Spotted: un écrivain sur Facebook

Le 30 juin 2010

C'est un peu un avatar 2.0 du haïku : des statuts Facebook. Passeur en France de la littérature américaine contemporaine, l'écrivain Madman Claro se livre à cet exercice d'écriture sur son profil. Interview avec cet ouvreur de flux potentiel.

Il est sur Facebook sous le nom de Madman Claro ; ses statuts ne manquent pas de rassembler, à chaque publication, une dizaine de commentateurs. L’ambiance est au rendez-vous littéraire, à l’atelier d’écriture, à l’ouvroir de littérature potentielle.

On y goûte le plaisir d’être dans l’antre de l’écrivain, son atelier d’alchimiste. Bref une littérature dans le flux, en action !

Lui : c’est l’écrivain-traducteur Claro, dont le CV littéraire IRL (in real life) est très impressionnant.

Il est le passeur en France de la littérature américaine contemporaine, comme Baudelaire en son temps : traducteur de Thomas Pynchon et de William T.Vollman, entre autres, il dirige également au Cherche midi la collection LOT49 consacrée à la fiction contemporaine anglo-saxonne.

Il est par ailleurs l’auteur prolifique d’une œuvre publiée chez Verticales ou encore Actes Sud.

Sa littérature est marquée par le détournement littéraire, l’expérimentation. Il aime à secouer les genres. ( cf son « Madman Bovary, remix original de l’œuvre de Flaubert).

Un auteur très amateur des « déplacements » de langue, donc.

Je n’ai pas résisté à l’envie de l’interroger sur sa dernière migration… Facebook.

Est-ce que tu as investi Facebook avec une intention littéraire en tête ? Était-ce d’abord un espace social ou un espace de publication ?

FB est un espace mi-privé mi-public, et mes interventions se limitent aux statuts et aux liens. Aucun projet, littéraire ou autre, à la base, juste l’envie de me plier à la contrainte du statut : un énoncé limité en signes, avec pour exigence : ne jamais se répéter, en faire le plus souvent possible, ne rien sauvegarder. Pour un écrivain, c’est assez fascinant de savoir qu’il est lu en direct, ce qui est à l’opposé de sa pratique habituelle. C’est donc une façon de tester un lectorat flottant, spontané, plus ou moins captif.

Es-tu surpris des commentaires que tu suscites ? Que penses-tu du côté atelier d’écriture, rendez-vous littéraire que joue ton mur ? Ces interactions comptent-elles pour toi ?

C’est amusant, parce que très souvent les commentaires sont une relance. Le jeu de mot ­ à la base de 75% de mes statuts, comme de ceux de pas mal d’autres facebookers, ­ en génère aussitôt d’autres. Souvent, quand un statut n’est ni liké ni commenté dans l’heure qui suit, je l’efface. L’aspect éphémère de l’exercice est en fait très stimulant, même s’il ne doit pas générer des énoncés irresponsables.

Est-ce que tu y fais ton miel par ailleurs ? Inspiration, matériau ? Est-ce que tu fais contrebande vers le offline de tes écrits Facebook ?

Le statut naît directement dans Facebook, il est hors de question d’en préparer à l’avance. Ça serait “tricher”, ce qui laisse à penser que FB est pour moi une sorte de jeu textuel (textuel, pas littéraire).

Comment travailles-tu tes statuts ? Mot d’humeur à la volée ou travaillé ? En flux ou tu stockes ?

Il faut que ça reste instinctif. Le but est, curieusement, de se surprendre soi-même. Mais un des buts premiers, puisqu’il y a interaction, et interaction immédiate, c’est de provoquer un effet de lecture, et bien souvent on espère que cet effet sera de l’ordre du rire. FB ne doit pas être sérieux selon moi.

As-tu identifié, avec ta pratique, la typologie d’un statut réussi ? Qu’est-ce que pour tes lecteurs un statut réussi (au nombre de réactions ?) Les deux se croisent-ils ?

Pour moi, un statut réussi, c’est un statut qui fait se rejoindre l’incongruité du fond et l’évidence de la forme. Autrement dit, c’est comme une formule magique dont personne ne sait à quoi elle sert. Pour ceux qui lisent, le statut réussi c’est souvent le statut qui est dans l’excès, qui semble provocateur, limite. FB c’est souvent une machine à produire de l’affect.

Pour finir, à quoi ressemblerait une œuvre littéraire made in Facebook ? Le statut est-il un objet littéraire ?

Il y a un éditeur (belge) qui publie des recueils de statuts, il m’a même proposé d’éditer les miens. J’ai refusé, évidemment. Le statut est une forme abâtardie de la pulsion aphoristique (tiens tiens, voilà qui ferait un super statut, un peu sérieux, mais bon). Mais pour moi, son charme premier est de disparaître, soit en étant effacé, soit simplement parce qu’il coule sur la page telles les lignes de code de la Matrix. Ce n’est pas un objet littéraire, c’est un énoncé éphémère, juste un papillon un peu bavard.

En savoir plus sur Claro

-son blog : http://towardgrace.blogspot.com/

Le FRIC FRAC CLUB, club littéraire en ligne dont il est cofondateur

Dernière oeuvre à paraître : Cosmoz à paraître le 18 août 2010 chez Actes Sud

Image spéciale dédicace by Elsa Secco /-)

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