Quand l’imprimerie réveillait l’Europe
De 1455 à 1534, l’ enchevêtrement et les interactions entre les innovations techniques (imprimerie, industrie du papier, diffusion des libelles et des pamphlets sous forme d’affichages publics ou de petits fascicules) suscitent la propagation d’idées qui remettent en cause les conceptions du monde, essentiellement répandues par l’église romaine. En 70 ans, à cheval sur les [...]
De 1455 à 1534, l’ enchevêtrement et les interactions entre les innovations techniques (imprimerie, industrie du papier, diffusion des libelles et des pamphlets sous forme d’affichages publics ou de petits fascicules) suscitent la propagation d’idées qui remettent en cause les conceptions du monde, essentiellement répandues par l’église romaine.
En 70 ans, à cheval sur les XVeme et XVI emesiècle, se conjuguent en Europe le mouvement de la Renaissance, l’Humanisme porté en particulier par Erasme,
puis la Réforme dont les chefs de file sont Luther et ses “disciples” et Calvin.
Dans cette affaire, il est bien difficile de savoir qui a déclenché quoi ? Il s’agit d’un mouvement très profond qui, en réalité, vient de loin et met le feu à l’Europe.
J’ai consacré 2 articles à cette période : La rupture Gutenberg et La Bible, révolution permanente.
Dans se nouveau billet, je souhaite montrer avec une chronologie commentée toute simple, la rapidité avec laquelle l’Europe s’est
mise en marche à partir de 1450.
Rappel : la Bible une nouveauté en 1450
Réalisée à Mayence entre 1452 et 1455, la Bible, vendue par souscription, cette Biblia Latina (La Vulgate) a été achetée à sa parution par des institutions religieuses, essentiellement des monastères. Sur un tirage d’environ 180 exemplaires, 48 ont été conservés jusqu’à aujourd’hui.
Gutenberg ne franchit pas le pas, peut-être n’en a-t-il pas l’idée, d’une traduction de la Bible. Il reste parfaitement compatible avec les dogmes de l’église.
Erasme 1504
Erasme est prêtre, attaché à un monastère en Hollande. Il circule toute sa vie en Europe.
En 1504, Erasme se trouve à Louvain. Dans la bibliothèque du couvent du Parc, il découvre un manuscrit de Lorenza Valla qui suggère d’apporter des corrections à la Vulgate en le recoupant avec le texte grec.
Cette découverte est le point de départ d’une intense réflexion d’Érasme qui débouchera sur sa “philosophie du Christ”.
Érasme cherche à actualiser la Bible en partant du texte grec de la traduction des Septante, faite d’après l’hébreu, et non de la traduction latine traditionnelle connue sous le nom de Vulgate. Ce travail de recherche de manuscrits, de correction de la Vulgate, de traduction et de commentaires aboutira douze ans plus tard à la première édition du Nouveau Testament (Novum Instrumentum).
Il dédie son travail au pape humaniste Léon X. Mais les novations philologiques d’où découlent de profondes remises en cause des dogmes lui vaudront les violentes critiques de théologiens traditionalistes des Universités de Paris, Louvain et Salamanque, ainsi que de bien d’autres savants.
Toutefois Erasme est un pacifiste, s’il sent que ses travaux sont porteurs de risques de conflits, lui-même ne franchira pas la ligne qui le sépare des Protestants. Il reste dans le giron de l’église.
Luther 1517
Martin Luther est lui aussi moine catholique. Il vit à Wittenberg.
C’est en 1517 qu’il déclare la guerre à la papauté.
En effet, il publie ses 95 Thèses, également appelées Thèses de Wittenberg, elles sont imprimées à la fin de l’année et affichées sur le portail de l’église de Wittenberg.
Ces 95 thèses valent le coup d’être lues. Elles sont courtes, ce sont des sentences. Mais elles relèvent d’un refus massif de l’autorité du Pape.
Ce refus est motivé par les dérives matérielles des autorités catholiques. La principale cible de Luther, ce sont les Indulgences, un système qui permettait aux chrétiens de faire à peu près n’importe quoi et de se racheter en donnant de l’argent au clergé.
Lire les 95 thèses de Luther sur Wikipédia
Au début, il s’agit d’une controverse entre théologiens, mais cela tourne vite à l’affrontement public et politique.
