L’insurrection des anarnautes ou le sursaut de la raison
Qui ici sait réellement ce qu’est l’anarchisme? Mes sens, mon essence, mon chemin de vie m’ont convaincu de la pertinence d’un anarchisme rationaliste et humaniste, écologique et technologique...
Je suis un Anarchiste !
Mais qui ici sait réellement ce qu’est l’anarchisme ? Mes sens, mon essence, mon chemin de vie m’ont convaincu de la pertinence d’un anarchisme rationaliste et humaniste, écologique – voir bio-logique, ma primo-intuition adolescente – et technologique, fédéraliste et relocalisé bien que global (dans son aspiration et le périmètre de son inspiration) individualiste mais collectif (”bottom-up”, on y reviendra), syndicaliste et économique (et non socialiste, mot dont l’étymologie elle-même est un mensonge), libertaire, forcément libertaire voire en certains points libérale si l’on entend ce terme à son sens premier, mais aussi démocratique et républicain.
Oui, la “chose publique” et le “pouvoir au/du peuple” sont parties prenantes fondamentales de cette réflexion, tout comme la quête de loyauté, qui tend à promouvoir et à défendre une croissance des libertés, de l’égalité et de la fraternité – dusse-t-elle être solidarité par pragmatisme ou par défaut – c’est à dire une forme satisfaisante et jusqu’ici jamais atteinte de justice sociale (ou d’une société juste).
L’anarchisme n’est pas le refus de l’Etat, de la propriété ou de l’autorité. C’est tout au contraire une haute exigence de justice en ces points précis en particulier. Et notamment concernant l’éducation ; une éducation qui forme et accompagne des individus libres, respectueux de la liberté d’autrui, capable d’évoluer et de se renouveler, dont l’indépendance intellectuelle serait la plus grande force, pas des travailleurs résignés et des techniciens au dos courbés. La possession n’est pas la seule propriété. L’Etat, enfin, peut être un rempart contre lobbys et multinationales aveuglées par l’appât du gain, toujours plus pressant – notre présent nous le rappelant avec insistance. L’anarchisme est aussi amour de la nature, de la culture, sans être – il est nécessaire de faire tomber deux-trois idées reçues à ce stade – une forme d’intolérance. Loin, très loin s’en faut.
Ni Dieux, ni Maîtres. Plus d’Être.
C’est Prévert qui conclue à sa façon cette sentence : “plus d’être”. Et à raison. Contre les dérives du marché et celle d’un capitalisme d’inégalité croissante, contre les bureaucraties, rouge, rose, blanche ou bleu, quelque en soit les dégradés, contre un centralisme jacobain stérile et abscons, chez nous diablement excessif, quand il n’est pas tout simplement suicidaire et nauséabond. “Le pouvoir est maudit. Voilà pourquoi je suis anarchiste” clamait Louise Michel.
“Il y a d’autres ordres possibles que celui qu’impose une autorité” précise Normand Baillargeon dans une lumineuse somme de 200 pages, éditée et rééditée ces dernières années sous le titre “l’ordre moins le pouvoir, histoire et actualité de l’anarchisme” (Editions Agone, 4° édition disponible en librairie au prix de 10€ / nb: “l’ordre moins le pouvoir” est une formule que l’on doit à Léo Ferré. C’est une trop courte mais lumineuse définition de l’anarchisme).
Mais comment comprendre ceci sans admettre que le salariat est la forme la plus aboutie de l’esclavage ? Comment admettre cela sans s’avouer que l’on est victimes consentants d’une pseudo-dictature de pédants ?
L’ordre est la fille de la liberté. C’est l’atteinte aux libertés et à une forme d’égalité sociale vertueuse qui créé désordre, misère et conflits. L’ordre n’est et ne sera jamais mère de la liberté. Plus d’être… Opposez cela au “travailler plus pour gagner plus”, c’est regarder dans le blanc des yeux le consumérisme avéré de ceux qui nous gouvernent. Contre toutes nos traditions. Contre toute vision à long terme. Contre toute forme d’humanisme.
De Diogène à Internet écosystème.
“ôte-toi de mon soleil” s’écriait le sage qui nichait dans un tonneau en réponse à Alexandre le Grand qui lui proposait de lui offrir tout ce qu’il aurait pu désirer. J’ai le sentiment que nous, internautes, allons encore scander souvent cet impératif à ceux qui aspirent à réguler, encadrer, organiser, (gouverner ?) contre toute logique propre à cet écosystème qu’est le web, une toile bouillonante qui bouscule plus qu’il ne parait nos sociétés. Réseaucratie révélée ?
“Nous sommes tous des pirates” crièrent les internautes français face à la coupable Hadopi, brandissant drapeaux noirs et esprit de piraterie (une pitraterie qui renvoie à ces rebelles sans patrie qui annonçaient par leur drapeau qu’ils étaient prêt à en découdre jusqu’à la mort avec leurs ennemis) et face au déni de présomption d’innocence ou encore aux atteintes aux libertés fondamentales, chaque jour plus nombreuses.
