Droit d’auteur: variété végétale ou culturelle, même combat

Le 7 juin 2010

Pour protéger les fruits de la connaissance, le Certificat d'Obtention Végétale (COV) développe une approche particulièrement fertile, dont le droit d'auteur ferait peut-être bien de s'inspirer.

Connaissez-vous le C.O.V. ou Certificat d’Obtention Végétale ?

Il s’agit d’un mécanisme, prévu par le Code de la Propriété Intellectuelle, qui vise à protéger les créations des producteurs de nouvelle variétés végétales. Il constitue une branche à part entière (c’est le cas de le dire !) de la propriété intellectuelle, mais se distingue du droit d’auteur ou du brevet par des originalités marquées (voyez ce schéma).

J’avais entendu parler du COV, il y a un certain temps déjà, mais c’est en creusant un peu la question que je me suis rendu compte qu’il y avait là un système très inspirant, dont le droit d’auteur devrait peut-être… prendre de la graine !

Équilibre entre la protection et l’usage

En effet, au cœur du COV, on trouve l’idée d’un équilibre à instaurer entre la récompense de l’innovation d’un côté et la nécessité de maintenir un libre accès aux ressources de l’autre. Cet équilibre entre la protection et l’usage, on sait qu’il est de plus en plus précaire dans les autres domaine de la propriété intellectuelle, comme le droit d’auteur ou le brevet, avec des conséquences néfastes pour l’accès à la connaissance (j’avais essayé d’en parler ici).

L’intérêt du COV par rapport à d’autres mécanismes de protection, c’est qu’au lieu de partir d’une approche « Tous droits réservés », il prévoit d’emblée que certains d’usages des variétés protégées doivent demeurer libres.

Pour obtenir le bénéfice d’un COV, le créateur d’une variété doit en faire la demande auprès du Comité pour la Protection des Obtentions Végétales, qui pourra le lui délivrer à  la condition que la variété présente un certain nombre de caractéristiques, dont la nouveauté (un peu comme en matière de brevet). Si c’est le cas, le certificat lui garantit pour une période limitée de 25 à 30 ans selon les espèces :

un droit exclusif à produire, à introduire sur le territoire où la loi est applicable, à vendre ou offrir à la vente tout ou partie de la plante, ou tous éléments de reproduction ou de multiplication végétative de la variété considérée et des variétés qui en sont issues lorsque leur reproduction exige l’emploi répété de la variété initiale (voyez ici).

Cette protection permet de rétribuer le travail de l’obtenteur en lui assurant que toute personne reproduisant sa plante pour la commercialiser s’acquitte d’une redevance, qui sera généralement intégrée dans le prix de vente.

Mais ce droit exclusif n’est pas absolu et il n’empêche pas une large variété d’usages.

  • Les acquéreurs de semences ou de plantes conservent la possibilité de les utiliser librement et de les multiplier à des fins non commerciales, ou dans un cadre privé ou familial (jardiniers amateurs)
  • N’importe qui peut utiliser librement et gratuitement une variété protégée pour en créer une autre ;
  • Il est possible d’utiliser librement la variété protégée dans le cadre de recherches, à des fins expérimentales, sans production ;
  • Enfin, les agriculteurs conservent la possibilité de conserver une partie des semences produites lors d’une récolte pour les replanter l’année suivante (semences de ferme), moyennant le paiement d’une redevance annuelle.

Ces libertés permettent de concilier les intérêts entre plusieurs acteurs : le producteur de variétés qui souhaitent tirer un bénéfice de son innovation ;  ses concurrents qui pourront à leur tour innover en s’appuyant sur cette création ;  les agriculteurs, les chercheurs, mais aussi les simples amateurs de jardinage.

De manière plus profonde, le COV reconnaît le fait que même si un apport intellectuel a été nécessaire pour créer, cette nouveauté s’enracine (sans jeu de mots !) dans un patrimoine (le capital génétique des espèces) qui ne doit pas pouvoir faire l’objet d’une appropriation exclusive trop forte, pour la raison qu’il constitue un bien commun dont l’accès doit demeurer ouvert.

Dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, le système est différent et  c’est par le biais du brevet que l’on protège les obtentions végétales. Il en résulte de fortes conséquences en matière d’accès à la connaissance, dans la mesure où le brevet ne reconnaît aucune des libertés consacrées par le COV (voyez le tableau en bas de cette page qui compare les deux systèmes). COV et brevet peuvent aussi cohabiter dans la mesure où les gènes introduit dans les plantes par manipulation génétique peuvent être brevetés. On sait aussi que la firme Monsanto par exemple, avec son gène Terminator qui rend stérile les plantes génétiquement modifiées qu’elle produit, vise directement à remettre en cause la liberté de réutiliser les semences, pourtant garantie par le COV (une sorte de DRM génétique).

Rêvons un peu…

Malgré ces fragilités, il me semble que le COV pourrait servir avantageusement de source d’inspiration pour le droit d’auteur. Rêvons un peu et imaginons qu’un législateur malicieux (ou inspiré ?) décide un jour d’étendre l’application du COV aux œuvres de l’esprit. Que se produirait-il ?

1) La protection du droit d’auteur ne serait plus automatique acquise dès la création des œuvres, mais elle nécessiterait une procédure d’enregistrement, à la charge du créateur. J’ai déjà eu l’occasion de dire que ce système d’enregistrement me paraîtrait hautement préférable à la protection automatique qui s’applique actuellement. Il est légitime que le bénéfice d’un droit soit la contrepartie de l’accomplissement de devoirs. Actuellement, toute la charge procédurale pèse sur les utilisateurs qui doivent s’acquitter de démarches complexes, parfois inextricables, pour recueillir le consentement des titulaires de droits. Cette charge devrait être mieux répartie et peser également sur ceux qui retirent bénéfice du système. Lawrence Lessig, le père des licences Creative Commons, avait également défendue l’idée de créer un Registre mondial auprès duquel les créateurs pourraient enregistrer leurs œuvres, de façon à lutter contre le problème des œuvres orphelines. Il est certain qu’aucune obtention végétale ne peut être orpheline et que l’on sait aisément retrouver les titulaires de certificats, grâce à la procédure volontaire de demande.

2) La protection du droit d’auteur ne durerait que pour une période raisonnable, de 25 à 30 ans. Il est inutile de rappeler à quel point l’extension continuelle de la durée des droits menace l’équilibre du système de la propriété littéraire et artistique. Jetez par exemple un œil sur ce schéma qui montre ce que les lois ont infligé comme dommages au fil du temps au domaine public. Le patrimoine génétique reste un bien commun parce que son appropriation est réellement temporaire. Avec le patrimoine culturel, l’appropriation dure si longtemps que nous serons tous morts depuis longtemps lorsque les créations d’aujourd’hui deviendront des biens communs.

3) Le COV, comme le droit d’auteur, reconnaît l’existence d’un droit à l’usage privé du matériel protégé, mais il va plus loin. Il est possible de reproduire des semences pour son jardin tout comme il est possible de réaliser des copies privées des œuvres que l’on s’est légalement procurées. Mais le COV consacre plus largement ce droit, dans la mesure où il permet aussi aux agriculteurs de réutiliser une partie des semences d’une année pour replanter leurs champs. C’est accepter qu’une sorte de « copie privée » puisse exister malgré l’usage commercial. On n’est pas loin alors du fair use (usage équitable) américain, qui, contrairement à nos exceptions françaises, peut s’appliquer valablement dans certains cas, même lorsqu’il y  a usage commercial d’une œuvre protégée.

4) Si le COV s’appliquait aux œuvres de l’esprit, il existerait enfin dans notre système une vraie exception au profit de la recherche. Depuis la loi DADVSI de 2006, il existe en France une exception pédagogique et de recherche, mais celle-ci est très limitée et effroyablement complexe à appliquer (voyez plutôt). Le COV consacre de son côté un véritable droit à étudier les espèces protégées . Au nom du droit fondamental d’accès à la connaissance, il devrait en être de même pour les oeuvres de l’esprit. Notons également que le COV permet l’usage à des fins de recherche gratuitement, au nom de l’intérêt général, alors que le machin pédagogique de la loi DADVSI coûte chaque année plusieurs millions d’euros à l’État (et donc à nous tous !)

