ou “Jésus est à vos côtés”, et on voit que le poster essaye de faire peur aux chrétiens. Il y a énormément de minorités en Syrie, elles croient le discours du régime qui dit que le pays deviendra islamique si Bachar n’était plus là et ils se feraient tuer. Ce que fait le régime c’est qu’il vise chaque groupe et leur dit : “je suis avec vous, si je n’étais pas là vous mourrez, il y aurait une guerre civile, vous avez besoin de moi.” Il utilise donc des images de Dieu dans le ciel, des animaux comme l’aigle américain.

Quelle est l’histoire de celle ou le président syrien est un soldat en armure ?

Cette image est tirée d’un jeu vidéo – Knight Davion – elle a eu beaucoup de succès. Ce qui est intéressant ici c’est que le chevalier représenté n’est même pas un chevalier arabe ! Il s’agit d’un chevalier occidental qui se bat contre des pays occidentaux et il tient le drapeau du pays comme s’il était son gardien, comme s’il lui appartenait.

Image de propagande du régime syrien

Ces images ont-elles un réel impact sur la population ?

Oui. D’un point de vu occidental elles peuvent paraître un peu ridicules parce que vous faites des associations, vous savez d’où elles viennent et en plus elles sont vides de tout message politique sérieux. Mais en Syrie, elles ont un impact, sinon elles n’existeraient pas.

Qu’est-ce qu’on peut dire de celle de Bachar al-Assad qui fait un bras de fer avec Satan représenté en oncle Sam ?

Ici, la situation décrite est très claire : Bachar est le bien et les manifestants ont pactisé avec le diable. C’est drôle d’ailleurs parce que l’on s’est rendu compte que les deux images qui représentent des manifestants en-dessous – pro-Assad d’un côté et opposition de l’autre – sont en fait une seule et même image, il s’agit des mêmes manifestants pro-Assad. Les créateurs de l’image l’ont juste photoshopé un petit peu pour les faire ressembler à des opposants ! L’armée électronique va vraiment très loin, tout ce qu’elle veut se sont des symboles, peu importe si les images sont vraies ou fausses, ils créent vraiment une nouvelle histoire en utilisant des images existantes. La stratégie de départ était de défendre le régime, maintenant on ne distingue plus le vrai du faux, ils créent une nouvelle réalité et ça fonctionne.


Photographies : merci à http://foundland.org/

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En Syrie, Freedom 4566 ne répond plus http://owni.fr/2012/03/08/syrie-liberation-freedom-4566-turquie/ http://owni.fr/2012/03/08/syrie-liberation-freedom-4566-turquie/#comments Thu, 08 Mar 2012 14:59:02 +0000 Hédi Aouidj http://owni.fr/?p=101216 OWNI a rencontré le survivant de l'une des premières cellules médias de la révolution syrienne. Ses camarades ont été abattus ou sont en prison. Ils animaient Freedom 4566. Une chaîne sur YouTube à l'origine de plusieurs centaines de vidéos montrant la réalité de la répression, dans toute son horreur.]]>

Les morts syriens, par Ssoosay (CC)

Nous l’appellerons Abu Jaffar, pour des raisons de sécurité, il ne souhaite pas être identifié ni pris en photo. Nous l’avons rencontré de l’autre côté de la frontière, en Turquie. Abu Jaffar, entre deux bouffées de narguilé à la pomme, nous détaille comment ses amis et lui ont monté un centre de média pour couvrir la révolution syrienne. Surtout dans les régions de Lattaquié et de Jisr Al Chourour dans le Djebel Zaouia.

Dans quelles circonstances avez-vous passé la frontière turque ?

J’avais un ami, il s’appelait Mohamed Sabaq. Je parle au passé, parce que mon ami est mort d’une balle dans la tête qui lui a arraché tout l’arrière du crâne, le 27 décembre 2011, il venait de passer la frontière turque, en fait il était 100 mètres dans le territoire turc. Il avait 29 ans. Je le connaissais depuis l’école, nous étions voisins. Ensemble nous adorions regarder des films d’actions, mais en silence, pas comme les autres syriens qui ne font que jacasser pendant un film. Mohamed était toujours calme, réservé, jamais un mot au-dessus de l’autre. Je pense à lui tous les jours.

