OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les mystères de Tunis http://owni.fr/2011/05/19/les-mysteres-de-tunis/ http://owni.fr/2011/05/19/les-mysteres-de-tunis/#comments Thu, 19 May 2011 08:07:55 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=63424 Les trois semaines écoulées auraient pu décourager les partisans de la révolution initialement les plus enthousiastes. Le 5 mai, Farhat Rajhi, l’ancien ministre de l’Intérieur de l’après révolution (en poste du 14 janvier au 30 mars) provoquait un large scandale en expliquant – non sans argument – que le pays était encore sous le contrôle d’un réseau d’influence pro-Ben Ali. Pour lui, les militaires et une partie de l’administration prépareraient un coup d’état en cas de succès des islamistes aux prochaines élections. Et évoque:

l’existence d’une sphère d’influence dirigée par des Sahéliens qui œuvrent pour garder le pouvoir

À en croire les proches de ce magistrat de carrière, les services de la police politique (où jadis a été formé Ben Ali, dans sa première vie de policier) fonctionneraient encore et poursuivraient dans ce contexte des objectifs mal définis. Peut-être à la faveur des réseaux d’influences que conserveraient ex-alliés et ex-banquiers de la dictature.

Des professionnels du droit prennent cette hypothèse au sérieux. Tel Bessen Ben Salem, avocat près de la Cour de cassation, à Tunis, qui dans un billet publié sur le site Naawat observe:

Un examen des textes publiés au JORT depuis le 7 mars 2011, conduit à conclure qu’aucun texte législatif ou même règlementaire n’est intervenu pour modifier l’organisation du ministère de l’intérieur.

Après les manifestations, parfois violentes, provoquées par les déclarations de l’ex ministre, l’armée instaurait un couvre-feu à 21h dans tout le centre de Tunis. Et l’état-major militaire exigeait quelques jours plus tard que l’on engage des poursuites contre Farhat Rajhi. La grève des éboueurs, laissant grimper des monticules d’ordures dans les principales artères de la capitale, achevait de composer la scène des lendemains qui déchantent. Mais pas partout. Pas pour tous.

Même au fil de ces journées, Tunis demeurait un laboratoire d’une démocratie au carré. Démocratie augmentée selon le lexique d’OWNI. Lundi dernier, 16 mai, dans les salons de l’hôtel Golden Tulip plusieurs organisations politiques et professionnelles se retrouvaient ainsi à l’initiative du Comité national de lutte contre l’injustice et la corruption. Pour en finir avec les non-dits de l’après-dictature, pour déterminer la part de vérité non négociable, celle à conquérir coûte que coûte. Voir le communiqué diffusé avant leurs discussions.

Créé par 25 avocats au lendemain de la révolution, le comité coordonne l’essentiel des plaintes en cours d’enregistrement contre des dirigeants ou des hommes d’affaires proches de Ben Ali. Lors de cette réunion, ses responsables ont annoncé leur partenariat avec, notamment, deux mouvements impliqués dans la révolution de janvier; l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) et l’Association nationale des jeunes journalistes tunisiens.  Cette dernière, en coopération avec OWNI, développera le magazine en line Ownimaghreb.com, dédié au suivi des acquis de la révolution dans la région.

Photos FlickR CC Wassim Ben Rhouma ; Gwenael Piaser.

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Les silhouettes des martyrs de la révolution tunisienne http://owni.fr/2011/04/17/les-silhouettes-des-martyrs-de-la-revolution-tunisie/ http://owni.fr/2011/04/17/les-silhouettes-des-martyrs-de-la-revolution-tunisie/#comments Sun, 17 Apr 2011 15:27:39 +0000 Emilien Bernard (Article XI) http://owni.fr/?p=57102 Officiellement, ils sont 236 ; mais le chiffre est sans doute plus élevé en réalité. Ils, ce sont les “martyrs” de la révolution tunisienne, tombés sous les balles et les matraques de la police entre le 17 décembre 2010 et aujourd’hui. Pour leur rendre hommage, le peintre Zoo Project, actuellement installé à Tunis, a choisi de les représenter sous forme d’effigies en carton, exposées à divers endroits de la ville.

C’est lequel, Mohammed Bouazizi ?

