Prométhée ou le cyberprof ?

Le 24 mars 2010

La figure du professeur tout-puissant a été désacralisée par Internet, auquel les étudiants recourent massivement, et en premier lieu Google. Face au phénomène, comment adapter l'enseignement ?

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Autre temps, autres mœurs

Si une très grande majorité des établissements scolaires et d’enseignement privé sont connectés au Net, il n’en reste pas moins vrai que la puissance de l’outil que l’on met entre les mains des élèves reste phénoménale par rapport aux capacités d’appréhension de l’information, de la gestion des flux et du recul critique nécessaire qu’il faut avoir quand on a la « tête dans le flux » (@sabineblanc, @LeGuillaume) !

Tout étudiant normalement constitué est, d’un point de vue générationnel, web-addict ; mais cette réalité dissimule des états de fait forts différents. Hormis l’anecdote d’étudiants en permanence connectés à Facebook en cours quand le wifi local le permet, il est patent que l’enseignement doit permettre à ses ouailles d’avoir accès à un vrai recul critique. Pour ce faire, il est préférable d’envisager un enseignement privilégiant l’accès à une culture plurivalente, multiaxiale et multi-médiatique plutôt qu’à des digests appris et bredouillés vaguement devant un jury.

Et se pose la question d’« apprendre par cÅ“ur » sur laquelle sans être catégorique, nombre de questions se posent.  Cet apprentissage séculaire reste pour certains une nécessité sans laquelle rien ne peut avoir lieu. Toutefois, modérer cet apprentissage « par cÅ“ur » serait pertinent alors que l’appréhension du savoir varie à l’envi ces dernières années.

Accéder au savoir… développer la curiosité… vaste utopie quand on appréhende l’aspect strictement consumériste de certaines classes.  L’imaginaire de l’éducation a tellement fabriqué le prof « parole d’évangile et image d’Épinal » qu’il existe une relative schizophrénie estudiantine oscillant entre l’enseignant et le Net, entre Docteur Prof et Mister Web.

La remise en cause de la parole des profs devient légion. Le recul que les étudiants, les profs, doivent prendre face à l’info, au flux, n’est que trop rarement abordé pour qu’il devienne absolument pertinent. Il faudrait pourtant systématiser cette approche du savoir via le Net pour développer  justement l’appréhension des flux, la prise de distance face à la parole donnée par le prof ou par le Net.

Quand l’enseignant face à une classe connectée donne une thématique de cours, apprenants (sémantique éducation nationale), élèves ou simplement humains présents dans une classe, foncent sur le cyberprof Google et cherchent en prenant les quelques premiers liens de la recherche comme un nouvel évangile consommé d’un savoir trouvé donc appréhendé.

Docteur Prof et Mister Web ?

Little Penguin is watching you

Little Penguin is watching you

Comment gérer en amont un cours où une majorité d’élève s’arrogent le droit de ne plus prêter attention au message transmis par le prof bénéficiant de son propre recul, de sa propre expérience sur la question abordée ? Comment appréhender un cours où le timing est faussé par avance ? Comment faire comprendre à des étudiants pour lesquels il faut aller vite et zapper sur un autre sujet, la nécessité de la patience dans les apprentissages ? Comment faire en sorte de maintenir l’attention des élèves quand au bout de quelques minutes toute la classe est au fait de l’ensemble du cours parce le nouvel évangile du savoir Google a donné les réponses ?

Ces questions soulèvent la question essentielle de l’appréhension de tout un stock d’informations que la prise de recul critique sait mettre en perspective. Les étudiants peuvent l’appréhender, à l’évidence, mais sans forcément avoir en eux les armes permettant de démêler les écheveaux de sens que le flux leur donne.

La contextualisation de l’information, du savoir est absolument nécessaire, mais elle n’est pas toujours acceptée, comprise, désirée. Elle devient inutile. Sur un thème donné, des réponses Wikipédia, ou de quelque autre source, suffisent en général aux étudiants les plus consommateurs.

