Le roman de demain, pas seulement une histoire d’e-paper
À la demande de slate.com, Laura Moser et Lauren Mechling publient un romain feuilleton “My Darklyng” destiné à la génération Facebook et utilisant les réseaux sociaux pour créer son univers.
A suivre, cet été, l’expérience rafraichissante menée par deux auteurs américains: “My Darklyng” un roman feuilleton destiné à la génération Facebook, dont l’univers vit en parallèle sur les réseaux sociaux. Une démonstration plutôt convaincante de la façon dont Internet peut faire évoluer le roman.
A la demande du site internet Slate.com, Laura Moser et Lauren Mechling se sont lancées dans l’écriture d’un roman écrit spécifiquement pour une audience en ligne. L’histoire surfe sur la vague vampire, nouveau graal des romans pour jeunes adultes et adolescents, après le filon Harry Potter.
Au delà de la technique d’écriture, “My Darklyng” utilise les réseaux sociaux pour faire vivre son univers. Deux acteurs incarnent donc les personnages principaux sur une page Facebook dédiée, censée être mise à jour par l’héroïne. Nathalie Pollock, une adolescente de 16 ans, veut devenir mannequin, et est fascinée par les histoires de vampires. On y retrouve des vidéos des deux protagonistes filmées par les acteurs eux-mêmes, mais aussi des contenus glanés sur le Net qui nous en disent plus sur sa personnalité.
“Nathalie” (qui n’existe pas) tient également un compte Twitter. Tout comme Fiona Saint-Clair, auteur imaginaire et mystérieux d’une série de romans de vampires. Les auteurs ont essayé de lui créer une page Wikipédia, mais se sont vite faits démasquer par la communauté :
L’histoire se raconte et s’écrit donc à la fois dans le roman-feuilleton publié par Slate, mais aussi sur Twitter et Facebook.
“Si Andy Wahrol était encore vivant aujourd’hui, il passerait son été à écrire un roman qui se déroulerait en temps réel sur Facebook”, s’enthousiasme le New-York Times”. Voilà qui est fait.
Ce qui est intéressant ici, c’est que l’on utilise le réseau pour faire vivre l’écriture, tout en préservant le travail de l’écrivain, traditionnellement vertical: entraîner ses lecteurs dans son univers, sans leur demander leur avis, cela va de soi… Ce qui fait tout le délice de la lecture, depuis l’Odyssée d’Homère jusqu’à Harry Potter.
Internet et le roman -et plus généralement Internet et l’édition-, cela fait longtemps que l’on tourne autour du sujet. Depuis l’avènement d’Internet, on s’interroge sur l’impact du réseau sur l’édition et l’écriture des romans.
On s’est d’abord dit (ce qui n’était pas idiot) qu’Internet bouleversant les usages de lecture, il allait forcément modifier la façon dont les internautes liraient les romans. Restait à savoir comment.
Or, si l’évolution de la consommation d’infos est plus évidente à observer, ou à deviner, sur la consommation des infos, l’exercice est plus difficile dès que l’on aborde la lecture des romans. D’abord parce que la lecture d’un roman met en jeu une relation très particulière, intime, finalement très solitaire, entre un lecteur et un auteur ou son univers. Où l’on se laisse d’autant plus guider, de façon linéaire, que l’imaginaire n’est que rarement prisonnier de l’œuvre, parce qu’il peut l’interpréter et se l’approprier à sa guise.
On donc vu passer diverses expériences. Peu sont convaincantes au final, mais toujours intéressantes :
- La co-création, chacun participe à l’écriture d’un roman collectif, à la façon d’un wiki. Exercice théorique qui casse la personnalisation, et l’intériorisation de l’œuvre.
- Plus intéressant, les “fanfictions“, des centaines de milliers de romans ou nouvelles écrits par des fans, adeptes d’une série télé, d’un film, d’un roman ou d’un comic. Ils élargissent les univers imaginaires déjà existants et inventent de nouvelles aventures pour leurs personnages favoris.
