Les faucons antidrogue appellent Big Brother en renfort

Le 30 août 2010

La justice américaine permet à la police fédérale antidrogue (DEA) d'utiliser des mouchards GPS sans l’aval d’une autorité judiciaire.

La surveillance sauvage des citoyens américains vient de passer un nouveau cap après un jugement de cour d’appel qui prend effet dans neuf États de l’union, dont la Californie. Évoquée par Time récemment, l’affaire se penchait sur un coup tordu de la DEA, la police fédérale antidrogue. Tout est parti d’une enquête des stups en 2007 — le but était de confondre Juan Pineda-Moreno, un cultivateur de marijuana de l’Oregon — qui s’est permis de pénétrer chez le suspect, sans aucun mandat, pour coller un module GPS sur sa Jeep. La cour d’appel a donc validé la violation de domicile pour justifier la surveillance électronique.


Une affaire exemplaire car elle réunit deux piliers de la doctrine sécuritaire étasunienne: « la guerre contre la terreur» — qui a produit les loirs iniques type Patriot Act qui ont élargi les pouvoirs d’enquêtes sans contrôle du juge — et «la guerre contre la drogue», qui a déjà produit son lot d’atteintes aux droits civiques depuis des décennies.

En France coller un mouchard GPS sur une voiture est un acte de procédure pénale plutôt banal, même si aucun texte ne l’évoque clairement. Nous avions exploré ce cas d’école lors de l’enquête sur le pseudo-groupe de Tarnac, les fameux réseaux « anartoto » chers au ministre de l’Intérieur de l’époque, Alliot-Marie. Malgré les énormes moyens déployés, une enquête à charge dont les travers ont été maintes fois mises en lumière, les prévenus sont toujours dans l’arène et ses partisans ne l’ont pas oublié en se réunissant au cœur de l’été.

Dans l’affaire Pineda-Moreno, la question repose sur la légalité de la mise sous surveillance, pas de la nature de cette surveillance. Dans le Massachusetts, en 2009, la DEA a usé des mêmes méthodes mais avait auparavant pris soin d’avoir l’accord de l’autorité judiciaire.

Une allée de garage est-elle le domicile privé ?

Dans le cas du cultivateur de l’Oregon, le débat s’est orienté sur la nature du «domicile privé» — et détermine s’il faut ou pas de mandat de perquisition (search warrant en jargon judiciaire étasunien). Sa voiture était garée dans son allée — driveway —, mais pas dans un garage ou une enceinte fermée; les juges ont considéré qu’il n’y avait pas de violation de domicile. Et que le placement sous surveillance n’était donc entachée d’aucune nullité juridique. Le cultivateur avait plaidé coupable pour la possession d’herbe, mais contestait la légalité des moyens de la preuve électronique — en droit français aussi, et heureusement, un élément de preuve récolté de manière illégale doit être immédiatement invalidé.

Au passage, Time s’amuse à citer l’opinion minoritaire d’un des juges d’appel, Alex Kozinski, réputé plutôt conservateur car nommé sous l’ère du président Reagan. Selon ce brave homme, juger qu’une allée menant à une maison est dans l’espace public sous-entend que seuls les nantis, qui peuvent se payer des murs, des vigiles et des enceintes électroniques, bénéficient d’un droit plus large à leur vie privée. Et de proner une plus grande diversité sociale au sein même du système judiciaire… Ses collègues, accuse-t-il, sont coupables d’«élitisme culturel», rien que ça.

Suivi à la trace sans mandat

Toujours est-il que le jugement de la Cour d’appel du 9ème Circuit est autrement plus terrible pour le droit à la vie privée. Car les juges valident le fait qu’une fois le dispositif GPS installé, et donc les conditions de son installation validées, la DEA peut poursuivre sa surveillance après coup sans aucun mandat de perquisition. Commentaire du journaliste de Time:

Après tout, si les agents du gouvernement peuvent suivre les gens à la trace à tout moment avec des mouchards installés secrètement, sans l’aval d’une autorité judiciaire, nous ne sommes pas loin d’un banal état policier— avec, dans le rôle du KGB ou de la Stasi, la technologie.

L’hebdo souligne toutefois que d’autres cours d’appel n’ont pas eu la même certitude. Un cas presque similaire traité par celle de Washington DC, ce mois-ci, a jugé au contraire qu’une surveillance GPS prolongée sans aucun mandat n’était pas conforme. C’est donc la Cour suprême qui aura finalement le dernier mot, dans ces deux affaires.