La question est récurrente. Dès que Zoo Project installe ses représentations, tailles réelles, des martyrs de la révolution, les personnes s’attroupant se mettent en quête de l’effigie de ce vendeur ambulant qui s’immola devant le gouvernorat de Sidi Bouzid le 17 décembre 2010. Logique : c’est son geste désespéré qui entraîna la Tunisie dans la révolution – tous souhaitent lui rendre hommage.

D’autres, les plus jeunes surtout, cherchent Mohammed Hanchi, 19 ans, tué le 25 février par une “balle perdue” alors qu’il sortait célébrer la victoire de son équipe de foot. Lui, tout le monde le connaissait à Tunis, et surtout dans la Kasbah, la vieille ville, où il résidait. C’est d’ailleurs en rencontrant la famille de celui que tout le monde appelle “Hanchi”, laquelle lui demanda de peindre son portrait sur un mur des environs, que Zoo Project a eu l’idée de ce projet particulier : peindre les “martyrs” de la révolution sur des cartons et les exposer en place publique.

Agora artistique

Devant la quarantaine d’effigies (chiffre provisoire, puisqu’il souhaite représenter tous les martyrs de la révolution, soit environ 236 personnes ), les gens palabrent, discutent, s’engueulent gentiment. Agora artistique.

Exactement ce que cherche Zoo Project, à Paris comme ici : un échange sans intermédiaire, direct, avec les destinataires de ses peintures. Parce qu’un travail artistique déconnecté des réalités du pays, à destination des élites, serait un non-sens, une aberration. Lui cherche à provoquer les réactions et les rencontres, à s’insérer dans un mouvement politique – même si ce dernier semble perdre son souffle dans la période actuelle. Et puis, en représentant les morts de la révolution, il pointe en filigrane l’impunité des assassins (les snipers, les gradés), peu inquiétés pour l’instant. Une démarche tout sauf anodine.

J’ai suivi le travail de l’ami Zoo pendant une dizaine de jours, l’aidant à transporter les martyrs de place en place dans une carriole branlante, bricolant avec lui pour rafistoler les effigies ayant souffert du transport, courant les manifestations pour les distribuer à ceux qui souhaitaient les brandir, et les photographiant dans un cadre rappelant leur activité pre-mortem. Compte-rendu en images.

Déclaration de principe by Zoo Project

« Pourquoi je peins les martyrs »

« Il arrive que certaines personnes réagissent négativement à mon travail, haussent la voix. Quand je dispose ces représentations des martyrs de la révolution dans les rues de Tunis – à Porte de France, Bab Souika ou avenue Bourguiba – beaucoup me félicitent, me remercient, mais d’autres s’insurgent : qui suis-je, moi, un étranger, pour peindre les martyrs de la révolution et les afficher ainsi dans Tunis ? Quel est mon intérêt là-dedans ? Je comprends ces interrogations, je trouve même naturel et légitime qu’elles surgissent : aborder un sujet si dramatique, à ce point vivace dans les mémoires, implique d’accepter le débat, de répondre aux questions.

Je suis arrivé à Tunis début mars. Franco-algérien de 20 ans résidant à Paris, je suis parti de France sans but défini, simplement parce que j’estimais que la révolution tunisienne – comme toutes celles qui secouent le monde arabe – était un événement unique, porteur d’un grand espoir. De Paris, je suivais la situation au jour le jour, espérant que le 14 janvier ne reste pas lettre morte, que la révolution ne perde pas son âme. Jusqu’à ce qu’un jour, je n’y tienne plus : il me fallait venir sur place pour témoigner, agir, à ma manière. Je souhaitais apporter ma modeste contribution au peuple insurgé.

Dialoguer, discuter, se faire accepter

Quand je suis arrivé, j’étais un peu perdu. Pas question de peindre les murs sans demander leurs avis aux habitants, de m’imposer face à une culture que je ne connais pas aussi bien que je le voudrais. Alors je suis resté aux aguets, discret, attendant de comprendre quel pouvait être mon rôle. Avant de peindre, je voulais discuter, dialoguer, me faire accepter. C’est dans le quartier de la Hafsia que le déclic s’est produit : rencontres fertiles avec des jeunes et des artisans, amitiés, encouragements. Quelques mômes du quartier m’ont parlé de leur ami Mohammed Hanchi, tué par une “balle perdue” alors qu’il n’avait pas même 20 ans. D’autres ont enchéri : il me fallait représenter leur camarade “Hanchi”, leur frère, leur ami disparu. Grâce à eux, j’ai rencontré sa famille, j’ai discuté avec ses amis, et j’ai compris que les morts de la révolution devaient être le sujet de mes créations. Car chaque personne m’expliquait, à sa manière :

Ils ne doivent pas disparaître, les oublier serait les tuer une deuxième fois.