- Le twitt-roman: Twitter accélérant la lecture par l’installation d’une micro-écriture, on s’est dit que l’avenir était peut-être à la lecture snacking. Quelques expériences sur Twitter relevées par Francis Pisani, qui se sont vite essoufflées. Mais des exemples bien plus intéressants au Japon, avec les “cellphone novels” des romans écrits et lus par des millions de Japonais sur mobile.
- L’interactivité: l’auteur écrit sur un mode collaboratif, et se laisse guider par les suggestions de son audience. Ou alors, il propose plusieurs choix au lecteur, sur le modèle du jeu de rôle. Intéressant, mais finalement assez anecdotique. On demande à un auteur de nous emmener, pas forcément de se laisser emmener par son lecteur. Ce n’est pas le cas pour le jeu vidéo, qui est en train de réussir à bouleverser les codes de la narration au cinéma, dont il est très proche, avec des titres comme Heavy Rain du Français David Cage, ou encore Final Fantasy. Mais ce n’est sans doute pas sur ce terrain là qu’Internet révolutionnera le roman.
- Les blogs: laboratoire d’écriture, le blog a rapidement permis à des talents méconnus de partager leurs histoires, souvent sous la forme de témoignages. Le style est court, les histoires aussi. Le succès du blog débouche parfois sur un livre. Le blog, qui permet de fédérer une communauté autour de ses écrits, sans passer par un éditeur, a permis l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains, au style plus “parlé” et direct. C’est l’histoire de William Réjault (photo ci-dessus), anciennement “Ron l’infirmier“, l’infirmier blogueur qui est passé de la compilation sur papier de ses histoires initialement publiées sur son blog à l’écriture plus traditionnelle de romans. Le dernier vient de paraître chez Plon. Avec entre temps une expérience d’écriture d’un roman sur iPhone, où les internautes pouvaient suggérer des idées ou apporter des informations via un blog.
- Côté édition, l’arrivée des e-readers comme le Kindle, et demain les tablettes, devraient continuer de démocratiser la lecture en adaptant le support aux usages de la “génération mobile”. Et sans doute concourir à révolutionner l’édition en réduisant les coûts de production, permettant à chacun de devenir son propre éditeur.
L’initiative la plus convaincante dans ce domaine, est celle des créateurs de MyMajorCompany, qui permet aux internautes de produire des artistes (c’est de là que sont sortis Joyce Jonathan et Grégoire). Avec MyMajorCompany Books, la “foule” peut désormais se substituer aux éditeurs pour produire et faire émerger de jeunes écrivains inconnus et talentueux, comme Xavier Müller.
Ce n’est donc pas tant la lecture ou l’écriture du roman qui devrait être bouleversée, ni même menacée par Internet, que les modes de distribution, à travers les e-books, l’édition participative ou l’auto-promotion sur les blogs ou Facebook.
Mais avec la popularisation des réseaux sociaux, on peut imaginer une autre évolution, qui devrait accélérer la connectivité des e-books: des romans dont l’univers s’étendrait sur la toile grâce aux interactions et aux productions des fans, à l’entrelacement de l’imaginaire et du réel à travers des expériences de social-novels comme “My Darklyng”. Ou simplement grâce au fait que les auteurs utiliseront de plus en plus les réseaux sociaux pour interagir avec leurs lecteurs, se faire connaître d’eux, ou poursuivre la fiction.
Ce que fait déjà très bien l’auteure de best-sellers Tatiana de Rosnay, très présente sur Twitter et Facebook, où elle a même créé une page pour Angèle Rouvatier, l’un de personnages de son roman ‘Boomerang”.
(Illustration de tête: Erin Schrode and Hannah Grosman, les deux acteurs de la page Facebook de My Darkling)
Illustration CC FlickR Enokson
Article initialement publié sur http://benoitraphael.com/
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