Comment s’organisait votre travail ?

Moi, j’étais chargé de la logistique, mon ami, Mohamed qui était ingénieur à la télévision syrienne à Lattaquié était le maître d’œuvre technique. C’est lui qui postait les vidéos sur YouTube, toutes les vidéos postées sur le compte Freedom 4566 [NDLR: on y trouve plus de 400 vidéos, en arabe, décrivant la répression au quotidien. Déconseillé aux âmes sensibles] sont de lui. Au début il faisait ça de chez lui et puis nous avons décidé de bouger vers Erber Jaway pour pouvoir attraper le réseau turc. Nous avions des PC portables, des clefs 3G et chacun un iPhone. Cet équipement est vite devenu notre matériel standard pour envoyer des images et communiquer. Mohamed postait des images mais il assurait aussi la formation de certains membres de l’Armée syrienne libre ou de toute autre personne qui le voulait. Quand nous avions besoin de nous réapprovisionner, nous allions en Turquie. Tout le matériel a été financé par des Syriens vivant à l’étranger, dont deux médecins aux Etats-Unis que je ne souhaite pas nommer. L’argent nous était envoyé via Western Union. Nous sommes retournés en Syrie et cette fois nous avons commencé à couvrir un peu mieux Lattaquié, Al Kusair et Al Khoule.

Avez-vous eu conscience que vos communications étaient surveillés par les services syriens ?

Je ne peux pas vous parler trop de notre sécurité informatique, c’est surtout Mohamed qui s’en occupait. Ce qui est sûr, c’est que nous changions de mots de passe très souvent. Notre petit groupe a commencé à s’étendre. Nous avions besoin de gens actifs et qui comprennent vite. Nous avons donc été rejoints par d’autres amis à nous. Il y avait Anas, Bashir et Tarek. Moi je continuais mon rôle logistique, je faisais des allers-retours avec la Turquie pour acheter des appareils photos et les ordinateurs et récupérer les fonds que l’on nous envoyait. Nous avons pu étendre nos opérations et les faire parvenir à Homs, à Jisr Al Chourour et dans d’autres villes.

Une force syrienne libérée

Une force syrienne libérée

Entretien cartes sur table avec l’un des responsables de l’Armée syrienne libre, Amar Ouawi. Il détaille les ...


Anas et Bashir étaient plus particulièrement responsables de la zone de Jisr Al Chourour. La dernière fois que nous avons eu des nouvelles, c’est juste avant que l’armée ne mène un assaut sur la ville. Nous étions très inquiets, nous qui nous voyions tout le temps, il ne pouvait que s’être passé quelque chose de terrible. Dix jours plus tard, nous les avons vus à la télévision officielle syrienne, ils étaient en train de confesser qu’ils étaient des terroristes. Ils montraient les endroits d’où ils opéraient. Ils n’avaient pas de traces de coups sur le visage mais quelque chose de changé dans leur expression, je les connais bien, je savais bien qu’ils n’étaient pas dans leur état normal. Avec Mohamed, nous avons tout de suite envoyé leurs photos aux chaines de télévision arabes, Al Jazeera, Al Arabia. Pour qu’ils ne soient pas exécutés, il faut faire un maximum de publicité. Le régime fait toujours plus attention quand il s’agit de gens connus.

D’autres militants ont-ils remplacé vos compagnons emprisonnés ?

Il a fallu reconstituer une cellule. Nous avons recruté de nouvelles personnes et recommencé. Cette fois-ci elles opéraient à partir de Ramel, le camp de réfugié palestinien de Lattaquié. Il y avait Abu, un Palestinien, Abdel, et Ibrahim. Ils ont organisé les finances, reçu des aides de l’étranger, de France, des États-Unis et d’Arabie Saoudite. Lorsque l’armée a attaqué le camp, elle a mis trois jours à prendre le contrôle. Pendant ces trois jours, ils ont envoyé des images en direct des combats. Ils ont tous été arrêtés à la fin. Nous avons fait la même chose que pour mes amis, nous avons envoyé des photos aux grandes chaines de télévision pour les protéger. Nous étions en train de monter un réseau pour couvrir la campagne et les villes dans notre région quand les forces spéciales ont traqué mon ami Mohamed et l’ont poursuivi, vous connaissez la fin.

