Vidéosurveillance dans les lycées: “les résultats sont décevants”
Auteur d'une étude sur la vidéosurveillance dans les lycées en Île-de-France publiée en 2007, Tanguy Le Goff revient sur cette enquête. Si plus de la moitié des établissements sont équipés de caméras, l'efficacité des dispositifs est limitée.
Pourquoi utilise-t-on la vidéosurveillance dans les lycées ? Comment s’en sert-on ? Est-elle utile ? Pour répondre à ces interrogations, et alors que les évaluations sur le sujet étaient rares en France, la Région a demandé une étude sur la vidéosurveillance dans les lycées d’Île-de-France, réalisée par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) IDF et publiée en 2007.
Cette analyse comparative portait sur dix lycées, pourvus ou non de caméras. Elle dresse un premier bilan sur une technique mise en place depuis 1998 par la Région, en réponse à l’augmentation des faits de violence et d’incivilité dans les établissements, aux côtés d’autres mesures de sécurisation, dispositifs de contrôle d’accès, alarmes anti-intrusion, etc. À l’époque, plus de la moitié des établissements étaient déjà équipés, mais seulement 10% étaient pourvus d’un véritable système quadrillant aussi bien l’intérieur que l’extérieur.
Tanguy Le Goff, qui a dirigé cette étude, revient sur ces résultats qui restent d’actualité, tendance du gouvernement au tout-sécuritaire oblige.
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La conclusion qui ressort de votre étude, c’est que la vidéosurveillance coûte cher, 700.000 euros par an, pour un résultat limité.
Par rapport à l’objectif officiel, qui était de lutter contre les intrusions, oui, les résultats sont décevants. On constate en effet qu’en dépit de la mise en place de cet outil, les intrusions continuent. En tant que moyen de dissuasion, de prévention de la délinquance, ce n’est pas efficace.
En revanche, sur d’autres points, les résultats sont plus positifs, même si c’est un élément difficile à déterminer, via des données chiffrées, notamment policières, nous l’avons mesuré surtout au travers de témoignages de gens que l’on a pu rencontrer. De manière assez classique, il y a une efficacité reconnue sur les parkings, cela aurait tendance à faire diminuer les vols de deux-roues et les dégradations de véhicule.
Le manque de réflexion lors de l’installation des dispositifs explique aussi le peu d’efficacité…
Effectivement, il faut poser la question en terme d’usage : comment l’ensemble de la communauté éducative va s’approprier cet outil et que va-t-elle en faire ? Or bien souvent, on constate que la vidéosurveillance a été posée dans l’urgence, dans la mesure où il s’agissait parfois de répondre à une inquiétude, une émotion extrêmement forte de la part des professeurs, des conseillers principaux d’éducation (CPE), parce qu’il y a eu par exemple un enseignant agressé à l’intérieur de l’établissement.
Pour rassurer, on va mettre en place cet objet sans se demander qui va l’utiliser, comment se fera le lien avec le personnel de surveillance, l’agent d’accueil, le personnel de direction. La difficulté, c’est que le personnel ne se l’est pas approprié. Souvent, l’outil est posé au sein d’un établissement, sans que l’on ait réfléchi à la façon dont il va appuyer la politique de sécurité de l’établissement. On en fait donc un usage limité, d’autant plus qu’on en donne souvent la responsabilité à un agent d’accueil, qui n’est pas un agent de l’ordre, il a d’autres missions à accomplir que de regarder les caméras, il le fait donc de manière très épisodique.
Pourtant, la vidéosurveillance est de plus en plus considérée comme une solution aux divers problèmes d’insécurité rencontrés dans les établissements.
C’est vrai, il y a une demande assez récurrente des chefs d’établissements, pour différentes raisons. Déjà, ils pensent que cela va vraiment être utile pour dissuader. Par ailleurs, il y aussi l’idée que les caméras servent à pallier des déficits en matière d’aménagement technique. Ils croient par exemple qu’un lieu mal conçu, que des personnels peuvent difficilement surveiller, sera ainsi sécurisé, alors que c’est un leurre total.
Ceci dit, ils ne sont pas complètement dupes, ils se rendent bien compte, en matière de prévention des vols, que l’efficacité est limitée.
La vidéosurveillance fait partie d’une politique générale de sécurisation des établissements centrée sur la protection contre la menace extérieure, dont vous soulignez les effets pervers.
Oui, d’une part, la logique de clôture de l’établissement a tendance à engendrer un désintéressement du personnel de surveillance pour ce qui passe au-delà des grilles, alors que l’on voit bien que très fréquemment, la plupart des difficultés se jouent vraiment dans l’espace entre le lieu de transport et le lycée, bien souvent son parvis.
