L’audience : péché originel des sites d’information
Bienvenue dans le monde du tout à l’audience. Toujours plus de visiteurs uniques. C’est le leitmotiv qui prévaut encore dans la plupart des sites Internet d’information des médias traditionnels ...
Bienvenue dans le monde du tout à l’audience. Toujours plus de visiteurs uniques. C’est le leitmotiv qui prévaut encore dans la plupart des sites Internet d’information des médias traditionnels. Cette fuite en avant explique en grande partie l’inadaptation économique actuelle de ces sites web. En dehors des pure players, ils ne parviendront pas à être rentables tant qu’ils n’auront pas construit une communauté d’internautes. A supposer que le journalisme reste leur fonds de commerce…
Les querelles de chiffres pour savoir « qui a la plus grosse » (audience) prouve que le marché de la presse en ligne n’est pas arrivé à maturité. Depuis l’arrivée d’Internet dans les années 90, les médias ne pensent en effet qu’en termes de quantité et non de qualité de fréquentation. Imaginez un épicier (et même une grande surface) qui considérerait de la même façon une personne qui demande son chemin et une autre qui revient 2 à 3 fois par semaine depuis plusieurs années. C’est pourtant ce que font actuellement les outils de mesure de l’audience.
Souvenez vous, il y a encore deux ou trois ans, on estimait qu’un million de visiteurs uniques serait suffisant pour faire vivre une rédaction web de taille moyenne (20 à 30 personnes). Aujourd’hui, le seuil d’équilibre budgétaire des sites s’éloigne au fur et à mesure de la progression de leur audience. Une fois le million de visiteurs uniques (VU) acquis, on se rend compte qu’il en faudrait 2. Cette fois-ci, c’est sûr, c’est la bonne. Mais une fois les 2 millions atteints, on lorgne du côté des 3 millions de VU et ainsi de suite.
Des recettes publicitaires par visiteur en baisse
Le problème : les publicités sont et continueront d’être de moins en moins rémunératrices. La presse se retranche aujourd’hui derrière son petit doigt : « C’est la crise, les budgets de communication fondent, les annonceurs sont frileux, ca va repartir, blablabla ». Peu probable. Si 2009 est bien une année exécrable pour la pub dans la presse écrite, la télévision et la radio (-20 à -25% aux dernières nouvelles), la publicité sur Internet ne se porte pas si mal (en hausse de 6,9% sur les 10 premiers mois de l’année). Par contre, la publicité rapporte de moins en moins d’argent par visiteur unique. L’abondance des espaces publicitaires favorise la chute des tarifs. Il y a en effet de plus en plus de sites Internet en France (un bon indicateur reste l’évolution du nombre de noms de domaine déposés en .fr qu’on peut voir par exemple ici). Plus grave, les annonceurs se rendront assez vite compte que la publicité est certainement bien plus efficace lorsque l’internaute s’est déjà engagé dans un processus d’achat (je pense aux sites d’e-commerce comme la sncf, amazon, ventes privées ou encore aux sites de petites annonces).
La baisse des recettes par clic ou par visiteur unique est structurelle. La crise ne fait qu’amplifier le phénomène et la seule solution qu’apportent aujourd’hui les médias, c’est encore plus de visiteurs. Une réponse qui n’a pas de sens à long terme. Pas plus que la guerre de l’audience à laquelle se livrent les médias. Car la hausse du nombre de visiteurs des sites web est tirée depuis plusieurs années par l’arrivée de nouveaux internautes. Aujourd’hui, 64% de la population est connectée. Mais d’ici 5 à 10 ans, la quasi-totalité des Français pouvant et souhaitant accéder au net sera connectée (et en haut débit). Ce qui mettra fin à la croissance « démographique » de l’audience des sites d’information.
Ils ont troqué leur audience contre de l’audience
Pour gonfler leurs recettes, la grande majorité des sites de presse en ligne (en dehors des pure players) sont entraînés dans une spirale infernale : traiter de tout, tout le temps, sans hiérarchiser ni contextualiser. En gros, faire de l’agrégation de contenus. Ironie du sort : ils accusent désormais Google de leur voler leurs recettes publicitaires. Pour faire simple, à leurs débuts, les sites Internet disposaient d’un public spécifique. Les internautes allaient sur le site du Figaro, du Nouvel Observateur ou du Parisien parce qu’il s’agissait du Figaro, du Nouvel Observateur ou du Parisien. Mais, à force de vouloir augmenter leur fréquentation, ils ont été contraints de publier tout et n’importe quoi, s’appuyant de plus en plus sur le copié-collé de dépêches. Même s’ils s’en défendent aujourd’hui, une très grande partie des articles des sites d’informations se résume à de l’enrichissement du fil AFP. Au final, les sites des médias se sont uniformisés, leur public s’est dissout. A quelques exceptions près, les médias ont troqué leur public spécifique et différencié contre un public général d’internautes français qui va picorer indifféremment ou presque des informations ici et là . Après, on s’étonne de ne pas trouver de moyens de monétiser cette audience.
« C’était une étape nécessaire » m’avait confié récemment Alexis Delcambre, rédacteur en chef du monde.fr. Mais les sites d’information peuvent-ils vraiment revenir en arrière? Le fanatisme qui entoure actuellement la notion de « marque » pour les médias ou de « personal branding » (ça fait plus in que réputation) pour les journalistes est une réponse. L’émergence de « community managers » pour tenter de construire une communauté en est une autre. Mais le chemin risque d’être long pour créer un public : les internautes sont éparpillés, ont l’habitude de naviguer par thème plus que par « marque » et ils ne forment de communauté que sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter.
D’autant que ce processus va de pair avec la production de contenus originaux et à forte valeur ajoutée. Un retour aux fondamentaux du journalisme en somme. Ce serait la tendance actuelle : se démarquer de la concurrence. Il semblerait que cela soit désormais mieux référencé par Google. Mais comment trouver des sujets qui sortent de l’ordinaire et du journalisme facile sans bouger de son bureau. Le danger du journalisme de bureau ou « indoor journalism » n’a jamais été aussi grand. Certains patrons de rédaction rétorqueront que c’est une réflexion dépassée : le web serait le nouveau terrain d’investigation du journalisme 2.0. C’est surtout une façon de justifier la compression des coûts par article. Car personne ne peut penser sérieusement qu’on peut rester en contact avec la réalité uniquement via un écran.
Crédit photo : jot.punkt
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