Noam Chomsky – anarchiste contemporain et brillant esprit s’il en est – le dit à sa manière : il s’agit de “lutter contre ces nouvelles limites à la liberté, sans cesse mises à jour”. Il s’agit donc (Chomsky toujours) “d’identifier les structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques de toutes sortes pour les examiner et mettre à l’épreuve leur légitimité”. Légitimité du pouvoir. Le mot est lancé…
Cela plaira aux internautes qui citent régulièrement Godwin (pour le “point” de son éponyme Mike), c’est en 1793, sous sa plume, que né le terme d’anarchistes (cf. Enquiry Concerning Political Justice). Plus tard, en 1922 “Umanità Nova” précise “nous voulons détruire le système qui rend possible le vol et le capitalisme”, en écho, intemporel, à Proudhom qui arrangait “la propriété c’est le vol”, sentence qu’il articulait avec ” Dieu c’est le mal”. L’excès révélateur de vérité ?
Suivant les conseils de Libertad (qui avait, cela ne s’invente pas, les deux jambes tronquées) nous mettons en pratique cet adage : “fais ta révolution toi-même”. Nous fomentons notre propre insurrection. Sans ignorer notre histoire commune. Internet est mère d’une anarchie renouvelée, endémique, hyperbolique, irrépressible.
De l’humanisation et de Bakounine.
Le Monsieur suscité part d’un postulat explicite : l’humanisation progressive de l’espèce est rendue possible par l’exercice de la raison qui découvre peu à peu les lois de la nature, fonde et rend possible la liberté, toujours plus grande (les spécialistes exigeants me pardonneront la raccourci utilitariste).
Ce qui anime Bakounine, est une idée que peu disqualifieront ici : à l’inverse du modèle dominant de démocratie représentative, l’organisation devrait se faire de bas en haut (bottom-up) par démocratie directe, les individus se fédérant librement. Des fédérations d’individus aux communes – celle de Paris fut un exemple remarquable à ce propos – des communes aux provinces, des provinces aux nations, de celles-ci aux nations-unies et à l’Europe (…) ce n’est pas les strates du millefeuille que redécoupent ceux qui mettent l’humain et son épanouissement au coeur de leur réflexion, mais un renversement de la fluence dans cet écosystème d’interdépendance et de complexité croissante : “bottom-up”, on vous dit !
Tout autre chemin tend à l’oligarchie et à la servilité, quand ce n’est pas directement à la dictature ou toute autre forme de fascisme. Ceux qui en doutent reliront leur manuels d’histoire…
De la solidarité sociale et des Hommes Libres.
Vous avez aimé la sécurité sociale, pleuré sa faillite, dénoncé son abandon ? alors battez vous pour la solidarité sociale. C’est elle et elle seule qui permet la liberté. Egalité et fraternité ne font que s’articuler à partir de celle-ci, l’une permettant l’autre, et ainsi de suite (un certain béarnais de nos contemporains n’écrit pas autre chose dans son dernier opus, soit dit en passant). “la loi naturelle au sein des espèces est avant tout une loi d’entraide et de coopération” (Kropotkine, revisitant Darwin).
Kropotkine va plus loin : “plus il y a autour de moi d’hommes libres, plus grande est ma liberté”, dit peu ou prou l’anarcho communiste et scientifique qui fut Prince à sa naissance, arrivé à l’anarchisme via les “horlogers libertaires du Jura” (lire : Ethique, œuvre inachevée parue en 1922, un an après sa mort). Thierry Crouzet – qui lui est bien vivant – rajoutera que ce monde de complexité et d’interdépendance croissante nous invite à rebattre les cartes. Ce auquel je “plussois”.
Je rajouterai à cette approche celle d’Henry David Thoreau qui théorisa mieux que nombre de ses successeurs la désobéissance civile. Lui était un pacifiste féroce. D’autres auront l’action directe plus violente ; une action directe inséparable de l’engagement anar à travers les ages. Debord, enfin, explique combien la “société du spectacle” (1967) saura tirer profit de ces penchants pour conditionner représentation et perception du réel afin de plonger dans la naphtaline les sursauts essentiels jusqu’ici tués dans l’œuf par fabrication de consentement des masses, plus systématiquement encore que par toute autre forme d’endoctrinements. L’omniprésidence actuelle en joue puissamment (propagande, persuasion, accélérations, glissements sémantiques…). Tarnac pourrait en être une fable efficace.
Elections, Pièges à Cons ?
Octave Mirbeau, comme plus tard les situationnistes (Debord toujours et “l’imagination au pouvoir”) ont un sens de la formule qui n’a rien à envier aux fabricants de slogans et autre publicitaires que tous ici reconnaîtrons aisément sans que l’on ait à jouer au “name dropping”.