Pourtant, les outils à notre disposition : Reader, Twitter, les Wiki, les forums d’étudiants déversant des cours ou des devoirs clé en main, ou d’autres encore, imposent à ceux qui les utilisent un devoir quasi journalistique systématique. Vérifier l’info, la confirmer, l’infirmer par des sources divergentes, convergentes, permettant de donner à l’info une validité réelle s’avère toujours plus nécessaire.

Or, quand les profs n’apprennent pas aux élèves, aux étudiants, à faire ne serait-ce qu’une recherche sur Google… il n’est en rien étonnant de les voir cliquer sur le premier lien ou le second et les considérer comme LA réponse à leur recherche. Ils sont les victimes de cet état de fait plus qu’ils n’en sont les coupables.

On ne leur a pas toujours appris à devenir curieux. Ô tempora, Ô mores.

L’info à la portée d’un ou deux clic, c’est une potentielle désinformation devenant vérité ; c’est donner au potentiel le poids d’un absolu.

Google, le nouveau Prométhée ?

Connecté ou pas, mac ou PC, un prof reste un prof

Connecté ou pas, mac ou PC, un prof reste un prof

Prométhée s’incarne dans la mythologie du 2.0… mais nul foie rongé en l’occurrence.  Juste des étudiants parfois perdus, des scolaires souvent plantés devant des écrans sans réel apprentissage… Le prof 2.0 que devient le Net avec toute la permissivité créatrice de l’outil devrait leur donner accès non pas au savoir mais aux savoirs… devrait leur permettre d’étendre leurs connaissances de façon exponentielle… Mais face à la génération Z hyper connectée et zappeuse au possible, la prise en compte de la réactivité du web n’est pas encore tout à fait au goût du jour.

Le zapping télévisé donne le « la » de ce zapping étudiant. Le prof se voit obligé de “teaser”, d’adapter des stratégies d’intrigue face au savoir. Le storytelling devient une manière de faire son cours. On sort les élèves de leurs écrans, on réintègre des savoirs dans  l’anecdote, on contextualise en douceur, on apporte des réponses à des questions qu’ils ne se posent pas, et on avance.

On « wiki-ise » le cours, on passe ensuite en phase de reveal pour arriver à reconnecter toutes les informations données dans un contexte qu’ils peuvent appréhender : le leur.

La transversalité créative chère à Morin impose aussi que les enseignements soient transversaux, d’une matière à l’autre, mais aussi et surtout de la matière purement scolaire à la société dans laquelle nous vivons. Mais celle-ci, accompagnée de son flux d’info, va tellement vite, ne prend tellement plus le temps de poser la réflexion, que les étudiants forts de savoirs parcellaires ne peuvent plus appréhender tout ce qui les entourent. Penser en ligne droite d’un point A à un point B est devenu légitime. Penser en ayant en tête une arborescence impliquant tous les tenants et aboutissants d’un fait historique, littéraire, sociologique, psychologique, d’actualité, devient toujours plus délicat. C’est pourtant absolument nécessaire.

Un cours sous Net-influence se transforme toujours plus en un échange entre prof et prof 2.0, entre le savoir et l’information. Dans l’enseignement, la responsabilité sociale, citoyenne, est phénoménale. Donner aux générations de zappeurs des outils d’appréhension sociale, citoyenne, politique, culturelle, se révèle toujours plus essentiel quand le zapping et le formatage se permettent de jouer avec la réflexion.

La mise en perspective de l’enseignement se confronte donc toujours plus à la mise en abîme du savoir disponible sur le Net. Ce qui devait être un avantage phénoménal pour les enseignants devient souvent  inconvénient majeur. Entre savoir et maîtriser les savoirs et ce qu’ils impliquent, un fossé se creuse. La nécessité d’apprendre se confronte de plus en plus souvent à cette réflexion: « apprendre n’est guère utile puisque nous sommes toujours connecté au Net, de fait nous avons un accès au savoir constant ». Accéder au savoir semble devenir une preuve de savoir. Le web serait-il une forme de mémoire 2.0 ? Une culture générale potentielle et disponible serait-elle suffisante ? Le temps de cerveaux disponibles en cours se réduisant toujours plus, devrait-on penser en termes de cerveaux potentiels ?

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