En cherchant un peu, on trouve un précédent arrêt de la Cour suprême sur la pertinence d’une technologie intrusive dans le cadre d’une enquête de stupéfiants. La question était là aussi de savoir si l’usage de caméras thermiques pour repérer des plants de marijuana dans une habitation était oui ou non possible sans mandat de perquisition. La Cour s’est finalement rangée du côté du 4ème Amendement (qui protège le citoyen contre toute enquête arbitraire), en citant un cas d’école datant de 1925 :

“The Fourth Amendment is to be construed in the light of what was deemed an unreasonable search and seizure when it was adopted, and in a manner which will conserve public interests as well as the interests and rights of individual citizens.” Carroll v. United States267 U.S. 132, 149 (1925).

Where, as here, the Government uses a device that is not in general public use, to explore details of the home that would previously have been unknowable without physical intrusion, the surveillance is a “search” and is presumptively unreasonable without a warrant.

Reference: US Supreme Court, June 11, 2001. DANNY LEE KYLLO v. UNITED STATES

Traduction : « A partir du moment où l’outil employé n’est pas d’usage général, et qu’il permet d’explorer les détails d’une habitation qui n’auraient jamais pu l’être sans une intrusion physique, la surveillance est une perquisition qui ne saurait être justifiée en l’absence de mandat ». Notez bien que ce jugement « suprême » date de juin 2001, soit avant le Patriot Act et ses avatars anticonstitutionnels.

Le terrorisme, un bon prétexte

Car la guerre contre le terrorisme, depuis ses débuts, est devenue un allié pour les faucons de la DEA cherchant à élargir leurs moyens d’investigation. Rappelons que depuis une quinzaine d’années, 14 États de l’union ont légalisé la culture et la fourniture de cannabis à des fins médicales. C’est le cas de la Californie et de… l’Oregon. Ont donc été légalisés des dispensaires privés, des « clubs de patients », dans lesquels il est possible d’acheter sa dose le plus simplement du monde — pour peu que l’on dispose d’une prescription médicale. Ces tolérances successives ont été vécues à la DEA comme autant de provocations.

Exemple : après le référendum de 1996 en Californie qui a légalisé la marijuana médicale, le Cannabis Action Network, une association d’activistes de Berkeley, organisait une fois par an à San Francisco, le 20 avril, le Hemp Festival, un rendez-vous militant et récréatif qui avait donc l’accord des forces de police locale. Lors de l’édition d’avril 2002, soit la première de l’ère Patriot Act, le Hemp Festival est victime d’un coup tordu de la DEA. La veille, les agents font une descente dans le lieu où devait se dérouler le festival, y trouvent des substances illicites — et ordonnent immédiatement la fermeture de l’établissement. Le Hemp Festival eu finalement lieu dans un endroit inviolable: les locaux de leur cabinet d’avocats de San Francisco!

Les militants pro-cannabis ont appris à subir les effets collatéraux des lois antiterroristes. Dans cet article de 2006, ils citent le cas d’une enquête qui a utilisé une mesure tirée du Patriot Act (« sneack and peak », perquisition furtive où le suspect n’est pas informé de celle-ci) pour surveiller abusivement des personnes suspectées d’un trafic d’herbe entre les Etats-Unis et l’Etat canadien de Colombie britannique, réputé plus friendly dans la répression des drogues douces.

Dans un rapport de 2009 cité ici, écrit par une émanation des autorités judiciaires fédérales, le bilan de cette procédure « sneak and peak » est sans appel:

Sur 763 mandats délivrés en 2008, seulement 3 l’ont été pour des faits clairement antiterroristes. Les deux-tiers ont concerné des affaires de stupéfiants. Certains de ces mandats ont été prolongé, et sur 1.291 mandats délivrés au total, seulement 5 concernaient le terrorisme et 65% impliquaient des personnes suspectées de trafic de drogue, qui reste pourtant un délit de droit commun [même dans la puritaine Amérique]. Sur les 21 catégories de crimes concernées par la procédure, le terrorisme apparaît à la 19ème place, devançant la conspiration et la corruption.

Article initialement publié sur Numéro Lambda

Illustration FlickR CC : Katy Lindemann

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