Je suis embarrassé avec cette sentence de Mirbeau et me sens plus proche d’un Chomsky pointant du doigt de “vastes institutions de tyrannies privées” qui échappent à tout système ou contrôle démocratique (Naomi Klein a beaucoup travaillé ces notions également et Obama de se confronter à ce jour au poids de ces lobbys). A ce titre, si je dénonce vivement l’élection d’un roi républicain au suffrage universel direct qui ressemble d’avantage à un championnat national quinquennal de promesses, je ne renie pas tout de l’approche de Keynes (à relire) voir – cela en étonnera plus d’un – d’Adam Smith, dont les livres d’histoires n’auront retenus que la dévastatrice influence destructrice de services publiques et de déréglementation ainsi qu’un mythe du marché “parfait” autorégulé (que je dénonce vivement) oubliant bien vite son exigence d’éthique.
Face à cela, nationaliser n’est pas la solution. Socialiser, oui. Face à cela, le renoncement politique n’est pas une option. Face aux inéquités croissantes, seul le combat se justifie. En y mettant les mots justes. En dénonçant les maux iniques. En sachant rire et réinventer ludicité et lien social. En sachant s’offusquer, se rebeller… Et raison garder.
Le nihilisme n’est pas et ne sera jamais une solution. L’humour anglais nous fournit à ce propos cette sentence : “face à toute les solutions, l’administration propose des problèmes”. Faut-il s’y résoudre ? Cette même fulgurance toute britannique ajoute également qu’Internet “propose plus de solutions qu’il n’y a de questions”. Réfléchissons-y sagement. Il y a là la trame de lendemains plus humains. Bio-logiques et technophiles, à n’en pas douter.
Nous n’irons pas pour vous mourir au front !
Soyons, à l’instar de Duchamp, des “anartistes”. Ou plus ambitieux et jusque là inédit, des “anarnautes”. L’anarchisme a toujours voulu qu’on porte le regard vers l’avenir et vers l’inconnu. Qu’attendons-nous ? L’efficacité n’est pas l’ennemie de l’équité. Et rien plus qu’équité, loyauté et raison ne sont de nos jours mis à mal par des pouvoirs illégitimes ; ceux d’une économie financiarisée plus encore que quelque politique dévoyée que ce soit.
Le renoncement tue. A consommer, donc, avec modération… Et imagination. Tenez-le vous pour dit : l’anarnaute n’est pas de gauche, alter, ailleurs, ethonocentré, lobotomisé, caduque et encore moins docile. Il se pourrait même qu’ils soient adroit, tétu et armé. On l’a déjà vu ici, Internet est une arme. La lucha sigue…
Ce n’est pas la fin de l’histoire qui se poursuit, c’est la renaissance que l’on persécute. C’est la résistance féconde qui est à réinventer.
Nous n’irons pas pour vous mourir au front. Nous y vivons. Critiques. Constructifs. Pédagogues. Autonomes. Authentiques. Émancipés. Dignes. Et en nombre. Dans le seul culte de la justice, de la vérité et du respect humain (par opposition au culte divin). Nul n’imposera durablement l’ignorance, pas même par l’éducation ou quelque superstition que ce soit.
La science, l’histoire, la raison et l’espérance nous guident.
A l’instar de Normand Baillargeon, c’est à Chomsky que je laisserais ici le mot de la fin : “Je veux croire que les êtres humains ont un instinct de liberté, qu’ils souhaitent véritablement avoir le contrôle de leurs affaires ; qu’ils ne veulent être ni bousculés ni opprimés (…) et qu’ils aspirent à rien tant que de s’engager dans des activités qui ont du sens (…). Il s’agit essentiellement d’un espoir au nom duquel on peut penser que, si les structures sociales se transforment suffisamment, ces aspects de la nature humaine auraient la possibilité de se manifester”.
Le son des mots ne peuvent effacer les leçons des choses.
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Que l’on ne s’y méprenne pas, ce que beaucoup, dont le valeureux Paul Jorion dont je suis un fidèle lecteur nomment “anarcho-capitalisme” est un leurre, issu de l’Ecole de Chicago (Lira N. Klein, la Stratégie du Choc) et qui n’a absolument rien à voir avec la remise en cause des autorités illégitimes que défend l’anarchisme. A ce propos, et puisque l’on parle idées reçues, chaos et nihilisme, Marmol insistait sur “un anarchisme sans qualificatif”, que Chomsky définie globalement comme “cette tendance, présente dans l’histoire de la pensée et de l’agir humain, qui nous incite à vouloir identifier les structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques de toutes sortes pour les examiner et les mettre à l’épreuve de leur légitimité”. Voilà, si vous voulez m’enfermer dans une case, ce sera donc celle-ci, définie comme ci-avant… Et à ce titre peu éloignée de l’esprit de la révolution française (et donc de la déclaration des droits de l’homme) ou de celle, bien plus contemporaine, des objecteurs de croissances, avec ou sans nez rouge /-)
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La conversation se prolonge chez Thierry Crouzet
Article initalement publié sur Nuesblog
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