Les CPE nous expliquaient que cela ne relève pas forcément de leur compétence, légalement, mais que du coup, du fait de cette logique de fermeture, il y avait un désinvestissement progressif de ce qui pouvait se jouer dans les alentours immédiats de l’établissement. Ce repli est un effet négatif qui n’avait sans doutes pas été imaginé initialement.
Cette logique peut aussi générer une opposition systématique entre le quartier où il se trouve et le lycée, alors qu’auparavant, un certain nombre de lycées étaient considérés comme des espaces qui pouvaient être traversés par la population, c’est-à-dire que l’on allait d’un lieu à un autre en passant par lui. Aujourd’hui, de plus en plus, et on peut le regretter, il devient un lieu à part, a-territorial.
Quelles sont vos recommandations pour que la vidéosurveillance soit utilisée à meilleur escient ?
Nous avons rassemblé dans un cahier des charges nos préconisations. Déjà, avant même d’aller sur la mise en place de caméras, se demander s’il n’y a pas d’autres solutions envisageables : ce peut être des mesures d’aménagement de l’espace, de déplacement du lieu d’accueil, permettant d’avoir une surveillance plus naturelle. Parfois, on s’aperçoit que la loge ou le lieu de vie des enseignants est complètement décalé de l’entrée, ce qui fait que cette dernière n’est pas surveillée. Ces aménagements pourraient à eux seuls contribuer à assurer la sécurité. Cela passe aussi par un nouveau mode d’organisation du travail effectué par les CPE.
Une fois que le recours à la vidéosurveillance a été préconisée, certes il y a des enjeux techniques, mais ils représentent une part minimes, mais au-delà, il faut surtout s’interroger sur l’organisation de l’ordre scolaire et déterminer qui fait quoi, qui va avoir la charge du dispositif. Par exemple, dans le cas d’un agent d’accueil, comment il agit lorsqu’il repère un fait sur une caméra : avec qui doit-il interpeller, que fait-on de ces données, faut-il les transmettre à la police, de quelle manière, comment informe-t-on la police, les parents ? On a en effet constater que ces derniers et les lycéens n’étaient pas toujours informés de la présence des caméras, comment informe-t-on ? On ne pose pas un objet à la va-vite, il faut se poser la question de son intégration au sein d’une politique de sécurité et de la manière dont on va être en mesure ou non de l’approprier, pour faire en sorte au moins que les usages de cet outil soient au maximum valorisés.
Vous avez réalisé cette étude voilà trois ans : comment la situation a évolué depuis ?
En France, je n’ai pas de données, la vidéosurveillance dans les lycées ne dépend en effet pas de la loi Pasqua de 1995 mais la loi Informatiques et Libertés de 1978, car ils sont considérés comme des espaces privées. C’est donc la Cnil qui est compétente et une simple déclaration est nécessaire. En revanche, si un certain nombre de caméras visionnent des espaces publics, il faut une demande à l’autorité préfectorale.
Ce qui est sûr, c’est qu‘il y a une politique gouvernementale qui pousse au développement de cet outil. Le financement provient directement de l’État via des budgets donnés à l’Éducation nationale et donc aux lycées, ou des régions.
En IDF, je ne possède pas non plus de données depuis. En tout cas, comme nous avions mis en place un cahier des charges, qui est aujourd’hui respecté, les démarches sont sans doutes un peu plus longues pour la mise en œuvre de la vidéo, et donc plus pensée, il y a sans doute eu plus de vigilance.
Y a-t-il des pays qui encadrent mieux le recours à la vidéosurveillance ?
Au Canada, et c’est un peu ce que nous avons développé ici avec les lycées, pour pouvoir installer de la vidéosurveillance, et notamment dans les espaces publics, il faut prouver qu’il n’y a pas d’autre solution plus efficace.
Télécharger ici l’étude intégrale
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Voir aussi l’intégralité de notre dossier sur le sujet, où il est entre autre question de la mise en place de portiques de sécurité, du fait que la vidéosurveillance est tellement développée, en Grande-Bretagne, qu’on y trouve des caméras, non seulement dans les salles de classe, mais également dans les toilettes de 10% des écoles :
- - Grande Bretagne : 10% des lycées vidéosurveillent leurs toilettes
- - Portique ta mère
- - Vous voulez des pions ? Vous aurez des ex-policiers
- - Vidéosurveillés jusque devant les toilettes : en France aussi (à venir)
- - Enquête exclusive : “mon lycée, c’est Alcatraz” (à venir)
- - et l’appli : Lycées.eu [on compte sur vous !]
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