Web 2.0 : comment les chercheurs sont croyants sans être des pratiquants

Le 25 février 2010

Jusqu'à présent, les chercheurs en sciences humaines et sociales ont, dans leur immense majorité, parlé du web 2.0 sans eux-mêmes le pratiquer. Un cycle de conférences à Lille se penche enfin sur le sujet en mai prochain. À terme, c'est la façon de diffuser le savoir qui doit être repensée.

shs

Article initialement paru sous le titre : Les SHS se mettent au 2.0 ou comment les chercheurs sont croyants sans être des pratiquants.

SHS 2.0 : Objets et pratiques numériques est le titre d’un cycle de conférences qui aura lieu a Lille a partir du 8 mai 2010. En voici l’argument :

L’importance croissante des données numériques et de leur échange (qu’il s’agisse d’images, de textes, de vidéo, de musique ou de quelque autre « data ») a donné à l’ordinateur individuel, ou au serveur de données, une place prépondérante dans l’économie de la recherche, tout comme dans notre rapport individuel à l’information et au savoir. Sans micro-ordinateur, point de salut. Après avoir bénéficié de l’aide à l’écriture par le biais du traitement de texte, le chercheur dispose aujourd’hui d’un outil de traitement du savoir. Cet outil ordonne, classe, échange, propose, parfois impose des formats. Le numérique est un fait, il remodèle le paysage du savoir, de son apprentissage et des méthodes qui y donnent accès.

Bonne nouvelle ! Après tout, en France du moins, les SHS (lisez Sciences Humaines et Sociales) ont loupé le web 1.0. Il serait temps qu’elle se penchent sur le web 2.0 avant que celui-ci ne disparaisse sous une mutation que l’on pressant avec des dispositifs comme Twitter et Chatroulette.

La conférence s’ouvre avec Clarisse Herrenschmidt à qui l’on doit l’excellent Les trois écritures (Paris, Gallimard, 2007). Une conférence est disponible sur Canal-u.tv et elle vaut vraiment le détour. Vous trouverez aussi ici un texte qui présente les idées de son livre. Lisez aussi L’Internet entre écriture, parole et monnaie ou l’étrange cadeau des Anciens et ses accents Mc-Luhanesques.

On pourra aussi y entendre Dominique Cardon qui arpente le Web 2.0 depuis quelques temps déjà, et à qui l’on doit entre autres Le design de la visibilité et Sociogeek.

Et sinon ? Beaucoup de nouvelles têtes !  C’est un plaisir de voir d’un seul coup tant d’intelligence se pencher sur le réseau. C’est un plaisir de voir tant de personnes exercer leur intelligence sur ce qui est pour eux un nouvel objet. C’est un plaisir de les voir se passionner sur des objets qui sont pour tant des objets du quotidien.

Mais c’est aussi agaçant.C’est agaçant de voir que cet objet, “l’Internet’, est juste devenu un enjeu éditorial et de pouvoir. C’est le ”nouvel” endroit ou il fait bon être vu penser. C’est le nouvel endroit ou il fait bon publier. C’est le nouvel endroit ou il fait bon vendre des livres.

Après tout pourquoi pas ? La formation des chercheurs en SHS est longue et fastidieuse, et il n’y a pas à rougir de vivre de son travail. Mais il est agaçant de voir tant de personnes parler du web 2.0 sans en utiliser un seul outil ! Où sont les pages Facebook ? Ou sont les comptes Twitter ? Ou sont les conversations sur les blogues ? Il n’y en a pas, simplement parce que dans leur immense majorité, les intervenants sont des croyants et non des pratiquants du web 2.0. J’aurais préféré que cela soit l’inverse, et que les réflexions se fassent à partir d’une pratique.

Longtemps, le réseau a été pensé par des amateurs. Les premières observations ethnographiques ont été faites par les digiborigènes eux-même. Ce sont eux qui ont pensé comment fonctionnent les dispositifs qu’ils inventaient comme les  listes de diffusion ou les wiki. Mais il leur manquait la formation d’un sociologue, d’un ethnographe, d’un philosophe, d’un psychologue…. Il sera vraiment dommage que maintenant que les sciences humaines s’intéressent au réseau, elles manquent la rencontre parce qu’elles en ont pas une pratique suffisante !

Il n’est plus possible ni souhaitable que les réflexions sur le réseau restent enfermées dans les colloques, les livres et les facultés. Nous avons besoin et le réseau a besoin que ce qui est pensé à son propos soit partagé, diffusé et discuté sur le réseau. Je ne parle pas seulement de la mise en ligne de contenus “savants”. Je parle de la fabrique des idées, de la façon dont une idée se forme, de la façon dont une théorie s’organise, de la façon dont une pensée se pense. Je parle de ce qui est finalement le travail du chercheur : la diffusion du savoir.

Vous avez dit Creative Commons ?

Chercheurs ! Encore un effort !

Article initialement publié sur Psy et geek ;-)

Photo sur qthomasbower sur Flickr

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