Le journalisme à l’épreuve du réseau

La multiplication des informations achèvera l’information ! Depuis que la presse écrite investit internet, le journalisme s’apparente à un puissant mutant on line qui propulse l’information en un clic aux quatre coins du web, donnant lieu à toutes les interprétations possibles. Aux oubliettes l’époque où le journaliste papier réalisait, armé d’un carnet d’adresses béton et en contact [...]

La multiplication des informations achèvera l’information ! Depuis que la presse écrite investit internet, le journalisme s’apparente à un puissant mutant on line qui propulse l’information en un clic aux quatre coins du web, donnant lieu à toutes les interprétations possibles.

Aux oubliettes l’époque où le journaliste papier réalisait, armé d’un carnet d’adresses béton et en contact avec « gorge profonde », le travail de recherche et de vérification d’une information brûlante et difficile d’accès. Place désormais au web et à son optique inversée : l’information déborde, il suffit d’aller faire un tour sur la toile pour s’en rendre compte.
Le boulot du journaliste s’adapte. Il lui revient maintenant la tâche de trouver les bonnes infos, au bon moment, de les vérifier et de les trier pour les servir à ses internautes. Il y a encore quelques exceptions évidemment, mais aujourd’hui n’importe qui peut dénicher la majeure partie des informations qu’un journaliste aura utilisées pour écrire un article rien qu’en surfant avec un peu de jugeote sur le web… Des quotidiens aux hebdos en passant par les sites spécialisés en sport, économie ou sujets de société, internet est le lieu d’une récolte régulière de l’information dans l’unique but de mettre à jour des sites, rechercher les infos et de créer de nouvelles rubriques.
Autant de contraintes technologiques face à un journalisme rentabilisant le « bâtonnage » de dépêches au dépend du reportage ou l’agrégation d’informations au détriment de l’enquête, faute de temps… et bien sûr d’argent ! Ces nouvelles « rédactions online », véritables machines de guerre du réseau, répondent à des délais de production et de publication souvent plus courts impliquant un travail de vérification des sources mais aussi une écriture concise dont l’efficacité tire parti du foisonnement d’informations diffusées sur le net. Les acteurs et les enjeux s’entrechoquent et voient pointer du côté des journalistes purs et durs une petite révolution systémique mettant en question les intérêts économiques de la presse web face aux valeurs du travail de journaliste.

Déclin

Le journalisme d’investigation est moribond, son déclin s’est amorcé dans les années 9O. Ce serait un raccourci de prétendre qu’un système de livraison de l’information tel que le web en serait l’unique déclencheur. Indépendamment du canal diffuseur de l’information, le journalisme d’enquête est d’ores et déjà sur le point de quitter le champ professionnel pour se replier vers le livre, comme avec « Notre métier a mal tourné. Deux journalistes s’énervent » où Philippe Cohen (rédacteur en chef de Marianne2.fr) et Elisabeth Lévy dénoncent une enquête journalistique ayant déserté la presse française depuis longtemps et se réfugiant dans l’édition. Un monde où le lecteur lirait plus volontiers Pierre Assouline plutôt que Le Monde, Philippe Cohen plutôt que Marianne2.fr… Les journalistes qui surnageront seront appelés à devenir leur propre marque, paraît-il. Ce journalisme appelé à faire cavalier seul ressemble alors beaucoup à l’écrivain enquêteur qui construit sa propre crédibilité à l’écart des rédactions.

Course à l’audience

Alexis Delcambre, rédacteur en chef du Monde.fr, défend néanmoins la qualité des reportages d’investigation présents sur son site : «  Le lectorat sera toujours friand d’articles de fond malgré la profonde mutation que connaît actuellement le journaliste. Le web n’est qu’un outil complémentaire qui permet d’étendre sa base de données, de rechercher des témoins en s’adressant aux bloggers, par exemple…L’investigation est atemporelle et n’entre pas en concurrence avec le raccourcissement du cycle de l’info ». A base de quatre à cinq web documentaires diffusés à l’année sur le “premier site d’information en ligne“, Le Monde.fr garde un discours policé sur le raccourcissement du cycle de l’info sur la toile. Si les dépêches de l’AFP sont incontournables sur le web et « sont offertes » aux internautes via les flux RSS défilant à la minute en rafale, elles ne remplaceront jamais un reportage d’investigation sérieux qui nécessitent des semaines d’enquête pour se rendre au coeur du sujet !
Et si la déontologie du journalisme d’investigation implique une indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques ou économique où la course à l’audimat est méprisée au profit de l’intégrité, c’est loin d’être la posture adoptée aujourd’hui par la presse web. Erwan Cario, rédacteur en chef du site Ecrans de Libération.fr, n’est pas plus optimiste sur le sujet. Selon lui, l’enquête aura sa place sur le net compte tenu de la demande des lecteurs. Mais « sa survie dépendra d’un paramètre sournois auquel est astreint la presse en ligne : les audiences. » Or, l’audience d’un site d’information comme lefigaro.fr par exemple, mesurée par Médiamétrie, peut prendre en compte une foule de sites adjacents commerciaux ou du même groupe ! Une entourloupe à l’audimat qui attirait jusqu’ici les annonceurs mais qui, à terme, ne doit pas compter sur la fidélité de son lecteur. Car si un internaute passe en moyenne 20 minutes de son temps sur un grand site d’information, les annexes et autres liens font uniquement figure de « lieux de passage à l’information ».

Journalisme de liens

Face à la surabondance d’informations mises à disposition sur le web, un nouvel outil fait son apparition pour opérer le filtrage : «  le journalisme de liens ». Suivant les traces des grands sites américains, cette «  agrégation éditorialisée » fait timidement son entrée en France, récemment sur le figaro.fr. Le principe : une page dédiée à une recommandation de liens attenants aux articles traités dans le même temps. Les journalistes se mettent enfin à placer des liens externes dans leurs propres articles, vers les sites concurrents, mais aussi vers toutes les autres ressources du web, et notamment les blogs. Ils proposent aussi, depuis peu, des « revues de web » sur les pages d’accueil de leurs sites, et des pages de liens sur un thème ou sur un sujet particulier.
L’enjeu est clairement économique : transformer les sites web en points de passage, bien placés sur le circuit de l’information en ligne, augmentera leur audience ainsi que leurs revenus publicitaires. C’est un grand pas pour les sites d’informations qui espèrent briser le monopole de Digg ou Google, jusqu’alors passage obligé du web. Ce nouveau pouvoir de recommandation de liens hypertextes par les grands sites d’information enclencherait à terme le contrôle de l’information de la part de ces médias. Mais la presse internet reste encore sous le joug d’une exigence web marketing et tout en donnant libre circulation à l’information, elle reste la clé de l’audience sur internet et de sa monétisation. Une mise à disposition de l’information qui favorise le flux à son contenu mais ne concerne finalement que 20% du journalisme web selon le rédacteur en chef du Monde.fr !
L’ambition de cet hybride sera d’en assurer un tri, une sélection et une hiérarchisation pour en permettre l’accès au plus grand nombre. Pour autant il devra respecter le processus déontologique « online » de ces nouveaux médias d’ information : informer les citoyens. Et sur ce sujet, le web réserve au journalisme un avenir risqué qui annonce la mise à mort de l’éthique d’une profession devenue produit marketing au centre d’une web économie gouvernée par la communication.

> Article initialement publié sur Electronlibre.info (bienvenue à eux!)

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