Propriété intellectuelle et évasion fiscale
Il y a un angle fort peu traité (publiquement) en matière de propriété intellectuelle, c’est celui de son rapport avec l’évasion et la fraude fiscales. Voici quelques faits éloquents à ce sujet. Selon l’OCDE plus de 60% du commerce international se fait entre des filiales d’un même groupe basées dans des pays différents.
Il y a un angle fort peu traité (publiquement) en matière de propriété intellectuelle, c’est celui de son rapport avec l’évasion et la fraude fiscales. Voici quelques faits éloquents à ce sujet. Selon l’OCDE plus de 60% du commerce international se fait entre des filiales d’un même groupe basées dans des pays différents. Il est donc extrêmement facile et tentant de manipuler les « prix de transferts » d’actifs vendus par des filiales de pays à fiscalité « normale » vers des filiales du même groupe enregistrées dans des pays à fiscalité très faible, voire inexistante. Les actifs ainsi cédés échappent du même coup à tout impôt.
Parmi les actifs utilisés à cette fin (l’évasion fiscale à grande échelle), ce sont les biens immatériels qui sont les plus faciles à manipuler, et notamment les brevets, les logiciels « propriétaires », et toutes les formes d’acquis immatériels pour lesquels n’existent aucun prix de marché — et pour cause: ils sont développés par les entreprises précisément pour servir de véhicule à la fraude et à l’évasion fiscales. Selon Le Monde daté du 28 janvier 2010, le Congrès des Etats-Unis a chiffré à 100 milliars de dollars annuels la perte fiscale due à l’évasion de ces « actifs » vers les paradis fiscaux, évasion dont une très grande part est liée à la manipulation des « prix de transferts ».
Cette « criminalité extraordinairement complexe à détecter et à poursuivre » (selon Mme Eva Joly, eurodéputée écologiste) ne cesse de prendre de l’ampleur. On estime ainsi qu’en France les grandes entreprises ne paient qu’environ 10% d’impôts sur leurs bénéfices, en moyenne, alors que les PME, qui ne bénéficient pas des mêmes relais paradisiaques, en paient 30%.
On voit donc à quel point la manipulation, l’évasion et la fraude sont généralisées, en toute impunité apparente, pour ceux qui savent exploiter à grande échelle les failles systémiques des Etats.
Il y aurait bien sûr des débuts de solutions, si la volonté politique était là . Par exemple, on pourrait durcir considérablement les règles de la vente d’actifs relevant de la « propriété immatérielle » entre filiales, sous quelque forme que ce soit.
Plus profondément, on pourrait s’attaquer au dossier encore plus stratégique de la définition même de la notion de « propriété intellectuelle », et de la perversion dont cette notion ne cesse de faire l’objet. Au moment où les parlementaires de divers pays, censés défendre « l’intérêt général », ne cessent d’octroyer, au dépens de ce qu’on pourrait appeler le « domaine public des informations et des savoirs », de nouveaux droits de propriété sur des entités qui semblaient hors d’atteinte de toute privatisation (comme les données brutes, les faits, les idées, les algorithmes, les méthodes de « business », etc.), il serait utile de poser la question de l’impact exact du renforcement actuel de la propriété intellectuelle sur l’évasion et la fraude fiscales.
De même que la criminalisation de la consommation d’alcool pendant la prohibition n’a fait que renforcer les maffias, de même l’extension continue de l’appropriation intellectuelle a comme effet collatéral de renforcer la fraude fiscale à l’échelle mondiale.
Le public, dont l’intérêt est bien mal défendu, se contente pour l’instant de rester sous-informé, manipulé et infantilisé.
—
» Article initialement publié sur Metaxu
» Image d’illustration en page d’accueil par 1suisse sur Flickr
Laisser un commentaire