Au début, Abu Jaffar était déprimé et en colère d’avoir perdu ses amis. Il a depuis repris ses activités depuis la Turquie, en attendant de recommencer une fois de plus en Syrie.


Illustration par Ssosay (CC-BY)

Carte de la Syrie via CIA World Factbooks

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Espions des sables http://owni.fr/2012/03/06/guerre-libye-syrie-gi-files-wikileaks/ http://owni.fr/2012/03/06/guerre-libye-syrie-gi-files-wikileaks/#comments Tue, 06 Mar 2012 08:56:44 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=100844 OWNI, l'organisation WikiLeaks poursuit la publication des cinq millions d'emails de Stratfor, la société de renseignement privé proche des états-majors américains. Avec aujourd'hui des centaines de messages sur le Moyen-Orient.]]>

WikiLeaks avait entamé, le 27 février, la publication progressive de cinq millions de messages internes de l’entreprise de renseignement privée américaine Stratfor. Aujourd’hui, le site dévoile des emails indiquant la présence de forces spéciales occidentales en Syrie, notamment françaises, ainsi que des emails détaillant des aspects opérationnels, jusque-là ignorés, de la guerre en Libye. Créée en 1996 à Austin, au Texas, l’agence passait jusqu’ici pour une “CIA privée”, une réputation quelque peu exagérée.

En réalité, Stratfor développe ses analyses depuis des bureaux aux États-Unis, qu’elle vend aux entreprises, en entretenant des contacts avec quantité d’officiers supérieurs et d’agents de renseignement, en particulier américains.

Forces spéciales en Syrie

En Syrie, sujet abondamment traité par Stratfor, le compte-rendu d’une réunion, daté du 6 décembre 2011 laisse entendre que des forces spéciales occidentales auraient été présentes sur le terrain dès la fin de l’année 2011. Le message évoque quatre “gars, niveau lieutenant colonel dont un représentant français et un britannique” :

Après deux heures de discussion environ, ils ont dit sans le dire que des équipes de SOF [Special Operation Forces ou forces spéciales, NDLR] (sans doute des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France, de Jordanie et de Turquie) étaient déjà sur le terrain, travaillant principalement à des missions de reconnaissance et à l’entraînement des forces de l’opposition.

Les participants rejettent l’hypothèse d’une opération aérienne sur le modèle libyen, affirmant que “l’idée ‘hypothétiquement’ serait de commettre des attaques de guérilla, des campagnes d’assassinats, d’essayer de venir à bout des forces des Alaouites [le groupe confessionnel, minoritaire en Syrie, auquel appartient le président syrien Bachar al-Assad, NDLR], de provoquer un effondrement de l’intérieur.”

La situation syrienne est jugée beaucoup plus complexe que la Libye. “Les informations connues sur l’OrBat syrien [l'ordre de bataille, soit la composition des armées, NDLR] sont les meilleures qu’elles ne l’ont jamais été depuis 2001″ détaille un membre des services de renseignement de l’US Air Force, selon l’analyste de Stratfor. Les membres présents à cette réunion insistent sur les difficultés militaires d’une intervention directe :

Les défense aériennes syriennes sont bien plus robustes et denses, particulièrement autour de Damas et le long des frontières israélienne et turque. [Les participants] s’inquiètent des systèmes de défense aériens mobiles, en particulier les SA-17 [missiles sol-air, NDLR] qu’ils ont obtenus récemment. L’opération serait faisable, mais ne serait pas facile.

À ce moment de la réflexion stratégique, l’opération serait conduite depuis les bases de l’Otan à Chypre. Mais une telle campagne n’était alors pas encore entièrement d’actualité. “[Les représentants des services de renseignement] ne pensent pas qu’une intervention aérienne aurait lieu tant qu’aucun massacre, comme celui par Kadhafi à Benghazi [en Libye, NDLR], ne retiendra l’attention des médias. Ils pensent que les États-Unis auront une forte tolérance aux meurtres tant qu’ils n’atteindront pas l’opinion publique.”

