Google Book et les bibliothèques américaines: vers des accords plus équilibrés?
La bibliothèque de l’Université de Virginie a obtenu des aménagements dans son partenariat avec le géant américain, qui en atténuent certains aspects contestables : les contreparties exigées ont été revues à la baisse.
La bibliothèque de l’Université de Virginie a obtenu des aménagements dans son partenariat avec le géant américain, qui en atténuent certains aspects contestables : les contreparties exigées ont été revues à la baisse.
Le mois dernier, des informations importantes nous sont parvenues des États-Unis, au sujet de modifications intervenues dans les accords liant Google à plusieurs bibliothèques partenaires de son programme de numérisation des livres.
À ma connaissance, ces nouveaux éléments n’ont fait l’objet d’aucun commentaire en France, alors même qu’ils attestent qu’un nouveau type de rapports, plus équilibrés, est peut-être en train de se mettre en place outre-Atlantique.
Contrairement à ce qui se passe pour les bibliothèques européennes (à l’exception notable de la bibliothèque de Lyon), plusieurs bibliothèques américaines ont choisi de considérer que les accords les liant à Google constituaient des documents publics et obtenu qu’ils puissent être rendus révélés.
C’est le cas pour l’université de Virginie qui a publié à la mi-février une nouvelle version de son contrat, intervenue pour tenir compte de modifications découlant du Règlement Google Book, dont certains aspects ont des conséquences sur les bibliothèques partenaires de Google (le contrat est ici et voir là pour une FAQ éditée par l’Université de Virginie à propos de son partenariat avec Google).
C’est Peter Hirtle sur LibraryLaw Blog, le premier qui a relevé que ce nouvel accord contenait des aménagements substantiels, information relayée ensuite par James Grimmelmann sur The Laboratorium.
L’Université de Virginie est partenaire du programme Bibliothèques de Google Book depuis 2006, mais elle s’était limitée jusqu’à présent à fournir à Google des ouvrages du domaine public, pour lesquels le droit d’auteur était expiré. Au début de l’année, l’université a choisi d’approfondir son partenariat avec Google en devenant une fully participating library (Bibliothèque Pleinement Participante), ce qui correspond au degré le plus élevé de collaboration et consiste à accepter de remettre à Google des ouvrages protégés par le droit d’auteur pour qu’il les numérise (voir ici pour la définition de ces différents degrés de participation). On savait déjà qu’une bibliothèque comme celle de Michigan avait fait ce choix et visiblement, Stanford s’est également décidée en février à remettre à Google ses livres sous droits.
Pour la bibliothèque de l’université de Virginie, ce changement de statut a été l’occasion d’une renégociation de l’accord qui atténuent plusieurs des aspects les plus contestables des contreparties exigées par Google en échange de la remise des fichiers à titre gracieux.
On sait en effet, grâce à la révélation des premiers contrats de Michigan et de l’université de Californie, que Google impose à ses bibliothèques partenaires des conditions de quatre ordres :
- Une exclusivité commerciale, pouvant s’étendre sur des périodes très longues (2050 visiblement pour certaines bibliothèques américaines ; 25 ans pour les bibliothèques européennes) ;
- Une exclusivité d’indexation (c’est-à -dire le fait d’empêcher les moteurs de recherche concurrents d’indexer le contenus des fichiers remis aux bibliothèques) ;
- Des restrictions d’usage des fichiers : limitation du téléchargement, interdiction de remettre les fichiers à des tiers, y compris pour des partenariats non-commerciaux, etc. Ces restrictions, qualifiées par Olivier Ertzscheid d’ « eugénisme documentaire », s’imposaient sans limitation de durée dans le temps, même pour des ouvrages appartenant au domaine public.
- Une clause de confidentialité, interdisant la révélation du contenu du contrat.
Outre la levée de la confidentialité, il semblerait que l’université de Virginie ait obtenu dans son nouveau contrat que l’ensemble de ces exclusivités et restrictions disparaissent complètement à l’issue d’une durée de 15 ans, à compter de la remise des fichiers à la bibliothèque. Elle bénéficierait alors d’une propriété pleine et entière, comme si elle avait procédé à la numérisation par elle-même [4.10 (d)].
Dans le même temps, la portée de l’exclusivité commerciale a été atténuée. Il reste interdit à l’Université de développer à partir des fichiers remis par Google des services similaires à ceux que Google Book Search comporte, mais les parties s’accordent pour reconnaître que l’impression à la demande ne fait pas partie de ces services et que l’université pourra se lancer dans ce type d’activités sans avoir besoin de recueillir l’accord de Google, quand bien même ce service serait payant [4.10 (b)]. L’université de Michigan a visiblement déjà obtenu un tel assouplissement de son contrat, qui lui a permis de mettre en place un service d’impression à la demande en partenariat avec Amazon.
D’autres clauses illustrent cette recherche d’un meilleur équilibre entre Google et son partenaire. On relève par exemple que si Google n’est pas en mesure, pour une quelconque raison, d’assurer l’accès aux ouvrages numérisés du domaine public pendant 6 mois, toutes les restrictions prévues par l’accord seront levées et la bibliothèque retrouvera une pleine propriété de ses propres copies [4.10 (c)]. Une autre clause indique que si Google apporte des améliorations (en termes de qualité par exemple) à ses propres fichiers, il doit s’efforcer de remettre une copie améliorée à la bibliothèque qui a fourni le livre original [4.13].
Comme l’indique Peter Hirtle dans son billet, toutes ces améliorations profitent grandement aux bibliothèques partenaires, surtout que dans le même temps, Google est toujours lié à l’obligation d’offrir un accès gratuit aux ouvrages du domaine public qu’il numérise [4.3].