Luther est dénoncé à Rome par l’archevêque Albrecht. Le pape Léon X (un Médicis) lui ordonne de se rétracter par la bulle pontificale Exsurge Domine,
mais Luther la brûle en public et rompt avec Rome. Un an plus tard, commence contre lui un long procès qui aboutira à son excommunication.
Calvin 1533
Son premier écrit, pour lequel il sera suspecté, est le discours de Nicolas Cop, recteur de l’Université de Paris, qu’il a co-écrit, ou au moins très largement inspiré. Cette affaire l’oblige à se cacher puis à quitter Paris.
Jean Calvin est né à Noyon en 1509. Issu d’une famille très pieuse, il bénéficie d’un financement de l’Église catholique lui permettant de suivre des études théologiques à Paris.
Quatre années au collège de Montaigu de 1523 à 1527, centrées sur les commentaires des traités aristotéliciens, le mettent en contact avec la pensée humaniste.
Il est Maître ès arts à 18 ans.
Ensuite Calvin part pour Orléans où il apprend les langues anciennes (Hébreux, Grec).
Ses études de droit vont se poursuivre à Bourges, élargissant son horizon intellectuel. Outre la confirmation de l’empreinte humaniste,
la faculté de Bourges sera surtout le lieu de la première rencontre avec l’approche luthérienne de la foi, initiation essentielle.
A vingt-trois ans, Calvin est un lettré humaniste.
Il veut connaître Dieu à la lumière de la Parole, mais à la source.
Il bascule dans le camp réformiste en 1533 où il participe activement à la rédaction du discours académique du recteur de l’université de Paris Nicolas Cop, érasmien notoire, lecteur de Luther.
Plusieurs traits luthériens du discours valent à Calvin d’être immédiatement perçu comme protestant.
Les mesures de répression qui suivent l’affaire des Placards obligent Calvin à fuir la France.
L’affaire des placards 1534
Les placards dont il est question étaient des écrits injurieux et séditieux qui furent affichés dans les rues de Paris et dans diverses villes du royaume (Tours, Orléans) dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534.
Ces affiches furent placardées jusque sur la porte de la chambre royale de François Ier au château d’Amboise, ce qui constituait un affront envers la personne même du roi et sa foi.
Ces placards étaient intitulés : Articles véritables sur les horribles grands abus de la messe papale inventée directement contre la Sainte Cène de notre Seigneur, seul médiateur et seul Sauveur Jésus-Christ.
Ce titre évocateur, parfaitement provocateur et insupportable pour l’église, était une attaque directe envers l’Eucharistie (notion fondatrice de la religion catholique).
L’auteur était Antoine Marcourt, pasteur d’origine picarde de Neuchâtel et d’inspiration calviniste.
Le roi se facha contre ce qu’il considérait comme un crime de lèse-majesté.
François Ier confessa ouvertement sa foi catholique. Il ordonna des persécutions. Des bûchers s’allumèrent.
Ces exécutions furent dénoncées par des princes allemands favorables à la Réforme, dont François Ier recherchait par ailleurs l’alliance contre Charles Quint.
Guillaume du Bellay, ambassadeur, défendit la cause de François Ier en affirmant que ces condamnés n’étaient que des révolutionnaires, des anabaptistes dont il fallait réprimer les excès.
Censure 1534
Se sentant menacé par les idéologies luthériennes, le roi de France fait interdire toute impression de livres.
Il annule sa décision quelques jours plus tard mais conserve le principe de la censure qu’il confie à une commission du parlement de Paris.
Analogie et rétrospective
Si l’on suit l’analogie entre la Rupture Gutenberg et la Rupture numérique, nous nous trouverions aujourd’hui environ à l’équivalent de l’année 1510.
C’est autour de cette année 1510 que se font vraiment sentir les conséquences politiques, sociologiques et religieuses directes de l’invention des caractères mobiles, autrement dit de l’imprimerie.
Auquel cas, nous nous trouverions au moment du plein épanouissement des idées qui mènent à une transformation fondamentale, radicale des sociétés, consécutive à la rupture numérique.
Avec cette différence que notre époque voit une révolution mondiale et non pas seulement régionale.
Dominique Nugues est l’auteur du Présent de Dieu, plus récent article : Obama et Dieu
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