Des troupes égyptiennes au sol en Libye

Parmi les centaines de milliers d’emails consacrés au Moyen-Orient, un grand nombre porte sur la guerre en Libye, sur la base de correspondance avec des militaires de haut rang. Ainsi, dans un message daté du 18 mars 2011, soit la veille du début des bombardements de la Libye par les forces de l’Otan, l’analyste Reva Bhalla partage avec force de détails un “rendez-vous privé” avec “quelques colonels américains de l’US Air Force, un homologue français et un Britannique”. Le ton est donné d’entrée :

Ils sautent pratiquement de joie à l’idée de faire cette opération [le bombardement de la Libye, NDLR] — une opération de rêve comme ils l’appellent – terrain plat, proche des côtes, cibles faciles. Aucun prob.

Les militaires gradés réunis affirment alors que “les Égyptiens sont déjà positionnés au sol, qu’ils arment et entraînent les rebelles.” Un sujet pour le moins tabou. A cette date, le 18 mars, deux résolutions ont été votées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. La première à l’unanimité le 26 février, prévoit la mise en place de sanctions économiques et financières contre le régime libyen, doublées d’un embargo sur les armes.

Le 17 mars, un jour avant le “rendez-vous privé” relaté, le Conseil de sécurité adopte la résolution 1973 qui met en place une zone d’exclusion aérienne. Le texte est adopté à l’arraché : l’Allemagne, la Chine, la Russie, le Brésil et l’Inde s’abstiennent. Selon les participants, la résolution a été “presque entièrement rédigée par les Brits [les Britanniques, NDLR]“. A ce stade, il n’est nullement question de troupes présentes au sol, ni d’en envoyer dans le futur. Des enquêtes ultérieures démontrent que des forces spéciales occidentales ont bien participé aux opérations, sur le sol libyen.

Le pétrole de la gloire

Au lendemain du blanc-seing du Conseil de sécurité, les militaires analysent les motivations de chaque participant. “De leur point de vue, l’opération entière est menée par le tandem franco-britannique. Par bien des aspects, les États-Unis ont été forcés de les suivre” écrit l’analyste de Stratfor. Côté britannique, les motifs de l’entrée en guerre sont assez prosaïques et plutôt éloignés des raisons humanitaires officiellement invoquées :

Le gars britannique dit que la Grande-Bretagne est guidée par des intérêts énergétiques dans cette campagne. Depuis la marée noire [dans le Golfe du Mexique, NDLR], BP souffre aux États-Unis . Les autres options sont d’aller vers la Sibérie (problèmes avec la Russie), le Vietnam et… la Libye. Selon eux, le renversement de Kadhafi est le meilleur moyen de remplir ces objectifs énergétiques.

Côté français, la situation est moins claire pour les intervenants de l’armée et pour les analystes de Stratfor. Le gradé français affirme que “la France a entendu parler de menaces d’AQMI [Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR], soutenues par Kadhafi, contre des cibles françaises. Ça les a soûlés. Sarkozy s’est mis dans une impasse” conclut-il. Surtout, la France voulait prouver qu’elle “pouvait très bien” conduire ce genre d’opérations, “prouver sa pertinence.”

Entre Français et Britanniques, la coordination est d’abord passée par le Pentagone, rapporte la même analyste de Stratfor dans un message daté du 19 mai 2011. La veille, elle a assisté à un“briefing avec le groupe stratégique de l’US Air Force [pour] aider à préparer le séjour du chef d’État major de l’USAF en Turquie la première semaine de juin”. À cette réunion assistent deux colonels des services de renseignement américain et français, un capitaine britannique et un représentant du Département d’État. Reva Bhalla écrit :

Au début de la campagne en Libye, la France se coordonnait encore avec la Grande-Bretagne par l’intermédiaire du colonel des services de renseignement de liaison au sein du Pentagon, et non pas directement avec la Grande-Bretagne. Maintenant, les Britanniques ont enfin installé un bureau de commandement à Paris pour la coordination.

