Steve Jobs, le hacker génial est-il devenu un réac visionnaire ?
À ses débuts, le patron d'Apple avait des cheveux longs et bidouillait dans sa cave. Maintenant, il a les cheveux ras et c'est un homme d'affaires impitoyable critiqué par certains pour sa logique propriétaire.
Le Steve Jobs idéaliste et révolutionnaire de l’Apple II, le perfectionniste toujours visionnaire du Lisa, du Mac puis du NeXT (J’ai un “cube” qui m’a coûté 15 000 dollars et que je garde avec affection)… Cet homme charismatique, qu’est-il devenu ?
Depuis qu’il est revenu aux commandes, après les fiascos de Sculley puis de Spindler (je ne parle pas de J.L. Gassé), Jobs est devenu l’antithèse de lui-même.
Rapace, avide, égocentrique, il s’est vendu au Profit.Pomper, drainer, sucer jusqu’à la moelle le gogo, voila son credo… Et il y en a pour s’y laisser prendre, encore et toujours: tristes phalènes aveuglées d’une fausse clarté.
Boycottez Jobs et ses produits qui incarnent toute l’essence de cette époque de transition et transitoire, une époque sans idéal, sans valeur véritable et qui ne laissera rien dans l’Histoire !
En lisant ce commentaire accolé à un article sur l’iPad, la prochaine “révolution” de la Pomme, un doute soudain m’assaillit : et si Steve Jobs n’était pas celui que l’on croyait ? Ou plutôt qu’il n’était plus celui que l’on pensait qu’il était toujours ? Ce baby-boomer orphelin, excentrique, cool (1 dollar de salaire par an, pensez donc !), qui dénonçait Big Brother en 1984 face à IBM et promettait des jours meilleurs à ses disciples.
Ah ! Cette communauté d’indéfectibles fans qui allaient soutenir la marque et faire de Steve ce qu’il est aujourd’hui. Est-ce notre faute finalement ? Je dis “notre” car, non seulement, “j’en suis”, mais de plus, je lui ai donné raison. Après tout, un type qui a réussi à provoquer quatre révolutions dans des domaines aussi différents que l’informatique, la musique, le dessin animé et la téléphonie, tout en côtoyant deux fois la mort, ne peut qu’en valoir la peine. Il est différent. He thinks different.
Le Steve Jobs que j’ai croisé (si, si, je vous jure, à une keynote à Paris il y a plus de dix ans, mais à l’époque je n’avais pas d’appareil photo numérique pour immortaliser ce moment magnétique) ressemblait à celui-ci : il avait déjà son polo noir, ses New Balance et son Levi’s 501. J’aurais dû comprendre que les choses allaient prendre mauvaise tournure. Pourtant, il a de l’humour le garçon, pour preuve il accepta même de se faire caricaturer en direct devant ses ouailles :
Steve (je l’ai croisé, c’est donc un intime désormais, de ceux que l’on appelle par leur prénom tellement on a la sensation de les connaître par cœur) a commencé hacker, inventeur avec son pote Wozniak (le véritable geek de l’histoire) de la bluebox, un petit appareil qui permettait de téléphoner dans les cabines téléphoniques pour gratuit. C’était pour la bonne cause ! Gagner quelques dollars, s’acheter des composants électroniques et créer le premier Apple.
La Pomme a donc dans ses gênes l’illégalité et la rébellion. Elle n’hésite pas à sortir des sentiers battus, Jobs incarne parfaitement ce mélange subtil de créatif intuitif au sens marketing aiguisé, nourri aux fibres équilibrées, aux incantations hindouistes et aux influences artistiques les plus diverses. Il s’en expliqua d’ailleurs dans une interview, véritable moment de vérité pour comprendre ce qui anime la vision du bonhomme : l’obsession du Beau, de la culture, des influences. Quitte à en faire une religion monothéiste et rigoriste sur la fin de sa vie.