Cependant, je me démarquerais de son analyse en ajoutant que des points majeurs de déséquilibre subsistent toujours : l’exclusivité d’indexation en particulier figure toujours en toutes lettres dans le contrat, inchangée [4.9]. La crispation sur ce point montre combien cet aspect est important pour la stratégie de Google Book. Je vous recommande à cet égard de lire le passage consacré par Marin Dacos et Pierre Mounier dans leur récent ouvrage , L’édition électronique, à la manière dont Google Book utilise le data mining :
On constate que Google Books ne se comporte ni comme un éditeur, ni comme un libraire. Il utilise sa puissance de calcul et d’indexation pour réaliser un gigantesque système d’information sur le livre, menant le data mining (fouille de données) à son paroxysme pour construire des cartes et des itinéraires entre les objets numériques et les outils de son armada de services.
On comprend dès lors que Google cherche à se réserver la possibilité de construire un tel système d’information, quitte à recourir à une exclusivité d’indexation qui constitue une atteinte grave à la liberté d’accès d’information et porte en elle le risque d’une dérive vers le monopole.
Le même déséquilibre est toujours patent en matière de métadonnées. Outre ses ouvrages, la bibliothèque de l’Université de Virginie accepte de remettre à Google ses métadonnées, en lui concédant une licence très large d’utilisation (heureusement à titre non exclusif) [2.6].
On peut également se demander ce qu’il adviendra des avancées de ce contrat si le Règlement Google Book, auquel il est fondamentalement lié, n’est pas validé par la justice américaine (et il semble bien que de nombreux aspect de ce règlement seront rejetés par le juge Denny Chin, même si l’incertitude est encore forte sur ce point). Google se montrera-t-il toujours aussi généreux s’il est ramené à la case départ de son procès américain ?
Et pendant ce temps en Europe…
L’autre question concerne la situation des bibliothèques européennes, qui par contraste avec leurs homologues américaines, demeurent sous l’emprise de contrats beaucoup plus restrictifs, portant atteinte au domaine public dont elles ont accepté de confier la numérisation à Google.
L’idée avait été avancée à la fin de l’année dernière qu’un comité des sages puisse être réuni au niveau de l’Union européenne pour déterminer les conditions acceptables dans le cadre de partenariats public-privé de numérisation. Nous sommes en avril et nous ne voyons toujours rien venir de ce côté…
En attendant, le gouvernement italien a vraisemblablement signé en mars un accord de numérisation avec Google qui est loin d’être aussi équilibré que ceux conclus par les bibliothèques américaines. La clause de confidentialité sévit toujours (mais comment un gouvernement peut-il accepter cela !) et le fait qu’on nous annonce que l’on pourra accéder aux documents numérisés par le biais d’Europeana n’est pas en soi une garantie que les restrictions d’usage ont été levées, car Europeana se contente de moissonner des métadonnées et de faire des liens vers les documents numérisés.
Du côté de la France, au gré des rapports officiels qui se succèdent, un certain flottement règne sur la question d’un éventuel partenariat de numérisation avec Google. C’est le moins que l’on puisse dire…
Le rapport Tessier de décembre condamnait fermement les exclusivités et restrictions des accords et préconisait une autre piste de partenariat avec Google sous la forme d’un échange de fichiers. A suivi le rapport Gaillard de la commission des finances du Sénat qui, au nom du réalisme budgétaire et malgré les perspectives ouvertes par l’emprunt national, semblait à nouveau favorable à un partenariat « classique » avec Google. Et cette semaine, le rapport sur le livre numérique de Christine Albanel préconise de faire… les deux à la fois ! Échangeons les fichiers ET réfléchissons à un accord de numérisation avec « de grands moteurs de recherche » (qui ça ?). Cocasse !
Mais il y a mieux… Les lecteurs attentifs du journal La Tribune auront peut-être relevé un article en date du 25 mars dernier « Les Français préparent leur alternative à Google Livres », comportant ce passage singulier :
Le ministère de la Culture, les éditeurs et représentants des auteurs ont accepté d’ouvrir des discussions pour aboutir d’ici à juillet à un accord tripartite, sur la numérisation des livres du XXe siècle épuisés. Objectif: numériser en masse, à partir des fonds de la BnF, quelque 500.000 à 1 million d’ouvrages, en y consacrant une part du grand emprunt. Auteurs et éditeurs accepteraient de libérer en bloc les droits, sans obliger à une autorisation œuvre par œuvre. L’accord prévoirait un modèle de diffusion et d’exploitation avec un partage de revenu à définir. Si un tel accord est conclu, la France serait en position de proposer à Google l’échange de fichiers suggéré en janvier par la mission Tessier, sur la numérisation du patrimoine écrit : Google pourrait être retenu pour numériser les ouvrages tombés dans le domaine public. Il remettrait à la BNF un fichier d’une œuvre patrimoniale, contre une œuvre du XXe siècle sous droit numérisée par les Français.
En gros, cela revient à dire : l’argent de l’emprunt national utilisé pour numériser des livres sous droits des éditeurs français ; le patrimoine confié à Google et pour le « payer », un échange de fichiers, non pas ouvrages du domaine public contre ouvrages du domaine public, à l’image de ce que prévoyait le rapport Tessier… mais ouvrages protégés contre ouvrages libres de droits !
Hum…
Personnellement, j’arrête de lire les rapports français et de m’intéresser à leurs pirouettes d’apprentis sorciers ; je leur préfère le « travail au corps » que les bibliothèques américaines mènent pour neutraliser pas à pas le venin des exclusivités.
Billet initialement publié sur :: S.I.Lex ::
À lire aussi : Google livres : par le petit book de la tablette (1/3)
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