Lors de la même réunion, les participants estiment le coût de la guerre à 1,3 million “par mois”, ce qu’un expert de Stratfor corrige dans un mail en réponse : “1,3 million par jour”. “Un coût, mais pas une opération coûteuse” estiment-ils de concert.


Illustrations et couverture par Loguy pour OWNI.

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Une force syrienne libérée http://owni.fr/2012/02/20/une-force-syrienne-liberee/ http://owni.fr/2012/02/20/une-force-syrienne-liberee/#comments Mon, 20 Feb 2012 00:32:20 +0000 Hédi Aouidj http://owni.fr/?p=99114

Le capitaine Amar Abdallah Ouawi en février 2011, Syrie. Cc Hédi Aouidj pour Owni

Plusieurs contacts avec les membres de l’Armée syrienne libre (Jaish al Hor en arabe) regroupés en Turquie nous ont permis de confirmer son rôle au sein du commandement du mouvement militaire. La semaine dernière, après plusieurs rendez-vous manqués, il se présente finalement en début de soirée. Une voiture s’arrête brutalement, nous sommes invités à monter. Ils sont trois, un chauffeur et un garde du corps – son neveu – les yeux aux aguets. Ils nous amènent dans un lieu sûr. Nous sentons un homme épuisé, mais d’une détermination sans faille. Tout dans son attitude et son regard indique le militaire de carrière. Il accepte de parler à visage découvert.

Qui êtes-vous ?

Je suis le capitaine parachutiste Amar Abdallah Ouawi. J’étais membre d’une unité de forces spéciales chargé des reconnaissances. J’ai passé 13 ans dans l’armée. Je viens des alentours de Hama [centre Ouest de la Syrie, NDLR].

Pourquoi avez-vous fait défection ?

Parce que l’armée tuait les gens. Quand nous rentrons dans l’armée nous faisons le serment de protéger le peuple et la patrie, pas de recourir à la violence contre elle.

Comment avez-vous fait défection ?

J’étais basé à Deraa, pas loin de la frontière israélienne, c’est là que doit être l’armée, pour protéger les frontières. J’ai pris normalement mon service, j’ai ensuite loué une voiture, je suis passé prendre ma femme et ma fille, je me suis ensuite rendu directement dans le Djebel Zaouia. J’ai ensuite appelé ma famille pour lui dire que j’avais fait défection. J’ai une fille qui est née il y a 2 mois dans le Jebel, alors que nous étions encerclés par les Mukhabarat [Les services de sécurité syriens, NDLR]. Ils ont arrêté mes deux beaux-frères. Un est détenu par les renseignements militaires, l’autre à la mairie d’Alep.

Quelle est la situation militaire ?

Les forces armées syriennes sont à bout. Elles sont doucement en train de s‘effondrer. La plupart des soldats n’ont plus le moral. Le corps des officiers a peur. De nombreux soldats font défection, entre 50 et 100 par jour. Ils sont généralement aidés par la population.

De quel armement disposez-vous ?

Nous n’avons que des kalachnikovs et quelques RPG [Lance-roquettes, NDLR].

Quelle est votre réaction à la dernière initiative de la ligue arabe et de la communauté internationale ?

L’Algérie, l’Irak et le Soudan nous ont déçus, le Hezbollah aussi. Les pays arabes ont peur de l’Iran. Ils pensent que l’armée est capable d’écraser la révolution. Nous sommes heureux en revanche des initiatives de la France, de la Grande-Bretagne et des Européens qui veulent mettre en place un groupe des amis de la Syrie. Nous attendons de ces derniers une aide humanitaire et militaire, nous avons besoin d’armes. En revanche, je veux qu’ils sachent que les élections en France et aux États-Unis tuent des gens en Syrie, par l’inaction qu’elles entraînent. Je veux remercier la Turquie qui a été le premier pays à recevoir des réfugiés et à les aider. Nous n’avons cependant reçu qu’une aide humanitaire de sa part. Le régime syrien est directement soutenu sur le terrain par le corps des gardiens de la révolution iranienne. Ils ont des snipers entraînés qui tuent les troupes qui ne tirent pas sur la population. Il y a aussi des officiers russes dans les états-majors, notamment le colonel Blafoks, chargés des importations d’armes russes en Syrie.