À ce jour, j’ai peint une quarantaine de martyrs, taille réelle. Hanchi, bien sûr, Mohammed Bouazizi, également, celui que tout le monde me réclame, mais aussi des martyrs moins “connus” : Aamer Fatteh, Moez Ben Slah, Ayoub Hamdi, Faiçel Chetioui, Mersbah Jwehri, Rabii Boujlid, et bien d’autres encore. Ils étaient menuisiers, professeurs, vendeurs ambulants, chômeurs… Ils vivaient à Tunis, Kasserine, Sidi Bouzid ou bien Gafsa. Des gens ordinaires qui ne méritaient pas plus que d’autres de laisser leur vie sur l’autel de la révolution. Je souhaite, sur la longueur, les représenter tous. Des 236 martyrs “officiels” (selon le ministère de la Santé tunisien), je ne trouve pas toujours de photographies, de renseignements pour les représenter. C’est un travail de fourmi, mais un travail passionnant.

À mes yeux, ces figures ne sont pas des images mortes, des fantômes célébrés post-mortem. Ils n’appartiennent pas à un passé fantasmé, regretté. Ce sont des figures du présent, des compagnons de lutte. Si je les peins, si je me permets de les représenter, de les exposer dans des manifestations, c’est parce que je suis convaincu que leur disparition des mémoires marquerait la fin de l’espoir. De même que les Tunisiens se battent pour que leurs meurtriers – les snipers, les donneurs d’ordre, les matraqueurs – soient jugés et sanctionnés rapidement (revendication restée lettre morte pour l’instant), je cherche, à ma mesure, à rappeler la portée de la disparition de ces gens ordinaires. Ils font partie de l’avenir, de cette Tunisie qui se dessine, s’esquisse sous nos yeux. C’est cette esquisse que je tente de représenter.

Zoo Project, Tunis le 03/04/2011.

PS : J’exposerai ces dessins dans les rues et les places de Tunis tout au long du mois d’avril 2011, puis dans de nombreuses villes de Tunisie. Mon travail est en progression : si vous souhaitez m’envoyer des photographies ou des renseignements sur les martyrs (ce qui me serait très utile), contactez moi à l’adresse zooproject@laposte.net .

PPS : Ce projet est soutenu par l’association de quartier Beb-souika. Ce texte a été écrit avec l’aide d’Émilien Bernard. »


Article initialement publié sur Article XI sous le titre : « Tunis : les fantômes de la Kasbah »
Retrouvez le site et l’intégralité des photo sur Zoo Project

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#TEDxCarthage: Leçon d’humilité http://owni.fr/2011/03/23/tedxcarthage-lecon-d-humilite/ http://owni.fr/2011/03/23/tedxcarthage-lecon-d-humilite/#comments Wed, 23 Mar 2011 13:05:42 +0000 Nicolas Kayser-Bril http://owni.fr/?p=52649 [DISCLAIMER] : Confessant mon ignorance de la Tunisie, ce billet ne parle pas de la révolution Tunisienne. J’y évoque mes impressions de la France après trois jours à Tunis, où j’étais invité à parler à TEDx. Vous trouverez sur le sujet de nombreux articles de qualité rédigés par mes collègues d’OWNI.

L’été dernier, des Français ont montré que l’on pouvait s’organiser sans organisation, en utilisant uniquement des réseaux sociaux. Le résultat, les apéros Facebook, ont permis aux jeunes Français de s’affirmer dans l’espace social, avant que le ministre de l’Intérieur ne vienne siffler la fin de la récré.

L’hiver suivant, les Tunisiens ont fait pareil. Ils se sont organisés via le web, sans structure préexistante. Là où nous avons fait des apéros, ils ont renversé un tyran.

J’ai discuté avec des Tunisiens enthousiastes à l’idée de déconstruire le système de censure, sans doute mis en place par une société européenne. Des Tunisiens qui cherchaient un moyen de recycler la compétence des cyber-censeurs, célèbres pour avoir réussi un formidable hack de Facebook pendant la révolution, pour faire avancer la démocratie naissante.