Car, toujours dans ce même moment de confession intime, il laisse tomber le masque et fait comprendre que pour réussir, il faut non seulement être sûr de soi mais aussi ne pas hésiter à piller les autres (ce qui, venant de quelqu’un qui critiqua Microsoft pour cela durant des années, est assez cocasse mais pas infondé) :
Cohérent, me direz-vous ? Certes, pirate un jour, pirate toujours. Mais le rebelle allait peu à peu laisser place à l’intraitable et impitoyable homme d’affaires Jobs prenant le pas sur le bohème et idéaliste Steve.
La “grande bascule” iconique eu lieu à son retour aux affaires, après s’être fait virer comme un malpropre de sa propre société par des costards cravates qu’il avait lui-même recruté. C’est là qu’entre en jeu la rage : une lucidité cynique se fait jour dans son esprit, il est de retour et va leur montrer ce dont il est capable. Il va leur expliquer, à ces ignares qui ont failli croquer la pomme jusqu’au trognon, ce que c’est que changer de paradigme à coup de design et de technologie. Place à la revanche, au sentiment de toute puissance qui va se nourrir de ses succès planétaires que sont l’iPod et l’iPhone, ces icônes de l’ère numérique, qui va relancer Apple et le placer au centre du jeu.
Ainsi, Steve devenu Jobs (ou assumant de le devenir), perd ses cheveux, se forge une image désormais mondialement connue, et développe son côté grippe-sou (pas de dividendes de distribués, tout est mis en trésorerie) pour éviter de revivre le cauchemar d’Apple sans le sou et à l’agonie, sauvé par son ennemi Microsoft).
Dernière touche au tableau : l’immortalité temporaire. Imaginez : vous êtes victime d’un accident de voiture, vous en réchappez. Qu’allez vous faire ? Vous dépêcher de réaliser tout ce que vous n’avez pas eu le temps de faire jusqu’à présent. Vous relativisez et foncez. Idem pour Steve Jobs : il passe deux fois très sérieusement à côté de la mort, ce qui va lui renforcer ses convictions et son besoin d’être intraitable pour réaliser ce à quoi il croit.
Tout ça, ça vous marque un homme. Surtout qu’il se rend compte d’une vérité atroce et ultime : les gens aiment être guidés. Ils ont besoin d’avoir des repères, des gourous. Ils sont prêts à toutes les concessions si on leur procure une contre-partie de bien-être. C’est un animal dominé par son cerveau reptilien mâtiné de pyramide Maslow. Jobs croit en l’intelligence, et veut que le plus grand nombre accède à son Graal informatique. Quitte, paradoxalement, à les aliéner.
Pour leur bien ! Mais oui, c’est pour les aider ! Les convaincre du bon choix ! Microsoft vs Apple, c’est du passé ! Qu’importe la plate-forme, ce qui prime c’est ce qui transcende l’expérience utilisateur, ce qu’il ressent, qui fait qu’il va vibrer en utilisant un outil électronique froid et déshumanisé. Jobs, de par son histoire personnelle, à l’orée de sa vie, à compris cela et à trouvé comment il fallait faire. Plus personne ne doit donc se mettre en travers de son chemin.
Sa vision est transcendée par un monde précis, où Apple règne au centre du système pour aider chacun à mieux communiquer et créer, et tant pis s’il faut faire le ménage et construire un monde à la Disney d’où le moindre téton est exclu (sauf les applications Playboy, faut pas déconner non plus, business is business), où des règles très précises d’ergonomie sont à respecter, où l’on tape sur certains membres de sa communauté (ceux qui osent utiliser l’image ou les marques d’Apple), où on impose des standards car on pense que c’est mieux ainsi (la bataille contre Flash, qui est aussi un succédané de l’époque où Adobe snobait Apple), où le secret est érigé en règle absolue, où on résume l’informatique à des icônes et des jukebox d’applications bridées dans leurs fonctionnalités par la Pomme, où des règles obscures régissent l’inscription ou le rejet d’une création au grand registre iThunes de l’AppStore.
Qu’importe. C’est à ce prix que la prophétie pourra s’accomplir, celle d’un monde où ça sera l’humain qui utilisera pleinement un ordinateur sans devoir se plier à des logiques abscons. S’il faut devenir un réac de première, Steve a choisi. Il le deviendra. Pour mieux réaliser ce à quoi le hacker génial a rêvé.
Laisser un commentaire