Vous sentez-vous en sécurité en Turquie ?

Je ne me sens en sécurité que dans les camps, le régime de Damas a des yeux partout. Il y a beaucoup de ressortissants alaouites [membre de la communauté religieuse des Alaouites, à laquelle appartient le président Bachar al-Assad, NDLR] dans cette région.

Que va-t-il se passer après la révolution ?

Tous ceux qui ont du sang sur les mains, même les docteurs, seront jugés et punis selon la loi.

En Syrie, la violence continue. (CC) Ssoosay/Flickr

Que s’est-il passé à Alep le 17 février dernier ?

Je suis responsable de la cellule d’Alep, je sais très bien ce qui s’est passé. Tirant les leçons du massacre d’Homs, cette fois-ci, l’armée a pris les cartes d’identités des gens qu’elle avait tués et a mis les cadavres devant un bâtiment. La bombe a explosé à 9 heures du matin pour couvrir ce massacre. Et également servir d’excuse pour faire entrer l’armée à Alep. Le bâtiment visé est un centre de renseignement dont les effectifs sont de 2500 personnes, à cette heure il y a même sur place une réunion quotidienne. Il y aurait dû avoir au moins 300 morts. La sentinelle n’a même pas été tuée. La télévision était sur place tout de suite et 30 minutes après et toutes les preuves ont été nettoyées. Ce sont des tueurs. Ce sont eux qui ont tué Hariri, ce sont eux qui ont tué Ghazi Kahan (ancien responsable des services syriens au Liban pendant l’occupation syrienne au pays du Levant).

Qu’en est-il du général médecin Issa Al Khouli, un serviteur du régime, tué à Damas lors d’une opération menée par trois hommes – et que certains attribuent à des réseaux islamistes présents en Syrie ?

Toutes les personnes qui sont contre la révolution sont des cibles légitimes, je ne dis pas que nous sommes responsables de cette action.

Quelles sont les relations entre l’Armée libre et le Conseil national syrien ?

Nous sommes deux entités nées de la révolution. Nous ne sommes pas d’accord, il n’y a pas de support financier. Nous ne sommes pas coordonnés, nous nous voyons, c’est tout. Ceci est mon opinion personnelle et non celle de l’Armée libre syrienne. Cela divise inutilement la résistance.

Que va-t-il se passer dans les semaines à venir ?

L’armée syrienne va utiliser des avions, des hélicoptères. Ils vont faire usage d’armes chimiques qu’ils ont achetées aux Russes. Il va y avoir un massacre terrible. Ils ont attaqué le camp palestinien Al Rum, à Lattaquié avec des canons de marine, c’est un avant-goût. Nous avons réussi à en abattre (des hélicoptères) à Idlib, Rastan et dans le Djebel Zaouia, autour de Jisr Al Chourour.

Ce que vous dites est terrible…

J’espère que le support européen va arriver. Regardez ce qui s’est passé en Bosnie. Ce régime est comme les Serbes qui tuaient des Bosniaques. Maintenant ils tuent des sunnites à Homs.

Craignez-vous des infiltrations du régime ?

En décembre deux Iraniens se sont présentés à nous prétendant travailler pour Al Jazeera en anglais. Ils sont allés dans la Djebel Zaouia, ils ont été reçus par les gens. Ils ont pu tout voir. Deux jours après, c’était le massacre de Kafr Owayid.

Quels sont vos modèles dans l’histoire ?

La révolution française, j’espère que les prisons de Sednaya et de Palmyre seront nos Bastilles. Nous nous sommes appelés l’Armée syrienne libre en référence aux Forces françaises libres de la seconde guerre mondiale.


Photo de Hédi Aouidj (CC) pour Owni. Édité par Ophelia Noor. Illustration par Ssosay (CC-BY)

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