Pendant ce temps-là, en notre nom et avec nos impôts, le gouvernement français s’apprête à publier les décrets d’application de la loi LOPPSI 2 et de son système de censure du net.

Les Français viennent de voter massivement pour le Front National. Les Tunisiens que j’ai rencontré se demandaient comment garantir au mieux le respect des minorités dans la nouvelle constitution.

La liste pourrait continuer. Elle montrerait que l’ensemble des valeurs que l’on croyait spécifiquement européennes, françaises, voire chrétiennes, existent bien de l’autre côté de la Méditerranée. Alors qu’elles sont méprisées chez nous, sûrs que nous sommes de leur pérennité, elles fleurissent en Tunisie.

Des crétins, que l’on ose encore appeler intellectuels, se posaient encore la question de savoir si l’islam était compatible avec la démocratie. Aujourd’hui, la démocratie est mieux comprise par les Tunisiens de tous âges avec lesquels j’ai parlé que par la plupart des Français que je connais.

Eux se posent la question de la représentativité quand la France refuse depuis 20 ans à 15% des votants d’être représentés au Parlement. Eux se posent la question de la confiance à accorder aux partis islamiques quand nos partis refusent de s’allier contre les mouvements anti-démocratiques. Eux se posent la question de l’utilisation des wikis dans le processus législatif ou de la propriété des données personnelles. Riches de l’expérience qu’ils ont vécue ces dernières années, le niveau des conversations que j’ai eu à Tunis dépassait, de loin, celles que j’ai pu avoir à Paris avec des personnes aux responsabilités équivalentes.

Aboubakr Jamai expliquait, durant son talk, que les jeunes avaient besoin de « folie » pour avoir le courage de faire changer les choses, compte-tenu des risques. Cette folie, les Tunisiens l’ont retrouvé, et elle leur a permis ce bond extraordinaire à un coût minime. On m’a beaucoup répété que le nombre de morts avait été très faible. Entre 300 et 500. Beaucoup trop, mais encore moins que 6 mois d’accidents de la route en France chez les 18-24 ans. Si nous sommes capables de prendre le risque de conduire bourrés, pourquoi ne sommes-nous pas capable de défier un gouvernement qui dépasse les bornes ?

Pourtant, la folie ne suffit pas forcément. Pendant la conférence, un Burkinabé me dit

Chez moi, je peux faire ce que je veux, je peux insulter le président devant lui si je veux. Mais je n’ai pas ça. Je n’ai pas de salles de conférence, pas de voitures.

La liberté n’a d’intérêt que si les besoins fondamentaux sont satisfaits. Il est probable que, comme en Géorgie après 2003, en Ukraine après 2004 ou au Liban après 2005, les besoins matériels entament la ferveur réformatrice et que la révolution ne mène pas directement à une démocratie. Peut-être trop sûrs de leurs spécificités, les Tunisiens que j’ai rencontré n’ont pas contacté les acteurs des autres révolutions colorées. L’échange pourrait permettre de partager les retours d’expérience et augmenter les chances que la révolution réussisse.

Mais, quel que soit l’état du pays demain, les Tunisiens sont en train de montrer que le refus de la résignation paye, que la mobilisation n’est pas vaine, que l’on peut s’organiser pour atteindre un but sans s’adosser à un parti ou une institution. Ces leçons ont été comprises en Egypte, à Bahreïn, au Yémen et dans d’autres dictatures. Il serait grand temps que nos démocraties “vieillissantes et complaisantes” (selon les mots de François Pelligrini) les comprennent, elles aussi. Les Tunisiens ont beaucoup à nous apprendre.

En attendant les vidéo officielles, retrouvez le TEDxCarthage grâce aux vidéos filmées sur place ou grâce aux enregistrements du livestream, et ma présentation sur l’infobésité et le journalisme.

Mise à jour 23/03/2011 16:51. Suite à cet article et à l’écho que vous lui avez donné, la vidéo liée illustrant certains ‘crétins’ français (un débat filmé chez RTL où l’on apprenait que l’islam n’était pas compatible avec la démocratie) a été retirée. Voilà un crétin suisse pour le remplacer. Et la vidéo originale, retrouvée ailleurs.

Mise à jour 24/03/2011 09:29. Attribution de la formulation “démocraties vieillissantes et complaisantes” à François Pelligrini.

Crédit Photo FlickR CC : plagal / TEDxCarthage

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