5) Last but not least, en appliquant le COV aux œuvres de l’esprit, on consacrerait enfin un droit à la réutilisation créative, qui fait si cruellement défaut dans le système actuel. Malgré le droit exclusif reconnu au créateur d’une nouvelle variété, il reste possible pour quiconque d’utiliser la plante pour en produire une nouvelle. Le bénéficiaire du certificat peut s’opposer à ce qu’on commercialise son invention sans le rémunérer, mais il ne peut empêcher qu’un autre s’appuie sur sa création pour innover à son tour et produire du neuf. Le droit d ‘auteur français ne permet pas cela, ou alors seulement dans les limites étriquées de la courte citation. Pourtant, le besoin est très fort de donner une assise légale à la réutilisation créative des contenus, au remix, au mashup et à toutes les pratiques amateurs qui fleurissent en ligne. Le droit d’auteur devrait apprendre à distinguer le plagiat de la réutilisation créative et reconnaître que la seconde relève d’un droit fondamental de créer qui ne peut être anéanti par aucune exclusivité. Cela éviterait de voir se produire des absurdités comme celle-ci ou celle-là, véritables attentats à la créativité. C’est tout l’enjeu du statut juridique des User Generated Content qui se cache derrière cette question. Ici encore, le COV se rapproche du fair use américain, qui accorde lui aussi droit de cité à « l’usage transformatif ».

“Pouvez-vous me dire l’épi qui est sorti le premier de terre

Vous me direz qu’il existe déjà des licences libres qui favorisent justement ce type de réutilisations. Certes, mais ce que montre le COV, c’est que l’idée d’un équilibre entre les droits d’un créateur et ceux de l’utilisateur, dotés d’une égale dignité, existe déjà dans notre code et qu’elle pourrait se propager çà d’autres domaines de la propriété intellectuelle.

On lit souvent que le COV a été mis en place pour tenir compte de la spécificité du vivant, mais son esprit pourrait s’appliquer tout autant aux biens culturels. Tout comme les créations végétales, les œuvres de l’esprit naissent en effet à partir d’un fonds commun préexistant d’idées et de concepts, qui constituent un bien commun dont l’appropriation exclusive devrait être étroitement bornée. Le créateur d’une nouvelle espèce végétale ne bénéficie que d’une protection limitée, car il n’est pas le seul à avoir œuvré. La nature aussi a concouru à la création. Il en est de même pour les œuvres de l’esprit : l’inventivité de l’auteur joue un rôle fondamental, mais elle ne doit pas faire oublier que l’intelligence collective est aussi toujours à l’œuvre, et c’est particulièrement vrai lorsque la création s’effectue sur Internet.

Pour s’en convaincre, je vous invite à relire ce magnifique passage des Majorats littéraires de P.J. Proudhon :

Voilà un champ de blé : pouvez-vous me dire l’épi qui est sorti le premier de terre, et prétendez-vous que les autres qui sont venus à la suite ne doivent leur naissance qu’à son initiative ? Tel est à peu près le rôle de ces créateurs, comme on les nomme, dont on voudrait faire le genre humain redevancier.(…) En fait de littérature et d’art, on peut dire que l’effort du génie est de rendre l’idéal conçu par la masse. Produire, même dans ce sens restreint est chose méritoire assurément, et quand la production est réussie, elle est digne de récompense. Mais ne déshéritons pas pour cela l’Humanité de son domaine : ce serait faire de la Science, de la Littérature et de l’Art un guet-apens à la Raison et à la Liberté.

Rêvons un peu que l’esprit d’équilibre du COV puisse s’appliquer un jour à toutes les créations !


PS : si vous avez aimé ces rêveries végétales, vous apprécierez peut-être celles-ci : Un droit d’auteur pour les animaux, pas si bête ? Il me restera ensuite à parler des minéraux !

Billet initialement publié chez :: S.I.Lex :: sous le titre “Obtention végétale : le droit d’auteur pourrait en prendre de la graine !” ; images CC Flickr monteregina fauxto_digit Martin LaBar Osbern

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